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Vie d'Anne-Catherine Emmerich tome 2

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:44

VIE D’ANNE-CATHERINE EMMERICH
Tome 2

TOME DEUXIEME (1819-1824)

APPROBATION


Comme le second ouvrage intitulé : Vie d'Anne-Catherine Emmerich par le P. Schmoeger, de même que le premier, ne contient rien de contraire à l'enseignement de l'Église catholique, quant au dogme et à la morale, mais, au contraire, lu en esprit de piété, peut beaucoup contribuer à l'édification des fidèles, nous accordons aussi avec plaisir à ce volume, après examen préalable, l'approbation qui nous a été demandée par l'auteur.
Pierre Joseph, évêque de Limbourg

PRÉFACE

C'est une nouvelle preuve du respect et de l'affection dont le nom d'Anne-Catherine Emmerich est entouré chez les fidèles des pays les plus divers, que très peu de temps après la publication du premier volume de sa biographie, il en ait été publié une traduction française (note) et une traduction italienne accompagnées d'approbations épiscopales, en sorte que maintenant le second volume peut paraître simultanément en trois langues. Ce fait si satisfaisant faisait à l'auteur un devoir d'autant plus rigoureux de n'épargner aucune peine pour faire connaître aussi fidèlement que possible tout ce qu'a été et tout ce qu'a fait cette personne favorisée de Dieu. Il ose dire, sans vouloir en tirer vanité, qu'à notre époque si productive en écrits de toute espèce, peu de livres, proportion gardée, arriveraient à la publicité, si leur composition présentait d'aussi grandes difficultés que celui-ci.

(note) Vie d'Anne-Catherine Emmerich, par le P. Schmoeger, traduite par l'abbé de Cazalès, tome 1er Paris, Ambroise Bray, 1868.
Vita della serva di Dio Anna Caterina Emmerich, tradolta dal marchese Cesare Boccella. Torino. Marietti. 1869.

Le Pèlerin lui-même a bientôt trouvé trop rebutante la tâche de mettre en état d'être publiées les notes journalières prises par lui, lesquelles ont été la principale source où l'auteur du présent livre a puisé. En outre les tentatives faites par d'autres personnes ont échoué contre les difficultés que présentait le triage des matériaux qui y sont accumulés. L'auteur, lui aussi, a souvent perdu courage parce qu'il lui semblait qu'il ne pourrait trouver d'issue pour sortir de ce labyrinthe. Ce n'est que la ferme conviction qu'il rendait un témoignage touchant les voies merveilleuses de Dieu, les conseils et les encouragements du P. Capistran de Kaltern, homme très expérimenté en ces matières, mais surtout le secours non interrompu des prières dont Marie de Moerl a accompagné son travail depuis 1858 jusqu'à sa bienheureuse mort qui l'ont rendue capable de mener à terme l’oeuvre une fois commencée.

Anne-Catherine elle-même avait désigné les notes recueillies par le Pèlerin « comme un jardin touffu où il n'y avait pas de chemin. » Dès le mois de mars 1820, elle raconta la vision qui suit, bien remarquable par la manière surprenante dont elle s'est réalisée : « Je me trouvai dans un jardin que le Pèlerin cultivait. Il y avait poussé une multitude de plantes touffues et verdoyantes mais le Pèlerin, en les mettant en terre, les avait tellement serrées les unes contre les autres qu'il n'y avait pas de chemin pour y arriver. Le Pèlerin me conduisit dans la petite maison du jardin autour de laquelle il cultivait du cresson d'eau formant une masse très touffue (note). »

(note) La manière dont cette vision s'est réalisée est racontée dans le XVème chapitre.

Plus tard elle répéta encore à plusieurs reprises : « J'ai vu le jardin du Pèlerin : beaucoup de plantes y ont poussé, mais il n'y a pas de chemin, tout est couvert de végétation. Il doit pourtant continuer à recueillir. » Ou bien encore : « Je vis le jardin du Pèlerin tellement encombré par la végétation que lui seul pouvait s'y frayer une voie ; les autres se plaignaient de ce qu'on ne pouvait pas y entrer ni s'y promener. Le jardin était couvert de fleurs et prospérait merveilleusement auprès d'une terre inculte et stérile. A l'entrée du jardin s'élevait un buisson de roses tout entouré d'épines. Le Pèlerin et d'autres encore auraient bien aimé y cueillir des roses, mais ils se piquaient aux épines. J'en vis un qui voulut prendre de ces roses, mais il se piqua si fort qu'il en poussa des cris. » Rien ne peut être plus frappant que ces tableaux. Le seul chemin qu'eût le Pèlerin dans son jardin si obstrué par la végétation, représente les sept jours de la semaine auxquels il rattachait sans distinction ce qu'il voyait et entendait près d'Anne-Catherine, ce qu'elle lui racontait de ses visions, les impressions que produisaient en lui ces communications et, en outre, les sentiments de sympathie ou de répulsion que lui inspiraient les personnes du plus proche entourage de la voyante ou les visiteurs qu'il rencontrait près de son lit, enfin ses propres affaires et celles de ses amis les plus intimes. Ces matériaux très mélangés forment le contenu de ses manuscrits desquels l'auteur du présent livre a eu à tirer ce qui était nécessaire pour son but. Au reste, le Pèlerin ne pouvait former d'avance d'autre plan que de rapporter tout aussi fidèlement et aussi complètement que possible, et comme la vie intérieure et l'action de cette créature favorisée du ciel étaient pour lui un mystère dont il ne pouvait apprendre que ce qu'elle-même lui communiquait avec l'autorisation de ses directeurs spirituels : Overberg et Limberg, il prenait note de tout cela aussi bien, que les circonstances le permettaient et réservait ce qui lui semblait obscur et inintelligible pour un examen futur plus approfondi. L'auteur, dans ce qu'il en a tiré, s'est tenu aussi fidèlement que possible à la lettre de la première rédaction. Toutefois ce n'était que le plus petit nombre des visions qui pouvait être raconté en une seule fois au Pèlerin par Anne-Catherine et être rédigé par lui tout d'un trait. Des compléments, des additions, des corrections se succédaient dans l'intervalle de plusieurs jours, souvent éloignés les uns des autres Assez souvent l'auteur n'a trouvé la clef d'une vision, après de longues et pénibles recherches, que dans une parole de la voyante conservée par hasard et à peine remarquée, ou dans une comparaison attentive avec d'autres visions rapportées précédemment ou plus tard. Ç'a été particulièrement le cas pour la vision très importante de ce qu'elle appelle la maison des noces (note), laquelle se montre comme le point central de tout ce qui a été fait en vision par Anne-Catherine. Le Pèlerin ne put jamais voir bien clair dans cette vision, mais heureusement il avait conservé tant de communications faites par Anne-Catherine sur ce sujet que l’auteur, après s'être donné pour cela une peine incroyable, a pu parvenir à pénétrer plus avant dans l'intelligence de cette vision.

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:45

(note) Les détails se trouvent dans le VIIème chapitre.

Ce n'est qu'alors qu'il a pu saisir l'ordonnance intérieure et la signification de l'oeuvre immense accomplie par la prière de cette âme privilégiée au profit de l'Église tout entière et de quelques-uns de ses membres et qu'il s'est trouvé en meure de présenter sous son vrai jour l'histoire de sa vie.

A cette occasion, l'auteur fait remarquer que, dans le second, comme dans le premier volume, indépendamment des sources citées dans le texte, il a tiré chacun des traits appartenant à l'enfance, à la jeunesse et à la vie postérieure d'Anne-Catherine des notes écrites par Wesener et par le Pèlerin, lesquels conservaient avec soin tous les renseignements qu'ils pouvaient obtenir d'elle-même, de son confesseur, de ses anciennes consoeurs et des autres personnes en rapport intime avec elle, touchant les particularités de sa vie. En outre il a eu la bonne fortune d'avoir a sa disposition un nombre très considérable de lettres inédites du Pèlerin, écrites par celui-ci, depuis l'époque de son séjour à Dulmen jusque peu avant sa mort, à des personnel en qui il avait la plus grande confiance et qui étaient de celles qu'il aimait et respectait le plus. L'auteur s'étant engagé, sur sa parole sacerdotale, à la plus grande discrétion en ce qui touche ces lettres intimes qui lui ont été confiées, il ne peut dire ici qu'une seule chose, c'est que leur contenu est devenu pour lui la preuve la plus claire de l'influence bénie et durable exercée sur le Pèlerin par ses rapports avec Anne-Catherine. Parmi les contemporains qui ont eu des relations habituelles avec Anne-Catherine et qu'elle a honorés à un degré plus qu'ordinaire de son affection et de sa confiance, deux personnes seulement vivent encore : mesdemoiselles Apollonie Diepenbrock et Louise Hensel. Toutes deux sont venues en aide à l’auteur avec la plus grande bienveillance par des communications verbales et écrites.

Le Pèlerin lui-même, en l’année 1831, avait soumis à un remaniement les premiers mois seulement de son séjour à Dulmen : mais l’auteur n'a pas fait usage de ce travail parce qu'il ne s'accorde pas avec la lettre de la première rédaction. Le Pèlerin ne voulait pas se copier lui-même et pour cela il remaniait son journal d'après des visions et des faits postérieurs, si bien qu'il en fut lui-même mécontent et abandonna pour toujours toute tentative ultérieure de ce genre. Mais il avait rendu ce travail encore plus difficile pour lui par des notes d'une autre nature qui ne peuvent pas être passées sous silence ici. Ainsi toutes les fois qu'Anne-Catherine était empêchée par des dérangements extérieurs de lui communiquer quelque chose de ce qu'elle avait vu dans ses contemplations, il remplissait son journal de plaintes contre le confesseur et contre l’entourage qui étaient, à ses yeux, la vraie cause de ces interruptions intolérables pour lui. Comme il répétait ces mêmes plaintes dans des lettres confidentielles qui ont été publiées après sa mort, l’auteur n'a pas pu éviter d'en tenir compte. Ceux auxquels les lettres étaient adressées connaissaient le tempérament irritable du Pèlerin, ainsi que les circonstances et les relations au milieu desquelles ces lettres avaient pris naissance : et ainsi elles n'avaient pas pour eux le caractère d'âpreté qu'elles ne peuvent manquer d'avoir pour des lecteurs restés étrangers à tous ces détails. Il fallait donc que l'auteur s'appliquât, dans un esprit de justice impartiale, à exposer clairement et consciencieusement le véritable état des choses, afin que chaque lecteur pût se former une opinion sûre et bien motivée, quant à la culpabilité ou à l’innocence des personnes jugées souvent avec tant de sévérité par le Pèlerin et quant à toute la situation extérieure d'Anne-Catherine. L'auteur s'y est senti d'autant plus engagé que lui-même n'a pu que difficilement se dérober à l’influence des plaintes si fréquentes du Pèlerin et n'a pu découvrir et éclaircir la pure vérité qu'après un long et scrupuleux examen. Il est fermement convaincu qu'en cela il se conforme entièrement aux intentions du Pèlerin lui-même qui, dix ans avant sa mort, nourrissait déjà la pensée de conter la mise en oeuvre de ses notes à une autre personne, à la discrétion de laquelle il livrerait ses manuscrits sans en retrancher une seule ligne, pour qu'elle pût en apprécier le contenu avec une consciencieuse impartialité. Plus s'éloignait dans le passé le moment où le Pèlerin s'était vu séparé d'Anne-Catherine, plus il lui devenait facile de reporter ses regards avec tranquillité sur les années de son séjour à Dulmen et moins il pouvait se décider à se blesser de nouveau aux « épines » que la faiblesse humaine lui avait fait planter autour « des roses de son jardin ». Si, dans celte disposition d'esprit qui lui faisait voir les choses plus clairement et avec plus d'indulgence, il n'avait pas senti que ce serait supprimer des documents très importants et très utiles pour faire bien juger Anne-Catherine que d'effacer sur son journal tous les témoignages de ses rapports personnels avec elle et avec son confesseur, il aurait certainement pris ce parti. Mais, avec une droiture et une force d'âme tout à fait rares, il conserva intégralement tout ce qu'il avait écrit, afin que son blâme comme sa louange rendît témoignage pour la servante de Dieu.

En terminant, l'auteur, entièrement soumis aux décrets d'Urbain VIII, déclare qu'il n'attribue et demande qu'on n'attribue qu'une crédibilité purement humaine aux faits et incidents extraordinaires dont il est question dans le présent livre.

P. SCHMOEGER.

Couvent de Gars, fête de saint Jean-Baptiste, an 1870.

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:45

CHAPITRE I

RETOUR DU PÈLERIN A DULMEN.
PRÉSAGES AVANT-COUREURS D'UNE NOUVELLE ENQUÊTE


1. Il était devenu très pénible pour le Pèlerin de quitter Dulmen : mais Anne-Catherine lui avait rendu le calme par ses bonnes paroles. " Nous nous reverrons, lui disait-elle ; vous goûterez encore ici bien des consolations et vous écrirez bien des choses près de moi. Je sais que je serais déjà morte si ce que j'ai à dire ne devait pas arriver par vous à la connaissance de tous. " Le père Limberg aussi lui avait promis qu'on l'accueillerait de nouveau. Seulement il ne fallait pas qu'il revint trop vite, et on voulait avoir l'assurance que sa présence presque continuelle ne serait pas, comme elle l'avait été, un fardeau insupportable pour la malade et pour son entourage. Certes le confesseur, comme l'abbé Lambert et Wesener, aurait été fort content que le Pèlerin s'en allât pour ne plus revenir : il l'avait trop vu à l'épreuve depuis trois mois et demi pour ne pas savoir d'avance ce qu'il avait à attendre de lui en dépit de toutes ses protestations ; toutefois devant la ferme persuasion qu'Anne-Catherine avait besoin du Pèlerin pour accomplir sa tâche, toute autre considération devait être mise de côté. Mais ce que le Pèlerin pouvait à peine soupçonner, c'était combien il était devenu pénible pour la malade elle-même de l'autoriser à revenir et combien elle avait eu à souffrir jusque-là. Il ne pouvait pas sans doute se dissimuler que son voisinage, ses questions et les démonstrations ardentes de son impatiente curiosité avaient été pour elle une occasion de dérangements très pénibles et d'efforts très fatigants, mais l'impression qu'il en avait ressentie s'était toujours promptement dissipée chez lui. Le 21 décembre 1818, il avait encore écrit dans son journal : " Je l'ai trouvée très épuisée ce matin. Elle avait cousu et taillé des vêtements pour des enfants pauvres. Là-dessus vinrent mes questions qu'elle supporta avec une patience inexprimable. Elle paraissait très faible et très échauffée : elle ne répondit qu'avec effort. Plus tard, elle me demanda si, par suite de son épuisement, elle n'avait pas plusieurs fois redit les mêmes choses ; je ne remarquai pas ce grand abattement ; toutefois je lui demandais pardon chaque fois que je l'interrogeais, mais elle me dit : " Cela ne fait rien. " Ainsi dans tout ce qu'il avait noté, il n'avait fait attention qu'à cette seule chose : " Cela ne lui fait rien ! " Souvent Anne-Catherine cherchait à calmer cet homme si facile à irriter et encore si peu accoutumé à prendre sur lui, qui, dans un instant, pouvait passer de l'humeur la plus enjouée à la plus profonde tristesse et aux plaintes les plus amères ; elle lui disait à cet effet : " Jamais encore je n'ai été si confiante envers personne qu'envers vous : je ne me suis jamais ouverte à d'autres comme à vous ; mais il m'a été ordonné d'agir ainsi." Alors le Pèlerin n'était que trop porté à attribuer cette confiance à son influence personnelle et il s'affermissait de plus en plus dans la persuasion qu'il était le seul qui sût la comprendre et qu'il était autorisé à éloigner d'elle, autant que possible, tout ce qui pouvait la déranger, c'est-à-dire toutes les autres personnes. A peine s'était-il réinstallé à Berlin depuis quelques semaines, qu'il lui parut impossible de rester plus longtemps éloigné de Dulmen d'où il était parti le 18 janvier, et qu'il prit des mesures pour s'y établir à demeure aussitôt que possible. La lettre où il annonçait ce projet fit sur l'abbé Lambert une impression difficile à décrire. Il conjura la malade, les larmes aux yeux, d'empêcher le retour de cet hôte importun. Elle parvint d'autant moins à calmer ce vieillard, d'ailleurs si bienveillant et si timide, que Wesener appuya sa requête. Tous les deux croyaient ne pouvoir compter que sur une très courte prolongation de la vie de la malade c'est pourquoi ils ne voulaient à aucun prix se laisser ravir les fugitifs instants de consolation qu'ils trouvaient dans leur commerce avec elle par un intrus dont la supériorité intellectuelle les écrasait et qui cherchait à leur faire sentir à chaque instant qu'ils n'étaient pas même capables de comprendre la mission de cette âme privilégiée et son importance.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:46

2. Il était aussi survenu des événements qui portaient à son comble l'angoisse du vieux prêtre, en lui faisant craindre de voir recommencer pour la malade et pour lui-même le supplice d'une nouvelle enquête. Or, si elle devait avoir lieu, le retour du Pèlerin menaçait d'en faire pour lui quelque chose d'absolument intolérable ; non seulement le Pèlerin attirait déjà l'attention générale dans le pays de Munster, mais encore il excitait l'hostilité et les soupçons de beaucoup de personnes, à cause de la liberté sans ménagement de son langage. A Dulmen même, toute sa manière d'être était un phénomène si inaccoutumé, ou plutôt si inexplicable, que personne ne pouvait comprendre comment cet étranger avait pu trouver si fréquemment accès auprès de la malade : il n'était donc pas étonnant que les jugements les plus contradictoires circulassent à son sujet ; seulement sa charité envers les pauvres, sa piété et la rare simplicité de sa manière de vivre avaient fait tomber plus d'une critique. Ce n'était pas sans raison que, l'abbé Lambert redoutait une nouvelle enquête, car, par le fait du Pèlerin lui-même, le bruit s'était répandu à Munster que, depuis de jour de Noël 1818, il était survenu des changements quant aux effusions de sang des stigmates. Le 6 décembre, Anne-Catherine, étant en extase, s'était ainsi exprimée : " Mon conducteur m'a dit : " Si tu veux ne plus avoir les plaies, tu n'en auras que de plus grandes souffrances. Dis-le à ton confesseur et fais ce qu'il voudra. " A quoi elle avait répondu : " J'aime mieux les souffrances que les plaies ; je suis si timide, cela me donne tant de confusion. " Encore le 23 décembre, Wesener put écrire ces mots dans son journal : " Depuis la fin d'octobre, j'ai visité chaque jour la malade : cependant je n'ai trouvé aucun changement marquant ni aucun nouveau phénomène dans son état physique. Au commencement de novembre, nous l'avons fait changer de chambre et l'avons portée dans la pièce plus petite attenante à celle qu'elle occupait. Comme, à cette occasion, il s'est fait un grand bruit, nous nous sommes convaincus de nouveau de la faiblesse et de l'irritabilité de ses nerfs : car elle fut entièrement étourdie par le tapage et elle eut des vomissements : cela dura environ quinze jours ; après quoi, elle se remit un peu. Les effusions de sang aux mains et aux pieds ont eu lieu tous les vendredis comme à l'ordinaire, et la tête aussi saignait toujours. " Mais dès le vendredi 25 décembre, il eut à noter ce qui suit : " Aujourd'hui, fête de Noël, la tête, la croix de la poitrine et la plaie du côté ont saigné plus fort qu'elles n'avaient fait depuis longtemps : mais en même temps la peau est restée blanche et sèche autour des stigmates des mains et des pieds ; les croûtes étaient d'un brun clair.

" 28 décembre. Aujourd'hui les croûtes sont tombées des cicatrices des mains et des pieds. On voit dans la peau un point diaphane de forme allongée sur le dessus des mains et des pieds : mais à la partie opposée on sent dans la région des stigmates une petite induration également de forme oblongue. Les douleurs n'ont point disparu avec la chute des croûtes ; elles semblent même être devenues plus vives.

" Vendredi 1er janvier. Les plaies de la tête et du côté saignent comme à l'ordinaire. Celles des mains et des pieds restent sèches.

" Vendredi saint, 9 avril. La malade a été toute la semaine dans un état de détresse inexprimable. Elle souffrait cruellement à l'endroit des stigmates. A cela est venu joindre un catarrhe dans les bronches avec toux, douleurs de gorge et de poitrine. Les stigmates des pieds et des mains se sont rouverts aujourd'hui. Je les ai trouvés saignants à dix heures du matin. La malade me les montra avec tristesse et me pria de tenir la chose secrète.... Les vendredis suivants les plaies des mains et des pieds sont restées fermées, comme cela avait eu lieu depuis Noël. " Les anxiétés de la malade n'étaient que trop fondées : car, dès que le bruit se répandit à Munster que les stigmates des mains et des pieds avaient cessé de saigner, la police prussienne y vit une occasion venue fort à propos pour mettre à exécution le projet depuis longtemps formé de faire entrer la patiente de Dulmen dans le cercle de ses attributions. Dès le 18 février, Wesener eut à relater ce qui suit :

" Aujourd'hui la malade m'a fait prier de venir la voir pour avoir mon avis sur l'introduction auprès d'elle de deux personnes, le Dr Rave de Ramsdorf, médecin de district, et le vicaire Roseri, lesquels étaient venus avec un mandat particulier du président supérieur de Vinke pour examiner l'état actuel de la malade. J'engageai la malade à les recevoir et elle les reçut. Ils vinrent aussi me voir dans l'après-midi et m'interrogèrent sur les effusions de sang et sur d'autres particularités concernant la malade. On ne pouvait méconnaître chez le Dr Rave l'opinion préconçue qu'il y avait là une fourberie et le désir de la découvrir. Je le priai d'attendre, jusqu'au jour suivant où il pourrait lui-même être témoin de l'effusion de sang. »

« Vendredi 19 février. Les deux visiteurs ont fatigué la malade toute la matinée par de nouvelles interrogations sur des choses connues de tout le monde et même imprimées depuis longtemps. Mais au lieu d'attendre que les plaies saignassent, ils sont repartis vers midi. Plus tard, vers trois heures, la croix et la tête ont saigné, mais non la plaie du côté. J'ai envoyé à M. Overberg par le père Limberg la coiffe avec les taches de sang, après l'avoir montrée auparavant au bourgmestre Moellmann. Roseri appartient à la classe des soi-disant éclairés (1) : cependant il est parti autrement disposé qu'il n'était venu. Il semblait que Dieu eût touché son coeur (2).

(1) D'après une lettre de Wesener au pèlerin.
(2) En cela le bon Wesener s'était complètement trompé, comme la suite le montrera. La malade reçut sur ce personnage et sur quelques-uns de ses coopérateurs des avertissements donnés dans une vision dont elle raconta ce qui suit : " J'ai vu le Dr Rave plein de malice parler contre sa conviction et me calomnier pour plaire aux serviteurs de l'Aigle (le gouvernement prussien). Je croyais Roseri changé, mais il était essentiellement faux et il divaguait beaucoup. Je me dis alors : " Comment un tel prêtre peut-il être utile à la communauté ? " et je reçus pour réponse : " Il ne lui est pas plus utile que le beau livre ne l'est aux séparés. Il n'a pas de bénédiction en lui, cependant il peut distribuer ce que l'Église possède, quoique ne possédant rien lui-même. " Je vis le gouvernement de l'Aigle mal constitué dans ce pays. Le président supérieur a de bonnes intentions, mais il a un mauvais entourage. S'il pouvait venir me voir lui-même, je m'adresserais avec confiance à sa droiture pour le convaincre de la vérité. "


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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:46

Le médecin est un mondain, un autre Bodde : on pouvait lire dans ses yeux le désir de trouver une imposture. Il m'a beaucoup blâmé de n'avoir pas conservé les escarres des stigmates des pieds et des mains. " Quand on a le grain, " ai-je répondu, on laisse la balle de côté. Depuis que j'ai vu ce qu'il y a de plus remarquable dans la malade, les détails extérieurs m'ont moins intéressés chez-elle. " Il ne comprenait rien à cela. Peu de jours avant, l'abbé Lambert avait été requis de remettre au bourgmestre les papiers certifiant sa nationalité. L'ordre était venu directement du président supérieur et s'exprimait en ces termes : " J'ai appris qu'il se trouve à Dulmen un prêtre français émigré, dont la situation est équivoque.... " On peut penser à quel point des histoires de ce genre affectaient la pauvre malade et le pacifique Lambert. Il y a de nouveau dans tout le pays beaucoup de bavardages et de calomnies contre elle : mais elle a confiance dans la miséricorde de Dieu, et nous nous consolons de souffrir des affronts pour l'amour de Jésus-Christ et de la vérité. "

3. Comme le Dr Rave, en dehors du protocole officiel, avait fait circuler (note) une lettre privée qui n'y était pas conforme et qui était très défavorable à la malade, et comme cette lettre, se rattachant aux attaques plus anciennes de Bodde, menaçait de susciter de nouveaux orages, Wesener pensa à se porter comme défenseur de l'innocence par des déclarations publiques et par un mémoire qu'il voulait adresser au président supérieur à Munster.

(note) Le conseiller provincial Boenninghausen, dont nous aurons à nous occuper plus particulièrement par la suite, confessa à ce sujet « que le Dr Rave, outre son protocole, avait adressé à M. Borges, à Munster, un écrit où il communiquait sa manière de voir avec un peu plus de liberté ».

Mais Anne-Catherine s'y opposa, ce qui le porta à demander conseil à Overberg. Celui-ci répondit : « Combien je désire, depuis longtemps déjà, aller revoir les chers amis de Dulmen, parmi lesquels vous ne teniez pas la dernière place ! Mais il semble que Dieu ne le veut pas encore, car ou je suis retenu par la maladie, ou il survient quelque autre empêchement. Je voudrais bien vous expliquer les raisons pour lesquelles je ne puis conseiller d'écrire au président supérieur. Mais je remets cela au temps où nous pourrons communiquer de vive voix. Je ne puis pas conseiller non plus de faire insérer dans les journaux la déclaration qui m'a été communiquée. Toute réponse est une espèce de payement. On ne doit pas payer du plomb ou ce qui vaut encore moins que du plomb avec un poids à peu près semblable d'or pur. Il est écrit aussi : « Ne jetez pas les choses saintes aux chiens, ni les perles aux pourceaux. » Je suis bien éloigné de vouloir comparer un homme, quel qu'il soit, à un chien ou à un pourceau, mais il doit y avoir des hommes qu'on peut comparer à certains égards aux dits animaux, sans quoi le Sauveur, le Fils de Dieu infiniment sage, n'aurait pas donné cet avertissement... Rien n'est plus consolant et plus propre à donner de la joie que de souffrir, pour le Christ et avec lui, quelque chose de ce qu'il a souffert. Mais pourquoi attachez-vous assez d'importance à l'écrit de Bodde pour y voir une attaque très nuisible ? A combien de personnes n'ai-je pas entendu dire que cet écrit se trahit trop ouvertement lui-même pour pouvoir trouver des approbations et faire le moindre tort à l'honneur de quelqu'un ! »
Lorsque, plus tard, Wesener revint de nouveau devant Anne-Catherine sur le sujet des attaques publiques dirigées contre elle et déclara, au nom, de tous ses amis, qu'une réponse était nécessaire, elle lui répondit d'un ton grave et triste : « Ah ! dignes gens que vous êtes, je vous remercie tous de la part que vous prenez à ce qui me touche, mais je dois avouer aussi que chez vous tous, tous sans exception, une chose m'afflige beaucoup : c'est que vous mettez dans tout cela de la hauteur, de l'amour-propre, et par là même des sentiments d'amertume. Vous voulez, en défendant la vérité, défendre votre opinion, sauver votre réputation. Vous ne combattez pas seulement le mensonge, mais aussi les personnes qui vous sont contraires. En un mot, vous vous recherchez vous-mêmes et non pas seulement et exclusivement la gloire de Dieu. »

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:46

4. Le vicaire général de Droste, lui aussi, crut de son devoir de se rendre à Dulmen peur se convaincre personnellement de l'état de la malade. Il était venu à ses oreilles beaucoup de propos suivant lesquels l'accès auprès de la malade aurait été interdit par l'abbé Lambert au doyen et à certaines religieuses, tandis que, d'un autre côté, il y aurait eu des réunions du soir autour de son lit ; mais il fut facile à Anne-Catherine de faire à toutes les questions qu'il lui adressa des réponses satisfaisantes. Sa candeur enfantine fit encore sur lui la même impression irrésistible qu'autrefois ; aussi dit-il, moitié en plaisantant, moitié sérieusement : « J'ai été méchant pour vous, parce que beaucoup de choses me choquent dans votre entourage. » Elle répondit avec simplicité : « Cela me fait de la peine mais vous ne connaissez guère ma position, et il n'est pas possible de l'expliquer en quelques mots. » Là-dessus il lui signala les points qui lui étaient particulièrement désagréables, comme " le voisinage continuel du vieux Lambert, le long séjour du Pèlerin, les fréquentes visites qu'elle recevait, son établissement dans la grande salle, et non dans une chambre sur le derrière, d'accès difficile. » Alors elle lui demanda conseil, le priant de lui indiquer les moyens à prendre pour changer tout cela, pour tenir à distance le pauvre vieux prêtre et pour empêcher des visites qui lui étaient si à charge à elle-même ; mais il ne sut à quel parti s'arrêter. Toutefois, lorsqu'elle lui fit connaître les intentions du Pèlerin et l'avertissement si souvent reçu de la part de Dieu de se servir de celui-ci comme instrument pour la communication de ses visions, priant le vicaire général, comme son supérieur ecclésiastique, de vouloir bien prendre une décision à cet égard, il déclara qu'on ne pouvait pas empêcher le Pèlerin d'être auprès d'elle. Il s'en alla satisfait, ou, comme le racontait Anne-Catherine : « Tout se passa bien : nous fûmes d'accord. Il partit et conserva ses bonnes dispositions. »

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:47

5. Les choses en étaient là lorsque la nouvelle du prochain retour du Pèlerin mit le petit cercle de Dulmen dans une très grande agitation, facile d'ailleurs à comprendre. Le P. Limberg se tint sur la réserve et laissa à la malade le soin de calmer les esprits. Mais comme elle n'y parvenait pas aisément, elle eut recours à celui qui était son unique et dernier appui humain dans de semblables occasions, c'est-à-dire à Overberg, directeur de sa conscience. Elle avait déjà souvent reconnu par expérience que tout le monde se soumettait volontiers à ses décisions : c'est pourquoi, dans les derniers temps du séjour du Pèlerin, elle avait vivement désiré une visite d’Overberg, pour qu'il fît comprendre à son entourage qu'il ne dépendait pas d'elle ni de sa volonté d'accueillir le Pèlerin ou de l'écarter. L'abbé Lambert et Wesener à la vérité se laissèrent persuader d'en appeler au jugement du respectable Overberg : toutefois ils s'adressèrent en même temps au Pèlerin pour le détourner de son projet de retour. Pendant qu'ils écrivaient, Anne-Catherine priait Dieu ardemment de purifier les âmes et de procurer ce qui pouvait le plus contribuer à sa gloire et au bien du prochain. La lettre de l'abbé Lambert au Pèlerin était conçue en ces termes : « Monsieur, ne prenez pas en mauvaise part mon désir de ne plus vous revoir ici : mais je ne me sens plus la force et le courage de supporter une seconde fois tout ce que j'ai souffert pendant tout le temps de votre séjour. Depuis bien des années, nous avons vécu dans la plus grande paix, la soeur Emmerich et moi, et nous voulons mourir de même. Il a été très dur pour moi, pendant que vous étiez ici, de ne pouvoir la voir et lui parler qu'à la dérobée. Je ne puis consentir à ce que vous reveniez ici. Non ! non ! mon cher monsieur ! mille fois non ! Ce que j'écris maintenant, je vous l'aurais dit plus tôt de vive voix si vous aviez voulu m'écouter. J'ai souvent voulu vous parler à ce sujet, mais vous ne m'avez jamais laissé prendre la parole. »

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:47

A cette lettre écrite en français Wesener ajoutait ce qui suit : « Je n'ai d'autre but en vous écrivant que de vous détourner de vos projets de retour. Vous en pouvez rire : mais votre volonté inflexible ne peut pourtant pas être toujours un guide sûr et droit pour les actes de la malade. J'ai décrit à Overberg votre vie ici et la manière d'agir de la soeur vis-à-vis de nous tous : suivez son conseil ! Tous les amis de la soeur Emmerich, ici et à Munster, sont unanimes à penser que votre retour aurait les suites les plus fâcheuses. La faute en est à vous-même. A Munster, vous vous êtes exprimé sur le clergé de cette ville et sur celui d'ici en termes si francs et si durs, qu'il n'y a qu'une voix contre vous et pas une qui vous soit favorable. Personne ne vous écrira cela : c'est pourquoi je dois le faire. C'est à l'impulsion de mon coeur que je cède en vous disant que les inconvénients qui résultent pour la soeur Emmerich de ses rapports avec vous surpassent infiniment les avantages qu'elle en peut retirer. C'est pourquoi nous sommes tous décidés, dans le cas où vous reviendriez, à ne plus vous laisser reprendre avec la soeur Emmerich ce commerce intime que vous vous étiez arrogé. La soeur Emmerich vous aime à cause de votre triste destinée et de votre solide conversion, mais elle voit aussi avec effroi et chagrin que vous avez l’esprit malade et elle craint votre caractère indomptable. Elle est bien résolue, si vous revenez, à ne vous admettre auprès d'elle qu'une heure chaque jour. En outre, vous devrez rester tout à fait étranger à ses affaires domestiques. Sa soeur est à la vérité une triste créature : mais la malade veut la subir et est très fermement persuadée que cette soeur est dans la main de Dieu l’instrument choisi pour faire disparaître ses défectuosités intérieures et triompher de ses faiblesses. Le vieil abbé Lambert a beaucoup souffert à cause de vous, certainement sans que vous l’ayez voulu. Vous avez eu bonne intention, mais les choses ne se passent pas comme vous le croyez. Overberg est du même avis : engagez-le à vous faire connaître son opinion sur votre retour. »

6. Wesener avait écrit à Overberg touchant le Pèlerin : « Notre chère malade m'a prié de vous écrire pour donner certaines explications sur la lettre de M. Lambert ; mon propre sentiment et mon affection pour la malade me portent aussi à vous donner quelques nouvelles sur sa situation présente. M. Clément Brentano a été chez vous : il vous a raconté des choses merveilleuses sur la malade et vous a parlé de ses progrès dans la vie intérieure. Cet homme, il est vrai, a été d'une grande utilité à la malade par sa générosité et ses rapports avec elle : il lui a procuré un logement commode et plus de repos. Il a peut-être assuré au monde un grand profit et de nobles jouissances par ses observations pleines de sagacité et ses recherches : seulement la malade a perdu à cette occasion presque toute paix domestique, que dis-je ? le peu qu'elle a de santé et de vie. L'homme est bon, sa foi est ferme, ses oeuvres sont nobles et chrétiennes, mais son génie de poète n'est pas à sa place dans un intérieur simple et bourgeois. La malade sait très bien que son entourage n'est pas ce qu'il devrait être. Elle voit clairement les misères dont sa soeur est l'esclave et c'est pour elle un supplice inexprimable ; mais elle n'en est pas moins fermement persuadée que la dureté et la contrainte ne sont pas les moyens propres à la corriger et à la ramener. Ce qu'elle ne peut pas obtenir de sa soeur par la voie de la charité et de la paix, elle est prête à le tolérer avec humilité et patience. La malade a supporté M. Brentano et a gardé le silence en toute occasion, dans l'unique intention d'être utile à lui et à d'autres. Elle veut oublier tous ses griefs et les sacrifier à Dieu et au prochain, mais elle a peur de son retour. Il ne connaît pas la voie de la douceur : il veut tout emporter de force. Mais la malade est décidée à ne plus l’accepter dans ces conditions et à ne plus trouver tout bon de sa part. Toutefois, comme il a quelque chose qui impose et qui intimide beaucoup et que les amis de la malade ne peuvent pas toujours être autour d'elle, elle craint de ne pouvoir pas le retenir et cherche des moyens pour empêcher son retour. Il vous aime et vous estime beaucoup et il a en vous une confiance sans bornes : c'est pourquoi la malade vous prie très instamment de lui écrire, de lui représenter l’état des choses et de ne l’autoriser à revenir qu'à certaines conditions bien déterminées. »

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:47

Voici quelle fut la réponse d'Overberg :

« Il m'a été très agréable de savoir quelque chose de notre chère malade par une autre voie que celle de M. Cl. Brentano. D'après ce que celui-ci m'a raconté, j'aurais dû croire qu'elle était fort contente de l’avoir auprès d'elle et parfaitement satisfaite de sa manière d'agir. Mais je me souvenais de l'aphorisme juridique : Audiatur et altera pars. Il m'a aussi assuré qu'il voulait revenir dès qu'il le pourrait et continuer ses observations. Je ne crois pas possible d’empêcher son retour, si Dieu n'y met pas quelque obstacle, non plus que de le porter à établir son séjour à Munster. Pour faire en sorte qu'après son retour il se comporte autrement vis-à-vis de la malade et de son entourage, elle doit elle-même lui, marquer à quelle heure de la journée il pourra venir chez elle et lui déclarer qu'il doit renoncer à s'immiscer dans ses affaires domestiques. Elle doit faire cela elle-même, car si la chose venait de moi, elle ne serait certainement pas adoptée par les motifs que voici. Il est persuadé ou veut se persuader qu'elle est très aise de l'avoir auprès d'elle et qu'elle est satisfaite de ses procédés ; il croit qu'en tout cas cela tend à son plus grand bien. Il sait que je ne puis pas aller la voir pour m'entretenir de vive voix avec elle : il regarderait donc nécessairement ce que je lui dirais sur les sentiments de la malade à son égard et à l'égard de sa manière d'agir comme m'étant suggéré par les personnes de son entourage. Or, celles-ci peuvent facilement être soupçonnées par lui de vouloir l'éloigner de la malade par envie, par jalousie et autres motifs semblables. Il pourrait croire d'après cela qu'il doit d'autant plus prendre en main les intérêts de celle-ci, à laquelle on voudrait retirer la consolation que lui donnent sa présence et les peines qu'il prend pour lui assurer du repos. La déclaration dont j'ai parlé plus haut pourra très bien, le cas l'exigeant, avoir lieu en votre présence et en présence du P. Limberg. Il faudra aussi, spécialement les premiers jours, veiller strictement à ce que les prescriptions quant au temps soient observées. Je prévois bien qu'au commencement la malade aura à lutter contre lui, mais je ne connais pas de meilleur moyen à prendre, et j'espère que, si elle tient ferme au commencement, il deviendra peu à peu moins exigeant. Je dois en outre vous prier de ne pas me le renvoyer pour la décision à prendre ; cela ne ferait que rendre la confusion encore plus grande et l'entretenir dans la persuasion que la malade préférerait voir les choses rester comme autrefois, et que, si elle se prononce dans un autre sens, c'est uniquement pour ne pas choquer celui-ci ou celui-là. C'est son sentiment et sa libre volonté qui doivent décider ici.

" M. Clément Brentano m'a dit quelque chose, mais seulement en passant, du changement qui a eu lieu dans les plaies. Si vous avez noté l'époque, je vous prierais instamment de me faire parvenir vos notes d'ici à deux jours. J'ai entendu dire aujourd'hui qu'en outre la malade commençait de nouveau à manger (note1). Dieu voudrait donc de nouveau la remettre sur ses jambes. Je lui envoie mes salutations cordiales. Je pense qu'elle aura reçu ma lettre. »

Le Pèlerin fut piqué au vif par les lettres de Wesener et de Lambert ; on le voit assez par la véhémence avec laquelle il s'en plaignit dans ses lettres à divers amis (note2). Mais quand le premier orage se fût apaisé, il adressa à Dulmen une lettre qui malheureusement n'a pas été conservée ; toutefois, d'après les réponses de Wesener et de Limberg, il est assez facile de reconnaître combien on était touché de son repentir et de son humilité, combien il fut facile da ramener ces âmes simples qui, en vérité, n'avaient pas mérité les durs reproches, imprimés après sa mort, que leur adresse le Pèlerin dans le premier mouvement d'une irritation violente.

(note1) Ceci se rapporte à la tentative faite récemment par Wesener de lui faire prendre des aliments très légers, comme du lait coupé d'eau, du potage d'orge ou de sagou. Elle essaya par obéissance, mais ces essais réussirent mal, et Wesener fut obligé d'y renoncer définitivement.

(note2) Clemens Brentano's gesammelte Briefe (Recueil des lettres de Clément Brentano), t. I, p. 334 et 340.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:47

Wesener répondit : « J'ai lu votre lettre ; je remercie Dieu de me l'avoir fait lire ; elle nous a émus jusqu'aux larmes : elle nous a tous apaisés... Vos intentions étaient bonnes ; vous n'aviez en vue que le bien. Mais sous l'impulsion de votre esprit si plein de force, vous avez oublié que nous sommes tous de pauvres moucherons débiles qui ne pouvons suivre votre vol puissant... Devenez calme, doux, patient, et vous deviendrez un glaive et une lumière dans notre sainte Église. »

Quant au P. Limberg, le Pèlerin en reçut une réponse si pleine de bonté, que lui-même s'exprima ainsi : « J'ai aussi reçu de Limberg une lettre très belle et très pacifique : elle est singulièrement sensée, affectueuse, biblique et simple ; il y règne un esprit très élevé, un véritable esprit sacerdotal. Il se réjouit aussi de mon retour ; toutefois je m'en remettrai entièrement à la volonté d'Overberg (note : Lettres de Cl. Brentano, t. I, p. 344). »

7. Lorsqu'il revint à Dulmen dans la première quinzaine de mai 1819, il trouva chez tout le monde l'accueil le plus amical : cependant il n'échappa pas au regard de la malade qu'il était resté en lui un fonds de susceptibilité qui, à la moindre occasion, menaçait d'éclater avec un surcroît de violence. Aussi n'épargna-t-elle aucun effort pour éloigner du coeur du Pèlerin, comme de celui des personnes de son entourage, tout ce qui pouvait contribuer à allumer de nouvelles dissensions. Elle travailla jusqu'à épuisement de ses forces pour porter sa soeur Gertrude à la patience et au silence vis-à-vis de cet étranger qui lui paraissait insupportable. Elle se fit renouveler par le docteur Wesener la promesse de traiter le Pèlerin avec la charité à laquelle lui-même s'était engagé dans sa lettre. Mais en outre, elle n'épargna au Pèlerin ni les prières ni les avertissements pour qu'il ne se laissât pas aller à son humeur fantasque, à l'irritation et aux soupçons, pour qu'il s'efforçât d'acquérir le calme et la douceur, et surtout pour qu'il ne fermât pas les yeux aux bonnes qualités des personnes dont il avait l'habitude de prendre si mal les innocentes faiblesses. Touché d'un entretien qu'il avait eu avec elle à ce sujet, il écrivait dans son journal quelques jours après son arrivée : « Puisse le coeur du confesseur, de cet homme si bon au fond et si bienveillant, en arriver à sentir en moi un ami sincère ! Je le désire du fond du coeur. Je suis intérieurement sans aucune espèce d'arrière-pensée à son égard : puise-t-il en être de même de son côté ! Je n'ai rien à lui cacher. Combien seraient heureux les rapports de deux personnes qui se fieraient l'une à l'autre et s'avertiraient en Jésus-Christ ! Que le Seigneur bénisse mes efforts bien sincères pour mériter son amour et sa bénédiction ! »
Mais lorsqu'il communiquait ces résolutions à la malade, elle ne pouvait cacher sa crainte qu'elles ne fussent peu constantes et que la paix ne fût de courte durée, « J'ai vu le Pèlerin, disait-elle, sous une coloquinte à la végétation abondante, mais qui se desséchait promptement, et cela m'a rappelé Jonas. » Il comprenait bien le sens profond de ces paroles, mais il ne voulait pas se l'avouer et remarquait à ce sujet : " Cette étrange inquiétude me trouble. La malade pleurait et j'étais très affligé : car, dans l'angoisse qui la pressait, elle ne pouvait me faire part de ses soucis. Que Dieu la console, qu'il mette la paix et la confiance dans tous les coeurs et qu'il me donne de la force et une charité sans bornes envers tous mes frères. Le confesseur est très bon et très doux. La coloquinte de Jonas si promptement desséchée signifie-t-elle que le calme sera de peu de durée ? " Oui, sans doute, cette indication ne devait se réaliser que trop tôt et la preuve devait se manifester trop souvent qu'Anne-Catherine n'avait pas seulement à obtenir du Pèlerin une vie conforme aux prescriptions de la foi, mais encore à accomplir, en lui servant de guide, une oeuvre d'expiation, puisque dans les rangs du sacerdoce il ne se trouvait personne qui voulût assurer à la masse des fidèles les fruits et les bénédictions du don de vision accordé à l'extatique pour l'édification de ses frères. La coopération sacerdotale est comme le canal par lequel les dons extraordinaires et les mérites, des privilégiés de Dieu se répandent sur la communauté des fidèles, selon l'ordre prescrit par Dieu : c'est pourquoi Anne-Catherine devait suppléer à ce qui maudirait à cette coopération et acquitter par ses souffrances la dette que les ministres de l'Église contractaient par leur négligence. En elle, comme instrument de Dieu, la force et la grandeur devenues presque inconnues du caractère sacerdotal devaient se manifester dans le merveilleux pouvoir conféré par Dieu au sacerdoce sur ses dons surnaturels et sur leur emploi. Aussi reconnaîtrons-nous souvent dans des incidents fortuits en apparence les voies et les conduites de la sagesse divine qui disposait toutes choses pour rattacher à l'autorité du sacerdoce l'accomplissement de la tâche imposée à la voyante. Ainsi nous avons déjà vu comment Anne-Catherine, avant l'arrivée du Pèlerin, avait trouvé l'occasion de faire décider par le premier de ses supérieurs ecclésiastiques, le vicaire général de Droste, qu'elle communiquerait au Pèlerin ce qui lui serait montré par Dieu. Son directeur spirituel Overberg n'ayant pu, après le retour du Pèlerin, venir à Dulmen aussitôt qu'elle le lui avait demandé, elle envoya le P. Limberg à Munster pour qu'il conférât en sa qualité de confesseur avec Overberg et reçût aussi de lui l'assurance que c'était la volonté de Dieu qu'elle s'ouvrît au Pèlerin. Elle avait rappelé à l'abbé Lambert l'avis si souvent reçu en vision qu'on devait mettre par écrit ce que le Seigneur lui faisait voir de sa Passion : et le vieillard infirme lui avait de nouveau promis de contribuer selon son pouvoir à ce qu'aucun dérangement ne fît manquer cette oeuvre. C'est pourquoi Overberg, lors de sa visite à Dolmen ; le 6 juin 1819, put sans peine confirmer tout l'entourage dans la persuasion que le séjour prolongé du Pèlerin et les notes qu'il prenait étaient dans les vues de Dieu. Anne-Catherine elle-même fut très consolée par cette déclaration, comme le rapporte le Pèlerin. « Overberg, dit-il, et reparti. Elle est tellement épuisée qu'elle ne peut rien raconter : cependant elle parle du plaisir que lui a fait son entretien avec Overberg. »

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:48

8. Il y eut pour Anne-Catherine quelque chose d'incomparablement plus difficile que le rétablissement de la paix extérieure : ce fut de faire comprendre au Pèlerin quelles conséquences nécessaires devait avoir, quant à sa manière d'agir, cette circonstance qu'il n'était pas prêtre, ni par conséquent en possession de l'efficacité et de l’autorité du caractère sacerdotal. Sans cesse elle avait à lui rappeler qu'il ne pouvait bien remplir sa tâche, qui était de recevoir les communications de la voyante, s'il ne se soumettait, comme elle-même, à l'autorité sacerdotale présentée pour lui par Overberg et par le confesseur. Déjà lors de sa première visite à Dulmen, elle lui avait adressé souvent et avec beaucoup de gravité des observations qui au commencement lui semblaient très étranges, comme quand elle lui disait : " Vous n'êtes pas prêtre !... J'ai besoin de voir Overberg, car il a le sacerdoce et vous ne l'avez pas.... Vous ne pouvez pas me venir en aide, parce que vous n'êtes pas ecclésiastique. Si vous étiez prêtre, vous me comprendriez, etc. " Mais il se passa bien du temps avant qu'il pût saisir le sens profond de ces paroles et les prendre pour règle de sa conduite. Jusque dans les deux dernières années de la vie d'Anne-Catherine, il avait à consigner dans son journal des avertissements de ce genre qu'il accompagnait de ces réflexions : " Où donc est le prêtre tel qu'elle le comprend ? On me jette ce reproche : " Si vous étiez ecclésiastique, " vous me comprendriez et cela m'épargnerait bien des tourments. » Mais aucun ne l'a comprise ! » Toutefois, avec sa patience surhumaine, elle arriva à soumettre au frein cet esprit rebelle, si peu capable d'empire sur lui-même ; elle sut le maintenir dans le respect de l'autorité et dans l'obéissance qui lui est due, de manière à lui faire accomplir sa tâche avec d'abondantes bénédictions pour les âmes des autres et pour la sienne propre. Cet homme, si supérieur au bon et simple Limberg par ses dons naturels, ses connaissances et son expérience, se voyait dans l'impossibilité d'obtenir un seul mot d'Anne-Catherine sans le secours de celui-ci et le commandement qu'il donnait en sa qualité de prêtre. Chaque jour une nouvelle expérience lui apprenait qu'elle ne pouvait recevoir la volonté et la force de faire des communications que par l'intermédiaire du sacerdoce de Limberg, mais que ses fougueuses exigences ou ses instantes supplications n'y pouvaient rien. Quelque justifiées qu'il pût trouver encore ses plaintes véhémentes contre Limberg, qu'il accusait d'être tout à fait incapable d'apprécier les dons de sa fille spirituelle, il ne pouvait pourtant se dissimuler que ce prêtre simple et peu instruit, en vertu de sa foi vive et de la droiture naïve de son coeur, avait sur Anne-Catherine une action immensément plus considérable que toutes les peines que lui-même se donnait, et il ne pouvait s'empêcher de sentir de combien de choses il lui fallait se dépouiller et combien d'autres il avait à acquérir avant d'arriver à une compréhension plus profonde de la voyante et de sa propre tâche à lui. On est étonné de voir avec quelle prudence Anne-Catherine y aida le Pèlerin et avec quelle persévérance elle combattit les dangereux instincts de sa nature, si bien qu'elle parvint peu à peu à donner à son esprit un tout autre pli et à ses idées un tout autre cours. Elle avait coutume de le préparer d'avance à recevoir ses avertissements, qu'elle ne pouvait du reste se décider à lui donner que sur l'ordre de son conducteur invisible, afin qu'il les reçut de bon coeur et sans chercher à s'excuser ; mais la plupart du temps, elle parlait à sa conscience, soit par des images et des comparaisons frappantes, soit par des maximes et des règles de morale où cet homme d'un esprit si riche trouvait un charme qui l'attirait et le forçait comme malgré lui à les accepter. Quand, par exemple, il se laissait troubler intérieurement par quelque impression qui blessait son sentiment délicat du beau, elle lui adressait des avis comme ceux-ci : « Une personne peut aisément être choquée par une messe mal chantée ou par un jeu d'orgues au rebours du bon sens, pendant que d'autres s'en édifient. Mais on doit combattre ce sentiment de répulsion par la prière. Celui qui résiste intérieurement au scandale que lui donne une négligence dans le service divin acquiert par là un grand mérite et recueille pour lui-même une grâce perdue. » Elle le rappelait à la simplicité de la foi par des paroles comme celles-ci : « Celui qui veut arriver à se convaincre de la vérité par ses propres efforts et non par la grâce de Dieu peut bien être attaché à son opinion, mais il n'est pas pénétré par la vérité. »

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:48

9. Quelques semaines après son arrivée, elle s'ouvrit à lui en ces termes : « Chaque soir je reçois l'avis de faire encore telle ou telle méditation et cela m'est notamment arrivé hier au soir. J'ai reçu pendant la nuit un avertissement qui me concernait ; il m'a surtout été beaucoup parlé du Pèlerin. Bien des choses doivent encore être corrigées en lui, et il m'a été dit de quelle façon nous pouvons par nos rapports avec lui le rendre meilleur et par là même plus facile à manier et plus utile. Comme alors je songeais à ma manière d’être envers le Pèlerin, me demandant comment je pouvais satisfaire à sa tâche et aussi à la mienne, et par quels moyens nous pourrions avoir une plus large part à un plus riche accroissement de mérites, j'appris que nous devions être patients l'un envers l'autre au milieu des souffrances qui viendront encore nous assaillir, et que le Pèlerin devait recevoir la sainte communion à mon intention : car par là l'union spirituelle sera plus grande. « Fais ce que tu peux, m'a-t-il été dit. Quant au reste, laisse faire le Pèlerin, car beaucoup de gens désirent s'entretenir en particulier avec toi, et quand ils viennent, tu dois examiner si cela peut leur être profitable. " Tu dois prier pour que le Pèlerin se décide à être " humble et patient. Il doit dompter son caractère fantasque et tu dois faire en sorte que ce soit sérieux. " Prends garde, par une condescendance trompeuse et mal entendue, de te laisser prendre à de belles paroles. Résiste et sois ferme, afin que le Pèlerin se décide. Tu es trop débonnaire : ç’a toujours été ton défaut. Il ne faut pas te laisser entraîner à voir du bien là où tu trouves des inconvénients. »

« Mon guide m'a dit encore que j'aurai beaucoup à souffrir ; toutefois je ne dois pas m'effrayer, mais attendre sans inquiétude et m'en remettre à Dieu. J'ai reçu aussi beaucoup de réprimandes sur mes fautes : il m'a dit que je tais beaucoup de choses par une humilité mal entendue et que c'est un orgueil caché. Je dois prendre les choses et les donner comme je faisais dans mon enfance, lorsque pourtant je recevais beaucoup plus qu'à présent. Je dois dire sans réserve tout ce que j'aurais gardé pour moi, aussitôt que l'occasion s'en présentera. Je dois aussi accuser à mon confesseur tout ce qui me tourmente, quand même il semblerait qu'il ne veut pas m'écouter : je dois le prier de m'entendre, car ainsi j'aurai bien plus souvent du secours. Il m'a reproché aussi ma trop grande condescendance envers beaucoup de personnes, laquelle me fait manquer souvent à mes prières et à mes devoirs envers d'autres. Je parle d'une manière très déraisonnable quand je me plains d'être couchée là sans pouvoir rien dire. Il sait bien que j'aimerais à sortir le soir, enveloppée dans mon manteau, pour distribuer des aumônes, et que regrette de ne pouvoir le faire parce que cela me plaît. Mais ce que Dieu m'impose ne m'est pas agréable. Je dois penser que ce n'est pas pour rien que je suis couchée ici : je dois agir par la prière et dire tout ce qui m'est donné. J'aurai bientôt quelque chose à dire et cela me paraîtra beaucoup plus pénible ; mais il faudra le dire. Un grand orage menace ; le ciel se couvre d'une manière effrayante. Il y a peu de gens qui prient et la détresse est bien grande. : le clergé se gâte de plus en plus. Je dois exhorter tous les bons à prier de tout leur coeur. II m'a dit suite que je devais être plus calme et plus recueillie en vue des souffrances qui vont venir ; autrement, elles pourraient me faire mourir subitement ; or, ma tâche journalière n'est pas finie, et si je mourais auparavant par suite de ma négligence, j'aurais à subir le reste de ces souffrances dans le purgatoire où elles sont plus rudes qu'ici-bas.

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:48

10. Anne-Catherine cherchait à encourager le Pèlerin en lui parlant des bénédictions qu'elle voyait découler des peines qu'il prenait et de ses travaux. Ainsi, peu de temps après son retour, elle lui raconta une vision où elle avait vu, sous la figure d'un jardin, beaucoup de choses touchant la première partie de la vie du Pèlerin, comme aussi touchant sa tâche actuelle et l'accomplissement de celle-ci qui ne devait avoir lieu qu'après sa mort. Lorsqu'il mit par écrit ce qu'elle lui avait communiqué, il ne pouvait certainement pressentir tout ce qu'embrassait cette vision prophétique, ni tous les objets auxquels elle se rapportait : mais sa relation n'en est que plus digne de foi.

" Je vis, dit-elle, le Pèlerin loin d'ici, triste et délaissé dans sa chambre. Il ne pouvait s'occuper de rien, s'intéresser à rien : tout était comme désert autour de lui. Je lui serais bien volontiers venue en aide, j'aurais travaillé, mis en ordre : mais je ne pouvais pas l'approcher ni l'aider.

" J'eus ensuite la vision d'un jardin. C'était un grand jardin que partageait en deux une haie par-dessus laquelle des gens regardaient : ils auraient aussi voulu la franchir, mais ils ne le pouvaient pas. Mon conducteur et moi allâmes dans une partie de ce jardin où la végétation était extrêmement riche, belle et abondante. Tout y était plantureux, verdoyant et touffu. Mais il y avait aussi énormément de mauvaises herbes ; j'y remarquai, entre autres plantes, des fèves et des pois. Il y avait une quantité de boutons et de fleurs, mais pas le moindre fruit d'aucune espèce. Parmi ces plantes montées en herbe, je vis se promener beaucoup de gens se complaisant en eux-mêmes.

" La première fois que je fis avec mon guide le tour de ce champ plantureux, il me dit : " Vois ce que c'est " que tout cela : de belles fleurs de rhétorique, brillantes, " mais stériles : surabondance, mais pas de récolte ; plénitude où il n'y a rien ! - Ah ! lui demandai-je, faut-il donc voir perdre tout ce travail qui a été fait ? - Non, " me répondit-il, rien ne doit se perdre. Tout cela sera retourné et enfoui ; ce sera de l'engrais. J'en eus de la joie et en même temps cela me fit pitié.

" Lorsque nous fîmes le tour la seconde fois, nous trouvâmes au milieu du chemin une petite cabane de branches de noyer recouverte d'une toile. Les noix qui étaient là étaient l'unique fruit du jardin. C'était un buisson rabougri. Plus loin on voyait une couple d'arbres, pommier et cerisier. Il y avait aussi toujours là des abeilles qui faisaient activement leur récolte. Du reste, ce lieu était très abandonné.

"Mon conducteur me dit : "Vois ; ton confesseur doit recueillir ces noix et prendre exemple sur les abeilles. " Mais celui-ci avait peur d'être piqué par elles : et je me disais que la peur qu'il en avait le ferait piquer, tandis que, s'il s'avançait tout tranquillement, les chères petites bêtes ne lui feraient rien. Dans le fait, il ne récolta rien non plus : il ne vit pas même les fruits ; il courait d'un buisson à l'autre.

" Lorsque j'allai là avec mon guide pour la troisième fois, la végétation était encore plus abondante et plus touffue. Mais je vis avec joie que le Pèlerin faisait sa récolte près de certaines plantes singulières qui se trouvaient aux coins des carrés et qui, quoiqu'un peu étouffées par celles qui les ombrageaient, donnaient toutefois des fruits pour la plupart. Je fus très joyeuse de voir le Pèlerin faire cela.

" J'allai de nouveau dans le jardin : tout y était encore riche et abondant : mais la végétation trop luxuriante tendait à se flétrir et à se décomposer. Alors tout fut foulé aux pieds et enfoui : je vis le Pèlerin se donner une peine infinie pour creuser et travailler la terre.

" Lorsque je revins, je trouvai le jardin entièrement travaillé. Le Pèlerin plantait de petites plantes en plates-bandes régulières, et cela me réjouissait fort. Je vis le Pèlerin quitter le jardin : il y entra alors plusieurs personnes que je connaissais sans savoir leurs noms. Elles se jetèrent sur moi avec fureur, m'injurièrent et m'outragèrent à l'excès. Elles ne m'épargnèrent aucune invective sur mes rapports avec le Pèlerin, disant qu'il naîtrait de là une nouvelle secte, et elles me demandaient ce qu'elles devaient penser de moi. Elles ne cessaient pas de m'injurier et de me gourmander orgueilleusement. Je laissai tout passer tranquillement sur moi et je gardai le silence. Elles déblatéraient de la même façon contre le Pèlerin. Il me semblait qu'il n'était pas loin et qu'il les entendait, lui aussi. Je me réjouis de recevoir tout cela avec tant de patience, et je ne cessais de dire : " Dieu soit loué l Dieu soit loué ! Je puis supporter cela : un autre peut-être ne le pourrait pas. " Ensuite j'allai m'asseoir sur une pierre dans un bosquet voisin.

" Alors j'entendis venir un ecclésiastique : c'était un homme qui paraissait énergique et actif, de la taille du prieur ; il était robuste et avait le visage coloré. Il s'étonnait fort que je supportasse toutes ces injures sans me défendre. Puis il réfléchit un peu et dit : " Cette personne " supporte tout avec un grand calme : elle est pourtant intelligente et sensée ! Ce que fait le Pèlerin doit sans doute " être tout autre chose que nous ne croyons. Le confesseur est aussi un digne homme qui ne souffrirait pas cela si ce n'était pas bon." Et comme l'ecclésiastique inconnu continuait à parler ainsi en faveur du Pèlerin, les clabaudeurs commencèrent à se retirer. Je vis alors avec quelle diligence le Pèlerin avait travaillé et combien les plantes grandissaient et prospéraient.

" Mon conducteur dit alors : « Mets à profit cet avertissement céleste. Tu auras à subir ces indures et ces outrages : il faut t'y préparer d'avance. Tu vivras un certain temps tranquille en compagnie du Pèlerin : tu ne dois pas alors perdre ton temps ni laisser se perdre les nombreuses grâces que tu recevras : car ta fin viendra bientôt après. Ce que le Pèlerin recueille, il l'emportera au loin : car ici il n'y a pas de disposition à l'accueillir : mais là où il ira, cela produira son effet et c'est de là que cet effet viendra se faire sentir ici. »

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:48

11. Le sens de cette vision ne devint clair pour le Pèlerin que successivement et par degrés, comme le prouvent ses plaintes fréquemment répétées sur ce que le temps de la tranquillité ne veut pas venir ; car il entendait ces paroles du calme que procure la délivrance des dérangements extérieurs, tandis qu'elles se rapportaient au recueillement intérieur et à l'apaisement de son esprit qui pouvaient seuls le rendre capable de recevoir comme il le fallait la communication des visions sur la vie enseignante du divin Rédempteur. Or, il s'écoula plus de douze mois jusque-là, car ce ne fut qu'en juillet 1820 qu'arriva le moment où Anne-Catherine, sur l'avis de son conducteur spirituel, put commencer à s'ouvrir à ce sujet. Le Pèlerin avait, il est vrai, beaucoup planté jusqu'alors et s'était livré à un grand et pénible travail, mais il y avait dans tout cela beaucoup de choses qui devaient plus tard être extirpées et enfouies par lui. Au commencement, il était encore trop plein de lui-même, trop dominé par ses inclinations et ses vues habituelles : sa vive imagination était trop indisciplinée et trop en travail pour qu'il pût, sans y rien mettre du sien, sans mélange et sans altération, reproduire les communications d'Anne-Catherine avec autant de simplicité que celle-ci les faisait. Assez souvent il regardait ses propres interprétations comme tellement sûres et certaines, qu'il ne tenait guère compte des observations : cela arrivait surtout lorsqu'il s'agissait des notes relatives aux travaux accomplis pour l'Église dans la prière, lesquels, pendant la première année, furent le principal objet des communications qui lui furent faites. Quoique, en outre, il lui eût été bien souvent signifié qu'Anne-Catherine avait demandé à Dieu comme une grâce de ne pas savoir les noms des personnes et des classes de personnes appartenant à l'Église pour lesquelles elle avait à prier et à souffrir, il ne se laissait pourtant dissuader qu'à grand'peine d'intercaler dans les visions symboliques qui lui étaient racontées avec les désignations générales de fiancée, de fiancé, de pasteur, etc., les noms de certaines personnes dont il était spécialement, préoccupé et auxquelles, suivant lui, devait s'appliquer tout ce qu'Anne-Catherine rapportait d'après ses contemplations. Il y introduisait donc des allusions qui ne s'y trouvaient pas en réalité, en sorte que plus tard, quand il en eut l'intelligence plus complète, il effaça sur ses cahiers de notes beaucoup de choses jugées par lui sans valeur. Ce ne fut qu'après être devenu plus simple et plus calme intérieurement, qu'il ne put plus se refuser à voir combien le vol le plus hardi de son imagination restait à une distance incommensurable de la pure lumière dans laquelle la vierge favorisée du ciel contemplait ses visions. Ce fut seulement alors qu'aucune peine ne lui parut trop grande pour arriver à reproduire aussi fidèlement et aussi consciencieusement que possible ce qui lui était transmis de cette lumière pour le communiquer aux autres.

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:48

12. Rien ne fait du reste une impression plus singulière et plus propre à humilier profondément l'orgueil humain fondé sur les qualités naturelles et les dons supérieurs de l'intelligence, que de considérer cet homme de génie, ce poète si admiré, dans la situation qui lui est faite près de la pauvre religieuse malade. L'atmosphère dans laquelle elle vit est tout autre, elle est infiniment plus élevée que celle où vit le Pèlerin et où vivent tant d'hommes appesantis par leurs penchants et leurs attaches, ce qui les rend si capricieux, si inconstants et si faibles. Son détachement des créatures pratiqué dès la première jeunesse, ses souffrances incalculables, mais supportées avec la plus extrême patience, lui ont procuré une liberté de coeur, une lucidité et une force d'esprit qui la rendent inaccessible à toute influence d'un ordre inférieur et en même temps toujours plus digne de recevoir en elle la lumière prophétique. C'est pourquoi le Pèlerin peut bien l'affliger, lui causer des contrariétés et des ennuis de toute espèce : mais son intérieur, ses visions restent toujours un terrain où il n'a pas d'accès ; aussi rien n'est-il plus absurde et plus en contradiction avec la réalité des faits que la supposition suivant laquelle l'action involontaire de la puissante personnalité du Pèlerin aurait établi entre lui et Anne-Catherine une espèce de rapport magnétique, en sorte qu'il n'aurait rien tiré d'elle qu'il n'y eût préalablement déposé. Il est aussi impuissant, à cet égard, que toute autre personne qui ne devient pas pour elle en vertu de la vocation sacerdotale un représentant de Dieu, et elle supporte son voisinage comme celui d'un malade et d'un indigent que Dieu lui envoie, afin qu'il soit guéri par son intermédiaire et qu'il reçoive les lumières nécessaires pour accomplir la tâche qui lui a été imposée. Ainsi le Pèlerin est, du premier au dernier jour, celui qui reçoit, celui qui est gratifié, celui qui est conduit ; elle est la conductrice, la distributrice, c'est-à-dire l'instrument de la sagesse et de la miséricorde divine, par lequel l'un des esprits les plus brillants de son époque doit être arraché aux égarements du siècle, à l’abus de son talent et conquis pour la glorification du très saint nom de Jésus.

Enfin il ne faut pas passer sous silence un trait du caractère du Pèlerin qui équivaut à des centaines de témoignages pour constater cette pureté incomparable, cette admirable grandeur d'âme d'Anne-Catherine, aussi bien que la loyauté de son entourage. Personne n'avait un oeil plus perçant que le Pèlerin pour reconnaître les faiblesses et les défauts du prochain. Il se plaint avec des larmes d'amer repentir de ce don redoutable et de ses effets. Lors de son arrivée à Dulmen, il est encore si peu maître de lui qu'il passe en un instant de l'admiration la plus exaltée au blâme le plus acrimonieux à l'égard d'une seule et même personne, ou d'une seule et même chose : Il est l'observateur le plus impitoyable et le plus irritable qui soit jamais venu dans le voisinage de la malade et de son petit cercle : il recherche tous les côtés faibles que sa défiance de plus en plus excitée croit y découvrir. Son enthousiasme d'abord si ardent s'évanouit avec le charme de la nouveauté : malheur donc à la malade s'il lui arrivait une seule fois de découvrir chez-elle la moindre apparence équivoque pouvant éveiller les soupçons ! Il la jugera avec une sévérité inexorable. Jusqu'à la mort de la voyante, il ne se passe guère de semaine où les cahiers du Pèlerin ne soient remplis de plaintes interminables, où l'on ne voie toutes les paroles, tous les gestes, tous les pas du confesseur notés avec une prolixité fatigante et interprétés avec la plus grande rigueur : toutefois le seul méfait qui lui soit reproché est qu'il se soucie peu des notes que prend le Pèlerin, qu'il aimerait mieux que sa fille spirituelle n'eut ni visions, ni obligation de les faire connaître, et que, le plus souvent, il répond par une indifférence glaciale au ravissement que cause au Pèlerin quelque communication importante. Anne-Catherine elle-même n'est pas autrement traitée. Qu'elle adresse des paroles de consolation à des pauvres et à des affligés, qu'elle donne des marques de sympathie bienveillante et amicale à ceux qui la visitent en écoutant leurs récits, leurs demandes, leurs plaintes et en y répondant, qu'elle se montre fatiguée, qu'elle fasse entendre Mlle plainte, si légère qu'elle soit, tout lui est reproché comme une infidélité à sa mission, comme une dissipation des grâces d'en haut, comme un vol fait au Pèlerin, lequel de son côté ne reconnaît que dans de rares occasions quel supplice il fait souffrir bien souvent à la patiente et ce qu'il en coûte à celle-ci pour calmer sa fougue. Et quand, vaincu par l’incomparable douceur d'Anne-Catherine, il se décide à en faire l’aveu, il ne peut s’empêcher de lui rendre ce témoignage : « Elle est pleine de bonté et de mansuétude : c'est le plus admirable vaisseau de la grâce divine. »

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:49

CHAPITRE II

ANNE-CATHERINE EST MISE EN ARRESTATION. SES PRESSENTIMENTS SUR CET ÉVÉNEMENT. EFFETS QUI EN RESULTENT


4. Dès le commencement de l'année ecclésiastique 1818-1819, Anne-Catherine fut préparée par Dieu à de grandes souffrances expiatoires qui l'attendaient. Elles lui furent montrées comme la tâche de cette période, tâche qu'elle devait commencer sans retard. Les événements dont elle devait avoir tant à souffrir étaient encore dans les choses à venir, mais les ennemis invisibles dont les projets et les dispositions tendaient à ce but s'en occupaient déjà avec la plus grande activité. C'est pourquoi elle devait entrer en lutte avec eux, aller au-devant de leurs attaques, pour détourner ainsi le péril de l'Église de Dieu et déjouer les plans de ses malicieux et puissants adversaires. Le mystère d'iniquité qui, suivant le témoignage de l'Apôtre (II Thess., II 7.) ne cesse jamais d'opérer, faisait alors des efforts inouïs pour ruiner les fondements de la foi dans beaucoup de diocèses appartenant au troupeau de Jésus-Christ, précisément par les mêmes moyens de fourberie, de mensonge et de violence auxquels nous verrons Anne-Catherine livrée en proie. Et, comme toujours et partout, c'étaient encore des prêtres apostats, entrés au service des sectes secrètes ou de l'Anti-Église, qui inventaient des mesures dont ils s'offraient à diriger l'exécution et qui, sous les noms de Règles fondamentales, Pragmatiques, Conventions, Actes de fondation, etc., devaient amener sans bruit la destruction de l'Église de Jésus-Christ.

A mesure qu'approchaient les plus rudes épreuves de ce redoutable combat, les visions qui l'annonçaient devenaient plus claires et plus compréhensives, visions où la vierge consacrée à Dieu, destituée de tout secours humain, était armée de la force de l'Esprit divin pour remporter par la souffrance la victoire sur les ennemis de Dieu. Ce n'étaient pas seulement pour elle des tableaux instructifs ou prophétiques, mais toujours des épreuves personnelles fécondes en résultats, parce qu'elles étaient un développement incessant du grand combat qu’elle livrait pour l'Église car Anne-Catherine souffrait, pratiquait et accomplissait en réalité ce qu'elle voyait en vision. Les sentiments, les desseins et les actes des personnages qui travaillaient contre l'Église lui étaient mis sous les yeux afin qu'elle les combattit par le mérite attaché aux souffrances et par l'énergie de sa prière. De même que les visions n'étaient pas pour elles de purs rêves, de même ce qui s'y faisait par elle n'était pas une action vaine et purement imaginaire, mais plutôt la confirmation de sa vie spirituelle merveilleusement puissante, qui, en tant qu'intuitive, était une et n'avait qu'une seule et même opération, quoiqu'elle fût active dans deux sphères différentes et selon des lois doubles, dans la sphère des choses sensibles et dans la sphère spirituelle supérieure aux sens. Quand dans la contemplation elle prie, elle souffre avec patience, elle triomphe, c'est là un acte méritoire, c'est une opération, une victoire, une bénédiction pour l'Église, aussi bien que ce qu'elle souffre à l'état naturel de veille ou ce qu'elle a à accomplir dans les conditions de la vie commune extérieure, suivant les exigences et les relations de celle-ci : car dans un cas comme dans l'autre, dans chacune des deux sphères, elle est complètement, parfaitement libre, en pleine possession d’elle-même et, dans le sens le plus élevé, pourvue de tout ce qui est requis, dans l'ordre naturel et surnaturel, pour que l'Homme vivant dans la chair paisse accomplir des actes dignes de la récompense éternelle. Sa vie extérieure est ordonnée par Dieu de manière qu'elle remplisse complètement sa tâche, et c'est pourquoi les événements extérieurs de chaque jour, les incidents, les souffrances, les actions se rapportent à la vie intérieure, transcendante, contemplative de l'esprit comme le symbole à ce qu’il signifie, comme la similitude à la vérité, l'enveloppe à ce qu'elle recouvre. Les personnes qui ont avec elle des rapports extérieurs, celles qui lui font sentir leur inimitié, ses ennemis et ses oppresseurs sont, sans le savoir et sans le vouloir, les représentants des tendances multiples de l'époque, des classes de la société, des pouvoirs qui combattent par leurs paroles ou par leurs actes la foi catholique, les bonnes moeurs, l'Église de Dieu, ou qui leur portent préjudice par leur paresse, leur négligence ou leurs prévarications.
Assurément Anne-Catherine ne put raconter qu'une très petite partie de ses visions prophétiques, mais le Pèlerin ne fut pas peu surpris, et il en sera de même du lecteur, de voir avec quelle exactitude se réalisait plus tard ce qui lui était montré d'avance dans ces visions comme se rapportant à ses tribulations prochaines.

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:49

2. Pendant l'Avent de 1818, Anne-Catherine raconta ce qui suit :
« J'ai reçu de mon conducteur l'avis de me préparer à une pénible lutte. Je dois invoquer l'Esprit-Saint afin qu'il m'inspire tout ce que j'aurai à répondre. Je le fais maintenant tous les jours : j'ai appris ce que sera ce combat. Beaucoup de gens pleins de ruse et d'hypocrisie s'attaqueront à moi et chercheront à me prendre en faute à l'aide d'interrogations perfides. Mon angoisse était telle que ma poitrine était au moment de se briser : mais je me tournai vers mon époux céleste et je lui dis : « C'est toi qui as commencé la chose ; tu dois la conduire jusqu'au bout. Je m'abandonne entièrement à toi. » Et alors j'eus l'impression que je remettais entièrement l'affaire entre ses mains ; je ressentis un grand calme et une grande force que Dieu me donnait et je dis : « Je me laisserai couper en quartiers avec joie, si par là je puis être de quelque utilité au monde. » Parmi mes persécuteurs, un médecin et un ecclésiastique me furent montrés qui vinrent l'un après l'autre pour m'enlever d'ici. Ils feignaient d'être très bienveillants : mais je vis la fourberie dans leur coeur.

« 19 mai. Cette nuit a été très mauvaise pour moi. J'étais assaillie de tous les côtés ; on me maltraita fort, et à la fin on me déchira en petits morceaux. Je restai calme pendant tout cela et je me réjouissais de ce que ç'en était fait de moi. Je vis et connus les instigateurs de la lutte et j'en vis les principaux mobiles. Ils parlaient beaucoup et faisaient grand bruit autour de moi, et enfin ils me déchirèrent en petits morceaux. Aucun de mes amis n'était là. Il n'y avait personne à me secourir, pas même un prêtre. Je fus saisie de tristesse : je pensai à Pierre et à la manière dont il avait abandonné son Maître.

« Je vis des hommes rassemblés délibérer et rire joyeusement des ruses bien imaginées à l'aide desquelles ils comptaient s'emparer de moi. Ils voulaient essayer des choses qui n'avaient jamais été essayées. Mon conducteur me dit que je devais être sans inquiétude, que, s'ils réussissaient, cela tournerait à leur grande confusion et à l'avantage de la bonne cause.

« 28 mai 1819. Je me vis au temps de l'épreuve abandonnée de tous, et, ce qui me fût le plus sensible, mon confesseur ne put venir à moi. Il semblait forcé de rester éloigné, quoique sans congé. J'eus une vision où je me trouvais seule dans une chambre : cependant la soeur Neuhaus semblait être là. Des gens vinrent sur moi du côté droit et jusqu'au pied de mon lit. J'étais entièrement sans défense.

6 juin. J'ai eu une très mauvaise nuit. Je me vis plus horriblement maltraitée que jamais. Je ne puis redire sans horreur jusqu'où l'on en vint avec moi. J'étais pendant ce temps abandonnée de tous mes amis. Mon lit était au milieu d'une chambre et je n'étais servie que par des étrangers. Je sus que j'étais réduite à cet état misérable par suite d'une querelle entre des ecclésiastiques et des laïques. Ils me déchiraient pour se narguer les uns les autres. Je vis dans le lointain Overberg : il était assis, triste et silencieux. Il semblait que tout fût fini pour moi. »

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:49

3. « 17 juillet 1819. J'eus de nouvelles visions sur la tribulation qui me menaçait. Je vis que toutes mes compagnes de couvent me visitaient, parlaient des rapports qu'elles avaient eus avec moi et cherchaient si je leur avais dit telle ou telle chose de mon état, etc. Je ne savais pas bien ce qu'elles voulaient et je disais : « Dieu sait ce que j'ai fait et ce que vous avez fait. » Je les vis ensuite aller toutes se confesser et communier, puis revenir à moi. Du reste, elles n'étaient pas meilleures qu'auparavant et elles voulaient savoir de moi quelque chose, je ne sais pas bien quoi. Je leur demandai si elles ignoraient que, longtemps avant d'être avec elles, j'avais eu aux mains et aux pieds des douleurs incompréhensibles pour moi, que souvent je leur avais fait toucher la paume de ma main qui était toute brûlante, que mes doigts avaient été tout à fait morts, sans que j'eusse jamais deviné ce qu'il en adviendrait. N'étais-je pas restée longtemps sans pouvoir prendre de nourriture, parce que je ne pouvais le faire sans vomir aussitôt ? Cela n'avait-il pas duré sept mois, sans que j'y attachasse aucune importance, n'y voyant qu'une maladie qui m'empêchait rarement de remplir mes devoirs et jamais de prier Dieu, ce qui était tout mon plaisir. Mais je trouvai toutes ces religieuses hésitantes et peu sincères dans leurs dires ; elles ne cherchaient qu'à se tirer d'embarras, excepté la supérieure et Neuhaus qui agissaient loyalement. Il vint alors une grande quantité de gens de ma connaissance ; ils firent comme ils faisaient toujours et parlèrent à tort et à travers. Il n'y avait là personne qui voulût être tout à fait avec moi. Lambert ne pouvait m'aider en rien : on ne s'occupait nullement de lui. Mon confesseur était peu éloigné ; mais la tristesse et l'ennui l'accablaient. Alors environ six hommes, laïques et ecclésiastiques, parmi lesquels deux protestants, vinrent à moi. Ils arrivèrent les uns après les autres, et quelques-uns d'entre eux étaient faux et malicieux à un point qui ne peut se dire. C'étaient précisément ceux qui avaient les manières les plus caressantes et les plus douces et qui me maltraitaient le plus cruellement. Mais il vint dans la chambre un homme qui dit : « Tout ce qui se fait pour cette personne doit aussi se faire pour moi. » Je ne le connaissais pas, et, il se tint très longtemps près de moi : il fut très honnête et très loyal envers moi et il fut présent à tout : mais il ne pouvait pas me secourir. Et quand les autres m'entourèrent (mon lit était au milieu de la chambre), ils prirent garde de ne pas le choquer. Au commencement, ils me firent de nouveau toute sorte de questions, et je ne répondis rien, si ce n'est que j'avais déjà donné trois fois des réponses consignées dans des procès-verbaux et que je n'avais rien à y ajouter. Le vicaire général était dans le voisinage et il s'agissait aussi de lui dans cette affaire. Je vis en outre que le doyen s'en occupait : il donnait des instructions à ce sujet et il ne m'était pas favorable. Overberg était éloigné et priait pour moi. Les deux saintes nonnes Françoise et Louise me consolaient et me répétaient sans cesse : « Prends courage ! du courage seulement et tout ira bien. » Bientôt ils se mirent à me détacher la peau des mains et des pieds : ils y découvrirent les marques qui étaient beaucoup plus rouges que par dessus la peau. Ils me détachèrent aussi la peau de la poitrine et trouvèrent là également la croix beaucoup plus marquée que sur la peau. Cela les bouleversa tellement qu'ils ne savaient à quoi se résoudre. Ils restèrent muets et s'esquivèrent l'un après l'autre. Chacun avait sa séquelle à laquelle il racontait les choses à sa manière. Tous furent couverts de confusion. Pendant que j'étais là couchée, attendant l'opération qui allait se faire sur les plaies, je fus prise d'une terrible angoisse, et les deux bienheureuses nonnes m'encouragèrent, me disant que cela ne me ferait aucun mal. Alors vint à moi un jeune garçon d'une beauté merveilleuse. Son visage brillait comme le soleil : il portait une longue robe. Il me prit la main et me dit : « Viens avec moi remercier notre bon père. » Et il me conduisit en me soulevant. Je pus, avec son aide, arriver dans une chapelle très bien ornée, ouverte par le devant : elle n'était qu'à moitié achevée et comme coupée au milieu. Sur l'autel je vis les images de sainte Barbe et de sainte Catherine. Je dis au jeune garçon : « Quoi ! cette a chapelle est coupée au milieu, » et il répondit : « Oui, elle n'est encore qu'à moitié faite. » J'eus le sentiment du voisinage d'une magnifique demeure où beaucoup de personnes m'attendaient. Il y avait à l'entour des jardins et des champs, avec des chemins et des bosquets : c'était comme une petite ferme. Cependant je sentais que tout cela était éloigné et il me semblait qu'il n'y avait pas encore là de demeure fixe disposée pour moi. Je sais seulement que je regardai dans l'intérieur de la chapelle avec le jeune garçon et que je vis tous ces tableaux. Tout cela se passait comme si j'eusse été ravie en esprit, pendant qu'ils retiraient la peau de mes plaies ; car je ne sentais rien et j'apercevais pourtant devant moi les lambeaux rouges relevés. Je vis la stupéfaction de ces hommes quand ils virent les signes à l'intérieur et comment ils se grattèrent derrière les oreilles. Je m'éveillai avec une sensation confuse et mélangée où figuraient en même temps la chapelle et l'opération. La vision touchant les nonces et les gens de la ville était obscure ; c'était comme si j'étais informée d'un interrogatoire à propos de moi auquel ils auraient été soumis. Je vis aussi quelque chose comme un tumulte dans la ville.
« Le jeune garçon dit encore : « Vois maintenant combien bien peu de temps a duré tout ce qui t'inquiétait et te tourmentait, mais l'éternité n'a point de fin. Maintenant prends courage. Tu auras encore une rude épreuve à subir, mais tu la supporteras bien et elle ne sera pas si dure que tu la vois. Beaucoup de choses peuvent être détournées par la prière : console-toi donc. » Il me fut encore dit que je devais prier la nuit pendant mes insomnies, parce que bien des personnes étaient en danger de périr et qu'une grande tempête était imminente : « Ne crains pas de le dire hautement et excite tout le monde à prier. »

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:50

4. Peu de, jours après, Anne-Catherine eut une vision des plus saisissantes où il lui fut montré le martyre d'une jeune et tendre vierge : elle puisa dans ce spectacle une grande force pour la lutte qu'elle allait avoir à soutenir et un ardent désir de gagner une couronne semblable.

« Comme j'étais en prière, deux hommes inconnus vinrent à moi et m'invitèrent à les suivre à Rome jusqu'au lieu où les martyrs allaient être livrés au supplice. Il devait y avoir aujourd'hui un grand combat où devaient figurer des personnes de leur famille qu'ils voulaient voir souffrir la mort pour Jésus. Je leur demandai pourquoi ils s'exposaient au danger. Ils me dirent qu'ils étaient chrétiens en secret et qu'on ne les connaissait pas : comme parents, une place à part leur était réservée afin que la vue des supplices les effrayât. Mais ils allaient là pour se fortifier par le spectacle de la mort des leurs et aussi pour encourager ceux-ci par leur présence. Ils me conduisirent donc à l’amphithéâtre. Au-dessus de l’enceinte intérieure, en face de l’entrée, à droite du siège du juge, une porte entre deux fenêtres était pratiquée dans le pourtour circulaire. Nous entrâmes là dans une grande pièce où se trouvaient de braves gens, au nombre de trente environ, vieux et jeunes, hommes, femmes, jeunes garçons et jeunes filles. Tous étaient chrétiens en secret et rassemblés là dans le même but.

« Le juge, un vieillard à l'air cruel, donna un signal avec son bâton dans diverses directions, sur quoi les exécuteurs subalternes, déjà rassemblés au-dessous dans le cirque, firent ce dont ils étaient chargés. Ils étaient une douzaine. A gauche dans l'enceinte, en face de nos fenêtres, je vis quelque chose comme une idole : je ne sais pas ce que c'était, mais cela me fit une impression d'horreur : de ce côté étaient aussi les prisons. On en fit sortir les martyrs, deux par deux ; on les poussait en avant avec des épieux de fer. Ils furent d'abord menés devant le juge et livrés au supplice après l’échange de quelques paroles. L'édifice circulaire était rempli dans toute sa hauteur de spectateurs placés sur des gradins qui s'élevaient les uns au-dessus des autres : ils criaient, s'agitaient et faisaient grand bruit.
« La première personne martyrisée fut une délicate jeune fille de douze ans. Le bourreau la jeta par terre : il lui mit le bras gauche sur la poitrine et s'agenouilla dessus. Puis avec un instrument tranchant, large et court, il lui fit une incision circulaire autour du poignet et en releva la peau jusqu'au coude : il en fit autant à la main droite, puis aux deux pieds. L'horrible supplice de cette tendre enfant me mit hors de moi ; je courus vers la porte pour sortir et aller à elle : je criais miséricorde, je voulais être martyrisée avec elle et le valet de l'exécuteur me repoussa en arrière de façon que je le sentis vivement. Les gémissements de la jeune fille me déchiraient tellement le coeur que je demandai à être martyrisée au lieu d'elle. J'eus l'impression générale que j’avais aussi ma place là et que mon tour devait bientôt venir. Je ne puis dire à quel point la vue de ce supplice me fit souffrir.

« Ensuite le valet du bourreau lui lia les mains en croix et il me sembla qu'il voulait les lui scier. Lorsque je revins dans la chambre (elle était arrondie à la partie postérieure et il y avait des pierres triangulaires ou carrées sur lesquelles on pouvait s'asseoir), les braves gens qui se trouvaient là me consolèrent. C'étaient le père et la mère de la jeune fille, et ils disaient que le supplice de leur tendre enfant avait été sans doute bien déchirant, mais qu'elle se l'était attirée elle-même par sa hardiesse excessive. C'était une grande douleur pour eux : car c'était leur fille unique : elle allait sans cesse aux catacombes, pour y recevoir l’instruction chrétienne, sans prendre aucune précaution, puis ensuite elle parlait trop librement et trop hardiment. Elle avait cherché le martyre de tout son pouvoir, disaient-ils. Tout étant fini, deux personnes l'enveloppèrent et la placèrent sur un bûcher de forme ronde dressé au milieu de la place. On l'y déposa, les pieds tournés vers le centre ; il y avait en dessous beaucoup de petites branches qui prirent feu promptement et projetèrent leur flamme à travers le bois empilé. Mes bons voisins étaient vraiment touchants par leur résignation. Une des femmes déploya un rouleau long comme le bras, serré au milieu avec une large courroie : ils y lurent des prières à voix basse, se tenant au fond de la chambre. Ils faisaient cela par petits groupes de trois ou quatre qui avançaient la tête pour lire ensemble, et ainsi le rouleau passa de main en main, les uns se retirant pour faire place aux autres. Je compris bien ce qu'ils lisaient. C'étaient simplement de courtes sentences, d'un style singulièrement énergique et propre à élever l'âme. Le sens en était que ceux qui souffrent vont droit à Dieu au sortir de ce misérable monde. Je me croyais sûre de ne jamais oublier ces paroles, et maintenant je ne puis plus qu'en ressentir encore l'impression sans pouvoir les répéter. La lectrice s'interrompait souvent après une courte sentence en leur disant : « Qu'en pensez-vous ? » Ces prières s'adressaient à Dieu dans un langage très énergique. Je regardai aussi dans le rouleau, mais je ne pus reconnaître aucune lettre les caractères étaient rouges.
« Je fus pendant le supplice dans un état d'angoisse indescriptible : jamais ce spectacle ne m'avait déchiré le coeur comme cette fois. La jeune fille avec sa peau relevée sur les bras et sur les jambes, et les gémissements que lui arrachait la douleur, était toujours devant moi ; je ne pouvais m'en aller : on ne laissait pas traverser le lieu du supplice. Plusieurs autres furent ensuite martyrisés ; on les poussait de côté et d'autre avec des pointes de fer, et le sang jaillissait à distance : ils furent frappés avec de lourdes massues et leurs os furent brisés. A la fin, il s'éleva du sein de la multitude une violente clameur provoquée par les hurlements d'un homme. C'était le dernier martyrisé ; on lui fit souffrir de tels tourments qu'il chancela dans la foi ; il poussa de grands cris avec des malédictions contre les bourreaux : le désespoir, la colère, la douleur le rendaient effrayant à voir. Les bonnes gens qui m'entouraient étaient bien attristées de le voir ainsi. Il ne put pourtant pas échapper à la mort. Lorsque tous les suppliciés furent jetés sur bûcher, je fus très affligée en pensant à celui-là : j'avais le pressentiment que son âme n'entrait pas dans la gloire. Quand tout fut fini, les bonnes gens qui étaient autour de moi me quittèrent. Les corps ne furent pas entièrement consumés : je vis plus tard creuser une fosse pour enterrer les ossements. Mais je vis descendre du ciel une blanche et brillante pyramide de lumière où les âmes des martyrs s’élevaient avec une joie indicible, semblables à des enfants. Mais j'en vis un retomber dans le feu du bûcher qui disparut laissant voir à sa place un lieu ténébreux ou cette âme fut reçue par d'autres. C'était le martyr qui avait failli. Il n'est pas perdu à jamais ; il est en purgatoire : cela me réjouit. Hélas ! il y est peut-être encore. Je prie sans cesse pour de semblables âmes qui sont complètement oubliées.

« J'ai le pressentiment que ce martyre m'a été montré : pour m'exhorter à la patience dans mes souffrances et parce que récemment je me suis vue aussi retirer la peau des mains et des pieds. Ces anciens Romains devaient être pour ainsi dire d'acier, les bourreaux comme les spectateurs, les martyrs comme leurs amis. Maintenant tous les hommes sont tièdes, mous et lâches, et on adore Dieu aussi mal qu'on adorait les dieux. »

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:50

5. Depuis la fête de la Visitation de la Sainte-Vierge jusqu’aux derniers, jours de juillet, Anne-Catherine eut à offrir d'une si violente inflammation de poitrine que la plus légère commotion dans l'air, telle que peut la produire une porte qui s'ouvre ou l'approche d'une personne, provoquait chez-elle des accès de toux convulsive très douloureux. Cette souffrance physique aboutit enfin des sueurs de poitrine extrêmement abondantes qui la rendirent encore plus faible : mais en même temps son angoisse involontaire en vue des événements qui approchaient augmenta à tel point qu'il lui fallut les plus grands efforts pour résister à son abattement. Le 2 août, le Pèlerin la trouva très triste et très ébranlée : il chercha à la consoler, mais elle-même le prépara à ce qui allait venir. Dès le jour suivant on vit arriver à Dulmen une prétendue commission d'enquête prussienne, ayant à sa tète le landrath (note) Boenninghausen. Les autres membres étaient deux médecins, Rave de Ramsdorf et Busch de Munster, et trois ecclésiastiques : le curé Niesert de Velen, le vicaire Roseri de Leyden et le professeur Roling de Munster. Boenninghausen se rendit avec Roseri près d'Anne-Catherine pour lui annoncer « la nouvelle enquête. » Elle leur répondit qu'elle ne savait pas de quoi ils voulaient s'enquérir, vu qu'elle était prête à leur donner des explications sur tout ce qu'ils désiraient savoir. D'ailleurs il n'y avait rien qui n'eût déjà été examiné.

« Cela ne suffit pas, répondit le landrath, l'enquête a été ordonnée et doit être commencée immédiatement. C'est pourquoi la fille Emmerich doit se laisser transporter tout de suite dans la maison du conseiller de la chambre des finances Mersmann.

- Si c'est l'ordre de mes supérieurs ecclésiastiques, répondit-elle, je laisserai volontiers faire de moi tout ce qu'on voudra, parce que je croirai alors que Dieu le juge nécessaire. Je suis religieuse, et, quoique mon couvent ait été supprimé, je reste toujours religieuse et ne puis rien faire sans mes supérieurs ecclésiastiques. Le vicariat a déjà antérieurement proposé une enquête faite en commun.

(note du traducteur) Le fonctionnaire ainsi dénommé ne peut être désigné que très improprement par le titre de conseiller provincial, qui d'ailleurs n'existe pas dans notre hiérarchie administrative, il nous a donc paru plus simple de conserver dans le cours du récit le titre allemand.


Si on y avait consenti, je m'y serais prêtée : car il ne peut que m'être agréable de voir la vérité mise au jour. » Le landrath : « Cela ne regarde pas maintenant l'autorité ecclésiastique. Du reste, il y a ici trois prêtres catholiques. » A ces paroles, Anne-Catherine s'adressa au vicaire Roseri et lui dit : « Comment pouvez-vous, étant prêtre, vous trouver ici, si cela ne regarde pas le clergé ? Vous avez déjà pris part à la dernière enquête d'une manière peu convenable pour un prêtre, et je suis d'autant plus attristée de vous voir encore ici. Vous avez par là perdu tout crédit auprès de moi. »

Roseri s'excusa, disant que la dernière fois il était venu comme par hasard : mais cette fois il en avait été requis et, sur sa demande, il avait reçu du vicariat la déclaration que non seulement il lui était permis d'assister à l'enquête, mais qu'on verrait volontiers qu'il y fût présent : il regrettait de n'avoir pas sur lui cet écrit (note).
« Là-dessus Anne-Catherine répéta au landrath sa déclaration qu'elle ne pouvait consentir à être transportée dans une autre maison, d'autant plus que son médecin aussi ne pourrait le trouver bon. Le landrath se retira alors en déclarant qu'il allait faire son rapport à Munster.

Le journal de Wesener rapporte à la date du 3 août :
« Lorsqu'hier soir je suis venu voir la malade, je l'ai trouvée émue, mais nullement déconcertée : seulement elle craignait que le vieux Lambert qui est malade en ce moment ne restât sans soins.
« Mercredi 4 août. Aujourd'hui j'ai trouvé la malade tout à fait résignée.

(note) Ces paroles n'étaient pas véridiques, comme on le verra plus tard par actes officiels. Anne-Catherine, qui voyait le triste état de l'âme de homme encore jeune, ne put donc lui répondre autre chose, sinon qu’il avait perdu tout crédit auprès d'elle.

Cette nuit il lui a été montré dans une vision qu'on lui ferait d'abord les plus belles promesses du monde, mais que plus tard on la tourmenterait d'une façon qui la réduirait à un état très misérable et à une faiblesse mortelle. Elle devait alors demander l'assistance de son confesseur. »

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:50

6. Le Pèlerin fut douloureusement ému de tout cela et il offrit de mettre tout en oeuvre pour venir en aide à la patiente si cruellement opprimée. Le soir du 3 août il lui adressa une lettre ostensible (note) où il la priait de le proposer à la commission comme un témoin ayant les qualités nécessaires pour assister à l'enquête et pour constater devant le monde entier la légalité des actes de la commission et l'humanité de ses procédés. Mais lorsqu'Anne-Catherine remit cet écrit au landrath, il déclara que le Pèlerin était « spécialement exclu. » Celui-ci s'adressa alors à Munster, au président supérieur prussien, M. de Vinke, qui lui répondit de sa propre main : « Je ne puis répondre à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 4 de ce mois, qu'en exprimant mon regret de ne pouvoir satisfaire votre désir de prendre part à l'enquête ordonnée sur l'état de la fille Emmerich. On m'a expressément enjoint en haut lieu de la séparer de son entourage habituel, et cette séparation est si essentielle pour le but qu'on veut atteindre que je ne puis m'écarter de mes instructions sur ce point. Mais tout ce que vous voudrez communiquer à la commission touchant vos observations personnelles sera accueilli avec plaisir. Je craindrais aussi que votre présence ne fût désagréable à la fille Emmerich ; car, lors d'une visite médicale qui a eu lieu l'hiver dernier, elle a toujours témoigné beaucoup d'inquiétude en entendant prononcer votre nom.

(note) Dans le Recueil des lettres de Clément Brentano on trouve, tome I, p. 361-380, une longue lettre adressée au vicaire général ; mais comme elle était restée à l'état de projet et n'avait jamais été remise à celui-ci, il n'y a pas lieu de s’en occuper ici.

On a fortement recommandé aux commissaires de traiter la malade avec tous les ménagements et toute la douceur possibles, et le choix des personnes m'est garant que cette recommandation n'était nullement nécessaire.
Il me sera toujours très agréable de faire personnellement connaissance avec le beau-frère de l'excellent Savigny (note) j'espère me procurer ce plaisir à mon prochain voyage à Dulmen. »

note : Célèbre jurisconsulte, professeur à l'université de Berlin, dont la femme était soeur de Brentano.

Une demande faite de vive voix au landrath par le Pèlerin ayant été également rejetée, il se retira, sur le désir de la malade, à Bockholt, dans la maison paternelle du cardinal Diepenbrock, pour y attendre le résultat de l’enquête.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:51

7. Le 4 août, le landrath demanda de nouveau qu'Anne-Catherine consentit de bonne grâce à se laisser conduire hors de sa demeure : mais celle-ci persista avec encore plus fermeté dans son refus de laisser prendre aucune disposition à son égard à l'insu de ses supérieurs ecclésiastiques. « Je demande, déclara-t-elle, un ordre du vicaire général, des personnes déléguées par lui et des témoins partiaux : alors, quoi qu'il puisse arriver, je le recevrai au nom de Dieu, car je n'aurai rien à craindre. » Le landrath n'osa pas encore employer la force : mais après le curé Niesert s'approcha avec Roseri, et celui-ci dit : « Comment voulez-vous maintenant que l'on s'y prenne avec vous ? ».
Anne-Catherine : « Pourquoi m'interrogez-vous ? Avez-vous l'ordre de procéder avec moi comme je le voudrai ? Je demande des prêtres qui soient envoyés par l'autorité ecclésiastique et deux témoins qui écrivent aussi pour moi le procès-verbal et qui me le lisent afin que je sache ce qu'on m'attribue.
- Vous ne devez pas vous plaindre, dit alors Niesert, vous êtes couchée très commodément et vous paraissez vous trouver très bien ici.
- « Comment je me trouve, répondit-elle, Dieu le sait, » et se tournant vers Roseri : « J'ai appris par M. le doyen (Rensing) que vous n'avez pas l'autorisation du vicariat pour être ici. »
Le vendredi 6 août, le conseiller de médecine Borgès, protestant, vint de Munster à Dulmen en compagnie d'un magnétiseur. Dès son entrée dans l'hôtel de la poste, il déclara, du ton le plus grossier et le plus méprisant, « qu'il en aurait bientôt fini avec cette fille et qu'il ne plaisanterait pas. Il voulait, disait-il, la faire conduire à Berlin par des gendarmes sans que cela lui fît le moindre mal. » Ces propos se répandirent promptement dans Dulmen, ils firent craindre à la bourgeoisie qu'on n'en vînt à l'emploi de la force et excitèrent la plus vive sympathie pour celle qu'on persécutait. Les bourgeois tinrent une assemblée dans laquelle on résolut de faire une protestation contre des procédés si contraires à la justice et aux lois : et la rédaction en fut confiée au commissaire de justice Keus. Elle fut remise au landrath Boenninghausen qui la reçut et promit solennellement qu'elle serait mise sous les yeux des autorités supérieures. Cette promesse calma les esprits et beaucoup se livrèrent à la confiance, espérant qu'ils avaient par là détourné de la pauvre religieuse le coup terrible qui la menaçait.

De l'hôtel de la poste, Borgès et son compagnon s'étaient rendus avec Boenninghausen chez Anne-Catherine pour la presser de nouveau et plus instamment de donner son consentement à ce qu'on la transportât ailleurs.
Le voisinage de ce Borgès, qui avait un haut grade dans la franc-maçonnerie et dont la personne lui inspirait une répulsion particulière, fut pour elle un supplice indicible et elle supportait plus aisément des menaces et des injures que les paroles caressantes dont il se servit tout d'abord pour obtenir son consentement à être emmenée ailleurs.

« Combien il est déraisonnable à vous, dit-il d'un ton sarcastique, de repousser l'offre si avantageuse qu'on vous fait d'être entourée uniquement d'hommes distingués, excellents, et de profiter de tous leurs bons offices dans un lieu bien préférable à celui-ci ! - Quant à la bonté de ces messieurs, répondit-elle, je l'abandonne au jugement de Dieu. Je leur souhaite toute espèce de bonté : cependant je n'en ai pas encore vu le moindre effet. S'il s’agit pour vous d'arriver à la vérité, vous pouvez m'examiner ici dans cette chambre. Mais je sais qu'il ne s'agit pas pour vous de la vérité que vous pourriez trouver tout seuls. Si vous voulez la vérité, pourquoi ne pas la chercher ici, chez moi ? » Tous deux lui ayant demandé de nouveau ce qu'elle désirait qu'on fit pour elle pendant l’enquête, elle répondit : « Je demande, comme étant gravement malade, la présence de mon médecin et de mon confesseur, une de mes consoeurs pour me soigner, enfin deux prêtres et deux laïques comme témoins. Toutefois je proteste de nouveau que l'on ne me fera sortir de cette maison que par la force. » Après ces paroles, elle réclama encore contre l'adjonction du docteur Rave, parce que celui-ci, outre son procès-verbal officiel, au mois de février, avait fait une seconde relation toute différente et l'avait fait circuler dans le public, au grand préjudice de la malade.

On verra bientôt quel fut le résultat de cette protestation. Pendant toute cette conversation, le magnétiseur, par sa contenance discrète et réservée, avait donné à connaître qu’il ne voyait pas chez Anne-Catherine le moindre indice d’où il pût inférer que c'était une somnambule (note).

Wesener rapporte à propos de cette journée : « Le matin je trouvai la malade passablement forte. Elle ne voulut pas condescendre à la demande que lui faisait Borgès de se laisser transporter ailleurs. Celui-ci chercha aussi à me persuader : mais comme je lui déclarai qu'elle n'était pas transportable, il se mit en colère et déclara qu'il aurait recours à la force. Vers minuit, on a voulu en effet la transporter de force : mais comme il y a eu des rassemblements populaires, on y a renoncé pour le moment. La malade a encore protesté formellement qu'elle ne voulait pas être emmenée d'ici. »

(note) Boenninghausen lui-même déclara publiquement : « Chez la fille Emmerich, Il ne peut être question de magnétisme animal. Pour mettre fin à toute contestation sur ce point, je fais remarquer qu'elle a horreur du magnétisme et de ses adhérents en général et en particulier, tant qu'ils ne renoncent pas à leurs égarements avec un repentir véritable. »

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:51

8. Un témoin oculaire, M. de Schilgen, raconte ainsi cette tentative nocturne : « Tous les bourgeois bien intentionnés et moi-même, nous nous étions servis de l'acceptation de la protestation par le landrath pour calmer la population de Dulmen et lui persuader qu'il n'était plus question de recourir illégalement à la force. J'en étais moi-même tellement convaincu que j'allai me reposer mais, avant minuit, je fus réveillé par un gendarme qui vint prendre un de ses camarades logé dans ma maison et me dit qu'il avait l'ordre de rassembler toute la gendarmerie. Je m'étonnai de voir qu'on se préparait ainsi à employer la force et je me rendis à la maison de la malade où beaucoup de gens étaient rassemblés pour attendre l'issue de l'affaire. Toute la gendarmerie était en mouvement. A minuit parurent Borgès, Boenninghausen et Busch. Ils se présentèrent à la porte qui conduit au logement de la malade, mais ils s'en retournèrent après avoir frappé assez longtemps sans qu'on vint leur ouvrir. Alors ils se rendirent dans la cuisine du maître de la maison, se firent montrer par lui la chambre qui donnait sur la rue, déclarèrent que celle-ci pourrait très bien leur servir pour une nouvelle enquête et amenèrent par là (ce qui était leur but) le propriétaire et la foule rassemblée devant la maison à croire que la malade serait examinée dans la maison même et non transportée dans une autre. Cependant beaucoup de gens restèrent rassemblés dans les rues jusqu'au moment où l'aube du jour appela chacun à son à son travail. Le lendemain, de grand matin, j'entendis dire qu'à huit heures on enlèverait la malade de force. Pour me mettre au moins en mesure de rendre plus tard un compte exact des faits devant le juge compétent, je me rendis à sept heures et demie chez la malade qui, après la première salutation, répondit à la question que je lui adressai sur ce qu'elle avait résolu de faire : « Je suis dans un extrême embarras ; le landrath s'est adressé à monsieur notre doyen (note) pour qu'il me persuade de me soumettre à être transportée ailleurs pour subir une nouvelle enquête. Le doyen est venu me voir pour cela : je ne sais ce que je dois faire. » Comme je lui répondis qu'il fallait pourtant prendre un parti, elle reprit : « Non ! je ne m'y résoudrai jamais mais volontairement. Je persiste dans ma protestation ! » Elle me pria de rester près d'elle et d'engager l'employé de justice Keus à faire tout ce qu'il pourrait pour elle. Là dessus entra le landrath qui fit de nouveau tous ses efforts pour obtenir son consentement. Je pris la parole et me référai à la protestation remise la veille et renouvelée encore tout à l'heure par la malade.

(note) Le doyen Rensing avait dit à la malade : « Le landrath a pleuré et s'est désolé, assurant qu'il perdra sa place si vous ne vous laissez pas transporter » (Note du Pèlerin.)

Alors le landrath lui-même prit par les épaules la malade enveloppée dans ses draps de lit pendant qu'une infirmière, qu'il avait amenée, la prenait par les pieds : ils la descendirent ainsi par l'escalier dans la grange, puis ils la placèrent sur un lit préparé à cet effet qui fut emporté dehors par quatre hommes de la police. Le cortège se mit en mouvement vers la maison du conseiller Mersmann, escorté par le lieutenant de gendarmerie et sa troupe. La tranquillité ne fut pas troublée, car les spectateurs, qui étaient par centaines, ne témoignèrent leur sympathie que par des larmes et des sanglots. A ma grande joie, j'avais remarqué que la malade, depuis le moment où on l'avait enveloppée, était tombée dans ce qu'on appelle l'état cataleptique, ce qui la rendit insensible à tout ce qui se passait au dehors (note). »
Plus tard Anne-Catherine, elle-même raconta ainsi la chose : « Dans l'après-midi qui précéda mon enlèvement, je vis en vision, étant éveillée, l'événement tel qu'il se passa le jour suivant. Cela me fit tellement souffrir que je n'étais pas en état de dire ce qui me tourmentait ainsi. Le doyen Rensing voulait que je cédasse de bonne volonté : en outre, le landrath me dit qu'il serait privé de son emploi et qu'il était un homme perdu, si je ne consentais pas de bonne grâce à ce qu'on me demandait. Mais je déclarai que je ne cèderais qu'à la force. Lorsque le landrath me saisit, je fus aussitôt ravie hors de ce misérable monde et je me sentis ramenée à une vision de ma jeunesse que j'avais eue souvent avant mon entrée au couvent.

(note) Lorsque l'auteur visita en septembre 1859 l'habitation de la soeur Emmerich à Dulmen, il trouva encore sur les portes la trace des sceaux que l'autorité y avait fait mettre. Le frère du P. Limberg, qui vivait encore et auquel appartenait la maison, lui raconta en outre que, lors de l'enlèvement de la soeur, les vaches de l'étable voisine avaient poussé des mugissements plaintifs.

« Je restai absorbée constamment dans cette vision, et lorsque je m'éveillai le jour suivant et me trouvai dans la maison étrangère, je me croyais un enfant et je regardais comme un rêve tout ce que j'avais éprouvé jusqu'alors.

« J'ai passé tout le temps de ma captivité dans un état d’exaltation morale dont je m'étonnais moi-même. J'étais souvent gaie, je ressentais la plus grande compassion pour ces aveugles chercheurs ; je priais pour eux, je m'étais proposé de tout supporter pour les pauvres âmes en peine afin qu'elles priassent pour les persécuteurs. Je descendais souvent aussi dans le purgatoire et je voyais que mes souffrances ressemblaient aux leurs. Plus les persécuteurs étaient violents, plus je me sentais devenir maîtresse de moi et même contente. Cela ne manquait guère de mettre le landrath en fureur. Dieu me préservait de faire des démonstrations extérieures pendant la vision : les grâces étaient silencieuses. Sans le secours de la bénédiction sacerdotale et d'aucun objet sacré, je recevais de Dieu une abondance de force telle que je ne l'avais guère connue jusque-là et il me suggérait toutes les paroles que j'avais à prononcer : car je n'avais aucune réponse préparée d'avance. Chaque fois que mes oppresseurs se précipitaient vers moi d’un côté, m'interrogeant et m'injuriant, je voyais de l'autre côté une figure lumineuse d'où découlaient sur moi la force et la grâce. Je recevais aussi de là chaque mot que je vais dire : c'était toujours court, précis et doux, et j'étais pleine de compassion. Mais quand je parlais de moi-même, je sentais une grande différence : c'était une autre voix, vulgaire, dure et pleine d'âpreté.

« Le jour de la fête de saint Laurent, je vis son martyre. Je vis aussi l'Assomption de Marie, et le jour de la fête de Sainte-Anne (note), qui était la patronne de ma mère, je fus ravie auprès d'elle dans son séjour bienheureux.

(note) La fête de Sainte-Anne tombe le 16 août dans le calendrier de Munster.

Je désirais rester avec elle : mais elle me consola et me dit :

« Quoique bien des choses fâcheuses te soient encore préparées, cependant plusieurs épreuves terribles ont été détournées de toi par la prière. » Elle me montra alors plusieurs lieux où l'on priait pour moi. « Tu as bien soutenu le plus difficile, ajouta-t-elle, mais il te reste encore beaucoup à éprouver et à faire. »

« Le jour de la fête du saint patron de mon ordre (saint Augustin), j'eus la vue de ma situation, telle qu'elle aurait dû être suivant l'intention de mes ennemis. Je vis plusieurs d'entre eux pleins d'assurance et bien convaincus qu'en ma personne, ils tenaient les catholiques sous leur main et allaient leur infliger un affront notable. Je vis même les ecclésiastiques qui étaient dans cette affaire animés de très mauvais sentiments. Je me vis dans un trou profond et ténébreux et il semblait que je n'en devais plus sortir. Mais chaque jour je remontais un peu et la clarté allait en croissant pour moi. Mes persécuteurs au contraire s'enfonçaient de plus en plus profondément dans la nuit et les ténèbres, ils s'embarrassaient et se heurtaient les uns les autres et ils étaient assis comme au fond d'un trou. Saint Augustin, vers lequel je criais au secours, était près de mon lit le jour de sa fête et se tenait en face de l'homme qui me tourmentait si durement. Saint Jean vint aussi près de moi le jour de sa fête et m'annonça ma délivrance.

« Mais je vis aussi l'esprit malin toujours présent quand ils venaient. Il était comme un assemblage de tous les mauvais esprits, tantôt riant, pleurant, maudissant, faisant l'hypocrite, tantôt mentant, dissimulant, intriguant, excitant. C'est le démon des sociétés secrètes.

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:52

Dans cette vision mon guide me conduisait par la main comme un enfant. IL me tira de la chaumière paternelle par la fenêtre, il me mena par la prairie, par la plaine sablonneuse, à travers le bocage, puis me fit faire par diverses contrées désertes une route longue et dangereuse, qui aboutissait à une montagne escarpée. Il fallut qu'il me traînât après lui pour que je ne restasse pas en chemin. Il me paraissait étrange de me croire toujours un enfant, quoique déjà si âgée. Quand nous fûmes en haut, il me dit « Vois ; si tu n'avais pas été un petit enfant, je n'aurais pas pu te conduire ici. Maintenant regarde en arrière, et vois de quels dangers infinis tu étais menacée, et comment tu as pu passer heureusement au travers, grâce à la conduite de Dieu. » En me retournant, je vis toute la route que j'avais parcourue pleine d'images représentant sous les formes les plus multipliées le danger de tomber dans le péché et je vis comment j'en avais été miraculeusement préservée par la fidélité attentive de mon ange conducteur. Ce qui pendant le voyage s'était présenté à moi comme de simples aspérités du chemin, je le vis maintenant représenté sous des formes humaines comme des tentations induisant au péché. Je vis les tribulations de toute espèce auxquelles j'ai échappé, grâce à la bonté de Dieu. Je vis aussi des personnes avec les yeux bandés, ce qui signifiait leur obscurcissement et leur aveuglement intérieur, protégées longtemps dans leur marche au bord des abîmes, mais pour finir par y tomber. J'en vis plusieurs que j'ai contribué à sauver. L'aspect de ces terribles dangers me remplit d'effroi. Je ne pouvais pas comprendre comment j’y avais ainsi échappé.

« Lorsque mon conducteur m'eut montré tout cela, il me laissa là et fit quelques pas plus loin. Mais je me sentis à l'instant tellement faible et débile que je commençai à chanceler et à tomber comme un enfant qui ne peut pas encore marcher et auquel on retire la main qui le conduisait. Je me mis à pleurer et à me désoler comme un petit enfant. Alors mon conducteur revint et me tendit la main disant : « Tu vois maintenant combien tu te trouves faible, aussitôt qu'on cesse de te conduire. Tu peux donc te faire une idée du besoin que tu as eu d'être guidée pour passer à travers tous les dangers que tu as vus derrière toi. »

« Alors il me conduisit de l'autre côté de la montagne, qu'il me fit descendre, et nous traversâmes une belle prairie pleine de fleurs blanches, jaunes et rouges. Elles étaient si serrées que j'avais toujours peur d'en écraser quelques-unes et que je ne savais souvent où poser le pied. Il y avait aussi là des rangées de pommiers en fleur et d'autres arbres de toute espèce. Au bout de cette prairie nous arrivâmes à un chemin creux fort sombre, bordé de grandes haies croissant en liberté. Le sentier était plein de pierres et de boue. Mais je passai heureusement tenant la main de mon guide, car je ne touchais pas le terrain fangeux, mais planais seulement au-dessus. Quand nous eûmes laissé ce chemin derrière nous, nous arrivâmes de nouveau à une montagne d'un aspect très agréable et passablement haute, qui n'était couverte que de beaux petits cailloux brillants. Lorsque nous fûmes au haut, je vis de là la prairie ainsi que le chemin dangereux parcouru antérieurement, et mon guide me dit que le dernier chemin si agréable avec ses fleurs et ses arbres fruitiers était la consolation spirituelle, le soulagement et l'action multiple de la grâce qui monte dans l'âme de l'homme après qu'il a résisté à la tentation et surmonté le danger. La crainte que j'avais eue de marcher sur les fleurs était le scrupule et la fausse conscience (un esprit semblable à celui d'un enfant, qui s'abandonne à Dieu en toute simplicité, marche sur toutes les fleurs du monde sans penser qu'il puisse en briser ou en froisser une et en effet il ne leur fait pas le moindre mal). Je dis à mon guide qu'il devait bien y avoir une année entière que j'étais en voyage avec lui, tant la route me paraissait longue. Il répondit : « Pour faire le chemin que tu vois, il te faudrait bien dix ans. »

« Alors je regardai en bas de l'autre côté de la montagne, et je vis la route que j'avais encore devant moi. Elle était très courte : je vis au bout, à une petite distance en droite ligne, la Jérusalem céleste et je pus ainsi, sur cette montagne, voir d'un côté le sombre et périlleux chemin de la vie que j'avais laissé derrière moi et de l'autre le court trajet qui me restait à faire avec la magnifique cité de Dieu dans l'atmosphère azurée du ciel. Le plateau que j’avais maintenant à traverser était peu étendu, et conduisait en droite ligne à un chemin que je voyais aussi devant moi : mais à gauche et à droite je vis plusieurs sentiers détournés allant dans diverses dilections et revenant toujours au chemin direct, en sorte qu'il pouvait y avoir là une assez longue marche à faire. Ces sentiers ne paraissaient pas très dangereux, quoiqu'on pût y trébucher. Je vis avec une grande joie l'intérieur de la Jérusalem céleste ; elle se montra cette fois à moi bien plus grande et de bien plus près que cela ne m'était encore arrivé. Alors mon guide me conduisit d'un côté où l'on descendit la montagne : il semblait qu'un danger me menaçait je vis le Pèlerin marcher dans le lointain : il paraissait emporter quelque chose et je désirais être prés de lui, mais mon guide me conduisit dans une maisonnette où les deux religieuses qui m'étaient bien connues me préparèrent un lit dans lequel elles me mirent. Je me trouvai de nouveau une pauvre nonne et je m'endormis paisiblement dans une heureuse et incessante contemplation de la Jérusalem céleste. Je ne dois pas oublier de dire que pendant le voyage je tendis plusieurs fois la main à d'autres personnes et leur fis faire avec moi un peu de chemin.

« Je vis la Jérusalem céleste comme une ville d'or, brillante et diaphane, suspendue dans l'azur du ciel et ne touchant pas la terre. Il y avait des murs et des portes : mais je voyais à travers ces murs et ces portes et à travers tout ce qui était derrière. Cette vue est plutôt la perception instantanée d'un ensemble qu'une vue : successive, telle que je suis obligée de la présenter ici. Il y avait là beaucoup de rues, de palais, de places, et tout était peuplé de formes humaines semblant appartenir à des races, à des rangs, à des hiérarchies diverses. Je distinguai des classes et des corporations entières liées par des rapports de dépendance mutuelle. Plus mes regards pénétraient profondément dans cette cité, plus tout m'y paraissait magnifique et merveilleux. Les figures que je voyais ne présentaient à l'oeil d'autre couleur que la lumière dont elles brillaient, elles se distinguaient pourtant entre elles par la forme de leurs vêtements et par divers insignes qu'elles portaient, sceptres, couronnes, guirlandes de fleurs, crosses épiscopales, croix, instruments de martyre, etc. Au centre de tout ce tableau s'élevait comme un arbre, sur les branches duquel apparaissaient ainsi que sur des sièges des figures encore plus splendides. Cet arbre étendait ses rameaux comme les fibres d'une feuille et se relevait en s'arrondissant. Les figures supérieures étaient de plus en plus magnifiques et dans l'attitude de l'adoration : il y avait en haut comme de saints vieillards et je vis aussi au sommet comme un globe représentant le monde entier et surmonté d'une croix : il me sembla aussi voir là la Mère de Dieu, mais avec une bien plus grande splendeur que je ne l'avais vue ailleurs. Du reste il n'y a pas de paroles pour exprimer tout cela. C'est dans cette contemplation que je m'endormis dans la petite maison jusqu'au moment où, eu me réveillant, je me trouvai de nouveau dans le temps. »

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:52

CHAPITRE III
*
MESURES PRISES PAR LE VICARIAT


1. Il faut ici interrompre le cours de la narration pour se rendre compte de la position de l'autorité spirituelle en présence de la religieuse maltraitée d'une manière si contraire au droit et qui, à raison de sa profession, en avait souvent appelé à cette autorité.

Le 3 août, le vicaire général Droste avait écrit à Rensing : « J'apprends qu'on veut faire une nouvelle enquête sur la soeur Emmerich. Je vous donne cette information en vous chargeant de la communiquer sans retard à la soeur Emmerich ; dites-lui aussi que cette enquête a lieu sans qu'on m'en ait prévenu et que par conséquent je n'ai autorisé aucun ecclésiastique à y prendre part. »

En même temps le vicaire Roseri reçut une sévère réprimande pour s'être rendu à Dulmen sans avoir attendu l’ordre de ses supérieurs ecclésiastiques. « Aucun ecclésiastique, déclarait le vicaire général, ne doit accepter de l’autorité séculière un mandat de cette espèce ; il méconnaît et renie son auguste profession quand il se laisse employer dans des affaires de police. » Roseri fut obligé de quitter Dulmen. Ainsi firent le curé Niesert et le professeur Roling auxquels le même ordre était parvenu. Ce dernier différa d'obéir au vicaire général parce que le président supérieur et Boenninghausen s'interposèrent pour lui, mais Clément de Droste n'était pas homme à se laisser mettre en contradiction avec lui-même. Il adressa aussitôt à Rensing une nouvelle instruction. « M. de Vinke, disait-il, désire que je laisse les ecclésiastiques prendre part à l'enquête, mais je ne puis y consentir... Je ne puis permettre à aucun prêtre, pas plus à M. Roling qu'à un autre, d'y prendre part, d'autant plus que M. de Vinke ne parle pas d'une commission réellement mixte. Une fois pour toutes, tant que je ne vous écrirai pas le contraire, il faut vous en tenir absolument à ce que je vous ai écrit... J'espère donc que m. Roling ne se montrera pas moins obéissant que MM. Niesert et Roseri. »

Sur la demande de conseil et d'assistance que lui adressait la malade si cruellement opprimée, le vicaire général lui répondit par l'intermédiaire de Rensing : « Je vous réponds à la hâte que je ne puis donner de conseils circonstanciés pour l'avenir, parce que rien ne m'est connu quant à la marche de l’enquête projetée. Du reste, il me semble que ce qu'a fait la soeur Emmerich jusqu'à présent et que ce qu'elle a l'intention de faire est très convenable... Si la soeur Emmerich dit que je ne devrais pourtant pas l'abandonner entièrement, elle se fait une idée fausse de la situation. »

Lorsqu'ensuite elle fit adresser par Rensing au vicaire général une copie de la protestation présentée par elle à la commission afin qu'il en prît occasion d'agir en sa faveur, il répondit ainsi de Darfeld : « J'ai reçu ici vos rapports des 5 et 7 août, avec la protestation de la soeur Emmerich jointe au dernier. Je vais y répondre avec autant de brièveté et de précision que possible. Cette enquête est une enquête purement laïque, parce qu'elle est ordonnée et dirigée exclusivement par les autorités civiles : si des ecclésiastiques aussi y prenaient part, contrairement aux règles établies, cela ne changerait pas la nature de l'enquête : elle resterait toujours purement laïque et il est très important qu'on ne donne à cette enquête en aucune manière, ni du plus loin que ce soit, l'apparence d'une enquête mixte. Or donc :

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:52

1° Aucun ecclésiastique, sans vous excepter, ne doit y prendre la moindre part, soit pour, soit contre : tous les ecclésiastiques doivent absolument l'ignorer. Si la soeur Emmerich réclame, soit de vous, soit du chanoine Hackebram, soit de tout autre prêtre, assistance et conseil spirituel, il va de soi-même que cela ne doit pas lui être refusé : mais ni vous ni aucun prêtre ne devez accéder à une demande venant d'une commission dont l'existence doit vous être inconnue. Vous ferez en sorte que les ecclésiastiques sachent bien cela.

2° Je ne vois pas quel droit les amis de la soeur Emmerich ont de porter plainte en leur propre nom devant les tribunaux supérieurs du pays contre la commission mais si l'on doit en venir là, c'est la soeur Emmerich elle-même qui doit le faire ou tout au moins ses amis devraient avoir d'elle pour former la plainte un mandat en forme et par écrit.

3° Il est convenable que les ecclésiastiques dont la soeur Emmerich prend. le conseil ne restent pas seuls avec elle dans ce moment. »
Le vicaire général ne pouvait pas prendre une autre décision : car, un an auparavant, sur une première démarche faite par le président supérieur prussien, il avait présenté un projet de commission d'enquête mixte que celui-là avait rejeté sous un prétexte futile. « J'avais, dit-il, proposé à M. de Vinke, suivant son désir, une commission d'enquête mixte, laquelle toutefois n'a pas été formée, le baron de Vinke ayant assuré qu'on ne pourrait pas trouver quatre personnes (j'avais exprimé le désir qu'il y eût parmi elles des protestants) qui, alternativement avec quatre autres nommées par moi, surveillassent la soeur Emmerich pendant huit jours au moins. »

Là-dessus le président supérieur alla en avant, éludant à dessein et d'une manière très significative l'intervention de l'autorité ecclésiastique : il nomma une commission dont les mobiles dirigeants et les tendances étaient trop visibles aux yeux du vicaire général pour qu'il ne se jugeât pas obligé, afin de sauvegarder la dignité de l'Église, de défendre sévèrement à tout prêtre d'en faire partie. Il savait aussi qu'en face du nouveau gouvernement sous le joug duquel était tombé le pays de Munster, il ne pouvait hasarder aucune démarche en faveur de l'innocence persécutée, sans l'exposer à un traitement encore bien pire : c'est pourquoi il considéra l'enquête de police prussienne comme non avenue, parce qu'il avait la confiance (ainsi que cela fut révélé à Anne-Catherine pour sa consolation) a que ce qui venait de Dieu recevrait aussi de Dieu et de lui seul une assistance infaillible. »

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:53

2. Déjà, lorsque Bodde avait livré à la publicité ses attaques contre Anne-Catherine et par là même contre l'autorité ecclésiastique, le vicaire général, pour prévenir l'intervention probable des nouvelles autorités et de leur police, avait pensé à reprendre son ancien projet d'éloigner pour toujours Anne-Catherine de son entourage habituel et de lui préparer un séjour tranquille où elle pût vivre complètement séparée du monde entier. Il avait peine à admettre que Dieu lui-même, ayant marqué la pauvre religieuse de ces stigmates qui étaient pour lui la source de tant de soucis, voulût cependant la laisser dans une situation et au milieu de relations qui ne lui semblaient pas celles qui convenaient à une si éminente distinction. Sans doute il ne pouvait plus la replacer dans le secret de la stricte clôture d'un couvent : mais si elle avait le bonheur d'être éloignée d'un entourage sur lequel tous ceux qui contestaient ses signes faisaient peser le soupçon d'être les auteurs de ce qu'ils appelaient une imposture, on enlèverait, selon lui, aux calomniateurs la principale base de leurs attaques, et dans le cas probable où l'on ne pourrait éviter une nouvelle enquête, lui-même aurait « les mains tout à fait libres. » Que Dieu même eût fait échouer son plan de la transporter à Darfeld, c'est ce qu'il ne voulait pas s'avouer, parce qu'il était porté à voir dans l’abbé Lambert (1) et dans le P. Limberg, ces hommes si timides et si inoffensifs, l'une des causes du refus qu'avait fait la malade de se laisser cacher à Darfeld.

Mais comme, quelques années après, par suite des bavardages d'une ancienne consoeur de la malade qui cherchait à se donner de l'importance, on fit courir à Munster le bruit sans fondement qu'Anne-Catherine avait l'intention d'aller s'établir à ce qu'on appelait l'Ermitage, près de Dulmen, il envoya à Dulmen le 10 juillet 1817 une sévère instruction ainsi conçue : « Ayant appris que la soeur Emmerich se propose d'aller habiter l'Ermitage près de Dulmen avec l'abbé Lambert ou le Père Limberg ou avec tous les deux, je vous charge, monsieur le doyen, de faire savoir immédiatement à la soeur Emmerich et aux deux ecclésiastiques susnommés, que je ne puis, il est vrai, m'opposer à ce que la soeur Emmerich aille habiter cet ermitage ; mais que je lui interdis très formellement de laisser habiter là près d'elle l'un ou l'autre de ces deux prêtres ; en outre j'interdis à ceux-ci, sous peine d'une punition que je me réserve de fixer, de loger à cet ermitage dans le cas où la soeur Emmerich y habiterait et d'y passer même une seule nuit. »

Différents bruits de ce genre se succédaient les uns aux autres ; des accusations et des menaces contre Anne-Catherine et son entourage adressées au vicaire général par les personnes les plus diverses, soit de vive voix, soit par écrit, excitèrent de plus en plus chez lui la crainte que tout cela ne fût exploité au préjudice de l'Église et firent perdre la justesse de son coup d'oeil à l'esprit d'ailleurs si éclairé de cet homme supérieur, en sorte que, pour éloigner la malade de Dulmen de la manière la plus propre à prévenir tout refus de sa part et toute immixtion étrangère, l'idée lui vint d'un de ces expédients auxquels, dans des cas semblables, l'autorité ecclésiastique doit le plus éviter d'avoir recours : il écrivit à Rensing le 21 octobre 1847 : « Je vous remercie fort de votre dernière lettre au sujet de la soeur Emmerich, et je crois devoir y répondre que, le matin même du jour où je me suis entretenu avec vous, j'ai mis par écrit et scellé de mon sceau ce que je me propose de faire à son égard et que je ne compte briser le cachet qu'en votre présence... Je vous prie de dire en mon nom à la soeur Emmerich que, comme son supérieur ecclésiastique, je lui enjoins de prier Dieu de nouveau pour qu'il daigne lui faire connaître exactement, dans le détail, le plan que j'ai formé par rapport à elle.

Dès que j'aurai une occasion, je prendrai la liberté de vous envoyer un exemplaire du livre composé par mon frère sur l'Église et l'État... Puisse Dieu commander aux vents et à la mer ! »

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:53

3. Ce fut donc sur l'espoir que sa pensée serait devinée que le vicaire général assit l'exécution de son projet. Il ne sentit pas que par là il se plaçait sur le terrain de l'art divinatoire et perdait de vue les règles strictes de la foi et les principes qui font autorité, quant à la direction de la vie ascétique, lesquels seuls peuvent donner la mesure et tracer la limite dans une enquête ecclésiastique. Il ne sentit pas non plus la contradiction intrinsèque du plan imaginé par lui, dont la conception était l'hommage le plus complet rendu à Anne-Catherine, tandis que sa mise à exécution aurait été la condamnation de celle-ci : car si elle recevait de Dieu la révélation des projets restés secrets, il trouvait là la plus haute confirmation de la réalité des dons accordés à la voyante, et alors il devait d'autant moins aller à l'encontre des desseins de Dieu sur celle qui lui servait d'instrument et chercher à y mettre obstacle. Mais on est saisi d'étonnement en voyant avec quel soin jaloux, même dans ce cas, Dieu sauvegardait l'autorité du supérieur ecclésiastique. La pureté d'intention qui avait présidé à ce projet fut agréée par Dieu ; et maintenant il y était donné satisfaction, au moyen de l'enquête de police dans laquelle Anne-Catherine devait être assez longtemps séparée de son entourage habituel pour que toute suspicion fût dorénavant réduite au silence. Mais quelque chose dans ce plan allait à l'encontre des voies de Dieu, savoir, le projet de cacher Anne-Catherine pour toute sa vie dans un asile absolument fermé au monde : or Dieu ne permit pas qu'il s'accomplît, parce qu'elle avait encore une tâche à remplir : celle de raconter la vie de Jésus. Cependant il lui fallut mériter la mise à néant de ce projet par des souffrances dont la terrible violence nous fait reconnaître au prix de quelles expiations la grâce de cette communication devait être acquise à la chrétienté. A peine Rensing avait-il donné à la malade connaissance de l'ordre mentionné plus haut qu'elle fut éclairée par son ange sur le projet secret du vicaire général ; mais, dès le lendemain, Wesener eut à rapporter ce qui suit :

« 25 octobre. J'ai trouvé la malade dans un état de faiblesse mortelle. Elle me dit que, pendant toute la nuit, elle avait été dans le plus triste état, et qu'elle s'était vue au moment de mourir. Elle ne pouvait à la vérité désigner exactement le jour de sa mort, mais elle croyait qu'il n'était pas éloigné.

« 26 octobre. La malade tombe dans un état de faiblesse extrême. Nous avons résolu de la faire veiller la nuit. Elle a passé cette nuit dans le plus triste état. Elle a eu trois attaques de spasme tonique pendant lesquelles les muscles du bas-ventre étaient retirés jusqu’à la colonne vertébrale. Elle a annoncé d'avance chaque attaque et assuré qu'elle devait souffrir cela, mais que Dieu lui donnait la patience nécessaire. »

Ces souffrances durèrent avec une violence toujours croissante jusqu'à la première semaine de novembre et réduisirent plusieurs fois la malade à un état peu différent de la mort, si bien que le médecin et le confesseur attendaient sa fin comme certaine. Cependant, le 6 novembre, Wesener put dire dans son journal : « Aujourd'hui j'ai trouvé la malade encore très faible, mais tout à fait rassérénée. « Pendant mes dernières souffrances, a-t-elle dit, je n'ai cessé d'avoir des visions. J'avais à gravir une montagne escarpée en compagnie de mon guide. Je vis sur le chemin à droite et à gauche des sentiers descendant vers les précipiter et je vis la détresse des égarés pour lesquels j'avais à prier. Vers le milieu de la montagne, je rencontrai une ville avec une magnifique église. Avant de pouvoir y entrer, je fus reçue par de bienheureuses religieuses de mon ordre, qui me revêtirent d'un habit éblouissant de blancheur. Je leur fis connaître la crainte que j'avais de ne pouvoir réussir à préserver cet habit de toute tache. Elle me dirent alors : « Fais ce que tu pourras : certainement il y aura encore des taches, mais il faudra les laver avec tes larmes... » J'eus aussi un entretien avec mon guide sur le secret que le vicariat m'a fait imposer par monsieur notre doyen, et il m'a été dit que je devais garder le silence le plus absolu sur ce sujet envers tout le monde sans exception. « Si l'on voulait pousser la chose plus loin, a ajouté mon guide, Dieu y mettrait ordre. »

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:54

4. Le silence obstinément gardé par la malade sur la révélation qui lui avait été faite du plan secret, jeta le vicaire général dans l’incertitude, en sorte qu'il écrivit à Rensing le 5 avril 1818 : « Je n'ai pas encore de jugement arrêté sur cette affaire. J'ai fait de mon côté ce qui devait être fait pour approfondir complètement la chose. Si l'enquête mixte n'a pas eu lieu, c'est M. de Vinke qui en est responsable, lui qui, sous le vain prétexte qu'il ne pouvait pas trouver quatre laïques pour surveiller la soeur a rompu les négociations. Je pense que Dieu prendra la chose en main. » - Néanmoins, comme pour attester qu'il ne pouvait pas douter de la vocation extraordinaire d'Anne-Catherine, ni de sa parfaite sincérité, il ajoutait aussitôt ces mots : « Cette lettre vous sera remise par le prince de Salm Reifferscheid, accompagné peut-être de son fils et de M. de Willi, ecclésiastique. Ils désirent voir la soeur Emmerich et lui parler ; ils voudraient voir aussi au moins une de ses mains. Comme ce sont des personnes craignant Dieu, je n'ai pu leur refuser de vous prier de les conduire chez la soeur Emmerich. C'est par précaution que j'ai fait mention du prince héréditaire et de son sage mentor : car je ne sais s'ils seront du voyage. »

L'automne suivant, lorsque Sailer vint à Dulmen et, sur la demande d'Overberg, se fit rendre compte par Anne-Catherine de l’état de sa conscience, elle lui révéla le secret du vicaire général et l’ordre qu'elle avait reçu. Il la confirma dans sa résolution de garder le silence, et le vicaire général laissa tomber la chose.

________________________________________
(1) Comme ce digne vieillard eut beaucoup à souffrir dans tout cela, il convient de donner ici les deux lettres suivantes d’Overberg au Dr. Wesener, lesquelles rendent témoignage de la charité touchante et de la sollicitude consciencieuse avec lesquelles ce prêtre le plus respectable du pays Munster, s'occupait toujours d'Anne-Catherine et de son petit cercle.
I. Du 6 septembre 1818. « Ayez la bonté de me faire savoir, aussitôt que le pourrez sans vous déranger : 1° Combien M. Lambert doit encore à la pharmacie ; 2° si notre chère soeur ou M. Lambert ont déjà payé quelque chose et combien ; 3° si notre chère soeur doit encore quelque chose pour elle-même à la pharmacie et à combien se monte la dette. Je m'efforcerai de les aider à payer, au moins en partie. Je vous prie de saluer cordialement de ma part notre chère soeur et de lui donner l’assurance que je lui écrirai bientôt, si Dieu le permet. Je préférerais aller la voir moi-même, s'il plaisait à Dieu de guérir suffisamment mes jambes pour que je fusse en état de faire ce petit voyage. IL me serait très agréable que voua voulussiez bien me communiquer de nouveau pour quelques mois votre journal sur la malade. Je n'écris pas à M. Lambert touchant la pharmacie, mais pour un autre objet. La position qu'il faut prendre pour écrire n'est pas bonne pour mes jambes et me fatigue beaucoup. C'est pour cela que je suis si court. Dieu soit avec vous. »
II. Du 13 septembre 1813. « J'ai l'honneur de vous envoyer non seulement les huit thalers vingt-trois groschen qui restent à payer à la pharmacie, mais le montant de tout ce qui est dû pour les médicaments fournis à M. Lambert, c'est-à-dire vingt-cinq thalers. On peut aussi mettre à certains égards au nombre des médicaments le vin qui est encore nécessaire ou du moins très utile pendant la convalescence. Afin que rien ne manque à notre soeur de ce qui sera nécessaire en fait de vin ou même pour elle n'ait pas à s'inquiéter dans la crainte que le nécessaire ne vienne à manquer, elle peut utilement employer ce qui restera après le payement à la pharmacie à procurer du vin à M. Lambert jusqu'à ce qu'il ait pu reprendre petit à petit l'habitude de la bière. Aucun malade ni aucun pauvre n'a à souffrir de ce que je lui envoie ce qu'il lui faut. Elle aura à se souvenir dans ses prières du donateur qui est un autre que moi. Je le lui nommerai dans l'occasion. Toutefois je puis aussi vous le faire connaître et rien n'empêche que vous en parliez à noire soeur. C'est le prince évêque d'Hildesheim, auquel j'ai écrit pour le compte du pharmacien. Je m'en rapporte à vous et à notre soeur pour juger s'il est bon de dire à M. Lambert qu'il y a quelque chose en caisse pour lui avoir du vin. S'il plaît au Seigneur de guérir mes maux de jambes de manière que je puisse entreprendre un voyage à Dulmen, je ne manquerai pas de me procurer le plaisir d'y voir tous les amis que j'y ai. Dieu soit avec vous ! « N. B. Il s'entend de soi-même qu'on ne redemande rien de l'argent, quand même tout ne serait pas dépensé en vin pour l'abbé Lambert. »

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Message par Charles-Edouard Dim 2 Sep 2012 - 21:54

CHAPITRE IV

LE TEMPS DE LA CAPTIVITÉ


1. Anne-Catherine fut transportée chez le conseiller Hoffmann (note), dans une salle du second étage où l'on ne pouvait entrer que par une seule porte donnant sur l’antichambre. Le lit dans lequel elle fut placée se trouvait au milieu : il était dégagé de tous les côtés : on pouvait le voir de l’antichambre et faire de là les observations les plus exactes. C'était là que, suivant les prescriptions du président supérieur, deux membres de la commission devaient toujours se tenir pour ne jamais perdre de vue la malade. Au bout de six heures, ces deux membres étaient remplacés par deux autres. Le lit avec sa garniture et aussi le linge de corps nécessaire à Anne-Catherine étaient visités par la commission avec un soin minutieux, afin qu'on n'y cachât ni les instruments tranchants ni les préparations chimiques à l’aide desquels, suivant eux, la malade provoquait les effusions de sang. On visita aussi avec soin les ongles de ses doigts pour voir s'ils n'étaient pas assez longs pour déchirer la peau.

Le président supérieur envoya de Munster une infirmière nommée Mme Wiltner, choisie exprès, sur la pro position du professeur Bodde, comme ayant toutes les qualités voulues.

(note) Pour la relation qui suit, l'auteur a eu à sa disposition, outre les écrits imprimés contemporains, les notes écrites avec beaucoup de soin par le Pèlerin et particulièrement celles de Wesener auxquels, à dater du 5 septembre 1818, Anne-Catherine raconta, dans le cours de plusieurs semaines, l'histoire de sa captivité. Wesener avait coutume de lui lire chaque jour ce qu'il avait écrit, pour le compléter et le corriger d'après ses observations, en sorte que sa narration est très complète, et, ce qui vaut encore mieux, très fidèle et très véridique.

Mme Wiltner n'avait jamais vu Anne-Catherine : les commissaires l'avaient prévenue d'avance contre elle, comme contre une trompeuse qu'elle devait surveiller pour aider à mettre la fourberie au grand jour car les instructions données à la commission par le président supérieur portaient que l’enquête devait continuer sans interruption jusqu'à un résultat décisif.

Dans la soirée de ce premier jour, Anne-Catherine retrouva la conscience des objets extérieurs et vit le changement opéré dans sa situation et son nouvel entourage, mais ce ne fut que pour peu de temps, car bientôt elle tomba de nouveau en contemplation, et cela jusqu'au matin du jour suivant. Elle avait repris par là une force suffisante pour pouvoir maintenant envisager nettement et avec calme ses dernières épreuves, sa position présente et les conséquences qui en pouvaient résulter. Pour être prête à tout, elle demanda que la sainte communion lui fût donnée par son confesseur. Elle s'offrit à Dieu en sacrifice avec tout ce qui se préparait pour elle, pria pour ses persécuteurs, et se sentit tellement fortifiée par la réception de la sainte Eucharistie qu'elle regarda l'avenir en face avec la tranquillité d'âme la plus complète et l'abandon le plus entier à la très sainte volonté de Dieu. On était au dimanche 8 août. Ce jour se passa tranquillement : les observateurs vinrent souvent près d'elle, mais ils furent polis. Le professeur Roling, de Munster, ne pouvait assez s'étonner de la sérénité que montrait la malade, et il exprima sa surprise en ces termes : « Je ne puis comprendre comment dans celle position vous paraissez si forte et si sereine. » L'infirmière, Mlle Wiltner, témoigna aussi son étonnement, et Anne-Catherine, remarquant combien elle faisait attention à toute sa manière d'être et à chacune de ses paroles, s'en réjouit beaucoup et se dit à elle-même : « Maintenant la vérité sera mise au jour.

« La nuit du dimanche au lundi 9 fut très agitée, parce que ses surveillants venaient près d'elle les uns après les autres à de courts intervalles, approchaient la lumière de son visage et l'interpellaient. « Cependant, raconta-t-elle, je ne restai pas même alors sans assistance. Quand ils tournaient autour de moi avec la lumière, mon bon ange était toujours présent : je lui obéissais, je l'entendais, je lui répondais. Il me disait souvent : « Réveille-toi. » Il me fallait aussi parler, et quand mes persécuteurs me faisaient des questions insidieuses, il me disait ce que je devais répondre. »

Charles-Edouard
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