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Vie d'Anne Catherine Emmerich - Tome1

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:29

Vie d'Anne Catherine Emmerich - Tome1

I MŒURS ET COUTUMES POPULAIRES EN WESTPHALIE AU COMMENCEMENT DE CE SIÈCLE

1. On lit sur le registre baptismal de la paroisse Saint Jacques, à Coesfeld : " Le 8 septembre 1774 a été baptisée : Anne Catherine, fille de Bernard Emmerich et d'Anne Hillers, son épouse. Les parrains ont été Henri Hûning et Anne Catherine Heynick, femme Mertens." Le jour du baptême était aussi le jour de la naissance. Des neuf enfants qu'eurent ses parents, Anne Catherine fut le cinquième. Il y avait en tout six frères et trois soeurs : le plus jeune des frères, Gérard, resté célibataire, vivait encore en septembre 1859, lorsque l'auteur de la présente biographie visita le lieu de naissance d'Anne Catherine, au hameau de Flamske, près de Coesfeld. Ce Gérard ne sut rien lui dire, si ce n'est que sa sœur avait été une nonne d'un excellent cœur, mais éprouvée par des souffrances continuelles, et qu'il était allé la voir souvent à Dulmen." Elle était, ajouta-t-il, toujours si bonne et si aimable pour moi et nos autres frères et sœurs que c'était toujours pour nous une grande joie de pouvoir aller la visiter à Dulmen."

2. Le vieux et respectable pasteur de l'église de Saint Jacques, M. Hilswitte, vivait encore : il se souvenait d'avoir vu Anne Catherine, pour la dernière fois, en l'an 1812. Il rendit témoignage qu'elle avait toujours passé pour une personne très estimable : mais les circonstances particulières de sa vie ne lui étaient pas connues. Il avouait qu'à l'époque où s'étaient produits les phénomènes extraordinaires signalés chez Anne Catherine, on n'était guère en état de comprendre les choses de ce genre, en sorte que peu de prêtres avaient cherché à prendre connaissance de ce qui la concernait et des circonstances de sa vie. De là était venu, selon lui, qu'Anne Catherine, après sa mort, avait été plus vite oubliée dans sa patrie que dans d'autres pays où Clément Brentano et l'évêque Wittmann avaient appelé sur elle l'attention et l'intérêt. Plusieurs années avant sa mort, elle-même s'était exprimée en ces termes : " Ce que le pèlerin recueille, disait-elle, il l'emportera loin d'ici, car ici il n'y a aucune disposition à en profiter. Là-bas, cela fera son effet et cet effet reviendra de là se faire sentir jusqu'ici."

3. La petite maison où elle était née se trouvait encore, en 1859, dans le même état où Clément Brentano l'avait trouvée quarante ans auparavant. C'est une vieille petite grange, où hommes et bêtes vivent paisiblement ensemble et où le fourrage et les grains qu'on y ramasse recouvrent les compartiments, séparés par de méchantes cloisons en planches, où les divers habitants de la maison prennent leur repos. La porte vermoulue s'ouvre sur une petite pièce sans autre pavé que de la terre battue et qui sert de chambre commune. Là se trouve la cheminée, sous cette forme simple et primitive qui n'exige rien de plus qu'une pierre ou une plaque de fer encastrée dans la terre glaise, pour y allumer le feu, et une barre de fer pour pendre la chaudière. La fumée est libre de sortir par une ouverture quelconque du toit ou de la muraille et de laisser autant de suie qu'il lui convient sur la charpente et le mobilier de la grange. Autour du foyer on voit quelques vieilles chaises et une vieille table dont l'apparence doit faire croire qu'elles servaient déjà aux parents de notre Anne Catherine. A gauche de cette pièce sont les cloisons en planches formant les compartiments qui servent de chambres à coucher : le reste est livré aux vaches qui ne sont séparées des habitants appartenant à l'espèce humaine que par quelques perches et par leurs mangeoires. Plus tard on a adjoint au bâtiment principal une maisonnette contenant deux pièces qui servent de chambres. Devant cette maisonnette ; s'élèvent encore quelques vieux chênes, ombrageant la petite pelouse qui a été le premier théâtre des jeux de la merveilleuse entant.

4. Ecoutons maintenant ce que dit Clément Brentano de la visite qu'il fit à la maison paternelle d'Anne Catherine, lorsque celle-ci vivait encore, et de ce qu'étaient à cette époque les mœurs et les coutumes populaires du pays de Munster :
" J'allai à trois lieues de Dulmen, au hameau de Flamske, pour visiter la maison paternelle d'Anne Catherine, qu'habite maintenant son frère aîné Bernard Emmerich avec sa femme et ses enfants. Cet endroit dépend de la paroisse Saint-Jacques, à Coesfeld, ville éloignée d'une demi-lieue. Je voulais voir la place où elle est née et où a été son berceau. Je trouvai une grange délabrée, avec des murs de terre et un vieux toit de chaume tout couvert de mousse. Etant entré par une porte souvent rapiécée qui était entrouverte, je me trouvai au milieu d'un nuage de fumée où je pouvais à peine distinguer quelque chose à un pas devant moi. Le frère d'Anne Catherine et la femme de celui-ci me saluèrent avec un peu de surprise, mais très amicalement, lorsque je leur portai les compliments de leur sœur : les enfants, d'abord effarouchés, s'approchèrent sur l'ordre de leur père et baisèrent leurs petites mains pour me saluer. Dans l'espace compris entre les quatre murs de la maison, je ne vis pas de chambre ou d'endroit auquel on put donner ce nom : cependant il y avait un coin séparé où se trouvait le grossier métier à tisser de l'un des frères ; quelques vieux coffres noircis par la fumée laissaient voir, quand on les ouvrait, de grands cadres pleins de paille sur lesquels étaient quelques coussins de plume. C'était là qu'on dormait. Du côté opposé, le bétail regardait derrière des pieux.
" Le mobilier et les ustensiles sont posés ou accrochés à l'entour : à la charpente qui soutient le toit sont suspendus de la paille, du foin, de l'étoupe noircis par la fumée et la suie, et il y avait partout tant de fumée qu'on ne voyait pas au travers. C'était là, dans cette sombre atmosphère, au milieu de ce désordre et de cette pauvreté qu'était née et qu'avait été élevée cette créature si pure, si éclairée, si riche des dons de l'intelligence : c'est là et non ailleurs qu'elle se conserva innocente dans ses pensées, ses paroles et ses actions. Je me souvins de la crèche de Bethléem. Je mangeai devant la porte, sur un bloc de bois, du gros pain bis (Pumpernickel), du beurre et du lait. Le pieux Bernard Emmerich ne prononçait pas un mot sans y ajouter" avec l'aide de Dieu." Je pris une vieille image de la sainte Vierge, tout enfumée et toute déchirée, qui était attachée à la porte de l'endroit où Anne Catherine prenait son repos, et je leur en donnai une autre à la place. Je cueillis ensuite quelques rejetons de chêne sous les deux grands arbres qui s'élèvent devant la chaumière : puis je pris congé de ces bonnes gens qui me dirent que j'étais la première personne qui fût venue pour voir le lieu de naissance d'Anne Catherine." J'allai une demi-lieue plus loin, à Coesfeld, pour voir la place où elle avait reçu les stigmates de la couronne d'épines.
" C'est dans cette ville qu'elle a été baptisée, à l'église paroissiale de Saint-Jacques, le 8 septembre 1774. Ce jour de la Nativité de Marie a été celui de sa naissance (note). Je visitai avec beaucoup d'émotion cette vieille et belle église j'allai ensuite chez le curé Hartbaum qui lui a fait faire sa première communion. Je trouvai en lui un vieillard vert et robuste, mais qui ne me parut pas apprécier à sa valeur soit ancienne paroissienne. Le vif intérêt que je prenais à elle avait pour lui quelque chose d'étrange et il semblait être de ces hommes qui n'ont d'autre désir que de voir toutes choses rester comme par le passé ou plutôt suivre ce train de chaque, jour où rien ne dépasse la portée de leur vue. Je visitai aussi la principale église paroissiale, celle de Saint-Lambert, où l'on honore la croix miraculeuse, dite croix de Coesfeld, devant laquelle Anne Catherine a beaucoup prié dès sa plus tendre jeunesse et reçu de Dieu des grâces de toute espèce. Suivant la tradition, cette croix est venue de la Palestine au VIIIème siècle et elle a la forme fourchue de celle qu'Anne Catherine elle-même porte empreinte sur l'os de la poitrine. C'est dans cette église qu'elle a été confirmée. J'allai ensuite, à l'église des Jésuites, dans laquelle, à l'âge de vingt-quatre ans, l'an 1798 probablement), elle priait très dévotement devant un crucifix, dans la tribune de l'orgue, lorsque vers midi la couronne d'épines lui fut posée sur la tête par une apparition de son fiancé céleste."

(note) Clément Brentano, lui aussi, était né le 8 septembre (de l'année 1778).

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:30

" J'éprouvais un sentiment de tristesse qui gâtait pour moi l'impression de cette belle église en pensant que la petite communauté protestante d'une centaine de personnes qui s'est formée ici depuis qu'un comte de Salm médiatisé y a fixé sa résidence, a sa table de communion dressée devant l'autel où sortit du tabernacle l'apparition du Sauveur qui présenta la couronne d'épines à Anne Catherine ; qu'on annonce ici, dans la chaire, la fête de la Réformation, triomphe de l'apostasie ; que cet orgue riche et élégant, dans la tribune duquel elle reçut cette grâce pendant sa prière, a été rejeté comme n'étant pas d'assez bon goût et remplacé par un buffet d'orgue à la mode du jour. L'église maintenant sert simultanément aux catholiques et aux protestants.
" On m'a dit que la comtesse cherchait à en chasser tout à fait les catholiques, quoiqu'elle soit propriétaire de l'église et du cloître des capucins, situés à deux cents pas, et que le cloître serve d'habitation à ses gens. Elle se serait plainte, dit-on, d'être incommodée par le son des cloches et les prières matinales des catholiques dans l'Église des Jésuites. Cette église, par l'unité de sa décoration intérieure et par l'ensemble harmonieux des élégantes sculptures en bois qui ornent les autels, le banc de communion et le vieux mobilier, est une des plus tranquilles et des plus favorables au recueillement que j'aie jamais vues, bien qu'elle ne soit pas très élevée. A chaque place de l'église, on croit s'agenouiller sur le bord d'un riche tapis descendant du tabernacle et la couvrant tout entière. Aussitôt que cette église, qui peut contenir deux mille personnes, appartiendra uniquement aux cent protestants, ils jetteront dehors tous les autels et les objets artistement travaillés qui ne leur paraissent pas de bon goût et qui pourraient leur rappeler trop souvent la grande habileté et la piété du frère Jésuite qui y a consacré tant de travail et de fatigue en l'honneur de Dieu vivant dans le saint Sacrement.
" Quand la bonne Anne Catherine était enfant, Coesfeld était sa Jérusalem. C'était là qu'elle visitait tous les, jours le Dieu vivant dans le saint Sacrement ; c'était de ce côté qu'elle regardait avec amour lorsqu'elle priait en travaillant aux champs ou en gardant son troupeau ; c'était dans cette direction qu'elle tournait son visage lorsqu'elle priait la nuit dans la campagne. C'était de là que le son des cloches du petit couvent des Annonciades, qui avait éveillé de bonne heure ses aspirations vers le cloître, arrivait à l'oreille de la petite paysanne pendant ses travaux rustiques. J'ai vu ce couvent des Annonciades désert et dévasté.
" A Coesfeld, elle a pendant plusieurs années travaillé comme couturière chez une personne pieuse ; puis, pendant trois ans, servi un chantre pour apprendre à jouer de l'orgue et pouvoir entrer par ce moyen dans un couvent. C'est de là aussi qu'elle alla au couvent. Il n'est point étonnant qu'elle prenne un vif intérêt à cet endroit et s'afflige profondément, de voir dans ses visions les vieux sentiments catholiques de respect et de crainte de Dieu s'effacer à bien des égards dans cette petite ville et même chez plusieurs de ses prêtres, par suite du progrès des prétendues lumières et des rapports avec les protestants.
Elle y voit diminuer la simplicité et la régularité des mœurs, et malheureusement ou entend aussi des personnes pieuses de l'ancienne roche gémir souvent sur certains désordres. Du reste, il règne encore de la piété et une grande pureté de mœurs dans le pays de Munster pris en général.
Ce qui conserve encore dans la jeunesse la fidélité envers Dieu, c'est moins l'instruction que la conscience et l'esprit de foi qui les fait recourir aux remèdes que leur offre l'Église catholique. Je n'ai trouvé l'Écriture sainte chez aucun laïque ; on n'entend pas citer la Bible à tout propos, mais on voit pratiquer ce qu'elle enseigne. La piété des paysans, leur vie réglée suivant les prescriptions de l'Église catholique sont elles-mêmes des textes de la Bible. Une instruction populaire plus appropriée à l'époque a commencé avec la génération actuelle, au moyen des instituteurs et des institutrices formés à l'école d'Overberg, lequel est honoré dans tout le pays comme un père et comme un saint. Je n'ai rencontré personne qui ne se soit montré plein de reconnaissance pour les travaux d'Overberg, mais personne non plus qui m'ait affirmé que les gens étaient devenus par là plus pieux que leurs pères. Tous étaient bien plus touchés de la simplicité, de la piété et de la charité d'Overberg qu'enthousiasmés de ses oeuvres. La sœur Emmerich, qui est remplie de la plus profonde vénération pour Overberg, m'a souvent dit avoir le sentiment, confirmé par ses visions, que les vieux maîtres d'école de village, si pauvres, si laborieux, obligés, pour gagner leur vie, de faire en outre le métier de tailleurs, recevaient plus abondamment de Dieu la grâce d'élever pieusement l'enfance que les nouveaux instituteurs des deux sexes avec la petite vanité qu'ils tirent souvent de l'examen qu'ils ont passé. Chaque œuvre produit son fruit suivant une certaine mesure : mais quand l'instituteur trouve dans son oeuvre une jouissance, un sentiment personnel, il consomme en quelque sorte pour son propre usage une partie de ce fruit de bénédiction qui lui est attribué. C'est ce qui arrive maintenant sans qu'on puisse s'en apercevoir au dehors. Les instituteurs se disent : " Nous enseignons bien, " les enfants : " Nous apprenons bien, " les parents se réjouissent de ce que leurs enfants sont instruits et avisés : dans tous naît un effort pour briller de plus en plus et pour se donner l'importance. Certainement on lit et on écrit beaucoup mieux qu'autrefois : mais avec cet accroissement de capacité, l'ennemi sème journellement plus de mauvaise herbe dans la voie, et la piété et la vertu diminuent de jour en jour.
" J'ai trouvé la source de la pureté de mœurs et de la dévotion qui vivent encore dans le pays de Munster bien plus dans le fidèle attachement à la foi traditionnelle, dans l'imitation de la vertu des pieux parents, dans le grand respect pour les prêtres et leur bénédiction, dans la fréquentation de l'Église et l'usage habituel des sacrements, que dans l'extension de l'instruction. Je ne puis oublier comment un matin, de très bonne heure, passant près d'une haie, j'entendis une voix d'enfant : je m'approchai tout doucement et je vis une petite bergère en haillons, d'environ sept ans, qui marchait derrière quelques oies dans une prairie, une baguette de saule à la main. Elle disait avec un accent inimitable de piété et de sincérité : " Bonjour, cher seigneur Dieu ! Loué soit Jésus-Christ ! Bon père qui êtes dans le ciel ! Je vous salue, Marie, pleine de grâce. Je veux être bonne, je veux être pieuse ! Bons saints du paradis, bons anges, je veux être bonne. J'ai un morceau de pain à manger, je vous remercie pour ce cher pain ! Ah ! Protégez-moi aussi pour que mes oies n'aillent pas dans les blés, et que quelque méchant garçon n'en tue pas quelqu'une à coups de pierre ! Protégez-moi donc, je veux être une bonne fille, cher Père qui êtes au ciel !"

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:30

" Certainement la pauvre enfant avait composé cette prière avec de vieilles prières conservées par la tradition dans les familles. Une maîtresse d'école moderne aurait difficilement toléré chez l'enfant une prière ainsi faite." Quand je songe au peu d'instruction et aux façons rustiques de bien des prêtres, quand je vois tant d'églises où l'on ne s'inquiète ni du bon ordre, ni de la décoration convenable, ni de la propreté, ni même de la décence dans le culte divin ; quand je pense que tout le peuple parle le patois bas-allemand et que, depuis années, l'instruction doit être donnée et la prédication faite en haut-allemand, ce qui fait qu'elles arrivent difficilement au cœur des auditeurs ; quand je considère l'éducation simple jusqu'à la grossièreté de la plupart des enfants, et qu'avec tout cela je constate journellement la pureté, l'innocence, la foi pieuse, le sens droit des moindres de ces gens et leur aptitude à comprendre beaucoup de choses très profondes, je sens très vivement que le Seigneur et sa grâce sont plus vivants dans son église que dans la parole et l'écriture ; car ils y existent et y vivent avec une force créatrice dans les saints sacrements, lesquels se perpétuent et se renouvellent éternellement par la vertu sacrée et merveilleuse que Dieu a attachée à la consécration sacerdotale et qui se transmet de main en main. L'Église est là avec sa bénédiction, son influence salutaire, son pouvoir de sanctifier et de faire des miracles : elle se maintient comme la création, et survivra à la nature ; car elle est une force et une création de Dieu, et tous ceux qui croient en Jésus et en son Église ont part à ses dons.
" En général il y a encore beaucoup d'innocence dans ce pays. La corruption, la débauche et même le luxe sont rares dans le peuple ; la bonne conduite, l'humilité et la diligence des gens de service m'ont souvent surpris. Ce qui contribue beaucoup à conserver au peuple des campagnes son caractère particulier et ses bonnes mœurs, c'est qu'il y a peu de villages formant une de ces agglomérations où les habitants, vivant les uns près des autres, s'entraînent réciproquement au vice et à la médisance. Ici, chaque paysan, avec sa famille dont le bétail aussi fait partie, habite une maison isolée, entourée de quelques vieux chênes très rapprochés qui la défendent contre le vent et la pluie : tout autour sont ses champs souvent garantis par des haies ou des retranchements en terre. A environ un quart de lieue de là, se trouve une autre propriété du même genre, plus grande ou plus petite : un certain nombre de ces fermes forment un hameau, et plusieurs hameaux une paroisse. Le pays est parsemé de charmants bouquets d'arbres et d'une infinité de haies verdoyantes et de coins ombragés. Souvent, quand j'allais de maison en maison par les sentiers verdoyants et à travers des bocages, je ne pouvais m'empêcher de me dire : Quel pays pour une douce et innocente vie d'enfant ! Quelles solitudes et quelle quantité de charmants buissons couverts de baies ! L'arrangement des maisons de paysans et en partie aussi des maisons bourgeoises a un caractère tout à fait patriarcal. Toute la maison est d'une certaine façon rassemblés autour du foyer. Le feu est posé sur une plaque de fer, contre un mur, et ce qui appartient au foyer est toujours ce qu'il y a de mieux ordonné dans toute la maison. On entre d'abord dans cette cuisine qui est aussi le lieu où se passe toute la vie. Les couches sont établies dans les parois, comme dans des compartiments maçonnés dont les portes sont fermées pendant le jour. Souvent dans la cuisine même, plus souvent dans une aire adjacente, se tiennent à droite et à gauche des vaches et des chevaux sur un sol un peu plus bas, en sorte que leurs mangeoires sont de plain-pied et qu'en mangeant ils avancent leurs têtes à travers des barreaux. Un bras mobile de fer ou de bois porte de la pompe à eau sur le feu le chaudron où l'on fait cuire les aliments. Dans une maison je vis un enfant qu'on voulait empêcher ainsi de tomber dans le feu, tourner en rond dans l'échancrure circulaire d'une planche mobile attachée à un poteau par une perche transversale. A l'autre extrémité de cette grande pièce, dans l'aire qui en est séparée par une porte, on bat le blé ou l'on casse le lin : en haut, au-dessus, sont placés le foin, la paille et les grains ; la ménagère, qui se tient près du feu, surveille tout. Les fenêtres à petits carreaux contiennent souvent de petites peintures sur verre de l'ancien temps, des devises, des armoiries, ou même de petites figures de saints. Ordinairement on trouve les instructions familières de Goffiné, le catéchisme d'Overberg et l'histoire sainte sur une planche ou dans un coffre où sont les habits du dimanche avec une couple de pommes pour leur donner une bonne odeur. Devant la fenêtre, le vent murmure dans les arbres. Ces gens sont simples, laborieux, hospitaliers et pieux. Chez les riches paysans, tout cet aménagement s'élève jusqu'à la commodité, et même jusqu'à l'élégance il y en a chez lesquels j'ai vu une jolie cuisine d'hiver où pendant l'été, à la place du feu, un gros bouquet de fleurs brillait devant le foyer garni de petites plaques de porcelaine. Chez les paysans pauvres tout cela est plus grossier et plus simple, mais toujours avec le cachet de la vie de famille et des mœurs locales. Une seule chose, qui, du reste, devient de plus rare, incommode ceux qui n'y sont pas habitués dans les demeures des pauvres gens : c'est le manque d'un tuyau de cheminée. La fumée sort, comme il lui plaît, par toutes les ouvertures, ce qui, les jours de pluie, est très désagréable, parce qu'alors l'habitation est souvent remplie d'une épaisse fumée." Tel est le récit de Clément Brentano.

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:30

II BAPTEME ET PREMIERE JEUNESSE

1. La fille de Bernard Emmerich, de Flamske, pouvait dire d'elle-même, comme sainte Hildegarde : " Dès le commencement de mon existence, lorsque Dieu m'éveillait dans le sein maternel par le souffle de la vie, il a implanté dans mon âme le don de contemplation. Dès ma première enfance, lorsque mes os, mes nerfs et mes veines n'avaient pas encore pris leur consistance, mon âme a eu constamment des visions ; " car Anne Catherine, aussi, avait été pourvue d'une telle force d'âme et de si magnifiques dons spirituels que, dès le premier jour de sa vie, elle s'était trouvée capable d'exercer activement son intelligence. Peu d'heures après sa naissance, ayant été portée à Coesfeld, pour y être baptisée à l'église de Saint-Jacques, elle reçut, en chemin, sur les personnes et les objets, des impressions distinctes qu'elle put conserver dans sa mémoire ; mais, dans le baptême lui-même, avec la grâce sanctifiante et les vertus théologales, la lumière prophétique surnaturelle lui fut infuse avec une plénitude qui ne peut se rencontrer dans l'Église que chez un très petit nombre d'âmes privilégiées. Elle-même rendait ce témoignage quelques années avant sa mort" Comme je suis née le 8 septembre, j'ai eu aujourd'hui (8 septembre 1821) une vision relative à ma naissance et à mon baptême et j'étais là présente avec une impression tout à fait étrange. Je me sentais enfant nouveau-né sur les bras des femmes qui devaient me porter à Coesfeld pour y être baptisée. J'avais honte de me sentir si petite, faible, et d'être cependant si vieille : car, tout ce que j'avais éprouvé et senti alors comme enfant nouveau-né, je le vis et je le reconnus de nouveau, mais mêlé avec mon intelligence actuelle. J'étais toute craintive et embarrassée ; trois vieilles femmes qui venaient au baptême et aussi la sage-femme me déplaisaient. Ma mère ne me déplaisait pas et je m'abreuvais à son sein. Je voyais tout autour de moi ; je voyais la vieille grange dans laquelle nous habitions, et toutes ces choses, je ne les vis plus de même, quand je fus plus avancée en âge, car on avait déjà fait plusieurs changements." Je me sentis avec la pleine conscience de moi-même portée pendant tout le chemin depuis notre chaumière à Flamske jusqu'à l'église paroissiale de Saint-Jacques à Coesfeld : je sentais tout et je voyais tout autour de moi. Je vis accomplir en moi toutes les saintes cérémonies du baptême et mes yeux et mon cœur s'y ouvrirent d'une façon merveilleuse. Je vis, lorsque je fus baptisée, mon ange gardien et mes patronnes, sainte Anne et sainte Catherine, assister à l'administration du saint baptême. Je vis la mère de Dieu avec le petit enfant Jésus et je fus mariée avec lui par la présentation d'un anneau." Tout ce qui était saint, tout ce qui était bénit, tout ce qui tenait à l'Église, devint alors aussi sensible et aussi vivant pour moi que cela peut l'être aujourd'hui quand le cas se présente. Je vis des images merveilleuses de l'Église quant à son essence. Je sentis la présence de Dieu dans le très saint sacrement ; je vis resplendir les ossements des saints qui étaient dans l'Église et je reconnus les saints qui apparaissaient au-dessus d'eux." Je vis tous mes ancêtres jusqu'au premier d'entre eux qui reçut le baptême et une longue série de tableaux symboliques me fit connaître tous les dangers de ma vie à venir. Au milieu de tout cela j'avais les impressions les plus singulières sur mes parrains et sur les membres de ma famille qui étaient là, et ces trois femmes dont j'ai parlé m'étaient toujours un peu antipathiques." Je vis mes ancêtres dans une série de tableaux qui avaient des ramifications dans plusieurs pays, en remontant jusqu'au premier qui fut baptisé dans le 7ème ou 8ème siècle et qui construisit une église. Je vis parmi eux plusieurs religieuses et entre autres deux stigmatisées restées inconnues ; je vis aussi un ermite qui avait tenu auparavant un rang élevé et qui avait eu des enfants. Il se retira du monde et vécut saintement. Lorsque je fus rapportée de l'église à la maison, en passant par le cimetière ; j'eus un très vif sentiment de l'état des âmes appartenant aux corps qui reposaient là jusqu'à la résurrection ; parmi eux je remarquai avec vénération quelques saints corps brillant de clartés magnifiques."
Ainsi donc, de même que d'autres enfants ressentent le froid et le chaud, ou la douleur et la faim, de même qu'ils demandent le sein maternel, Anne Catherine avait le sentiment de tous les rapports et de toutes les influences de l'ordre supérieur dans lequel elle était entrée par le baptême, c'est-à-dire de l'Église de Dieu en tant que communion des saints et corps mystique de Jésus. Tout lui était sensible d'une manière corporelle, en sorte qu'étant encore au maillot, quand on la portait à l'Église, elle trempait ses petites mains dans le bénitier pour s'arroser avec l'eau bénite et s'en approprier les effets bienfaisants. Sa qualité de membre de l'Église était aussi sensible pour elle que les membres de son propre corps et, avant de pouvoir parler, elle comprenait les solennités des saintes fêtes, ainsi que les pratiques et les pieuses coutumes qu'elle voyait présider à toute la vie de ses bons parents. Elle célébrait et observait tout cela avec eux, en tant que la faiblesse de la première enfance lui permettait d'obéir à l'impulsion de son esprit miraculeusement éclairé.

2. L'accord entre des choses si diverses, comme du reste toute la vie mystérieuse, cachée aux regards des hommes, qui se développait de si bonne heure dans cette enfant était réglé par la direction du saint ange gardien, lequel instruisait Anne Catherine à servir le Dieu un en trois personnes par la pratique des vertus infuses, dans la mesure possible à un âge aussi tendre. Il résulta de là, que les premiers mouvements de son âme furent dirigés vers Dieu et qu'avant qu'un bien créé pût toucher son cœur, Dieu, le souverain bien, en prit possession. Dans la première splendeur de la sainte grâce du baptême qui ne fut jamais ternie chez elle, elle devait appartenir pour toujours à son Sauveur, lequel avait fait choix du cœur de cet enfant pour le rendre conforme au sien par la pureté, la charité et la souffrance. L'Esprit-Saint, qui avait pris sa demeure en elle, mettait en mouvement par son souffle toutes les puissances de son âme, et, avant même que sa bouche pût articuler des paroles intelligibles, donnait un sens et une signification à l'élan de son cœur complètement tourné vers Dieu. Aussi, dès qu'Anne Catherine, à peine entrée dans sa deuxième année, put prononcer quelques mots, elle commença à faire des prières vocales avec le zèle d'un enfant qui en aurait eu déjà l'habitude. Ce fut grâce à la piété de son père que les premières paroles qui sortirent de sa bouche furent les demandes de l'oraison dominicale. Elle en parlait encore avec reconnaissance à une époque plus avancée de sa vie." Mon père, disait-elle, se donna beaucoup de peine avec moi. Il m'enseigna à prier et à faire le signe de la croix. Il me tenait sur ses genoux, fermait ma petite main et m'apprenait à faire le petit signe de la croix. Il l'ouvrait aussi et m'apprenait le grand signe de la croix. Étant encore toute petite, lorsque de très bonne heure je pus dire à moitié le Pater ou même encore moins que cela, je répétais plusieurs fois le peu que j'en savais jusqu'à ce qu'il me semblât qu'il y en avait autant que dans le tout."

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Vie d'Anne Catherine Emmerich - Tome1 Empty Re: Vie d'Anne Catherine Emmerich - Tome1

Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:31

3. A ce don de lumière correspondait une autre grâce donc Catherine fut favorisée également à son baptême et qui se développa toujours plus éclatante avec les années. C'était le don de la plus parfaite pureté du corps et de l'âme, dont les effets se manifestaient déjà quand elle était à la mamelle. On ne l'entendit jamais crier ; on ne la vit jamais en colère, mais toujours paisible, douce et aimable, comme la bienheureuse Marie Bagnesi de Florence ou comme sainte Colombe de Rieti. Aussi était-elle la consolation et la joie de ses parents et devint-elle bientôt la favorite des simples campagnards parmi lesquels devaient s'écouler les années de son enfance. Comme autrefois parents et voisins se disputaient Catherine de Sienne enfant, parce que sa seule vue rendait les cœurs tout joyeux, ou comme, on voyait briller un tel attrait chez Marie Bagnesi, que les religieuses des couvents où on la portait pour visiter ses sœurs ne voulaient pas la laisser partir, de même la pauvre petite paysanne de Flamske était la joie de tous ceux qui la voyaient. L'éclat de pureté ineffable qui reposait sur elle prêtait un charme irrésistible à chaque regard, à chaque mouvement, à chaque parole de la timide enfant et, lorsqu'elle fut plus âgée, donnait à toutes ses actions comme un caractère sacré qui, sans qu'elle en eut elle-même la conscience, exerçait une influence fortifiante sur son entourage. Lorsque plus tard Anne Catherine entra dans la phase la plus pénible de sa tâche de souffrance, la pureté de son âme rayonna au dehors en proportion de l'accroissement de ses peines, et plus elle approcha du terme de sa vie, plus la vertu mystérieuse qui émanait d'elle se rendit sensible. Lorsque ses stigmates devinrent l'objet d'une enquête faite par l'autorité ecclésiastique, des médecins et des prêtres rendirent témoignage de cette pureté et ce fut la plus forte impression que reçut le comte de Stolberg lorsqu'il vit Anne Catherine pour la première fois.

4. Un effet de cette pureté fut qu'Anne Catherine, jusqu'à sa mort, conserva la simplicité naïve d'un enfant plein d'humilité et d'innocence, ne sachant rien d'elle-même ni du monde parce que sa vie était toute en Dieu. Et cette simplicité plut tellement à Dieu qu'elle se montrera à nous comme le but des opérations de la grâce dont cette âme d'élite fut favorisée. Le Seigneur la traita toujours comme un enfant, et dans son admirable sagesse, il fit en sorte qu'avec la plénitude de lumière versée dans son âme, elle conservât la simplicité ; avec le courage héroïque qui la faisait aspirer toujours à de nouvelles souffrances, une aimable timidité ; enfin avec la terrible austérité de sa mission, la naïveté d'un enfant ; car, avant encore les yeux pleins de larmes, elle pouvait revenir en un instant à la joyeuse sérénité de cet âge qui ne connaît pas les soucis parce qu'il ne connaît pas le péché, aussitôt qu'un rayon fugitif du soleil de la consolation adoucissait les tourments qui, comme des vagues furieuses, s'étaient déchaînés sur elle. Ces rayons de soleil étaient souvent les tableaux de son enfance que le Dieu de bonté faisait passer devant son âme pour la soulager : alors Anne Catherine redevenait enfant, se sentait une petite paysanne gaie et affectueuse dans la maison paternelle et reconquérait le courage tranquille qui lui était nécessaire pour marcher en avant sur la voie toujours plus escarpée de la croix.

5. Ce don de pureté était pour Anne Catherine un trésor qu'il fallait acheter par les souffrances et la pénitence et qui ne pouvait être conservé qu'autant que sa valeur et son éclat étaient rehaussés par une lutte sans relâche contre elle-même, une abnégation et une mortification incessantes. C'est pourquoi la pratique de lu patience dans la souffrance fut l'exercice par où elle dut commencer dès la première année de sa vie." Je retourne bien loin en arrière par la pensée, " disait-elle." Dans ma première année, je tombai rudement par terre. Ma mère était à Coesfeld, à l'église, mais elle eut le pressentiment qu'il m'était arrivé quelque chose et elle revint en grande hâte et tout inquiète à la maison. Pendant longtemps, on ne put pas me faire marcher, car ce ne fut que dans ma troisième année que je fus tout à fait guérie ; on me tira la jambe, on la laça et on l'enveloppa dans des bandages si serrés qu'elle devint toute sèche."
Le souvenir distinct de cet accident de la première enfance conservé encore dans un âge avancé, prouve combien Anne Catherine en avait eu la parfaite connaissance lorsqu'il était arrivé et qu'elle avait eu à en supporter les conséquences. Dirigée comme elle l'était par son saint ange, on peut présumer qu'il en était d'elle dans de pareils cas comme de Marie Bagnesi, si semblable à elle en beaucoup de choses. Celle-là aussi, dès sa première enfance, n'étant encore âgée que de quelques mois, commença sa tâche de souffrance en endurant la faim la plus cruelle. Confiée à une nourrice sans conscience qui ne lui donnait ni lait, ni nourriture, il lui fallait pour apaiser sa faim ramasser par terre des miettes de pain ; mais elle posa par là le fondement de cette vie de mortifications extraordinaires et de souffrances librement voulues qui fit d'elle, comme d'Anne Catherine, une source de bénédictions pour une infinité d'âmes.

6. Aussitôt que commença à exister pour Anne Catherine la possibilité de se refuser quelque chose et de s'imposer une mortification ou une victoire sur elle-même, elle commença aussi à s'y exercer avec une grande ardeur, en tant que cela était possible à un âge aussi tendre. Elle suivait en cela la direction constante de son ange qui lui donnait les lumières nécessaires et elle se livra à ces exercices avec une constance et une prudence qui frappent d'étonnement. Elle avait suspendu dans un coin de la grange une petite image de la mère de Dieu avec l'enfant Jésus et placé devant cette image un morceau de bois qui devait figurer un autel. Elle portait là tous les petits objets donnés par des parents et amis qui voulaient lui faire plaisir, objets qui ordinairement rendent si heureux les enfants de son âge. Elle était fermement convaincue que tout ce dont elle se privait faisait plaisir à l'enfant Jésus ; aussi lui donnait-elle joyeusement et en se renonçant énergiquement elle-même tout ce qu'elle recevait en cadeau. Elle faisait cela avec tant de simplicité et si peu d'ostentation que personne ne trouvait rien de singulier dans cette manière d'agir tout enfantine en apparence et qu'on ne la troublait en rien à cet égard. Il arrivait souvent que les dons placés par elle devant la petite image disparaissaient et cela lui donnait la joyeuse assurance que l'enfant Jésus lui-même les avait pris pour lui. Cette consolation était d'autant plus grande qu'il lui avait fallu se vaincre et se renoncer davantage, car, avec tous les dons de la grâce qui lui avaient été départis, elle n'en n'était pas moins une enfant qui se serait régalée de fruits, de gâteaux, etc., aussi volontiers que les autres. Même les fleurs, les images, les rubans, les guirlandes, les anneaux, les jouets et les autres choses de ce genre qui ont une valeur incomparable aux yeux d'un enfant, devaient être sacrifiés au saint élan de son cœur : elles étaient posées sur le petit autel et quand elle revenait, il se trouvait que tout avait disparu.

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:31

7. Grâce à une mortification si persévérante, la pureté de son âme s'accroissait de telle sorte qu'Anne Catherine, dans sa troisième année, pouvait adresser à Dieu cette fervente prière : " Ah ! Mon cher Seigneur et Dieu, faites-moi mourir : car quand on devient grand, on vous offense par de grands péchés." Et quand elle sortait de la chaumière paternelle elle pouvait dire dans sa ferveur ainsi que l'atteste Overberg : " Puisses-tu tomber morte devant la porte pour n'être plus exposée à offenser Dieu.".

8. Lorsqu'elle fut plus grande et put frayer avec d'autres enfants de son âge, elle leur donnait pour l'amour de Dieu tout ce dont elle pouvait disposer. Les plus pauvres étaient ceux qu'elle préférait, et, fille elle-même de parents nécessiteux, elle était inépuisable dans ses dons. Elle n'avait pas encore accompli sa quatrième année, qu'elle s'interdisait de manger à sa faim dans aucun repas. Chaque fois qu'elle était à table avec ses parents, elle mortifiait son goût de toutes les manières ; car ou elle s'arrangeait pour avoir les plus mauvais morceaux ou elle mangeait si peu qu'on ne pouvait comprendre comment elle se soutenait." Je vous donne cela, mon Dieu, disait-elle dans son cœur" afin que vous en fassiez part aux pauvres qui en ont le plus besoin."

9. Les pauvres, les indigents, les souffrants de toute espèce possédaient son amour à un si haut degré que les peines causées par la compassion furent les premières douleurs spirituelles d'Anne Catherine. Si elle entendait parler d'un malheur, d'une maladie ou d'un mal, quel qu'il fût elle était émue d'une si vive compassion qu'elle pâlissait, s'asseyait et restait sans mouvement comme quelqu'un qui va tomber en défaillance. Les questions de ses parents inquiets qui lui demandaient si elle était prise d'une maladie subite, la faisaient revenir à elle ; mais le désir d'assister son prochain était si fortement réveillé dans son âme qu'elle s'offrait elle-même à Dieu avec de ferventes prières pour qu'il voulut bien la charger des souffrances et des misères des autres et les secourir à cette condition. Si elle voyait un affamé ou un indigent, elle courait à lui et lui criait avec une simplicité touchante : " Attendez, attendez, je vais prendre un pain pour vous à la maison . . ." Et sa bonne mère la laissait faire et ne refusait jamais à l'enfant ce qu'elle demandait quand les malheureux venaient pour recevoir ses dons. Elle se dépouillait même d'une partie de ses vêtements pour les donner et elle parvint une fois par ses douces supplications à obtenir de ses parents la permission de donner à un petit mendiant sa dernière chemise.

10. Anne Catherine ne pouvait pas voir un enfant pleurant ou malade sans demander à Dieu de la charger de ce qui causait ces pleurs, de lui envoyer cette maladie ou ces souffrances afin que les autres en fussent délivrés. Cette prière était toujours immédiatement exaucée. Anne Catherine éprouvait les douleurs et voyait les enfants redevenir tranquilles. Elle priait ainsi dans ces occasions : " Quand un pauvre ne prie pas et ne demande pas, il ne reçoit rien ; mais vous, mon Dieu, vous venez en aide même à ceux qui ne prient pas et qui ne veulent pas souffrir. Voici que je vous prie et vous invoque pour ceux qui ne le font pas eux-mêmes." Voyait-elle un enfant qui avait de mauvaises habitudes et commettait souvent des fautes, elle priait pour qu'il se corrigeât : mais pour être exaucée, elle s'imposait une punition et demandait à Dieu qu'il lui fût permis de faire la pénitence à la place de l'enfant. Quand bien des années après, on lui demanda d'expliquer comment, dès sa tendre enfance, elle en était venue à faire de semblables demandes, elle répondit simplement" Je ne puis dire qui me l'a enseigné : mais cela se trouve compris dans la compassion. J'ai toujours eu le sentiment que nous sommes tous un seul corps en Jésus-Christ, et le mal de mon prochain me faisait souffrir comme si c'eût été le doigt de ma main. Dès mon enfance j'ai demandé pour moi les maladies des autres. J'avais la pensée que Dieu n'envoie pas des souffrances sans une cause particulière, et qu'il y a toujours quelque chose à payer par là. Que si la souffrance souvent pèse si cruellement sur l'un de nous, cela vient, me disais-je, de ce que personne ne veut l'aider à acquitter sa dette. Alors je priais Dieu de me laisser payer pour lui ; je demandais à l'enfant Jésus de m'aider et de cette manière j'avais bientôt mon comptant de douleurs."
" Je me souviens, " racontait-elle dans une autre occasion, " que ma mère eut un érésipèle au visage et qu'elle était couchée sur son lit tout enflée. J'étais seule auprès d'elle et bien triste de la voir ainsi. Je m'agenouillai dans un coin et priai Dieu avec ferveur : puis je nouai un linge autour de la tête de ma mère et je priai de nouveau. Je ressentis alors un grand mal de dents et tout mon visage s'enfla. Lorsque les autres revinrent à la maison, ils trouvèrent ma mère tout à fait remise, et moi aussi, je ne tardai pas à me trouver mieux."
" Quelques années après je souffris des douleurs presque intolérables. Mes parents étaient bien malades. Je m'agenouillai près de leur lit contre le métier à tisser et y priai Dieu : alors je vis mes mains jointes au-dessus d'eux et je fus poussée à les poser en priant sur mes parents malades afin qu'ils fussent guéris."

11. Si elle voyait commettre un péché ou si elle en entendait parler, elle était saisie d'une vive affliction et versait des larmes amères. Interrogée par ses parents inquiets sur la cause d'un chagrin qu'ils ne pouvaient s'expliquer, elle n'était pas en état de leur donner une réponse satisfaisante. Elle recevait à cause de cela beaucoup de reproches et on la traitait de fantasque : mais cela n'arrêtait point l'élan de son cœur brûlant d'amour qui la portait à prier et à faire pénitence pour les besoins spirituels du prochain. Ainsi, dans sa quatrième année, elle se trouvait un jour près du berceau d'un enfant mortellement malade ; la mère de l'enfant était à ses côtés. Le père qui était ivre, dans un accès de colère, lança sur elle une hache qui allait briser la tête de l'enfant. Anne Catherine se jeta rapidement devant le coup ; la hache effleura sa propre tête et se détourna du berceau. L'enfant fut sauvé et les terribles conséquences de cet acte insensé furent prévenues. Une autre fois Anne Catherine vit des enfants blesser la décence dans leurs jeux. Elle en conçut un tel chagrin qu'elle se cacha dans les orties, priant Dieu d'accepter ses souffrances en expiation des péchés de ces enfants. Elle ressentait aussi une vive compassion pour les Juifs. Lorsque j'étais petite, raconta-t-elle, mon père me prenait souvent avec lui quand il allait à Coesfeld acheter quelque chose chez un marchand juif. J'étais toujours saisie de pitié à la vue de ce malheureux homme et souvent je ne pouvais m'empêcher de pleurer amèrement de ce qu'ils sont si endurcis et ne veulent pas du salut qui leur est offert. Combien ils sont à plaindre ! Ils n'ont aucune idée des vieux saints Juifs tels que je les vois. Les Juifs actuels descendent des anciens Juifs pervertis par le pharisaïsme. La misère et l'aveuglement de ces hommes ont toujours fait sur moi une profonde impression et pourtant j'ai souvent trouvé qu'on peut très parler de Dieu avec eux. Pauvres, pauvres Juifs ! Ils ont autrefois possédé vivant le germe du salut : mais ils n'en ont pas reconnu le fruit et ils l'ont rejeté. Et maintenant ils ne le cherchent même pas."

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:31

12. Mais ce qui est plus étonnant chez Anne Catherine que toute autre mortification, c'est la pratique, commencée de si bonne heure et jamais interrompue, de la prière nocturne. Dès sa quatrième année, elle commença à prendre sur le temps du repos de la nuit, si nécessaire à un enfant, afin de se livrer à l'oraison. Quand ses parents étaient endormis, elle se levait de son lit et priait avec l'ange deux ou trois heures de suite, parfois jusqu'au crépuscule du matin. Elle aimait à le faire en plein air : aussi, quand le temps le permettait, elle se glissait jusqu'à un champ situé devant la maison paternelle et où le sol s'exhaussait un peu, parce qu'elle se croyait là plus rapprochée de Dieu que dans le bas fond, et elle priait, les bras étendus et les yeux tournés vers l'église de Coesfeld. On ne peut pas supposer qu'Anne Catherine ait entrepris une pareille chose sans l'inspiration de son ange et, si nous devons reconnaître là une disposition de Dieu qui voulait recevoir la prière nocturne de l'innocente créature et lui donnait la force nécessaire, il ne faut pourtant pas s'imaginer qu'en raison du secours particulier que lui apportait la grâce, cette pratique fût devenue pour la tendre enfant une chose facile et comme allant de soi-même. Certes il n'en était pas ainsi : car c'est le propre de la direction à laquelle obéissent les âmes de cette sorte qu'elles ont à acquérir graduellement la perfection à laquelle Dieu les appelle par une très fidèle coopération aux grâces reçues et par un combat incessant et douloureux contre l'infirmité de la nature. Ainsi Dieu permettait que chez Anne Catherine, la nature réclamât journellement ses droits et que son faible corps exigeât impérieusement le repos qui, selon l'ordre accoutumé, était indispensable à sa croissance et à l'augmentation de ses forces : mais la courageuse enfant résistait et obéissait promptement à la voix de l'ange qui l'appelait à la prière, quoiqu'elle ne pût s'empêcher d'éprouver le tressaillement involontaire de la faiblesse humaine et de pleurer souvent à chaudes larmes. Anne Catherine cherchait des moyens pour procurer à son corps la facilité de se lever à toute heure de la nuit, mais elle n'en trouva pas de meilleurs que des morceaux de bois ou des cordes qu'elle mettait dans son lit pour se rendre le repos incommode et pénible et des ceintures de pénitence munies de gros noeuds qu'elle tressait elle-même, afin de trouver dans un surcroît de souffrance la force que la nature ne pouvait pas lui fournir. Dieu récompensa par le succès le plus complet tant de fidélité et de persévérance. Elle gagna peu à peu sur elle de pouvoir se passer entièrement du sommeil naturel, en sorte que jusqu'à la fin de sa vie, elle se montra jour et nuit, dans relâche et sans repos, la servante infatigable de son Seigneur.

13. Bien des lecteurs trouveront peut-être plus surprenante chez une enfant de quatre ans la possibilité de persévérer deux ou trois heures de suite dans la prière que cette faculté de pouvoir si longtemps se priver de sommeil et ils demanderont quelle était donc la substance de cette prière si prolongée. Elle était aussi abondante et aussi variée que les causes et les occasions pour lesquelles Dieu voulait que la prière de l'enfant lui fût adressée. Tous les jours Anne Catherine voyait en vision la tâche qu'elle avait à accomplir dans sa prière. Elle voyait dans une série de tableaux des malheurs et des dangers, menaçant l'âme et le corps, qu'il lui fallait détourner et conjurer. Elle voyait des malades impatients, des prisonniers accablés de tristesse, des mourants non préparés ; elle voyait des voyageurs, des égarés, des naufragés ; elle voyait des gens dans la détresse et l'abattement, d'autres qui chancelaient au bord des abîmes et auxquels la clémente providence de Dieu voulait par l'effet de sa prière faire arriver l'assistance, la consolation et le salut. C'est pourquoi il lui était aussi montré dans ces tableaux que, si elle négligeait ses pénitences et ses supplications, personne ne la suppléerait, et que ces gens en péril et dans la détresse resteraient alors sans rien qui pût les sauver. Le saint ange la soutenait dans sa prière et le brûlant amour du prochain la rendait si hardie, si éloquente et si persévérante dans les supplications qu'elle adressait à Dieu que les heures lui semblaient plutôt trop courtes que trop longues.

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:31

14. Ces visions furent particulièrement variées et effrayantes lors de l'explosion de la révolution française. Anne Catherine fut conduite en esprit dans la prison de Marie Antoinette, reine de France, et elle eut à demander pour elle force et consolation. L'impression qu'elle en ressentit fut si vive qu'elle raconta à ses parents et à ses frères et sœurs la détresse de la reine, les exhortant à prier avec elle pour cette infortunée princesse. Mais ils ne comprirent pas ce qu'elle voulait dire par là, traitèrent ses paroles de rêveries et lui donnèrent à entendre que, pour aller ainsi partout et voir tout, il fallait être une sorcière. Ces propos inquiétèrent tellement Anne Catherine qu'elle alla se confesser et ne put être tranquillisée que par son confesseur. Il lui fallut assister en esprit à beaucoup d'exécutions afin de porter par sa prière aide et consolation aux mourants, particulièrement au roi Louis XVI. " Quand je vis ce roi et beaucoup d'autres, " racontait-elle, " souffrir la mort avec tant de résignation, je me disais toujours : Ah ! Il est bon pour eux d'être retirés du milieu de ces abominations. Mais, quand je parlais de cela à mes parents, ils croyaient que j'avais perdu la tête. J'étais souvent à genoux, priant et pleurant afin que Dieu voulut bien sauver telles et telles personnes que je voyais en grand danger, et j'ai vu et appris par l'expérience comment des périls menaçants et encore éloignés peuvent être détournés par la prière constante en Dieu".

15. Lorsque, quelques années plus tard, Anne Catherine eut à rendre compte à son directeur extraordinaire Overberg de ce qu'avait été sa prière dans sa première jeunesse, elle lui répondit ainsi " Dès ma petite enfance, je priais moins pour moi-même que pour d'autres, afin qu'on ne commit pas de péchés et qu'aucune âme ne se perdit. Il n'était rien que je ne demandasse à Dieu, et plus j'obtenais, plus je demandais ; je n'en avais jamais assez. J'étais avec lui hardie à l'excès et je me disais : Tout est à lui et il voit avec plaisir que nous l'implorions de tout notre cœur."

16. A quel degré de perfection s'éleva la pureté du cœur chez la courageuse enfant, à l'aide de semblables pratiques, c'est ce qu'Overberg nous apprend en ces termes " Dès la sixième année de son âge, Anne Catherine ne connaissait de joie qu'en Dieu ; et la seule chose qui la fît souffrir et, l'attristât était que ce Dieu plein de bonté fût offensé par les hommes. Lorsqu'elle eut commencé à se livrer à la mortification et au renoncement, il s'alluma dans sont cœur un tel amour de Dieu qu'elle disait souvent dans sa prière : " Quand même il n'y aurait ni ciel, ni enfer, ni purgatoire, je voudrais pourtant, mon Dieu, vous aimer de tout mon cœur et par-dessus toute chose".

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:32

17. Anne Catherine consacrait une grande partie de ses prières aux pauvres âmes du purgatoire qui venaient souvent lui demander son secours. Quand c'était en hiver, elle se mettait à genoux la nuit dans la neige et priait pour elles, les bras étendus, jusqu'à ce qu'elle fut toute raidie par le froid. Elle prenait aussi pour s'y agenouiller un morceau de bois à arêtes presque tranchantes ou bien elle se mettait à genoux au milieu des orties et s'en flagellait, pour rendre par ces pénitences sa prière plus efficace. Elle avait très souvent la consolation de recevoir les remerciements des âmes délivrées par elle. Voici ce qu'elle rapportait plus tard à ce sujet :
" Quand j'étais encore enfant, je fus conduite par une personne inconnue à un endroit qui me sembla être le purgatoire. J'y vis beaucoup d'âmes souffrant cruellement qui me demandèrent instamment des prières. C'était comme si j'eusse été conduite dans un profond abîme. Je vis un lieu très étendu dont l'aspect était à la fois terrible et touchant ; car on y voyait des personnes silencieuses, affligées, dont le visage semblait pourtant indiquer qu'elles avaient encore de la joie dans le cœur et qu'elles pensaient à la miséricorde de Dieu. Je n'y vis pas de feu ; mais je sentis que ces pauvres gens étaient en proie à de très grandes souffrances intérieures."
" Quand je priais avec beaucoup d'ardeur pour les pauvres âmes, j'entendais souvent autour de moi des voix qui disaient : Je te remercie ! Je te remercie ! Un jour j'avais perdu sur le chemin de l'Église un petit sachet que ma mère m'avait donné. J'en avais beaucoup de chagrin et je croyais avoir péché en n'y faisant pas plus d'attention. Cela me fit oublier de prier le soir pour ces pauvres âmes si chères à Dieu. Comme j'allais prendre un morceau de bois dans le hangar, une figure blanche avec quelques taches noires m'apparut et me dit : " Tu m'oublies." Je fus très effrayée et je repris aussitôt la prière interrompue. Le jour suivant, ayant bien prié, je retrouvai le sachet dans la neige." Quand je fus devenue plus grande, j'allais de grand matin à la messe à Coesfeld. Afin de pouvoir mieux prier pour les âmes en peine, je prenais un chemin solitaire. S'il faisait encore noir, je voyais de pauvres âmes planer devant moi, deux par deux, comme des perles brillantes dans une flamme sombre. Le chemin s'éclairait à mes yeux, et je me réjouissais de ce qu'elles étaient autour de moi, parce que je les connaissais et que je les aimais : car, pendant la nuit aussi, elles venaient à moi et imploraient mon assistance."

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:32

III ANNE CATHERINE EST CONDUITE PAR DIEU A L'AIDE DE VISIONS

1. La richesse des tableaux qui se présentaient dans la lumière infuse à l'âme d'Anne Catherine se révéla à son entourage aussitôt qu'elle put parler. Lorsque son père Bernard, après le travail de la journée, se reposait près du foyer, sa récréation favorite était de prendre sur ses genoux sa spirituelle petite fille et de lui faire raconter quelque chose : " Anne Catherinette, lui disait-il, te voilà dans ma petite chambre ; raconte-moi quelque chose." Alors elle lui décrivait d'une manière très animée les tableaux relatifs aux événements de l'Ancien Testament qui avaient passé sous ses yeux, si bien que le père fondant en larmes lui demandait : " Mon enfant, d'où t'est venu tout cela : " Et elle répondait : " Père, cela est ainsi, je le vois ainsi." Sur quoi il se taisait et ne l'interrogeait plus. Elle voyait ces tableaux, étant éveillée, à toutes les heures du jour et au milieu de ses occupations, quelles qu'elles fussent. Et comme elle croyait que tout le monde avait, comme elle, de ces contemplations, elle en parlait tout naïvement et quelquefois se fâchait quand d'autres enfants la contredisaient ou se moquaient d'elle. Il arriva une fois qu'un ermite qui prétendait être allé à Rome et à Jérusalem, parla des lieux saints tout de travers et au rebours de la vérité. La vive enfant qui avait écouté tranquillement le narrateur, à côté de ses parents, ne put plus se contenir, le taxa hardiment de mensonge et se mit à décrire les saints lieux comme quelque chose qui lui était parfaitement connu. Les parents mécontents lui reprochèrent cette vivacité et Anne Catherine devint plus réservée. Comme elle était à l'école du village à la tête de laquelle se trouvait un vieux paysan, elle décrivit un jour la résurrection de Notre-Seigneur comme elle lui était montrée en vision : mais là aussi on l'exhorta sévèrement à ne plus se livrer à de semblables imaginations. Ces expériences fermèrent successivement la bouche à l'enfant intimidé, qui s'abstint dès lors de communiquer ce qui se passait secrètement en elle : toutefois les visions ne cessèrent pas, mais les faits sur lesquels repose la foi avec ses mystères passaient toujours plus nombreux devant ses yeux en grands tableaux historiques liés les uns aux autres et Anne Catherine, en quelque lieu qu'elle se trouvât, était continuellement occupée à les contempler.

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:32

2. C'étaient les douze articles du symbole des apôtres qui, suivant le cours de l'année ecclésiastique, passaient devant elle sous forme de tableaux infiniment variés. Elle contemplait la création du ciel, la chute des anges, la création de la terre et du paradis : elle voyait Adam et Ève, et leur chute : puis dans des visions qui se succédaient sans interruption, elle suivait, à travers les siècles et les générations, tout le développement des saints mystères de l'Incarnation et de la Rédemption, en sorte que le théâtre de l'histoire sainte et les personnages de l'Ancien Testament lui étaient mieux et plus distinctement connus que le cercle de son entourage ordinaire. Dans ces visions se montraient aussi dans un rapport plus intime avec elle, les saints qui, par leurs relations plus étroites avec la sainte humanité de Jésus-Christ, sont à certains égards plus rapprochés des fidèles. Parmi eux, c'étaient surtout les saintes familles de Joachim et d'Anne, de Zacharie et d'Elisabeth avec lesquelles Catherine entretenait des rapports plus familiers et plus affectueux : c'était avec elles qu'elle célébrait les fête des temps de la promesse, allait en pèlerinage à Jérusalem et à d'autres lieux sanctifiés, demandait ardemment l'avènement du Sauveur, le saluait et l'adorait à sa naissance. Le temple de Jérusalem (note), la splendeur et la magnificence du culte qu'on y rendait à Dieu, l'arche d'alliance avec ce qu'elle contenait, les mystères du Saint des Saints intelligibles pour un petit nombre seulement, le chant des psaumes, les prescriptions et les observances si multipliées du rituel de l'ancienne loi, tout cela lui était parfaitement connu jusque dans les plus petits détails, aussi bien que les coutumes et les pieuses traditions conformément auxquelles les vrais et fidèles Israélites pratiquaient la loi et réglaient leur vie de famille.

3. Or ces contemplations n'étaient pas pour Anne Catherine un vain spectacle, mais elle vivait avec ce qu'elle voyait, elle frayait avec les contemporains de ces événements remontant à des milliers d'années.

(note) L'histoire de la ville de Jérusalem, depuis sa fondation jusqu'aux temps actuels, lui fut montrée dans des visions successives, et dans sa première jeunesse, elle en eut où figuraient même les Templiers. Elle dit un jour : " dans ma jeunesse, lorsque les gens de guerre traversèrent pour la première fois notre pays, je croyais toujours qu'il en viendrait de ceux que j'avais vus précédemment en esprit. C'est pourquoi je cherchais sans cesse si je ne verrais pas de ces soldats qui étaient aussi des religieux. Ils portaient des vêtements blancs avec plusieurs croix et un ceinturon où pendait une épée. Je les vis habiter bien loin parmi les Turcs : et je vis qu'ils avaient des pratiques secrètes à la manière des franc-maçons et comment ils firent périr beaucoup de personnes. Je m'étonnais de ne voir jamais de gens comme eux dans les troupes qui passaient, mais j'appris qu'ils n'existaient plus depuis longtemps et qu'ils avaient été chevaliers du Temple."

Il lui arrivait en cela quelque chose de semblable à ce qui était arrivé à sainte Catherine de Sienne qui, elle aussi, avait été préparée au grand rôle qu'elle devait jouer plus tard par des visions pour lesquelles il lui fallait une telle liberté d'esprit à l'endroit de toutes les créatures et un recueillement si imperturbable, de toutes les forces de l'âme en Dieu qu'étant dans l'entourage des Papes et des princes et au milieu de tout le tumulte du monde, elle pouvait y rester aussi inaccessible et en être aussi peu émue qu'elle l'eût été dans l'asile silencieux d'une cellule monastique. Mais cette force, elle ne la puisait qu'à l'école des anciens pères et des pénitents de la Thébaïde. C'est pourquoi, pendant des années, elle eut pour compagnie leur contemplation si claire et si vivante qu'elle tressait avec eux des corbeilles et des nattes, priait, chantait des psaumes, jeûnait, faisait pénitence, observait le silence, enfin pratiquait toutes les abstinences et les mortifications qui devaient la conduire à une séparation complète d'avec les créatures et à l'union la plus intime avec Dieu. Saint Paul, saint Antoine, saint Pacôme, saint Hilarion étaient ses modèles et ses maîtres et elle était en rapport familier avec eux comme Anne Catherine avec saint Joachim, sainte Anne et leurs saints ancêtres.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:33

4. En même temps qu'Anne Catherine célébrait en esprit les solennités de l'ancienne loi, comme si elle en eût été contemporaine, elle faisait cela en enfant de la sainte religion catholique qui, dans toutes les figures et les mystères prophétiques, contemplait leur accomplissement. Dans les fêtes de l'ancien Testament, elle voyait à la fois les faits actuels et les événements historiques qui étaient la cause et l'objet de la fête, en sorte que ses merveilleuses intuitions embrassaient l'histoire de la Rédemption tout entière. Elles occupèrent les premiers temps de sa jeunesse jusqu'au moment où leur succédèrent des visions non moins compréhensives et non moins complètes touchant la vie du Saint Rédempteur. Cette disposition était en rapport avec la tâche d'Anne Catherine qui était de souffrir pour la foi catholique à une époque où les hommes, dans leur malice insensée, contestaient jusqu'à la possibilité d'une révélation divine, niaient les mystères de l'Incarnation et de la Rédemption, insultaient par des blasphèmes diaboliques les prophètes, les apôtres et les saints de l'Église, et où l'on voyait la foule des ennemis de Dieu se recruter journellement dans les rangs des prêtres égarés. Dans cette terrible époque, Dieu donnait à l'âme d'Anne Catherine, par l'infusion de la lumière prophétique, la faculté de contempler les faits de la révélation divine et tout le cours de l'histoire de la Rédemption plus clairement et plus complètement encore que les contemporains de ces faits ; il l'appelait à confesser et à glorifier l'accomplissement dans le temps des décrets divins cachés de toute éternité, avec un cœur dont la pureté et l'ardent amour étaient pour lui une compensation aux outrages que l'impiété prodiguait à ses miséricordes.

5. Le Sauveur lui-même daignait se faire le guide de cette âme privilégiée dans le cercle immense de ces visions et lui communiquer l'intelligence des mystères les plus cachés. Il parcourait avec elle les lieux sanctifiés par sa présence sur la terre et lui montrait comment il y avait accompli ce qu'il avait travaillé à préparer d'avance dès le commencement des temps pour le salut de l'humanité déchue. Il lui révéla le mystère de la Conception immaculée de sa très sainte mère et lui montra toutes les personnes, les familles et les races élues dont il s'était servi dans les anciens temps de la promesse pour conduire à terme la plénitude du salut. Cette assistance toujours présente du divin Sauveur donnait à Anne Catherine la force d'esprit nécessaire pour porter et embrasser la richesse infinie de ses visions et pour maintenir sa vie intérieure et son action contemplative en harmonie avec sa vie et ses actions extérieures. Elle était, des jours entiers, livrée à une contemplation continuelle, par conséquent son esprit était incessamment abstrait du monde extérieur : et pourtant toutes les occupations et tous les travaux qui, dès son jeune âge, lui étaient imposés par ses parents allaient leur train avec autant de promptitude et de précision que si elle n'avait pas eu à penser à autre chose. Aucune espèce de dérangement extérieur ne devait troubler le calme et le recueillement profond de ses facultés intellectuelles dans la contemplation : c'est pourquoi elle reçut comme un don de Dieu l'aptitude aux travaux manuels et toutes les connaissances nécessaires pour la vie ordinaire, sans être obligée de les acquérir peu à peu par l'enseignement ou la pratique. De même qu'elle sut lire aussitôt qu'elle ouvrit un livre, de même tout travail domestique ou champêtre auquel ses mains s'appliquaient lui réussissait à l'instant. Il semblait que tout ce qu'elle touchait ou tout ce qu'elle faisait se tournât en bénédiction et son entourage était tellement accoutumé à voir la faible enfant toujours prête à entreprendre joyeusement un travail pénible et toujours parvenant à le mener à bien, qu'on respectait son calme et son recueillement intérieur, et qu'on ne cherchait pas à troubler par des questions fatigantes le profond silence de son âme. La tâche pénible de rendre compte de ses visions n'était pas encore venue pour Anne Catherine : elle n'était pas encore appelée à faire entrer dans le cadre étroit du langage humain des richesses spirituelles tellement surabondantes qu'elle-même ne pouvait les percevoir que par les rayonnements de la lumière prophétique, mais non sous une forme qui pût se traduire en paroles. Quoique les peines et les souffrances fûssent des compagnes qui n'abandonnaient jamais la pieuse enfant, elles ne pouvaient pourtant troubler en aucune sorte le recueillement profond de son esprit dans la vie contemplative : et c'est pourquoi Anne Catherine, à un âge plus avancé soupirait si souvent en se reportant à cette paix silencieuse et cachée de sa jeunesse et témoignait fréquemment en ces termes sa joyeuse reconnaissance envers Dieu :
" Dans mon enfance, disait-elle, j'étais continuellement absorbée en Dieu. Je faisais tout ce que j'avais à faire sans cesser d'être abstraite intérieurement et j'étais toujours en contemplation. Si j'allais avec mes parents aux champs ou à quelque autre travail, je n'étais jamais sur la terre. Tout y était pour moi comme un songe pénible et confus : ailleurs tout était clarté et vérité céleste."

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:33

6. Notre Seigneur voulait être le guide et le maître d'Anne Catherine, non seulement dans la sphère de la contemplation, mais plus encore dans la pratique de la piété ; c'est pourquoi il entrait avec elle dans des relations d'une familiarité tout enfantine, pour la conduire pas à pas à la perfection et à la plus entière conformité avec lui. Tantôt il se montrait à elle sous la forme d'un enfant portant la croix sur ses épaules, et il la regardait sans rien dire afin que, touchée de sa patience, elle se chargeât aussi d'une lourde pièce de bois et la portât en priant aussi longtemps que ses forces le lui permettraient. Tantôt elle le voyait pleurer sur les mauvais traitements que lui faisaient souffrir des enfants insolents et indociles : et cette vue la faisait souvent se jeter au milieu des ronces et des orties afin d'apaiser le Seigneur par sa pénitence pour des fautes qui n'étaient pas les siennes. Quand elle faisait le chemin de la croix, il venait à elle et lui donnait sa croix à porter. Si elle était au champ ou occupée à garder les vaches, ce à quoi on l'employa dès l'âge de cinq ans, il la visitait sous la forme d'un enfant qui vient trouver ses compagnons afin de prendre part à leur travail et à leurs récréations : car il voulait lui apprendre par la parole et par l'exemple comment toutes ses actions devaient avoir pour but la gloire de Dieu. Il mettait en elle l'intelligence et l'aptitude à tout faire en vue de Dieu et lui apprenait à diriger vers le ciel jusqu'aux plaisirs et aux jeux du jeune âge.

7. Plus tard elle racontait à ce sujet des choses singulièrement gracieuses : " Quand j'étais enfant, disait-elle, le petit garçon travaillait avec moi. Je me souviens qu'à l'âge de dix ans, je faisais déjà comme à présent. Je savais qu'il devait me naître un frère, je ne puis dire d'où je le savais : je désirais faire pour ma mère quelque chose qui pût servir à l'enfant et je ne savais pas encore coudre, mais le petit garçon vint me trouver ; il m'enseigna tout et m'aida à préparer un petit bonnet et d'autres objets à l'usage des enfants. Ma mère fut très étonnée que j'eusse pu en venir à bout, mais elle prit tout cela et s'en servit." Quand je commençai à garder les vaches, le petit garçon venait aussi me trouver et il faisait en sorte que les vaches se gardassent d'elles-mêmes. Nous parlions ensemble de toute espèce de bonnes choses, comme quoi nous voulions servir Dieu et aimer l'enfant Jésus et comme quoi Dieu voyait tout. J'étais souvent avec le petit garçon et rien ne nous était impossible quand nous étions ensemble. Nous causions, nous faisions des bonnets et des bas pour des enfants pauvres. Tout ce que je voulais, je le pouvais : j'avais aussi tout ce dont j'avais besoin. Souvent aussi des religieuses venaient nous trouver et c'étaient toujours des Annonciades. Chose singulière, j'arrangeais toujours tout et je croyais tout faire, mais en réalité c'était le petit garçon qui faisait tout."

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:33

8. La bénédiction de ce commerce merveilleux se communiquait par Anne Catherine à tous ceux avec lesquels elle se trouvait en contact : c'étaient en particulier les enfants de son âge avec lesquels elle mettait en pratique les enseignements qu'elle avait reçus. Quand elle était parmi eux, elle savait parler d'une manière si attrayante de la présence de Dieu, de l'enfant Jésus et du saint ange gardien, que les autres enfants l'écoutaient avec grand plaisir et se pénétraient de ses paroles. Quand elle allait avec eux le long des sentiers champêtres sur lesquels ils recueillaient les chaumes, elle engageait la petite troupe à aller comme en procession en se souvenant que les saints anges étaient présents." Nous devons, leur disait-elle souvent, représenter le ciel sur la terre ; nous devons tout faire au nom de Jésus et nous rappeler toujours que l'enfant Jésus est au milieu de nous. Nous devons ne rien faire de mal et, quand nous le pouvons, empêcher que le mal se fasse ; si nous trouvons des collets pour prendre les lièvres et des pièges pour les oiseaux placés par de jeunes vauriens, nous les enlèverons afin qu'on ne fasse plus de ces voleries. Nous voulons peu à peu commencer un monde tout différent, afin qu'il y ait un ciel sur la terre. Jouait-elle dans le sable avec des enfants, ses adroites mains le façonnaient à l'imitation des saints lieux de Jérusalem tels qu'elle avait coutume de les voir dans ses visions. Plus tard elle racontait à ce propos : " Dans mon enfance, si j'avais eu quelqu'un pour m'aider, j'aurais certainement été en état de reproduire la plupart des chemins et des lieux de la terre sainte, car je les avais toujours si présents sous les yeux qu'il n'y avait pas d'endroits que je connusse aussi bien. Quand j'étais aux champs ou que je jouais avec les enfants sur du sable humide ou sur un fond de terrain argileux, je façonnais dans le sable le mont Calvaire, le saint sépulcre avec son jardin, un petit cours d'eau avec un pont et des maisons sur ses bords. Je me souviens encore comment je joignais ensemble les maisons carrées vides et comment je découpais avec un copeau de singulières ouvertures représentant les fenêtres. Je me souviens aussi qu'une fois j'eus envie de faire les figures du Sauveur, des larrons, et de la sainte Mère au pied de la croix, mais je m'en abstins dans l'idée que ce serait une irrévérence. Un jour je jouais dans les champs avec deux enfants ; nous aurions bien voulu avoir une croix pour la placer dans la petite chapelle que nous avions faite en terre glaise et faire notre prière devant ; comme nous en avions grande envie et que pourtant nous ne savions comment en venir à bout, je m'écriai" : je sais ce qu'il faut faire, tu vas en faire une avec du bois et en marquer l'empreinte dans la terre glaise ; j'ai un vieux couvercle d'étain, nous le ferons fondre sur des charbons et nous coulerons une belle croix. Je courus à la maison prendre le couvercle et des charbons, mais comme nous nous mettions à l'ouvrage, ma mère vint et je fus punie."

9. Saint Jean-Baptiste aussi venait prendre part aux jeux d'Anne Catherine, tel qu'il était dans son enfance quand il vivait dans le désert sous la garde des anges et entretenait un commerce familier avec les créatures privées de raison. Quand elle gardait les vaches, elle l'appelait : " je veux voir le petit Jean avec sa peau de mouton, disait elle, et il venait lui tenir compagnie. Elle eut les visions les plus détaillées sur sa vie dans le désert ; dans leurs rapports enfantins, elle était instruite par lui à imiter dans toutes ses actions la simplicité et la pureté ineffables qui l'avaient rendu si agréable à Dieu. Fêtant avec lui le souvenir des évènements merveilleux de son enfance, elle était conduite dans la maison paternelle du Précurseur et dans tout le cercle de sa sainte parenté. Anne Catherine avait de tous ces personnages une connaissance si distincte et si vive qu'elle se sentait attirée à une touchante intimité avec eux et qu'elle se trouvait plus à l'aise dans leur compagnie que dans la chaumière paternelle.

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:33

10. Comment ce commerce mystérieux avec les personnages de l'histoire sainte s'intercalait-il dans la vie extérieure de l'enfant et comment lui donnait-il sa direction, c'est ce qu'on peut facilement reconnaître d'après les propres aveux d'Anne Catherine. Lorsque, dans ses dernières années, elle raconta les visions de la vie de Jésus, elle rendit ainsi compte de ce qui se passait en elle par rapport à ces sortes de contemplations." Depuis mon enfance, disait-elle, j'ai tous les ans, pendant le temps de l'Avent, accompagné pas à pas saint Joseph et la sainte Vierge dans leur voyage de Nazareth à Bethléem et je l'ai toujours fait jusqu'à présent de la même manière. La sollicitude qu'étant enfant, j'éprouvais pour la sainte mère de Dieu à cause de son voyage et la part que je prenais à toutes les difficultés qu'elle rencontrait sur sa route étaient pour moi quelque chose d'aussi réel et d'aussi vivant que tout autre incident de ma vie extérieure. J'en étais même plus émue et j'y prenais un bien plus grand intérêt qu'à tout ce qui pouvait m'arriver d'ailleurs ; car Marie était pour moi la mère de mon Seigneur et de mon Dieu et portait sous son cœur mon salut. Tout ce qu'on célèbre dans une fête de l'Église n'était pas seulement pour moi un simple souvenir ou l'objet d'une méditation attentive, mais mon âme était conduite et attirée dans ces fêtes pour s'y mêler, comme si les mystères et les événements qu'elles rappellent eussent été sous mes yeux et je voyais et sentais tout comme réel et présent devant moi."

11. Une intuition si vivante ne pouvait demeurer renfermée dans l'intérieur de l'âme ; aussi l'influence s'en faisait-elle sentir dans toutes les actions d'Anne Catherine. Poussée par son tendre amour envers Marie, elle faisait avec un zèle enfantin tout ce qu'elle aurait pu faire si elle eût été réellement contemporaine de la sainte famille et si elle eût entretenu avec elle des rapports intimes. Si par exemple, elle voyait Marie avec saint Joseph en voyage vers Bethléem, c'était de là qu'elle tirait l'intention et la pensée particulière dans laquelle elle faisait ses exercices de pénitence et ses mortifications. Quand elle allait prier pendant la nuit, elle s'arrêtait pour attendre Marie et elle s'était retirée la nourriture pour pouvoir l'offrir aux saints voyageurs fatigués. Elle prenait sur la terre nue son court repos de la nuit parce que son petit lit devait rester à la disposition de la mère de Dieu. Elle courait à sa rencontre sur le chemin, ou veillait en priant sous un arbre, parce qu'elle savait que Marie devait s'arrêter sous un arbre. Dans la nuit d'avant la naissance de Jésus, elle avait une si vive intuition de l'arrivée de la sainte Vierge dans la grotte de la crèche à Bethléem que, dans sa tendre sollicitude, elle allumait du feu afin que Marie ne souffrit pas du froid ou qu'elle pût s'apprêter de la nourriture ; tout ce qu'Anne Catherine pouvait prendre sur sa pauvreté pour le dépenser en dons charitables, elle le tenait prêt afin de l'offrir à la divine mère. Le bon Dieu, " disait-elle un, jour, " doit avoir pris plaisir à cette bonne volonté enfantine, car depuis mon enfance jusqu'à présent, chaque année, pendant l'Avent, il m'a tout fait voir de la même manière. Je suis toujours assise à une bonne petite place et je vois tout. Étant enfant, j'étais libre et familière avec lui : mais, devenue religieuse, j'étais beaucoup plus timide et plus réservée. La sainte Vierge, quand je le lui ai demandé avec beaucoup de ferveur, a mis souvent l'enfant Jésus dans mes bras."

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:34

12. Ces tendres et intimes rapports avec Dieu et ses saints allumaient dans le cœur de l'enfant un désir, ou plutôt une soif ardente de pureté et de pénitence qui ne pouvait être apaisée que par le renoncement et la souffrance ; et les contemplations sanctifiantes dont son âme était nourrie fortifiaient puissamment en elle un sentiment infiniment délicat pour tout ce qui était pur, innocent et saint, tandis que d'un autre côté elle était remplie de répugnance et d'horreur pour tout ce qui était faute ou corruption, souillure ou impureté et pour tout ce qui pouvait y conduire. Ce saint instinct était pour elle une aide infaillible auquel elle pouvait se fier en toute sûreté comme à son ange gardien. Il augmentait en délicatesse et en énergie à mesure qu'Anne Catherine suivait avec plus de zèle l'impulsion intérieure par laquelle l'Esprit-Saint l'incitait à exercer sur ses sens et sur sa conscience une surveillance scrupuleuse, correspondante à l'abondance des grâces dont son âme était enrichie. Avant que la corruption du monde déchu eût pu toucher ses yeux, elle avait connu par ses visions l'état d'innocence tel qu'il existait dans le paradis et la splendeur de la grâce sanctifiante ; elle avait le sentiment de la valeur infinie des mérites du saint Rédempteur qui a voulu rendre aux hommes tombés la pureté qu'ils avaient perdue, avant de savoir quels dangers menacent cette innocence : c'est pourquoi son amour pour la pureté ressemblait à une flamme qui dévirait tout ce qui aurait pu troubler son âme avant qu'elle ne pût être touchée. Le directeur de sa conscience, Overberg, a rendu ce témoignage : " Anne Catherine, depuis son enfance, n'a jamais ressenti un mouvement sensuel, et elle n'a jamais eu à s'accuser d'une faute contre la pureté, même en pensée. Interrogée de nouveau sur cette absence complète de toute tentation d'impureté, l'obéissance lui a fait avouer que, d'après ce qui lui avait été montré une fois en vision, elle y aurait été portée par nature, mais qu'à l'aide de ses mortifications précoces et de sa persévérance à surmonter toutes ses autres inclinations et à réprimer tous ses désirs, elle avait déraciné les mauvais penchants avant qu'ils eussent pu se faire sentir chez elle."

13. Son sentiment constant à l'égard de la pureté se manifestait dans sa première jeunesse d'une manière singulièrement touchante comme on peut le voir par la communication suivante qu'elle fit un jour qu'elle avait à raconter ses contemplations touchant le Paradis." Je me souviens qu'à l'âge de quatre ans, un jour que mes parents me conduisaient à l'Église, j'avais la ferme confiance que j'y verrais Dieu et des personnes tout autres que celles que je connaissais, bien plus belles et plus brillantes. Lorsque j'y entrai, je regardais de tous les côtés et il n'y avait rien de ce que je m'étais figuré. Le prêtre à l'autel, me disais-je, ce pouvait être Dieu ; mais je cherchais la sainte vierge Marie ; je pensais que là, ils devaient avoir tout le reste au-dessous d'eux, car telle était mon idée ; mais je ne trouvai rien de ce que je m'imaginais. Plus tard j'eus encore ces pensées et je regardais toujours deux bonnes dévotes qui portaient des capuchons et semblaient plus modestes que les autres : je me disais que ce pourrait bien être ce que je cherchais, mais ce n'était pas cela. Je croyais toujours que Marie devait avoir un manteau bleu céleste, un voile blanc et là-dessous une robe blanche très simple. J'eus alors la vue du Paradis et je cherchai dans l'Église Adam et Ève avant la chute, beaux comme ils étaient alors : et je me disais : " quand tu te seras confessée, tu les trouveras." Mais même alors je ne les trouvai pas. Je vis enfin dans l'Église une pieuse famille noble ; les filles étaient habillées tout eu blanc. Je pensais qu'elles avaient un peu de ce que je cherchais et je me sentis un grand respect pour elles, mais ce n'était pas encore cela. J'avais toujours l'impression que tout ce que je voyais était devenu très laid et très sale. J'étais continuellement plongée dans des pensées de ce genre et j'en oubliais le boire et le manger, en sorte que j'entendais souvent mes parents dire : " Qu'a donc cette enfant ! Qu'est-il arrivé à Anne Catherinette ?" Souvent, dans mon enfance, je me plaignais à Dieu très familièrement de qu'il avait fait telle ou telle chose. Je ne pouvais pas comprendre comment Dieu avait pu laisser naître le péché, lui qui avait tout dans sa main ; surtout l'éternité des peines de l'enfer me paraissait d'une dureté incompréhensible. Mais alors je voyais des tableaux qui m'avertissaient et m'instruisaient si bien que je fus parfaitement convaincue que Dieu est infiniment bon et infiniment juste, et que, si j'avais voulu faire quelque chose selon mes idées, c'eût été bien misérable."

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:34

14. Après tout ce que nous avons fait connaître d'Anne Catherine, il sera permis de lui appliquer ce que maître Sebastien de Pérouse a dit de la bienheureuse Colombe de Riéti :
" Cette enfant était née pour être soustraite à toute sensualité ; se fondre au feu de la charité et s'enflammer de l'amour de Dieu et du prochain. Elle était si bien affermie dans cette sainte vocation qu'elle ne pouvait être ni déconcertée par les insinuations de l'esprit malin, ni troublée par les excitations de l'orgueil, ni atteinte par l'aiguillon de la chair."
Comment en effet l'âme d'Anne Catherine aurait-elle pu recevoir la lumière dans sa plénitude, si elle n'avait pas habité un corps qui, chaste comme un lis, ne pouvait jamais sentir dans ses membres une autre loi que celle qui en faisait la propriété du Seigneur !

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:34

IV

SON ÉDUCATION DANS LA MAISON PATERNELLE


1. En apprenant à connaître les heureux parents à la garde et au soin desquels le Seigneur avait confié un trésor si précieux, nous rencontrons un nouveau témoignage de la merveilleuse sollicitude avec laquelle sa Providence dispose jusque dans les plus petits détails les circonstances et les relations au milieu desquelles doivent vivre ses instruments choisis, afin que tout puisse servir à l'accomplissement de la tâche qui leur a été assignée de toute éternité. Anne Catherine était l'enfant de parents vraiment pieux pour lesquels les bénédictions répandues sur une pauvreté toujours contente, parce qu'elle était dévouée à Dieu, suppléaient ce qui leur manquait du côté du bien-être matériel. Toute leur vie offrait à l'enfant le tableau d'un ménage ordonné d'après les prescriptions de la foi chrétienne, et elle reçut, grâce à leur douce fermeté, l'éducation la mieux appropriée à ses dons et à sa vocation. La maison paternelle était pour Anne Catherine une école de piété et, dans ses dernières années, elle se rappelait encore avec un cœur reconnaissant les avis qu'elle avait reçus de ses bons parents et les habitudes pieuses et réglées auxquelles elle avait été formée par eux. C'était pour elle une douce consolation que d'en parler et de là vient qu'on peut décrire toute la vie des parents avec les propres paroles de leur fille.

2." Mon père avait beaucoup de piété et de droiture. Il était d'un caractère sérieux, mais sans tristesse. Sa pauvreté l'obligeait à se donner beaucoup de peine et il était très laborieux : cependant il n'était pas âpre au gain. Il remettait tout entre les mains de Dieu avec une confiance d'enfant, et faisait son rude travail, comme un serviteur fidèle, sans inquiétude et sans cupidité. Sa conversation était pleine de beaux et simples proverbes et de pieuses et naïves locutions. Il nous racontait un jour, pendant notre enfance, l'histoire d'un grand homme appelé Hun, qui avait parcouru le monde, et alors je rêvais que je voyais ce grand homme parcourir la terre et, avec une grande pelle, retourner, ici du bon terrain, là du mauvais. Comme mon père était fort laborieux, il me fit beaucoup travailler dès ma petite enfance. Été comme hiver, il me fallait avant le jour sortir dans le champ pour aller chercher le cheval. C'était du reste un méchant animal : il ruait, mordait et s'enfuyait souvent devant mon père ; mais il se laissait prendre par moi sans difficulté ; il courait même quelquefois à ma rencontre. Bien souvent je montais sur son dos à l'aide d'une pierre ou d'une élévation de terrain et je revenais ainsi à la maison. Il tournait quelquefois la tête et voulait me mordre, mais je lui donnais un coup sur le nez et alors il allait tranquillement jusqu'à la maison. Je me servais aussi de lui pour transporter certains produits des champs ou des engrais. Maintenant je ne peux pas comprendre comment une aussi faible enfant que je l'étais pouvait en venir à bout.

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:34

3." Quand mon père, de grand matin, m'emmenait avec lui aux champs, au moment où le soleil se levait, il ôtait son chapeau, priait et parlait de Dieu qui fait lever si magnifiquement son soleil sur nous. Souvent aussi il disait que c'était une mauvaise chose et dont il fallait avoir horreur que de rester assez tard au lit pour que le soleil brille sur nous pendant que nous dormons : car de là viennent bien des choses qui amènent la ruine des maisons et des familles, des pays et des gens. Là-dessus je lui dis une fois : " Cela ne me regarde pas, car le soleil ne peut pas arriver jusqu'à mon lit : " Et il me répondit" Quand même tu ne vois pas le soleil lorsqu'il est levé, lui voit tout et brille partout." Cela me fit beaucoup réfléchir." Quand nous sortions ensemble le matin avant qu'il fît jour, mon père me disait aussi : " Vois ! Personne encore n'a marché dans la rosée ! Nous sommes les premiers et, si nous prions bien dévotement, nous attirerons des bénédictions sur la terre et sur les champs. Il est si bon de pouvoir marcher dans la première rosée à laquelle on n'a pas encore touché : il y a là encore une bénédiction toute fraîche, aucun péché n'a encore été commis dans les champs, on n'y a dit aucune mauvaise parole. Lorsqu'on sort quand la rosée a été partout foulée aux pieds des gens, c'est comme si tout était sali et gâté."

4." Quoique je fusse toute petite et bien faible, on m'employait pourtant, tantôt à la maison, tantôt chez des parents, à un pénible travail. Et les choses s'arrangeaient toujours pour que j'eusse à travailler rudement : Je me souviens qu'une fois j'eus à placer sur la charrette environ vingt charges de blé, et je fis cela sans m'arrêter et plus vite qu'un fort garçon. Je travaillais aussi vigoureusement à couper et à lier." Il me fallait aller aux champs avec mon père, conduire le cheval, recueillir les oeufs et faire toute espèce de travaux manuels. Quand nous nous retournions ou que nous nous arrêtions un moment, il disait : " Comme cela est beau ! Regarde ! Nous pouvons voir droit devant nous, à Coesfeld, l'Église où est le Saint-Sacrement et adorer notre Seigneur. Il nous voit de son côté et bénit tout notre travail." Quand on sonnait pour la sainte messe, il ôtait son chapeau, faisait une prière et disait : " Maintenant il nous faut suivre toute la sainte messe." Et pendant le travail, il disait encore : " Maintenant le prêtre en est au Gloria : maintenant il en est au Sanctus, et nous devons à présent faire avec lui telle et telle prière et nous signer." Après cela il chantait quelquefois un verset ou sifflait un petit air. Et quand je prenais les oeufs, il disait : " On parle beaucoup de miracles et pourtant nous ne vivons que de miracles et de la pure grâce de Dieu. Vois le petit grain de blé dans la terre ! Il est là et il en sort une longue tige qui le reproduit au centuple ! N'est-ce pas là aussi un grand miracle ?" Les dimanches après le dîner, mon père nous redisait toujours le sermon et nous expliquait tout de la manière la plus édifiante. Il nous lisait en outre l'explication du saint Évangile."

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:35

5. Tels étaient aussi les sentiments et la piété de la mère d'Anne Catherine qui, dans l'espace de vingt et un ans, avait donné neuf enfants à son mari. Elle avait eu le premier en 1766 et le dernier en 1787. Le travail incessant et la peine qu'elle avait eue à prendre pendant sa vie de mère, de famille, que rendait du reste heureuse et contente le fidèle attachement de son mari, lui avaient donné quelque chose de grave et d'austère, mais son cœur avait conservé une grande douceur et une bienveillance inaltérable envers tout le monde. Plus elle avait de peine à se donner, ainsi que son mari, afin de procurer à eux et à leurs enfants l'entretien convenable, moins elle paraissait connaître la sollicitude inquiète ou l'insensibilité, moins, elle pensait à se plaindre de sa pénible position. Bien plus, cette mère, toute remplie de l'esprit de prière, en était venue à regarder comme une grâce les travaux et les fatigues et ne pensait qu'à se mettre en mesure d'être trouvée au jugement de Dieu une fidèle ménagère : Voici ce que plus tard Anne Catherine disait d'elle ; " C'est ma mère qui m'a donné les premières leçons de catéchisme ; sa maxime favorite était : " Seigneur, que votre volonté se fasse et non pas la mienne !" et encore cette autre : " Seigneur, donnez-moi la patience et alors frappez fort." Je ne les ai jamais oubliées. Quand je jouais avec d'autres enfants, ma mère disait toujours" Lorsque les enfants jouent ensemble bien pieusement, les anges sont là avec eux ou même le petit enfant Jésus." Je prenais cela comme une vérité certaine et ne m'en étonnais pas du tout ; je regardais souvent le ciel avec un désir curieux, pour voir s'ils venaient ; je croyais même souvent qu'ils étaient au milieu de nous. Afin qu'ils ne manquassent pas à venir, nous jouions toujours à des jeux innocents et pieux. Quand je devais aller à l'église ou ailleurs avec d'autres enfants, je marchais en avant ou en arrière, afin de ne rien voir ou entendre de mauvais sur la route. Ma mère me l'avait recommandé et m'avait exhortée à faire tout en marchant, tantôt une prière, tantôt une autre. Lorsque je faisais le signe de la croix sur le front, sur la bouche et sur la poitrine, je me disais que c'étaient là des clefs grâce auxquelles rien de mauvais ne devait entrer dans les pensées, la bouche et le cœur. Seulement c'est l'enfant Jésus qui doit avoir ces clefs : alors tout ira bien.

6. Anne Catherine n'apercevait rien dans toute la vie de ses parents qui ne fût réglé suivant les commandements de Dieu et les pratiques de l'Église, et elle voyait que les seules joies et les seules consolations qui fissent diversion à leur travail et à leurs soucis continuels leur venaient des saintes fêtes de l'Église, dont la célébration remplissait leur cœur d'une piété joyeuse. Ces âmes simples étaient si bien faites pour ce bonheur surnaturel que, malgré les peines et les fatigues dont leur existence était remplie, elles conservaient toujours une sympathie prête à tous les sacrifices pour les nécessités corporelles et spirituelles de leurs semblables. Son père Bernard, quelque las qu'il fût des travaux de la journée, n'oubliait jamais d'avertir ses enfants à l'entrée de la nuit de prier pour les voyageurs, pour les pauvres soldats et les compagnons ouvriers délaissés, et il leur lisait des prières à cette fin. Pendant les jours du carnaval, la mère ordonnait aux enfants de dire quatre fois le Pater, prosternés et les bras étendus, pour prévenir les attentes portées à l'innocence pendant ces jour-là : " Enfants, leur disait-elle, vous ne savez pas et ne comprenez pas cela, mais moi je le sais bien. Priez." La communication suivante d'Anne Catherine montre comment le bon Dieu faisait fructifier la parole et l'exemple des parents dans les âmes bien disposées des enfants : " Quand j'étais encore toute jeune, mon frère aîné et moi couchions dans la même petite chambre. Il était pieux et souvent la nuit nous priions ensemble, agenouillés devant nos lits et les bras étendus en croix. Je vis plusieurs fois la petite chambre tout éclairée. Souvent, quand nous avions longtemps prié, j'étais relevée violemment et j'entendais une voix qui disait : " Va-t'en dans ton lit !" Alors mon frère avait grand'peur, mais moi je prolongeais ma prière. Mon frère aussi fut souvent dérangé et effrayé par l'esprit malin pendant qu'il priait ; une fois mes parents le trouvèrent à genoux, les bras étendus et tout raidi par le froid."

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:35

7. De même que l'humble simplicité de ces bons parents ne leur permettait pas de rien voir d'extraordinaire dans la manière dont ils pratiquaient sans relâche les devoirs de vrais chrétiens, de même il ne leur venait pas dans l'esprit de s'enorgueillir de beaucoup de phénomènes étonnants qu'ils avaient vus de bonne heure dans leur enfant. Ils éprouvèrent sans doute une profonde émotion, qui leur fit verser des larmes de reconnaissance, quand l'abondance des grâces déposées dans l'âme de leur enfant se manifesta à eux ; mais ils s'efforcèrent de cacher leur étonnement, et leur conduite resta la même avant comme après. Ce que la mère trouvait de défectueux dans Anne Catherine, elle le blâmait aussi sévèrement que chez ses autres enfants et, dès son plus jeune, on, on ne la dispensa d'aucun travail ni d'aucune participation aux occupations de la famille. C'est ainsi qu'elle fut maintenue dans la plus heureuse ignorance d'elle-même, et jamais la naïveté de sa candide humilité ne fut troublée par des louanges, par des marques d'admiration ou par une curiosité indiscrète. Sa vie intérieure si riche resta inconnue et cachée au dehors, mais elle s'épanouit avec une beauté toujours croissante, sous la conduite et la sévère direction de son ange, qui réglait tous ses sentiments, toutes ses pensées, toutes ses paroles, et maintenait son esprit ardent dans la pratique continue d'une parfaite obéissance.

8. Son père et sa mère lui portaient une affection plus qu'ordinaire, mais il n'était pas dans leur nature de la manifester par des tendresses particulières. Bernard, son père, éprouvait le besoin d'avoir près de lui, quand il travaillait aux champs, son enfant si gentille et si avisée ; il trouvait dans ses paroles, dans ses réponses, dans toute sa manière d'être, une si vive satisfaction, qu'il ne pouvait pas se passer d'elle longtemps. La mère était trop absorbée par les soins à donner à ses plus jeunes enfants pour pouvoir s'occuper autant que lui d'Anne Catherine. L'humeur enjouée du père s'était transmise à celle-ci et elle s'entendait à récréer par un aimable badinage les travaux journaliers de cet homme laborieux. Elle était naturellement gaie, comme ne pouvait manquer de l'être une enfant innocente et pure, favorisée d'un commerce si intime et si merveilleux avec Dieu et avec les saints. Sous son front élevé et bien conformé brillaient des yeux d'un brun clair, dont le doux éclat rehaussait la sérénité qui reluisait dans toute sa personne. Sa chevelure, de couleur foncée, était rejetée en arrière du front et des tempes sans être partagée, arrangée en tresses ou roulée autour de la tête. Sa jolie voix argentine et sa parole facile trahissaient la vivacité de son esprit, et elle parlait sans embarras de choses qui paraissaient mystérieuses et énigmatiques à l'entourage au milieu duquel elle vivait : mais sa réserve pleine de simplicité et d'humilité adoucissait promptement l'impression que pouvait produire l'éclat subit de ses dons supérieurs. Nul ne pouvait s'empêcher de l'aimer, mais elle ne laissait à personne le temps de s'émerveiller d'elle. Elle était si douce, si bonne ; son empressement à aider, à rendre service était si aimable et si engageant, que jeunes et vieux venaient à la petite Anne Catherine, près de laquelle, en toute occasion, ils trouvaient assistance et conseil. Tous savaient qu'il n'y avait aucun bien ni aucun plaisir qu'elle ne fût prête à sacrifier pour les autres ; et ces simples campagnards étaient accoutumés à la bénédiction qui sortait de cette enfant comme à la senteur du romarin qu'ils cultivaient dans leurs jardins. Elle-même racontait un jour : " Dès mon enfance, les voisins avaient recours à moi pour bander toute espèce de blessures, parce que je le faisais doucement et avec précaution, et que j'étais adroite de mes mains. Quand je voyais un abcès, je me disais : Si tu le presses, il deviendra pire, mais pourtant il faut que le mal sorte. Et ainsi j'en vins à les sucer doucement, et les plaies guérissaient. Personne ne m'avait appris cela ; j'y fus poussée par le désir de me rendre utile. Dans le premier moment, je sentis du dégoût ; mais cela me porta à me surmonter, parce que le dégoût n'est pas une compassion véritable. Quand je le surmontais promptement, j'étais pleine de joie et d'émotion. Je pensais à Notre-Seigneur, qui a fait cela pour tout le genre humain."

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:36

9. La couleur de son visage changeait parfois, passait du vermeil fleuri à une pâleur livide, et ses yeux brillants s'éteignaient si subitement qu'elle était à peine reconnaissable. Un profond sérieux faisait disparaître sa gaieté naïve, et une tristesse inexplicable pour ceux qui l'entouraient passait sur son front, en sorte que ses parents inquiets se demandaient souvent ce qui adviendrait de cette enfant. La cause de ce changement subit était la vue de misères et de souffrances étrangères qui s'offraient à l'oeil intérieur et non à celui du corps. De même qu'Anne Catherine ne pouvait entendre prononcer le nom de Dieu ou d'un saint sans tomber en contemplation, de même pour peu qu'on parlât d'un accident ou d'un malheur, elle était prise d'une telle compassion et d'un tel désir de secourir le prochain et de s'offrir pour lui comme victime expiatoire, que son âme était emportée avec une force irrésistible jusqu'au lieu où l'on souffrait. Bientôt elle éprouvait les atteintes de la souffrance du prochain comme si c'eût été la sienne propre : toutefois, la certitude que cette compassion procurerait soulagement et secours la consolait et la fortifiait, et le feu de la charité allait toujours croissant dans son cœur. Mais ses parents, ses frères et ses sœurs avaient peine à se rendre compte des singulières allures de l'enfant ; c'était surtout la mère, dont la sollicitude et l'angoisse pouvaient facilement devenir du mécontentement quand elle voyait que la langueur et la maladie disparaissaient aussi vite que l'avaient fait précédemment la santé et la fraîcheur. Il lui arrivait assez fréquemment de prendre ces rapides changements pour du caprice et de la fantaisie et elle croyait par des blâmes sévères et des punitions prémunir Anne Catherine contre ces défauts. C'est pourquoi elle allait quelquefois, dans son irritation, jusqu'à repousser ou châtier rudement Anne Catherine quand celle-ci, par l'effet de la compassion et des souffrances intérieures, était à peine en état de se tenir debout. Mais ce châtiment immérité était supporté avec tant de patience et de soumission, Anne Catherine restait si affectueuse et de si bonne humeur, que le père et la mère se disaient l'un à l'autre : " Quelle étrange enfant c'est là ! Qu'adviendra-t-il d'elle, et n'est-il pas à craindre qu'elle perde la raison ?" Ce n'étaient pas seulement les avis intérieurs de l'ange qui portaient Anne Catherine à accepter tout cela simplement pour l'amour de Dieu, car son sentiment à elle-même était qu'elle méritait toute espèce de punition." Dans ma jeunesse, disait-elle, j'étais irritable et fantasque, et j'ai souvent été punie par mes parents à cause de cela. J'avais beaucoup de peine à me donner pour mortifier mon humeur capricieuse. Comme mes parents me blâmaient souvent et ne me louaient jamais, tandis que, j'entendais d'autres parents faire l'éloge de leurs enfants, je me regardais comme la plus méchante enfant du monde et souvent j'étais très inquiète à la pensée que j'étais mal avec Dieu. Mais, un jour, ayant vu d'autres enfants se mal comporter envers leurs parents, quoique cela me fit de la peine, je repris courage et je me dis : Je dois pourtant avoir encore de l'espérance du côté de Dieu, car je ne pourrais jamais rien faire de pareil."

10. Rien ne pouvait être plus difficile pour Anne Catherine que de maîtriser sa grande vivacité et de briser son sens et sa volonté propre de façon à ne paraître vivre que selon la volonté d'autrui. La sensibilité enquise de toute sa personne, la tendresse de son cœur, qui était blessé continuellement par mille choses auxquelles d'autres n'eussent pas fait attention, son zèle ardent pour la gloire de Dieu et le salut du prochain l'obligeaient à des efforts sans relâche pour arriver à une douceur fondée sur l'oubli d'elle-même et à une obéissance si humble que le premier mouvement de résistance fût vaincu dès sa naissance. Cependant son âme courageuse parvint à remporter cette victoire et sa fidélité persévérante fut récompensée de Dieu à ce point qu'elle put dire plus tard" L'obéissance était ma force et ma consolation. Grâce à l'obéissance, je pouvais prier joyeuse et contente ; je pouvais être avec Dieu et mon cœur restait libre." Non seulement elle se jugeait la moindre et la dernière des créatures, mais encore elle se sentait telle, et c'était conformément à ce sentiment vivant au fond de son âme qu'était réglée toute sa conduite, à l'extérieur et à l'intérieur. Le saint ange ne tolérait en elle aucune imperfection : il punissait chaque faute par des réprimandes et des pénitences qui étaient fort douloureuses et laissaient toujours dans l'âme une profonde humiliation. De là venait qu'Anne Catherine se jugeait elle-même avec une grande sévérité et s'imposait des punitions corporelles pour chaque manquement, tandis que son cœur surabondait de bonté et d'indulgence envers les autres. Dans sa cinquième année, elle regarda un jour à travers la haie d'un jardin une pomme tombée sous l'arbre avec le désir enfantin de la manger. A peine en avait-elle eu la pensée qu'elle éprouva un vif repentir de cette convoitise, au point de s'imposer pour pénitence de ne plus toucher à une pomme, résolution qu'elle observa toujours de la manière la plus consciencieuse. Une autre fois, elle eut un mouvement d'aversion pour une paysanne, parce que celle-ci avait mal parlé de ses parents, et se proposa de passer devant elle sans la saluer. Elle le fit avec un serrement de cœur. Mais elle en eut un tel repentir, qu'elle revint sur ses pas et demanda pardon à la paysanne de son impolitesse. Lorsqu'elle commença à s'approcher du sacrement de pénitence, sa conscience délicate ne retrouvait le repos, après des manquements de ce genre, que quand elle s'en était accusée à son confesseur avec un repentir sincère, sans rien adoucir ni dissimuler, et, quand elle avait reçu de lui pénitence et absolution.

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:36

11. Pour que des souffrances intérieures si précoces et la rigueur d'une vie si pénitente laissassent subsister dans le cœur d'Anne Catherine la gaieté innocente de l'enfance, Dieu, dans sa bonté, lui donna une compensation : ce fut la joie qu'excitait sans cesse en elle la contemplation de la grandeur et de la magnificence divines dans la création et le commerce qu'elle entretenait avec les créatures privées de raison. Était-elle seule dans les bois ou dans les champs, elle appelait les oiseaux, chantait avec eux les louanges de Dieu et les caressait pendant qu'ils se posaient familièrement sur ses bras et sur ses épaules. Si elle trouvait un nid, elle regardait dedans avec une joie qui faisait battre son cœur et adressait aux petits ses plus douces paroles. Elle connaissait tous les lieux où se montraient au printemps les premières fleurs et elle allait les cueillir pour en tresser des couronnes à l'enfant Jésus et à la vierge Marie. Mais son oeil éclairé par la grâce pénétrait encore plus loin. Pendant que d'autres enfants s'amusaient à feuilleter des livres d'images et se plaisaient plus à regarder des fleurs et des animaux coloriés que les riches couleurs de la nature vivante, pour Anne Catherine les créatures elles-mêmes étaient les images dans lesquelles elle admirait avec un regard joyeux la sagesse et la bonté de Dieu. Elle connaissait leur nature et leurs propriétés aussi disait-elle en communiquant ses visions touchant la vie de saint Jean-Baptiste" Je n'ai jamais pu m'étonner de voir comment Jean avait appris tant de choses des fleurs et des animaux dans le désert, car pour moi-même, lorsque j'étais enfant, chaque feuille, chaque petite fleur était un livre dans lequel je savais lire. J'avais le sentiment de la signification et de la beauté de toutes les couleurs et de toutes les formes ; mais, quand je voulais en parler, on se moquait de moi. Quand j'allais dans la campagne, je pouvais m'entretenir avec toutes choses. J'avais reçu de Dieu un sens pour tout comprendre et je voyais dans l'intérieur des fleurs et des animaux. Combien cela m'était doux ! Étant encore très jeune, j'eus une fièvre qui ne m'empêchait pourtant pas d'aller et de venir. Mes parents croyaient que je mourrais bientôt ; alors un bel enfant vint à moi et me montra des herbes que je devais cueillir et manger pour guérir. Il y avait entre autres le doux suc des fleurs du liseron. Je mangeai de ces herbes et, assise près d'une haie, je pris des liserons que je suçai. Je fus bientôt guérie. J'aimais surtout les fleurs de camomille. Leur nom même a pour moi je ne sais quoi de doux et d'aimable. J'en ramassais dès mon plus jeune âge et je les tenais prêtes pour de pauvres malades qui venaient volontiers me trouver, me montraient un mal ou une plaie et me demandaient ce que j'en pensais. Il me venait alors à l'esprit toutes sortes de remèdes innocents qui opéraient leur guérison."

12. Une autre communication nous montre comment la belle et sainte ordonnance de l'Église lui était manifestée avec ses invisibles merveilles." Dès mon enfance, dit-elle, le son des cloches bénites me faisait l'effet de rayons de bénédiction, qui, partout où ils atteignent, chassent l'influence nuisible des puissances ennemies. Je crois fermement que les cloches bénites effraient Satan. Quand, dans ma jeunesse, je priais la nuit dans les champs, je sentais et je voyais souvent de mauvais esprits autour de moi : mais, aussitôt que les cloches sonnaient les matines à Coesfeld, je m'apercevais qu'ils s'enfuyaient. Mon impression était toujours que, quand la langue des prêtres se faisait entendre au loin, comme les premiers temps de l'Église, il n'y avait pas besoin de cloches ; maintenant il faut ces langues de bronze pour appeler les fidèles. Tout doit être au service du Seigneur Jésus pour multiplier les moyens de salut et nous protéger contre l'ennemi des âmes. Il a donné sa bénédiction aux prêtres, afin que, sortant d'eux, elle pénètre toutes choses, pour faire tout servir à sa gloire et qu'elle exerce son efficacité de près et de loin. Mais, quand l'esprit s'est retiré des prêtres et que les cloches seules répandent encore la bénédiction et chassent les puissances mauvaises, c'est comme un arbre dont le sommet fleurit, recevant encore la sève par l'écorce, mais dont la moelle est desséchée. Le son des cloches bénites me frappe comme essentiellement plus saint, plus joyeux, plus fortifiant, plus doux que tous les autres sons, lesquels me paraissent sourds et confus en comparaison ; même le son de l'orgue de l'église, comparé au leur, manque d'énergie et de grandeur.

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:36

13. Le langage de l'Église faisait sur Anne Catherine une impression encore plus vive que le son des cloches. Les prières latines de la messe et de toutes les cérémonies de l'Église lui étaient aussi intelligibles que sa langue maternelle, si bien qu'elle crut longtemps que toutes les personnes pieuses et croyantes devaient les comprendre comme elle." Jamais, disait-elle un jour, je ne me suis aperçue de la différence des langues dans le service divin, parce que je ne percevais pas seulement les mots, mais les choses elles-mêmes."

14. En ce qui touche la force et l'action bienfaisante de la bénédiction sacerdotale, Anne Catherine en avait le sentiment si vif et si profond, qu'elle se sentait attirée involontairement quand un prêtre passait dans le voisinage de la demeure paternelle. Elle courait au-devant de lui et lui demandait sa bénédiction. Si elle se trouvait occupée à garder les vaches, elle les recommandait à l'ange gardien et courait au prêtre qui passait pour avoir sa bénédiction.

15. Elle portai sur sa poitrine dans un sachet le commencement de l'Évangile de saint Jean. Voici ce qu'elle dit à ce sujet" Dès mon enfance, l'Évangile de saint Jean était pour moi une source de lumière et de force et comme une bannière. Toutes les fois que j'avais une crainte ou que je courais un danger, je disais avec une ferme confiance Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous. Je ne pus comprendre plus tard certains ecclésiastiques auxquels j'entends dis dire que cela était inintelligible."

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:37

16. De même qu'Anne Catherine était saisie d'une vive émotion et d'un profond sentiment de respect envers les choses bénites et les lieux sanctifiés, de même qu'elle en ressentait l'effet comme celui d'une nourriture et d'un réconfort spirituels, de même il y avait des lieux où elle sentait avec horreur et épouvante qu'il s'y était fait du mal et qu'une malédiction y reposait. Puis elle était saisie d'une profonde compassion et se sentait poussée à y prier et à y faire des pénitences expiatoires. Elle racontait ainsi un incident de sa jeunesse" A peu de distance de notre maison, au milieu de champs fertiles, se trouve un coin de terre où il ne vient jamais rien. Quand je passais là, étant enfant, j'avais toujours un frisson ; c'était comme si j'eusse été repoussée, et plusieurs fois je fis là des chutes que rien de particulier n'occasionnait. Je vis une fois deux ombres noires qui erraient à l'entour, et je m'aperçus que les chevaux, lorsqu'ils s'approchaient de là, se montraient effrayés. Ayant eu souvent l'impression de ce qu'il y avait de sinistre dans cet endroit, je pris des informations auprès de gens qui prétendaient, mais faussement, avoir vu là des choses de toute espèce. Plus tard, mon père me dit qu'à l'époque de la guerre de Sept-Ans, un soldat hanovrien avait été fusillé dans cet endroit, après sa condamnation parle tribunal militaire, mais que cet homme était innocent et que deux autres avaient été les auteurs de son malheur. Lorsque j'appris cela, j'avais déjà fait ma première communion. J'allai prier la nuit dans cet endroit, les bras en croix. La première fois, il me fallut prendre fortement sur moi : la seconde fois, il vint un horrible fantôme semblable à un chien, qui mit par derrière sa main sur mon épaule. Je me retournai et je vis ses yeux flamboyants et son museau. Je fus saisie d'effroi, cependant je ne me laissai pas déconcerter et je dis en moi-même : " Seigneur, vous aussi, étant dans l'angoisse, sur le mont des Oliviers, vous vous êtes remis plusieurs fois à prier ; vous êtes près de moi." Le malin esprit ne put rien me faire. Et je recommençai à prier de nouveau : alors l'horrible objet s'éloigna. Lorsque je retournai prier en cet endroit, je fus violemment enlevée comme si j'allais être jetée dans une fosse qui était près de là. Je mis toute ma confiance en Dieu et je dis : " Satan, tu ne peux rien sur moi !" Et il disparut. Je continuai à prier avec ardeur. Depuis, je ne vis plus les ombres, et tout resta tranquille." J'avais aussi, quoiqu'on ne m'eût rien raconté à ce sujet, un sentiment d'horreur et de repoussement aux endroits où il y avait eu des tombeaux de païens. Ainsi, il y a, à peu de distance de notre maison, une prairie et une butte de sable où je n'aimais pas à garder les vaches, parce que j'y voyais toujours une vapeur noire et sinistre, semblable à celle que produisent des chiffons qui brûlent, ramper à ras de terre sans jamais s'élever. Je remarquai aussi souvent là un obscurcissement particulier et je vis de sombres figures, répandant les ténèbres autour d'elles, errer çà et là et disparaître sous la terre. Je me disais souvent en moi-même comme une enfant que j'étais : " Il est bon que vous ayez d'épais gazons sur la tête, parce qu'ainsi vous ne pouvez rien nous faire." Plus tard, j'ai vu souvent, que, quand on bâtissait des maisons neuves dans des places comme celles-là, il sortait une malédiction de ces sombres ossements, si les habitants n'étaient pas pieux, s'ils ne menaient pas une vie sanctifiée par la bénédiction de l'Église et s'ils n'arrêtaient pas par là les effets de cette malédiction. Mais quand ils se servaient pour détourner le mal de moyens superstitieux et condamnés par l'Église, ils entraient, sans le savoir, en rapport avec les puissances de ténèbres, et l'esprit malin acquérait plus de pouvoir sur eux. Je ne puis guère rendre ces choses claires pour d'autres, parce que je les vois de mes yeux, tandis qu'ils ne les perçoivent que par la pensée. Mais je trouve souvent plus difficile à comprendre comment pour tant de personnes il n'y a pas de différence entre ce qui est saint et ce qui est profane, entre le croyant et l'incrédule, entre ce qui est purifié et ce qui ne l'est pas : ils ne voient partout que l'apparence extérieure, la couleur ; ils ne s'inquiètent que de savoir si l'on peut manger d'une chose ou si on ne le peut pas, si on peut en faire de l'argent ou non, tandis que je vois et sens tout autrement, et cela d'une manière très clair. Ce qui est saint et béni, je le vois lumineux et répandant la lumière, guérissant et secourant ; ce qui est profane et maudit, je le vois ténébreux, répandant les ténèbres et produisant la corruption. Je vois la lumière et les ténèbres sortant comme des choses vivantes de ce qui est bon ou mauvais et agissant dans le sens de la lumière et des ténèbres. Cela m'est ainsi montré."
A une époque postérieure, comme j'allais à Dulmen, je passai devant un ermitage dans la direction d'un bocage où demeure le paysan H. . . Il y a là une prairie. Quand je me trouvai avec ma compagne près de cette prairie, je vis s'élever une vapeur qui me causa de l'horreur et du dégoût. Il montait au milieu de la prairie plusieurs de ces courants de vapeur ; se tenant près du sol, ils formaient des ondulations ou comme des flots. Comme je ne voyais pas de feu, je demandai en les montrant du doigt à ma compagne : " Qu'est-ce donc qui brûle là ? Je ne vois pas de feu." Mais elle ne vit rien, fut très étonnée de ma question et crut que j'étais malade. Je me tus, mais je continuai à voir la sombre vapeur et sentis croître mon terrible malaise ; quand il nous fallut passer tout près de cet endroit, je vis bien distinctement la vapeur se dégager du côté opposé à celui où nous étions. Je sentis alors très clairement que des ossements profanes et ténébreux étaient enterrés là et j'eus la vue rapide d'abominables pratiques idolâtriques qui avaient eu lieu là autrefois."

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:37

V

ANNE CATHERINE REÇOIT LES SAINTS SACREMENTS DE PÉNITENCE ET D'EUCHARISTIE


1. Vers la septième année de son âge, Anne Catherine fut conduite pour la première fois à confesse avec d'autres enfants ; elle s'y était préparée avec tant d'ardeur et elle était pénétrée d'une si vive contrition que les forces lui manquèrent sur le chemin de l'église et que les autres enfants qui l'aimaient beaucoup furent obligées de la porter jusqu'à Coesfeld. Elle avait sur la conscience, non seulement des actions de ses premières années expiées par de fréquentes et douloureuses pénitences, mais aussi ses visions incessantes qu'on lui avait tant de fois reprochées comme" des imaginations et des rêveries." Comme c'était particulièrement sa mère qui la mettait sans cesse en garde contre les rêveries et les superstitions, cela la mettait dans une grande angoisse et elle s'était proposé de se confesser assez clairement et assez longuement sur ses" rêves" pour recevoir du prêtre des avis et des directions. Elle le fit, quoiqu'il n'y eût pas là de péché à confesser mais il faut admirer les vues de Dieu, qui, ayant donné à Anne Catherine le don de contemplation pour l'édification des fidèles, c'est-à-dire pour toute l'Église, commença dès lors, au moyen de sa délicatesse de conscience, à mettre ce don sous la garde de l'Église et à le soumettre à son jugement. En faisant son examen de conscience, Anne Catherine craignait par-dessus tout que l'amour-propre ou la fausse honte ne lui fit cacher ou pallier quelque chose ; c'est pourquoi elle se disait souvent" Ce que l'esprit malin m'a pris, il peut le garder. S'il m'a ôté la honte avant le péché, je ne veux pas la lui reprendre avant la confession."
L'amour-propre lui paraissait plus à craindre que le démon lui-même : car elle avait retiré de ses contemplations intérieures la conviction" que nous serions tombés moins bas, si Adam n'avait pas rejeté la faute sur Ève et celle-ci sur le serpent." Aussi s'accusa-t-elle avec le plus grand chagrin de prétendus péchés mortels pour lesquels elle voulait à peine accepter une atténuation de la bouche de son confesseur. Elle se souvenait de s'être une fois querellée avec un enfant et d'avoir répondu à un autre par un proverbe satirique ; elle était fermement persuadée que c'étaient là des péchés mortels, car elle avait entendu dire au maître d'école que Dieu avait commandé de tendre l'autre joue à l'offenseur qui vous aurait donné un soufflet.
De même, au témoignage d'Overberg, sa charité pour le prochain était, dans un âge aussi tendre, arrivée déjà à un si haut degré, que c'était toujours un très grand plaisir pour elle que de pouvoir donner une marque d'affection à quelqu'un dont elle avait reçu une offense. C'est pourquoi elle confessa ses soi-disant péchés mortels avec une contrition si vive, qu'elle croyait, dans son effroi, que le confesseur allait lui refuser l'absolution ; mais il lui dit pour la consoler : " Enfant, tu ne peux pas encore faire de péché mortel, " et elle fondit en larmes, au point qu'il fallut l'emporter du confessionnal.
Ses parents lui avaient donné sept pfennigs pour acheter du pain blanc comme les autres enfants après sa confession mais elle les donna à un pauvre, afin que Dieu lui accordât le pardon de ses péchés. Plus tard, quand elle retourna à confesse, ses parents lui donnèrent chaque fois sept pfennigs pour avoir du pain blanc. Elle en achetait bien, mais non pas pour elle, et elle rapportait le tout à la maison pour ses parents.

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:37

2. Dans une des confessions suivantes, elle fut encore fort troublée et fort tourmentée. Elle avait entendu sa mère parler avec une autre femme d'une certaine défunte dont l'âme, disaient-elles, ne pouvait trouver de repos. Sa compassion pour cette âme fut si vivement excitée par là qu'elle s'en occupait continuellement dans son cœur et dans ses prières et qu'involontairement elle cherchait aussi pour elle d'autres intercesseurs. Un jour, elle était au moment de communiquer ce qu'elle avait entendu, disant : " La défunte n'a pas. . . , " mais alors elle fut saisie d'une telle angoisse, qu'elle se trouva hors d'état de prononcer un mot de plus. La pensée lui était venue tout à coup qu'elle ne serait plus en mesure de réparer ce péché de médisance, puisqu'elle ne pourrait pas demander pardon à une morte. Elle ne put retrouver le calme tant qu'elle n'eut pas confessé cette inadvertance. Or, cette frayeur n'était pas un scrupule exagéré chez Anne Catherine, mais l'effet de sa grande pureté de conscience, comme on le voit par le fait suivant, que son père Bernard se plaisait à raconter.
" Lorsqu'elle commença à lire, disait-il, elle aimait à se mettre par terre, près du foyer, avec un livre de prières, et à rassembler les copeaux enflammés. Un jour, son père travaillait à réparer l'établi d'un voisin où il voulait ajuster un nouveau morceau de bois. Anne Catherine ramassa les copeaux qui tombaient, mais elle prit seulement ceux du morceau de bois neuf pour les mettre au feu. Son père lui ayant demandé pourquoi elle ne ramassait pas aussi les autres copeaux, elle répondit : " Je prends seulement ceux du nouveau morceau de bois, car les autres qui tombent de l'établi ne nous appartiennent pas." Là-dessus, le père tout ému regarda la mère et dit : " C'est vraiment une singulière enfant." Quand le feu ne flambait plus au foyer et que ses parents étaient allés se coucher, Anne Catherine cherchait souvent les petits morceaux de bois brillants encore, pour pouvoir lire dans son livre de prières. Elle regarda d'abord cela comme une chose permise, mais plus tard elle s'en confessa avec un vif repentir, et il ne lui arriva plus jamais de s'approprier la plus petite chose sans en avoir demandé la permission à ses parents.

3. Ce fut dans sa douzième année qu'Anne Catherine fit sa première communion. Depuis le jour de son baptême, son âme se trouvait si fortement attirée vers le très saint Sacrement qu'elle éprouvait dans son voisinage un merveilleux sentiment de joie et de bonheur qui se communiquait même à son corps. Elle n'était jamais dans la maison de Dieu sans être accompagnée de son ange et sans voir, dans la manière dont celui-ci adorait le très saint Sacrement, le modèle du respect avec lequel l'homme mortel doit s'en approcher. Elle avait appris dans ses visions, et le Sauveur lui-même lui avait enseigné, quelle était la magnificence, la grandeur de ses mystères : cela lui avait inspiré un tel respect pour le sacerdoce de l'Église catholique, que rien sur la terre ne lui paraissait comparable en dignité et que, comme nous le verrons plus tard, il n'y avait aucune offense qu'elle se chargeât d'expier, par de plus terribles souffrances que les péchés des prêtres. S'agenouillait-elle devant l'autel, elle n'osait pas regarder d'un autre côté. Son cœur et ses yeux s'attachaient au très saint Sacrement et le silence du lieu saint correspondait au recueillement solennel de son âme. Elle parlait à Jésus dans le sacrement avec une ferveur pleine de confiance et lui chantait les jours de fête les hymnes de l'Église. Mais, comme elle ne pouvait s'arrêter dans les églises aussi longtemps qu'elle l'eût désiré, en faisant sa prière nocturne, elle se tournait comme involontairement vers le point de l'horizon où elle savait qu'était le tabernacle d'une église.

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:38

4. L'ardent amour qui enflammait son cœur l'avait poussée, dès ses premières années, à faire la communion spirituelle : mais quand vint le moment où elle eut à se préparer à la réception réelle de l'Eucharistie, elle ne crut jamais en pouvoir faire assez. La grandeur de son désir n'était égalée que par le soin avec lequel elle s'efforçait de rendre son âme digne de recevoir l'hôte céleste. Elle s'appliqua à repasser de nouveau dans sa mémoire tous les instants de sa vie, afin de paraître pure devant son Seigneur et son Dieu. Plus encore qu'à sa première confession, elle était pénétrée de la crainte de porter en elle une tache par suite d'une ignorance coupable et elle n'était pas peu tourmentée par la pensée qu'elle n'avait peut-être pas confessé ses fautes aussi sincèrement et aussi complètement que Dieu le voulait, car elle n'avait jamais cessé de se regarder comme la pire de tous les enfants et son humilité ne tolérait ni échappatoire ni excuse. Elle pria instamment son père et sa mère de lui venir en aide pour arriver à la parfaite connaissance de ses péchés ; elle leur disait" Je ne veux pas de secret, pas de replis dans mon cœur. S'il venait à moi un ange dans lequel je verrais un repli, je ne pourrais m'empêcher de dire qu'il a part avec le mauvais esprit, lequel cherche à se cacher dans les recoins et les replis des cœurs." Le jour de la communion, elle tint ses yeux fermés en allant à l'église, afin qu'aucun objet ne pût les frapper et troubler le recueillement de son esprit. Elle était si remplie du désir de se donner entièrement et parfaitement à Dieu et de consacrer à son service toutes les puissances de son âme et de son corps, qu'elle s'offrait sans cesse au Seigneur pour se sacrifier à sa gloire et au salut du prochain. Voici ce que rapporte Overberg à ce sujet" Lors de sa première communion, Anne Catherine n'a pas demandé beaucoup de choses à Dieu : elle priait par dessus tout pour qu'il fît d'elle une enfant tout à fait bonne, qu'il la fît devenir telle qu'il la voulait. Elle se donna à Dieu tout entière et sans réserve."

5. On peut juger combien fut sérieuse l'offre dévouée de cette enfant et combien fut agréable à Dieu le zèle ardent avec lequel elle se prépara à recevoir la très sainte Eucharistie, en considérant les effets surprenants que le sacrement produisit dans son cœur. L'amour divin s'y alluma si fortement qu'Anne Catherine se sentit poussée à une vie de mortification et de renoncement telle que la règle la plus rigoureuse n'aurait pu la prescrire avec plus de sagesse à un moine pénitent dans le cloître ou à un anachorète dans le désert. Quand nous ne posséderions touchant Anne Catherine d'autre témoignage, que celui d'0verb-erg sur l'influence de sa première communion, cela seul suffirait pour reconnaître quelque chose d'extraordinaire dans les lumières, l'énergie héroïque et l'ardent amour d'une âme qui, dès sa douzième année, sans direction ni suggestion venue du dehors, sous la seule influence de la lumière et de l'action du Saint-Sacrement, put s'imposer une lutte intérieure et extérieure et un renoncement de soi-même aussi complet, et y persister avec une fidélité aussi opiniâtre que le fit Anne Catherine. Toutes les voies par lesquelles un bien créé peut gagner l'attachement de l'homme et éloigner son cœur de Dieu furent strictement fermées par elle aux créatures et à leurs appâts, de façon à ce que Dieu, son Seigneur, qui avait daigné entrer en elle, possédât seul et gouvernât son cœur. Overberg s'exprime ainsi à ce sujet : " A dater de ce jour, ses efforts pour se renoncer et se mortifier devinrent encore plus constants et plus sérieux qu'auparavant, car elle avait la ferme persuasion que, sans la mortification, il est impossible de se donner entièrement à Dieu. Ce fut son amour pour Jésus-Christ qui lui apprit cela, et c'est pourquoi elle disait : " J'ai souvent vu que l'amour des créatures peut porter beaucoup de personnes à des oeuvres grandes et difficiles ; pourquoi l'amour de Jésus ne pourrait-il pas faire beaucoup plus encore ?" Anne Catherine mortifiait ses yeux en les fermant ou en les détournant lorsqu'il y avait à voir quelque chose de beau et d'agréable ou qui pouvait piquer la curiosité ; dans les églises spécialement, elle n'accordait à ses yeux aucune liberté. Elle se disait : " Ne regarde pas ceci et cela ; cela pourrait te troubler, ou tu pourrais y prendre trop de plaisir. Et à quoi te servirait de le voir abstiens-toi pour l'amour de Dieu." Si l'occasion se présentait d'entendre quelque chose d'agréable, de nouveau ou d'amusant, elle se disait : " Non ! Je ne prête pas mes oreilles à cela. Je m'abstiendrai de l'entendre pour l'amour de Dieu."
" Elle mortifiait sa langue en taisant ce qu'elle eût aimé à dire : elle ne mangeait rien à quoi elle eût trouvé bon goût. Quand ses parents s'en apercevaient, ils prenaient cela pour du caprice et la forçaient par leurs reproches à manger quelquefois de ces aliments. Elle mortifiait ses pieds quand elle avait envie d'aller en tel ou tel endroit, sans y être appelée par le devoir ou par un motif charitable ; elle se disait alors : " Non ! Je n'y vais pas : il vaut mieux m'en abstenir pour l'amour de Dieu, car j'aurais peut-être à m'en repentir." Elle avait aussi coutume de faire pieds nus le grand chemin de la croix de Coesfeld. Elle refusait au penchant intérieur qui l'y poussait bien des plaisirs qu'elle aurait pu prendre sans danger. Elle châtiait son corps avec des orties, des cordes et des ceintures de pénitence. Pendant longtemps elle se servit, pour prendre son sommeil, d'une double croix de bois, ou bien elle posait deux traverses sur deux pièces de bois plus longues, afin d'y prendre le court repos de la nuit."

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:38

6. Après la sainte communion, Anne Catherine eut une vision dans laquelle elle assista avec sainte Cécile, comme si elle eût été sa contemporaine, au service divin dans les catacombes.
" Je m'agenouillai, raconta-t-elle, dans une salle souterraine : cela ressemblait à une mine. Beaucoup de personnes étaient agenouillées par terre. Des flambeaux étaient attachés aux murs et il y avait aussi deux flambeaux sur l'autel de pierre qui avait un tabernacle également en pierre avec une porte. Un prêtre disait la sainte messe et le peuple lui répondait. A la fin, il tira du tabernacle un calice qui me parut être de bois. Il y prit le Saint-Sacrement et le donna aux assistants sur de petits linges blancs qu'ils placèrent avec soin sur leur poitrine. Ensuite ils se séparèrent." Cette vision devait être pour Anne Catherine la confirmation que Dieu l'avait exaucée en acceptant le sacrifice de son âme et de son corps qu'elle voulait lui offrir. La pureté de son cœur et l'austérité de sa vie la rendaient digne de figurer dans cette sainte cohorte des premiers chrétiens qui puisaient dans le Saint-Sacrement la force de mourir dans les supplices. Sa vie aussi devait être un martyre incessant pour lequel elle avait à puiser à la même source le courage et la force. Semblable à Cécile, il lui faudra souffrir pour la foi à une époque de persécution non sanglante, mais tout aussi pleine de périls pour l'Église, et glorifier le Sauveur avec l'héroïsme des anciennes Vierges martyres, quand il sera renié et abandonné par des multitudes d'hommes.

7. Suivant le témoignage d'Overberg, Anne Catherine divisait le temps qui s'écoulait d'une communion à l'autre de manière à ce que la première moitié de ce temps fût consacrée à l'action de grâces, la seconde moitié à la préparation pour la communion future. Elle appelait tous les saints à remercier Dieu et à prier Dieu avec elle. Elle conjurait Dieu, au nom de son amour pour Jésus et pour Marie, de daigner préparer son cœur à recevoir son Fils bien-aimé. Lorsqu'elle reçut la sainte communion pour la seconde fois, il lui arriva quelque chose où l'on peut voir un symbole de son rapport intime avec le Saint-Sacrement et des grâces qu'elle y recevait pour elle-même et pour d'autres. Elle devait partir avant le jour avec sa mère pour aller communier à Coesfeld. Ses plus beaux habits étaient dans le coffre de sa mère. Comme elle voulait les prendre, elle y vit de beaux pains très blancs. Elle crut d'abord que sa mère les avait mis là pour la mettre à l'épreuve, mais elle en trouva une telle quantité, qu'il lui fallut tout dépaqueter pour les voir tous ensemble. A peine les avait-elle remis dans le coffre, que sa mère, impatiente de ce qu'elle tardait, vint à elle et la fit sortir en telle hâte qu'elle oublia de mettre un mouchoir autour de son cou. Elle ne s'en aperçut que hors de la maison, mais elle n'osa pas revenir sur ses pas et suivit sa mère, craignant beaucoup qu'elle ne se retournât et ne découvrît ce qui manquait à son habillement. Elle pria de tout son cœur pour que Dieu lui vînt en aide ; et, lorsque sa mère arriva à un endroit glissant du chemin, Anne Catherine sentit qu'on lui enveloppait le cou d'un mouchoir, avant que celle-là se retournât vers elle pour lui tendre la main et la tirer à sa suite. La joie et l'étonnement que causa à Anne Catherine une assistance venue si soudainement la bouleversèrent à ce point qu'elle pouvait à peine suivre sa mère, et que celle-ci la gronda à cause de son étrange attitude. Arrivée à l'église, elle se confessa en pleurant de la curiosité qui lui avait fait tirer les pains du coffre. Mais son désir amoureux du Saint-Sacrement devint semblable à une flamme, en sorte qu'elle ressentit dans la poitrine et sur la langue une ardeur inexprimable. Elle regarda ce feu comme une punition de sa curiosité, perdit presque connaissance dans son inquiétude, et fit toucher à sa langue une petite image en parchemin des cinq plaies du Sauveur, afin d'y trouver un soulagement, qui lui fut accordé en effet. Mais, lorsqu'elle alla à la sainte table, elle vit le Saint-Sacrement venir à elle sous une forme lumineuse et disparaître dans sa poitrine pendant qu'elle le recevait sur la langue de la main du prêtre. Sa poitrine et sa langue s'enflammèrent plus violemment qu'auparavant, et sa bouche resta brûlante lorsqu'elle revint de l'église, en sorte qu'elle essaya de la rafraîchir avec ses gants restés frais. Alors revint son inquiétude à l'endroit du fichu, d'autant qu'elle avait découvert qu'il était beaucoup plus beau que le sien." Il a des franges, se dit-elle ! Que va dire ma mère ?" Arrivée à la maison, elle le posa, toute tremblante, sur son lit : mais lorsqu'elle voulut le regarder de nouveau, il avait disparu, à sa grande consolation, sans que sa mère l'eut aperçu. La provision de beaux pains, qui n'avaient été visibles que pour Anne Catherine, se rapportait aux riches dons qu'elle devait recevoir, grâce à sa bonne préparation à la sainte communion, pour les distribuer et en nourrir spirituellement des indigents et des affamés. Ils étaient placés près de ce qui lui appartenait, cachés sous ses habits, en signe qu'elle-même en ferait la distribution et que ses mérites s'en accroîtraient. Elle devait en faire la plus large aux plus nécessiteux, c'est-à-dire aux pauvres âmes du purgatoire, pour lesquelles elle avait coutume d'offrir tous ses actes. C'est pourquoi elles lui témoignaient leur gratitude par la prière et l'assistance, autant que cela leur était possible, et c'est à elles qu'Anne Catherine était redevable du mouchoir qui l'avait si promptement recouverte.

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Message par Charles-Edouard Mer 18 Jan 2012 - 13:39

8. A cette époque, son confesseur de Coesfeld était un ancien Jésuite, le vieil et respectable père Weidner. Voici ce qu'elle en racontait" Le père Weidner était mon confesseur. Il logeait avec ses sœurs à Coesfeld. Les jours de dimanche, il me fallait aller à la première messe et ensuite faire la cuisine, afin que les autres pussent aller à l'église. Le café n'était pas alors aussi commun qu'aujourd'hui et, quand j'avais mis de côté deux stuber, j'allais, après la messe du matin, chez les sœurs du père Weidner, deux pieuses filles qui vendaient du café. J'y allais avec plaisir, car le vieux monsieur et ses sœurs vivaient ensemble bien paisiblement et bien pieusement, et ils étaient bien doux et bien unis. Quand mes parents revenaient de l'église à la maison, ils trouvaient un peu de bon café que je leur avais préparé, ce qui leur était très agréable."

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