La Prédestination en théologie
Page 7 sur 8
Page 7 sur 8 • 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Re: La Prédestination en théologie
Le principe de prédilection, nous l’avons vu, suppose que les décrets divins sont efficaces par eux-mêmes et non par notre consentement prévu ; Molina ne peut dès lors lui reconnaître une valeur universelle et absolue, il le réduit à ceci : C’est parce que Dieu a plus aimé Pierre que Judas qu’il a décidé de le placer dans tel ordre de circonstances, où il prévoyait qu’il se sauverait ; cela ne relève que du bon plaisir divin. Mais il reste pourtant que tel élu se sauve sans avoir été plus aidé que tel homme qui se perd. Molina dit même : Quod hi cum majoribus auxiliis prædestinati et salvi non fuerint, illi vero cum minoribus prædestinati ac salvi fuerint, non aliunde fuit, nisi quia illi pro innata libertate noluerunt uti ita suo arbitrio ut salutem consequerentur, hi vero maxime. Concordia, p. 526 ; cf. p. 605.
Re: La Prédestination en théologie
3. La prédestination « ex prævisis meritis ». – Enfin les adversaires du molinisme élevèrent une grave objection contre la théorie de la prédestination ex prævisis meritis. Sans parler des textes de saint Paul qu’ils invoquèrent contre elle, ils y opposèrent ce principe que Dieu, comme tout sage, veut la fin avant les moyens, puisque ceux-ci ne sont voulus que pour la fin, et que dès lors il veut à ses élus la gloire, avant de leur vouloir la grâce qui leur fera mériter cette gloire. C’est ce qu’avait dit saint Thomas, Ia, q. XXIII, a. 4.
Telles sont les principales objections qui furent faites contre la théorie moliniste de la prédestination, surtout dans la Congrégation dite De auxiliis, instituée à Rome par Clément VIII. Les conférences durèrent depuis le 2 janvier 1598 jusqu’au 20 août 1607. A partir de 1602, les souverains pontifes eux-mêmes tinrent à diriger personnellement les débats. Il y eut 85 congrégations papales, 68 sous Clément VIII et 17 sous Paul V. Sous Clément VIII, c’est surtout la doctrine moliniste qui fut examinée sur le pouvoir naturel de la volonté libre, la science moyenne, la prédestination et le bon usage des secours divins. On compara surtout la doctrine de Molina à celle de saint Augustin. Les principaux défenseurs du thomisme étaient Didace Alvarez, Thomas de Lemos et Michel a Ripa ; les principaux théologiens de la Compagnie de Jésus étaient Michel Vasquez, Grégoire de Valentia, Pierre Arrubal et de Bastida, qui reconnurent généralement que le congruisme proposé par Bellarmin et Suarez était plus conforme que le molinisme à la doctrine de saint Augustin et à celle de saint Thomas. Dans l’ensemble, sous Clément VIII, les avis furent défavorables à l’auteur de la Concordia. Cependant, aucune condamnation ne fut portée par Clément VIII, qui mourut en 1605. Dès la fin de la même année, Paul V fit reprendre les travaux et autorisa même un examen de la prédétermination physique ; mais les censeurs se déclarèrent pour la plupart favorables à la doctrine thomiste. La commission maintint ses censures contre 42 propositions de Molina. Ni Molina († 1600), ni Bañez († 1604) ne virent la fin de cette lutte. Le 28 août 1607, Paul V consulta une dernière fois les cardinaux présents, dont les avis furent très partagés ; le pape suspendit alors la Congrégation et ordonna aux deux partis de ne pas se censurer mutuellement.
Il importe ici surtout de citer la conclusion du pape Paul V, donnée le 28 août 1607, après examen de l’opinion de divers cardinaux ; elle est rapportée dans l’ouvrage du P. G. Schneemann, S. J., Controversiarum de divinæ gratiæ liberique arbitrii concordia initia et progressus, Fribourg-en-B., 1881, p. 291 :
In gratia Domini definitum in concilio necessarium esse quod liberum arbitrium moveatur a Deo ; difficultatem in hoc verti, an moveatur physice vel moraliter, et quamquam optabile esset, ne in Ecclesia esset ejusmodi contentio, a discordiis enim sæpe prorumpi ad errores ideoque bonum esse illas dirimi ac decidi : nihilominus non videre Nos nunc adesse istam necessitatem, eo quod sententia Patrum Prædicatorum plurimum differt a Calvino ; dicunt enim Prædicatores gratiam non destruere, sed perficere liberum arbitrium, et eam vim habere, ut homo operetur juxta modum suum, id est libere ; Jesuitæ autem discrepant a pelagianis, quo initium salutis posuerunt fieri a nobis, illi vero tenent omnino contrarium. Necessitate igitur nulla urgente ut ad definitionem veniamus, posse negotium differri, dum melius consilium tempus ipsum afferat.
Cette décision fut confirmée par un décret de Benoît XIV, du 13 juillet 1748. Voir les articles MOLINISME, col. 2154-2166, et PREMOTION.
Telles sont les principales objections qui furent faites contre la théorie moliniste de la prédestination, surtout dans la Congrégation dite De auxiliis, instituée à Rome par Clément VIII. Les conférences durèrent depuis le 2 janvier 1598 jusqu’au 20 août 1607. A partir de 1602, les souverains pontifes eux-mêmes tinrent à diriger personnellement les débats. Il y eut 85 congrégations papales, 68 sous Clément VIII et 17 sous Paul V. Sous Clément VIII, c’est surtout la doctrine moliniste qui fut examinée sur le pouvoir naturel de la volonté libre, la science moyenne, la prédestination et le bon usage des secours divins. On compara surtout la doctrine de Molina à celle de saint Augustin. Les principaux défenseurs du thomisme étaient Didace Alvarez, Thomas de Lemos et Michel a Ripa ; les principaux théologiens de la Compagnie de Jésus étaient Michel Vasquez, Grégoire de Valentia, Pierre Arrubal et de Bastida, qui reconnurent généralement que le congruisme proposé par Bellarmin et Suarez était plus conforme que le molinisme à la doctrine de saint Augustin et à celle de saint Thomas. Dans l’ensemble, sous Clément VIII, les avis furent défavorables à l’auteur de la Concordia. Cependant, aucune condamnation ne fut portée par Clément VIII, qui mourut en 1605. Dès la fin de la même année, Paul V fit reprendre les travaux et autorisa même un examen de la prédétermination physique ; mais les censeurs se déclarèrent pour la plupart favorables à la doctrine thomiste. La commission maintint ses censures contre 42 propositions de Molina. Ni Molina († 1600), ni Bañez († 1604) ne virent la fin de cette lutte. Le 28 août 1607, Paul V consulta une dernière fois les cardinaux présents, dont les avis furent très partagés ; le pape suspendit alors la Congrégation et ordonna aux deux partis de ne pas se censurer mutuellement.
Il importe ici surtout de citer la conclusion du pape Paul V, donnée le 28 août 1607, après examen de l’opinion de divers cardinaux ; elle est rapportée dans l’ouvrage du P. G. Schneemann, S. J., Controversiarum de divinæ gratiæ liberique arbitrii concordia initia et progressus, Fribourg-en-B., 1881, p. 291 :
In gratia Domini definitum in concilio necessarium esse quod liberum arbitrium moveatur a Deo ; difficultatem in hoc verti, an moveatur physice vel moraliter, et quamquam optabile esset, ne in Ecclesia esset ejusmodi contentio, a discordiis enim sæpe prorumpi ad errores ideoque bonum esse illas dirimi ac decidi : nihilominus non videre Nos nunc adesse istam necessitatem, eo quod sententia Patrum Prædicatorum plurimum differt a Calvino ; dicunt enim Prædicatores gratiam non destruere, sed perficere liberum arbitrium, et eam vim habere, ut homo operetur juxta modum suum, id est libere ; Jesuitæ autem discrepant a pelagianis, quo initium salutis posuerunt fieri a nobis, illi vero tenent omnino contrarium. Necessitate igitur nulla urgente ut ad definitionem veniamus, posse negotium differri, dum melius consilium tempus ipsum afferat.
Cette décision fut confirmée par un décret de Benoît XIV, du 13 juillet 1748. Voir les articles MOLINISME, col. 2154-2166, et PREMOTION.
Re: La Prédestination en théologie
II. LE CONGRUISME DE SAINT ROBERT BELLARMIN ET DE SUAREZ. – Ces théologiens admettent, avec le molinisme, la science moyenne et nient comme lui l’efficacité intrinsèque des décrets divins et de la grâce, mais ils s’accordent avec l’enseignement des thomistes, des augustiniens et des scotistes en ce sens qu’ils reconnaissent la gratuité absolue de la prédestination à la gloire, qu’ils déclarent antérieure à la prévision des mérites non seulement comme futurs, mais même comme futuribles. Selon ce congruisme, Dieu ne fait usage de la science moyenne qu’après la prédestination à la gloire, pour distribuer la grâce dite congrue et s’assurer qu’elle sera efficace en telles circonstances déterminées. Par là est maintenu le principe : Dieu veut la fin avant les moyens, et l’on s’efforce aussi de reconnaître, plus que Molina, la valeur et l’universalité du principe de prédilection.
Re: La Prédestination en théologie
1° Exposé de cette doctrine. – Voyons ce qu’enseigne exactement le congruisme : 1. sur la gratuité absolue de la prédestination à la gloire ; 2. sur la grâce congrue ; 3. sur la science moyenne.
1. La gratuité absolue de la prédestination à la gloire est nettement enseignée par Bellarmin dans son ouvrage De gratia et libero arbitrio, l. II, c. IX-XV. Il entend prouver, comme les thomistes et les augustiniens, par l’Ecriture, la tradition et la raison théologique cette proposition : Prædestinationis divinæ nulla ratio ex parte nostra assignari potest, c’est-à-dire que la prédestination à la gloire est absolument gratuite, ou antérieure à toute prévision des mérites. Bellarmin, comme raison de la prédestination à la gloire, exclut non seulement tout mérite proprement dit, mais aussi tout mérite de congruo, quelque usage que ce soit du libre arbitre ou de la grâce, et toute condition sine qua non. Ibid., c. IX.
Il prouve, c. XIII, cette doctrine par l’Ecriture, qui enseigne que Dieu : 1. a élu certains hommes : Matth., XX, 16 ; XXIV, 31 ; Luc, XII, 32 ; Rom., VIII, 33 ; Eph., I, 4 ; – 2. qu’il les a élus efficacement, pour qu’ils parviennent infailliblement au ciel : Matth., XXIV, 24 ; Joa., VI, 39 : Hæc est voluntas… Patris, ut omne quod dedit mihi, non perdam ; Joa., X, 28 : Nemo rapiet eas de manu mea… Nemo potest rapere de manu Patris mei : Ego et Pater unum sumus ; Rom., VIII, 30 : Quos prædestinavit, hos et vocavit… Et justificavit… Et glorificavit ; – 3. Que Dieu a choisi ses élus d’une façon toute gratuite, avant toute prévision de leurs mérites : Luc, XII, 32 : Conplacuit Patri vestro dare vobis regnum ; Joa., XV, 16 : Non vos me elegistis, sed ego elegi vos et posui vos, ut eatis et fructum afferatis et fructus vester maneat ; Rom., XI, 5 : reliquiæ, secundum electionem gratiæ, salvæ factæ sunt. Si autem gratia, jam non ex operibus : alioquin gratia jam non est gratia.
Bellarmin entend aussi comme saint Thomas et les thomistes les textes de saint Paul aux Ephésiens, I, 4 : Sicut elegis nos… Ut essemus sancti. Qui prædestinavit nos… Secundum propositum voluntatis suæ, et ibid., 11 : In quo etiam et nos sorte vocati sumus, prædestinati secundum propositum ejus, qui operatur omnia secundum consilium voluntatis suæ. Enfin, il ajoute, ibid., que les élus ont été choisis, non pas seulement d’une façon gratuite, mais sans aucune prévision de leurs œuvres, selon la doctrine de saint Paul, Rom., IX, 11 : Cum nondum nati fuissent, aut aliquid boni egissent aut mali, ut secundum electionem propositum Dei maneret, et ibid., XI, 5 : reliquiæ secundum electionem gratiæ salvæ factæ sunt. Bellarmin montre, ibid., que ces principes de saint Paul s’appliquent non seulement à l’élection des peuples, mais à celle des personnes en vue de leur salut éternel.
A ceux qui objectent que, dans l’épître aux Romains, VIII, 29, la prescience précède la prédestination : Quos præscivit, et prædestinavit, il répond : il ne s’agit pas ici de la prescience des mérites, ce qui n’a aucun fondement chez saint Paul et s’oppose à plusieurs de ses textes, mais le sens est : quos præscivit scientia approbationis, quos dilexit, quos voluit, illos et prædestinavit… Nam scire et præscire in Scripturis non raro pro scientia approbationis accipitur, ut patet ex illo ad Romanos, XI, 2 : « Non repulit Deus plebem suam, quam præscivit. » Cf. Matth., VII, 23 ; Gal., IV, 9 ; I Cor., VIII, 3 ; XIII, 12 ; II Tim., II, 19 ; Ps., I, 6. C’est l’exégèse de saint Augustin et de saint Thomas, conservée aujourd’hui par le P. Lagrange, le P. Allo, Zahn, Jülicher, etc.
1. La gratuité absolue de la prédestination à la gloire est nettement enseignée par Bellarmin dans son ouvrage De gratia et libero arbitrio, l. II, c. IX-XV. Il entend prouver, comme les thomistes et les augustiniens, par l’Ecriture, la tradition et la raison théologique cette proposition : Prædestinationis divinæ nulla ratio ex parte nostra assignari potest, c’est-à-dire que la prédestination à la gloire est absolument gratuite, ou antérieure à toute prévision des mérites. Bellarmin, comme raison de la prédestination à la gloire, exclut non seulement tout mérite proprement dit, mais aussi tout mérite de congruo, quelque usage que ce soit du libre arbitre ou de la grâce, et toute condition sine qua non. Ibid., c. IX.
Il prouve, c. XIII, cette doctrine par l’Ecriture, qui enseigne que Dieu : 1. a élu certains hommes : Matth., XX, 16 ; XXIV, 31 ; Luc, XII, 32 ; Rom., VIII, 33 ; Eph., I, 4 ; – 2. qu’il les a élus efficacement, pour qu’ils parviennent infailliblement au ciel : Matth., XXIV, 24 ; Joa., VI, 39 : Hæc est voluntas… Patris, ut omne quod dedit mihi, non perdam ; Joa., X, 28 : Nemo rapiet eas de manu mea… Nemo potest rapere de manu Patris mei : Ego et Pater unum sumus ; Rom., VIII, 30 : Quos prædestinavit, hos et vocavit… Et justificavit… Et glorificavit ; – 3. Que Dieu a choisi ses élus d’une façon toute gratuite, avant toute prévision de leurs mérites : Luc, XII, 32 : Conplacuit Patri vestro dare vobis regnum ; Joa., XV, 16 : Non vos me elegistis, sed ego elegi vos et posui vos, ut eatis et fructum afferatis et fructus vester maneat ; Rom., XI, 5 : reliquiæ, secundum electionem gratiæ, salvæ factæ sunt. Si autem gratia, jam non ex operibus : alioquin gratia jam non est gratia.
Bellarmin entend aussi comme saint Thomas et les thomistes les textes de saint Paul aux Ephésiens, I, 4 : Sicut elegis nos… Ut essemus sancti. Qui prædestinavit nos… Secundum propositum voluntatis suæ, et ibid., 11 : In quo etiam et nos sorte vocati sumus, prædestinati secundum propositum ejus, qui operatur omnia secundum consilium voluntatis suæ. Enfin, il ajoute, ibid., que les élus ont été choisis, non pas seulement d’une façon gratuite, mais sans aucune prévision de leurs œuvres, selon la doctrine de saint Paul, Rom., IX, 11 : Cum nondum nati fuissent, aut aliquid boni egissent aut mali, ut secundum electionem propositum Dei maneret, et ibid., XI, 5 : reliquiæ secundum electionem gratiæ salvæ factæ sunt. Bellarmin montre, ibid., que ces principes de saint Paul s’appliquent non seulement à l’élection des peuples, mais à celle des personnes en vue de leur salut éternel.
A ceux qui objectent que, dans l’épître aux Romains, VIII, 29, la prescience précède la prédestination : Quos præscivit, et prædestinavit, il répond : il ne s’agit pas ici de la prescience des mérites, ce qui n’a aucun fondement chez saint Paul et s’oppose à plusieurs de ses textes, mais le sens est : quos præscivit scientia approbationis, quos dilexit, quos voluit, illos et prædestinavit… Nam scire et præscire in Scripturis non raro pro scientia approbationis accipitur, ut patet ex illo ad Romanos, XI, 2 : « Non repulit Deus plebem suam, quam præscivit. » Cf. Matth., VII, 23 ; Gal., IV, 9 ; I Cor., VIII, 3 ; XIII, 12 ; II Tim., II, 19 ; Ps., I, 6. C’est l’exégèse de saint Augustin et de saint Thomas, conservée aujourd’hui par le P. Lagrange, le P. Allo, Zahn, Jülicher, etc.
Re: La Prédestination en théologie
Enfin Bellarmin, De gratia et libero arbitrio, l. II, c. XI, prouve que, selon saint Augustin, saint Prosper et saint Fulgence, on ne peut assigner à la prédestination à la gloire aucune raison prise de notre côté. Il écrit : Prædestinationis divinæ (ad gloriam) nulla ratio ex parte nostra assignare potest… Neque solum sancri isti Patres (Augustinus, Prosper, Fulgentius) hoc affirmant, sed antiquiores et doctiores ex ipsis, quos cæteri postea sequuti sunt, ad fidem catholicam hanc sententiam pertinere tradunt et contrariam ad pelagianos rejiciunt. Notabo aliqua loca, ut sit forte contra sentiunt, intelligant ex judicio sanctissimorum Patrum, in quo manifesto errore versantur. Il cite surtout de saint Augustin le De dono perseverantiæ, c. XVIII et XXIII, et de saint Prosper, la Prima responsio ad objectiones Gallorum. Il ajoute, c. XIV, comme saint Augustin l’avait fait, que les Pères venus avant l’hérésie pélagienne n’ont touché qu’incidemment cette question de la prédestination. Il cite pourtant ces paroles de saint Jean Chrysostome lui-même (In I Cor., IV, 7, hom. XII) sur les mots : Quis enim te discernit ? « Igitur quod accepisti habes, neque hoc tantum, aut illud, sed quidquid habes. Non enim merita tua hæc sunt sed dona Dei. » Il note enfin que les Pères antérieurs à saint Augustin, surtout les grecs, ont souvent pris la prédestination pour la volonté de donner la gloire après cette vie, et qu’ils n’ont guère parlé d’elle que par manière d’exhortation, et donc dans l’ordre d’exécution, où les mérites précèdent la glorification, tandis que l’ordre d’intention est inverse. Dieu dans l’ordre d’intention veut la fin avant les moyens, la gloire avant la grâce et les mérites, mais dans l’ordre d’exécution il donne la gloire comme récompense des mérites. Deus gratis vult dare gloriam, in ordine intentionis, sed in ordine executionis non vult eam gratis dare. En cela Bellarmin parle tout à fait comme les thomistes, et, comme eux, il remarque qu’après l’apparition de l’hérésie pélagienne il fallut considérer la prédestination non plus seulement dans l’ordre d’exécution, mais dans celui d’intention, ut in salutis negotio totum Deo detur, comme le disaient déjà les Pères antérieurs en commentant les paroles de Paul : Quis enim te discernit ?
Re: La Prédestination en théologie
C’est ainsi que saint Robert Bellarmin a vu dans la gratuité absolue de la prédestination à la gloire la doctrine même de l’Ecriture et de ses plus grands interprètes. On s’explique dès lors qu’il ait admis la définition augustinienne de la prédestination : Est præscientia et præparatio beneficiorum Dei, quibus certissime liberantur quicumque liberantur. Bellarmin appuie cette définition, où la prescience porte non sur les mérites, mais sur les bienfaits divins, en rappelant le texte de Jean, X, 28 : Nemo enim rapere potest electas oves de manu pastoris omnipotentis.
Suarez parle de même, cf. De auxiliis, l. III, c. XVI et XVII, et l. II, De causa prædestinationis, c. XXII : Dico primo : Ex parte prædestinati nullam dario causam prædestinationis, quantum ad æternam prædestinationem ad gloriam, vel ad perseverantiam, vel ad gratiam sanctificatem, vel ad bonos actus supernaturales, etiamsi talium effectuum, ut in tempore donantur (in executione), possit dari aliqua causa vel ratio ex parte hominis (sicut gloria datur in executione pro meritis). Hæc est sententia sancti Thomæ, Ia, q. XXIII, a. 5, ubi Cajetanus et alii moderni thomistæ. Estque sine dubio sententia Augustini. L’élection à la gloire étant antérieure à la prévision des mérites, il suit pour Suarez, comme pour les thomistes, que la non-élection, ou réprobation négative, est antérieure aussi à la prévision des démérites.
Suarez parle de même, cf. De auxiliis, l. III, c. XVI et XVII, et l. II, De causa prædestinationis, c. XXII : Dico primo : Ex parte prædestinati nullam dario causam prædestinationis, quantum ad æternam prædestinationem ad gloriam, vel ad perseverantiam, vel ad gratiam sanctificatem, vel ad bonos actus supernaturales, etiamsi talium effectuum, ut in tempore donantur (in executione), possit dari aliqua causa vel ratio ex parte hominis (sicut gloria datur in executione pro meritis). Hæc est sententia sancti Thomæ, Ia, q. XXIII, a. 5, ubi Cajetanus et alii moderni thomistæ. Estque sine dubio sententia Augustini. L’élection à la gloire étant antérieure à la prévision des mérites, il suit pour Suarez, comme pour les thomistes, que la non-élection, ou réprobation négative, est antérieure aussi à la prévision des démérites.
Re: La Prédestination en théologie
On voit qu’il sur ce point de la gratuité absolue de la prédestination à la gloire une notable différence entre le congruisme de Suarez et de Bellarmin et le molinisme tel que l’ont compris Vasquez, Lessius et la plupart des molinistes. Les thomistes ont toujours attentivement noté cette différence ; cf. Billuart, De Deo, diss. IX, a. 4, § 2, et plus récemment N. del Prado, O. P., De gratia et libero arbitrio, t. III, 1911, p. 347. Billuart ajoute que, parmi les théologiens de la Compagnie de Jésus, plusieurs s’accordent avec Bellarmin et Suarez sur ce point : Tolet, Henriquez, Ruiz, Typhaine et d’autres. Récemment le R. P. Billot, De Deo uno, 1926, p. 289, 291, bien qu’il se sépare de Suarez sur la réprobation négative, admet aussi la gratuité absolue de la prédestination à la gloire, la seule, dit-il à bon droit, qui mérite le nom de prédestination, car la prédestination à la grâce est commune aux élus et à beaucoup de réprouvés.
La différence qui sépare le congruisme du molinisme est moindre, nous allons le voir, quand il s’agit de la grâce congrue, et moindre encore lorsqu’il est question de la science moyenne.
2. La grâce congrue. – La nature de cette grâce est bien expliquée dans un décret resté célèbre du général des jésuites, le P. Aquaviva, par lequel, six ans après les congrégations De auxiliis, en décembre 1613, il ordonna aux théologiens de la Compagnie d’enseigner le congruisme, « qui a été exposé et défendu, disait-il, dans la controverse De auxiliis comme plus conforme à la doctrine de saint Augustin et de saint Thomas. » « Que les nôtres, dit ce décret, enseignent toujours désormais que la grâce efficace et la suffisante ne différent pas seulement in actu secundo, parce que l’une obtient son effet par la coopération du libre arbitre, et non pas l’autre ; mais qu’elles différent même in actu primo, en ce sens que, supposé la science moyenne, Dieu, dans l’intention arrêtée de produire en nous le bien, choisit lui-même à dessein ces moyens déterminés et les emploie de la manière et au moment qu’il sait que l’effet sera produit infailliblement ; de sorte que, s’il avait prévu l’inefficacité de ces moyens, Dieu en aurait employé d’autres. Voilà pourquoi, moralement parlant, et à la considérer comme bienfait, il y a quelque chose de plus dans la grâce efficace que dans la suffisante, même in actu primo. C’est ainsi que Dieu fait que nous opérons et non seulement en nous donnant la grâce avec laquelle nous pouvons agir. On doit raisonner de même pour la persévérance, qui sans nul doute est un don de Dieu. »
On voit par là la différence du molinisme et de congruisme : dans le molinisme, Dieu donne la grâce qu’il sait efficace ; dans cde congruisme, Dieu donne la grâce parce qu’il la sait efficace.
Il reste que la grâce congrue elle-même ne devient infailliblement efficace que par le consentement humain, prévu par la science moyenne. Les thomistes demanderont dès lors : Le principe de prédilection est-il vraiment sauvegardé ?
3. La science moyenne selon Suarez. – Tandis que Bellarmin explique la science moyenne comme Molina par la supercompréhension des causes, cf. De gratia et libero arbitrio, l. IV, c. XV, Suarez, De scientia futurorum contingentium, c. VII, écrit à l’encontre de Molina : Quod Deus sciat futura libera in suis causis proximis ex perfecta comprehensione nostri liberi arbitrii…, est a nobis reficiendum… (sic enim) perit libertas… ; hoc libertati repugnat ; en d’autres termes, la science moyenne, expliquée comme le veut Molina par la supercompréhension de notre liberté supposée placée en telles circonstances, conduit, selon Suarez, comme selon les thomistes, au déterminisme des circonstances.
La différence qui sépare le congruisme du molinisme est moindre, nous allons le voir, quand il s’agit de la grâce congrue, et moindre encore lorsqu’il est question de la science moyenne.
2. La grâce congrue. – La nature de cette grâce est bien expliquée dans un décret resté célèbre du général des jésuites, le P. Aquaviva, par lequel, six ans après les congrégations De auxiliis, en décembre 1613, il ordonna aux théologiens de la Compagnie d’enseigner le congruisme, « qui a été exposé et défendu, disait-il, dans la controverse De auxiliis comme plus conforme à la doctrine de saint Augustin et de saint Thomas. » « Que les nôtres, dit ce décret, enseignent toujours désormais que la grâce efficace et la suffisante ne différent pas seulement in actu secundo, parce que l’une obtient son effet par la coopération du libre arbitre, et non pas l’autre ; mais qu’elles différent même in actu primo, en ce sens que, supposé la science moyenne, Dieu, dans l’intention arrêtée de produire en nous le bien, choisit lui-même à dessein ces moyens déterminés et les emploie de la manière et au moment qu’il sait que l’effet sera produit infailliblement ; de sorte que, s’il avait prévu l’inefficacité de ces moyens, Dieu en aurait employé d’autres. Voilà pourquoi, moralement parlant, et à la considérer comme bienfait, il y a quelque chose de plus dans la grâce efficace que dans la suffisante, même in actu primo. C’est ainsi que Dieu fait que nous opérons et non seulement en nous donnant la grâce avec laquelle nous pouvons agir. On doit raisonner de même pour la persévérance, qui sans nul doute est un don de Dieu. »
On voit par là la différence du molinisme et de congruisme : dans le molinisme, Dieu donne la grâce qu’il sait efficace ; dans cde congruisme, Dieu donne la grâce parce qu’il la sait efficace.
Il reste que la grâce congrue elle-même ne devient infailliblement efficace que par le consentement humain, prévu par la science moyenne. Les thomistes demanderont dès lors : Le principe de prédilection est-il vraiment sauvegardé ?
3. La science moyenne selon Suarez. – Tandis que Bellarmin explique la science moyenne comme Molina par la supercompréhension des causes, cf. De gratia et libero arbitrio, l. IV, c. XV, Suarez, De scientia futurorum contingentium, c. VII, écrit à l’encontre de Molina : Quod Deus sciat futura libera in suis causis proximis ex perfecta comprehensione nostri liberi arbitrii…, est a nobis reficiendum… (sic enim) perit libertas… ; hoc libertati repugnat ; en d’autres termes, la science moyenne, expliquée comme le veut Molina par la supercompréhension de notre liberté supposée placée en telles circonstances, conduit, selon Suarez, comme selon les thomistes, au déterminisme des circonstances.
Re: La Prédestination en théologie
Mais Suarez parvient-il mieux à expliquer cette science moyenne, qu’il veut conserver en substance ? – Dieu, dit-il, antérieurement à tout décret, prévoit infailliblement les futuribles libres dans leur vérité objective ou formelle. De deux propositions conditionnelles contradictoires telles que celles-ci : si Pierre était placé dans telles circonstances, il pécherait, ou il ne pécherait pas, l’une est déterminément vraie et l’autre déterminément fausse. Il est impossible, en effet, que l’une et l’autre soient vraies ou l’une et l’autre fausses. Donc l’intelligence infinie, qui pénètre toute vérité, voit certainement laquelle des deux est vraie, laquelle est fausse.
Suarez, répondent les thomistes, oublie qu’Aristote, dans son Perihermenias, l. I, c. IX (lect. 13 de saint Thomas), a montré que de deux propositions contradictoires, singulières, relatives à un futur contingent, aucune n’est déterminément vraie ou fausse. S’il en était autrement, remarque Aristote, c’est le déterminisme ou le fatalisme qui serait la vérité, et notre choix ne serait pas libre. Les stoïciens, comme le rapporte Cicéron, De divin., I, LV, entendirent précisément prouver le déterminisme par cet argument : de deux propositions contradictoires, l’une est nécessairement vraie ; donc entre ces deux propositions : a sera, a ne sera pas, la nécessité de l’une, au moment où je parle, exclut la possibilité de l’autre : ex omni æternitate fluens veritas sempiterna. Il suivrait de là que la création elle-même n’est plus libre, que la volonté divine serait soumise au factum logique des stoïciens.
2° Les difficultés du congruisme de Bellarmin et de Suarez. – Dans cette théorie, le principe de prédilection est certes beaucoup mieux sauvegardé que dans le molinisme : sur la question de la gratuité absolue de la prédestination à la gloire, elle suit fidèlement l’interprétation de saint Paul donnée par saint Augustin et par saint Thomas.
Mais, aux yeux des thomistes, cette théorie limite encore la valeur universelle du principe de prédilection et le frappe de relativité, du fait qu’elle conserve la pièce maîtresse du molinisme : la science moyenne ou la négation de l’efficacité intrinsèque des décrets divins et de la grâce. Il reste donc, selon cette conception, que l’effort humain rend la grâce efficace, au lieu d’être l’effet de son efficacité, et, de deux hommes ou de deux anges également aidés par Dieu, il peut arriver que l’un devienne meilleur que l’autre, meilleur sans avoir été plus aidé, sans avoir plus reçu. Sans doute ce congruisme dit bien que la grâce congrue est au point de vue moral un plus grand bienfait que l’autre, mais il n’en reste pas moins qu’elle n’est efficace de fait que par le consentement humain qui la suit, selon les prévisions de la science moyenne. Et alors reparaissent ici toutes les difficultés de la science moyenne elle-même, qui paraît mettre une dépendance dans la prescience divine à l’égard du créé, une passivité dans l’Acte pur, et conduire de notre côté au déterminisme des circonstances. Cf. N. del Prado, O. P., De gratia et libero arbitrio, t. III, 1911, p. 362-368.
On ne saurait dire non plus qu’antérieurement à tout décret Dieu prévoit tel futurible, par exemple la fidélité de Pierre, en tant que ce futurible lui est présent de toute éternité, car ce n’est pas indépendamment d’un décret de Dieu que ce futurible, plutôt que le futurible contraire, lui est présent de toute éternité ; autrement, il lui serait présent comme une vérité nécessaire, et l’on revient ainsi au déterminisme.
Pour ce qui touche plus directement à la prédestination, les thomistes notent généralement : la grâce congrue, n’étant pas infailliblement efficace par elle-même, n’est pas un moyen infaillible de conduire les élus à la gloire, comme le demanderait la définition augustinienne de la prédestination : præscientia et præparatio beneficiorum Dei, quibus certissime liberantur quicumque liberantur. La grâce congrue, étant infailliblement efficace, non pas parce que Dieu le veut, mais parce que l’homme le veut, ne paraît pas conserver tout le sens des paroles de l’Ecriture citées plus haut, col. 2976. La grâce congrue, n’étant pas infailliblement efficace par elle-même, ne paraît pas non plus conserver tout le sens de ces paroles de saint Augustin : Deus de ipsis hominum voluntatibus, quod vult, cum vult, facit. Habens sine dubio humanorum cordium quo placet inclinandorum omnipotentissimam voluntatem… Deus magis habet in potestate sua voluntates hominum, quam ipsi suas (De corr. et grat., XIV, 45) ; gratia, quæ a nullo duro corde respuitur, quia ad tollendam cordis duritiam primitus datur (De prædest. sanct., VIII, 13).
Sans doute saint Augustin, Ad simplicianum, I, q. II, n. 13, a appelé congrua la grâce efficace ; mais ses œuvres postérieures que nous venons de citer montrent que dans sa pensée, du moins dans sa pensée définitive, il s’agit d’une congruité non extrinsèque, mais intrinsèque, qui est celle de la grâce infailliblement efficace par elle-même.
Ces difficultés du congruisme de Bellarmin et de Suarez ont porté d’autres congruistes à admettre la nécessité de la grâce intrinsèquement efficace au moins pour les actes difficiles ; c’est ce que pensèrent au XVIIIe siècle les congruistes de Sorbonne.
III. LE CONGRUISME DE SORBONNE. – Cette théorie se trouve avec des nuances diverses dans les œuvres de plusieurs théologiens du XVIIIe siècle : Tournely, Habert, Ysambert, Frassen, Thomassin, Duhamel. Saint Alphonse incline vers elle.
1° Exposé sommaire. – Au XIXe siècle, le P. Jean Hermann, rédemptoriste, l’admet encore en la réduisant ainsi à ses principes essentiels dans son Tractatus de divina gratia, n. 509 : « 1. La grâce est intrinsèquement efficace, en cela nous suivons les thomistes et les augustiniens contre les molinistes. – 2. Cette grâce intrinsèquement efficace est une motion, non pas physique, mais seulement morale, contre les thomistes. – 3. La grâce intrinsèquement efficace n’est requise que pour les actes salutaires difficiles : pour les actes salutaires faciles, surtout pour la prière, est requise seulement la grâce suffisante accordée ordinairement à tous. »
Ainsi est constitué en un système moyen, qui s’oppose aux autres, en leur empruntant ce qu’il juge bon. C’est un éclectisme, qui prétend généralement rejeter la science moyenne des molinistes et qui admet une grâce, non pas extrinsèquement congrue comme celle de Suarez, mais intrinsèquement congrue. Le P. Jean Hermann, op. cit., n. 561, écrit :
Juxta congruistas ad modum Suarezii et Bellarmini, infaillibilis effectus gratiæ dependet non ab ejus vi intrinseca, sed vel a voluntatis consensu, vel a circumstantiis, in quibus homo versatur : Deus effectum gratiæ infaillibiliter cognoscere non potest, nisi ope scientiæ mediæ prius exploraverit an voluntas, in his aut illis circumstantis posita, gratiæ sit consensura, necne. Nos vero dicimus congruitatem esse intrinsecam, ab ipso Deo gratiæ inditam, atque consistere non in entitate aliqua absoluta gratiæ superaddita (sic rejicimus præmotionem physicam), sed in speciali modo divinæ vocationis, in ipsius silicet perfecta contemperatione cum voluntate vocati… Quare, juxta nos, congruitas ex gratia redundat in voluntatem ; et Deus, ut gratiæ effectum cognoscat, scientia media nullatenus indiget.
On voit ce qu’il suit de là au sujet de la prédestination et des rapports de celle-ci avec les actes salutaires faciles, surtout la prière.
Le même auteur ajoute, n. 748 : Tandis que le molinisme et le thomisme n’ont que des fondements philosophiques indémontrables (la science moyenne, d’une part, et la prémotion physique, de l’autre), notre congruisme ne repose sur aucun fondement philosophique spécial, mais seulement sur les vérités de foi. Le même P. Hermann dit pourtant ailleurs, op. cit., n. 399 : Thomistarum systema tanquam fundamento nititur in principio metaphysico, scil. Deum esse primam causam et motorem universalem a quo omne ens et omnis actio venire debent. Ce principe ne dépasse-t-il pas les limites de l’opinion et n’appartient-il pas aux præmbula fidei ? A ce point de vue, l’éclectisme lui-même ne saurait le négliger. On peut se demander si ce congruisme ne lui porte pas atteinte en niant pour les actes salutaires faciles la nécessité de la grâce infailliblement efficace par elle-même.
Suarez, répondent les thomistes, oublie qu’Aristote, dans son Perihermenias, l. I, c. IX (lect. 13 de saint Thomas), a montré que de deux propositions contradictoires, singulières, relatives à un futur contingent, aucune n’est déterminément vraie ou fausse. S’il en était autrement, remarque Aristote, c’est le déterminisme ou le fatalisme qui serait la vérité, et notre choix ne serait pas libre. Les stoïciens, comme le rapporte Cicéron, De divin., I, LV, entendirent précisément prouver le déterminisme par cet argument : de deux propositions contradictoires, l’une est nécessairement vraie ; donc entre ces deux propositions : a sera, a ne sera pas, la nécessité de l’une, au moment où je parle, exclut la possibilité de l’autre : ex omni æternitate fluens veritas sempiterna. Il suivrait de là que la création elle-même n’est plus libre, que la volonté divine serait soumise au factum logique des stoïciens.
2° Les difficultés du congruisme de Bellarmin et de Suarez. – Dans cette théorie, le principe de prédilection est certes beaucoup mieux sauvegardé que dans le molinisme : sur la question de la gratuité absolue de la prédestination à la gloire, elle suit fidèlement l’interprétation de saint Paul donnée par saint Augustin et par saint Thomas.
Mais, aux yeux des thomistes, cette théorie limite encore la valeur universelle du principe de prédilection et le frappe de relativité, du fait qu’elle conserve la pièce maîtresse du molinisme : la science moyenne ou la négation de l’efficacité intrinsèque des décrets divins et de la grâce. Il reste donc, selon cette conception, que l’effort humain rend la grâce efficace, au lieu d’être l’effet de son efficacité, et, de deux hommes ou de deux anges également aidés par Dieu, il peut arriver que l’un devienne meilleur que l’autre, meilleur sans avoir été plus aidé, sans avoir plus reçu. Sans doute ce congruisme dit bien que la grâce congrue est au point de vue moral un plus grand bienfait que l’autre, mais il n’en reste pas moins qu’elle n’est efficace de fait que par le consentement humain qui la suit, selon les prévisions de la science moyenne. Et alors reparaissent ici toutes les difficultés de la science moyenne elle-même, qui paraît mettre une dépendance dans la prescience divine à l’égard du créé, une passivité dans l’Acte pur, et conduire de notre côté au déterminisme des circonstances. Cf. N. del Prado, O. P., De gratia et libero arbitrio, t. III, 1911, p. 362-368.
On ne saurait dire non plus qu’antérieurement à tout décret Dieu prévoit tel futurible, par exemple la fidélité de Pierre, en tant que ce futurible lui est présent de toute éternité, car ce n’est pas indépendamment d’un décret de Dieu que ce futurible, plutôt que le futurible contraire, lui est présent de toute éternité ; autrement, il lui serait présent comme une vérité nécessaire, et l’on revient ainsi au déterminisme.
Pour ce qui touche plus directement à la prédestination, les thomistes notent généralement : la grâce congrue, n’étant pas infailliblement efficace par elle-même, n’est pas un moyen infaillible de conduire les élus à la gloire, comme le demanderait la définition augustinienne de la prédestination : præscientia et præparatio beneficiorum Dei, quibus certissime liberantur quicumque liberantur. La grâce congrue, étant infailliblement efficace, non pas parce que Dieu le veut, mais parce que l’homme le veut, ne paraît pas conserver tout le sens des paroles de l’Ecriture citées plus haut, col. 2976. La grâce congrue, n’étant pas infailliblement efficace par elle-même, ne paraît pas non plus conserver tout le sens de ces paroles de saint Augustin : Deus de ipsis hominum voluntatibus, quod vult, cum vult, facit. Habens sine dubio humanorum cordium quo placet inclinandorum omnipotentissimam voluntatem… Deus magis habet in potestate sua voluntates hominum, quam ipsi suas (De corr. et grat., XIV, 45) ; gratia, quæ a nullo duro corde respuitur, quia ad tollendam cordis duritiam primitus datur (De prædest. sanct., VIII, 13).
Sans doute saint Augustin, Ad simplicianum, I, q. II, n. 13, a appelé congrua la grâce efficace ; mais ses œuvres postérieures que nous venons de citer montrent que dans sa pensée, du moins dans sa pensée définitive, il s’agit d’une congruité non extrinsèque, mais intrinsèque, qui est celle de la grâce infailliblement efficace par elle-même.
Ces difficultés du congruisme de Bellarmin et de Suarez ont porté d’autres congruistes à admettre la nécessité de la grâce intrinsèquement efficace au moins pour les actes difficiles ; c’est ce que pensèrent au XVIIIe siècle les congruistes de Sorbonne.
III. LE CONGRUISME DE SORBONNE. – Cette théorie se trouve avec des nuances diverses dans les œuvres de plusieurs théologiens du XVIIIe siècle : Tournely, Habert, Ysambert, Frassen, Thomassin, Duhamel. Saint Alphonse incline vers elle.
1° Exposé sommaire. – Au XIXe siècle, le P. Jean Hermann, rédemptoriste, l’admet encore en la réduisant ainsi à ses principes essentiels dans son Tractatus de divina gratia, n. 509 : « 1. La grâce est intrinsèquement efficace, en cela nous suivons les thomistes et les augustiniens contre les molinistes. – 2. Cette grâce intrinsèquement efficace est une motion, non pas physique, mais seulement morale, contre les thomistes. – 3. La grâce intrinsèquement efficace n’est requise que pour les actes salutaires difficiles : pour les actes salutaires faciles, surtout pour la prière, est requise seulement la grâce suffisante accordée ordinairement à tous. »
Ainsi est constitué en un système moyen, qui s’oppose aux autres, en leur empruntant ce qu’il juge bon. C’est un éclectisme, qui prétend généralement rejeter la science moyenne des molinistes et qui admet une grâce, non pas extrinsèquement congrue comme celle de Suarez, mais intrinsèquement congrue. Le P. Jean Hermann, op. cit., n. 561, écrit :
Juxta congruistas ad modum Suarezii et Bellarmini, infaillibilis effectus gratiæ dependet non ab ejus vi intrinseca, sed vel a voluntatis consensu, vel a circumstantiis, in quibus homo versatur : Deus effectum gratiæ infaillibiliter cognoscere non potest, nisi ope scientiæ mediæ prius exploraverit an voluntas, in his aut illis circumstantis posita, gratiæ sit consensura, necne. Nos vero dicimus congruitatem esse intrinsecam, ab ipso Deo gratiæ inditam, atque consistere non in entitate aliqua absoluta gratiæ superaddita (sic rejicimus præmotionem physicam), sed in speciali modo divinæ vocationis, in ipsius silicet perfecta contemperatione cum voluntate vocati… Quare, juxta nos, congruitas ex gratia redundat in voluntatem ; et Deus, ut gratiæ effectum cognoscat, scientia media nullatenus indiget.
On voit ce qu’il suit de là au sujet de la prédestination et des rapports de celle-ci avec les actes salutaires faciles, surtout la prière.
Le même auteur ajoute, n. 748 : Tandis que le molinisme et le thomisme n’ont que des fondements philosophiques indémontrables (la science moyenne, d’une part, et la prémotion physique, de l’autre), notre congruisme ne repose sur aucun fondement philosophique spécial, mais seulement sur les vérités de foi. Le même P. Hermann dit pourtant ailleurs, op. cit., n. 399 : Thomistarum systema tanquam fundamento nititur in principio metaphysico, scil. Deum esse primam causam et motorem universalem a quo omne ens et omnis actio venire debent. Ce principe ne dépasse-t-il pas les limites de l’opinion et n’appartient-il pas aux præmbula fidei ? A ce point de vue, l’éclectisme lui-même ne saurait le négliger. On peut se demander si ce congruisme ne lui porte pas atteinte en niant pour les actes salutaires faciles la nécessité de la grâce infailliblement efficace par elle-même.
Re: La Prédestination en théologie
2° Les difficultés du congruisme de Sorbonne. – Cette théorie nouvelle peut paraître plus acceptable que le thomisme et que le molinisme à ceux qui ne considèrent les choses que du point de vue pratique. Elle nous dit en effet que la grâce intrinsèquement efficace est requise pour les actes salutaires difficiles, mais non pas pour les plus faciles, pour la prière qui peut obtenir le secours efficace ; l’obscurité du mystère semble ainsi grandement diminuée. Mais, à considérer les choses du point de vue spéculatif, cette nouvelle théorie a, selon les thomistes, toutes les difficultés du molinisme pour les actes faciles, et, selon les molinistes, toutes les obscurités du thomisme pour les actes difficiles. En d’autres termes, du point de vue théorique, ce congruisme accumule toutes les difficultés des autres systèmes et, de plus, les principes qu’il admet pour les actes difficiles n’ont plus aucune valeur métaphysique, puisqu’ils ne s’appliquent plus aux autres actes.
Dans la critique qu’ils en font, thomistes et molinistes s’entendent à dire que ce congruisme ne peut éviter de recourir à la science moyenne pour la prévision des actes salutaires faciles.
Parmi les thomistes les plus récents, le P. del Prato, en son ouvrage cité, De gratia et libero arbitrio, t. III, p. 390, écrit : Congruismus sorbonicus rejicit scientiam mediam quoad nomen, sed retinet illam quoad rem. Illam vocat scientiam simplicis intelligentiæ, sed quoad rem est idem, quia antecedit decretum voluntatis divinæ. L’essence de la science moyenne consiste en effet dans la prévision des futurs libres conditionnels, antérieurement à tout décret divin déterminant. Or, telle est bien la position du congruisme de Sorbonne s’il s’agit des actes salutaires faciles, puisque selon lui ceux-ci n’exigent pas de décrets divins déterminants, ni de grâce infailliblement efficace de soi. De deux hommes également aidés par Dieu, il arriverait alors que celui-ci prie et l’autre pas, et celui-ci deviendrait meilleur sans avoir été plus aimé par Dieu ; ce qui porte atteinte encore une fois, disent les thomistes, au principe de prédilection : nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu.
Dira-t-on que, du moins, l’homme, sans un secours de soi efficace, évite parfois de résister à la grâce. Le P. del Prado répond en notant que, pour saint Thomas, In ep. ad Hæbr., XII, lect. 3 : Hoc ipsum quod aliquis non ponit obstaculum gratiæ, ex gratia procedit. Ne pas résister à la grâce est un bien, qui doit dériver de la source de tout bien, c’est-à-dire de l’amour de Dieu ; celui donc qui ne résiste pas est plus aimé de Dieu que celui qui dans les mêmes circonstances résiste ; Dieu le conserve miséricordieusement dans le bien, tandis qu’il permet justement le péché dans l’autre, en punition souvent d’un péché antérieur. Nous nous retrouvons ainsi en présence des deux mystères de grâce et d’iniquité. Cette théorie congruiste des actes salutaires faciles oublie cette parole de saint Augustin : Quia omnia bona et magna et media et minima ex Deo sunt, sequitur quod ex Deo sit etiam bonus usus liberæ voluntatis. Retract., I, IX, 6. En tout acte salutaire, si petit qu’il soit, se retrouve le mystère de la grâce. N. del Prado, op. cit., t. III, p. 404 sq.
Dans la critique de ce congruisme, thomistes et molinistes s’accordent à dire comme Schiffini, De efficaci gratia, disp. IV, sect. VI : « L’efficacité intrinsèque et infaillible des décrets divins et de la grâce s’accorde ou non avec notre liberté. Si oui, pourquoi la restreindre aux actes difficiles ? Sinon, pourquoi l’admettre pour eux ? Il s’agit des actes salutaires, comme actes et comme actes libres surnaturels, qu’ils soient faciles ou difficiles (le plus et le moins de difficulté ne changent pas l’espèce des actes). Enfin la prière n’est pas toujours un acte facile, ni surtout la persévérance dans la prière. »
Nous pourrions parler ici d’un congruisme plus récent, celui des cardinaux Satolli, Pecci, Lorenzelli, de Mgr. Paquet et de Mgr Janssens, O. S. B., qui rejettent à la fois la science moyenne et les décrets prédéterminants, et cherchent une position intermédiaire. Ils tiennent que la science divine de simple intelligence connaît les futuribles libres avant tout décret de la volonté divine.
A cela les thomistes répondent : c’est confondre le possible et le futurible ; or ce dernier, même s’il ne doit jamais être réalisé, est plus qu’un simple possible, il comporte une détermination nouvelle qui répond à cette question : lequel des deux possibles contradictoires choisirait Pierre s’il était placé en telles circonstances ? Serait-il fidèle à son maître ou non ? Il n’est pas nécessaire d’être omniscient pour voir qu’il y aurait là pour Pierre deux choses possibles ; mais, antérieurement à tout décret déterminant, la science divine de simple intelligence ne saurait prévoir la détermination que Pierre prendrait, lequel des deux possibles il choisirait. Cf. N. del Prado, op. cit., t. III, p. 497, 504, 506. Nous reviendrons sur la conception que se sont faite de la motion divine les cardinaux Satolli, Pecci, Lorenzelli et aussi le P. Billot, S. J. dans l’art. PREMOTION.
On voit que la principale difficulté de ces différentes formes du congruisme, que ce soit celui de Suarez, ou de Tournely, ou de Satolli, est la difficulté soulevée contre la théorie de la science moyenne, qui paraît bien poser en Dieu, dans sa prescience, une dépendance ou passivité à l’égard d’une détermination qui ne vient pas de lui.
C’est surtout à cause de cela que les augustiniens et les thomistes qui ont écrit depuis le concile de Trente ont combattu la science moyenne. Il nous reste à exposer leur enseignement.
Dans la critique qu’ils en font, thomistes et molinistes s’entendent à dire que ce congruisme ne peut éviter de recourir à la science moyenne pour la prévision des actes salutaires faciles.
Parmi les thomistes les plus récents, le P. del Prato, en son ouvrage cité, De gratia et libero arbitrio, t. III, p. 390, écrit : Congruismus sorbonicus rejicit scientiam mediam quoad nomen, sed retinet illam quoad rem. Illam vocat scientiam simplicis intelligentiæ, sed quoad rem est idem, quia antecedit decretum voluntatis divinæ. L’essence de la science moyenne consiste en effet dans la prévision des futurs libres conditionnels, antérieurement à tout décret divin déterminant. Or, telle est bien la position du congruisme de Sorbonne s’il s’agit des actes salutaires faciles, puisque selon lui ceux-ci n’exigent pas de décrets divins déterminants, ni de grâce infailliblement efficace de soi. De deux hommes également aidés par Dieu, il arriverait alors que celui-ci prie et l’autre pas, et celui-ci deviendrait meilleur sans avoir été plus aimé par Dieu ; ce qui porte atteinte encore une fois, disent les thomistes, au principe de prédilection : nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu.
Dira-t-on que, du moins, l’homme, sans un secours de soi efficace, évite parfois de résister à la grâce. Le P. del Prado répond en notant que, pour saint Thomas, In ep. ad Hæbr., XII, lect. 3 : Hoc ipsum quod aliquis non ponit obstaculum gratiæ, ex gratia procedit. Ne pas résister à la grâce est un bien, qui doit dériver de la source de tout bien, c’est-à-dire de l’amour de Dieu ; celui donc qui ne résiste pas est plus aimé de Dieu que celui qui dans les mêmes circonstances résiste ; Dieu le conserve miséricordieusement dans le bien, tandis qu’il permet justement le péché dans l’autre, en punition souvent d’un péché antérieur. Nous nous retrouvons ainsi en présence des deux mystères de grâce et d’iniquité. Cette théorie congruiste des actes salutaires faciles oublie cette parole de saint Augustin : Quia omnia bona et magna et media et minima ex Deo sunt, sequitur quod ex Deo sit etiam bonus usus liberæ voluntatis. Retract., I, IX, 6. En tout acte salutaire, si petit qu’il soit, se retrouve le mystère de la grâce. N. del Prado, op. cit., t. III, p. 404 sq.
Dans la critique de ce congruisme, thomistes et molinistes s’accordent à dire comme Schiffini, De efficaci gratia, disp. IV, sect. VI : « L’efficacité intrinsèque et infaillible des décrets divins et de la grâce s’accorde ou non avec notre liberté. Si oui, pourquoi la restreindre aux actes difficiles ? Sinon, pourquoi l’admettre pour eux ? Il s’agit des actes salutaires, comme actes et comme actes libres surnaturels, qu’ils soient faciles ou difficiles (le plus et le moins de difficulté ne changent pas l’espèce des actes). Enfin la prière n’est pas toujours un acte facile, ni surtout la persévérance dans la prière. »
Nous pourrions parler ici d’un congruisme plus récent, celui des cardinaux Satolli, Pecci, Lorenzelli, de Mgr. Paquet et de Mgr Janssens, O. S. B., qui rejettent à la fois la science moyenne et les décrets prédéterminants, et cherchent une position intermédiaire. Ils tiennent que la science divine de simple intelligence connaît les futuribles libres avant tout décret de la volonté divine.
A cela les thomistes répondent : c’est confondre le possible et le futurible ; or ce dernier, même s’il ne doit jamais être réalisé, est plus qu’un simple possible, il comporte une détermination nouvelle qui répond à cette question : lequel des deux possibles contradictoires choisirait Pierre s’il était placé en telles circonstances ? Serait-il fidèle à son maître ou non ? Il n’est pas nécessaire d’être omniscient pour voir qu’il y aurait là pour Pierre deux choses possibles ; mais, antérieurement à tout décret déterminant, la science divine de simple intelligence ne saurait prévoir la détermination que Pierre prendrait, lequel des deux possibles il choisirait. Cf. N. del Prado, op. cit., t. III, p. 497, 504, 506. Nous reviendrons sur la conception que se sont faite de la motion divine les cardinaux Satolli, Pecci, Lorenzelli et aussi le P. Billot, S. J. dans l’art. PREMOTION.
On voit que la principale difficulté de ces différentes formes du congruisme, que ce soit celui de Suarez, ou de Tournely, ou de Satolli, est la difficulté soulevée contre la théorie de la science moyenne, qui paraît bien poser en Dieu, dans sa prescience, une dépendance ou passivité à l’égard d’une détermination qui ne vient pas de lui.
C’est surtout à cause de cela que les augustiniens et les thomistes qui ont écrit depuis le concile de Trente ont combattu la science moyenne. Il nous reste à exposer leur enseignement.
Re: La Prédestination en théologie
IV. LA PREDESTINATION SELON LES AUGUSTINIENS POSTERIEURS AU CONCILE DE TRENTE. – On donne particulièrement le nom d’augustinianisme à la doctrine proposée au XVIIe siècle par le cardinal Noris (1631-1704) et soutenue plus tard par le théologien Laurent Berti (1696-1766), augustins l’un et l’autre. Accusés de jansénisme, ils ne furent jamais condamnés, loin de là (voir leurs articles), et de fait leur doctrine se distingue essentiellement du jansénisme par l’affirmation sincère et de la liberté (libertas a necessitate) et de la grâce suffisante.
Tout en admettant pour l’état présent la grâce intrinsèquement et infailliblement efficace, ils diffèrent du thomisme par leur manière de concevoir l’influence divine sur le libre arbitre : c’est pour eux une influence déterminante non pas physique, mais seulement morale. La grâce agit sur l’âme par manière de délectation. L’homme, dans son état présent, est déterminé à agir, soit par une délectation mauvaise (concupiscence), soit par une délectation bonne, spirituelle (charité). Celle-ci est une grâce suffisante quand elle donne le pouvoir de vaincre la concupiscence ; elle est une grâce efficace quand elle en est victorieuse de fait, sans nécessité, mais infailliblement.
On s’explique dès lors les conclusions relatives à la prédestination prononcées par L. Berti, De theologicis disciplinis, t. I, l. IV, c. VI, XI ; l. VI, c. I, II, III, IV, V. Ces conclusions distinguent, beaucoup plus que ne le font les thomistes, l’état présent de l’état de justice originelle, et supposent que la grâce intrinsèquement et infailliblement efficace est requise aujourd’hui, non pas à raison de la dépendance du libre arbitre créé, angélique ou humain, à l’égard de Dieu, mais à raison de l’infirmité de notre libre arbitre depuis la chute.
Ces conclusions sont ainsi énoncées au début de l’ouvrage de Berti, t. I, p. XII :
Prop. LXXXVIII. Deus non prædeterminat actiones liberas naturales, et consequenter neque eas prævidet in efficaci suæ voluntatis præfinitione, p. 175. – Pr. XCII. Innocens creatura auxilio prædeterminantis gratiæ non indigebat, et consequenter minime novit Deus perseverantiam angelorum in efficaci suæ voluntatis decreto, p. 186. – Pr. XCVIII. Deus videt futura libera ordinis supernaturalis, quæ spectant ad statum naturæ lapsæ, dependanter ab efficacis suæ voluntatis decreto, p. 197. – Pr. XCIX. Persistit cum divinis prædefinitionibus humana libertas, p. 208. – Pr. C. Deus voluntate antecedenti vult omnes homines, nemine prorsus excepto, salvos fieri, p. 215. – Pr. CVI. In dogmate prædestinationis et gratiæ recedendum non est ab Augustini doctrina, p. 228. – Pr. CXIII. Opera moralium virtutum a Deo prævisa nullo pacto prædestinationis nostræ causa sunt, p. 235. – Pr. CXIV. Prædestinatio ad gloriam præcedit prædestinationem ad gratiam, p. 237. – Pr. CXV. Ex sacris Litteris demonstrantur prædestinationem ad gloriam esse in statu naturæ lapsæ gratuitam, p. 239. – Pr. CXVI. Apertissime S. P. Augustinus tradidit gratuitam ipsam prædestinationem ad gloriam, p. 242. – Pr. CXXXIII. Reprobatio negativa aliquam ex parte reprobi causam habet, nempe originale peccatum, p. 289.
La principale objection faite par les thomistes à ces thèses de l’augustinianisme du XVIIe et du XVIIIe siècle est que le principe de prédilection formulé par saint Augustin et par saint Thomas est absolument universel et s’applique donc non seulement à l’homme dans l’état actuel, mais à l’homme innocent et à l’ange lui-même. C’est en parlant des anges et de leur prédestination que saint Augustin a dit, De civitate Dei, l. XII, c. IX, que, si les bons et les mauvais ont été créés æqualiter boni, les premiers amplius adjuti parvinrent à la béatitude éternelle, tandis que les autres tombaient par leur propre faute, permise d’ailleurs par Dieu pour un bien supérieur. Et saint Thomas a exprimé le principe de prédilection de la façon la plus universelle, qui s’applique non seulement à l’homme déchu, mais à tout être créé, et cela non pas seulement titulo infirmitatis, mais titulo dependentiæ a Deo : cum enim amor Dei sit causa bonitatis rerum, non esset aliquid alio melius, si Deus non vellet uni majus bonum quam alteri. Ia, q. XX, a. 3. Nul ange et nul homme, en quelque état que ce soit, ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. Le principe est absolument universel. Cf. Billuart, Cursus theologicus, De gratia, diss. II, a. 4.
De plus, ajoutent les thomistes, tout acte salutaire, surtout s’il est fait dans l’aridité, ne procède pas de la délectation victorieuse, et enfin celle-ci, lorsqu’elle existe, n’étant qu’une motion morale, par manière d’attrait objectif, et non pas une motion physique, ab intus quoad exercitium, ne saurait être intrinsèquement et infailliblement efficace. Dieu vu face à face attirerait certes infailliblement notre volonté ; mais il n’en est pas de même de la délectation que nous éprouvons à la pensée de Dieu connu dans l’obscurité de la foi.
Tout en admettant pour l’état présent la grâce intrinsèquement et infailliblement efficace, ils diffèrent du thomisme par leur manière de concevoir l’influence divine sur le libre arbitre : c’est pour eux une influence déterminante non pas physique, mais seulement morale. La grâce agit sur l’âme par manière de délectation. L’homme, dans son état présent, est déterminé à agir, soit par une délectation mauvaise (concupiscence), soit par une délectation bonne, spirituelle (charité). Celle-ci est une grâce suffisante quand elle donne le pouvoir de vaincre la concupiscence ; elle est une grâce efficace quand elle en est victorieuse de fait, sans nécessité, mais infailliblement.
On s’explique dès lors les conclusions relatives à la prédestination prononcées par L. Berti, De theologicis disciplinis, t. I, l. IV, c. VI, XI ; l. VI, c. I, II, III, IV, V. Ces conclusions distinguent, beaucoup plus que ne le font les thomistes, l’état présent de l’état de justice originelle, et supposent que la grâce intrinsèquement et infailliblement efficace est requise aujourd’hui, non pas à raison de la dépendance du libre arbitre créé, angélique ou humain, à l’égard de Dieu, mais à raison de l’infirmité de notre libre arbitre depuis la chute.
Ces conclusions sont ainsi énoncées au début de l’ouvrage de Berti, t. I, p. XII :
Prop. LXXXVIII. Deus non prædeterminat actiones liberas naturales, et consequenter neque eas prævidet in efficaci suæ voluntatis præfinitione, p. 175. – Pr. XCII. Innocens creatura auxilio prædeterminantis gratiæ non indigebat, et consequenter minime novit Deus perseverantiam angelorum in efficaci suæ voluntatis decreto, p. 186. – Pr. XCVIII. Deus videt futura libera ordinis supernaturalis, quæ spectant ad statum naturæ lapsæ, dependanter ab efficacis suæ voluntatis decreto, p. 197. – Pr. XCIX. Persistit cum divinis prædefinitionibus humana libertas, p. 208. – Pr. C. Deus voluntate antecedenti vult omnes homines, nemine prorsus excepto, salvos fieri, p. 215. – Pr. CVI. In dogmate prædestinationis et gratiæ recedendum non est ab Augustini doctrina, p. 228. – Pr. CXIII. Opera moralium virtutum a Deo prævisa nullo pacto prædestinationis nostræ causa sunt, p. 235. – Pr. CXIV. Prædestinatio ad gloriam præcedit prædestinationem ad gratiam, p. 237. – Pr. CXV. Ex sacris Litteris demonstrantur prædestinationem ad gloriam esse in statu naturæ lapsæ gratuitam, p. 239. – Pr. CXVI. Apertissime S. P. Augustinus tradidit gratuitam ipsam prædestinationem ad gloriam, p. 242. – Pr. CXXXIII. Reprobatio negativa aliquam ex parte reprobi causam habet, nempe originale peccatum, p. 289.
La principale objection faite par les thomistes à ces thèses de l’augustinianisme du XVIIe et du XVIIIe siècle est que le principe de prédilection formulé par saint Augustin et par saint Thomas est absolument universel et s’applique donc non seulement à l’homme dans l’état actuel, mais à l’homme innocent et à l’ange lui-même. C’est en parlant des anges et de leur prédestination que saint Augustin a dit, De civitate Dei, l. XII, c. IX, que, si les bons et les mauvais ont été créés æqualiter boni, les premiers amplius adjuti parvinrent à la béatitude éternelle, tandis que les autres tombaient par leur propre faute, permise d’ailleurs par Dieu pour un bien supérieur. Et saint Thomas a exprimé le principe de prédilection de la façon la plus universelle, qui s’applique non seulement à l’homme déchu, mais à tout être créé, et cela non pas seulement titulo infirmitatis, mais titulo dependentiæ a Deo : cum enim amor Dei sit causa bonitatis rerum, non esset aliquid alio melius, si Deus non vellet uni majus bonum quam alteri. Ia, q. XX, a. 3. Nul ange et nul homme, en quelque état que ce soit, ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. Le principe est absolument universel. Cf. Billuart, Cursus theologicus, De gratia, diss. II, a. 4.
De plus, ajoutent les thomistes, tout acte salutaire, surtout s’il est fait dans l’aridité, ne procède pas de la délectation victorieuse, et enfin celle-ci, lorsqu’elle existe, n’étant qu’une motion morale, par manière d’attrait objectif, et non pas une motion physique, ab intus quoad exercitium, ne saurait être intrinsèquement et infailliblement efficace. Dieu vu face à face attirerait certes infailliblement notre volonté ; mais il n’en est pas de même de la délectation que nous éprouvons à la pensée de Dieu connu dans l’obscurité de la foi.
Re: La Prédestination en théologie
V. LA PREDESTINATION CHEZ LES THOMISTES POSTERIEURS AU CONCILE DE TRENTE. – 1° Principes sur lesquels ils s’accordaient. 2° Où ils diffèrent. 3° Lumière et obscurités de la doctrine.
1° Principes sur lesquels ils s’accordaient. – 1. Les thomistes qui ont écrit après Molina s’opposent tous sans exception à sa théorie de la science moyenne, qui, à leurs yeux, pose en Dieu, en sa prescience, une dépendance ou passivité à l’égard d’une détermination qui ne vient pas de lui. Toute la controverse revient au dilemme : « Dieu déterminant ou déterminé, pas de milieu. » On ne saurait admettre, disent les thomistes, aucune dépendance ou passivité dans l’Acte pur ; ils soutiennent tous, dès lors, que Dieu ne peut connaître les futuribles libres que dans un décret déterminant objectivement conditionné, et les futurs libres que dans un décret, non conditionné, positif s’il s’agit des actes bons, permissif s’il s’agit du péché. Ils ajoutent que le décret déterminant relatif à nos actes salutaires est intrinsèquement et infailliblement efficace, mais qu’il n’est pas nécessitant, car il s’étend jusqu’au mode libre de nos actes que Dieu veut et produit en nous et avec nous. Dieu a voulu efficacement de toute éternité que le bon larron se convertît librement sur le calvaire, et cette volonté divine efficace, loin de détruire la liberté de cet acte de conversion, la produit en lui, parce que Dieu, qui conserve notre volonté dans l’existence, lui est plus intime qu’elle-même.
2. Tous les thomistes soutiennent aussi l’efficacité intrinsèque et infaillible des décrets divins, relatifs à nos actes salutaires et de la grâce qui nous les fait accomplir, qu’il s’agisse des actes salutaires faciles ou des actes difficiles. Ces principes, étant en effet d’ordre métaphysique, sont absolument universels, sans exception ; ils portent sur l’acte de la créature libre comme acte, et non pas comme acte difficile. De ce point de vue la grâce intrinsèquement et infailliblement efficace était requise pour l’acte salutaire, tant dans l’état d’innocence pour l’homme et pour l’ange, que dans l’état actuel ; en d’autres termes, elle est requise non seulement titulo infirmitatis, mais titulo dependentiæ, à raison de la dépendance de la créature et de chacun de ses actes à l’égard de Dieu, cause universalissime de tout ce qui arrive à l’existence, en ce qu’il a de réel et de bon.
Saint Thomas avait affirmé cette efficacité intrinsèque des décrets divins, en disant que la volonté divine conséquente ou efficace porte sur le bien qui arrive ou qui arrivera hic et nunc et que tout ce que Dieu veut de cette volonté arrive infailliblement, qu’il s’agisse d’actes faciles ou difficiles : Quidquid Deus simpliciter vult, fit, licet illud quod antecedenter vult, non fiat. Ia, q. XIX, a. 6, ad 1um, article qui se complète par l’article 8 de la même question, relatif à l’efficacité transcendante du vouloir divin qui s’étend jusqu’au mode libre de nos actes.
Cette efficacité intrinsèque et infaillible de la grâce s’explique, selon les thomistes, non par une motion morale, par manière d’attrait objectif (Dieu seul vu face à face pourrait attirer infailliblement notre volonté), mais par une motion qui applique notre volonté à poser vitalement et librement son acte (Ia, q. CV, a. 4 et 5), et qui, pour cette raison, par opposition à la motion morale, est dite prémotion physique. Les thomistes ajoutent même : cette motion est prédéterminante, en tant qu’elle assure infailliblement l’exécution du décret éternel prédéterminant. Elle a sur notre acte libre salutaire une priorité, non de temps, mais de nature et de causalité, comme le décret éternel. Elle est une prédétermination, non pas formelle, mais causale, c’est-à-dire qu’elle meut infailliblement la volonté à se déterminer en tel sens salutaire au terme de la délibération ; alors, la détermination de la volonté sera non plus causale, mais formelle et achevée. Ce qui serait contradictoire, ce serait de dire que la volonté est formellement déterminée avant d’être formellement déterminée. Voir l’art. PREMOTION.
Sur ces points tous les thomistes sont d’accord, depuis les plus rigides comme Bañez, Lemos et Alvarez, jusqu’au plus mitigé d’entre eux, Gonzalez de Albeda, qui soutint une théorie spéciale sur la grâce suffisante. On peut s’en rendre compte en lisant leurs commentaires de la Somme théologique de saint Thomas, Ia, q. XIV, a. 8 et 13 ; q. XIX, a. 6 et 8 ; q. XXIII, a. 4 et 5, et Ia-IIæ, q. CIX sq. Voir en particulier Jean de Saint-Thomas, Gonet, Contenson, Massoulié, les carmes de Salamanque, Gotti, Goudin, Billuart, plus récemment le P. Guillermin, O. P. (La grâce suffisante, dans Revue thomiste, 1901, 1902, 1903), qui, avec Gonzalez de Albeda et Massoulié, rapproche autant que possible la grâce suffisante de l’efficace, en maintenant que seule cette dernière écarte infailliblement les obstacles au bon consentement. Voir aussi V. Carro, O. P., De Soto à Bañez, dans Ciencia thomista, 1928, p. 145-178 ; Fr. Stegmüller, Fr. de Vitoria y la doctrina de la gracia en la escuela Salmantina, Barcelone, 1934, p. 227-244 (textes inédits).
3. Le principe de prédilection. – Tous, même Gonzalez de Albeda, Massoulié et le P. Guillermin, défendent par suite et très fermement le principe de prédilection : « Nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé et plus aidé par Dieu. » Tous admettent l’universalité absolue de ce principe tant pour l’état d’innocence que pour l’état actuel, , qu’il s’agisse d’actes faciles ou d’actes difficiles, d’acte initial ou d’acte final, du commencement de l’acte ou de sa continuation. Nous ne pouvons nous étendre ici sur ce point que nous avons longuement développé ailleurs. Cf. La grâce infailliblement efficace par elle-même et les actes salutaires faciles, dans Revue thomiste, nov.-déc. 1925 et mars-avril 1926.
4. La prédestination. – A la lumière de ces principes, les thomistes qui ont écrit après le concile de Trente expliquent les articles de saint Thomas sur la prédestination, Ia, q. XXIII. Ils défendent l’interprétation de saint Paul donnée par saint Augustin et par saint Thomas, comme nous l’avons vu dans les œuvres de R. Bellarmin, mais en insistant plus que lui sur les paroles de saint Paul : Deus est qui operatur in nobis velle et perficere. Phil., II, 13 ; Quis enim te discernit ? Quis autem habes quod non accepisti ? I Cor., IV, 7. Ils considèrent ainsi la doctrine de la gratuité absolue de la prédestination à la gloire comme directement fondée sur l’Ecriture.
Dans l’explication de cette doctrine, ils s’entendent tous pour admettre que la prédestination à la gloire est antérieure à la prévision des mérites, comme le vouloir de la fin est antérieur au choix des moyens ; mais que, dans l’ordre d’exécution, Dieu donne la gloire comme récompense des mérites, en quoi ils combattent les protestants et les jansénistes. Deus electis suis gratis vult dare gloriam, sed non vult eam gratis dare. Ils tiennent tous aussi que la réprobation négative, par laquelle Dieu veut permettre le péché qui prive de la gloire, est antérieure à la prévision des démérites (le péché originel, ajoutent plusieurs, ne saurait non plus l’expliquer en ceux auxquels ce péché est remis) ; la réprobation positive, qui inflige la peine de la damnation, est au contraire postérieure à la prévision du péché, que la peine suppose.
Les thomistes ordonnent donc généralement ainsi les décrets divins : a) Dieu veut d’une volonté antécédente sauver tous les hommes, même après le péché originel, et il leur prépare des grâces vraiment suffisantes pour observer les commandements, car il ne commande jamais l’impossible. Cf. saint Thomas, Ia, q. XIX, a. 6, ad 1um. – b) Dieu aime spécialement et choisit un certain nombre d’anges et d’hommes, qu’il veut efficacement sauver. Ia, q. XXIII, a. 4. La prédestination à la gloire précède ainsi, dans l’ordre d’intention, la prévision des mérites. Ibid., a. 5. – c) Dieu prépare aux élus des grâces intrinsèquement et infailliblement efficaces, par lesquelles, infailliblement quoique librement, ils mériteront la vie éternelle et y parviendront. – d) Dieu, prévoyant dans ses décrets que ses élus persévéreront jusqu’à la fin, décide dans l’ordre d’exécution préconçue de leur accorder la gloire comme récompense de leurs mérites. – e) Mais comme il prévoit aussi dans ses décrets permissifs que d’autres achèveront leur temps d’épreuve en état de péché mortel, il les réprouve positivement à cause de leurs péchés. – Cet ordre des décrets est fondé sur ces principes, admis non seulement par tous les thomistes, mais par Scot, par Bellarmin et par Suarez, que le sage veut la fin avant les moyens voulus pour la fin, et que si la fin est première dans l’ordre d’intention elle est dernière dans l’ordre d’exécution.
2° Point où les thomistes diffèrent. – Sur ces thèses principales les thomistes s’accordent, ils ne diffèrent guère entre eux que sur la notion de réprobation négative.
Alvarez, les carmes de Salamanque, Jean de Saint-Thomas, Gonet et Contenson ont admis que la réprobation négative tant des anges que des hommes, antérieure à la prévision des démérites, consiste dans l’exclusion positive de la gloire, en ce sens que Dieu leur aurait refusé la gloire comme un bienfait qui ne leur était pas dû ; puis il aurait permis leurs péchés et décidé enfin de leur infliger à cause de ces péchés la peine de la damnation, ce qui est la réprobation positive.
Il y a là encore, contre les protestants, une certaine différence entre la réprobation positive, qui est une peine, et la réprobation négative, qui ne l’est pas, mais seulement le refus d’un bienfait gratuit.
Cependant beaucoup de thomistes, comme Goudin, Graveson, Billuart, et presque tous aujourd’hui, ont rejeté cette manière de voir pour trois raisons principales : 1. parce qu’elle paraît trop dure et difficilement conciliable avec la volonté divine antécédente de salut de tous les hommes ; – 2. parce qu’elle pose un parallélisme excessif entre l’ordre du bien et celui du mal : Dieu veut aux élus la gloire d’abord comme un bienfait gratuit, puis, dans l’ordre d’exécution préconçue, comme une récompense de leurs mérites ; mais il ne peut vouloir exclure les autres de la gloire, avant la prévision de leurs démérites, car cette exclusion ne saurait être en soi un bien et elle ne peut être voulue par Dieu que comme une juste peine après la prévision des démérites ; – 3. cette théorie de l’exclusio positiva a gloria tanquam a beneficio indebito ne se trouve pas dans les œuvres de saint Thomas, ni chez ses premiers commentateurs Capréolus, Cajetan, Silvestre de Ferrare. Saint Thomas a écrit, Ia, q. XXIII, a. 3 : Pertinet ad divinam providentiam ut permittat aliquos ab isto fine (gloriæ) deficere, et hoc dicitur reprobare. A la fin du corps du même article il dit : Reprobatio includit voluntatem permittendi aliquem cadere in culpam (réprobation négative) et inferendi damnationis pænam pro culpa (réprobation positive).
Aussi ces derniers thomistes et presque tous aujourd’hui font consister la réprobation négative dans la volonté divine de permettre le péché, qui mérite l’exclusion de la gloire. Dieu n’est pas tenu en effet de conduire efficacement tous les anges et tous les hommes à la gloire et d’empêcher qu’une créature de soi défectible ne défaille quelquefois. Il peut permettre ce mal, dont il n’est nullement cause, et il le permet en vue d’un bien supérieur, comme la manifestation de son infinie justice.
3° La lumière et les obscurités du thomisme. – La doctrine thomiste de la prédestination se déduit tout entière du principe de prédilection : « Comme l’amour de Dieu est la cause de tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. » Ia, q. XX, a. 3. Ce principe apparaît dans l’ordre philosophique comme un corollaire évident des principes de causalité et de la causalité universelle de Dieu, auteur de tout bien. Ce même principe, dans l’ordre de la grâce, est révélé sous des formes diverses dans l’Ancien Testament : Miserebor cui voluero, et clemens ero in quem mihi placuerit (Ex., XXXIII, 19), et dans le Nouveau : Quis enim te discernit ? Quis autem habes quod non accepisti ? I Cor., IV, 7.
1° Principes sur lesquels ils s’accordaient. – 1. Les thomistes qui ont écrit après Molina s’opposent tous sans exception à sa théorie de la science moyenne, qui, à leurs yeux, pose en Dieu, en sa prescience, une dépendance ou passivité à l’égard d’une détermination qui ne vient pas de lui. Toute la controverse revient au dilemme : « Dieu déterminant ou déterminé, pas de milieu. » On ne saurait admettre, disent les thomistes, aucune dépendance ou passivité dans l’Acte pur ; ils soutiennent tous, dès lors, que Dieu ne peut connaître les futuribles libres que dans un décret déterminant objectivement conditionné, et les futurs libres que dans un décret, non conditionné, positif s’il s’agit des actes bons, permissif s’il s’agit du péché. Ils ajoutent que le décret déterminant relatif à nos actes salutaires est intrinsèquement et infailliblement efficace, mais qu’il n’est pas nécessitant, car il s’étend jusqu’au mode libre de nos actes que Dieu veut et produit en nous et avec nous. Dieu a voulu efficacement de toute éternité que le bon larron se convertît librement sur le calvaire, et cette volonté divine efficace, loin de détruire la liberté de cet acte de conversion, la produit en lui, parce que Dieu, qui conserve notre volonté dans l’existence, lui est plus intime qu’elle-même.
2. Tous les thomistes soutiennent aussi l’efficacité intrinsèque et infaillible des décrets divins, relatifs à nos actes salutaires et de la grâce qui nous les fait accomplir, qu’il s’agisse des actes salutaires faciles ou des actes difficiles. Ces principes, étant en effet d’ordre métaphysique, sont absolument universels, sans exception ; ils portent sur l’acte de la créature libre comme acte, et non pas comme acte difficile. De ce point de vue la grâce intrinsèquement et infailliblement efficace était requise pour l’acte salutaire, tant dans l’état d’innocence pour l’homme et pour l’ange, que dans l’état actuel ; en d’autres termes, elle est requise non seulement titulo infirmitatis, mais titulo dependentiæ, à raison de la dépendance de la créature et de chacun de ses actes à l’égard de Dieu, cause universalissime de tout ce qui arrive à l’existence, en ce qu’il a de réel et de bon.
Saint Thomas avait affirmé cette efficacité intrinsèque des décrets divins, en disant que la volonté divine conséquente ou efficace porte sur le bien qui arrive ou qui arrivera hic et nunc et que tout ce que Dieu veut de cette volonté arrive infailliblement, qu’il s’agisse d’actes faciles ou difficiles : Quidquid Deus simpliciter vult, fit, licet illud quod antecedenter vult, non fiat. Ia, q. XIX, a. 6, ad 1um, article qui se complète par l’article 8 de la même question, relatif à l’efficacité transcendante du vouloir divin qui s’étend jusqu’au mode libre de nos actes.
Cette efficacité intrinsèque et infaillible de la grâce s’explique, selon les thomistes, non par une motion morale, par manière d’attrait objectif (Dieu seul vu face à face pourrait attirer infailliblement notre volonté), mais par une motion qui applique notre volonté à poser vitalement et librement son acte (Ia, q. CV, a. 4 et 5), et qui, pour cette raison, par opposition à la motion morale, est dite prémotion physique. Les thomistes ajoutent même : cette motion est prédéterminante, en tant qu’elle assure infailliblement l’exécution du décret éternel prédéterminant. Elle a sur notre acte libre salutaire une priorité, non de temps, mais de nature et de causalité, comme le décret éternel. Elle est une prédétermination, non pas formelle, mais causale, c’est-à-dire qu’elle meut infailliblement la volonté à se déterminer en tel sens salutaire au terme de la délibération ; alors, la détermination de la volonté sera non plus causale, mais formelle et achevée. Ce qui serait contradictoire, ce serait de dire que la volonté est formellement déterminée avant d’être formellement déterminée. Voir l’art. PREMOTION.
Sur ces points tous les thomistes sont d’accord, depuis les plus rigides comme Bañez, Lemos et Alvarez, jusqu’au plus mitigé d’entre eux, Gonzalez de Albeda, qui soutint une théorie spéciale sur la grâce suffisante. On peut s’en rendre compte en lisant leurs commentaires de la Somme théologique de saint Thomas, Ia, q. XIV, a. 8 et 13 ; q. XIX, a. 6 et 8 ; q. XXIII, a. 4 et 5, et Ia-IIæ, q. CIX sq. Voir en particulier Jean de Saint-Thomas, Gonet, Contenson, Massoulié, les carmes de Salamanque, Gotti, Goudin, Billuart, plus récemment le P. Guillermin, O. P. (La grâce suffisante, dans Revue thomiste, 1901, 1902, 1903), qui, avec Gonzalez de Albeda et Massoulié, rapproche autant que possible la grâce suffisante de l’efficace, en maintenant que seule cette dernière écarte infailliblement les obstacles au bon consentement. Voir aussi V. Carro, O. P., De Soto à Bañez, dans Ciencia thomista, 1928, p. 145-178 ; Fr. Stegmüller, Fr. de Vitoria y la doctrina de la gracia en la escuela Salmantina, Barcelone, 1934, p. 227-244 (textes inédits).
3. Le principe de prédilection. – Tous, même Gonzalez de Albeda, Massoulié et le P. Guillermin, défendent par suite et très fermement le principe de prédilection : « Nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé et plus aidé par Dieu. » Tous admettent l’universalité absolue de ce principe tant pour l’état d’innocence que pour l’état actuel, , qu’il s’agisse d’actes faciles ou d’actes difficiles, d’acte initial ou d’acte final, du commencement de l’acte ou de sa continuation. Nous ne pouvons nous étendre ici sur ce point que nous avons longuement développé ailleurs. Cf. La grâce infailliblement efficace par elle-même et les actes salutaires faciles, dans Revue thomiste, nov.-déc. 1925 et mars-avril 1926.
4. La prédestination. – A la lumière de ces principes, les thomistes qui ont écrit après le concile de Trente expliquent les articles de saint Thomas sur la prédestination, Ia, q. XXIII. Ils défendent l’interprétation de saint Paul donnée par saint Augustin et par saint Thomas, comme nous l’avons vu dans les œuvres de R. Bellarmin, mais en insistant plus que lui sur les paroles de saint Paul : Deus est qui operatur in nobis velle et perficere. Phil., II, 13 ; Quis enim te discernit ? Quis autem habes quod non accepisti ? I Cor., IV, 7. Ils considèrent ainsi la doctrine de la gratuité absolue de la prédestination à la gloire comme directement fondée sur l’Ecriture.
Dans l’explication de cette doctrine, ils s’entendent tous pour admettre que la prédestination à la gloire est antérieure à la prévision des mérites, comme le vouloir de la fin est antérieur au choix des moyens ; mais que, dans l’ordre d’exécution, Dieu donne la gloire comme récompense des mérites, en quoi ils combattent les protestants et les jansénistes. Deus electis suis gratis vult dare gloriam, sed non vult eam gratis dare. Ils tiennent tous aussi que la réprobation négative, par laquelle Dieu veut permettre le péché qui prive de la gloire, est antérieure à la prévision des démérites (le péché originel, ajoutent plusieurs, ne saurait non plus l’expliquer en ceux auxquels ce péché est remis) ; la réprobation positive, qui inflige la peine de la damnation, est au contraire postérieure à la prévision du péché, que la peine suppose.
Les thomistes ordonnent donc généralement ainsi les décrets divins : a) Dieu veut d’une volonté antécédente sauver tous les hommes, même après le péché originel, et il leur prépare des grâces vraiment suffisantes pour observer les commandements, car il ne commande jamais l’impossible. Cf. saint Thomas, Ia, q. XIX, a. 6, ad 1um. – b) Dieu aime spécialement et choisit un certain nombre d’anges et d’hommes, qu’il veut efficacement sauver. Ia, q. XXIII, a. 4. La prédestination à la gloire précède ainsi, dans l’ordre d’intention, la prévision des mérites. Ibid., a. 5. – c) Dieu prépare aux élus des grâces intrinsèquement et infailliblement efficaces, par lesquelles, infailliblement quoique librement, ils mériteront la vie éternelle et y parviendront. – d) Dieu, prévoyant dans ses décrets que ses élus persévéreront jusqu’à la fin, décide dans l’ordre d’exécution préconçue de leur accorder la gloire comme récompense de leurs mérites. – e) Mais comme il prévoit aussi dans ses décrets permissifs que d’autres achèveront leur temps d’épreuve en état de péché mortel, il les réprouve positivement à cause de leurs péchés. – Cet ordre des décrets est fondé sur ces principes, admis non seulement par tous les thomistes, mais par Scot, par Bellarmin et par Suarez, que le sage veut la fin avant les moyens voulus pour la fin, et que si la fin est première dans l’ordre d’intention elle est dernière dans l’ordre d’exécution.
2° Point où les thomistes diffèrent. – Sur ces thèses principales les thomistes s’accordent, ils ne diffèrent guère entre eux que sur la notion de réprobation négative.
Alvarez, les carmes de Salamanque, Jean de Saint-Thomas, Gonet et Contenson ont admis que la réprobation négative tant des anges que des hommes, antérieure à la prévision des démérites, consiste dans l’exclusion positive de la gloire, en ce sens que Dieu leur aurait refusé la gloire comme un bienfait qui ne leur était pas dû ; puis il aurait permis leurs péchés et décidé enfin de leur infliger à cause de ces péchés la peine de la damnation, ce qui est la réprobation positive.
Il y a là encore, contre les protestants, une certaine différence entre la réprobation positive, qui est une peine, et la réprobation négative, qui ne l’est pas, mais seulement le refus d’un bienfait gratuit.
Cependant beaucoup de thomistes, comme Goudin, Graveson, Billuart, et presque tous aujourd’hui, ont rejeté cette manière de voir pour trois raisons principales : 1. parce qu’elle paraît trop dure et difficilement conciliable avec la volonté divine antécédente de salut de tous les hommes ; – 2. parce qu’elle pose un parallélisme excessif entre l’ordre du bien et celui du mal : Dieu veut aux élus la gloire d’abord comme un bienfait gratuit, puis, dans l’ordre d’exécution préconçue, comme une récompense de leurs mérites ; mais il ne peut vouloir exclure les autres de la gloire, avant la prévision de leurs démérites, car cette exclusion ne saurait être en soi un bien et elle ne peut être voulue par Dieu que comme une juste peine après la prévision des démérites ; – 3. cette théorie de l’exclusio positiva a gloria tanquam a beneficio indebito ne se trouve pas dans les œuvres de saint Thomas, ni chez ses premiers commentateurs Capréolus, Cajetan, Silvestre de Ferrare. Saint Thomas a écrit, Ia, q. XXIII, a. 3 : Pertinet ad divinam providentiam ut permittat aliquos ab isto fine (gloriæ) deficere, et hoc dicitur reprobare. A la fin du corps du même article il dit : Reprobatio includit voluntatem permittendi aliquem cadere in culpam (réprobation négative) et inferendi damnationis pænam pro culpa (réprobation positive).
Aussi ces derniers thomistes et presque tous aujourd’hui font consister la réprobation négative dans la volonté divine de permettre le péché, qui mérite l’exclusion de la gloire. Dieu n’est pas tenu en effet de conduire efficacement tous les anges et tous les hommes à la gloire et d’empêcher qu’une créature de soi défectible ne défaille quelquefois. Il peut permettre ce mal, dont il n’est nullement cause, et il le permet en vue d’un bien supérieur, comme la manifestation de son infinie justice.
3° La lumière et les obscurités du thomisme. – La doctrine thomiste de la prédestination se déduit tout entière du principe de prédilection : « Comme l’amour de Dieu est la cause de tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. » Ia, q. XX, a. 3. Ce principe apparaît dans l’ordre philosophique comme un corollaire évident des principes de causalité et de la causalité universelle de Dieu, auteur de tout bien. Ce même principe, dans l’ordre de la grâce, est révélé sous des formes diverses dans l’Ancien Testament : Miserebor cui voluero, et clemens ero in quem mihi placuerit (Ex., XXXIII, 19), et dans le Nouveau : Quis enim te discernit ? Quis autem habes quod non accepisti ? I Cor., IV, 7.
Re: La Prédestination en théologie
Par là le thomisme reste parfaitement fidèle à l’interprétation des textes de saint Paul donnée par saint Augustin. C’est le côté lumineux de cette doctrine, qui sauvegarde pleinement la vérité et l’universalité absolue du principe de causalité dans ses rapports avec la causalité transcendante de Dieu auteur de la nature, de la grâce et du salut. Le thomisme se refuse absolument à porter atteinte à ces principes par une conception de la liberté humaine qui ne saurait s’établir ni par l’expérience, ni à priori. Il refuse énergiquement de nier ou de limiter les lois universelles de l’être et de l’agir qui éclairent toute la synthèse doctrinale de la philosophie et de la théologie, d’autant plus que la théologie a pour objet propre Dieu même et qu’elle doit donc considérer toutes choses, y compris notre liberté, à la lumière de la vraie notion de Dieu et non pas inversement.
L’obscurité de cette doctrine se trouve alors de l’autre côté du mystère, lorsqu’il s’agit de la volonté salvifique universelle, de la réelle possibilité, pour ceux qui ne sont pas élus, d’observer les commandements, et de la permission divine du péché, surtout du péché d’impénitence finale.
A cela les thomistes répondent que très certainement Dieu veut sauver tous les hommes en ce sens qu’il veut leur rendre réellement possible l’accomplissement de ses préceptes, mais que cette réelle possibilité ou ce réel pouvoir reste obscur pour deux raisons :
1. Nihil est intelligibile nisi in quantum est in actu, rien n’est intelligible s’il n’est en acte, s’il n’est déterminé. Dans toute doctrine qui admet la puissance et l’acte, l’acte ou la détermination est intelligible en soi, bien qu’il ne soit pas toujours facilement intelligible pour nous, à raison de son élévation ou de sa spiritualité qui échappe à nos sens. Par opposition, la puissance non encore déterminée, comme un germe non encore développé, n’est pas intelligible en soi, mais seulement par rapport à l’acte. Cela est vrai de la matière première par rapport à la forme, de l’essence des choses par rapport à l’existence, de l’intelligence non encore informée par l’intelligible, de la liberté créée, qui peut choisir ceci ou cela, du pouvoir réel de faire le bien, qui, tout réel qu’il est, ne passe pas à l’acte. Nous avons longuement développé ailleurs la raison de l’obscurité de tout ce qui reste potentiel. Cf. Le sens commun, la philosophie de l’être et les formules dogmatiques, 3e éd., Paris, 1922, p. 149-153.
2. Ce pouvoir réel de faire le bien, qui ne passe pas à l’acte, reste obscur parce qu’il s’accompagne de la permission divine du péché, et que le péché est en soi un mystère d’iniquité plus obscur en soi que les mystères de grâce ; tandis que ceux-ci sont en eux-mêmes lumière, vérité et bonté, le mal du péché est une privation d’être, de vérité et de bien.
Cependant nous voyons que Dieu, qui est souverain bien et tout-puissant, n’est nullement cause du mal moral. Comme le montre saint Thomas, Ia-IIæ, q. LXXIX, a. 1 et 2, Dieu ne saurait nous y porter directement sans se nier lui-même, et l’on ne peut dire non plus qu’il est indirectement responsable pour ne nous avoir pas donné le secours suffisant. Ce secours il le donne, mais le pécheur y résiste, et par là il mérite d’être privé du secours efficace. Selon la parole divine exprimée par le prophète Osée : Perditio tua ex te, Israel ; tantummodo in me auxilium tuum. Même si, par impossible, Dieu voulait être cause directe ou indirecte du péché, il ne le pourrait pas, car la déficience et le désordre ne tombent pas sous l’objet adéquat de sa toute-puissance. Comme l’œil ne peut voir les sons, ni l’oreille entendre les couleurs, de même et plus encore la souveraine bonté et la toute-puissance ne peuvent être cause directe ou indirecte du désordre moral. Dieu ne peut que le permettre, pour un bien supérieur, qui souvent nous échappe.
Sans doute le mystère de la permission divine du péché d’impénitence finale contient une très grande obscurité ; mais nul ne peut prouver que la Providence universelle soit tenue d’empêcher une créature, de soi défectible, de défaillir et de défaillir irrémédiablement. Dieu, en sa justice, donne le pouvoir très réel d’éviter cette défaillance irrémédiable, mais il ne donne pas à tous de l’éviter de fait. Il n’est pas impossible qu’il permette, surtout après beaucoup d’autres fautes, la résistance à la dernière grâce suffisante, résistance par laquelle le pécheur mérite d’être privé du dernier secours efficace. C’est le grand mystère, qui implique toute l’obscurité de la puissance réelle non actuée, de la puissance libre, et toute l’obscurité du mal du péché, qui de soi est ténèbres, privation de lumière, de vérité et de bonté.
La solution du problème du mal se trouve toujours dans la parole de saint Augustin : Deus, cum sit summe bonus, nullo modo sineret aliquid mali esse in operibus suis, nisi esset adeo omnipotens et bonus, ut bene faceret etiam de malo. Enchiridion, c. XI. Dieu ne peut permettre le mal que pour un plus grand bien. La manifestation de la splendeur de l’infinie justice et de l’infinie miséricorde est un bien si supérieur que par plusieurs côtés il nous dépasse complètement. C’est là certes une obscurité, mais celle même de la foi chrétienne, l’obscurité qui vient d’une trop grande lumière pour nos faibles yeux, « la lumière inaccessible où Dieu habite ».
Les objections faites à cette doctrine thomiste de la prédestination reviennent à dire que cette doctrine détruit la liberté humaine, qu’elle est décourageante et qu’elle attribue à Dieu l’acception de personnes qui est une forme de l’injustice. Ce sont les objections qu’adressaient les semi-pélagiens à saint Augustin et celles mêmes que se faisait saint Paul dans l’épître aux Romains, IX : Numquid iniquitas apud Deum ?… O homo ! Tu qui es qui respondeas Deo ? An non habet potestatem figulus facere aliud vas in honorem, et aliud in contumeliam ?
Les thomistes répondent que, contrairement à ce que disent les protestants et les jansénistes, l’efficacité transcendante des décrets divins et de la grâce, loin de détruire notre liberté, notre indifférence dominatrice, l’actualise, en produisant en nous et avec nous jusqu’au mode libre de nos actes, car ce mode est de l’être et un bien et dérive par suite de la source de toute réalité et de tout bien. Cf. Saint Thomas, Ia, q. XIX, a. 8, et Bossuet, Traité du libre arbitre, c. VIII.
A la seconde objection, les thomistes répondent que la doctrine de saint Thomas, loin d’être décourageante, met en un vigoureux relief le motif formel de l’espérance, qui est, non pas l’effort humain, mais Dieu même infiniment secourable, Deus auxilians. Le motif formel d’une vertu théologale ne peut être en effet quelque chose de créé, et notre effort surnaturel, suscité par l’efficacité de la grâce, ne saurait rendre efficace celle-ci. Il vaut mieux donc, comme le disait saint Augustin, se confier à Dieu souverainement bon et tout-puissant qu’à nous-mêmes, à notre inconstance et à notre fragilité, car, malgré l’obscurité du mystère, nous sommes beaucoup plus sûrs de la rectitude des intentions du Dieu tout-puissant que de la rectitude des nôtres. Bossuet a particulièrement insisté sur ce point dans ses Méditations sur l’Evangile, IIe part., 72e jour : La prédestination des saints, ci-dessus col. 2956.
Qu’on ne dise donc pas : Si je suis prédestiné, quoi que je fasse, je serai sauvé ; sinon, quoi que je fasse, je serai damné. C’est aussi faux et aussi absurde que si le laboureur disait : Si la moisson doit venir, que je laboure et que je sème ou non, elle viendra. La raison en est que la prédestination comme la providence porte non seulement sur la fin, mais aussi sur les moyens capables de nous faire obtenir cette fin. La doctrine augustinienne et thomiste, loin de détourner des bonnes œuvres, comme la doctrine protestante, nous porte à travailler et à lutter pour mériter la vie éternelle, en nous abandonnant par-dessus tout à Dieu, qui seul peut nous donner de persévérer jusqu’à la fin, comme le dit le concile de Trente.
Il y aurait de la part de Dieu acception de personnes et donc injustice si, en donnant à l’un plus de secours qu’à l’autre, il refusait à celui-ci ce qui lui est dû. Mais il n’en est pas ainsi, la grâce est un don gratuit et Dieu accorde même la grâce suffisante à tous ceux qui ont à observer ses préceptes ; s’ils y résistent, ils méritent ainsi d’être privés du secours efficace qui leur était virtuellement offert dans le précédent. Ainsi, comme le disait saint Augustin, si la grâce efficace est accordée à celui-ci, c’est par miséricorde ; si elle est refusée à celui-là, c’est par justice. Cf. IIa-IIæ, q. II, a. 5, ad 1um. Reste le mystère impénétrable de la conciliation intime des deux principes qui éclairent ces problèmes : d’une part, le principe de prédilection : nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu ; d’autre part, Dieu ne commande jamais l’impossible, il veut rendre possible à tous l’accomplissement de ses préceptes.
Comment se concilient intimement ces deux grands principes ? Aucune intelligence humaine ou angélique ne saurait le voir par ses propres forces ; il faudrait avoir reçu la lumière de gloire, et voir comment l’infinie justice, l’infinie miséricorde et la souveraine liberté s’identifient réellement, sans le détruire, dans l’éminence de la Déité ou de la vie intime de Dieu.
Après avoir exposé les différentes conceptions théologiques et leurs difficultés il nous reste à les comparer à la lumière de l’enseignement de l’Eglise ; c’est ce que nous ferons dans la partie théorique de cet article.
VIII. PARTIE THEORIQUE. – Voyons d’abord les déclarations de l’Eglise formulées à l’occasion des hérésies opposées entre elles, nous saisirons ainsi mieux l’état de la question et le point précis de la difficulté du problème. Nous classerons ensuite les différentes conceptions théologiques et, pour les comparer, nous verrons à la lumière des déclarations de l’Eglise ce que dit l’Ecriture de la prédestination. Nous examinerons enfin si les principes formulés par saint Augustin et saint Thomas ont été infirmés par les essais des théologiens postérieurs.
I. Doctrine de l’Eglise. II. Le mystère de la prédestination (col. 2296) III. Les systèmes théologiques. (col. 3000). IV. Notions principales relatives à la prédestination (col. 3003). Conclusion générale (col. 3019).
L’obscurité de cette doctrine se trouve alors de l’autre côté du mystère, lorsqu’il s’agit de la volonté salvifique universelle, de la réelle possibilité, pour ceux qui ne sont pas élus, d’observer les commandements, et de la permission divine du péché, surtout du péché d’impénitence finale.
A cela les thomistes répondent que très certainement Dieu veut sauver tous les hommes en ce sens qu’il veut leur rendre réellement possible l’accomplissement de ses préceptes, mais que cette réelle possibilité ou ce réel pouvoir reste obscur pour deux raisons :
1. Nihil est intelligibile nisi in quantum est in actu, rien n’est intelligible s’il n’est en acte, s’il n’est déterminé. Dans toute doctrine qui admet la puissance et l’acte, l’acte ou la détermination est intelligible en soi, bien qu’il ne soit pas toujours facilement intelligible pour nous, à raison de son élévation ou de sa spiritualité qui échappe à nos sens. Par opposition, la puissance non encore déterminée, comme un germe non encore développé, n’est pas intelligible en soi, mais seulement par rapport à l’acte. Cela est vrai de la matière première par rapport à la forme, de l’essence des choses par rapport à l’existence, de l’intelligence non encore informée par l’intelligible, de la liberté créée, qui peut choisir ceci ou cela, du pouvoir réel de faire le bien, qui, tout réel qu’il est, ne passe pas à l’acte. Nous avons longuement développé ailleurs la raison de l’obscurité de tout ce qui reste potentiel. Cf. Le sens commun, la philosophie de l’être et les formules dogmatiques, 3e éd., Paris, 1922, p. 149-153.
2. Ce pouvoir réel de faire le bien, qui ne passe pas à l’acte, reste obscur parce qu’il s’accompagne de la permission divine du péché, et que le péché est en soi un mystère d’iniquité plus obscur en soi que les mystères de grâce ; tandis que ceux-ci sont en eux-mêmes lumière, vérité et bonté, le mal du péché est une privation d’être, de vérité et de bien.
Cependant nous voyons que Dieu, qui est souverain bien et tout-puissant, n’est nullement cause du mal moral. Comme le montre saint Thomas, Ia-IIæ, q. LXXIX, a. 1 et 2, Dieu ne saurait nous y porter directement sans se nier lui-même, et l’on ne peut dire non plus qu’il est indirectement responsable pour ne nous avoir pas donné le secours suffisant. Ce secours il le donne, mais le pécheur y résiste, et par là il mérite d’être privé du secours efficace. Selon la parole divine exprimée par le prophète Osée : Perditio tua ex te, Israel ; tantummodo in me auxilium tuum. Même si, par impossible, Dieu voulait être cause directe ou indirecte du péché, il ne le pourrait pas, car la déficience et le désordre ne tombent pas sous l’objet adéquat de sa toute-puissance. Comme l’œil ne peut voir les sons, ni l’oreille entendre les couleurs, de même et plus encore la souveraine bonté et la toute-puissance ne peuvent être cause directe ou indirecte du désordre moral. Dieu ne peut que le permettre, pour un bien supérieur, qui souvent nous échappe.
Sans doute le mystère de la permission divine du péché d’impénitence finale contient une très grande obscurité ; mais nul ne peut prouver que la Providence universelle soit tenue d’empêcher une créature, de soi défectible, de défaillir et de défaillir irrémédiablement. Dieu, en sa justice, donne le pouvoir très réel d’éviter cette défaillance irrémédiable, mais il ne donne pas à tous de l’éviter de fait. Il n’est pas impossible qu’il permette, surtout après beaucoup d’autres fautes, la résistance à la dernière grâce suffisante, résistance par laquelle le pécheur mérite d’être privé du dernier secours efficace. C’est le grand mystère, qui implique toute l’obscurité de la puissance réelle non actuée, de la puissance libre, et toute l’obscurité du mal du péché, qui de soi est ténèbres, privation de lumière, de vérité et de bonté.
La solution du problème du mal se trouve toujours dans la parole de saint Augustin : Deus, cum sit summe bonus, nullo modo sineret aliquid mali esse in operibus suis, nisi esset adeo omnipotens et bonus, ut bene faceret etiam de malo. Enchiridion, c. XI. Dieu ne peut permettre le mal que pour un plus grand bien. La manifestation de la splendeur de l’infinie justice et de l’infinie miséricorde est un bien si supérieur que par plusieurs côtés il nous dépasse complètement. C’est là certes une obscurité, mais celle même de la foi chrétienne, l’obscurité qui vient d’une trop grande lumière pour nos faibles yeux, « la lumière inaccessible où Dieu habite ».
Les objections faites à cette doctrine thomiste de la prédestination reviennent à dire que cette doctrine détruit la liberté humaine, qu’elle est décourageante et qu’elle attribue à Dieu l’acception de personnes qui est une forme de l’injustice. Ce sont les objections qu’adressaient les semi-pélagiens à saint Augustin et celles mêmes que se faisait saint Paul dans l’épître aux Romains, IX : Numquid iniquitas apud Deum ?… O homo ! Tu qui es qui respondeas Deo ? An non habet potestatem figulus facere aliud vas in honorem, et aliud in contumeliam ?
Les thomistes répondent que, contrairement à ce que disent les protestants et les jansénistes, l’efficacité transcendante des décrets divins et de la grâce, loin de détruire notre liberté, notre indifférence dominatrice, l’actualise, en produisant en nous et avec nous jusqu’au mode libre de nos actes, car ce mode est de l’être et un bien et dérive par suite de la source de toute réalité et de tout bien. Cf. Saint Thomas, Ia, q. XIX, a. 8, et Bossuet, Traité du libre arbitre, c. VIII.
A la seconde objection, les thomistes répondent que la doctrine de saint Thomas, loin d’être décourageante, met en un vigoureux relief le motif formel de l’espérance, qui est, non pas l’effort humain, mais Dieu même infiniment secourable, Deus auxilians. Le motif formel d’une vertu théologale ne peut être en effet quelque chose de créé, et notre effort surnaturel, suscité par l’efficacité de la grâce, ne saurait rendre efficace celle-ci. Il vaut mieux donc, comme le disait saint Augustin, se confier à Dieu souverainement bon et tout-puissant qu’à nous-mêmes, à notre inconstance et à notre fragilité, car, malgré l’obscurité du mystère, nous sommes beaucoup plus sûrs de la rectitude des intentions du Dieu tout-puissant que de la rectitude des nôtres. Bossuet a particulièrement insisté sur ce point dans ses Méditations sur l’Evangile, IIe part., 72e jour : La prédestination des saints, ci-dessus col. 2956.
Qu’on ne dise donc pas : Si je suis prédestiné, quoi que je fasse, je serai sauvé ; sinon, quoi que je fasse, je serai damné. C’est aussi faux et aussi absurde que si le laboureur disait : Si la moisson doit venir, que je laboure et que je sème ou non, elle viendra. La raison en est que la prédestination comme la providence porte non seulement sur la fin, mais aussi sur les moyens capables de nous faire obtenir cette fin. La doctrine augustinienne et thomiste, loin de détourner des bonnes œuvres, comme la doctrine protestante, nous porte à travailler et à lutter pour mériter la vie éternelle, en nous abandonnant par-dessus tout à Dieu, qui seul peut nous donner de persévérer jusqu’à la fin, comme le dit le concile de Trente.
Il y aurait de la part de Dieu acception de personnes et donc injustice si, en donnant à l’un plus de secours qu’à l’autre, il refusait à celui-ci ce qui lui est dû. Mais il n’en est pas ainsi, la grâce est un don gratuit et Dieu accorde même la grâce suffisante à tous ceux qui ont à observer ses préceptes ; s’ils y résistent, ils méritent ainsi d’être privés du secours efficace qui leur était virtuellement offert dans le précédent. Ainsi, comme le disait saint Augustin, si la grâce efficace est accordée à celui-ci, c’est par miséricorde ; si elle est refusée à celui-là, c’est par justice. Cf. IIa-IIæ, q. II, a. 5, ad 1um. Reste le mystère impénétrable de la conciliation intime des deux principes qui éclairent ces problèmes : d’une part, le principe de prédilection : nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu ; d’autre part, Dieu ne commande jamais l’impossible, il veut rendre possible à tous l’accomplissement de ses préceptes.
Comment se concilient intimement ces deux grands principes ? Aucune intelligence humaine ou angélique ne saurait le voir par ses propres forces ; il faudrait avoir reçu la lumière de gloire, et voir comment l’infinie justice, l’infinie miséricorde et la souveraine liberté s’identifient réellement, sans le détruire, dans l’éminence de la Déité ou de la vie intime de Dieu.
Après avoir exposé les différentes conceptions théologiques et leurs difficultés il nous reste à les comparer à la lumière de l’enseignement de l’Eglise ; c’est ce que nous ferons dans la partie théorique de cet article.
VIII. PARTIE THEORIQUE. – Voyons d’abord les déclarations de l’Eglise formulées à l’occasion des hérésies opposées entre elles, nous saisirons ainsi mieux l’état de la question et le point précis de la difficulté du problème. Nous classerons ensuite les différentes conceptions théologiques et, pour les comparer, nous verrons à la lumière des déclarations de l’Eglise ce que dit l’Ecriture de la prédestination. Nous examinerons enfin si les principes formulés par saint Augustin et saint Thomas ont été infirmés par les essais des théologiens postérieurs.
I. Doctrine de l’Eglise. II. Le mystère de la prédestination (col. 2296) III. Les systèmes théologiques. (col. 3000). IV. Notions principales relatives à la prédestination (col. 3003). Conclusion générale (col. 3019).
Re: La Prédestination en théologie
I. LA DOCTRINE DE L’EGLISE. – 1° A l’encontre du pélagianisme. – Le sens et la portée des déclarations de l’Eglise contre le pélagianisme et le semi-pélagianisme apparaissent si l’on se rappelle les principes de ces doctrines condamnées et ce qui en découle par rapport à la prédestination.
1. Les pélagiens tenaient que la grâce n’est pas nécessaire pour accomplir les préceptes de la loi chrétienne, mais seulement pour les accomplir avec plus de facilité et que nous pouvons par les bonnes œuvres naturelles mériter la première grâce. Dès lors, ils disaient que la prescience des bonnes œuvres, soit naturelles, soit surnaturelles, est cause de la prédestination. Le pélagianisme fut condamné en d’abord en 416, aux deux conciles de Carthage et de Milève, puis au concile de Carthage de 418 (dont les canons ont été attribués à tort au IIe concile de Milève). Voir l’art. PELAGIANISME, col. 694-696. Parmi ces derniers, le can. 6 (ou 5) vise spécialement la doctrine ci-dessus : Possumus sine gratia implere divina mandata… Gratia non est necessaria nisi ad ea FACILIUS impleda. Voir l’art. MILEVE, t. X, col. 1756.
2. Les semi-pélagiens, comme on le voit par les lettres de saint Prosper et de saint Hilaire à saint augustin, admettaient : 1° que l’homme peut sans la grâce avoir le commencement de foi et de bonne volonté, qui est l’initium salutis, et qu’il peut persévérer sans secours spécial jusqu’à la mort ; 2° que Dieu veut également le salut de tous les hommes, bien que des grâces spéciales soit accordées à quelques privilégiés ; 3° que, par suite, la prédestination s’identifie avec la prescience de l’initium salutis et des mérites par lesquels l’homme persévère dans le bien sans secours spécial ; quant à la réprobation [négative], elle s’identifie avec la prescience des démérites. Ainsi la prédestination et la réprobation [négative] suivent l’élection humaine, soit bonne, soit mauvaise.
De la sorte, le mystère de la prédestination, dont parle saint Paul, est supprimé. Dieu n’est pas l’auteur, mais seulement le spectateur de ce qui discerne les élus des autres hommes ; les élus ne sont pas plus aimés et plus aidés.
Quant aux enfants morts avant l’âge de raison, les semi-pélagiens disaient : Dieu les prédestine ou les réprouve en prévoyant les œuvres bonnes ou mauvaises qu’ils auraient accomplies s’ils avaient vécu davantage. C’est là une prescience des futurs conditionnels ou futuribles, antérieure à tout décret divin, qui fait penser quelque peu à la théorie de la science moyenne proposée par Molina. De la sorte, répondirent les adversaires de cette doctrine, des enfants seraient réprouvés pour des fautes non commises.
Contre ces principes, saint Augustin, surtout dans les écrits de la fin de sa vie, le De prædestinatione sanctorum, et le De dono perseverantia, montra par le témoignage de la sainte Ecriture : 1° que l’homme ne peut, sans une grâce spéciale et gratuite, avoir l’initium salutis et qu’il ne peut persévérer jusqu’à la fin sans un secours spécial et gratuit ; 2° que Dieu ne veut pas également le salut de tous les hommes ; 3° que les élus, comme leur nom l’indique, sont plus aimés et plus aidés, que l’élection divine est donc antérieure à la prévision des mérites, lesquels sont le fruit de la grâce.
Le IIe concile d’Orange qui condamna, en 529, le semi-pélagianisme, en empruntant beaucoup de ses formules à saint Augustin et à saint Prosper, réprouva, selon tous les historiens, les négations semi-pélagiennes de la gratuité de la grâce et de sa nécessité pour l’initium salutis et la persévérance finale. Cf. Denzinger, n. 176, 177, 179, 183 ; cf. concile de Trente, n. 806.
C’est là un minimum, admis par tous ; mais bien des historiens et des théologiens, parmi lesquels les thomistes et les augustiniens, voient dans le sens obvie des termes du IIe concile d’Orange, comme dans celui de plusieurs paroles de saint Paul, une autre affirmation, celle de l’efficacité intrinsèque de la grâce, présupposée par le principe de prédilection. Cf. art. AUGUSTIN, t. I, col. 2516.
Nous allons y revenir. Mais, quoi qu’il en soit, du minimum admis par tous résultent trois propositions enseignées par tous les théologiens catholiques : 1° la prédestination à la première grâce n’a pas pour cause la prévision des bonnes œuvres naturelles, ni d’un commencement naturel du salut ; – 2° la prédestination à la gloire n’a pas pour cause la prévision de mérites surnaturels qui dureraient sans le don spécial de la persévérance finale ; – 3° la prédestination adæquate sumpta, en tant qu’elle comprend toute la série des grâces depuis la première jusqu’à la glorification, est gratuite ou antérieure à la prévision des mérites.
Mais ces trois propositions admises par tous les théologiens catholiques ne sont pas entendues de la même manière par les thomistes et les augustiniens d’une part, et par les molinistes et les congruistes de l’autre.
a) La première proposition relative à l’initium salutis est entendue par Molina conformément à son principe : Quotiescumque liberum arbitrium ex suis viribus naturalibus conatur efficere quod in se est, a Deo confertur gratia præveniens. Concordia, p. 43 ; cf. p. 564 en haut. Les thomistes et les augustiniens entendent cette première proposition en cet autre sens : Facienti quod in se est cum auxilio gratiæ actualis, Deus non denegat gratiam habitualem ; ce qui sauvegarde beaucoup mieux la gratuité et de la grâce actuelle et la grâce habituelle, définie au concile d’Orange. Denzinger, n. 176-178, 199, 200.
b) La seconde proposition, relative à la persévérance finale, est entendue par les molinistes et les congruistes en ce sens que la grâce actuelle de la persévérance finale est extrinsèquement efficace selon la prévision de notre consentement par la science moyenne.
Les thomistes et les augustiniens entendent au contraire que cette grâce est intrinsèquement efficace, ce qui paraît beaucoup plus conforme aux termes du can. 10 du concile d’Orange : Adjutorium Dei etiam renatis et sanctis semper est implorandum ut ad finem bonum pervenire, vel ut in bono possint opere perdurare. Denzinger, n. 183. Ce can. 10 est extrait de saint Prosper, Contra Collatorem, c. XI, n. 31-36, P. L., t. XLV, col. 1815 ; or, saint Prosper suit saint Augustin, qui considère la grande grâce de la persévérance finale, propre aux élus, comme efficace par elle-même, gratia quæ a nullo duro corde respuitur, quia ad tollendam cordis duritiam primitus datur. Molina dit au contraire, en se séparant, comme il le reconnaît, de saint Augustin (Concordia, éd. cit., p. 51, 230, 231, 548) : Fieri potest ut, duorum, qui æquali auxilio interius a Deo vocantur, unus pro libertate sui arbitrii convertatur et later in infidelitate permaneat. Imo fieri potest ut aliquis præventus et vocatus longe majori auxilio pro sua libertate non convertatur, et alius cum longe minore convertatur. Ce qui paraît difficilement conciliable avec le concile de Trente (Denzinger, n. 806) affirme du grand don de la persévérance finale : (quod) non potest aliunde habere nisi a ab eo qui potens est eum qui stat, statuere (Rom., XIV, 4), ut perseveranter stet, et eum, qui cadit, restituere ; toutes expressions qui paraissent exprimer une grâce, efficace par elle-même et non pas par notre consentement prévu. Aussi le concile de Trente (Denzinger, n. 826) appelle-t-il ce don : magnum et speciale donum perseverantiæ. On ne voit guère comment il peut se réduire à des circonstances opportunes, dans lesquelles Dieu a prévu que, de deux hommes également aidés, celui-ci persévérerait et cet autre pas. N’est-ce pas diminuer le mystère, en diminuant le don de Dieu ?
Le concile de Trente dit aussi (Denzinger, n. 805) : Nemo, quamdiu in hac mortalitate vivitur, de arcano divinæ prædestinationis mysterio, usque adeo præsumere debet, ut certo statuat, se omnino esse in numero prædestinatorum, quasi verum esset, quod justificatus aut amplius peccare non possit, aut si peccaverit, certam sibi resipiscentiam promittere debeat. Nam, nisi ex speciali revelatione, sciri non potest, quos Deus sibi elegerit.
En faveur de la doctrine augustinienne et thomiste on a aussi justement invoqué cet argument que, d’après le concile de Trente, la grâce de persévérance finale ne peut être méritée au moins de condigno, car il est dit que le juste peut mériter la vie éternelle, si tamen in gratia decesserit (Denzinger, n. 842), ce qui ne se mérite pas, puisque l’état de grâce et sa continuation, étant le principe du mérite, n’en peuvent être l’objet. Il suit de là que la prédestination à la grâce de la persévérance finale, qui est l’ultime disposition à la gloire, n’est pas ex prævisis meritis ; et donc la prédestination à la gloire, qui ne fait qu’un avec elle, est aussi gratuite.
Si donc on veut affirmer que la prédestination à la gloire est ex prævisis meritis, il faut ajouter, ce qui paraît détruire cette affirmation : pourvu que Dieu conserve gratuitement ces mérites jusqu’à la mort. Et de fait Molina dit bien (c’est un minimum indispensable) : à condition que Dieu, selon son bon plaisir gratuit, veuille placer l’homme dans les circonstances où il prévoit par sa science moyenne que cet homme persévérera. Par là, comme sa théorie du pacte relatif à l’initium salutis, le molinisme évite le semi-pélagianisme ; mais, aux yeux des thomistes, il paraît diminuer et la première grâce et le magnum et speciale donum perseverantiæ finalis.
c) Troisième proposition. – Enfin, s’il s’agit de la prédestination « adæquate sumpta », comprenant toute la série des grâces, tous les théologiens entendent bien, contre les semi-pélagiens, qu’elle est gratuite ou antérieure à la prévision des mérites. Molina le reconnaît comme tout le monde, mais il ajoute : Præscientiæ, quam prædestinatio ex parte intellectus includit, datur conditio ex parte usus liberi arbitrii, sine qua non præextitisset in Deo. Concordia, p. 516. Les augustiniens et les thomistes entendent au contraire la prédestination adéquate en ce sens exprimé par saint Thomas, Ia, q. XXIII, a. 5 : Impossibile est quod TOTUS prædestinationis effectusin communi habeat aliquam causam ex parte nostra ; quia quidquid est in homine ordinans ipsum in salutem, comprehenditur TOTUM sub effectu prædestinationis, etiam ipsa præparatio ad gratiam. Ainsi même la détermination libre salutaire est comprise tout entière dans l’effet de la prédestination : non est enim distinctum quod est ex libero arbitrio et ex prædestinatione, sicut nec est distinctum quod est ex causa secunda et ex causa prima. Ibid.
Il est clair que cette manière d’entendre la prédestination adéquate suppose l’efficacité intrinsèque des décrets divins et de la grâce, et, par suite, la valeur absolue du principe de prédilection, tandis que l’interprétation moliniste et congruiste ne les présuppose pas.
Or, saint Thomas paraît persuadé que la proposition quidquid est in homine ordinans ipsum in salutem comprehenditur totum sub effectu prædestinationis est, avec l’efficacité intrinsèque de la grâce et le principe de prédilection, l’expression de la doctrine de saint Augustin et de celle qui est formulée par le IIe concile d’Orange.
Nous laissons au lecteur le soin d’en juger, en nous bornant à rapporter les principaux canons de ce concile. Voir la traduction de ces textes, art. ORANGE, t. XI, col. 1093. Toute l’œuvre du salut et chacun des actes salutaires, en tout ce qu’il a de bon, y sont attribués à Dieu : Divini est numeris, cum et recte cogitamus, et pedes nostros a falsitate et injustitia continemus ; quoties enim bona agimus, Deus in nobis atque nobiscum ut operemur operatur. Ce canon est extrait de la 22e sentence de Prosper, tirée elle-même de saint Augustin. Il s’agit de la grâce efficace, qui non seulement donne de pouvoir bien agir, mais qui fait bien agir : Deus est operemur, operatur, cela en chaque acte libre salutaire, et l’on ne voit nullement que la détermination libre salutaire échappe comme détermination libre à la causalité divine ; le sens obvie du texte est que Dieu l’opère en nous et avec nous, selon la parole de saint Paul : Deus operatur in vobis velle et perficere. Phil., II, 13. Il y a une grâce qui est efficace en ce sens qu’elle est effectrix operationis, bien qu’elle n’exclue pas notre coopération, mais la suscite, selon un mode mystérieux.
Le can. 12e est une formule du principe de prédilection : Tales not amat Deus, quales futuri sumus ipius dono, non quales sumus nostro, merito. Extrait de la 56e sentence de Prosper. Il suit immédiatement de là : Tales magis amat Deus, quales futuri sunt meliores ipsius dono. En d’autres termes, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. En rapportant ce canon, Denzinger, n. 185, renvoie à l’Indiculus de gratia Dei, ibid., n. 134, où il est dit : Nemo aliunde Deo placet, nisi ex eo quod ipse donaverit, et donc nul ne plait plus à Dieu qu’un autre, sans avoir plus reçu de Dieu. Si, au contraire, la grâce était rendue efficace in actu secundo par notre consentement, il arriverait que, de deux hommes également aidés, l’un deviendrait meilleur, meilleur sans avoir été plus aimé, plus aidé, meilleur sans avoir plus reçu. Ce n’est pas ce que nous lisons dans le concile d’Orange, ni dans l’Indiculus de gratia, collection des déclarations de l’Eglise romaine, composée selon toutes vraisemblances par le futur pape saint Léon Ier. Ce recueil de déclarations de l’Eglise est reçu partout vers l’an 500. Voir en particulier, dans cet Indiculus, les n. 131, 133 : Nemo, nisi per Christum libero bene utitur arbitrio, n. 134, 135, 137, 141 : Auxilio Dei non aufertur liberum arbitrium, sed liberatur. Agit quippe in nobis, ut, quod vult et velimus et agamus, n. 142 : Gratiæ Dei operi ac dignationi nihil penitus substrahendum est. S’il en est ainsi, comment l’acte salutaire, en tant que détermination libre, ne dépendrait-il pas de l’efficacité de la grâce, mais rendrait-il celle-ci efficace de fait ?
Le principe de prédilection est encore exprimé sous d’autres formes dans le concile d’Orange, cf. can. 16 : Nemo ex eo quod videtur habere, glorietur, tanquam non acceperit, can. 20 (n. 193) : Multa Deus facit in homine bona, quæ non Deus præstat ut faciat homo, nulla vero facit homo bona, quæ non Deus præstat ut faciat homo. Cet extrait de saint Augustin et de la 312e sentence de Prosper signifie que tout bien dérive de Dieu, soit comme auteur de la nature, soit comme auteur de la grâce, et que donc nul n’est meilleur sans avoir plus reçu. C’est aussi le sens du can. 22 : Nemo habet de suo nisi mendacium et peccatum. Si quid autem habet homo veritatis atque justitiæ, ab illo fonte est, quem debemus sitire in hac eremo, ut ex eo quasi guttis quibusdam irrorati non deficiamus in via. Cet extrait de saint Augustin, In Joannem, tract. V3, 19, parle de Dieu auteur des biens de la nature et des biens de la grâce, comme cela apparaît plus explicitement par le can. 19, il ne suit donc pas de là que toutes les œuvres des infidèles sont des péchés, certaines ont une bonté morale d’ordre naturel, comme payer ses dettes, pourvoir à la vie de ses enfants, mais même cette bonté naturelle vient de Dieu, auteur de tout bien, et ce n’est pas indépendamment de lui que tel acte naturellement bon se trouve en tel homme plutôt qu’en tel autre, en qui est permis le péché contraire.
Tous ces textes du concile d’Orange, extraits des écrits de saint Augustin, montrent que le moins qu’on puisse dire est ce qu’affirme dom H. Leclercq dans une note de sa traduction française de l’Histoire des conciles, de Hefele, t. II, p. 1102 : « Ce qui paraît incontestablement, c’est l’adoption par l’Eglise [au concile d’Orange] de la théorie augustinienne dans les principes fondamentaux défendus contre les pélagiens et semi-pélagiens : péché originel, nécessité et gratuité de la grâce, dépendance absolue de Dieu pour tout acte salutaire. »
Il n’est donc pas étonnant que les augustiniens et les thomistes aient vu dans le sens obvie des termes de ce concile le principe de prédilection, principe qui suppose l’efficacité intrinsèque de la grâce. Ils voient de même ce principe dans les paroles de saint Paul : Deus est qui operatur in vobis velle et perficere, pro bona voluntate (Phil, II, 13). Quis enim te discernit ? Quid autem habes quod non accepisti ? I Cor., IV, 7.
N’est-ce pas là ce que niaient les semi-pélagiens en disant que Dieu veut également sauver tous les hommes et qu’il n’est pas l’auteur, mais le spectateur, de ce qui discerne le juste de l’impie, et les élus des autres hommes ?
2° Contre le prédestinatianisme. – Les déclarations de l’Eglise au concile d’Orange expriment in aspect du grand mystère qui nous occupe, l’autre aspect est exprimé par ce que l’Eglise a enseigné contre le prédestinatianisme, le baïanisme et le jansénisme.
1. Au Ve siècle. – Le prêtre Lucidus, accusé d’avoir enseigné le prédestinatianisme, ou la prédestination au mal, rétracta au concile d’Arles, probablement en 473, l’opinion ainsi formulée (Denzinger, 16e éd., n. 3026) : Quod Christus Dominus Salvator noster mortem nob pro omnium salute susceperit, quod præscientia Dei hominem violenter impellat ad mortem, vel quod cum Dei pereant voluntate qui pereunt. Item rejicio sententiam ejus qui dicit alios deputatos ad mortem, alios ad vitam prædestinatos. Lucidus, en se rétractant, affirma : eum qui periit, potuisse salvari. Sur la signification de l’affaire, voir l’art. LUCIDUS, t. IX, col. 1020. Il faudrait se garder d’attribuer une valeur trop grande aux décisions prises contre Lucidus. Elles sont le fait, on l’a dit, d’un milieu antiaugustinien.
2. Au IXe siècle. – On a vu plus haut (col. 2920 sq.) ce que furent au IXe siècle les décisions des conciles de Quierzy, en 853 (Denzinger, n. 316), de Valence, en 855 (n. 320), de Langres, de Toul et finalement de Thuzey. P. L., t. CXXVI, col. 123.
De ces divers textes il ressort que : 1° Dieu veut d’une certaine manière sauver tous les hommes ; 2° qu’il n’y a pas de prédestination au mal, mais que Dieu a décrété de toute éternité d’infliger la peine de la damnation, pour le péché prévu d’impénitence finale, péché dont il n’est nullement la cause, mais qu’il permet seulement.
Le sens et la portée de ces deux propositions apparaissent par les canons des conciles dont nous venons de parler.
Par le can. 1 de Quierzy est nettement exclue la prédestination au mal, pour ce qui est de la prédestination à la vie éternelle, elle apparaît comme une grâce (dépendante, peut-être, de la prescience et donc de la prévision de mérites). Ci-dessus, col. 2920.
Le can. 2 porte : Habemus liberum arbitrium ad bonum, præventuni et adjutum gratia, et habemus liberum arbitrium ad malum, desertum gratia. Ces derniers mots montrent que le péché n’arrive pas sans une permission de Dieu qui le laisse justement arriver en tel homme, tandis que, par miséricorde, il soutient tel autre.
Cette vérité apparaît plus encore dans le can. 3 dont l’essentiel est ceci : Deus omnipotens omnes homines sine exceptione vult salvos fieri, licet non omnes salventur. Quod autem quidam salventur, salvantis est donum quod autem quidam pereunt, pereuntium est meritum. Ce canon est extrait des écrits de Prosper. On voit par ce can. 3 de Quierzy que, si la volonté salvifique est universelle, elle n’est pas égale pour tous, comme le voulaient les pélagiens, elle n’est efficace que par rapport aux élus, et cela en vertu d’un don spécial, mais il n’y a pas de prédestination au mal. Les deux aspects du mystère sont nettement affirmés, mais leur intime conciliation nous échappe.
Le can. 4 de Quierzy affirme que le Christ est mort pour tous les hommes.
Le IIIe concile de Valence, en 855, a insisté plus sur la gratuité de la prédestination à la vie éternelle en tant qu’elle se distingue de la simple prescience, qui porte aussi sur le mal. D’après ses déclarations, le moindre bien et la moindre peine justement infligée n’arrivent jamais sans un décret positif et infaillible de Dieu, et aucun péché n’arrive, et n’arrive ici plutôt que là, sans sa prescience et sa permission. Voir le texte, col. 2922.
On sait qu’après le concile de Langres (859) les discussions relatives à la prédestination entre Hincmar, grand adversaire de Gotescalc, et l’Eglise de Lyon, s’achevèrent à Thuzey en 860. La lettre synodale qui y fut approuvée contient les affirmations suivantes. Texte dans P. L., t. CCXVI, col. 123, analyse ci-dessus, col. 2929.
1. In cælo et in terra omnia quæcumque voluit Deus fecit. Negil enim in cælo vel in terra fit, nisi quod ipse aut propitius facit, aut fieri juste permittit. C’est dire que tout bien, facile ou difficile, naturel ou surnaturel, vient de Dieu, et qu’aucun péché n’arrive, et n’arrive en tel homme plutôt qu’en tel autre, sans une permission divine. Ce principe extrêmement général contient évidemment d’innombrables conséquences. Les thomistes y voient l’équivalent du principe de prédilection. De ce principe général dérivent les autres assertions de cette lettre synodale. – 2. Qui vult omnes homines salvos fieri et neminem vult perire ; nec post primi hominis casum vult tollere violenter suæ voluntatis arbitrium liberum. – 3. Ut autem ambulantes ambulent et perseverant in innocentia, sanat et adjuvat eorum arbitrium gratia. – 4. Qui se elongant a Deo, volente congregare filios nolentis Jerusalem, peribunt. – 5. Unde quia gratia Dei est, salvatur mundus, et quia inest liberum arbitrium homini, judicabitur mundus. – 6. Adam per malum velle perdidit bonum posse. Qua de re facta est massa perditionis totius humani generis. De qua si nullus ad salutem eriperetur, irreprehensibilis esset Dei justitia, quia vero multi salvantur ineffabilis est Dei gratia. Ces dernières paroles sont d’Augustin et de Prosper. C’est ainsi qu’à la fin de ces controverses du IXe siècle les évêques réunis au concile de Thuzey rejetèrent absolument la prédestination au mal et affirmèrent la volonté salvifique universelle, comme l’avait fait Prosper. Dieu ne commande jamais l’impossible, il veut rendre possible à tous l’accomplissement de ses préceptes et le salut, voilà ce qu’affirment, avec saint Augustin et saint Prosper, tous les évêques réunis à ce dernier concile, mais ils ne nient nullement pour cela l’autre aspect du mystère : la gratuité absolue de la prédestination, de la vraie prédestination qui s’oppose à la réprobation.
3. Aux XVIe et XVIIe siècles. – Cette doctrine de l’Eglise fut confirmée par les décisions du concile de Trente contre les erreurs protestantes et par la condamnation du jansénisme.
L’Eglise déclare de nouveau que l’homme après le péché originel reste libre pour faire le bien avec le secours de la grâce, en consentant à y coopérer, alors qu’il peut y résister. Denzinger, n. 797, cf. n. 816. Il suit de là que Dieu ne prédestine personne au mal (ibid., n. 827), mais qu’il veut au contraire le salut de tous les hommes, et que le Christ est mort pour tous, bien que tous ne reçoivent pas le bienfait qui est le fruit de sa mort, mais seulement ceux à qui est communiqué le mérite de sa passion, sed ic dumtaxat, quibus meritum passionis ejus communicatur. Ibid., n. 795. Les bonnes œuvres sont nécessaires au salut, pour les adultes, et la gloire est la récompense de leurs mérites, dans l’ordre d’exécution, au terme de l’épreuve.
Il est de même déclaré contre le jansénisme que le Christ n’est pas mort seulement pour les prédestinés, ni seulement pour les fidèles (ibid., n. 1096, 1380 sq., 1294), qu’il y a une grâce vraiment suffisante, à raison de laquelle l’accomplissement des préceptes est possible à tous ceux à qui ces préceptes s’imposent. L’Eglise contre les protestants et les jansénistes redit en se servant des paroles de saint Augustin : Deus impossibilia non jubet, sed jubendo monet et facere quod possis et petere quod non possis (Denzinger, n. 804). « Dieu n’abandonne pas les justes sans avoir été abandonné par eux » (n. 804, 806, 1794), ils ne sont privés de la grâce habituelle que pour une faute mortelle, et de certaines grâces actuelles nécessaires au salut que pour avoir résisté à des grâces suffisantes. Dieu ne permet pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces (n. 979), la grâce de la conversion est offerte aux pécheurs (n. 807), et ceux-là seuls en sont privés, qui la refusent par une faute que Dieu permet, mais dont il n’est nullement cause (n. 827, 816, 1767).
Mais, en affirmant que Dieu par une grâce suffisante rend l’accomplissement des préceptes possible à tous, l’Eglise n’en affirme pas moins l’efficacité de la grâce qui fait produire de fait les bonnes œuvres. Le concile de Trente déclare : Deus, nisi ipsi (homines) illius gratiæ defuerint, sicut cœpit opus bonum, ita perficiet, operans velle et perficere (Phil., II, 13). Denzinger, n. 806.
Que résulte-t-il donc de l’enseignement de l’Eglise contre les hérésies opposées entre elles du semi-pélagianisme et du prédestinatianisme renouvelé par le calvinisme et le jansénisme ?
a) En résumé : contre le semi-pélagianisme, l’Eglise affirme surtout trois choses :
a. La prédestination à la grâce n’a pas pour cause la prévision des bonnes œuvres naturelles, ni d’un commencement naturel du salut. – b. La prédestination à la gloire n’a pas pour cause la prévision de mérites surnaturels, qui dureraient sans le don spécial de persévérance finale. – c. La prédestination adéquate, comprenant toute la suite des grâces, est gratuite ou antérieure à la prévision des mérites. Ce que saint Thomas entend en ce sens : tout ce qui dans l’homme l’ordonne au salut (même et surtout sa détermination libre salutaire) tombe sous l’effet de la prédestination. D’un mot : Quod quidam salvantur, salvantis est donum. Denzinger, n. 318.
b) Contre le prédestinatianisme et les doctrines protestantes et jansénistes qui le renouvellent, l’Eglise enseigne : a. Dieu veut d’une certaine manière sauver tous les hommes et il rend l’accomplissement de ses préceptes possible à tous ; b. il n’y a pas de prédestination au mal, mais Dieu a décrété de toute éternité d’infliger la peine de la damnation, pour le péché prévu d’impénitence finale, péché dont il n’est nullement cause, mais que seulement il permet.
On voit que l’enseignement de l’Eglise contre les hérésies opposées entre elles se résume dans ces paroles profondes de saint Prosper, adoptées par le concile de Quierzy : Quod quidam salvantur, salvantis est donum (contre le pélagianisme et le semi-pélagianisme), quod quidam pereunt, pereuntium est meritum (contre le prédestinatianisme). C’est ce que la sainte écriture affirmait en disant : Perditio tua ex te, Israel, tantummodo in me auxilium tuum. Osée, XIII, 9.
Autant ces deux grandes vérités indiscutables sont fortement affirmées par le sens chrétien, autant leur intime conciliation reste mystérieuse.
II. LES PRINCIPALES DIFFICULTES DU PROBLEME ET LE POINT CULMINANT DU MYSTERE. – 1° Les difficultés. 1. On voit par ce que nous venons de dire que la première difficulté fut toujours la conciliation de la prédestination avec la volonté salvifique universelle. D’une part, l’Ecriture affirme que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés (I Tim., II, 4) et, d’autre part, elle dit que tous ne sont pas prédestinés, mais que « ceux que Dieu prédestine, il les appelle…, les justifie et… les glorifie ». Rom., VIII, 29 sq. Il est même dit dans l’épître aux Romains, IX, 18 : Cujus vult miseretur Deus, et quem vult indurat. Les prédestinés sont donc infailliblement sauvés, les autres non. D’où la difficulté : comment la prédestination, qui est infailliblement efficace, peut-elle se concilier avec la volonté salvifique universelle, qui reste inefficace à l’égard de beaucoup ?
Est-ce l’effort humain qui rend efficace le secours de Dieu, ou au contraire est-ce l’efficacité intrinsèque du secours de Dieu qui suscite l’effort humain ? Et, si la grâce est de soi efficace, d’où vient que Dieu l’accorde aux élus par miséricorde et la refuse aux autres par justice ? On voit que ce mystère se ramène à celui de l’intime conciliation de l’infinie miséricorde et de l’infinie justice et à celui de la libre manifestation de ces perfections divines.
Il y a dans l’ordre philosophique une difficulté du même genre : comment l’existence du mal, surtout du mal moral, peut-elle se concilier avec l’infinie bonté de Dieu et sa toute-puissance ?
1. Les pélagiens tenaient que la grâce n’est pas nécessaire pour accomplir les préceptes de la loi chrétienne, mais seulement pour les accomplir avec plus de facilité et que nous pouvons par les bonnes œuvres naturelles mériter la première grâce. Dès lors, ils disaient que la prescience des bonnes œuvres, soit naturelles, soit surnaturelles, est cause de la prédestination. Le pélagianisme fut condamné en d’abord en 416, aux deux conciles de Carthage et de Milève, puis au concile de Carthage de 418 (dont les canons ont été attribués à tort au IIe concile de Milève). Voir l’art. PELAGIANISME, col. 694-696. Parmi ces derniers, le can. 6 (ou 5) vise spécialement la doctrine ci-dessus : Possumus sine gratia implere divina mandata… Gratia non est necessaria nisi ad ea FACILIUS impleda. Voir l’art. MILEVE, t. X, col. 1756.
2. Les semi-pélagiens, comme on le voit par les lettres de saint Prosper et de saint Hilaire à saint augustin, admettaient : 1° que l’homme peut sans la grâce avoir le commencement de foi et de bonne volonté, qui est l’initium salutis, et qu’il peut persévérer sans secours spécial jusqu’à la mort ; 2° que Dieu veut également le salut de tous les hommes, bien que des grâces spéciales soit accordées à quelques privilégiés ; 3° que, par suite, la prédestination s’identifie avec la prescience de l’initium salutis et des mérites par lesquels l’homme persévère dans le bien sans secours spécial ; quant à la réprobation [négative], elle s’identifie avec la prescience des démérites. Ainsi la prédestination et la réprobation [négative] suivent l’élection humaine, soit bonne, soit mauvaise.
De la sorte, le mystère de la prédestination, dont parle saint Paul, est supprimé. Dieu n’est pas l’auteur, mais seulement le spectateur de ce qui discerne les élus des autres hommes ; les élus ne sont pas plus aimés et plus aidés.
Quant aux enfants morts avant l’âge de raison, les semi-pélagiens disaient : Dieu les prédestine ou les réprouve en prévoyant les œuvres bonnes ou mauvaises qu’ils auraient accomplies s’ils avaient vécu davantage. C’est là une prescience des futurs conditionnels ou futuribles, antérieure à tout décret divin, qui fait penser quelque peu à la théorie de la science moyenne proposée par Molina. De la sorte, répondirent les adversaires de cette doctrine, des enfants seraient réprouvés pour des fautes non commises.
Contre ces principes, saint Augustin, surtout dans les écrits de la fin de sa vie, le De prædestinatione sanctorum, et le De dono perseverantia, montra par le témoignage de la sainte Ecriture : 1° que l’homme ne peut, sans une grâce spéciale et gratuite, avoir l’initium salutis et qu’il ne peut persévérer jusqu’à la fin sans un secours spécial et gratuit ; 2° que Dieu ne veut pas également le salut de tous les hommes ; 3° que les élus, comme leur nom l’indique, sont plus aimés et plus aidés, que l’élection divine est donc antérieure à la prévision des mérites, lesquels sont le fruit de la grâce.
Le IIe concile d’Orange qui condamna, en 529, le semi-pélagianisme, en empruntant beaucoup de ses formules à saint Augustin et à saint Prosper, réprouva, selon tous les historiens, les négations semi-pélagiennes de la gratuité de la grâce et de sa nécessité pour l’initium salutis et la persévérance finale. Cf. Denzinger, n. 176, 177, 179, 183 ; cf. concile de Trente, n. 806.
C’est là un minimum, admis par tous ; mais bien des historiens et des théologiens, parmi lesquels les thomistes et les augustiniens, voient dans le sens obvie des termes du IIe concile d’Orange, comme dans celui de plusieurs paroles de saint Paul, une autre affirmation, celle de l’efficacité intrinsèque de la grâce, présupposée par le principe de prédilection. Cf. art. AUGUSTIN, t. I, col. 2516.
Nous allons y revenir. Mais, quoi qu’il en soit, du minimum admis par tous résultent trois propositions enseignées par tous les théologiens catholiques : 1° la prédestination à la première grâce n’a pas pour cause la prévision des bonnes œuvres naturelles, ni d’un commencement naturel du salut ; – 2° la prédestination à la gloire n’a pas pour cause la prévision de mérites surnaturels qui dureraient sans le don spécial de la persévérance finale ; – 3° la prédestination adæquate sumpta, en tant qu’elle comprend toute la série des grâces depuis la première jusqu’à la glorification, est gratuite ou antérieure à la prévision des mérites.
Mais ces trois propositions admises par tous les théologiens catholiques ne sont pas entendues de la même manière par les thomistes et les augustiniens d’une part, et par les molinistes et les congruistes de l’autre.
a) La première proposition relative à l’initium salutis est entendue par Molina conformément à son principe : Quotiescumque liberum arbitrium ex suis viribus naturalibus conatur efficere quod in se est, a Deo confertur gratia præveniens. Concordia, p. 43 ; cf. p. 564 en haut. Les thomistes et les augustiniens entendent cette première proposition en cet autre sens : Facienti quod in se est cum auxilio gratiæ actualis, Deus non denegat gratiam habitualem ; ce qui sauvegarde beaucoup mieux la gratuité et de la grâce actuelle et la grâce habituelle, définie au concile d’Orange. Denzinger, n. 176-178, 199, 200.
b) La seconde proposition, relative à la persévérance finale, est entendue par les molinistes et les congruistes en ce sens que la grâce actuelle de la persévérance finale est extrinsèquement efficace selon la prévision de notre consentement par la science moyenne.
Les thomistes et les augustiniens entendent au contraire que cette grâce est intrinsèquement efficace, ce qui paraît beaucoup plus conforme aux termes du can. 10 du concile d’Orange : Adjutorium Dei etiam renatis et sanctis semper est implorandum ut ad finem bonum pervenire, vel ut in bono possint opere perdurare. Denzinger, n. 183. Ce can. 10 est extrait de saint Prosper, Contra Collatorem, c. XI, n. 31-36, P. L., t. XLV, col. 1815 ; or, saint Prosper suit saint Augustin, qui considère la grande grâce de la persévérance finale, propre aux élus, comme efficace par elle-même, gratia quæ a nullo duro corde respuitur, quia ad tollendam cordis duritiam primitus datur. Molina dit au contraire, en se séparant, comme il le reconnaît, de saint Augustin (Concordia, éd. cit., p. 51, 230, 231, 548) : Fieri potest ut, duorum, qui æquali auxilio interius a Deo vocantur, unus pro libertate sui arbitrii convertatur et later in infidelitate permaneat. Imo fieri potest ut aliquis præventus et vocatus longe majori auxilio pro sua libertate non convertatur, et alius cum longe minore convertatur. Ce qui paraît difficilement conciliable avec le concile de Trente (Denzinger, n. 806) affirme du grand don de la persévérance finale : (quod) non potest aliunde habere nisi a ab eo qui potens est eum qui stat, statuere (Rom., XIV, 4), ut perseveranter stet, et eum, qui cadit, restituere ; toutes expressions qui paraissent exprimer une grâce, efficace par elle-même et non pas par notre consentement prévu. Aussi le concile de Trente (Denzinger, n. 826) appelle-t-il ce don : magnum et speciale donum perseverantiæ. On ne voit guère comment il peut se réduire à des circonstances opportunes, dans lesquelles Dieu a prévu que, de deux hommes également aidés, celui-ci persévérerait et cet autre pas. N’est-ce pas diminuer le mystère, en diminuant le don de Dieu ?
Le concile de Trente dit aussi (Denzinger, n. 805) : Nemo, quamdiu in hac mortalitate vivitur, de arcano divinæ prædestinationis mysterio, usque adeo præsumere debet, ut certo statuat, se omnino esse in numero prædestinatorum, quasi verum esset, quod justificatus aut amplius peccare non possit, aut si peccaverit, certam sibi resipiscentiam promittere debeat. Nam, nisi ex speciali revelatione, sciri non potest, quos Deus sibi elegerit.
En faveur de la doctrine augustinienne et thomiste on a aussi justement invoqué cet argument que, d’après le concile de Trente, la grâce de persévérance finale ne peut être méritée au moins de condigno, car il est dit que le juste peut mériter la vie éternelle, si tamen in gratia decesserit (Denzinger, n. 842), ce qui ne se mérite pas, puisque l’état de grâce et sa continuation, étant le principe du mérite, n’en peuvent être l’objet. Il suit de là que la prédestination à la grâce de la persévérance finale, qui est l’ultime disposition à la gloire, n’est pas ex prævisis meritis ; et donc la prédestination à la gloire, qui ne fait qu’un avec elle, est aussi gratuite.
Si donc on veut affirmer que la prédestination à la gloire est ex prævisis meritis, il faut ajouter, ce qui paraît détruire cette affirmation : pourvu que Dieu conserve gratuitement ces mérites jusqu’à la mort. Et de fait Molina dit bien (c’est un minimum indispensable) : à condition que Dieu, selon son bon plaisir gratuit, veuille placer l’homme dans les circonstances où il prévoit par sa science moyenne que cet homme persévérera. Par là, comme sa théorie du pacte relatif à l’initium salutis, le molinisme évite le semi-pélagianisme ; mais, aux yeux des thomistes, il paraît diminuer et la première grâce et le magnum et speciale donum perseverantiæ finalis.
c) Troisième proposition. – Enfin, s’il s’agit de la prédestination « adæquate sumpta », comprenant toute la série des grâces, tous les théologiens entendent bien, contre les semi-pélagiens, qu’elle est gratuite ou antérieure à la prévision des mérites. Molina le reconnaît comme tout le monde, mais il ajoute : Præscientiæ, quam prædestinatio ex parte intellectus includit, datur conditio ex parte usus liberi arbitrii, sine qua non præextitisset in Deo. Concordia, p. 516. Les augustiniens et les thomistes entendent au contraire la prédestination adéquate en ce sens exprimé par saint Thomas, Ia, q. XXIII, a. 5 : Impossibile est quod TOTUS prædestinationis effectusin communi habeat aliquam causam ex parte nostra ; quia quidquid est in homine ordinans ipsum in salutem, comprehenditur TOTUM sub effectu prædestinationis, etiam ipsa præparatio ad gratiam. Ainsi même la détermination libre salutaire est comprise tout entière dans l’effet de la prédestination : non est enim distinctum quod est ex libero arbitrio et ex prædestinatione, sicut nec est distinctum quod est ex causa secunda et ex causa prima. Ibid.
Il est clair que cette manière d’entendre la prédestination adéquate suppose l’efficacité intrinsèque des décrets divins et de la grâce, et, par suite, la valeur absolue du principe de prédilection, tandis que l’interprétation moliniste et congruiste ne les présuppose pas.
Or, saint Thomas paraît persuadé que la proposition quidquid est in homine ordinans ipsum in salutem comprehenditur totum sub effectu prædestinationis est, avec l’efficacité intrinsèque de la grâce et le principe de prédilection, l’expression de la doctrine de saint Augustin et de celle qui est formulée par le IIe concile d’Orange.
Nous laissons au lecteur le soin d’en juger, en nous bornant à rapporter les principaux canons de ce concile. Voir la traduction de ces textes, art. ORANGE, t. XI, col. 1093. Toute l’œuvre du salut et chacun des actes salutaires, en tout ce qu’il a de bon, y sont attribués à Dieu : Divini est numeris, cum et recte cogitamus, et pedes nostros a falsitate et injustitia continemus ; quoties enim bona agimus, Deus in nobis atque nobiscum ut operemur operatur. Ce canon est extrait de la 22e sentence de Prosper, tirée elle-même de saint Augustin. Il s’agit de la grâce efficace, qui non seulement donne de pouvoir bien agir, mais qui fait bien agir : Deus est operemur, operatur, cela en chaque acte libre salutaire, et l’on ne voit nullement que la détermination libre salutaire échappe comme détermination libre à la causalité divine ; le sens obvie du texte est que Dieu l’opère en nous et avec nous, selon la parole de saint Paul : Deus operatur in vobis velle et perficere. Phil., II, 13. Il y a une grâce qui est efficace en ce sens qu’elle est effectrix operationis, bien qu’elle n’exclue pas notre coopération, mais la suscite, selon un mode mystérieux.
Le can. 12e est une formule du principe de prédilection : Tales not amat Deus, quales futuri sumus ipius dono, non quales sumus nostro, merito. Extrait de la 56e sentence de Prosper. Il suit immédiatement de là : Tales magis amat Deus, quales futuri sunt meliores ipsius dono. En d’autres termes, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. En rapportant ce canon, Denzinger, n. 185, renvoie à l’Indiculus de gratia Dei, ibid., n. 134, où il est dit : Nemo aliunde Deo placet, nisi ex eo quod ipse donaverit, et donc nul ne plait plus à Dieu qu’un autre, sans avoir plus reçu de Dieu. Si, au contraire, la grâce était rendue efficace in actu secundo par notre consentement, il arriverait que, de deux hommes également aidés, l’un deviendrait meilleur, meilleur sans avoir été plus aimé, plus aidé, meilleur sans avoir plus reçu. Ce n’est pas ce que nous lisons dans le concile d’Orange, ni dans l’Indiculus de gratia, collection des déclarations de l’Eglise romaine, composée selon toutes vraisemblances par le futur pape saint Léon Ier. Ce recueil de déclarations de l’Eglise est reçu partout vers l’an 500. Voir en particulier, dans cet Indiculus, les n. 131, 133 : Nemo, nisi per Christum libero bene utitur arbitrio, n. 134, 135, 137, 141 : Auxilio Dei non aufertur liberum arbitrium, sed liberatur. Agit quippe in nobis, ut, quod vult et velimus et agamus, n. 142 : Gratiæ Dei operi ac dignationi nihil penitus substrahendum est. S’il en est ainsi, comment l’acte salutaire, en tant que détermination libre, ne dépendrait-il pas de l’efficacité de la grâce, mais rendrait-il celle-ci efficace de fait ?
Le principe de prédilection est encore exprimé sous d’autres formes dans le concile d’Orange, cf. can. 16 : Nemo ex eo quod videtur habere, glorietur, tanquam non acceperit, can. 20 (n. 193) : Multa Deus facit in homine bona, quæ non Deus præstat ut faciat homo, nulla vero facit homo bona, quæ non Deus præstat ut faciat homo. Cet extrait de saint Augustin et de la 312e sentence de Prosper signifie que tout bien dérive de Dieu, soit comme auteur de la nature, soit comme auteur de la grâce, et que donc nul n’est meilleur sans avoir plus reçu. C’est aussi le sens du can. 22 : Nemo habet de suo nisi mendacium et peccatum. Si quid autem habet homo veritatis atque justitiæ, ab illo fonte est, quem debemus sitire in hac eremo, ut ex eo quasi guttis quibusdam irrorati non deficiamus in via. Cet extrait de saint Augustin, In Joannem, tract. V3, 19, parle de Dieu auteur des biens de la nature et des biens de la grâce, comme cela apparaît plus explicitement par le can. 19, il ne suit donc pas de là que toutes les œuvres des infidèles sont des péchés, certaines ont une bonté morale d’ordre naturel, comme payer ses dettes, pourvoir à la vie de ses enfants, mais même cette bonté naturelle vient de Dieu, auteur de tout bien, et ce n’est pas indépendamment de lui que tel acte naturellement bon se trouve en tel homme plutôt qu’en tel autre, en qui est permis le péché contraire.
Tous ces textes du concile d’Orange, extraits des écrits de saint Augustin, montrent que le moins qu’on puisse dire est ce qu’affirme dom H. Leclercq dans une note de sa traduction française de l’Histoire des conciles, de Hefele, t. II, p. 1102 : « Ce qui paraît incontestablement, c’est l’adoption par l’Eglise [au concile d’Orange] de la théorie augustinienne dans les principes fondamentaux défendus contre les pélagiens et semi-pélagiens : péché originel, nécessité et gratuité de la grâce, dépendance absolue de Dieu pour tout acte salutaire. »
Il n’est donc pas étonnant que les augustiniens et les thomistes aient vu dans le sens obvie des termes de ce concile le principe de prédilection, principe qui suppose l’efficacité intrinsèque de la grâce. Ils voient de même ce principe dans les paroles de saint Paul : Deus est qui operatur in vobis velle et perficere, pro bona voluntate (Phil, II, 13). Quis enim te discernit ? Quid autem habes quod non accepisti ? I Cor., IV, 7.
N’est-ce pas là ce que niaient les semi-pélagiens en disant que Dieu veut également sauver tous les hommes et qu’il n’est pas l’auteur, mais le spectateur, de ce qui discerne le juste de l’impie, et les élus des autres hommes ?
2° Contre le prédestinatianisme. – Les déclarations de l’Eglise au concile d’Orange expriment in aspect du grand mystère qui nous occupe, l’autre aspect est exprimé par ce que l’Eglise a enseigné contre le prédestinatianisme, le baïanisme et le jansénisme.
1. Au Ve siècle. – Le prêtre Lucidus, accusé d’avoir enseigné le prédestinatianisme, ou la prédestination au mal, rétracta au concile d’Arles, probablement en 473, l’opinion ainsi formulée (Denzinger, 16e éd., n. 3026) : Quod Christus Dominus Salvator noster mortem nob pro omnium salute susceperit, quod præscientia Dei hominem violenter impellat ad mortem, vel quod cum Dei pereant voluntate qui pereunt. Item rejicio sententiam ejus qui dicit alios deputatos ad mortem, alios ad vitam prædestinatos. Lucidus, en se rétractant, affirma : eum qui periit, potuisse salvari. Sur la signification de l’affaire, voir l’art. LUCIDUS, t. IX, col. 1020. Il faudrait se garder d’attribuer une valeur trop grande aux décisions prises contre Lucidus. Elles sont le fait, on l’a dit, d’un milieu antiaugustinien.
2. Au IXe siècle. – On a vu plus haut (col. 2920 sq.) ce que furent au IXe siècle les décisions des conciles de Quierzy, en 853 (Denzinger, n. 316), de Valence, en 855 (n. 320), de Langres, de Toul et finalement de Thuzey. P. L., t. CXXVI, col. 123.
De ces divers textes il ressort que : 1° Dieu veut d’une certaine manière sauver tous les hommes ; 2° qu’il n’y a pas de prédestination au mal, mais que Dieu a décrété de toute éternité d’infliger la peine de la damnation, pour le péché prévu d’impénitence finale, péché dont il n’est nullement la cause, mais qu’il permet seulement.
Le sens et la portée de ces deux propositions apparaissent par les canons des conciles dont nous venons de parler.
Par le can. 1 de Quierzy est nettement exclue la prédestination au mal, pour ce qui est de la prédestination à la vie éternelle, elle apparaît comme une grâce (dépendante, peut-être, de la prescience et donc de la prévision de mérites). Ci-dessus, col. 2920.
Le can. 2 porte : Habemus liberum arbitrium ad bonum, præventuni et adjutum gratia, et habemus liberum arbitrium ad malum, desertum gratia. Ces derniers mots montrent que le péché n’arrive pas sans une permission de Dieu qui le laisse justement arriver en tel homme, tandis que, par miséricorde, il soutient tel autre.
Cette vérité apparaît plus encore dans le can. 3 dont l’essentiel est ceci : Deus omnipotens omnes homines sine exceptione vult salvos fieri, licet non omnes salventur. Quod autem quidam salventur, salvantis est donum quod autem quidam pereunt, pereuntium est meritum. Ce canon est extrait des écrits de Prosper. On voit par ce can. 3 de Quierzy que, si la volonté salvifique est universelle, elle n’est pas égale pour tous, comme le voulaient les pélagiens, elle n’est efficace que par rapport aux élus, et cela en vertu d’un don spécial, mais il n’y a pas de prédestination au mal. Les deux aspects du mystère sont nettement affirmés, mais leur intime conciliation nous échappe.
Le can. 4 de Quierzy affirme que le Christ est mort pour tous les hommes.
Le IIIe concile de Valence, en 855, a insisté plus sur la gratuité de la prédestination à la vie éternelle en tant qu’elle se distingue de la simple prescience, qui porte aussi sur le mal. D’après ses déclarations, le moindre bien et la moindre peine justement infligée n’arrivent jamais sans un décret positif et infaillible de Dieu, et aucun péché n’arrive, et n’arrive ici plutôt que là, sans sa prescience et sa permission. Voir le texte, col. 2922.
On sait qu’après le concile de Langres (859) les discussions relatives à la prédestination entre Hincmar, grand adversaire de Gotescalc, et l’Eglise de Lyon, s’achevèrent à Thuzey en 860. La lettre synodale qui y fut approuvée contient les affirmations suivantes. Texte dans P. L., t. CCXVI, col. 123, analyse ci-dessus, col. 2929.
1. In cælo et in terra omnia quæcumque voluit Deus fecit. Negil enim in cælo vel in terra fit, nisi quod ipse aut propitius facit, aut fieri juste permittit. C’est dire que tout bien, facile ou difficile, naturel ou surnaturel, vient de Dieu, et qu’aucun péché n’arrive, et n’arrive en tel homme plutôt qu’en tel autre, sans une permission divine. Ce principe extrêmement général contient évidemment d’innombrables conséquences. Les thomistes y voient l’équivalent du principe de prédilection. De ce principe général dérivent les autres assertions de cette lettre synodale. – 2. Qui vult omnes homines salvos fieri et neminem vult perire ; nec post primi hominis casum vult tollere violenter suæ voluntatis arbitrium liberum. – 3. Ut autem ambulantes ambulent et perseverant in innocentia, sanat et adjuvat eorum arbitrium gratia. – 4. Qui se elongant a Deo, volente congregare filios nolentis Jerusalem, peribunt. – 5. Unde quia gratia Dei est, salvatur mundus, et quia inest liberum arbitrium homini, judicabitur mundus. – 6. Adam per malum velle perdidit bonum posse. Qua de re facta est massa perditionis totius humani generis. De qua si nullus ad salutem eriperetur, irreprehensibilis esset Dei justitia, quia vero multi salvantur ineffabilis est Dei gratia. Ces dernières paroles sont d’Augustin et de Prosper. C’est ainsi qu’à la fin de ces controverses du IXe siècle les évêques réunis au concile de Thuzey rejetèrent absolument la prédestination au mal et affirmèrent la volonté salvifique universelle, comme l’avait fait Prosper. Dieu ne commande jamais l’impossible, il veut rendre possible à tous l’accomplissement de ses préceptes et le salut, voilà ce qu’affirment, avec saint Augustin et saint Prosper, tous les évêques réunis à ce dernier concile, mais ils ne nient nullement pour cela l’autre aspect du mystère : la gratuité absolue de la prédestination, de la vraie prédestination qui s’oppose à la réprobation.
3. Aux XVIe et XVIIe siècles. – Cette doctrine de l’Eglise fut confirmée par les décisions du concile de Trente contre les erreurs protestantes et par la condamnation du jansénisme.
L’Eglise déclare de nouveau que l’homme après le péché originel reste libre pour faire le bien avec le secours de la grâce, en consentant à y coopérer, alors qu’il peut y résister. Denzinger, n. 797, cf. n. 816. Il suit de là que Dieu ne prédestine personne au mal (ibid., n. 827), mais qu’il veut au contraire le salut de tous les hommes, et que le Christ est mort pour tous, bien que tous ne reçoivent pas le bienfait qui est le fruit de sa mort, mais seulement ceux à qui est communiqué le mérite de sa passion, sed ic dumtaxat, quibus meritum passionis ejus communicatur. Ibid., n. 795. Les bonnes œuvres sont nécessaires au salut, pour les adultes, et la gloire est la récompense de leurs mérites, dans l’ordre d’exécution, au terme de l’épreuve.
Il est de même déclaré contre le jansénisme que le Christ n’est pas mort seulement pour les prédestinés, ni seulement pour les fidèles (ibid., n. 1096, 1380 sq., 1294), qu’il y a une grâce vraiment suffisante, à raison de laquelle l’accomplissement des préceptes est possible à tous ceux à qui ces préceptes s’imposent. L’Eglise contre les protestants et les jansénistes redit en se servant des paroles de saint Augustin : Deus impossibilia non jubet, sed jubendo monet et facere quod possis et petere quod non possis (Denzinger, n. 804). « Dieu n’abandonne pas les justes sans avoir été abandonné par eux » (n. 804, 806, 1794), ils ne sont privés de la grâce habituelle que pour une faute mortelle, et de certaines grâces actuelles nécessaires au salut que pour avoir résisté à des grâces suffisantes. Dieu ne permet pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces (n. 979), la grâce de la conversion est offerte aux pécheurs (n. 807), et ceux-là seuls en sont privés, qui la refusent par une faute que Dieu permet, mais dont il n’est nullement cause (n. 827, 816, 1767).
Mais, en affirmant que Dieu par une grâce suffisante rend l’accomplissement des préceptes possible à tous, l’Eglise n’en affirme pas moins l’efficacité de la grâce qui fait produire de fait les bonnes œuvres. Le concile de Trente déclare : Deus, nisi ipsi (homines) illius gratiæ defuerint, sicut cœpit opus bonum, ita perficiet, operans velle et perficere (Phil., II, 13). Denzinger, n. 806.
Que résulte-t-il donc de l’enseignement de l’Eglise contre les hérésies opposées entre elles du semi-pélagianisme et du prédestinatianisme renouvelé par le calvinisme et le jansénisme ?
a) En résumé : contre le semi-pélagianisme, l’Eglise affirme surtout trois choses :
a. La prédestination à la grâce n’a pas pour cause la prévision des bonnes œuvres naturelles, ni d’un commencement naturel du salut. – b. La prédestination à la gloire n’a pas pour cause la prévision de mérites surnaturels, qui dureraient sans le don spécial de persévérance finale. – c. La prédestination adéquate, comprenant toute la suite des grâces, est gratuite ou antérieure à la prévision des mérites. Ce que saint Thomas entend en ce sens : tout ce qui dans l’homme l’ordonne au salut (même et surtout sa détermination libre salutaire) tombe sous l’effet de la prédestination. D’un mot : Quod quidam salvantur, salvantis est donum. Denzinger, n. 318.
b) Contre le prédestinatianisme et les doctrines protestantes et jansénistes qui le renouvellent, l’Eglise enseigne : a. Dieu veut d’une certaine manière sauver tous les hommes et il rend l’accomplissement de ses préceptes possible à tous ; b. il n’y a pas de prédestination au mal, mais Dieu a décrété de toute éternité d’infliger la peine de la damnation, pour le péché prévu d’impénitence finale, péché dont il n’est nullement cause, mais que seulement il permet.
On voit que l’enseignement de l’Eglise contre les hérésies opposées entre elles se résume dans ces paroles profondes de saint Prosper, adoptées par le concile de Quierzy : Quod quidam salvantur, salvantis est donum (contre le pélagianisme et le semi-pélagianisme), quod quidam pereunt, pereuntium est meritum (contre le prédestinatianisme). C’est ce que la sainte écriture affirmait en disant : Perditio tua ex te, Israel, tantummodo in me auxilium tuum. Osée, XIII, 9.
Autant ces deux grandes vérités indiscutables sont fortement affirmées par le sens chrétien, autant leur intime conciliation reste mystérieuse.
II. LES PRINCIPALES DIFFICULTES DU PROBLEME ET LE POINT CULMINANT DU MYSTERE. – 1° Les difficultés. 1. On voit par ce que nous venons de dire que la première difficulté fut toujours la conciliation de la prédestination avec la volonté salvifique universelle. D’une part, l’Ecriture affirme que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés (I Tim., II, 4) et, d’autre part, elle dit que tous ne sont pas prédestinés, mais que « ceux que Dieu prédestine, il les appelle…, les justifie et… les glorifie ». Rom., VIII, 29 sq. Il est même dit dans l’épître aux Romains, IX, 18 : Cujus vult miseretur Deus, et quem vult indurat. Les prédestinés sont donc infailliblement sauvés, les autres non. D’où la difficulté : comment la prédestination, qui est infailliblement efficace, peut-elle se concilier avec la volonté salvifique universelle, qui reste inefficace à l’égard de beaucoup ?
Est-ce l’effort humain qui rend efficace le secours de Dieu, ou au contraire est-ce l’efficacité intrinsèque du secours de Dieu qui suscite l’effort humain ? Et, si la grâce est de soi efficace, d’où vient que Dieu l’accorde aux élus par miséricorde et la refuse aux autres par justice ? On voit que ce mystère se ramène à celui de l’intime conciliation de l’infinie miséricorde et de l’infinie justice et à celui de la libre manifestation de ces perfections divines.
Il y a dans l’ordre philosophique une difficulté du même genre : comment l’existence du mal, surtout du mal moral, peut-elle se concilier avec l’infinie bonté de Dieu et sa toute-puissance ?
Re: La Prédestination en théologie
2. Une seconde difficulté de ce problème concerne non plus les deux groupes d’hommes, les élus et ceux qui ne le sont pas, mais les personnes individuelles : pourquoi Dieu a-t-il mis tel homme au nombre des élus et non pas tel autre ? Pourquoi a-t-il choisi Pierre plutôt que Judas et non inversement ? Il semble injuste de distribuer si inégalement de tels dons à des hommes égaux par nature et par le péché originel.
C’est la difficulté formulée par saint Paul, Rom., IX, 14-16 : Quid ergo dicemus ? Numquid iniquitas apud Deum ? Absit. Moysi enim dicit : Miserebor cujus misereor, et misericordiam præstabo cujus misereor. Igitur non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei. Saint Paul répond ainsi à la difficulté en affirmant le principe de prédilection, ou la gratuité de la grâce, qui ne nous est pas due. Il dit plus loin, ibid., XI, 33 : O altitudo divitiarum sapientiæ et scientiæ Dei : quam incomprehensibilia sunt judica ejus, et investigabiles ejus ! C’est le mystère qu’exprime Augustin en disant : Quare hunc trahat Deus et illum non trahat noli velle dijudicare, si non vis errare.
Saint Thomas a bien noté ces deux grandes difficultés du mystère de la prédestination, l’une générale, l’autre particulière, cf. Ia, q. XXIII, a. 5, ad 3um :
Ex ipsa bonitate divina ratio sumi potest prædestinationis aliquorum et reprobationis aliorum… Voluit Deus in hominibus quantum ad aliquos, quos prædestinat, suam repræsentare bonitatem per modum misericordiæ parcendo, et quantum ad aliquos, quos reprobat, per modum justitiæ puniendo… Sed quare hos elegit in gloriam et illos reprobavit, non habet rationem nisi divinam voluntatem… Neque tamen propter hoc est iniquitas apud Deum si inæqualia non inæqualibus præparat… In his enim quæ ex gratia dantur, potest aliquis pro libito suo dare cui vult plus vel minus, dummodo nihil substrahat debitum, absque præjudicio justitiæ.
La réponse de saint Paul, saint Augustin, de saint Thomas écarte la contradiction ; mais, sous ses deux aspects, ce mystère reste inscrutable, et cela à deux titres : à raison de sa surnaturalité essentielle, et à raison de l’intervention de la souveraine liberté. Ce mystère est en effet surnaturel non seulement par le mode de sa production, comme le miracle naturellement connaissable, mais par son essence même : il appartient à l’ordre de la vie intime de Dieu, comme celui de la Trinité, et dépasse ainsi les forces naturelles de toute intelligence humaine ou angélique, de toute intelligence créée et créable. De plus, en ce mystère intervient le bon plaisir souverainement libre de Dieu, le divinum beneplacitum dont parle saint Paul. Or, ce bon plaisir, qui n’est nullement un caprice, car il est tout pénétré de sagesse et de sainteté, reste pour nous, comme tout ce qui touche à la souveraine liberté, profondément mystérieux, et c’est par lui que Dieu accorde miséricordieusement sa grâce à l’un des deux larrons crucifiés à côté du Sauveur, tandis que par justice il permet une dernière résistance chez l’autre et le laisse dans son péché.
C’est la difficulté formulée par saint Paul, Rom., IX, 14-16 : Quid ergo dicemus ? Numquid iniquitas apud Deum ? Absit. Moysi enim dicit : Miserebor cujus misereor, et misericordiam præstabo cujus misereor. Igitur non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei. Saint Paul répond ainsi à la difficulté en affirmant le principe de prédilection, ou la gratuité de la grâce, qui ne nous est pas due. Il dit plus loin, ibid., XI, 33 : O altitudo divitiarum sapientiæ et scientiæ Dei : quam incomprehensibilia sunt judica ejus, et investigabiles ejus ! C’est le mystère qu’exprime Augustin en disant : Quare hunc trahat Deus et illum non trahat noli velle dijudicare, si non vis errare.
Saint Thomas a bien noté ces deux grandes difficultés du mystère de la prédestination, l’une générale, l’autre particulière, cf. Ia, q. XXIII, a. 5, ad 3um :
Ex ipsa bonitate divina ratio sumi potest prædestinationis aliquorum et reprobationis aliorum… Voluit Deus in hominibus quantum ad aliquos, quos prædestinat, suam repræsentare bonitatem per modum misericordiæ parcendo, et quantum ad aliquos, quos reprobat, per modum justitiæ puniendo… Sed quare hos elegit in gloriam et illos reprobavit, non habet rationem nisi divinam voluntatem… Neque tamen propter hoc est iniquitas apud Deum si inæqualia non inæqualibus præparat… In his enim quæ ex gratia dantur, potest aliquis pro libito suo dare cui vult plus vel minus, dummodo nihil substrahat debitum, absque præjudicio justitiæ.
La réponse de saint Paul, saint Augustin, de saint Thomas écarte la contradiction ; mais, sous ses deux aspects, ce mystère reste inscrutable, et cela à deux titres : à raison de sa surnaturalité essentielle, et à raison de l’intervention de la souveraine liberté. Ce mystère est en effet surnaturel non seulement par le mode de sa production, comme le miracle naturellement connaissable, mais par son essence même : il appartient à l’ordre de la vie intime de Dieu, comme celui de la Trinité, et dépasse ainsi les forces naturelles de toute intelligence humaine ou angélique, de toute intelligence créée et créable. De plus, en ce mystère intervient le bon plaisir souverainement libre de Dieu, le divinum beneplacitum dont parle saint Paul. Or, ce bon plaisir, qui n’est nullement un caprice, car il est tout pénétré de sagesse et de sainteté, reste pour nous, comme tout ce qui touche à la souveraine liberté, profondément mystérieux, et c’est par lui que Dieu accorde miséricordieusement sa grâce à l’un des deux larrons crucifiés à côté du Sauveur, tandis que par justice il permet une dernière résistance chez l’autre et le laisse dans son péché.
Re: La Prédestination en théologie
On voit donc qu’interviennent dans ce mystère l’infinie miséricorde, l’infinie justice et la souveraine liberté qui dépassent absolument les forces naturelles de toute intelligence créée et créable.
Saint Thomas a bien noté, IIa-IIæ, q. CLXXI, a. 3, l’obscurité qui provient soit de la surnaturalité essentielle de l’objet, soit de sa contingence ou de son indétermination. Il y a, dit-il, des choses qui sont loin de notre connaissance, procul a cognitione nostra, soit dans l’espace, soit à cause de leur élévation surnaturelle, comme le mystère de la Trinité, souverainement déterminé et connaissable en soi, mais pas pour nous. Et puis il y a des choses qui, n’étant pas par elles-mêmes déterminées, ne sont pas connaissables en elles-mêmes, comme les futurs contingents, dont la vérité ne saurait être déterminée et connue que par un décret souverainement libre de Dieu.
Etant donnée la difficulté du problème, ou mieux la grande obscurité du mystère, du dogme qui nous occupe, le théologien, pour trouver la méthode à suivre ici, doit se rappeler ce que dit saint Thomas, In Beotium de Trinitate, q. II, a. 3 : In sacra doctrina possumus uti philosophia ad resistendum his quæ contra fidem dicuntur, sive ostendendo ea esse falsa, sive ostendendo ea non esse necessaria. La théologie écarte ainsi l’évidente contradiction, mais elle n’a pas à prouver philosophiquement la possibilité intrinsèque des mystères ; la possibilité intrinsèque des mystères de la Trinité, de l’incarnation, de la prédestination reste ici-bas obscure pour nous, comme leur existence. Cf. concile du Vatican, Denzinger, n. 1795 et 1796.
Saint Thomas a bien noté, IIa-IIæ, q. CLXXI, a. 3, l’obscurité qui provient soit de la surnaturalité essentielle de l’objet, soit de sa contingence ou de son indétermination. Il y a, dit-il, des choses qui sont loin de notre connaissance, procul a cognitione nostra, soit dans l’espace, soit à cause de leur élévation surnaturelle, comme le mystère de la Trinité, souverainement déterminé et connaissable en soi, mais pas pour nous. Et puis il y a des choses qui, n’étant pas par elles-mêmes déterminées, ne sont pas connaissables en elles-mêmes, comme les futurs contingents, dont la vérité ne saurait être déterminée et connue que par un décret souverainement libre de Dieu.
Etant donnée la difficulté du problème, ou mieux la grande obscurité du mystère, du dogme qui nous occupe, le théologien, pour trouver la méthode à suivre ici, doit se rappeler ce que dit saint Thomas, In Beotium de Trinitate, q. II, a. 3 : In sacra doctrina possumus uti philosophia ad resistendum his quæ contra fidem dicuntur, sive ostendendo ea esse falsa, sive ostendendo ea non esse necessaria. La théologie écarte ainsi l’évidente contradiction, mais elle n’a pas à prouver philosophiquement la possibilité intrinsèque des mystères ; la possibilité intrinsèque des mystères de la Trinité, de l’incarnation, de la prédestination reste ici-bas obscure pour nous, comme leur existence. Cf. concile du Vatican, Denzinger, n. 1795 et 1796.
Re: La Prédestination en théologie
On voit ainsi toute la difficulté du problème et par suite combien il est facile ici de se tromper, si l’on ne suit pas très fidèlement l’enseignement de l’Ecriture, des conciles et des grands docteurs de l’Eglise. Il est facile d’incliner vers l’une ou l’autre des hérésies contraires, par exemple en parlant de la volonté salvifique universelle d’une manière qui se rapproche du semi-pélagianisme, lequel nie le mystère et le dogme de la prédestination, ou inversement en parlant de la prédestination d’une manière et avec un accent qui se rapprochent du prédestinatianisme, qui nie la volonté salvifique universelle. Il suffit d’une légère exagération par quelque adverbe pour incliner vers l’une ou l’autre des hérésies opposées, tout comme il suffit de modifier une seule note d’une symphonie de Beethoven pour en détruire l’harmonie.
Au milieu de ces difficultés, comment le théologien doit-il procéder ?
Au milieu de ces difficultés, comment le théologien doit-il procéder ?
Re: La Prédestination en théologie
2° La méthode à suivre. – Le théologien doit ici se rappeler ce que dit le concile du Vatican (Denzinger, n. 1796) : Ratio quidem, fide illustrata, cum sedulo, pie et sobrie quærit, aliquam Deo dante mysteriorum intelligentiam eamque fructuossimam assequitur tum ex eorum, quæ naturaliter cognoscit, analogia, tum e ultimo ; nunquam tamen idonea redditur ad ea perspicienda instar veritatum, quæ proprium ipsius objectum constituunt.
Le théologien doit aussi se rappeler que comme Dieu ne permet le mal que pour un plus grand bien, il ne permet les hérésies opposées entre elles que pour mettre par contraste plus en relief le sommet de la vérité et son prix. Il faut donc tirer profit de l’opposition de ces hérésies, mais sans jamais diminuer l’élévation du mystère dont nous cherchons une « certaine intelligence ».
Si donc le théologien est attentif, il remarque qu’en cette difficile question, comme dans tous les grands problèmes philosophiques et théologiques, l’esprit humain, voulant systématiser, et oubliant que l’esprit de synthèse est supérieur à l’esprit de système, s’est porté d’abord vers une thèse extrême, parfois d’apparence profonde, mais en réalité superficielle, comme le pélagianisme et le semi-pélagianisme, puis par réaction vers une antithèse non moins extrême, et non moins superficielle, comme le prédestinatianisme et les erreurs qui l’ont renouvelé.
Le théologien doit aussi se rappeler que comme Dieu ne permet le mal que pour un plus grand bien, il ne permet les hérésies opposées entre elles que pour mettre par contraste plus en relief le sommet de la vérité et son prix. Il faut donc tirer profit de l’opposition de ces hérésies, mais sans jamais diminuer l’élévation du mystère dont nous cherchons une « certaine intelligence ».
Si donc le théologien est attentif, il remarque qu’en cette difficile question, comme dans tous les grands problèmes philosophiques et théologiques, l’esprit humain, voulant systématiser, et oubliant que l’esprit de synthèse est supérieur à l’esprit de système, s’est porté d’abord vers une thèse extrême, parfois d’apparence profonde, mais en réalité superficielle, comme le pélagianisme et le semi-pélagianisme, puis par réaction vers une antithèse non moins extrême, et non moins superficielle, comme le prédestinatianisme et les erreurs qui l’ont renouvelé.
Re: La Prédestination en théologie
Le théologien doit noter ensuite les essais de conciliation proposés par l’éclectisme, qui choisit sans principe directeur ce qui paraît vrai des deux côtés opposés, et par là il pressent que la solution est non pas seulement au milieu des erreurs extrêmes, mais très au-dessus d’elles, et au-dessus aussi des conciliations éclectiques, comme un point culminant qui n’est atteint que par les grands docteurs à la fois spéculatifs et contemplatifs, nourris de la substance de l’Ecriture et de la tradition.
Tandis que l’éclectisme reste à mi-côte, ces grands docteurs parviennent à la synthèse supérieure, qui concilie les divers aspects du réel, à la lumière des principes les plus élevés et les plus universels.
Tandis que l’éclectisme reste à mi-côte, ces grands docteurs parviennent à la synthèse supérieure, qui concilie les divers aspects du réel, à la lumière des principes les plus élevés et les plus universels.
Re: La Prédestination en théologie
Saint Thomas nous dit aussi, IIa-IIæ, q. VIII, a. 7, que le don d’intelligence purifie l’esprit du croyant, et donc du théologien, de son attache excessive aux images sensibles et de ce qui l’incline à l’erreur, pour lui faire pénétrer, sous la lettre de l’Ecriture, l’esprit des mystères selon toute leur élévation surnaturelle. Telle est la voie non plus seulement de la spéculation théologique, mais de la contemplation, où aucun des aspects du mystère ne se trouve indûment limité par l’étroitesse du raisonnement. C’est ce qui montre que, particulièrement en ces hautes et difficiles questions, il faut lire surtout les grands théologiens qui furent aussi de grands contemplatifs, ceux qui ont excellé dans les deux sagesses dont parle saint Thomas, IIa-IIæ, q. XLV, a. 2, la sagesse acquise secundum perfectum usum rationis et le don de sagesse, principe d’une connaissance quasi expérimentale, fondée sur l’inspiration spéciale du Saint-Esprit et sur la connaturalité de la charité avec les choses de Dieu. N’est-ce as à, cela que fait allusion le concile du Vatican dans le texte cité plus haut : Ratio quidem fide illustrata cul sedulo, pie et sobre quærit, aliquam DEO DANTE mysteriorum intelligentiam eamque frutuossimam assequitur ?
On n’est dès lors plus porté à dire qu’il est inutile de penser à ces mystères impénétrables ; on voit, au contraire, que c’est à eux que tout aboutit et qu’ils sont de plus en plus l’objet de la contemplation au fur et à mesure que le Seigneur purifie les âmes.
III. LA CLASSIFICATION DES SYSTEMES THEOLOGIQUES. – La doctrine révélée de la prédestination et de la volonté salvifique universelle apparaît ainsi comme un sommet qui s’élève au-dessus de deux précipices : le pélagianisme et le semi-pélagianisme d’une part, le prédestinatianisme de l’autre.
1° Classification des systèmes. – Il sera plus facile ainsi de voir en quoi s’opposent les divers systèmes théologiques. Il ne paraît pas erroné de dire que sur un des deux versants de ce sommet, à mi-hauteur, se trouve le molinisme, un peu plus haut le congruisme de Suarez ; sur le versant opposé, l’augustinisme et le thomisme rigides, qui atténuent, semble-t-il, la volonté salvifique universelle en faisant consister la réprobation négative dans l’exclusio positiva a gloria tanquam a beneficio indebito ; entre les deux versants, toujours à mi-côte, l’éclectisme des congruistes de Sorbonne, qui ont admis l’efficacité intrinsèque de la grâce pour les actes salutaires difficiles et non pas pour les actes faciles.
Au-dessus de ces divers systèmes, le sommet de l’élévation apparaît inaccessible au viator, à toute intelligence créée, même éclairée par la lumière surnaturelle de la foi et celle des dons du Saint-Esprit. Pour voir ce point culminant, il faudrait avoir reçu la lumière de gloire, voir immédiatement l’essence divine, la Déité, qui contient, eminenter formaliter, sans aucune distinction réelle, l’infinie miséricorde, l’infinie justice et la souveraine liberté.
Avant d’atteindre ce sommet, inaccessible au viator, une doctrine dirige sûrement vers lui et permet de le situer exactement sans le voir, c’est celle qui a recours aux principes les plus élevés et les plus universels, qui s’équilibrent mutuellement ; c’est la doctrine qui ne diminue en rien ces principes et par eux pressent où doit se trouver le point culminant, d’où ils dérivent et vers lequel tout converge.
Cette doctrine n’est-elle pas celle qui a pour principe supérieur : l’amour de Dieu est la source de tout bien, et pour principes subordonnés qui s’équilibrent : d’une part, Dieu par amour rend l’obéissance à ses préceptes et le salut possibles à tous, et d’autre part : nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu ? On reconnaît là le principe de prédilection, auquel saint Augustin et saint Thomas ont reconnu une valeur absolue et universelle.
On est ainsi conduit à une classification méthodique des systèmes que nous avons exposés plus haut. Cette classification doit s’inspirer non de la défense d’une doctrine d’école, mais de deux grandes vérités de foi : la toute-puissance de Dieu, souverainement bon, qui prédestine et qui est l’auteur du salut, et la volonté salvifique universelle.
On a donné trois classifications des systèmes théologiques relatifs à la prédestination. La première communément proposée considère plus les conclusions des théologiens que leurs principes. La seconde, proposée par le R. P. Billot, S. J., du point de vue moliniste, considère plutôt les principes adoptés par les théologiens. La troisième, proposée par le P. del Prado, O. P., du point de vue thomiste, considère aussi plutôt les principes des théologiens que leurs conclusions.
1. Selon la classification commune, il y a deux tendances principales : la tendance de ceux pour qui la prédestination des adultes à la gloire est post prævisa merita (ce sont les purs molinistes comme Vasquez, Lessius, etc.) ; la tendance de ceux pour qui la prédestination des adultes à la gloire est ante prævisa merita et le réprobation négative ou non-élection ante prævisa demerita (ce sont les thomistes, les augustiniens, les scotistes et même les congruistes à la manière de Bellarmin et de Suarez).
Mais parmi ces derniers théologiens qui admettent la gratuité absolue de la prédestination des adultes à la gloire, presque tous les anciens, c’est-à-dire les thomistes, les augustiniens, les scotistes, tiennent qu’elle est fondée sur les décrets divins prédéterminants, tandis que le congruisme de Bellarmin et de Suarez rejette ces décrets et conserve la théorie de la science moyenne pour expliquer la distribution de la grâce dite « congrue » et la certitude divine du consentement que lui donneront les élus.
2. Une deuxième classification a été proposée par le P. Billot, De uno Deo, éd. 1910, p. 270, éd. dernière, p. 290. Tandis que les uns, dit-il, fondent la prescience, qu’implique la prédestination, sur les décrets prédéterminants, les autres la fondent sur la science moyenne. Parmi ces derniers, le P. Billot distingue : 1° ceux qui, comme Vasquez et Lessius, admettent la prédestination des adultes à la gloire post prævisa merita futura et la non-élection post prævisa demerita futura ; 2° ceux qui, au contraire, comme Suarez, disent que la prédestination des adultes à la gloire est ante prævisa merita etiam ut futuribilia, et la réprobation négative ou non-élection ante prævisa demerita etiam ut futuribilia ; 3° ceux qui tiennent que la prédestination des adultes à la gloire est post prævisa merita ut futuribilia, sed non ut futura. Le P. Billot admet cette dernière opinion, en soutenant que c’est même celle de Molina, en d’autres termes, pour lui, ce qui est absolument gratuit, c’est le choix divin des circonstances dans lesquelles Dieu place tel homme, après avoir prévu par la science moyenne qu’en ces circonstances il donnerait un bon consentement. Pour ce qui est de la réprobation négative individuelle ou non-élection, le P. Billot se rapproche de Vasquez, position qu’il est fort difficile d’établir.
On n’est dès lors plus porté à dire qu’il est inutile de penser à ces mystères impénétrables ; on voit, au contraire, que c’est à eux que tout aboutit et qu’ils sont de plus en plus l’objet de la contemplation au fur et à mesure que le Seigneur purifie les âmes.
III. LA CLASSIFICATION DES SYSTEMES THEOLOGIQUES. – La doctrine révélée de la prédestination et de la volonté salvifique universelle apparaît ainsi comme un sommet qui s’élève au-dessus de deux précipices : le pélagianisme et le semi-pélagianisme d’une part, le prédestinatianisme de l’autre.
1° Classification des systèmes. – Il sera plus facile ainsi de voir en quoi s’opposent les divers systèmes théologiques. Il ne paraît pas erroné de dire que sur un des deux versants de ce sommet, à mi-hauteur, se trouve le molinisme, un peu plus haut le congruisme de Suarez ; sur le versant opposé, l’augustinisme et le thomisme rigides, qui atténuent, semble-t-il, la volonté salvifique universelle en faisant consister la réprobation négative dans l’exclusio positiva a gloria tanquam a beneficio indebito ; entre les deux versants, toujours à mi-côte, l’éclectisme des congruistes de Sorbonne, qui ont admis l’efficacité intrinsèque de la grâce pour les actes salutaires difficiles et non pas pour les actes faciles.
Au-dessus de ces divers systèmes, le sommet de l’élévation apparaît inaccessible au viator, à toute intelligence créée, même éclairée par la lumière surnaturelle de la foi et celle des dons du Saint-Esprit. Pour voir ce point culminant, il faudrait avoir reçu la lumière de gloire, voir immédiatement l’essence divine, la Déité, qui contient, eminenter formaliter, sans aucune distinction réelle, l’infinie miséricorde, l’infinie justice et la souveraine liberté.
Avant d’atteindre ce sommet, inaccessible au viator, une doctrine dirige sûrement vers lui et permet de le situer exactement sans le voir, c’est celle qui a recours aux principes les plus élevés et les plus universels, qui s’équilibrent mutuellement ; c’est la doctrine qui ne diminue en rien ces principes et par eux pressent où doit se trouver le point culminant, d’où ils dérivent et vers lequel tout converge.
Cette doctrine n’est-elle pas celle qui a pour principe supérieur : l’amour de Dieu est la source de tout bien, et pour principes subordonnés qui s’équilibrent : d’une part, Dieu par amour rend l’obéissance à ses préceptes et le salut possibles à tous, et d’autre part : nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu ? On reconnaît là le principe de prédilection, auquel saint Augustin et saint Thomas ont reconnu une valeur absolue et universelle.
On est ainsi conduit à une classification méthodique des systèmes que nous avons exposés plus haut. Cette classification doit s’inspirer non de la défense d’une doctrine d’école, mais de deux grandes vérités de foi : la toute-puissance de Dieu, souverainement bon, qui prédestine et qui est l’auteur du salut, et la volonté salvifique universelle.
On a donné trois classifications des systèmes théologiques relatifs à la prédestination. La première communément proposée considère plus les conclusions des théologiens que leurs principes. La seconde, proposée par le R. P. Billot, S. J., du point de vue moliniste, considère plutôt les principes adoptés par les théologiens. La troisième, proposée par le P. del Prado, O. P., du point de vue thomiste, considère aussi plutôt les principes des théologiens que leurs conclusions.
1. Selon la classification commune, il y a deux tendances principales : la tendance de ceux pour qui la prédestination des adultes à la gloire est post prævisa merita (ce sont les purs molinistes comme Vasquez, Lessius, etc.) ; la tendance de ceux pour qui la prédestination des adultes à la gloire est ante prævisa merita et le réprobation négative ou non-élection ante prævisa demerita (ce sont les thomistes, les augustiniens, les scotistes et même les congruistes à la manière de Bellarmin et de Suarez).
Mais parmi ces derniers théologiens qui admettent la gratuité absolue de la prédestination des adultes à la gloire, presque tous les anciens, c’est-à-dire les thomistes, les augustiniens, les scotistes, tiennent qu’elle est fondée sur les décrets divins prédéterminants, tandis que le congruisme de Bellarmin et de Suarez rejette ces décrets et conserve la théorie de la science moyenne pour expliquer la distribution de la grâce dite « congrue » et la certitude divine du consentement que lui donneront les élus.
2. Une deuxième classification a été proposée par le P. Billot, De uno Deo, éd. 1910, p. 270, éd. dernière, p. 290. Tandis que les uns, dit-il, fondent la prescience, qu’implique la prédestination, sur les décrets prédéterminants, les autres la fondent sur la science moyenne. Parmi ces derniers, le P. Billot distingue : 1° ceux qui, comme Vasquez et Lessius, admettent la prédestination des adultes à la gloire post prævisa merita futura et la non-élection post prævisa demerita futura ; 2° ceux qui, au contraire, comme Suarez, disent que la prédestination des adultes à la gloire est ante prævisa merita etiam ut futuribilia, et la réprobation négative ou non-élection ante prævisa demerita etiam ut futuribilia ; 3° ceux qui tiennent que la prédestination des adultes à la gloire est post prævisa merita ut futuribilia, sed non ut futura. Le P. Billot admet cette dernière opinion, en soutenant que c’est même celle de Molina, en d’autres termes, pour lui, ce qui est absolument gratuit, c’est le choix divin des circonstances dans lesquelles Dieu place tel homme, après avoir prévu par la science moyenne qu’en ces circonstances il donnerait un bon consentement. Pour ce qui est de la réprobation négative individuelle ou non-élection, le P. Billot se rapproche de Vasquez, position qu’il est fort difficile d’établir.
Re: La Prédestination en théologie
3. Une troisième classification enfin a été proposée par le P. del Prado, O. P., De gratia et libero arbitrio, t. III, 1911, p. 188. Elle aussi considère surtout les principes des deux principales écoles, suivant qu’elles admettent soit les décrets divins prédéterminants, soit la science moyenne. Mais elle insiste sur ce point que seuls les théologiens qui admettent les décrets divins prédéterminants restent fidèles à ce qu’a écrit saint Thomas, Ia, q. XXIII, a. 5 : « Tout ce qui dans l’homme l’ordonne au salut est compris tout entier sous l’effet de la prédestination, même la préparation à la grâce », et donc même la détermination libre de l’acte salutaire en tant qu’elle est en cet homme plutôt qu’en tel autre et non pas inversement. C’est bien le sens de la phrase de saint Thomas, qui a écrit un peu plus haut : Non est autem distinctum quod est ex libero arbitrio et ex prædestinatione ; sicut nec est distinctum quod est ex causa secunda et ex causa prima.
Ajoutons ce que le P. del Prado indique ailleurs : seuls les théologiens qui admettent l’efficacité intrinsèque des décrets divins et de la grâce reconnaissent la valeur absolue et universelle du principe de prédilection formulé par saint Thomas, Ia, q. XX, a. 3 : « Comme l’amour de Dieu est source de tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. » Saint Thomas a écrit de même, Ia, q. CXII, a. 4 : Qui magis se ad gratiam præparat, pleniorem gratiam accipit. Sed præparatio ad gratiam non est hominis, nisi in quandum liberum arbitrium ajus præparatur a Deo. Unde prima causa hujusce diversitatis accipienda est ex parte ipsius Dei, qui diversimode suæ gratiæ dona dispensat. Saint Thomas dit de même, In Matth., XXV, 15 : Qui plus conatur, plus habet de gratia, sed quod plus conetur, indiget altiori causa.
Ce principe de prédilection, nous l’avons vu, suppose que les décrets divins relatifs à nos actes salutaires futurs sont intrinsèquement et infailliblement efficaces. Si, en effet, ils ne le sont pas, il peut arriver que, de deux hommes également aimés et également aidés par Dieu dans les mêmes circonstances, l’un soit fidèle à la grâce et l’autre pas. Ainsi, sans avoir été plus aimé et plus aidé par Dieu, l’un deviendrait meilleur que l’autre, par un acte facile ou difficile, initial ou final. C’est ce que, contrairement à saint Thomas, a soutenu Molina, qui réduit ainsi le principe de prédilection au choix des circonstances favorables, dans lesquelles Dieu place ceux qu’il a prévus par sa science moyenne devoir bien user de la grâce en ces circonstances mêmes. On se rappelle la proposition de Molina, ci-dessus, col. 2967.
Ajoutons ce que le P. del Prado indique ailleurs : seuls les théologiens qui admettent l’efficacité intrinsèque des décrets divins et de la grâce reconnaissent la valeur absolue et universelle du principe de prédilection formulé par saint Thomas, Ia, q. XX, a. 3 : « Comme l’amour de Dieu est source de tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. » Saint Thomas a écrit de même, Ia, q. CXII, a. 4 : Qui magis se ad gratiam præparat, pleniorem gratiam accipit. Sed præparatio ad gratiam non est hominis, nisi in quandum liberum arbitrium ajus præparatur a Deo. Unde prima causa hujusce diversitatis accipienda est ex parte ipsius Dei, qui diversimode suæ gratiæ dona dispensat. Saint Thomas dit de même, In Matth., XXV, 15 : Qui plus conatur, plus habet de gratia, sed quod plus conetur, indiget altiori causa.
Ce principe de prédilection, nous l’avons vu, suppose que les décrets divins relatifs à nos actes salutaires futurs sont intrinsèquement et infailliblement efficaces. Si, en effet, ils ne le sont pas, il peut arriver que, de deux hommes également aimés et également aidés par Dieu dans les mêmes circonstances, l’un soit fidèle à la grâce et l’autre pas. Ainsi, sans avoir été plus aimé et plus aidé par Dieu, l’un deviendrait meilleur que l’autre, par un acte facile ou difficile, initial ou final. C’est ce que, contrairement à saint Thomas, a soutenu Molina, qui réduit ainsi le principe de prédilection au choix des circonstances favorables, dans lesquelles Dieu place ceux qu’il a prévus par sa science moyenne devoir bien user de la grâce en ces circonstances mêmes. On se rappelle la proposition de Molina, ci-dessus, col. 2967.
Re: La Prédestination en théologie
2° Comparaison des systèmes. – Cette comparaison, d’après ce que nous venons de dire, revient à se demander quelle est la valeur du principe de prédilection : nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. Ce principe a-t-il une valeur absolue et universelle, comme le soutiennent les anciens théologiens, particulièrement les thomistes, ou seulement une valeur relative et restreinte, comme le pensent les molinistes et les congruistes ?
Comme nous l’avons déjà indiqué, en exposant la doctrine de saint Thomas, dans l’ordre philosophique ce principe apparaît comme un corollaire du principe de causalité appliqué à l’amour de Dieu, cause de tout bien. Cum amor Dei sit CAUSA bonitatis rerum, dit saint Thomas.
Dans l’ordre de la grâce, ce principe de prédilection est révélé, saint Paul l’a exprimé en disant : Quis enim te discernit ? Quid autem habes quod non accepisti ? I Cor., IV, 7. Et il le trouve exprimé dans l’Ancien Testament, comme il le dit, Rom., IX, 15 : Moysi enim dicit (Dominis) : Miserebor cujus misereor, et misericordiam præstabo cujus miserebor. Nous avons vu que ce principe de prédilection soutient toute la pensée de saint Augustin, et qu’en ces questions il l’applique aux anges eux-mêmes lorsqu’il remarque que, si les bons et les mauvais anges ont été créés æqualiter boni, les premiers amplius adjuti ad beatitudinem pervenerunt, tandis que les autres par leur propre défectibilité sont tombés. De civ. Dei, XII, IX. D’où le mot célèbre d’Augustin : Quare hunc trahat (Deus) et illum non trahat, noli velle dijudicare, si non vis errare. In Joa., tr. XXVI, init.
De plus ce principe de prédilection est absolument universel, c’est pourquoi saint Thomas le formule au neutre : « Nul être créé, non esset aliquid, ne serait meilleur qu’un autre si Dieu ne lui voulait un plus grand bien. » Cela est vrai dans tous les ordres, du végétal par rapport au minéral, de l’animal, de l’homme, de l’ange et de leurs actes, par rapport à ce qui est moins parfait ou moins bon. C’est vrai aussi de chaque homme qui, à un point de vue quelconque, est meilleur qu’un autre, que ce soit par un acte bon naturel ou surnaturel, par un acte facile ou difficile, par un acte commencé ou continué, par un acte initial ou un acte final.
Nous estimons donc que les essais de synthèse proposés après saint Thomas par les molinistes et les congruistes, loin de s’élever à des principes supérieurs à ceux qui furent formulés par lui, ont méconnu l’élévation, l’universalité de ces principes et leur double valeur philosophique et théologique.
Le principe qui domine toute la question reste celui-ci : l’amour de Dieu est cause de tout bien. Ia, q. XX, a. 2. Il en résulte premièrement que Dieu, par amour, veut rendre réellement possible à tous l’obéissance à ses préceptes et le salut, cette réelle possibilité est un bien qui dérive de l’amour de Dieu ou de la volonté salvifique universelle, qui pourtant n’est pas efficace pour tous et qui s’accompagne pour plusieurs d’une permission divine du mal en vue d’un bien supérieur, qui souvent nous échappe et que nous ne verrons clairement qu’au ciel. C’est là un très grand mystère.
De ce que l’amour de Dieu est cause de tout bien, il résulte aussi que nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu, et de ce principe de prédilection dérivent toutes les conclusions de saint Thomas relatives à la prédestination. Pour terminer cet article, nous allons les rappeler brièvement en montrant comment elles procèdent de ce principe qui, à la manière d’une clef de voûte, les soutient et les réunit.
Comme nous l’avons déjà indiqué, en exposant la doctrine de saint Thomas, dans l’ordre philosophique ce principe apparaît comme un corollaire du principe de causalité appliqué à l’amour de Dieu, cause de tout bien. Cum amor Dei sit CAUSA bonitatis rerum, dit saint Thomas.
Dans l’ordre de la grâce, ce principe de prédilection est révélé, saint Paul l’a exprimé en disant : Quis enim te discernit ? Quid autem habes quod non accepisti ? I Cor., IV, 7. Et il le trouve exprimé dans l’Ancien Testament, comme il le dit, Rom., IX, 15 : Moysi enim dicit (Dominis) : Miserebor cujus misereor, et misericordiam præstabo cujus miserebor. Nous avons vu que ce principe de prédilection soutient toute la pensée de saint Augustin, et qu’en ces questions il l’applique aux anges eux-mêmes lorsqu’il remarque que, si les bons et les mauvais anges ont été créés æqualiter boni, les premiers amplius adjuti ad beatitudinem pervenerunt, tandis que les autres par leur propre défectibilité sont tombés. De civ. Dei, XII, IX. D’où le mot célèbre d’Augustin : Quare hunc trahat (Deus) et illum non trahat, noli velle dijudicare, si non vis errare. In Joa., tr. XXVI, init.
De plus ce principe de prédilection est absolument universel, c’est pourquoi saint Thomas le formule au neutre : « Nul être créé, non esset aliquid, ne serait meilleur qu’un autre si Dieu ne lui voulait un plus grand bien. » Cela est vrai dans tous les ordres, du végétal par rapport au minéral, de l’animal, de l’homme, de l’ange et de leurs actes, par rapport à ce qui est moins parfait ou moins bon. C’est vrai aussi de chaque homme qui, à un point de vue quelconque, est meilleur qu’un autre, que ce soit par un acte bon naturel ou surnaturel, par un acte facile ou difficile, par un acte commencé ou continué, par un acte initial ou un acte final.
Nous estimons donc que les essais de synthèse proposés après saint Thomas par les molinistes et les congruistes, loin de s’élever à des principes supérieurs à ceux qui furent formulés par lui, ont méconnu l’élévation, l’universalité de ces principes et leur double valeur philosophique et théologique.
Le principe qui domine toute la question reste celui-ci : l’amour de Dieu est cause de tout bien. Ia, q. XX, a. 2. Il en résulte premièrement que Dieu, par amour, veut rendre réellement possible à tous l’obéissance à ses préceptes et le salut, cette réelle possibilité est un bien qui dérive de l’amour de Dieu ou de la volonté salvifique universelle, qui pourtant n’est pas efficace pour tous et qui s’accompagne pour plusieurs d’une permission divine du mal en vue d’un bien supérieur, qui souvent nous échappe et que nous ne verrons clairement qu’au ciel. C’est là un très grand mystère.
De ce que l’amour de Dieu est cause de tout bien, il résulte aussi que nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu, et de ce principe de prédilection dérivent toutes les conclusions de saint Thomas relatives à la prédestination. Pour terminer cet article, nous allons les rappeler brièvement en montrant comment elles procèdent de ce principe qui, à la manière d’une clef de voûte, les soutient et les réunit.
Re: La Prédestination en théologie
IV. NOTIONS ET CONCLUSIONS PRINCIPALES RELATIVES A LA PREDESTINATION. – Nous les formulerons en suivant la terminologie de saint Thomas, Ia, q. XXIII, et en considérant comme lui : 1° la définition de la prédestination ; 2° sa cause ; 3° sa certitude.
Pour la réprobation, nous suivrons aussi son exemple. Avec un grand sens, il en traite non pas dans une question distincte, comme on l’a fait souvent après lui, mais dans la question même de la prédestination ; on détruirait ainsi l’harmonie d’un tableau et le tableau lui-même en voulant séparer le blanc et le noir, les rayons et les ombres.
1° Comment définir la prédestination ? – Destiner signifie ordonner une chose ou une personne à quelque chose de déterminé. En ce sens on dit que tel objet est destiné au service de l’autel et que des soldats qui vont être sacrifiés pour le salut d’une armée sont destinés à la mort. En ce sens, le concile de Valence de 855, dans son can. 3, a pu parler de la prédestination des impies à la mort, fidenter fatemur prædestinationem electorum ad vitam, et prædestinationem impiorum ad mortem, en ajoutant aussitôt : Deum in malis vero ipsorum malitiam præscivisse, quia ex ipsis est, non prædestinasse, quia ex illo non est. Pœnam sane malum meritum eorum sequentem, præscivisse et prædestinasse. Denzinger, n. 322. C’est-à-dire Dieu a décidé éternellement d’infliger aux impies la peine de la damnation pour leurs péchés, dont il n’est nullement cause.
Mais l’Ecriture, les Pères et les théologiens entendent généralement, par prédestination, la préordination divine des élus à la gloire et aux moyens par lesquels ils l’obtiendront infailliblement.
C’est ainsi que saint Augustin a défini la prédestination : Præscientia et præparatio beneficiorum quibus certissime liberantur quicumque liberantur. C’est la prescience et la préparation des bienfaits par lesquels sont certainement sauvés tous ceux qui sont sauvés. De dono pers., XIV, 34. Le premier mot de cette définition, præscientia, est expliqué un peu plus haut dans le De prædestinatione sanctorum, X, 19, écrit à la même époque : Prædestinatione sua Deus ea præscivit quæ fuerat ipse facturus. Par sa prédestination, Dieu a prévu ce qu’il devait faire pour conduire infailliblement les élus au ciel. Il s’agit non pas d’une science purement spéculative antérieure au décret divin, mais d’une science pratique postérieure à ce décret.
D’où il suit que la certitude dont parle saint Augustin est une certitude non seulement de prescience, mais de causalité : ea præscivit quæ fuerat ipse facturus. Augustin avait déjà dit dans le De correptione et gratia, c. XII, 38 : Subventum est infirmitati voluntatis humanæ, ut divina gratia indeclinabiliter et insuperabiliter ageretur. Et il a appliqué cette définition à la prédestination des bons anges, plus aidés que les autres, magis adjuti. De civ. Dei, XII, IX.
Pour la réprobation, nous suivrons aussi son exemple. Avec un grand sens, il en traite non pas dans une question distincte, comme on l’a fait souvent après lui, mais dans la question même de la prédestination ; on détruirait ainsi l’harmonie d’un tableau et le tableau lui-même en voulant séparer le blanc et le noir, les rayons et les ombres.
1° Comment définir la prédestination ? – Destiner signifie ordonner une chose ou une personne à quelque chose de déterminé. En ce sens on dit que tel objet est destiné au service de l’autel et que des soldats qui vont être sacrifiés pour le salut d’une armée sont destinés à la mort. En ce sens, le concile de Valence de 855, dans son can. 3, a pu parler de la prédestination des impies à la mort, fidenter fatemur prædestinationem electorum ad vitam, et prædestinationem impiorum ad mortem, en ajoutant aussitôt : Deum in malis vero ipsorum malitiam præscivisse, quia ex ipsis est, non prædestinasse, quia ex illo non est. Pœnam sane malum meritum eorum sequentem, præscivisse et prædestinasse. Denzinger, n. 322. C’est-à-dire Dieu a décidé éternellement d’infliger aux impies la peine de la damnation pour leurs péchés, dont il n’est nullement cause.
Mais l’Ecriture, les Pères et les théologiens entendent généralement, par prédestination, la préordination divine des élus à la gloire et aux moyens par lesquels ils l’obtiendront infailliblement.
C’est ainsi que saint Augustin a défini la prédestination : Præscientia et præparatio beneficiorum quibus certissime liberantur quicumque liberantur. C’est la prescience et la préparation des bienfaits par lesquels sont certainement sauvés tous ceux qui sont sauvés. De dono pers., XIV, 34. Le premier mot de cette définition, præscientia, est expliqué un peu plus haut dans le De prædestinatione sanctorum, X, 19, écrit à la même époque : Prædestinatione sua Deus ea præscivit quæ fuerat ipse facturus. Par sa prédestination, Dieu a prévu ce qu’il devait faire pour conduire infailliblement les élus au ciel. Il s’agit non pas d’une science purement spéculative antérieure au décret divin, mais d’une science pratique postérieure à ce décret.
D’où il suit que la certitude dont parle saint Augustin est une certitude non seulement de prescience, mais de causalité : ea præscivit quæ fuerat ipse facturus. Augustin avait déjà dit dans le De correptione et gratia, c. XII, 38 : Subventum est infirmitati voluntatis humanæ, ut divina gratia indeclinabiliter et insuperabiliter ageretur. Et il a appliqué cette définition à la prédestination des bons anges, plus aidés que les autres, magis adjuti. De civ. Dei, XII, IX.
Re: La Prédestination en théologie
Saint Thomas a défini de même la prédestination, Ia, q. XXIII, a. 2 : Ratio ordinis aliquorum in salutem æternam in mente divina existens, « l’ordination divine de certains au salut éternel ou à la gloire. » Et il précise aussi, ibid., a. 7, que la certitude de cette préordination est une certitude non seulement de prescience, mais de causalité : Certus est Deo numerus prædestinatorum, non solum per modum cognitionis, sed etiam per modum cujusdam principalis præfinitionis. Saint Thomas développe ce point dans le De veritate, q. VI, a. 3.
Il suit de là que la prédestination , comme ordination efficace des moyens de salut à la fin, est un acte de l’intelligence divine, qui présuppose un acte de volonté. C’est, selon saint Thomas et les thomistes, un imperium, qui suppose la dilection et l’élection divines. Cf. Ia, q. XXIII, a. 1, et De veritate, q. VI, a. 1. Dieu, en effet, ordonne pour Pierre plutôt que pour Judas les moyens efficaces de salut parce qu’il veut efficacement le sauver, parce qu’il l’aime d’un amour de prédilection et l’a choisi. Saint Thomas dit expressément :
Prædestinatio secundum rationem præssupponit electionem et electio dilectionem. Cujus ratio est, quia prædestinatio est pars providentiæ. Providentia autem, sicut et prudentia est ratio in intellectu existens præceptiva ordinationis aliquorum in finem ut supra dictum est. Non autem præcipitur aliquid ordinandum in finem nisi præexistente voluntate finis. Unde prædestinatio aliquorum in salutem æternam præsupponit secundum rationem quod Deum illorum velit salutem ad quod pertinet electio et dilectio. Dilectio quidem in quantum vult eis hoc bonum salutis æternæ ; electio autem in quantum hoc bonum aliquibus præ aliis vult cum quosdam reprobet ut supra dictum est, electio tamen et dilectio aliter ordinantur in nobis et in Deo, eo quod in nobis, voluntas diligendo non causat bonum, sed ex bono præexistente incitamur ad diligendum et ideo eligimus aliquem quem diligamus, et sic electio dilectionem præcedit in nobis, in Deo autem est e converso, nam voluntas ejus qua vult bonum alicui diligendo est causa quod illud bonum ad eo præ aliis habeatur. Et sic patet quod dilectio præsupponitur electionem secundum rationem et electio prædestinationi. Unde omnes prædestinati sunt electi et dilecti. Ia, q. XXIII, a. 4.
Ce texte des plus importants de saint Thomas montre surtout trois choses : 1. Une prédestination à la grâce seulement n’a de la véritable prédestination que le nom, car elle est commune aux élus et à bien des réprouvés, qui ont été justifiés et se sont ensuite éloignés de Dieu pour toujours. 2. Parler d’une prédestination à la grâce qui ne présupposerait pas la prédestination à la gloire, c’est oublier que Dieu ne veut les moyens que pour la fin, bien qu’il n’y ait pas en lui deux actes successifs, l’un relatif à la fin, l’autre aux moyens. 3. Si, en nous, la dilection suit l’élection, en ce sens que nous chérissons ceux que nous avons choisis pour l’amabilité que nous avons non pas causée, mais trouvée en eux, en Dieu, au contraire, l’élection, antérieure à la prédestination, suit la dilection, car son amour créateur et conservateur, loin de supposer en nous l’amabilité, la pose en nous, lorsqu’il nous accorde et nous conserve ses dons naturels et surnaturels.
C’est la plus haute application du principe de prédilection : « Comme l’amour créateur de Dieu est la cause de tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. » Ia, q. XX, a. 3. C’est pourquoi, dans l’Ecriture et chez les Pères, les prédestinés sont souvent appelés les élus, electi, et les bien-aimés, dilecti, Matth., XX, 16 ; XXII, 14, XXIV, 22 ; Marc, XIII, 20, 22 ; Rom., VIII, 33 ; Col., III, 12 ; II Tim., II, 10, ou encore : Venite, benedicti Patris mei, possidete paratum vobis et regnum a constitutione mundi. Matth., XXV, 34.
Il suit enfin de la définition de la prédestination, comme le dit saint Thomas, qu’elle est, « par son objet, une partie de la providence ». Ia, q. XXIII, a. 1. La providence, en effet, regarde les trois ordres de la nature, de la grâce et de l’union hypostatique, tous ordonnés à la même fin suprême, à la manifestation de la bonté de Dieu. Mais, tandis que la providence générale n’atteint pas toujours certaines fins particulières, qui ne sont pas voulues de volonté efficace, mais seulement de volonté antécédente et inefficace, la prédestination, elle, conduit toujours et infailliblement les élus à la vie éternelle, que Dieu veut efficacement pour eux.
2° La prédestination ainsi conçue est celle dont parle l’Ecriture. – Cette prédestination, par laquelle Dieu dirige infailliblement certains plutôt que d’autres à la vie éternelle, nous est affirmée par la révélation, quoi qu’en aient dit les pélagiens et les semi-pélagiens.
Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à ceux qui murmurent au sujet de ce qu’il annonce : Nemo potest venire ad me, nisi Pater, qui misit me, traxerit eum ; et ego ressuscitabo eum in novissimo die. Joa., VI, 44. A plusieurs reprises, il parle des élus (Matth., XX, 16 ; XXII, 14 ; XXIV, 22 ; Marc, XIII, 20, 22) et il dit que personne ne pourra les arracher de la main de son Père : Oves meæ vocem meam audiunt… Et ego vitam æternam do eis, et non peribunt in æternum, et non rapiet eas quisquam de manu mea. Pater meus quod dedit mihi, majus omnibus est ; et nemo potest rapere de manu Patris mei. Joa., X, 27-29. Cela montre que, non seulement Dieu connaît d’avance les élus, mais qu’il les a aimés, choisis plutôt que d’autres, et qu’il les garde infailliblement dans sa main, c’est-à-dire par sa toute-puissance.
C’est ce que saint Paul précise en disant, Rom., VIII, 28 sq. : Scimus quoniam diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, iis qui secundum propositum vocati sunt sancti. Nam quos præscivit, et prædestinavit… ; quos autem prædestinavit, hos et vocavit ; et quos vocavit, hos et justificavit ; quos autem justificavit, illos et glorificavit. Ce sont les effets infaillibles de l’éternelle prédestination. Notons au sujet du quos præscivit contenu dans le texte que nous venons de citer qu’il n’est pas dit : quorum merita saltem conditionalia præscivit, et que cette expression quos præscivit, « ceux qu’il a d’avance connus d’un regard de bienveillance », s’applique aussi bien aux enfants qui mourront sitôt après leur baptême, sans pouvoir mériter, qu’aux adultes. Saint Augustin dira : Prædestinatione quippe Deus ea præscivit, quæ fuerat ipse facturus. De dono pers., XVIII, 47, et De præd. sanct., X, 19. Saint Thomas entendra : « Ceux qu’il a prévus avec bienveillance, il les a choisis et prédestinés », et il verra dans ces actes la suite normale : dernier jugement pratique, élection et imperium, suivi de l’exécution : vocation, justification, glorification. Ia, q. XXIII, a. 1 et 4.
Il suit de là que la prédestination , comme ordination efficace des moyens de salut à la fin, est un acte de l’intelligence divine, qui présuppose un acte de volonté. C’est, selon saint Thomas et les thomistes, un imperium, qui suppose la dilection et l’élection divines. Cf. Ia, q. XXIII, a. 1, et De veritate, q. VI, a. 1. Dieu, en effet, ordonne pour Pierre plutôt que pour Judas les moyens efficaces de salut parce qu’il veut efficacement le sauver, parce qu’il l’aime d’un amour de prédilection et l’a choisi. Saint Thomas dit expressément :
Prædestinatio secundum rationem præssupponit electionem et electio dilectionem. Cujus ratio est, quia prædestinatio est pars providentiæ. Providentia autem, sicut et prudentia est ratio in intellectu existens præceptiva ordinationis aliquorum in finem ut supra dictum est. Non autem præcipitur aliquid ordinandum in finem nisi præexistente voluntate finis. Unde prædestinatio aliquorum in salutem æternam præsupponit secundum rationem quod Deum illorum velit salutem ad quod pertinet electio et dilectio. Dilectio quidem in quantum vult eis hoc bonum salutis æternæ ; electio autem in quantum hoc bonum aliquibus præ aliis vult cum quosdam reprobet ut supra dictum est, electio tamen et dilectio aliter ordinantur in nobis et in Deo, eo quod in nobis, voluntas diligendo non causat bonum, sed ex bono præexistente incitamur ad diligendum et ideo eligimus aliquem quem diligamus, et sic electio dilectionem præcedit in nobis, in Deo autem est e converso, nam voluntas ejus qua vult bonum alicui diligendo est causa quod illud bonum ad eo præ aliis habeatur. Et sic patet quod dilectio præsupponitur electionem secundum rationem et electio prædestinationi. Unde omnes prædestinati sunt electi et dilecti. Ia, q. XXIII, a. 4.
Ce texte des plus importants de saint Thomas montre surtout trois choses : 1. Une prédestination à la grâce seulement n’a de la véritable prédestination que le nom, car elle est commune aux élus et à bien des réprouvés, qui ont été justifiés et se sont ensuite éloignés de Dieu pour toujours. 2. Parler d’une prédestination à la grâce qui ne présupposerait pas la prédestination à la gloire, c’est oublier que Dieu ne veut les moyens que pour la fin, bien qu’il n’y ait pas en lui deux actes successifs, l’un relatif à la fin, l’autre aux moyens. 3. Si, en nous, la dilection suit l’élection, en ce sens que nous chérissons ceux que nous avons choisis pour l’amabilité que nous avons non pas causée, mais trouvée en eux, en Dieu, au contraire, l’élection, antérieure à la prédestination, suit la dilection, car son amour créateur et conservateur, loin de supposer en nous l’amabilité, la pose en nous, lorsqu’il nous accorde et nous conserve ses dons naturels et surnaturels.
C’est la plus haute application du principe de prédilection : « Comme l’amour créateur de Dieu est la cause de tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. » Ia, q. XX, a. 3. C’est pourquoi, dans l’Ecriture et chez les Pères, les prédestinés sont souvent appelés les élus, electi, et les bien-aimés, dilecti, Matth., XX, 16 ; XXII, 14, XXIV, 22 ; Marc, XIII, 20, 22 ; Rom., VIII, 33 ; Col., III, 12 ; II Tim., II, 10, ou encore : Venite, benedicti Patris mei, possidete paratum vobis et regnum a constitutione mundi. Matth., XXV, 34.
Il suit enfin de la définition de la prédestination, comme le dit saint Thomas, qu’elle est, « par son objet, une partie de la providence ». Ia, q. XXIII, a. 1. La providence, en effet, regarde les trois ordres de la nature, de la grâce et de l’union hypostatique, tous ordonnés à la même fin suprême, à la manifestation de la bonté de Dieu. Mais, tandis que la providence générale n’atteint pas toujours certaines fins particulières, qui ne sont pas voulues de volonté efficace, mais seulement de volonté antécédente et inefficace, la prédestination, elle, conduit toujours et infailliblement les élus à la vie éternelle, que Dieu veut efficacement pour eux.
2° La prédestination ainsi conçue est celle dont parle l’Ecriture. – Cette prédestination, par laquelle Dieu dirige infailliblement certains plutôt que d’autres à la vie éternelle, nous est affirmée par la révélation, quoi qu’en aient dit les pélagiens et les semi-pélagiens.
Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à ceux qui murmurent au sujet de ce qu’il annonce : Nemo potest venire ad me, nisi Pater, qui misit me, traxerit eum ; et ego ressuscitabo eum in novissimo die. Joa., VI, 44. A plusieurs reprises, il parle des élus (Matth., XX, 16 ; XXII, 14 ; XXIV, 22 ; Marc, XIII, 20, 22) et il dit que personne ne pourra les arracher de la main de son Père : Oves meæ vocem meam audiunt… Et ego vitam æternam do eis, et non peribunt in æternum, et non rapiet eas quisquam de manu mea. Pater meus quod dedit mihi, majus omnibus est ; et nemo potest rapere de manu Patris mei. Joa., X, 27-29. Cela montre que, non seulement Dieu connaît d’avance les élus, mais qu’il les a aimés, choisis plutôt que d’autres, et qu’il les garde infailliblement dans sa main, c’est-à-dire par sa toute-puissance.
C’est ce que saint Paul précise en disant, Rom., VIII, 28 sq. : Scimus quoniam diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, iis qui secundum propositum vocati sunt sancti. Nam quos præscivit, et prædestinavit… ; quos autem prædestinavit, hos et vocavit ; et quos vocavit, hos et justificavit ; quos autem justificavit, illos et glorificavit. Ce sont les effets infaillibles de l’éternelle prédestination. Notons au sujet du quos præscivit contenu dans le texte que nous venons de citer qu’il n’est pas dit : quorum merita saltem conditionalia præscivit, et que cette expression quos præscivit, « ceux qu’il a d’avance connus d’un regard de bienveillance », s’applique aussi bien aux enfants qui mourront sitôt après leur baptême, sans pouvoir mériter, qu’aux adultes. Saint Augustin dira : Prædestinatione quippe Deus ea præscivit, quæ fuerat ipse facturus. De dono pers., XVIII, 47, et De præd. sanct., X, 19. Saint Thomas entendra : « Ceux qu’il a prévus avec bienveillance, il les a choisis et prédestinés », et il verra dans ces actes la suite normale : dernier jugement pratique, élection et imperium, suivi de l’exécution : vocation, justification, glorification. Ia, q. XXIII, a. 1 et 4.
Re: La Prédestination en théologie
Ces actes, dans la pensée de saint Paul, supposent une intention divine, exprimée au même endroit, Rom, VIII, 29 : « Ceux qu’il a prévus d’un regard de bienveillance, il les a prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, afin que son Fils soit le premier-né d’un grand nombre de frères. »
Telle est l’intention divine qui inspire tous ces actes, elle s’unit à celle de la gloire de Dieu, manifestation de sa bonté, comme il est dit, Rom., IX, 23 : « Dieu a voulu faire connaître les richesses de sa gloire à l’égard des vases de miséricorde, qu’il a d’avance préparés pour la gloire. » Cf. Eph., I, 12.
Saint Paul n’en a pas moins noté l’élection, Eph., I, 4 : Elegit nos (Deus) in ipso (Christo) ante mundi constitutionem, ut essemus sancti… ; il a insisté sur le caractère souverainement libre de cette élection, ibid., I, 11 : « C’est dans le Christ que nous avons été choisis, ayant été prédestinés suivant la résolution de celui qui opère toutes choses d’après le conseil de sa volonté, pour que nous servions à la louange de sa gloire. »
Aussi saint Augustin peut-il écrire contre les semi-pélagiens, dans le De dono perseverantiæ, XIX, 48 : Neminem contra istam prædestinationem, quam secundum Scripturas sanctas defendimus, nisi errando disputare potuisse.
Il est du reste évident que Dieu ne fait rien dans le temps sans l’avoir préordonné de toute éternité, car autrement il commencerait à vouloir quelque chose dans le temps, ou quelque chose arriverait fortuitement en dehors de toute intention ou permission divine, ce qui est absurde. Or, c’est Dieu qui, dans le temps, conduit certains à la béatitude éternelle qui dépasse les forces de toute la nature créée. Il a donc préordonné de toute éternité qu’il les y conduirait, et c’est là la prédestination. Son existence est donc absolument indubitable.
Bien plus, sans la prédestination, nul n’arriverait à la béatitude éternelle, car tout bien vient de Dieu, surtout le salut, surtout la béatitude éternelle, qui est d’ordre surnaturel et est absolument inaccessible aux forces naturelles de toute nature créée et créable.
Les semi-pélagiens ont objecté : s’il y a une prédestination infaillible, je suis prédestiné ou non. Si oui, quoi que je fasse, je serai infailliblement sauvé ; sinon, quoi que je fasse, je serai infailliblement damné. Je puis donc faire tout ce qui me plaît. Saint Augustin répondit d’abord aux semi-pélagiens : si ce raisonnement avait quelque valeur, il empêcherait d’admettre non seulement l’existence de la prédestination, mais celle même de la prescience admise pourtant par les semi-pélagiens. De dono pers., XV, 38. Les thomistes répondirent de même à une objection toute semblable qui leur était faite par les molinistes.
Plusieurs saints ont ajouté : si ce dilemme semi-pélagien était fondé, les démons par la vigueur naturelle de leur intelligence en saisiraient la vérité mieux encore que nous et ne prendraient plus la peine de nous tenter. Il est même des saints qui ont répondu au démon, en rétorquant ce sophisme par lequel il voulait les jeter dans le désespoir : « Si je ne suis pas prédestiné, même sans tes efforts pour me perdre, je me perdrai ; et si je suis prédestiné, quoi que tu fasses, je serai sauvé. »
La réponse définitive à cette objection est donnée par saint Thomas : la Providence, dont la prédestination est une partie, ne supprime pas les causes secondes et elle porte non seulement sur l’effet final, mais sur les moyens ou les causes secondes qui le doivent produire. Dieu ne prédestine donc pas les adultes à la fin, c’est-à-dire à la gloire, sans les prédestiner aux moyens, c’est-à-dire aux bonnes œuvres salutaires et méritoires, par lesquelles cette fin peut et doit être obtenue par eux. Ia, q. XXIII, a. 8.
Le sophisme semi-pélagien est aussi faux que celui du laboureur qui dirait : Si Dieu a prévu que l’été prochain j’aurai du blé, que je sème ou non, j’en aurai. « N’allons pas nier ce qui est très clair, dit saint Augustin, parce que nous ne comprenons pas ce qui est caché. » De dono pers., XIV, 37. En réalité, selon la Providence qui porte sur la fin et les moyens, sans violenter la liberté, comme le blé ne s’obtient que par la semence, les adultes n’obtiennent la vie éternelle que par les bonnes œuvres. En ce sens, il est dit dans II Petr., I, 10 : « Appliquez-vous par vos bonnes œuvres à affermir votre vocation et votre élection. »Bien que l’élection soit éternelle en Dieu, dans le temps ou dans l’ordre d’exécution, elle s’affermit en nous par nos bonnes œuvres. Il ne faut pas brouiller les perspectives du temps et de l’éternité. Par la prédestination éternelle, la grâce est donnée aux élus, dit saint Augustin, non pas pour qu’ils s’endorment dans la négligence, mais précisément pour qu’ils travaillent à leur salut, datur ut agant, non ut ipsi nihil agant. Telles sont les principales conséquences de la définition et de l’existence de la prédestination.
3° Comment définir à l’opposite la réprobation ? – Le terme réprobation s’emploie communément par rapport à une erreur que rejette un jugement de l’intelligence et par rapport à un désordre moral que réprouvent l’intelligence et l’aversion de la volonté. En ce sens, l’Ecriture parle de ceux que Dieu a réprouvés de toute éternité. C’est ainsi que saint Paul écrit, I Cor., IX, 27 : Castigo corpus meum… ne forte, cum aliis prædicaverim, ipse reprobus efficiar. L’Ecriture emploie aussi des termes équivalents, maledictio, Matth., XXV, 41 ; vasa iræ et contumeliæ, Rom., IX, 22 ; filii gehennæ, Matth., 33 ; filii perditionis, Joa., XVII, 12. Le fait que certains sont réprouvés est donc certain d’une certitude de foi.
Telle est l’intention divine qui inspire tous ces actes, elle s’unit à celle de la gloire de Dieu, manifestation de sa bonté, comme il est dit, Rom., IX, 23 : « Dieu a voulu faire connaître les richesses de sa gloire à l’égard des vases de miséricorde, qu’il a d’avance préparés pour la gloire. » Cf. Eph., I, 12.
Saint Paul n’en a pas moins noté l’élection, Eph., I, 4 : Elegit nos (Deus) in ipso (Christo) ante mundi constitutionem, ut essemus sancti… ; il a insisté sur le caractère souverainement libre de cette élection, ibid., I, 11 : « C’est dans le Christ que nous avons été choisis, ayant été prédestinés suivant la résolution de celui qui opère toutes choses d’après le conseil de sa volonté, pour que nous servions à la louange de sa gloire. »
Aussi saint Augustin peut-il écrire contre les semi-pélagiens, dans le De dono perseverantiæ, XIX, 48 : Neminem contra istam prædestinationem, quam secundum Scripturas sanctas defendimus, nisi errando disputare potuisse.
Il est du reste évident que Dieu ne fait rien dans le temps sans l’avoir préordonné de toute éternité, car autrement il commencerait à vouloir quelque chose dans le temps, ou quelque chose arriverait fortuitement en dehors de toute intention ou permission divine, ce qui est absurde. Or, c’est Dieu qui, dans le temps, conduit certains à la béatitude éternelle qui dépasse les forces de toute la nature créée. Il a donc préordonné de toute éternité qu’il les y conduirait, et c’est là la prédestination. Son existence est donc absolument indubitable.
Bien plus, sans la prédestination, nul n’arriverait à la béatitude éternelle, car tout bien vient de Dieu, surtout le salut, surtout la béatitude éternelle, qui est d’ordre surnaturel et est absolument inaccessible aux forces naturelles de toute nature créée et créable.
Les semi-pélagiens ont objecté : s’il y a une prédestination infaillible, je suis prédestiné ou non. Si oui, quoi que je fasse, je serai infailliblement sauvé ; sinon, quoi que je fasse, je serai infailliblement damné. Je puis donc faire tout ce qui me plaît. Saint Augustin répondit d’abord aux semi-pélagiens : si ce raisonnement avait quelque valeur, il empêcherait d’admettre non seulement l’existence de la prédestination, mais celle même de la prescience admise pourtant par les semi-pélagiens. De dono pers., XV, 38. Les thomistes répondirent de même à une objection toute semblable qui leur était faite par les molinistes.
Plusieurs saints ont ajouté : si ce dilemme semi-pélagien était fondé, les démons par la vigueur naturelle de leur intelligence en saisiraient la vérité mieux encore que nous et ne prendraient plus la peine de nous tenter. Il est même des saints qui ont répondu au démon, en rétorquant ce sophisme par lequel il voulait les jeter dans le désespoir : « Si je ne suis pas prédestiné, même sans tes efforts pour me perdre, je me perdrai ; et si je suis prédestiné, quoi que tu fasses, je serai sauvé. »
La réponse définitive à cette objection est donnée par saint Thomas : la Providence, dont la prédestination est une partie, ne supprime pas les causes secondes et elle porte non seulement sur l’effet final, mais sur les moyens ou les causes secondes qui le doivent produire. Dieu ne prédestine donc pas les adultes à la fin, c’est-à-dire à la gloire, sans les prédestiner aux moyens, c’est-à-dire aux bonnes œuvres salutaires et méritoires, par lesquelles cette fin peut et doit être obtenue par eux. Ia, q. XXIII, a. 8.
Le sophisme semi-pélagien est aussi faux que celui du laboureur qui dirait : Si Dieu a prévu que l’été prochain j’aurai du blé, que je sème ou non, j’en aurai. « N’allons pas nier ce qui est très clair, dit saint Augustin, parce que nous ne comprenons pas ce qui est caché. » De dono pers., XIV, 37. En réalité, selon la Providence qui porte sur la fin et les moyens, sans violenter la liberté, comme le blé ne s’obtient que par la semence, les adultes n’obtiennent la vie éternelle que par les bonnes œuvres. En ce sens, il est dit dans II Petr., I, 10 : « Appliquez-vous par vos bonnes œuvres à affermir votre vocation et votre élection. »Bien que l’élection soit éternelle en Dieu, dans le temps ou dans l’ordre d’exécution, elle s’affermit en nous par nos bonnes œuvres. Il ne faut pas brouiller les perspectives du temps et de l’éternité. Par la prédestination éternelle, la grâce est donnée aux élus, dit saint Augustin, non pas pour qu’ils s’endorment dans la négligence, mais précisément pour qu’ils travaillent à leur salut, datur ut agant, non ut ipsi nihil agant. Telles sont les principales conséquences de la définition et de l’existence de la prédestination.
3° Comment définir à l’opposite la réprobation ? – Le terme réprobation s’emploie communément par rapport à une erreur que rejette un jugement de l’intelligence et par rapport à un désordre moral que réprouvent l’intelligence et l’aversion de la volonté. En ce sens, l’Ecriture parle de ceux que Dieu a réprouvés de toute éternité. C’est ainsi que saint Paul écrit, I Cor., IX, 27 : Castigo corpus meum… ne forte, cum aliis prædicaverim, ipse reprobus efficiar. L’Ecriture emploie aussi des termes équivalents, maledictio, Matth., XXV, 41 ; vasa iræ et contumeliæ, Rom., IX, 22 ; filii gehennæ, Matth., 33 ; filii perditionis, Joa., XVII, 12. Le fait que certains sont réprouvés est donc certain d’une certitude de foi.
Re: La Prédestination en théologie
Saint Thomas l’explique en remarquant qu’il appartient à la Providence universelle de permettre pour le bien général de l’univers la défaillance ou déficience de certaines créatures défectibles, autrement dit le mal physique et le mal moral. C’est ainsi que la Providence permet la mort de la gazelle pour la vie du lion, et le crime des persécuteurs pour la patience héroïque des martyrs. Or, les créatures intellectuelles, défectibles par nature, sont ordonnées à la vie éternelle par la divine Providence. Il appartient donc à celle-ci de permettre, pour un bien supérieur, que certains défaillent et n’atteignent pas cette fin. C’est la réprobation négative, bien distincte de la réprobation positive, qui inflige la peine de la damnation pour le péché d’impénitence finale. Ia, q. XXIII, a. 3.
Rien du reste n’arrive que Dieu de toute éternité ne l’ait voulu, si c’est un bien, ou ne l’ait permis, si c’est un mal. Or, selon la révélation, certains se perdent par leur faute et sont éternellement punis. Cf. Matth., XXV, 41. Cela donc n’arriverait pas si Dieu de toute éternité n’avait permis leur faute, dont il n’est d’ailleurs nullement cause, et s’il n’avait décidé de les en punir.
La réprobation est-elle la simple négation de la prédestination ? Elle comporte en outre la divine permission du péché d’impénitence finale (c’est la réprobation négative) et la volonté divine d’infliger pour cette faute la peine de la damnation (c’est la réprobation positive). Si la réprobation était la simple négation de la prédestination, elle ne serait pas un acte de la Providence et la peine de la damnation ne serait pas infligée par Dieu. Aussi saint Thomas dit-il : Sicut prædestinatio includit voluntatem conferendi gratiam et gloriam ; ita reprobatio includit voluntatem permittendi aliquem cadere in culpam et inferendi damnationis pœnam pro culpa. Ia, q. XXIII, a. 3.
Après avoir défini la prédestination et la réprobation, il faut chercher quel en est le motif.
4° Quelle est la cause de la prédestination et de l’élection divine par laquelle Dieu a choisi ceux-ci plutôt que ceux-là pour les conduire à la vie éternelle ?
On se rappelle la liberté de l’élection divine, dans l’Ancien Testament : Seth élu et non pas Caïn, puis Noé, Sem de préférence à ses deux frères, Abraham, Isaac de préférence à Ismaël, et finalement Jacob-Israël. Qu’en est-il maintenant pour ce qui est de chacun des élus ?
Nous avons vu, par les définitions de l’Eglise aux conciles de Carthage (418) et d’Orange (529) contre les pélagiens et les semi-pélagiens, que cette cause ne saurait être la prévision divine des bonnes œuvres naturelles de certains, ni celle d’un commencement naturel de la bonne volonté salutaire (initium salutis), ni celle de la persévérance dans le bien jusqu’à la mort sans grâce spéciale. Denzinger, n. 183.
D’après les mêmes définitions du concile d’Orange (Denzinger, n. 183) et celles du concile de Trente (ibid., n. 806, 826, 832) qui sont relatives à la grâce spéciale de la persévérance finale, il est aussi certain que la prédestination à la gloire ne saurait avoir pour cause la prévision de mérites surnaturels que certains conserveraient sans grâce spéciale jusqu’à la mort : Si quis dixerit, justificatum vel sine speciali auxilio Dei in accepta justitia perseverare posse, vel cum eo non posse, A. S. Denzinger, n. 832 ; cf. n. 804 et 806.
Saint Thomas, par ailleurs, montre qu’on ne saurait admettre l’opinion de ceux qui disent : Dieu a élu ceux-ci plutôt que ceux-là parce qu’il a prévu le bon usage qu’ils feraient de la grâce (au moins à l’article de la mort), comme le roi donne un beau cheval à un écuyer parce qu’il prévoit le bon usage qu’il en fera. Saint Thomas remarque : on ne peut admettre cette opinion, car on ne peut distinguer en nos actes salutaires une part de bien qui ne proviendrait pas de la cause première, source de tout bien ; et donc le bon usage de la grâce, dans les élus, est lui-même un effet de la prédestination ; il ne peut donc être sa cause ou son motif. Saint Thomas ajoute même : « Tout ce qui ordonne au salut tel homme qui sera sauvé est en lui un effet de la prédestination », et donc même la détermination libre de ses actes salutaires. Ia, q. XXIII, a. 5.
Cette réponse de saint Thomas vaut-elle contre l’opinion moliniste qui soutient que la prédestination à la gloire a pour cause la prévision divine de nos mérites ? Nous laissons aux lecteurs le soin d’en juger.
Rappelons que, d’après le principe de prédilection, la cause de la prédestination et de l’élection, par laquelle Dieu a choisi ceux-ci plutôt que ceux-là pour les conduire à la vie éternelle, n’est pas la prévision de leurs mérites, mais c’est la pure miséricorde, comme le disent, avec saint Augustin et saint Thomas, tous les thomistes, les augustiniens, les scotistes, et aussi Bellarmin et Suarez.
Or, le fondement du principe de prédilection n’est pas seulement évident dans l’ordre naturel, mais il est révélé. L’Ancien et le Nouveau Testament nous disent sous les formes les plus variées que, sans exception, tout bien vient de Dieu, de l’amour de Dieu, que nul bien n’existe sans que Dieu par amour l’ait efficacement voulu, que tout ce que Dieu veut efficacement arrive, que nul mal physique ou moral n’arrive et n’arrive ici plutôt que là, sans que Dieu l’ait permis. Ce sont là les principes les plus universels qui dominent toute la question, et qui furent rappelés au début du concile de Thuzey, ci-dessus, col. 2931 et 2995 : In cælo et in terra omnia quæcumque voluit (Deus) fecit (Ps. CXXXIV), par exemple la persévérance finale de Pierre plutôt que celle de Judas. NIHIL enim in cælo vel in terra fit, nisi quod ipse aut propitius facit (si c’est un bien), aut fieri juste permittit (si c’est un mal).
Rien du reste n’arrive que Dieu de toute éternité ne l’ait voulu, si c’est un bien, ou ne l’ait permis, si c’est un mal. Or, selon la révélation, certains se perdent par leur faute et sont éternellement punis. Cf. Matth., XXV, 41. Cela donc n’arriverait pas si Dieu de toute éternité n’avait permis leur faute, dont il n’est d’ailleurs nullement cause, et s’il n’avait décidé de les en punir.
La réprobation est-elle la simple négation de la prédestination ? Elle comporte en outre la divine permission du péché d’impénitence finale (c’est la réprobation négative) et la volonté divine d’infliger pour cette faute la peine de la damnation (c’est la réprobation positive). Si la réprobation était la simple négation de la prédestination, elle ne serait pas un acte de la Providence et la peine de la damnation ne serait pas infligée par Dieu. Aussi saint Thomas dit-il : Sicut prædestinatio includit voluntatem conferendi gratiam et gloriam ; ita reprobatio includit voluntatem permittendi aliquem cadere in culpam et inferendi damnationis pœnam pro culpa. Ia, q. XXIII, a. 3.
Après avoir défini la prédestination et la réprobation, il faut chercher quel en est le motif.
4° Quelle est la cause de la prédestination et de l’élection divine par laquelle Dieu a choisi ceux-ci plutôt que ceux-là pour les conduire à la vie éternelle ?
On se rappelle la liberté de l’élection divine, dans l’Ancien Testament : Seth élu et non pas Caïn, puis Noé, Sem de préférence à ses deux frères, Abraham, Isaac de préférence à Ismaël, et finalement Jacob-Israël. Qu’en est-il maintenant pour ce qui est de chacun des élus ?
Nous avons vu, par les définitions de l’Eglise aux conciles de Carthage (418) et d’Orange (529) contre les pélagiens et les semi-pélagiens, que cette cause ne saurait être la prévision divine des bonnes œuvres naturelles de certains, ni celle d’un commencement naturel de la bonne volonté salutaire (initium salutis), ni celle de la persévérance dans le bien jusqu’à la mort sans grâce spéciale. Denzinger, n. 183.
D’après les mêmes définitions du concile d’Orange (Denzinger, n. 183) et celles du concile de Trente (ibid., n. 806, 826, 832) qui sont relatives à la grâce spéciale de la persévérance finale, il est aussi certain que la prédestination à la gloire ne saurait avoir pour cause la prévision de mérites surnaturels que certains conserveraient sans grâce spéciale jusqu’à la mort : Si quis dixerit, justificatum vel sine speciali auxilio Dei in accepta justitia perseverare posse, vel cum eo non posse, A. S. Denzinger, n. 832 ; cf. n. 804 et 806.
Saint Thomas, par ailleurs, montre qu’on ne saurait admettre l’opinion de ceux qui disent : Dieu a élu ceux-ci plutôt que ceux-là parce qu’il a prévu le bon usage qu’ils feraient de la grâce (au moins à l’article de la mort), comme le roi donne un beau cheval à un écuyer parce qu’il prévoit le bon usage qu’il en fera. Saint Thomas remarque : on ne peut admettre cette opinion, car on ne peut distinguer en nos actes salutaires une part de bien qui ne proviendrait pas de la cause première, source de tout bien ; et donc le bon usage de la grâce, dans les élus, est lui-même un effet de la prédestination ; il ne peut donc être sa cause ou son motif. Saint Thomas ajoute même : « Tout ce qui ordonne au salut tel homme qui sera sauvé est en lui un effet de la prédestination », et donc même la détermination libre de ses actes salutaires. Ia, q. XXIII, a. 5.
Cette réponse de saint Thomas vaut-elle contre l’opinion moliniste qui soutient que la prédestination à la gloire a pour cause la prévision divine de nos mérites ? Nous laissons aux lecteurs le soin d’en juger.
Rappelons que, d’après le principe de prédilection, la cause de la prédestination et de l’élection, par laquelle Dieu a choisi ceux-ci plutôt que ceux-là pour les conduire à la vie éternelle, n’est pas la prévision de leurs mérites, mais c’est la pure miséricorde, comme le disent, avec saint Augustin et saint Thomas, tous les thomistes, les augustiniens, les scotistes, et aussi Bellarmin et Suarez.
Or, le fondement du principe de prédilection n’est pas seulement évident dans l’ordre naturel, mais il est révélé. L’Ancien et le Nouveau Testament nous disent sous les formes les plus variées que, sans exception, tout bien vient de Dieu, de l’amour de Dieu, que nul bien n’existe sans que Dieu par amour l’ait efficacement voulu, que tout ce que Dieu veut efficacement arrive, que nul mal physique ou moral n’arrive et n’arrive ici plutôt que là, sans que Dieu l’ait permis. Ce sont là les principes les plus universels qui dominent toute la question, et qui furent rappelés au début du concile de Thuzey, ci-dessus, col. 2931 et 2995 : In cælo et in terra omnia quæcumque voluit (Deus) fecit (Ps. CXXXIV), par exemple la persévérance finale de Pierre plutôt que celle de Judas. NIHIL enim in cælo vel in terra fit, nisi quod ipse aut propitius facit (si c’est un bien), aut fieri juste permittit (si c’est un mal).
Re: La Prédestination en théologie
Cette vérité fondamentale se trouve exprimée en une foule de textes de l’Ancien et du Nouveau Testament : Omnia opera nostra operatus est in nobis, Domine, Is., XXVI, 12 ; Dominus omnium es, nec est qui resistat majestati tuæ, Esther, XIII, 11 ; Domine, Rex deorum et universæ potestatis…, transfer cor illius (regis) in odium hostis nostri, ibid., XIV, 13 ; Convertitque Deus spiritum regis in mansuetudinem, ibid., XV, 11 ; Sicut divisiones aquarum ita cor regis in manu Domini, quocumque voluerit inclinabit illud, Prov., XXI, 1 ; Quasi lutum figuli in manu ispius… sic homo in manus illius qui se fecit, Eccl., XXXIII, 13 ; Faciam ut in præceptis meis ambuletis, Ez., XXXVI, 27 ; Operatur in nobis Deus et velle et perficere, Phil., II, 13 ; etc… Plusieurs de ces textes et d’autres semblables sont cités par le concile d’Orange (Denzinger, n. 176, 200), pour montrer que tout bien vient de Dieu et qu’aucun bien n’arrive sans qu’il l’ait efficacement voulu.
Non seulement ce fondement du principe de prédilection rappelé par le concile de Thuzey est exprimé souvent dans l’Ecriture, mais ce principe lui-même est équivalemment formulé par saint Paul : Quis enim te discernit ? Quid autem habes quod non accepisti ? I Cor., IV, 7 ; Non quod sufficientes simus cogitare aliquid a nobis, quasi ex nobis, sed sufficientia nostra ex Deo est, II Cor., III, 5. Saint Paul trouve le même principe de prédilection exprimé dans l’Exode, XXXIII, 19 : Quid ergo discimus ? Numquid iniquitas apud Deum ? Absit. Moysi enim dicit : Miserebor cujus misereor et misericordiam præstabo cujus miserebor. Igitur non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei. Rom., IX, 15. On lit aussi dans les Psaumes : Salvum me fecit Dominus, quoniam voluit me, Ps., XVII, 20 ; Salus justorum a Domino, Ps., XXXVI, 39 ; Misericordiæ Domini, quia non sumus consumpti, Thren., III, 22 ; et le salut temporel est l’image du salut éternel. On lit aussi dans Tobie, XIII, 15, ces admirables paroles qui annoncent ce que dira explicitement la plénitude de la révélation : Ipse Deus castigavit nos propter iniquitates nostras, ipse salvabit nos propter misericordiam suam.
Notre-Seigneur lui-même dit dans le même sens : Confiteor tibi Pater…, quia abscondisti hæc a sapientibus et prudentibus et revelasti ea parvulis. Ita Pater, quoniam sic fuit placitum ante te. Matth., XI, 25. D’après ce texte, les parvuli ont reçu plus de lumière et de secours, parce que tel a été le bon plaisir de Dieu, qui les a aimés davantage. De même Notre-Seigneur dit à ses disciples : Nolite timere pusillus grex, quia complacuit Patri vestro dare vobis regnum. Luc, XII, 32. Des élus, Notre-Seigneur dit encore que personne ne peut les ravir de la main de son Père, Joa., X, 28 sq., ce qui signifie, sans allusion à la prévision des mérites des élus, l’amour spécial du Père pour eux et le secours infailliblement efficace qu’il leur accordera pour les faire mériter jusqu’à la mort et pour les sauver : Nemo ex eis periit, nisi filius perditionis. Joa., XVII, 12.
Enfin, dans les épîtres de saint Paul se précisent les notions d’élection et de prédestination, et nous y trouvons des lumières nouvelles sur le motif de celle-ci. Paul écrit : Benedictus Deus et Pater Domini Nostri Jesu Christi, qui benedixit nos in omni benedictione spirituali in cælestibus in Christo, sicut elegis nos in ipso ante mundi constitutionem, ut essemus sancti et immaculati in conspectu ejus in caritate, qui prædestinavit nos in adoptionem filiorum per Jesum Christum in ipsum, secundum propositum voluntatis suæ in laudem gloriæ gratiæ suæ, et plus loin : In quo (Christo) etiam et nos sorte vocati sumus, prædestinati secundum propositum ejus, qui operatur omnia secundum consilium voluntatis suæ. Eph., I, 3, 4, 11.
Ce texte, ainsi que l’ont remarqué avec les thomistes bien des théologiens comme Bellarmin et Suarez, contient trois assertions principales :
1. Dieu nous a choisis, elegit nos, non pas parce qu’il prévoyait que, si nous étions placés en telles circonstances, avec telle grâce suffisante, nous deviendrions saints plutôt que d’autres également aidés, mais pour que nous soyons saints, ut essemus sancti. – 2. Dieu nous a ainsi choisis et, par suite, prédestinés, secundum propositum voluntatis suæ, selon le dessein ou le décret de sa volonté, selon son bon plaisir, indiqué de nouveau au v. 11. Cela dans l’ordre d’intention, où la fin précède les moyens. – 3. In laudem gloriæ gratiæ suæ, pour que, dans l’ordre d’exécution, éclatât non pas la force du libre arbitre créé, mais la gloire de sa grâce divine, selon ce qui est dit, Rom., IX, 16 : Non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei.
De plus, dans ces textes, il ne saurait être question seulement de la prédestination à la grâce, puisque celle-ci est commune aux élus et à bien des réprouvés. Il s’agit de la vraie prédestination, qui inclut le décret d’accorder non pas seulement la grâce de la justification, mais le don spécial de la persévérance finale, que nous ne pouvons à proprement parler mériter. Le concile de Trente cite à ce sujet Rom., XIV, 4 : Potens est Deus eum qui stat statuere, ut perseveranter stet et eum qui cadit restituere, Denzinger, n. 806. Il rappelle aussi, ibid., ces paroles de Phil., II, 12, 13 : Itaque carissimi mei…, cum metu et tremore vestram salutem operamini Deus est enim qui operatur in vobis et velle et perficere pro bona voluntate.
Enfin, presque tous les théologiens qui ont admis la gratuité absolue de la prédestination au salut ont appuyé cette doctrine sur les c. VIII, IX et XI de l’épître aux Romains, où saint Paul, parlant de la prédestination des gentils et de la réprobation des juifs, formule des principes généraux qui s’appliquent manifestement, comme le remarque le P. Lagrange (Comm. sur l’épître aux Rom., c. IX) aux individus, d’après le principe que « Dieu opère en nous [en chacun de nous] le vouloir et le faire, selon son bon plaisir ». Phil., II, 13. Saint Paul du reste dit de même, Rom., IX, 24 : ut ostenderet divitas gloriæ suæ in vasa misericordiæ quæ præparavit in gloriam. Quos et vocavit nos non solum ex judæis, sed etiam ex gentibus ; par où l’on voit qu’il pense non seulement aux peuples, mais aussi aux individus, qui deviendront, selon son expression(ibid.), des vases de gloire ou des vases d’ignominie. De même au c. VIII, 30 : Quos prædestinavit, hos vocavit…, justificavit…, glorificavit, vise les individus. Et nous avons vu dans le verset qui précède : Quos præscivit et prædestinavit conformes fieri imaginis Filii sui…, le quos præscivit signifie que ceux d’avance il a regardés avec bienveillance, ce qui s’applique même aux enfants morts sitôt après le baptême, sans avoir eu le temps de mériter. Le quos præscivit ne signifie donc pas quorum merita præscivit.
Non seulement ce fondement du principe de prédilection rappelé par le concile de Thuzey est exprimé souvent dans l’Ecriture, mais ce principe lui-même est équivalemment formulé par saint Paul : Quis enim te discernit ? Quid autem habes quod non accepisti ? I Cor., IV, 7 ; Non quod sufficientes simus cogitare aliquid a nobis, quasi ex nobis, sed sufficientia nostra ex Deo est, II Cor., III, 5. Saint Paul trouve le même principe de prédilection exprimé dans l’Exode, XXXIII, 19 : Quid ergo discimus ? Numquid iniquitas apud Deum ? Absit. Moysi enim dicit : Miserebor cujus misereor et misericordiam præstabo cujus miserebor. Igitur non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei. Rom., IX, 15. On lit aussi dans les Psaumes : Salvum me fecit Dominus, quoniam voluit me, Ps., XVII, 20 ; Salus justorum a Domino, Ps., XXXVI, 39 ; Misericordiæ Domini, quia non sumus consumpti, Thren., III, 22 ; et le salut temporel est l’image du salut éternel. On lit aussi dans Tobie, XIII, 15, ces admirables paroles qui annoncent ce que dira explicitement la plénitude de la révélation : Ipse Deus castigavit nos propter iniquitates nostras, ipse salvabit nos propter misericordiam suam.
Notre-Seigneur lui-même dit dans le même sens : Confiteor tibi Pater…, quia abscondisti hæc a sapientibus et prudentibus et revelasti ea parvulis. Ita Pater, quoniam sic fuit placitum ante te. Matth., XI, 25. D’après ce texte, les parvuli ont reçu plus de lumière et de secours, parce que tel a été le bon plaisir de Dieu, qui les a aimés davantage. De même Notre-Seigneur dit à ses disciples : Nolite timere pusillus grex, quia complacuit Patri vestro dare vobis regnum. Luc, XII, 32. Des élus, Notre-Seigneur dit encore que personne ne peut les ravir de la main de son Père, Joa., X, 28 sq., ce qui signifie, sans allusion à la prévision des mérites des élus, l’amour spécial du Père pour eux et le secours infailliblement efficace qu’il leur accordera pour les faire mériter jusqu’à la mort et pour les sauver : Nemo ex eis periit, nisi filius perditionis. Joa., XVII, 12.
Enfin, dans les épîtres de saint Paul se précisent les notions d’élection et de prédestination, et nous y trouvons des lumières nouvelles sur le motif de celle-ci. Paul écrit : Benedictus Deus et Pater Domini Nostri Jesu Christi, qui benedixit nos in omni benedictione spirituali in cælestibus in Christo, sicut elegis nos in ipso ante mundi constitutionem, ut essemus sancti et immaculati in conspectu ejus in caritate, qui prædestinavit nos in adoptionem filiorum per Jesum Christum in ipsum, secundum propositum voluntatis suæ in laudem gloriæ gratiæ suæ, et plus loin : In quo (Christo) etiam et nos sorte vocati sumus, prædestinati secundum propositum ejus, qui operatur omnia secundum consilium voluntatis suæ. Eph., I, 3, 4, 11.
Ce texte, ainsi que l’ont remarqué avec les thomistes bien des théologiens comme Bellarmin et Suarez, contient trois assertions principales :
1. Dieu nous a choisis, elegit nos, non pas parce qu’il prévoyait que, si nous étions placés en telles circonstances, avec telle grâce suffisante, nous deviendrions saints plutôt que d’autres également aidés, mais pour que nous soyons saints, ut essemus sancti. – 2. Dieu nous a ainsi choisis et, par suite, prédestinés, secundum propositum voluntatis suæ, selon le dessein ou le décret de sa volonté, selon son bon plaisir, indiqué de nouveau au v. 11. Cela dans l’ordre d’intention, où la fin précède les moyens. – 3. In laudem gloriæ gratiæ suæ, pour que, dans l’ordre d’exécution, éclatât non pas la force du libre arbitre créé, mais la gloire de sa grâce divine, selon ce qui est dit, Rom., IX, 16 : Non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei.
De plus, dans ces textes, il ne saurait être question seulement de la prédestination à la grâce, puisque celle-ci est commune aux élus et à bien des réprouvés. Il s’agit de la vraie prédestination, qui inclut le décret d’accorder non pas seulement la grâce de la justification, mais le don spécial de la persévérance finale, que nous ne pouvons à proprement parler mériter. Le concile de Trente cite à ce sujet Rom., XIV, 4 : Potens est Deus eum qui stat statuere, ut perseveranter stet et eum qui cadit restituere, Denzinger, n. 806. Il rappelle aussi, ibid., ces paroles de Phil., II, 12, 13 : Itaque carissimi mei…, cum metu et tremore vestram salutem operamini Deus est enim qui operatur in vobis et velle et perficere pro bona voluntate.
Enfin, presque tous les théologiens qui ont admis la gratuité absolue de la prédestination au salut ont appuyé cette doctrine sur les c. VIII, IX et XI de l’épître aux Romains, où saint Paul, parlant de la prédestination des gentils et de la réprobation des juifs, formule des principes généraux qui s’appliquent manifestement, comme le remarque le P. Lagrange (Comm. sur l’épître aux Rom., c. IX) aux individus, d’après le principe que « Dieu opère en nous [en chacun de nous] le vouloir et le faire, selon son bon plaisir ». Phil., II, 13. Saint Paul du reste dit de même, Rom., IX, 24 : ut ostenderet divitas gloriæ suæ in vasa misericordiæ quæ præparavit in gloriam. Quos et vocavit nos non solum ex judæis, sed etiam ex gentibus ; par où l’on voit qu’il pense non seulement aux peuples, mais aussi aux individus, qui deviendront, selon son expression(ibid.), des vases de gloire ou des vases d’ignominie. De même au c. VIII, 30 : Quos prædestinavit, hos vocavit…, justificavit…, glorificavit, vise les individus. Et nous avons vu dans le verset qui précède : Quos præscivit et prædestinavit conformes fieri imaginis Filii sui…, le quos præscivit signifie que ceux d’avance il a regardés avec bienveillance, ce qui s’applique même aux enfants morts sitôt après le baptême, sans avoir eu le temps de mériter. Le quos præscivit ne signifie donc pas quorum merita præscivit.
Re: La Prédestination en théologie
Quels sont donc les principes généraux que saint Paul formule ici au sujet de la prédestination ? Il la définit propositum Dei, VIII, 28, propositum secundum electionem, IX, 11, secundum electionem gratiæ, XI, 5, c’est-à-dire un propos ou une résolution selon une élection gratuite, car il ajoute, XI, 6 : Si autem gratia, jam non ex operibus, alioquin gratia jam non est gratia.
Saint Paul y explique aussi les propriétés et les effets de la prédestination, VIII, 28 : omnia cooperantur in bonum, us qui secundum propositum vocati sunt sancti. Et sitôt après, il énumère les trois effets de la prédestination : la vocation, la justification, la glorification, qui s’appliquent à proprement parler aux individus. Enfin, il montre son infaillible efficacité et attribue celle-ci non pas à l’effort de notre volonté, mais à la toute-puissance de Dieu : si Deus pro nobis, quis contra nos ? VIII, 31.
Quant à la cause de la prédestination, il ne la voit point dans la prescience de nos mérites, mais dans une miséricorde spéciale de Dieu : Miserebor cujus misereor et misericordiam præstabo cujus miserebor. IX, 15. D’où il suit : Igitur non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei. IX, 16.
Enfin, il prouve cette dernière assertion par un principe irréfragable, qui est une nouvelle forme du principe de prédilection : Quis prior dedit illi (Deo) et retribuetur ei ? Quoniam ex ipso et per ipsum et in ipso sunt omnia. XI, 35. C’est toujours le principe suprême invoqué aussi, I Cor., IV, 7 : Quis enim te discernit ?
Saint Paul y explique aussi les propriétés et les effets de la prédestination, VIII, 28 : omnia cooperantur in bonum, us qui secundum propositum vocati sunt sancti. Et sitôt après, il énumère les trois effets de la prédestination : la vocation, la justification, la glorification, qui s’appliquent à proprement parler aux individus. Enfin, il montre son infaillible efficacité et attribue celle-ci non pas à l’effort de notre volonté, mais à la toute-puissance de Dieu : si Deus pro nobis, quis contra nos ? VIII, 31.
Quant à la cause de la prédestination, il ne la voit point dans la prescience de nos mérites, mais dans une miséricorde spéciale de Dieu : Miserebor cujus misereor et misericordiam præstabo cujus miserebor. IX, 15. D’où il suit : Igitur non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei. IX, 16.
Enfin, il prouve cette dernière assertion par un principe irréfragable, qui est une nouvelle forme du principe de prédilection : Quis prior dedit illi (Deo) et retribuetur ei ? Quoniam ex ipso et per ipsum et in ipso sunt omnia. XI, 35. C’est toujours le principe suprême invoqué aussi, I Cor., IV, 7 : Quis enim te discernit ?
Re: La Prédestination en théologie
Le sens de tous ces textes de saint Paul est confirmé par la réponse qu’il donne, Rom., IX, 19, aux objections qu’il se fait et qui furent reprises plus tard par les pélagiens et semi-pélagiens : « Le potier n’est-il pas maître de son argile, pour faire de la même masse un vase d’honneur et un vase d’ignominie ? Et si Dieu, voulant montrer sa colère [sa justice vengeresse] et faire connaître sa puissance, a supporté avec une grande patience des vases de colère, disposés à la perdition, et s’il a voulu faire connaître aussi les richesses de sa gloire à l’égard des vases de miséricorde qu’il a d’avance préparés pour la gloire, [où est l’injustice ?] ».
Saint Augustin et saint Thomas ont vu dans tous ces textes de saint Paul la gratuité de la prédestination au salut, en d’autres termes, ils ont vu le motif de celle-ci dans une miséricorde spéciale. Augustin a dit souvent : « Si Dieu accorde la persévérance finale à celui-ci, c’est par miséricorde, s’il ne l’accorde pas à celui-là, c’est par un juste châtiment de fautes, généralement réitérées, qui ont éloigné l’âme de Dieu. » Cf. Saint Augustin, De præd. sanct., VIII, 15. Saint Thomas, Ia, q. XXIII, a. 5, ad 3um ; IIa-IIæ, q. II, a. 5, ad 1um. Saint Prosper a énoncé la même idée en ces paroles, conservées par le concile de Quierzy : Quod quidam salvantur, salvantis est donum, quod autem quidam pereunt, pereuntium est meritum. Denzinger, n. 318.
On s’explique dès lors que des théologiens comme Tanquerey, Synopsis theologiæ dogmaticæ, t. II, de Deo uno, 1926, p. 325, écrivent après avoir analysé ce que dit saint Paul de la prédestination : Porro hæc omnia nihil aliud sunt nisi ipsissima thomistarum thesis supponunt enim Deus nos eligere ad gloriam e bene placito suo, omnia bona fluere ex hac electione, etiam merita nostra.
A ces raisons tirées de la sainte Ecriture et qui sont le fondement de la doctrine de saint Thomas, Ia, q. XXIII, a. 5, sur la cause de la prédestination, s’ajoute un argument de raison théologique indiqué par le saint docteur, ibid., a. 4 : Prædestinatio est pars providentiæ. Providentia autem, sicut et prudentia est ratio in intellectu existens præceptiva ordinationis aliquorum in finem. Non autem præcipitur aliquid ordinandum in finem, nisi præexistente voluntate finis. Unde prædestinatio aliquorum in salutem æternam præsupponit secundum rationem, quod Deus illorum velit salutem, ad quod pertinet electio et dilectio. Ia, q. XXIII, a. 5.
Saint Augustin et saint Thomas ont vu dans tous ces textes de saint Paul la gratuité de la prédestination au salut, en d’autres termes, ils ont vu le motif de celle-ci dans une miséricorde spéciale. Augustin a dit souvent : « Si Dieu accorde la persévérance finale à celui-ci, c’est par miséricorde, s’il ne l’accorde pas à celui-là, c’est par un juste châtiment de fautes, généralement réitérées, qui ont éloigné l’âme de Dieu. » Cf. Saint Augustin, De præd. sanct., VIII, 15. Saint Thomas, Ia, q. XXIII, a. 5, ad 3um ; IIa-IIæ, q. II, a. 5, ad 1um. Saint Prosper a énoncé la même idée en ces paroles, conservées par le concile de Quierzy : Quod quidam salvantur, salvantis est donum, quod autem quidam pereunt, pereuntium est meritum. Denzinger, n. 318.
On s’explique dès lors que des théologiens comme Tanquerey, Synopsis theologiæ dogmaticæ, t. II, de Deo uno, 1926, p. 325, écrivent après avoir analysé ce que dit saint Paul de la prédestination : Porro hæc omnia nihil aliud sunt nisi ipsissima thomistarum thesis supponunt enim Deus nos eligere ad gloriam e bene placito suo, omnia bona fluere ex hac electione, etiam merita nostra.
A ces raisons tirées de la sainte Ecriture et qui sont le fondement de la doctrine de saint Thomas, Ia, q. XXIII, a. 5, sur la cause de la prédestination, s’ajoute un argument de raison théologique indiqué par le saint docteur, ibid., a. 4 : Prædestinatio est pars providentiæ. Providentia autem, sicut et prudentia est ratio in intellectu existens præceptiva ordinationis aliquorum in finem. Non autem præcipitur aliquid ordinandum in finem, nisi præexistente voluntate finis. Unde prædestinatio aliquorum in salutem æternam præsupponit secundum rationem, quod Deus illorum velit salutem, ad quod pertinet electio et dilectio. Ia, q. XXIII, a. 5.
Re: La Prédestination en théologie
En d’autres termes, quiconque agit sagement veut la fin avant les moyens. Or, Dieu agit avec une souveraine sagesse, et la grâce est moyen par rapport à la gloire ou au talent. Donc, Dieu veut d’abord à ses élus la gloire (dilectio et electio), puis la grâce pour les y faire parvenir.
Saint Thomas, on le voit, avait nettement exprimé cette raison théologique avant Scot, et en cela Bellarmin et Suarez sont d’accord avec lui.
C’est un des points où l’on voit le mieux que saint Thomas et avec lui les plus grands théologiens ne craignent ni la logique ni le mystère, et c’est la logique même qui les a conduits à la transcendance du mystère, objet de la contemplation, très au-dessus du raisonnement.
Ainsi s’éclaire le motif de la prédestination et, en même temps, celui de la réprobation négative, comme l’explique saint Thomas, Ia, q. XXIII, a. 5, ad. 3um.
C’est dans la bonté divine elle-même qu’on peut trouver la raison de la prédestination de certains et de la réprobation des autres. On dit que Dieu a tout fait pour sa bonté, c’est-à-dire pour manifester sa bonté dans les choses. Or, il est nécessaire que la divine bonté, en elle-même une et simple, soit représentée dans les choses sous des formes diverses, car les choses créées ne peuvent atteindre à la simplicité divine. C’est pourquoi la perfection de l’univers exige divers ordres de choses, dont les unes tiennent un haut rang et d’autres un rang infime. Et, afin que la diversité des degrés se maintienne, Dieu permet que se produise certains maux, sans lesquels beaucoup de biens supérieurs ne sauraient exister. Considérons donc tout le genre humain comme nous faisons de l’universalité des choses. Parmi les hommes, Dieu a voulu, en certains qu’il prédestine, faire apparaître sa bonté sous la forme de la miséricorde qui pardonne, et, en d’autres, qu’il réprouve, sous la forme de la justice qui punit. Telle est la raison pour laquelle Dieu choisit certains et réprouve les autres. « C’est cette cause qu’assigne l’Apôtre, Rom., IX, 22, 23, en disant : Dieu voulant montrer sa colère (c’est-à-dire la vindicte de sa justice) et faire connaître sa puissance, a supporté (c’est-à-dire permis) avec une grande patience des vases de colère, disposés à la perdition, et il a voulu aussi faire connaître les richesses de sa gloire à l’égard des vases miséricorde qu’il a d’avance préparés pour la gloire. » Et ailleurs, II Tim., II, 20, le même Apôtre a écrit : « Dans une grande maison, il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais il y en a aussi de bois et de terre, les uns pour des usages honorables, les autres pour des usages vils.
Mais pourquoi Dieu choisit-il ceux-ci pour la gloire et pourquoi réprouve-t-il ceux là ? Il n’y en a pas d’autre raison que la volonté divine. C’est ce qui a fait dire à saint Augustin (Super Joannem, tr. XXVI) : Pourquoi attire-t-il celui-ci et pourquoi n’attire-t-il pas celui-là ? Garde-toi d’en vouloir juger, si tu ne veux pas te tromper. Ainsi, dans la nature, on peut donner une raison pour expliquer que la matière première, de soi tout uniforme, soit distribuée en partie sous la forme du feu, en partie sous la forme de la terre créée par Dieu au commencement ; c’est afin d’obtenir une diversité d’espèces parmi les choses naturelles. Mais pourquoi telle partie de la matière est-elle sous telle forme, et telle partie sous telle autre ? Il n’y en a de raison que la simple volonté divine, comme de la seule volonté de l’architecte dépend que cette pierre-ci soit en cet endroit du mur et cette autre ailleurs, bien que l’art de la construction exige nécessairement qu’il y ait ici une pierre et une autre là. Et ce n’est point de la part de Dieu une injustice de préparer ainsi à des êtres non inégaux des choses inégales, ce serait contre la justice si l’effet de la prédestination était conféré au nom d’un droit, au lieu de l’être comme une grâce. Là où l’on donne par grâce, chacun peut à son gré donner ce qu’il veut, plus ou moins, pourvu qu’il ne refuse à personne ce qui lui est dû, cela sans préjudice de la justice. C’est ce que dit le Père de famille de la parabole : Prends ce qui te revient et retire-toi. Ne m’est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux. » Matth., XX, 14.
Saint Thomas, on le voit, avait nettement exprimé cette raison théologique avant Scot, et en cela Bellarmin et Suarez sont d’accord avec lui.
C’est un des points où l’on voit le mieux que saint Thomas et avec lui les plus grands théologiens ne craignent ni la logique ni le mystère, et c’est la logique même qui les a conduits à la transcendance du mystère, objet de la contemplation, très au-dessus du raisonnement.
Ainsi s’éclaire le motif de la prédestination et, en même temps, celui de la réprobation négative, comme l’explique saint Thomas, Ia, q. XXIII, a. 5, ad. 3um.
C’est dans la bonté divine elle-même qu’on peut trouver la raison de la prédestination de certains et de la réprobation des autres. On dit que Dieu a tout fait pour sa bonté, c’est-à-dire pour manifester sa bonté dans les choses. Or, il est nécessaire que la divine bonté, en elle-même une et simple, soit représentée dans les choses sous des formes diverses, car les choses créées ne peuvent atteindre à la simplicité divine. C’est pourquoi la perfection de l’univers exige divers ordres de choses, dont les unes tiennent un haut rang et d’autres un rang infime. Et, afin que la diversité des degrés se maintienne, Dieu permet que se produise certains maux, sans lesquels beaucoup de biens supérieurs ne sauraient exister. Considérons donc tout le genre humain comme nous faisons de l’universalité des choses. Parmi les hommes, Dieu a voulu, en certains qu’il prédestine, faire apparaître sa bonté sous la forme de la miséricorde qui pardonne, et, en d’autres, qu’il réprouve, sous la forme de la justice qui punit. Telle est la raison pour laquelle Dieu choisit certains et réprouve les autres. « C’est cette cause qu’assigne l’Apôtre, Rom., IX, 22, 23, en disant : Dieu voulant montrer sa colère (c’est-à-dire la vindicte de sa justice) et faire connaître sa puissance, a supporté (c’est-à-dire permis) avec une grande patience des vases de colère, disposés à la perdition, et il a voulu aussi faire connaître les richesses de sa gloire à l’égard des vases miséricorde qu’il a d’avance préparés pour la gloire. » Et ailleurs, II Tim., II, 20, le même Apôtre a écrit : « Dans une grande maison, il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais il y en a aussi de bois et de terre, les uns pour des usages honorables, les autres pour des usages vils.
Mais pourquoi Dieu choisit-il ceux-ci pour la gloire et pourquoi réprouve-t-il ceux là ? Il n’y en a pas d’autre raison que la volonté divine. C’est ce qui a fait dire à saint Augustin (Super Joannem, tr. XXVI) : Pourquoi attire-t-il celui-ci et pourquoi n’attire-t-il pas celui-là ? Garde-toi d’en vouloir juger, si tu ne veux pas te tromper. Ainsi, dans la nature, on peut donner une raison pour expliquer que la matière première, de soi tout uniforme, soit distribuée en partie sous la forme du feu, en partie sous la forme de la terre créée par Dieu au commencement ; c’est afin d’obtenir une diversité d’espèces parmi les choses naturelles. Mais pourquoi telle partie de la matière est-elle sous telle forme, et telle partie sous telle autre ? Il n’y en a de raison que la simple volonté divine, comme de la seule volonté de l’architecte dépend que cette pierre-ci soit en cet endroit du mur et cette autre ailleurs, bien que l’art de la construction exige nécessairement qu’il y ait ici une pierre et une autre là. Et ce n’est point de la part de Dieu une injustice de préparer ainsi à des êtres non inégaux des choses inégales, ce serait contre la justice si l’effet de la prédestination était conféré au nom d’un droit, au lieu de l’être comme une grâce. Là où l’on donne par grâce, chacun peut à son gré donner ce qu’il veut, plus ou moins, pourvu qu’il ne refuse à personne ce qui lui est dû, cela sans préjudice de la justice. C’est ce que dit le Père de famille de la parabole : Prends ce qui te revient et retire-toi. Ne m’est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux. » Matth., XX, 14.
Re: La Prédestination en théologie
Ce qui est dû à chacun, ce que Dieu ne refuse à personne, c’est la grâce suffisante pour le salut, qui rend réellement possible l’accomplissement des préceptes. Dieu ne commande jamais l’impossible. Quant à la grâce efficace, surtout à la grâce de la persévérance finale, c’est par miséricorde qu’il l’accorde, mais, parmi les adultes, ceux-là seuls en sont privés, qui la refusent par une résistance coupable. Les docteurs de l’Eglise l’ont souvent remarqué en comparant la mort du bon larron à celle du larron impénitent, qui résista au dernier appel.
Le motif de la prédestination en général est donc la manifestation de la bonté divine, sous la forme de la miséricorde qui pardonne, celui de la prédestination en tel homme plutôt que de tel autre est le bon plaisir divin. S’il en est ainsi, comment formuler exactement le motif de la réprobation, soit positive, soit négative ?
5° Le motif de la réprobation. – 1. Il est clair tout d’abord que la réprobation positive des anges et des hommes suppose la prévision de leurs démérites, car Dieu ne peut vouloir infliger la peine de la damnation que pour une faute. En cela tous les catholiques s’accordent contre Calvin. Plusieurs passages de l’Ecriture nous disent que Dieu ne veut pas la mort de l’impie, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Ez., XXXIII, 11, II Petr., III, 9, et les théologiens citent souvent ces paroles de Dieu dites par le prophète Osée, XIII, 9 : Perditio tua ex te, Israel, tantummodo in me auxilium tuum.
Il est évident d’ailleurs que Dieu ne peut vouloir une chose qu’en tant qu’elle est bonne, et la peine n’est bonne et juste que si elle suppose un péché. En cela, elle diffère de la récompense, qui est bonne en elle-même, indépendamment des mérites. La récompense à titre de don excellent peut être voulue dans l’ordre d’intention avant la prévision des mérites, bien que, dans l’ordre d’exécution et à titre de récompense, elle dépende d’eux. On ne saurait en dire autant de la peine, ni chercher un parallélisme absolu entre le bien et le mal.
2. Le motif de la réprobation négative, prise absolument ou en général, n’est pas la prévision des démérites des réprouvés, car cette réprobation négative n’est autre que la permission divine de ces démérites, et donc elle précède logiquement leur prévision au lieu de la suivre, sans cette divine permission, ces démérites n’arriveraient pas dans le temps et ne seraient pas prévus de toute éternité. Il faut dire, d’après le dernier texte que nous venons de citer, Ia, q. XXIII, a. 5, ad 3um : le motif de la réprobation négative est que Dieu a voulu manifester sa bonté nos seulement sous la forme de la miséricorde, mais sous celle de la justice, et qu’il appartient à la Providence de permettre que certains êtres défectibles défaillent et que certains maux arrivent, sans lesquels des biens supérieurs n’existeraient pas.
Et si l’on demande pourquoi Dieu a choisi celui-ci et non pas celui-là, il n’y a, nous l’avons vu, d’après saint Thomas, d’autre raison que la simple volonté divine, qui se trouve ainsi le motif et de la prédestination individuelle, et de la réprobation négative individuelle de celui-ci plutôt que de celui-là. En d’autres termes, parmi ceux qui sont également défectibles, pourquoi la défaillance de celui-ci est-elle permise plutôt que la défaillance d’un autre, il n’y a d’autre raison que la volonté divine. Et, en un sens, tous les théologiens catholiques l’admettent, car tous doivent dire au moins que Dieu aurait pu préserver ceux qui se perdent et permettre la chute de ceux qui se sauvent.
La principale difficulté qui se présente est celle-ci : vouloir manifester la splendeur de la justice vengeresse avant d’avoir prévu la faute, c’est vouloir la peine avant la faute, ce qui est injuste. Or, il en serait ainsi d’après l’explication précédente. Elle est donc inadmissible.
Les thomistes répondent en niant la majeure qui confond la justice infinie avec la peine qui la manifestera. Et, en effet, Dieu ne veut pas permettre la faute par amour du châtiment, cela répugnerait à la justice. Mais, pour manifester sa justice infinie et le droit du souverain bien à être aimé par-dessus tout, il veut permettre la faute, et ensuite infliger la peine à cause de la faute.
De la sorte, la peine n’est qu’un moyen fini de manifester la justice infinie, et un moyen qui n’est pas une fin intermédiaire voulue avant la permission de la faute, car il n’est bon et juste que pour une faute. Et donc très certainement, Dieu veut permettre le péché non pas par amour du châtiment fini, mais par amour de sa justice infinie, ou par amour de sa souveraine bonté qui a droit à être aimée par-dessus tout. Enfin, lorsque Dieu veut manifester sa justice vengeresse, cela présuppose bien la possibilité du péché, mais pas encore sa permission divine, ni sa prévision. Il en est tout autrement lorsqu’il veut infliger la peine de la damnation.
Le motif de la prédestination en général est donc la manifestation de la bonté divine, sous la forme de la miséricorde qui pardonne, celui de la prédestination en tel homme plutôt que de tel autre est le bon plaisir divin. S’il en est ainsi, comment formuler exactement le motif de la réprobation, soit positive, soit négative ?
5° Le motif de la réprobation. – 1. Il est clair tout d’abord que la réprobation positive des anges et des hommes suppose la prévision de leurs démérites, car Dieu ne peut vouloir infliger la peine de la damnation que pour une faute. En cela tous les catholiques s’accordent contre Calvin. Plusieurs passages de l’Ecriture nous disent que Dieu ne veut pas la mort de l’impie, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Ez., XXXIII, 11, II Petr., III, 9, et les théologiens citent souvent ces paroles de Dieu dites par le prophète Osée, XIII, 9 : Perditio tua ex te, Israel, tantummodo in me auxilium tuum.
Il est évident d’ailleurs que Dieu ne peut vouloir une chose qu’en tant qu’elle est bonne, et la peine n’est bonne et juste que si elle suppose un péché. En cela, elle diffère de la récompense, qui est bonne en elle-même, indépendamment des mérites. La récompense à titre de don excellent peut être voulue dans l’ordre d’intention avant la prévision des mérites, bien que, dans l’ordre d’exécution et à titre de récompense, elle dépende d’eux. On ne saurait en dire autant de la peine, ni chercher un parallélisme absolu entre le bien et le mal.
2. Le motif de la réprobation négative, prise absolument ou en général, n’est pas la prévision des démérites des réprouvés, car cette réprobation négative n’est autre que la permission divine de ces démérites, et donc elle précède logiquement leur prévision au lieu de la suivre, sans cette divine permission, ces démérites n’arriveraient pas dans le temps et ne seraient pas prévus de toute éternité. Il faut dire, d’après le dernier texte que nous venons de citer, Ia, q. XXIII, a. 5, ad 3um : le motif de la réprobation négative est que Dieu a voulu manifester sa bonté nos seulement sous la forme de la miséricorde, mais sous celle de la justice, et qu’il appartient à la Providence de permettre que certains êtres défectibles défaillent et que certains maux arrivent, sans lesquels des biens supérieurs n’existeraient pas.
Et si l’on demande pourquoi Dieu a choisi celui-ci et non pas celui-là, il n’y a, nous l’avons vu, d’après saint Thomas, d’autre raison que la simple volonté divine, qui se trouve ainsi le motif et de la prédestination individuelle, et de la réprobation négative individuelle de celui-ci plutôt que de celui-là. En d’autres termes, parmi ceux qui sont également défectibles, pourquoi la défaillance de celui-ci est-elle permise plutôt que la défaillance d’un autre, il n’y a d’autre raison que la volonté divine. Et, en un sens, tous les théologiens catholiques l’admettent, car tous doivent dire au moins que Dieu aurait pu préserver ceux qui se perdent et permettre la chute de ceux qui se sauvent.
La principale difficulté qui se présente est celle-ci : vouloir manifester la splendeur de la justice vengeresse avant d’avoir prévu la faute, c’est vouloir la peine avant la faute, ce qui est injuste. Or, il en serait ainsi d’après l’explication précédente. Elle est donc inadmissible.
Les thomistes répondent en niant la majeure qui confond la justice infinie avec la peine qui la manifestera. Et, en effet, Dieu ne veut pas permettre la faute par amour du châtiment, cela répugnerait à la justice. Mais, pour manifester sa justice infinie et le droit du souverain bien à être aimé par-dessus tout, il veut permettre la faute, et ensuite infliger la peine à cause de la faute.
De la sorte, la peine n’est qu’un moyen fini de manifester la justice infinie, et un moyen qui n’est pas une fin intermédiaire voulue avant la permission de la faute, car il n’est bon et juste que pour une faute. Et donc très certainement, Dieu veut permettre le péché non pas par amour du châtiment fini, mais par amour de sa justice infinie, ou par amour de sa souveraine bonté qui a droit à être aimée par-dessus tout. Enfin, lorsque Dieu veut manifester sa justice vengeresse, cela présuppose bien la possibilité du péché, mais pas encore sa permission divine, ni sa prévision. Il en est tout autrement lorsqu’il veut infliger la peine de la damnation.
Page 7 sur 8 • 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Sujets similaires
» • Théologie de l’Alliance •
» Physique, philosophie, prédestination, etc.
» Les Signes de Certitude Morale de Prédestination
» Qu'est-ce que la théologie négative ou apophatique ?
» Aristote,théologie et chriitianisme
» Physique, philosophie, prédestination, etc.
» Les Signes de Certitude Morale de Prédestination
» Qu'est-ce que la théologie négative ou apophatique ?
» Aristote,théologie et chriitianisme
Page 7 sur 8
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum