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La Prédestination en théologie

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:23

b) Le « De gratia et libero arbitrio ». – Etant ainsi le premier traité sur la question délicate de la prédestination, il était inévitable que la lettre fît sensation. Ceux qui s’en émurent le plus ouvertement furent les moines d’Hadrumète, qui arrachèrent à leur abbé Valentin la permission d’aller trouver Augustin, afin de recevoir de lui l’interprétation authentique de la lettre à Sixte, celle donnée par un des leurs, le moine Florus, étant, prétendaient-ils, erronée. Augustin reçut les délégués Cresconius et Félix, les garda quelque temps avec lui, et s’enquit auprès d’eux de la gravité de l’affaire. Enfin, il les congédia en leur remettant deux lettres (CCXIV et CCXV) pour Valentin et un livre, De gratia et libero arbitrio, destiné à pacifier le monastère (426). En même temps, il mandait Florus, le perturbateur présumé, que Valentin lui envoya, mais en le blanchissant de toute accusation, car, en réalité, il avait été le premier à signaler le péril couru par les esprits.

Dans sa première lettre à Valentin, Augustin donne comme règle d’interprétation de la lettre à Sixte de ne pas nier l’efficacité de la grâce pour en exalter d’autant le libre arbitre et de ne pas défendre l’indépendance de ce dernier, tanquam sine illa [la grâce] vel cogitare aliquid vel agere secundum Deum ulla ratione possimus, quod omnino non possumus. Epist., CCXIV, 2, col. 969. Il explique comment son livre De gratia et libero arbitrio vient au secours de ceux qui défendent la grâce de si maladroite façon qu’ils nient la liberté humaine, et de ceux qui, lorsqu’on défend cette même grâce, comme il convient, se figurent que la liberté humaine est sacrifiée. De grat. et lib. arb., I, 1, t. XLIV, col. 881.

S’il est un ouvrage où saint Augustin garde le sens du mystère, c’est bien celui-là. Sachant la difficulté des questions qu’il y traite, il en conditionne la compréhension par l’exercice des dons de sagesse et d’intelligence. Il affirme la coexistence du libre arbitre et de la grâce. De celle-ci, il montre, par l’Ecriture, et la nécessité et l’efficacité, sans que celui-là en soit aucunement atteint. C’est qu’il y a entre eux des rapports de subordination, du moins lorsque la liberté opère des œuvres bonnes. Pour Augustin, en effet, la liberté s’exerce d’autant plus qu’elle s’applique à faire davantage le bien. Laissée à elle-même, elle ne peut que déchoir et elle déchoit en fait, si Dieu le permet. Le mystère de la prédestination se réduit à ceci : 1. Par sa grâce toute-puissante, Dieu rend la liberté de l’homme, qui, à cause du péché, est mauvaise de fait, capable d’œuvres méritoires ; 2. Par une permission que lui suggèrent ses secrets jugements, Dieu, en certains cas, laisse mauvaise de fait la liberté de l’homme. Le mystère est donc celui de l’élection divine : ex massa perditionis. C’est un mystère de justice et de bonté.

Mais le De gratia et libero arbitrio ne parvint pas à apaiser totalement les cénobites d’Hadrumète. Florus, mandé par Augustin, comme nous l’avons dit, et ceux qui l’accompagnèrent, rapportèrent au saint docteur l’impression qu’il avait produite. Une conséquence même de la doctrine du De gratia et libero arbitrio restait en litige. Elle fut présentée sous forme d’objection : celui qui a manqué de la grâce sans laquelle il ne pouvait bien agir, en quoi est-il répréhensible d’avoir mal agi ? Il ne faut donc pas corriger les pécheurs, mais prier pour eux. Des prédicateurs, les fidèles doivent non pas recevoir des avertissements, mais solliciter de pieux suffrages.

c) Le « De correptione et gratia ». – La réponse à cette objection, que déjà saint Paul avait mis sur les lèvres d’un interlocuteur fictif (cf. Lagrange, Epître aux Romains, p. 327) fut le De correptione et gratia. Augustin y prend la difficulté des moins d’Hadrumète, la complique à plaisir de considérations tirées de la non-persévérance d’Adam, en prend occasion de développer sa pensée sur tout ce qui ressortit au mystère de la prédestination, et conclut que la grâce n’est en aucune manière un obstacle à la correction des pécheurs, ni le bien-fondé de celle-ci, une raison de nier l’efficacité de la grâce. Florus et ses compagnons emportèrent l’ouvrage en 426 ou 427, quelques jours après Pâques. Il n’allait pas tarder à déborder le monastère africain, et Prosper, écrivant peu après à Augustin, remarquait, en même temps que sa grande valeur, l’opportunité de son apparition dans les Gaules.

d) La lettre à Vitalis de Carthage. – Cependant, le zèle d’Augustin se trouvait sollicité d’un autre côté. On lui avait rapporté qu’un certain Vitalis de Carthage enseignait la non-gratuité de l’initium fidei : Quomodo dicis quod te audio dicere : « Ut recte credamus in Deum et Evangelio consentiamus, non esse donum Dei, sed hoc nobis esse a nobis, id est ex propria voluntate, quam nobis in nostro corde non operatus est ipse. » Epist., CCXVII, t. XXXIII, col. 978. Plus encore, il revendiquait le pouvoir, pour la liberté, de rendre efficace la grâce divine : Per legem suam, per Scripturas suas, Deum operari ut velimus, quas vel legimus vel audimus : sed eis consentire ita nostrum est, ut si velimus fiat, si autem nolimus, nihil in nobis operationem Dei valere faciamus. Ibid.

Augustin lui écrit en 427. Bien que sa lettre ait surtout un caractère apologétique, il y traite encore les points principaux de sa doctrine sur la prédestination : entre autres, la gratuité totale de celle-ci. L’argument auquel il recourt de préférence est celui qui se tire de la prière de l’Eglise et qui, dans la thèse de Vitalis, perd toute sa raison d’être : il doit suffire de prêcher. Ibid., 2, col. 978. Voyant le danger d’une pareille position, qui est celle des pélagiens, et pour établir clairement la position orthodoxe, le saint docteur condense celle-ci en douze sentences qui vont toutes, en fin de compte, à affirmer la souveraine efficacité de la grâce divine.

e) Le « De prædestinatione sanctorum » (428). – a. Occasion. – Dans les Gaules, à la même époque, et à Marseille principalement, plusieurs, dont Jean Cassien, l’auteur des Collationes, et Vincent de Lérins, l’auteur du Commonitorium, enseignaient une doctrine qui pouvait paraître incliner vers le pélagianisme. Attentifs aux ouvrages d’Augustin contre les pélagiens, ils avaient été surpris de la doctrine intransigeante qu’il y enseignait. L’apparition du De correptione et gratia, plus formel encore que les autres, vint mettre le comble à cette surprise. Tant et si bien que l’enseignement de l’évêque d’Hippone fut réfuté par beaucoup contraire au sentiment et à la tradition de l’Eglise, tandis que les fidèles partisans d’Augustin eux-mêmes, troublés par la crainte, modifiaient leur avis ou n’osaient plus s’exprimer publiquement. Cependant, quelques-uns, plus avertis, comprirent qu’une telle attitude ouvrait la voie au pélagianisme. De ce nombre furent Prosper et Hilaire qui se mirent en devoir en devoir de renseigner Augustin. Prosper lui fait savoir ce que professent les Marseillais : la croyance au péché d’Adam et la nécessité de la régénération par la grâce de Dieu. La rédemption proposée à tous par la volonté d’accéder à la foi et au baptême : ut quicumque ad fidem ad baptismum accedere voluerint salvi esse possint. Epist., CCXXV, 3, t. XXXIII, col. 1003. Dieu connaît de toute éternité ceux qui croiront et persévéreront dans leur foi, au secours de laquelle sera venue la grâce. Sont l’objet de la prédestination à la gloire ceux qui, rappelés sans aucun mérite de leur part, se seront rendus dignes d’être choisis et auront heureusement terminé cette vie. La vie éternelle est la récompense d’un généreux vouloir. La doctrine du décret divin, base d’une élection ab æterno, regorge de funestes conséquences, et une telle notion de la prédestination conduit au fatalisme ou brise l’unité de la nature humaine. En résumé, les moines de Marseille n’ont retenu que les objections qu’Augustin s’étaient faites dans le De correptione et gratia et dans ses livres contre Julien d’Éclane, objections qu’il avait cependant réduites à néant. Ibid.

Leur oppose-t-on les affirmations les plus claires d’Augustin, étayées sur d’innombrables témoignages de l’Ecriture ? Ils s’obstinent, arguant de la tradition. Invoque-t-on la doctrine de saint Paul ? Ils assurent que jamais personne ne lui a donné un pareil sens. Bien mieux, si on leur demande le sens qu’eux-mêmes lui donnent, ils avouent n’en trouver aucun à leur convenance et exigent que l’on fasse le silence sur des choses dont la profondeur est inaccessible à qui que ce soit.

Quelques-uns d’entre eux sont fortement suspects de pélagianisme et, pour avoir l’air de sauver la notion de la grâce, ils la confondent avec la liberté et la dignité de créature raisonnable, en vertu desquelles, capable de distinguer le bien du mal, l’homme peut plier sa volonté aux commandements divins et, par ses propres moyens, parvenir à la grâce de la régénération. Ils comprennent à leur façon la bonté et la justice de Dieu qui se traduisent par une volonté salvifique universelle indifférente : indifferenter universos velit salvos fieri et in agnitionem veritatis venire, réclament pour la liberté humaine, au nom de l’Ecriture, une indépendance absolue, l’initiative dans le discernement des fidèles d’avec les prévaricateurs, une aptitude égale vis-à-vis du bien et vis-à-vis du mal. Enfin, à l’objection tirée, contre leur système, du sort inégal des petits enfants, également incapables cependant d’un choix libre, ils opposent la prévision des mérites futuribles : tales, aiunt, perdi, talesque salvari, quales scientia divina præviderit, et ils expliquent par elle la volonté salvifique universelle dont il est parlé dans I Tim., II, 4. La vie éternelle est réservée par Dieu à tous indistinctement, c’est le libre arbitre d’un chacun qui en conditionne la possession. En un mot, du moins chez les adultes, l’initiative dans l’œuvre du salut revient non à celui qui sauve, mais à celui qui est sauvé et la volonté de l’homme se ménage le secours de la grâce au lieu que la grâce s’assujettisse la volonté : Et voluntas hominis divinæ gratiæ sibi pariat opem, non gratia sibi humanam subjiciat voluntatem. Ibid.

Telle est donc la doctrine qui motivait le recours de Prosper à Augustin. Hilaire de Marseille intervint à son tour dans le même sens et en mettant davantage encore en relief les griefs que les semi-pélagiens nourrissaient contre l’enseignement du saint évêque. Il fait remarquer à celui-ci que ses adversaires s’autorisent de ses premiers écrits, Epist., CCXXVI, 3, t. XXXIII, col. 1008, qu’ils dénaturent la prescience, la prédestination et le décret divin en changeant leur véritable objet, qu’ils se refusent à appliquer le quid habes quod non accepisti à la foi, demeurée selon eux au pouvoir, bien qu’affaibli, de la nature déchue. Le don de persévérance est conditionné par la liberté de l’homme, encore qu’ils réduisent autant que possible ce conditionnement qui consiste à vouloir ou ne pas vouloir accepter le remède : Quod ad hoc tantum liberum asserunt, ut velit vel nolit admittere medicinam. Comme ils ne veulent pas entendre parler d’une persévérance qui ne puisse ni se mériter par la prière, ni se perdre par l’endurcissement, ainsi font-ils difficulté de s’abandonner à ce qu’ils affectent d’appeler le caprice divin, tandis qu’ils ont l’évidence de l’initiative qui revient à leur volonté. Qu’ont-ils à faire des témoignages scripturaires apportés par Augustin ? Ils ne sont pas canoniques : Illud etiam testimonium quod pouisti : « Raptus est ne mailitia mutaret intellectum ejus » (Sap., IV, 11). Tanquam non canonicum definiunt omittendum. Dans le De correptione et gratia, pour résoudre le cas posé par la non-persévérance d’Adam, Augustin a développé sa doctrine sur l’auxilium sine quo et l’auxilium quo ; rétorquant cette doctrine avec quelque subtilité, ils proposent une façon toute différente de comprendre ces deux grâces. Différemment aussi expliquent-ils la volonté salvifique universelle de Dieu, mais en la réduisant au rôle de volonté souvent inefficace, de simple velléité, de désir vague et résigné : quomodo, aiuni, non vult a quoquam peccari vel deseri justitiam, et tamen jugiter illa deseritur contra ejus voluntatem, committunturque peccata, ita eum salvari velle omnes homines, nec tamen homines salvari.

b. La réponse d’Augustin. – Augustin ne pouvait pas ne pas agréer ces avertissements, suivis des plus instantes prières. Il était occupé, vraisemblablement, au long travail de ses Rétractations, mais il ne différa pas longtemps sa réponse. Dès 428, paraissait, à l’adresse de Prosper et d’Hilaire, le De prædestinatione sanctorum, en deux livres, dont le second, à cause même de la question traitée, ne tarda pas à être considéré comme distinct du premier et connu sous le titre de De bono, seu dono perseverantiæ. Le saint évêque y enseigne la gratuité totale de la prédestination, y compris celle de l’initium fidei. Il ne disconvient pas d’avoir eu sur ce point, avant son épiscopat, des idées erronées. Il affirme l’efficacité de la grâce, le mystère de l’élection, met au point les interprétations tendancieuses qu’on a faites de certains passages de ses livres. Il expose les rapports de la prescience et de la prédestination. L’argument que lui fournit le sort des petits enfants revient plusieurs fois sous sa plume. Enfin, il fait appel à l’exemple de la prédestination du Christ, comme étant la plus merveilleuse concrétisation de sa doctrine, et s’étend longuement sur le don de la persévérance qui réalise et couronne déjà sur la terre la prédestination des élus.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:24

Augustin répondait ainsi, fort pertinemment, aux difficultés des moines de Marseille, victimes d’une commission plus ou moins consciente avec l’erreur pélagienne. Pour se séparer de celle-ci, ils admettaient le rôle prévenant de la grâce, mais en discutant sa souveraine efficacité : A pelagianorum porro hæretica perversitate tanatum isti remoti sunt, propter quos hæc agimus, ut, licet nondum velint fateri prædestinatos esse qui per Dei gratiam fiant obedientes atque permaneant, jam tamen fateantur quod eorum præveniat voluntatem quibus datur hæc gratia. De dono pers., XVI, 41, t. XLV, col. 1018. D’autre part, ils rejetaient cette erreur avec tant de mollesse qu’elle inspirait encore leur argumentation (comme dans leur façon de résoudre le cas des petits enfants), et imprégnait leurs croyances. XIV, 31, col. 1011. Ils protestaient bien de leur parfait accord avec la doctrine d’Augustin, et en regrettaient d’autant plus leurs récents dissentiments, mais Augustin avait de la peine à comprendre. Depuis plusieurs années, n’enseigne-t-il pas la même chose ? Ne se sont-ils pas référés à ses ouvrages à Simplicien, à Paulin, au prêtre Sixte, que leur déplaisir ait commencé si tard ? XXI, 55, col. 1027.

f) Les « Rétractations » et l’ouvrage contre Julien d’Éclane. – Aux ouvrages qu’Augustin écrivit dans les quatre dernières années de sa vie, il convient d’ajouter le c. IX du l. I des Rétractations. Y révisant ses trois livres du De libero arbitrio, il précise heureusement sa notion de la liberté humaine et en revendique les droits. Enfin, dans les l., III et VI de son Opus imperfectum contra Julianum, il défend mot pour mot, contre les attaques verbeuses et insolentes de Julien d’Éclane, les points divers de cette doctrine sur la prédestination. L’ouvrage contre Julien demeura inachevé, comme on sait, en 430.

D’ailleurs, en dehors de ces traités, les ouvrages antérieurs ne lassent pas d’être précieux, même pour une étude particulière de la prédestination, car le saint docteur, dans une atmosphère de sérénité doctrinale parfaite, affranchi des préoccupations qui se retrouvent toujours dans les écrits de controverse, y formule déjà des principes qui sont comme l’infrastructure de son enseignement et qu’il ne rétractera jamais.

2. Etat de la question du point de vue doctrinal. – Par l’exposé qui précède, on a déjà pu voir et les difficultés qui se présentaient à Augustin, successivement et de divers côtés, et aussi dans quel sens il entendait les résoudre.

En face de lui, Augustin rencontrait un ensemble d’idées qui prenaient l’aspect d’un corps de doctrines. En faisant intervenir, pour plus de clarté, la distinction, aujourd’hui si familière et clarifiante, des deux ordres d’intention et d’exécution, on peut le ramener aux points suivants : Dans l’ordre d’exécution, ce principe : indépendance absolue de la liberté humaine, et comme conséquences : 1. initiative de l’homme à l’égard de la foi ; 2. indifférence de l’homme à l’égard du don de persévérance. – Dans l’ordre d’intention, ce principe : indétermination foncière de l’élection divine et négation d’un discernement ab æterno ; et comme conséquences : c’est la prescience des mérites futurs ou futuribles qui règle le décret divin. Corollaire : la grâce est prévenante à cause de la prescience ainsi entendue, mais c’est le concours de la volonté qui assure son efficacité.

N’est-ce pas le principe d’une indépendance absolue à revendiquer pour la liberté humaine qui fait, au dire de Prosper, regimber les moines de Marseille contre la pensée d’être abandonnés aux caprices divins : Ne ad incertum voluntatis Dei deduci se volunt. Epist., CCXXVI, 4, t. XXXIII, col. 1009. C’est au nom du même principe que Julien d’Éclane réclame pour la liberté le pouvoir de rendre stériles les secours de la grâce, qu’il prétend être nécessitante, dans la doctrine d’Augustin. Op. imp. contra Jul., III, CXX, t. XLV, col. 1299. Nous avons vu comment les semi-pélagiens limitaient la portée du quid habes quod non accepisti, à seule fin de réserver l’initiative humaine à l’égard de la foi, allant jusqu’à faire de celle-ci une prérogative essentielle à la nature, que la déchéance de la justice originelle n’a pu qu’amoindrir. En outre, pour affirmer l’indifférence radicale de l’homme à l’égard du don de persévérance, que son acceptation conditionne, ils vont jusqu’à en donner une notion contradictoire, ce qu’Augustin souligne à plaisir : Nolunt, ut scribitis, isti fratres ita hanc perseverantiam prædicari, ut non vel suppliciter emereri, vel amitti contumaciter possit. Ubi qui dicant parum attendunt. De illa enim perseverantia loquimur quæ si data est, perseveratum est usque in finem, si autem non est perseveratum usque in finem, non est data. De dono pers., VI, 10, t. XLV, col. 999.

Quant à l’indétermination de l’élection divine dans l’ordre d’intention, elle inspire leur exégèse, leur prédication, leur argumentation. Il n’est que de se rappeler comment ils entendent le passage de I Tim., II, 4, sur la volonté salvifique universelle de Dieu, qui n’est inefficace que parce qu’elle se révèle telle, dans la vocatio secundum propositum. Il n’est que de se rappeler encore l’objection à laquelle Augustin répondit par le De correptione et gratia, et que les moines d’Hadrumète fondaient sur les prétendus inconvénients de prêcher l’élection ab æterno. Enfin, c’est à l’appui du même principe que les moines de Marseille se prévalaient des premiers ouvrages d’Augustin, où celui-ci, luttant alors contre les manichéens, avait, de son propre aveu, moins étudié la vocatio secundum propositum.

C’est pour donner, néanmoins, une raison de ce propositum, du décret divin, qu’ils mettaient en avant leur conception de la prescience par laquelle, selon eux, le décret divin est réglé. L’objet de cette prescience, très logiquement dans leur système, n’est autre que l’initiative des hommes à l’égard de la foi : Illam præscientiam sic accipiunt ut propter fidem futuram intelligendi sint præsciti. Epist., CCXXVI, 4, t. XXXIII, col. 1009. Que si l’initiative est impossible, comme il arrive aux petits enfants, la prescience des mérites devient, comme nous l’avons vu, la prescience des mérites futuribles, et la difficulté est tournée avec élégance, sinon sans absurdité.

Il est indéniable que le système dit semi-pélagien est soucieux de sauvegarder le rôle prévenant de la grâce. Dieu appelle à la foi ceux qui accepteront cette foi, comme il offre le don de la persévérance, dont l’homme sera libre de faire ce que bon lui semble. Mais le caractère gratuit de la grâce, qui cependant lui est essentiel, alioquin gratia non est gratia, est étrangement compromis, le mérite de la liberté humaine, dans ses initiatives, entrant en ligne de compte. Et quant à l’efficacité de la dite grâce, il n’en est même pas question, tenue en échec qu’elle est par cette même liberté qui est au-dessus de tous les secours.

Par où l’on voit la tâche qui restait à Augustin en face d’une pareille doctrine, glorificatrice de la liberté humaine, et à laquelle il ne pouvait qu’opposer une doctrine exaltant la puissance de la grâce de Dieu. Il lui fallait, avant tout, défendre, voire même venger celle-ci. De là l’aspect unilatéral que délibérément il donna à son enseignement dans ses dernières années. Sans doute, des considérations étrangères à la gratuité de la grâce eussent heureusement complété pour nous sa pensée sur la prédestination, mais les circonstances ne les motivèrent pas. C’est à ses lecteurs d’à travers les siècles qu’il laissa le soin de faire la synthèse de toutes ses données.

3. Etat de la question du point de vue moral. – Il a son importance. D’une part, les objections d’ordre moral qui s’élevèrent contre l’exposé augustinien mettaient en pleine lumière la pensée adverse et, d’autre part, Augustin était amené, pour les réfuter, à descendre dans le détail de ses propres conceptions. Nous résumerons cependant ces objections en les ramenant aux suivantes :

a) La doctrine de l’élection ou de la vocatio secundum propositum, c’est-à-dire en vertu d’un décret antécédent, stérilise d’avance et décourage tout ascétisme. Epist., CCXXV, 3, t. XXXIII, col. 1003. C’est la porte ouverte à la tiédeur et aux pires habitudes.

b) L’efficacité de cette vocation rend vaines et superflues toute prédication et exhortation morales. De corr. et grat., II, 3, t. XLIV, col. 917-918. Seule la prière garde quelque raison d’être. Ibid., IV, 6, col. 919.

c) La gratuité absolue de la grâce légitime toutes les protestations et tous les murmures de la part du pécheur qui ne l’a point reçue. Ibid.

d) Pour tout dire, les inconvénients de la doctrine augustinienne sont tels que, fût-elle vraie, il ne faudrait pas la prêcher aux fidèles, mais la tenir comme strictement ésotérique. De dono pers., XX, 51, t. XLV, col. 1025.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:24

Notons que Prosper et Hilaire, Prosper surtout, avec une précision et une compétence surprenantes chez ce « simple laïque qui se piquait de théologie », avaient indiqué à l’évêque d’Hippone le sens dans lequel celui-ci devait exposer sa réfutation du système semi-pélagien. Ils lui demandaient en effet de montrer : le danger que cette doctrine faisait courir à la foi chrétienne ; comment la grâce divine préopérante et coopérante ne gêne aucunement l’exercice du libre arbitre ; les relations aussi de la prescience et du décret divin. Epist., CCXXV, 8, t. XXXIII, col. 1006.

Et Prosper avance trois hypothèses :

a. La prescience est-elle réglée par le décret divin, de telle sorte que l’objet de celui-ci soit également l’objet de celle-là ? Utrum præscientia Dei ita secundum propositum maneat, ut ea ipsa quæ sunt proposita snt accipienda præscita ? – b. Ou bien, en admettant une diversité dans la vocation divine, le décret seul a-t-il pour objet le salut de ceux qui sont sauvés sans rien faire pour cela (et Prosper pense sans doute aux petits enfants qui reçoivent le baptême avant de mourir), tandis que, pour ceux qui sont capables de bonnes œuvres, le décret serait consécutif à la prescience ? An per genera causarum et species personarum ista varientut ; ut quia diversæ vocationes, in his qui nihil operaturi salvantur, quasi solum Dei propositum videatur existere ; in his vero qui aliquid boni acturi sunt per præscientiam possit stare propositum. – c. Ou bien, sans admettre de diversité dans la vocation, et encore qu’on ne puisse parler de priorité temporelle, la prescience n’est-elle pas logiquement postérieure au décret, et comme rien ne se fait que la science divine n’ait à l’avance connu, rien de bien ne vient-il en notre participation qui n’ait eu Dieu pour cause ? An vero uniformiter, licet dividi præscientia a proposito temporali distinctione non possit, præscientia tamen quodam ordine sit subnixa proposito ; et sicut nihil sit quorumcumque negotiorum, quod non scientia divina prævenerit, ita nihil sit boni, quod in nostram participationem non Deo auctore defluxerit.

Restait enfin à montrer comment la prédication de l’efficacité du décret divin qui prédestine infailliblement à la gloire n’empêche pas la correction des pécheurs, ni ne favorise le relâchement et, en dernier lieu, comment répondre à ceux qui affectent de s’autoriser d’une tradition soi-disant unanime, pour s’arrêter à l’opinion qui fait de la prescience la règle du décret et de la prédestination, en sorte que le choix divin s’explique par la fin prévue d’un chacun et par la manière, à l’avance connue, dont le secours de la grâce est accepté et utilisé.

Questions précises, s’il en fut, qui nous font instinctivement nous montrer si de nouvelles données ont été ajoutées depuis à cet important problème. Dans tous les cas, après un si judicieux « état de la question », la solution fournie par saint Augustin est à présumer comme fort pertinente.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:24

II. LE MYSTERE. – Le dogme de la prédestination comporte, comme on sait, une large part de mystère qu’Augustin, nous l’avons déjà dit, était loin d’amoindrir. Mais chaque doctrine relative à ce sujet délimitant cette part en fonction d’elle-même, il importe de déterminer sur ce point la pensée du saint docteur.

1° Le point précis du mystère de la prédestination ne se trouve pas, selon Augustin, dans la difficulté de concilier l’action divine et la liberté humaine. – Il est certain que cette conciliation de l’action divine et de l’activité libre de l’homme ne laisse pas d’être mystérieuse. Mais l’on se rappelle que les semi-pélagiens supprimaient pratiquement tout mystère dans la prédestination : celui de la conciliation des deux activités divine et humaine par les faux dogmes de l’inefficacité de la grâce et de l’indépendance absolue de la liberté créée ; celui de l’élection divine, par leur théorie de prescience des mérites futurs ou futuribles.

Des systèmes plus récents qui, eux, voient le mystère principalement dans la coopération de la grâce et de la liberté humaine, ont parfois prétendu se réclamer d’Augustin. C’est bien à tort selon nous, car la question de la conciliation de l’action divine et de la liberté humaine ,e fait aucune difficulté, du point de vue de la prédestination, dans les écrits de l’évêque d’Hippone. Pour celui-ci, cette conciliation est suffisamment établie par la transcendance de l’action divine d’une part et la subordination de l’activité humaine d’autre part.

2° Transcendance de l’action divine. – Elle est hors de doute pour Augustin.

Seul, le bon plaisir de Dieu peut assigner une limite à cette action, même lorsqu’elle s’exerce sur le théâtre particulièrement délicat des cœurs humains : sine dubio habens humanorum cordium quo placeret inclinandorum omnipotentissimam voluntatem. De corr. et grat., XIV, 45, t. XLIV, col. 943. Le saint docteur précise lui-même le champ, la matière circa quam, de cette action qui n’est autre que la volonté libre de l’homme. Après avoir, en effet, rapporté dans le même but de nombreux textes de l’Ecriture, il conclut : his et talibus testimoniis divinorum eloquiorum satis quantum existimo manifestatur, operari Deum in cordibus hominum ad inclinandas eorum voluntates quocumque voluerit, sive ad bona pro sua misericordia sive ad mala pro meritis eorum. De grat. et lib. arb., XXI, 43, t. XLIV, col. 909.

Il est encore plus formel lorsque, pour expliquer cette action transcendante, à laquelle de toute évidence l’action libre de l’homme ne saurait faire échec, il en appelle à la puissance créatrice de Dieu s’exerçant dans le passé et dans le futur, dominant tous les temps et tous les lieux : Non est itaque dubitandum, voluntati Dei qui in cælo et in terra, omnia quæcumque voluit fecit et qui etiam illa quæ futura sunt fecit, humanas voluntates non posse resistere, quominus faciat ipse quod vult : quando quidem etiam de ipsis hominus voluntatibus quod vult, cum vult facit. De corr. et grat., XIV, 45, t. XLIV, col. 943. Comment la volonté de l’homme pourrait-elle gêner de quelque manière l’action de Dieu, puisque de cette volonté même il se joue littéralement : quod vult, cum vult, facit. Comment pourrait-elle effectivement résister à la volonté efficace de celui qui est son maître, beaucoup plus qu’elle n’est maîtresse d’elle-même : Deus magis habet in potestate voluntates hominum quam ipsi suas. Ibid., col. 944.

Et saint Augustin va plus loin encore, s’il se peut, lorsqu’il considère la façon de concilier ensemble le mérite de l’homme, fruit de sa liberté, avec le caractère gratuit de ce qui, cependant, le récompense, la vie éternelle. Il indique de quel côté chercher la solution : du côté de la souveraine efficacité de l’action divine. C’est d’elle que proviennent nos œuvres bonnes, du moins en tant que bonnes et fondant le mérite. Dieu, dit-il, nous donne de faire des œuvres bonnes, afin que, les faisant, nous méritions la vie éternelle, qui est donnée au même titre que ces œuvres, bien qu’elle les récompense. La bonté de Dieu accomplit ce prodige de se manifester jusque dans la justice d’une récompense.

Mais comment Dieu nous donne-t-il de faire des œuvres bonnes ? Est-ce par une invitation du dehors, une attirance, si l’on veut, invincible ? Est-ce en nous prêtant un concours plus ou moins indifférent ? Non. C’est par une action intime dont l’efficience est si profonde qu’elle est comparable à la création même de notre âme et de notre volonté libre. Ce sont là les propres termes d’Augustin, commentant ce mot de Paul : Ipsius enim sumus figmentum, creati in Christo Jesu in operibus bonis, quæ præparavit Deus ut in illis ambulemus. Eph., II, 10. Reprenant un peu plus haut la pensée de l’apôtre, au v. 8, il écrit : Audi et intellige, non ex operibus dictum (salvati estis per fidem) tantam tuis ex te ipso existentibus, sed tanquam his in quibus te Deux finxit, id est formavit et creavit. Hoc enim ait : « Ipsius sumus, figmentum, creati in Christo Jesu in operibus bonis », non illa creatione qua homines facti sumus, sed ea de qua dicit Apostolus : « Si qua igitur in Christo nova creatura, vetera transierunt ; ecce facta sunt nova : omnia autem ex Deo » (II Cor., V, 17, 18). Fingimur ergo, id est formamur et creamur in operibus bonis quæ non præparavimus nos, sed præparavit Deus ut in illis ambulemus. De grat. et lib. arb., VIII, 20, t. XLIV, col. 893.

Certes, saint Augustin veut écarter la confusion des deux ordres naturel et surnaturel (non ille creatione qua homines facti sumus) que pourrait provoquer le même mot de « création » appliqué à chacun d’eux, mais, cette précaution prise, il entend bien la préparation par Dieu de notre activité surnaturelle comme une des actions les plus profondes, à la manière de la création. Est-il possible d’exalter davantage l’action divine au-dessus de l’action humaine ? Et si l’on songe qu’Augustin n’est nullement, ici, préoccupé d’établir l’infaillibilité du résultat, mais seulement qu’il considère que l’homme devient, sous l’action de Dieu, un bon ouvrier de son propre salut, bien méritant de la vie éternelle, quelle présomption en faveur de son enseignement !

Il pourra donc, en contractant une parole semblable de Paul, formuler le principe suivant : Ipsa bona opera ille in bonis operantur, de quo dictum est : « Deus est enim qui operatur in nobis et velle et operari, pro bona voluntate. » Ibid., IX, 21, t. XLIV, col. 893.

Que devient cependant le libre arbitre ? C’est Augustin lui-même qui pose la question, car il est le premier à se rendre compte de tout ce qu’a d’absolu le principe qu’il vient d’énoncer. Et il répond non pas en concluant au mystère, qui, pour lui, se trouve ailleurs, mais en affirmant que le libre arbitre reste intact. Il en donne comme preuve l’Ecriture et les préceptes divins qu’elle renferme et qui supposent la liberté chez l’homme de les enfreindre ou de les observer : Non enim quia dixit : « Deus est enim qui operatur in nobis velle et operari pro bona voluntate », ideo liberum arbitrium abstulisse putandus est. Quod si ita esset, non superius dixisset : « Cum timore et tremore vestram ipsorum salutem operamini » (Phil., II, 13). Quando enim jubetur ut operantur, liberum eorum convenitur arbitrium. Ibid., col. 894.

3° Subordination de l’activité humaine. – Corrélativement à la transcendance divine, Augustin enseigne la subordination de l’activité humaine. Le même argument tiré des préceptes l’y invite : Hæc imperat Deus quæ fieri possunt : sed ipse dedit ut faciant, eis qui facere possunt et faciunt ; et eos qui non possunt, imperando admonet a se poscere ut possint. Op. imp. contra Jul., II, CXVI, t. XLV, col. 1297. Par où l’on voit que cette subordination conditionne non seulement l’action, mais jusqu’aux possibilités de l’action : eos qui non possunt… ut possint. C’est donc une subordination radicale. Le « faire » et le « pouvoir faire » nous viennent de Dieu.

Ce qui, du reste, ne nous réduit pas à un rôle de passivité : Ideo hæc (i. e. credere et facta carnis mortificare) et nobis præcipiuntur et dona Dei esse monstrantur, ut intelligatur quod et nos ea facimus et Deus facit ut illa faciamus, sicut per prophetam Ezechielem apertissime dicit. Quid enim apertius quam ubi dicit : « Ego faciam ut faciatis » (Ez., XXXVI, 27). De præd. sanct., XI, 22, t. XLIV, col. 976. Et cependant, si Deus facit ut faciamus, il s’agit d’une subordination essentielle. C’est un enchaînement de causalités per se dans lequel l’homme tient de Dieu toute sa raison d’agent libre. Augustin se plaît à le répéter : Apertissime Deus dicit eos bona esse facturos. C’est donc bien l’action de l’homme qui s’exerce : Sed se faciente ut ea faciant ; ait quippe inter cætera : « Et faciam ut in justificationibus meis ambuletis et judicia mea observetis et facietis » (Ez., XXXVI, 27). Op. contra Jul., I, CXXXIII, t. XLV, col. 1133, mais en dépendance absolue de l’action divine. Contra duas epist. Pelag., IV, VI, 15, t. XLIV, col. 620.

Doctrine qui trouve toute son application dans la prédestination : Ideo utrumque verum est et quia Deus præparat vasa in gloriam et quia ipsa se præparant. Ut enim faciat homo, Deus facit ; quia ut diligat homo, Deus prior diligit. Ineffable principe sur lequel saint Thomas étaiera un jour son profond traité de la charité.

4° Le point précis du mystère se trouve, selon Augustin, dans l’impossibilité pour l’homme de trouver des raisons du choix divin. – C’est là une de ses affirmations les plus familières. C’est à cette impossibilité qu’il accule ses contradicteurs. C’est d’elle qu’il s’autorise pour justifier l’insuffisance de ses explications. C’est elle enfin qui garantit sa propre fidélité à la doctrine de saint Paul. Et c’est pourquoi, sans doute, il l’a considérée à tant de points de vue.

Il en parle, lorsqu’il traite du mystère selon l’ordre de la prédestination éternelle : Cur autem istum potius quam illum liberet, « incrustabilia sunt judicia ejus et investigabiles viæ ejus » (Rom., XI, 33). Melius enim et hic audimus aut dicimus : « O homo tu quis es qui respondeas Deo » (Rom., IX, 20), quam dicere audemus, quasi noverimusn quod occultum esse voluit, qui tamen aliquid injustum velle non potuit. De præd. sanct., VIII, 16, t. XLIV, col. 972, 973. C’est pour lui comme un refrain qu’il ne lui coûte pas de répéter : Sed quare illos potiusquam illos ? Iterum atque iterum dicimus, nec nos piget : « O homo tu quis es qui respondeas Deo »… Et hoc adjiciamus. « Altiora te ne quæsieris, et fortiora te ne scrutatus fueris. » (Eccl., III, 22). De dono pers., XII, 30, t. XLV, col. 1011. Chercher des raisons du choix divin n’est donc, à ses yeux, qu’orgueil et présomption. Et notons qu’Augustin n’avait pas attendu les difficultés semi-pélagiennes pour s’exprimer de la sorte. Qu’on se réfère au De peccatorum meritis et remissione, t. XLIV, col. 125, à l’Epistola CLXXXVI, 23 et 24, t. XXXIII, col. 824, à son ouvrage Contra duas epist. Pelag., IV, VI, 16, t. XLIV, col. 620 et 621 : c’est toujours la même doctrine respectueuse des secrets jugements de Dieu.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:25

Dans l’ordre de la réalisation temporelle, le saint docteur est plus explicite encore, s’il se peut. Le mystère du choix divin est longuement exposé dans le De div. quæst. ad Simpl., à l’occasion du texte de l’Apôtre : cujus vult miseretur et quem vult obdurat. C’est là, dit-il, le fait d’une secrète équité impénétrable à la faiblesse humaine : esse alicujus occultæ atque ab humano modulo investigabilis æquitatis. I, XVI, t. XL, col. 120. Plus loin, il dénonce l’arrogance qu’il y aurait pour les débiteurs que nous sommes à examiner la gestion de Dieu : a quibus autem exigendum et quibus donandum sit, superbe judicant debitores. Ibid., col. 121.

Selon lui, deux choses mettent particulièrement en relief ce même mystère : la collation du don de persévérance et le sort inégal des petits enfants. Qu’avons-nous à nous étonner, dit-il, de l’impénétrabilité des voies divines ? Il y a bien des choses, soit intimes comme la santé, le talent, soit extérieures comme la fortune, les honneurs, dont la répartition relève de Dieu seul. Mais occupons-nous seulement de ceux qui, ayant d’abord bien vécu, meurent dans l’impénitence finale : De his enim disserimus, qui perseverantiam bonitatis non habet, sed ex bono in malum, deficiente bona voluntate, moriuntur. De corr. et grat., VIII, 19, t. XLIV, col. 927. Eh bien, ceux-ci posent déjà un mystère auquel il est impossible de répondre. Pourquoi, en effet, tandis qu’ils vivaient dans le bien, Dieu ne les a-t-il pas soustrait aux périls de l’existence, prévenant ainsi leur chute ? Il le pouvait, et il savait qu’ils feraient le mal. La preuve, c’est que l’Ecriture affirme qu’il l’a fait pour certains : Raptus est ne malitia mutaret intellectum ejus (Sap., IV, 11). Cur ego hoc tam magnum beneficium aliis dat, aliis non dat Deus, apud quem non est iniquitas, nec acceptio personarum et n cujus potestate est quamdiu quisque in hac vita maneat, quæ tentatio dicta est super terram ? Ibid. Même pensée ailleurs : De præd. sanct., XIV, 26, t. XLIV, col. 980. Il ne reste à Augustin que d’avouer son ignorance : me ignorare respondeo. De corr. et grat., VIII, 17, t. XLIV, col. 926.

Mais, enseigne le saint docteur, ce qui est plus déconcertant encore – sed etiam illud non minus mirum est et tamen verum, atque ita manifestum, ut nec ipsi inimici gratiæ Dei quomodo id negent valeant invenire (ibid.) – c’est que Dieu écarte de son royaume les enfants de ses amis, c’est-à-dire des fidèles et des régénérés, en les laissant mourir sans le baptême, tandis qu’il y introduit, en les faisant venir entre les mains des chrétiens qui les baptisent, des enfants dont les parents sont proscrits. Et cependant, lui qui peut tout, pouvait, s’il l’avait voulu, procurer aux premiers la grâce de la régénération : Certe hic judicia Dei quoniam justa et alta sunt, nec vituperari possunt, nec penetrari… ergo exclamemus : « O altitudo sapientiæ et scientiæ Deio : quam inscrutabilia sunt judicia eus. » Ibid.

Est-il besoin de faire appel aux familles de fidèles et d’infidèles, à la diversité qu’on rencontre dans un seul et même foyer, puisque le mystère du choix divin de vérifie encore dans le cas de frères jumeaux ? De dono pers., VIII, 17, t. XLV, col. 1002. Augustin ne trouve d’autre réponse que celle, au moins aussi mystérieuse, de la rétribution égale des ouvriers de la vigne évangélique, inégalement méritants. Une chose est sûre, l’absence de toute injustice : Itta quippe ejus [Domini] erga alios fuit largitas, ut erga alios nulla esset iniquitas. Ibid. Ainsi, tout le long de la réalisation des divins décrets, tant lors de la vocation qu’à l’heure de la persévérance finale, chez les petits enfants comme chez les adultes, chez les impies comme chez les justes, c’est le mystère de la prédilection divine toujours grandissant : Ex duobus itaque parvulis, originali peccato pariter obstrictis, cur iste assumatur, ille relinquatur ; et ex duobus ætate jam grandibus impiis, cur iste ita vocetur ut vocantem sequatur, ille autem aut non vocetur, aut non ita vocetur, inscrutabilia sunt judicia Dei. Ex duobus autem piis, cur huic donetur perseverantia usque in finem, illi non donetur, inscrutabiliora sunt judicia Dei. Illud tamen debet fidelibus esse certissimum, hunc esse ex prædestinatis, illum non esse. Ibid., col. 1004.

Et cependant, Augustin, loin de tenter une explication de ce mystère, ou seulement de le restreindre, l’intensifie plutôt et l’élargit. Ce n’est pas lui qui mettra en avant, pour l’éclairer, les diverses modalités que peut revêtir la vocation en s’adaptant à chaque cas particulier : Sed quare isti sic, illi aliter atque alii aliter diversis et innumerabilibus modis vocentur et reformentur, absit ut dicamus judicium luti esse debere sed figuli. De corr. et grat., V, 8, t. XLIV, col. 920.

Encore moins recourra-t-il à une prévision quelconque de mérites futurs ou futuribles : « Non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei » (Rom., IX, 16), qui et parvulis quibus vult, etiam non volentibus neque currentibus subvenit… et majoribus, etiam his quos prævidit, si apud eos facta essent, suis miraculis crdeituros, quibus non vult subvenire, non subvenit ; de quibus in sua prædestinatione occulte quidem, sed juste aliud judicavit. De dono pers., XI, 25, t. XLV, col. 1007, puisque cette prévision, quand elle a sa raison d’être, n’influe aucunement sur la liberté du choix divin : Quibus non vult subvenire non subvenit, ni ne modifie la teneur des décrets prédestinants : de quibus in sua prædestinatione… aliud judicavit.

S’ensuit-il, pour autant, que le mystère du choix divin heurte la raison ? Nullement, car il est le triomphe de la justice et de la miséricorde divine : Hominibus dat quibus vult, quoniam et si non det justus est : et non dat quibus non vult, ut notas faciat divitias gloriæ suæ in vasa misericordiæ. De dono pers., XII, 28, t. XLV, col. 1009. La bonté et la justice s’y rencontrent : miseretur bona tribens, obdurat digna retribuens, De præd. sanct., VIII, 14, t. XLIV, col. 971, mais en dernière analyse, et tout compte fait, c’est un mystère de bonté : bona pro malis, car, dit Augustin : Reddet omnino Deus et mala pro malis, quoniam justus est ; et bona pro malis, quoniam bonus est ; et bona pro nobis quoniam bonus et justus est ; tantummodo mala pro bonis non reddet quoniam injustus non est. Reddet ergo mala pro malis : pœnam pro injustitia ; et reddet bona pro malis : gratiam pro injustitia ; et reddet bona pro nobis : gratiam pro gratia. De grat. et lib. arb., XXXIII, 45, t. XLIV, col. 911. Gratiam pro injustitia : le saint docteur songe au péché originel, qui, ajoutant encore aux droits absolus de Dieu, exalte à sa manière ce mystère de grâce sans que notre raison, instruite par la foi, puisse en être étonnée : Cur autem non omnibus detur (fides inchoata et perfecta) fidelem movere non debet, qui credit ex uno omnes ise in condemnationem sine dubitatione justissimam, ita ut nulla Dei esset justa reprehensio, etiam si nullus inde liberaretur. De præd. sanct., VIII, 16, t. XLIV, col. 972.

5° La considération du mystère ainsi précisé fait conclure à la gratuité de la prédestination. – D’abord à la gratuité de la vocation qui apparaît avec évidence dans le cas des petits enfants. Au prêtre Sixte, Augustin l’avait fait remarquer à plaisir : « Pourquoi donc aucun de ces petits n’entrera-t-il au ciel, pour n’avoir pas reçu le baptême ? Est-ce parce qu’il a eu le malheur de se choisir des parents infidèles ou négligents ? Et si je parle des innombrables cas de morts inopinées, où l’on voit des enfants chrétiens ravis avant le baptême, tandis que ceux de sacrilèges ennemis du Christ, venant, on ne sait comment, entre des mains chrétiennes, sont baptisés avant de mourir, que pourront bien me dire ceux qui soutiennent la nécessité de mérites antécédents, sous prétexte que Dieu ne fait pas acception de personnes ? Quels sont donc, dans ce cas, ces mérites antécédents ? » Epist., CXCIV, 32, t. XXXIII, col. 885. Les mérites des enfants ? Ils n’en ont pas, tirés qu’ils sont également de la masse de perdition. Ceux des parents ? Mais il en serait donc tenu compte à rebours ? Et cependant la providence de Dieu, qui sait le nombre de cheveux de notre tête, qui n’est pas étrangère à la chute d’un passereau, que le hasard ne gêne pas, que l’injustice ne corrompt pas, ne s’intéresse-t-elle pas à tous les enfants de ceux qui sont ses fils, et même à nombre de ceux qui la rejettent avec impiété ? Voilà un enfant, fruit d’une sainte union, dont la venue a été saluée avec allégresse : étouffé pendant le sommeil de sa mère ou de sa nourrice, il ne partagera pas la foi des siens. Cet autre, né d’un sacrilège, exposé sur la voie publique par l’affreuse honte de sa mère, recueillie par la piété des passants et baptisé par leurs soins, devient participant de l’éternel royaume ! Qu’on ose après cela me dire que Dieu, dans la distribution de sa grâce, fait acception de personnes, ou qu’il récompense des mérites antécédents.

Le mystère du choix fait également conclure à la gratuité du don de persévérance, par lequel Dieu réalise la prédestination des adultes : Sicut ergo coguntur fateri, donum Dei esse ut finiat homo vitam istam, antequam ex bono mutetur in malum ; cur autem aliis donetur, aliis non donetur ignorant : ita donum Dei esse in bono perseverantiam… fateantur nobiscum. De corr. et grat., VIII, 19, t. XLIV, col. 927.

Reprenant cette double conclusion, saint Augustin assure qu’on ne peut s’y dérober qu’en recourant à l’absurdité de la prescience des mérites futuribles : Et tamen hoc dicere urgentur, qui non fatentur gratiam Dei non secundum merita nostra dari. Qui autem nolunt dicere, unumquemque mortuorum secundum ea judiciari, quæ Deus illum præscivit acturum fuisse si viveret, intuentes quam manifesta falsitate et quanta absurditate dicatur, non eis remanet cur dicant… gratiam Dei secundum merita nostra dari. De dono pers., XIII, 32, t. XLV, col. 1012.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:25

III. LA PREDESTINATION ETERNELLE. – Nous avons déjà fait allusion au caractère concret de l’enseignement d’Augustin. Lorsqu’il traite de la prédestination, l’évêque d’Hippone a moins que jamais des allures de théoricien. Les circonstances et l’atmosphère de controverse dans lesquelles il a élaboré sa doctrine suffisent à expliquer celle-ci.

Il ne faut donc pas s’étonner que le saint docteur ait rarement séparé, en parlant de prédestination, les deux ordres d’intention et d’exécution qu’il est aujourd’hui classique de distinguer et d’étudier à part. Mais serait-ce altérer sa pensée que de prétendre retrouver dans ses ouvrages et sous des termes équivalents cette distinction à la fois lumineuse et commode ? Nous ne le pensons pas. Le P. F. Cayré, Précis de patrologie, t. I, p. 653, est d’avis que sa doctrine la suppose. C’est en effet une distinction de ce genre qu’Augustin sous-entend lorsqu’il écrit : Hæc enim omnia operatur in eis [ordre d’exécution] qui el elegiteos in Filio suo, ante constitutionem mundi, per electionem gratiæ [ordre d’intention]. De corr. et grat., VII, 13, t. XLIV, col. 924.

Cette élection de grâce dans le Verbe, avant la création du monde, ne se comprend que dans l’ordre, très réel certes, de l’intention, qui est aussi, pour Augustin, l’ordre de la promesse, laquelle porte déjà en elle son accomplissement, comme l’ordre d’intention implique l’ordre d’exécution.

De cet ordre de la promesse, saint Augustin nous dit encore que Dieu l’arrête en toute indépendance : Non de nostræ voluntatis potestate, sed de sua prædestinatione promisit. Promisit enim quod ipse facturus fuerat, non quod homines, De præd. sanct., X, 19, t. XLIV, col. 975, et qu’il est seul à en assurer la réalisation : ipse facit ut illis [homines] faciant quæ præcipit, non illi faciunt ut ipse quod promisit. Ibid.

C’est encore l’ordre d’intention et l’ordre d’exécution qu’il met en corrélation par le discernement de ou l’élection gratuite, d’une part, et la vocation à la foi et à la persévérance, d’autre part : Quicumque ergo ab illa originali damnatione ista divinæ gratiæ largitate discreti sunt, non est dubium quod et procuratur eis audiendum Evangelium, et cum audiunt credunt, et in fide quæ per dilectionem operatur, usque in finem perseverant, De corr. et grat., VII, 13, t. XLIV, col. 924, ou qu’il différencie, sous les noms de prédestination et de grâce. Inter gratiam porro et prædestinationem, hoc tantum interest quod prædestinatio est gratiæ præparatio, gratia vero, jam ipsam donatio. De præd. sanct., X, 19, t. XLIV, col. 974. Mais qu’on remarque bien quelle est la différence : l’une est la réalisation de l’autre : Prædestinatio est gratiæ præparatio, gratia vero, jam ipsam donatio.

D’une façon plus complète encore, Augustin oppose les deux ordres en les distinguant, nettement cette fois : Electi sunt itaque ante mundi constitutionem ea prædestinatione in qua Deus sua futura præscivit : electi sunt autem de mundo ea vocatione, qua Deus id quod prædestinavit implevit. Ibid, XVII, 34, t. XLIV, col. 986. A l’élection qui est, dans sa thèse de la prédestination gratuite, le premier acte de l’ordre d’intention, il oppose la vocation qui est le premier acte de l’ordre d’exécution : à l’expression ante mundi constitutionem, qui fait ressortir l’extratemporalité de l’ordre d’intention, il oppose l’expression de mundo, qui place dans le temps l’ordre d’exécution. Enfin, il souligne leur étroite relation : qua Deus id quod prædestinavit implevit, l’un ne se concevant pas sans l’autre.

On trouverait encore cette distinction nettement sous-entendue dans les passages suivants que nous signalons seulement : De spiritu et littera, XXIV, 39, t. XLIV, col. 224 ; De gestis Pelagii, V, 14, 15, col. 328 et 329 ; De diversis quæstionibus LXXXIII, q. LXVI, 6, t. XL, col. 73 ; Epist., CLXXXVI, 25, t. XXXIII, col. 825 ; Enchiridion, XXX, t. XL, col. 246.

Il serait donc exagéré de la revendiquer, comme certains en furent tentés, pour la seule spéculation médiévale. Celle-ci en a tiré un excellent parti, certes, et en a fixé la terminologie. Mais elle ne l’a aucunement découverte, comme l’a fort bien expliqué le P. Garrigou-Lagrange qui assure que c’est là une distinction « des plus élémentaires, saisie par le sens commun, avant toute culture philosophique ». Angelicum, 1931, p. 43.

Mais il est temps d’analyser cet ordre d’intention que nous appellerons, pour rester davantage dans la façon de parler d’Augustin, l’ordre de la promesse ou, mieux encore, la prédestination éternelle.

1° La prescience divine hors de la prédestination. Son objet. – Dès notre avant-propos, nous laissons apercevoir que l’originalité et le mérite d’Augustin consisteraient, entre autres choses, dans son heureuse façon de déterminer les rapports qui existent entre la prédestination et la prescience, rapports que saint Paul, au dire des meilleurs exégètes, avait laissés dans une certaine indétermination. Considérant, avec l’évêque d’Hippone, la prédestination éternelle, il nous faut examiner la pensée du saint docteur sur cette prescience, avant que d’établir, avec lui, les rapports qu’elle a avec la prédestination.

Pour Augustin, comme pour tout philosophe, la science étant un habitus, spécifié par son objet, c’est la considération des divers objets qu’il assigne à la prescience divine qui nous permettra de caractériser celle-ci. Or Augustin assigne à cette prescience deux objets différents, qui se diversifient comme suit : l’un est étranger à l’économie du salut, plus précisément à la prédestination, l’autre en fait partie intégrante. Il distingue donc deux manifestations de la prescience : la prescience divine hors de la prédestination, la prescience divine dans la prédestination.

Précisons, pour être complet, que cette distinction n’est pas exclusive. Ce n’est pas uniquement à propos de la prédestination, que le saint évêque fait appel à la prescience divine. Dans ses divers ouvrages, il traite souvent de celle-ci. Il aime, entre autres choses, résoudre par elle le problème du mal, ainsi que nous le verrons plus loin : qui creavit omnia bona valde, et mala et bonis exoritura esse præscivit. De corr. et grat., X, 27, t. XLIV, col. 932.

Cependant, lorsqu’il parle prédestination, Augustin est particulièrement explicite au sujet de la prescience. Il distingue une prescience qui concerne les non-prédestinés et une prescience qui a pour objet propre ceux qui sont prédestinés. Occupons-nous uniquement, ici, de la première.

La prescience des non-prédestinés. – Il faut entendre par là les baptisés que Dieu laisse, selon de mystérieux desseins, vivre jusqu’à leur chute, en dépit de sa prescience qui l’avertissait de cette chute prochaine : Ad occulta ergo Dei judicia revocate… illum baptizatum in hac vita relinqui quem præscivit Deus impium futurum. De grat. et lib. arb., XXXIII, 45, t. XLIV, col. 910.

C’est encore de cette prescience que sont l’objet ceux qui, en dépit des apparences, n’ont pas été élus par Dieu d’une élection efficace : Et tamen quis neget eos electos, cum credunt et baptizantur et secundum Deum vivunt ? Plane dicuntur electi a nescientibus quid futuri sint, non ab illo qui eos novit non habere perseverantiam quæ ad beatam vitam perducit, scitque illos ita stare ut præscierit esse casuros. De corr. et grat., VII, 16, t. XLIV, col. 925. La connaissance que Dieu a de leur fidélité présente s’accorde avec celle qu’il a déjà de leur infidélité à venir. Cette prescience est hors de la prédestination, parce que son objet, dans le cas présent, est hors de l’élection : dicuntur electi a nescientibus quid futuri sint.

De ceux qui ne persévèrent pas, Augustin dit enfin : Appellamus ergo nos et electos et Christi discipulos et Dei filios, quia sic appellandi sunt, quos regeneratos pie vivere cernimus… ; si autem perseverantiam non habent, id est, in eo quod cœperunt esse non manent, non vere appellantur quod appellantur et non sunt : apud eum enim hoc non sunt, cui notum est quod futuri sunt, id est, ex bonis mali. Ibid., IX, 22, col. 929. Dieu ne s’y trompe pas. Ne persévérant pas, ils ne sont pas élus : c’est à tort que nous leur donnerions définitivement ce titre ; Dieu, dans sa prescience : cui notum est (au passif) ne les considère pas comme tels.

Nous pouvons donc caractériser ainsi cette sorte de prescience : elle porte sur ceux qui ne sont pas prédestinés. Ils ne sont pas prédestinés, parce qu’ils n’ont pas été l’objet d’une élection efficace, ce que révèle leur non-persévérance. Mais de celle-ci, cette prescience n’est aucunement la cause, même indirectement, nous voulons dire en réglant l’élection. Elle prend acte à l’avance, si l’on peut dire, de ce résultat négatif. Parce qu’elle n’influe pas sur la non-persévérance et conséquemment sur la non-prédestination, parce qu’elle ne s’exerce pas, pour autant, voluntate conjuncta, nous pourrions d’une certaine manière, et par un biais, la considérer comme l’un des cas de ce que nous appelons la simple intelligence. Il suffirait, en tenant compte toutefois de la permission divine du péché, de ramener son objet, plus abstraitement, à celui-ci : la persévérance ou la prédestination possible, en tant que possible. Mais ce serait subtiliser inutilement une doctrine de tendance si concrète. Il suffit qu’on se persuade que la prescience dont nous parlons n’a aucune relation de causalité avec la prédestination, ni celle-ci aucune relation de dépendance avec cette prescience.

2° La prescience divine dans la prédestination. Son objet. – Mais il est une autre sorte de prescience, dont l’objet et le rôle sont totalement différents. Celle-ci, à n’en pas douter, porte sur les prédestinés et opère leur prédestination. Elle s’exerce dans l’ordre d’intention et alors son objet, ce sont les élus, les discernés, ceux qui sont les bénéficiaires du décret divin : Non enim sunt (qui perseverari non sunt) a massa illa perditionis præscientia Dei et prædestinatione discreti, et ideo nec secundum propositum vocati, ac per hoc nec electi. De corr. eT grat., VII, 16, t. XLIV, col. 925 (où l’on remarque qu’Augustin ne sépare pas cette prescience de la prédestination : nous verrons plus loin l’étroitesse de leurs relations).

Son objet se retrouve dans l’ordre d’exécution : Hæc autem omnia, initium scilicet fidei et cetera usque in finem dona sua, Deus largiturum se vocatis suis esse præscivit. De dono pers., XXI, 56, t. XLV, col. 1028. Ce qui revient à dire qu’elle porte sur toute la réalisation de la prédestination, depuis la vocation à la foi, jusqu’à la collation du don de persévérance. Comme nous avons ramené, dans une certaine mesure, la prescience divine hors de la prédestination, à la science de simple intelligence (sans exclure, bien entendu, la permission positive du péché), ainsi pouvons-nous ramener la prescience divine dans la prédestination, à la science dite par les théologiens de vision, son objet étant la prédestination effective comme telle.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:25

Mais nous trouvons encore d’autres précisions sur cette prescience, bien que par voie de négation. Elle n’a aucun rapport avec le mérite des prédestinés : Neque enim propterea eos promisit Abrahæ quia præscivit a se ipsis bonos futuros. De corr. et grat., XII, 36, t. XLIV, col. 938. Parce qu’elle est une prescience, une connaissance anticipée, son objet revêt, pour nous, le caractère du futur, mais il ne saurait s’agir que d’un futur absolu, le futur conditionné étant pour elle comme n’étant pas… Hæc est tota causa cur dictum est, a quocumque sit dictum : « Raptus est ne malitia mutaret intellectum ejus. » Dictum est enim secundum pericula hujus vitæ non secundum præscientiam Dei qui hoc præscivit quod futurum erat, non quod futurum non erat. De præd. sanct., XIV, 26, t. XLIV, col. 979. Pour expliquer ce texte de la Sagesse, que sous prétexte de non-canonicité on lui avait reproché d’alléguer, Augustin écarte la prescience divine entendue au sens semi-pélagien. La prescience divine, qui opère dans la prédestination, a pour objet le futur absolu : Quod futurum erat, non le futur conditionné : non quod futurum non erat, ce que le saint docteur concrétise par ces paroles : id est, quod ei mortem immaturam fuerat largiturus (futur absolu) ut tentationum subtraheretur incerto ; non quod peccaturus esset qui mansurus in tentatione non esset (futur conditionné). Ibid. C’est avec sévérité qu’Augustin s’insurge contre la doctrine contraire qu’il juge absurde : An eo redituri sumus, ut adhuc disputemus quanta absurditate dicatur, judicari homines mortuos etiam de his peccatis quæ præscivit eos Deus perpetraturos fuisse si viverent. De dono pers., IX, 22, t. XLV, col. 1005. Il ne refuse pas à Dieu, cela s’entend, la connaissance de tous les futurs, absolus ou conditionnés. Il écrit : Quæ præscivit et non : quæ præsciret. Mais il s’oppose, au nom du bon sens chrétien ou seulement humain, à l’explication de la prédestination par la prescience des futurs conditionnés : quod ita abhorret a sensibus christianis aut prorsus humanis, ut inde etiam refellere pudeat. Ibid. A quoi bon, explique le zélé pasteur d’Hippone, à quoi bon la prédication laborieuse que l’on fait de l’Evangile, si, par sa prescience, Dieu pouvait présumer, avant qu’il fût prêché, de la docilité ou de l’indocilité des hommes à l’entendre. Et comment expliquer la condamnation de Tyr et de Sidon, puisqu’il n’y avait chez elles aucune trace d’endurcissement et qu’elles se seraient converties, si elles avaient vu les miracles du Christ ?

C’est qu’Augustin avait très bien vu la contradiction (à base d’anthropomorphisme) qui se trouve dans le système pélagien. Elle consiste à vouloir que Dieu prédestinant règle sa conduite sur des considérations purement conditionnelles et hypothétiques qui ne peuvent avoir aucun rapport avec sa prescience éternelle, en tant que celle-ci, pour qui tout est présent, concourt à la prédestination. Ce n’est là qu’une vaine échappatoire, entaché d’une grossière erreur : Hoc ergo si non dicatur, de mortuorum scilicet operibus, quæ facturi fuerant si viverent, bonis aut malis, ac per hoc nullis et in ipsa Dei præscientia non futuris, quod cernitis quanto errore dicatur… Ibid, XII, 31, col. 1011.

En examinant les rapports de la prescience et de la prédestination, nous achèverons de dégager la pensée du saint docteur sur cette prescience et son rôle dans l’économie du salut.

3° La prédestination. Saint Augustin enseigne-t-il la prédestination à la grâce seule ? – Après avoir étudié, selon saint Augustin, la prescience divine dans la prédestination, il nous faudrait, en rigueur de logique, et sans aucune crainte de fausser la pensée du saint docteur, traiter de l’élection divine qui, dans l’ordre d’intention, précède la prédestination proprement dite. Deux considérations nous dissuadent à le faire. La première, c’est l’importance qu’il y a, pour une exacte compréhension de la doctrine d’Augustin, de séparer, chez lui, le moins possible les deux notions de prescience et de prédestination : on ne tardera pas à s’en convaincre. La deuxième, c’est que la prédestination qui est postérieure à l’élection, est celle que les théologiens modernes appelleraient formaliter sumpta. Augustin, lui, parle le plus souvent de la prédestination materialiter sumpta, dans laquelle il englobe les deux ordres d’intention et d’exécution, ou par laquelle il lui arrive d’entendre seulement tel ou tel acte de chacun d’eux. F. Cayré, Précis de patrologie, t. I, p. 672, n. 4. Jusque dans les définitions qu’il nous donne de la prédestination on retrouve cette absence de terminologie formelle. En veut-on un exemple ? Præscire reliquias quas secundum electionem gratiæ fuerat ipse facturus… hoc est prædestinavit ; prædestinasse est hoc præscisse quod fuerat ipse facturus, où l’on voit qu’il définit la prédestination par la prescience. Mais d’après ce texte l’élection ne règle-t-elle pas la prédestination ? Elle la précède donc et saint Augustin n’est pas en désaccord avec saint Thomas qui, lui, enseignera formellement, la priorité (logique, bien entendu) de l’élection sur la prédestination, tout comme dans l’acte humain, l’élection, ou choix des moyens, précède l’imperium, qui commande leur exécution.

Mais comme nous l’avons fait pour la prescience, il nous faut apprendre du saint docteur quel terme il assigne à la prédestination ? Tout mouvement se caractérise par son but, toute action par son objet. Les prédestinés dont il nous parle le sont-ils à la grâce seule ou à la gloire ? On se rappelle l’état de la question. Les semi-pélagiens n’admettaient pas, ne pouvaient admettre, vu leur système, qu’une prédestination à la grâce, et encore à la grâce entendue à leur façon, à la grâce que seule la liberté rend efficace. Augustin les réfute sur ce point, avec une énergie particulière, sachant bien que c’est là, à la fois, le centre et le résumé de leur erreur. Sans le don de persévérance qui, d’après lui (nous le verrons plus loin), réalise la prédestination, celle-ci n’existe pas en dépit de toutes les grâces reçues : Qui vero perseveraturi non sunt, ac sic a fide christiana et conversatione lapsuri sunt, ut tates eos vitæ hujus finis inveniat, procul dubio, nec illo tempore quo bene pieque vivunt, in istorum numero compuntandi sunt. De corr. et grat., VII, 16, t. XLIV, col. 925. Ceux qui ont reçu des grâces mais ne persévéreront pas ne sont pas au nombre des prédestinés. C’est une idée familière à notre docteur : Qui autem cadunt et pereunt, in prædestinatorum numero non fuerunt. Ibid., XII, 36, col. 938. Qu’importe qu’on les appelle « enfants de Dieu » ? La prescience divine ne leur donne pas ce nom : Isti, cum pie vivunt, dicuntur filii Dei, sed quoniam victuri sunt impie et in eadem impietate morituri, non eos dicit filios Dei præscientia Dei. Ibid., IX, 20, col. 928. Et, si les vrais enfants de Dieu sont les prédestinés, et ceux qui seront ses enfants toujours, il ne faut pas, selon Augustin, parler davantage de prédestination à la foi seule : Non erant ex numero filiorum et quando erant in fide filiorum quonima qui vere filii sunt, præsciti et prædestinati sunt conformes imaginis Filii ejus et secundum propositum vocati sunt ut electi essent. Ibid.

La pensée du saint évêque ne fait aucun doute. En reprenant le texte de l’épître aux Romains, pour en étayer sa doctrine, il nous montre comment il entendait ce texte. Le nombre des vrais enfants de Dieu est arrêté de toute éternité, et ce sont ces enfants de Dieu, en nombre déterminé, qui sont l’objet, au même titre, de la prescience, de la prédestination, de la vocation efficace (ou selon le décret), de l’élection divines. Ainsi précise-t-il le quos præscivit de Paul. Ceux qui ne sont pas compris dans ce nombre, fussent-ils appelés à la foi seule, ne sont ni élus, ni appelés efficacement, ni prédestiné, ni præsciti de cette prescience qui s’exerce dans et pour la prédestination. Si l’on peut donc parler de vocation à la foi, à la grâce seule, on ne peut pour autant trouver dans Augustin aucune trace de prédestination à la grâce et à la foi seules. Il est certain que, pour lui, être prédestinés à la grâce seulement et non à la gloire, ce n’est pas être prédestiné.

Certes, la prédestination et la grâce ont d’étroits rapports, puisqu’elles sont entre elles comme la cause et l’effet, celle-la préparant celle-ci : Prædestinatio Dei quæ in bono est gratiæ præparatio, gratia vero est ipsius prædestinationis effectus, De præd. sanct., X, 19, t. XLIV, col. 975 ; mais on ne saurait tirer de ce texte un argument en faveur de la prédestination à la grâce. Augustin, en effet, répond à ceux qui lui objectaient sa propre affirmation : Salutem religionis hujus nulli unquam defuisse qui dignus fuit et dignum non fuisse cui defuit. Si l’on cherche, dit-il, la source de cette dignité, de ce mérite, beaucoup la trouvent dans la volonté humaine. Nous la voyons, quant à nous, dans la grâce ou la prédestination divine : non desunt qui dicant, voluntate humana : nos autem dicimus gratia vel prædestinatione divina. Ibid. Et il s’applique à distinguer l’une de l’autre, la grâce de la prédestination : Inter gratiam porro et prædestinationem hoc tantum interest, quod prædestinatio est gratiæ præparatio, gratia vero ham ipsa donatio. Ibid. De sorte que le saint docteur ne met en connexion la grâce et la prédestination que pour expliquer la gratuité du salut, qui résulte, indifféremment de l’une ou de l’autre : gratia vel prædestinatione divina. Mais le salut est inconcevable sans la gloire et c’est par rapport à la gloire, comme nous allons le montrer plus explicitement, que saint Augustin définit la prédestination.

4° La prédestination à la gloire. – Il est à noter que l’évêque d’Hippone ne concevait même pas qu’un autre terme que la gloire pût être assigné à la prédestination.

Sans doute n’avait-il pas à son usage la formule consacrée de prædestinatio ad gloriam, mais, sans que celle-là même lui fût inconnue, celles qu’il employait sont rigoureusement équivalentes. Nous avons vu comment il attaquait la prédestination à la grâce seule des semi-pélagiens. A-t-on remarqué que sa tactique n’était pas de leur opposer la prédestination à la gloire, mais simplement la vraie notion de la prédestination ou de sa réalisation par le don de persévérance ? C’est que, pour Augustin, la prédestination est nécessairement à la gloire ou elle n’est pas. Attaché, comme il l’était, à défendre la gratuité des dons divins, comment aurait-il pu songer à les restreindre ? Du reste, Prosper lui écrivant pour demander des explications sur d’autres points, parlait de la prédestination à la gloire, comme allant de soi… patefacias… quemadmodum per hanc prædicationem propositii Dei, quo fideles sunt qui præordinati sunt ad vitam æternam… Epist., CCXXV, 8, t. XXXIII, col. 1006. On ne saurait entendre cette vita æterna de la grâce seule, sous quelque prétexte que ce soit, puisque ce qui est ici en question, c’est l’infaillibilité de la prédestination. Ceux que le décret divin rend fidèles, ce sont les persévérants, quo fideles fiunt, et la persévérance, c’est la gloire assurée. De plus, la prédication de la prédestination à la grâce seule, nous le savons, ne faisait aucune difficulté pour les semi-pélagiens.

Les prédestinés, pour Augustin, sont les élus dont aucun ne périt : Ex istis nullus perit, quia omnes electi sunt, mais ceux-là seuls sont élus, qui sont l’objet d’une vocation efficace : Quoniam secundum propositum vocati sunt, profecto et electi sunt… non enim sic sunt vocati ut non essent electi, propter quod dictum est : « Multi enim vocati, pauci vero electi » (Matth., XX, 16). De corr. et grat., VII, 13, t. XLIV, col. 924. Le terme de la prédestination est donc, comme celui de la vocatio secundum propositum, le ciel ou la gloire, ou la vie éternelle : ex istis nullus perit.

C’est la même doctrine qui se dégage de la prédestination du Christ : Et illum ergo et nos prædestinavit quia et in illo ut esset caput nostrum et in nobis ut ejus corpus essemus… De dono pers., XXIV, 67, t. XLV, col. 1034. Mais le Christ, comme homme, est prédestiné premièrement à la filiation divine naturelle et secondement à la gloire, et, s’il est notre tête comme nous sommes son corps, comment concevoir que le terme de notre prédestination soit différent de la sienne ?

Augustin nous parle plus expressément encore de la prédestination à la gloire, en niant, ou équivalemment, la prédestination à la grâce, que d’aucuns pourraient voir dans une fidélité passagère : Si qui autem obediunt sed in regnum ejus et gloriam prædestinati non sunt, temporates sunt. Ibid., XXII, 58, col. 1029. La prédestination, selon lui, est inséparable du don de persévérance que Dieu n’accorde qu’à ceux de ses enfants qui sont prédestinés : Nec nos moveat quod filiis suis quibusdam Deus non dat istam perseverantiam. Ansit enim ut ita esset si de illis prædestinatis essent et secudum propositum vocatis qui vere sunt filii promissionis. De corr. et grat., IX, 20, t. XLIV, col. 927. Mais la persévérance n’est-elle pas le seuil de la gloire ? Et, si la persévérance réalise la prédestination, comme nous le verrons plus loin, il ne peut donc s’agir que de prédestination à la gloire, comme Augustin le confirme dans le De dono perseverantiæ : Usque in finem perseverantiam non nisi ab eo donari qui nos prædestinavit in regnum suum et gloriam. XXI, 55, t. XLV, col. 1027.

De cette même prédestination, la réalisation diffère dans le cas du premier homme et dans celui de ses descendants, mais son terme ne varie pas : Nunc vero sanctis in regnum Dei per gratiam Dei prædestinatis, non tale adjutorium perseverantiæ datur, sed tale ut eis perseverantia ipsa donetur. De corr. et grat., XII, 34, t. XLIV, col. 937. C’est toujours la gloire, le royaume de Dieu.

Du reste, la gloire est le terme par lequel se définit la prédestination, parce qu’elle est déjà celui de l’élection : Electi autem sunt ad regnandum cum Christo. Résumant sa doctrine de la prédestination, Augustin peut donc écrire : Hi ergo Christo intelliguntur dari qui ordinati sunt in vitam æternam. Ipsi sunt illi prædestinati et secundum propositum vocati quorum nullus perit. Ac per hoc nullus eorum ex bono in malum mutatus finit hanc vitam, quoniam sic est ordinatus et ideo Christo datur, ut non pereat, sed habeat vitam æternam. Ainsi, ceux que le Père a donnés au Christ, qui sont persévérants, dont aucun n’est perdu, sont également ceux qui sont ordonnés à la vie éternelle. Mais ceux-ci sont proprement les prédestinés: Ipsi sunt illi prædestinati.

Il est donc certain qu’Augustin ne conçoit la prédestination que par rapport à la gloire et aux grâces qui y font parvenir. Dans l’ordre de la réalisation, la gloire est le terme. Dans l’ordre de la prédestination éternelle, la gloire est le point de départ, la norme du salut tout entier, à procurer par la régénération, la vie sainte et la persévérance.

5° Le nombre des prédestinés. – La détermination du nombre des prédestinés et le corollaire obligé de la prédestination à la gloire et de toute réfutation à la grâce seule.

Augustin le savait bien, qui précisait ainsi sa pensée : Hæc de his loquor qui prædetinati sunt in regnum Dei, quorum ita certus est numerus, uc net addatur eis quisquam, nec minuatur ex eis. Epist., CLXXXVI, 25, t. XXXIII, col. 825. C’est que ce nombre, arrêté par le décret divin, réalisé par la vocatio secundum propositum, ne dépend aucunement, dans la doctrine de prédestination à la gloire, de la liberté humaine rendant efficace ou stérilisant à son gré la grâce. Il n’est pas, en un mot, réglé par le mérite. Aussi toute présomption, sur ce point, est-elle intolérable : Quis enim est multitudine fidelium, quamdiu in hac mortalitate vivitur, in numero prædestinatorum se esse præsumat ? De corr. et grat., XIII, 40, t. XLIV, col. 940.

La seule précision qu’Augustin estime pouvoir donner sur le nombre des élus est que ceux-là seuls sont glorifiés qui sont l’objet de la prédestination, de la vocatio secundum propositum, de la justification : Quos enim prædestinavit ipsos et vocati, illa scilicet vocatione secundum propositum : non ergo alios, sed quos prædestinavit, ipsos et vocavit ; nec alios, sed quos ila vocavit, ipsos et justificavit ; nec alios, sed quos prædestinavit, vocavit, justificavit, ipsos et glorificavit ; illo utique fine qui non habet finem. De præd. sanct., XVII, 34, t. XLIV, col. 986. Il ne parle pas, dans ce texte, de la prescience. C’est qu’elle n’est pas pour lui la règle extérieure de la prédestination : ce ne sont pas ceux qu’il a prévus devoir bien user de sa grâce que Dieu conduira au ciel ; c’est sa grâce et le don de persévérance qui, dans l’ordre d’exécution, déterminent le nombre des prédestinés à la gloire : numerus ergo sanctorum per Dei regno prædestinatus, illuc integer perducetur, et illic adhærente sibi misericordia Salvatoris sui, sive cum conertuntur, sive cum prætiantur, sive cum coronantur. De corr. et grat., XIII, 40, t. XLIV, col. 941.

6° Les réprouvés. – Une remarque est ici nécessaire. A une époque où le langage n’était pas encore fixé, Augustin a parlé parfois de prédestination à la mort éternelle, à la peine, au feu éternel. De perfectione justitiæ hominis, XIII, 31, t. XLIV, col. 308 ; De anima et ejus origine, IV, XI, 16, t. XLIV, col. 533 ; Epist., CCIV, 2, t. XXXIII, col. 939. Mais, outre que le terme de prédestination désigne habituellement pour Augustin la préparation du salut éternel des élus, il serait injuste d’urger ces expressions et de leur faire signifier autre chose que la juste préparation du châtiment éternel des pécheurs : ad eorum damnationem quos juste prædestinavit ad pœnam. Enchir, C, 26, t. XL, col. 279.

Cette idée de justice domine, chez Augustin, la question des réprouvés : pro meritis justissime judicantur, De corr. et grat., XIII, 42, t. XLIV, col. 942, soit qu’ils portent la peine du péché originel que le baptême n’a pas effacé, ou qu’ils se soient librement rendus coupables de nouvelles fautes, ils sont tous mauvais et, selon la diversité de leur malice, dignes de châtiments divers : omnes mali et pro ipsa diversitate, diversis suppliciis judicandi. Ibid. Ils ont pu recevoir la grâce de Dieu, mais ce n’a été que passagèrement, et ils n’ont point persévéré : Gratiam Dei suscipiunt, sed temporates sunt, nec perseverant. Ibid. Ayant abandonné Dieu, ils sont abandonnés à leur tour : deserunt et deseruntur, pour retomber au triste pouvoir de leur libre arbitre : Dimissi enim sunt liber arbitrio. Ibid.

Mais qui oserait dire que, n’ayant pas été positivement prédestinés et le nombre des élus étant irrévocablement fixé, ceux qui ne sont pas du nombre des élus sont positivement réprouvés ? Il faudrait pour cela que l’homme pèche d’une nécessité de nature et que l’alternative de faire le mal soit pour lui comme un devoir, dès que la grâce vient à lu manquer par laquelle il faisait le bien. Augustin n’admet pas un pareil langage : Si hoc debet quisque quod accepit, et si factus est homo ut necessario peccet, hoc debet ut peccat. Cum ergo peccat, quod debet, facit : quod si scelus est dicere, neminem natura sua cogit ut peccet. De lib. arbit., III, XVI, 46, t. XXXII, col. 1293 ; cf. Retract., I, IX, 3, t. XXXII, col. 596. Il assure, au contraire, que les rigueurs divines sont légitimées par les démérites qu’elles punissent. De grat. et lib. arb., XXI, 42, t. XLIV, col. 907. Il faudrait surtout, pour pouvoir soutenir cette réprobation positive ab æterno, dire que Dieu a décrété parallèlement de commander l’impossible. Nous verrons plus loin qu’Augustin ne l’admet pas davantage.

7° Les rapports de la prescience et de la prédestination. – Nous avons vu comment saint Augustin entendait la prescience divine dans la prédestination et quel terme il assignait à la prédestination même. Il sera du plus haut intérêt d’examiner quelles sont, pour lui, les relations qui existent entre ces deux actions de Dieu dans l’économie du salut. C’est, en effet, sur la nature de ces relations que se sont divisés, au cours des siècles, les interprètes de saint Paul, exégètes et théologiens. On se rappelle les trois hypothèses avancées par Prosper (ci-dessus, col. 2842 sq.) :

1. La prescience est-elle réglée par le décret divin, de telle sorte que l’objet de celui-ci soit l’objet de celle-là ? – 2. Le décret est-il réglé par la prescience (du moins chez les adultes) ? – 3. Tant chez les petits enfants que chez les adultes, la prescience est-elle, logiquement s’entend, postérieure au décret ?

La réponse d’Augustin sera en faveur de la première hypothèse.

Le saint docteur, en effet, ne sépare pas l’une de l’autre la prescience et la prédestination, mais au contraire les explique l’une par l’autre : Viam impiorum non novit Dominus quia sinistra est : sicul dicturus est etiam illis as sinistram constitutis : « Non novi vos ». Quid est autem quod ille non novit qui utique novit omnia, sive bona hominum, sive mala ? Sed qui est, non vos novi, nisi tales vos ego non feci ? Quemadmodum illud, quod dictum est de ipso Domino Jesu Christo qui « non noverat peccatum » (II Cor., V, 21). Quid est ? non noverat nisi quia non fecerat. Epist., CCXV, 6, t. XXXIII, col. 973. Ce que Dieu fait, c’est cela même qu’il connaît. Mais, dira-t-on, ni cette action, ni cette science divines ne sont en rapport avec la prédestination ? Ecoutons Augustin lui-même : Ac per hoc quod dictum est, « vias quæ a dextris sunt, novit Dominus » (Prov., IV, 26, 27), quomodo intelligendum est, nisi quia ipse fecit vias dextras id est, vias justorum, quæ sunt utique opera bona quæ præparavit Dominus, sicut dixit Apostolus, ut in illis ambulemus (Eph., II, 10). Ibid. Il entend donc bien parler de prédestination. Ce dernier texte de saint Paul lui est des plus familiers quand il traite ce sujet.

Ainsi, pour l’évêque d’Hippone, connaître les voies des justes, c’est les préparer. De corr. et grat., XII, 36, t. XLIV, col. 938 : la prescience qui est en question est donc une prescience active, opérante. Qu’on se souvienne du caractère transcendant de l’opération divine dans la prédestination, et l’on pourra déjà présumer du rôle de cette prescience.

Ce n’est pas de cette manière que Dieu connaît les voies des impies, qu’il connaît cependant. Il les connaît de cette autre prescience que nous avons vue étrangère à la prédestination et dont l’objet n’est autre que les non-prédestinés, leur perversité ou tout au moins leur non-persévérance : Vias autem sinistras perversas, id est via impiorum non utique novit, quia non eas ipse fecit homini, sed homo sibi, propter quod dicit : Odivi autem ego perseveras vias malorumn, ipsæ sunt a sinistris. Epist., CCXV, 6, t. XXXIII, col. 973.

Augustin est si éloigné de séparer la prescience de la prédestination, qu’il affirme que celle-ci n’existe que par celle-là : Hæc inquam Dei dona, si nulla est prædestinatio quam defendimus, non præsciuntur a Deo. De dono pers., XVII, 47, t. XLV, col. 1022. Elles se rencontrent dans un même objet : Hæc igitur… ita Deus vocatis suis daturum se esse præscivit, ut in ipsa prædestinatione jam dederit. Ibid., XXIII, 65, col. 1032. L’objet de la prescience, c’est le don futur de Dieu : Deus daturus ; celui de la prédestination, c’est le don de Dieu s’accomplissant : in ipsa prædestinatione jam dederit.

Mais, si la prescience qui nous intéresse ne peut être séparée de la prédestination, celle-ci ne peut même pas exister sans cette prescience. Expliquant l’apôtre, Augustin nous dit : … Quod autem sequitur : « Quæ præparavit Deus in illis ambulemus » prædestinatio est, quæ sine præscientia non potest esse. De præd. sanct., X, 19, t. XLIV, col. 975. En quel sens, cependant, Augustin veut-il que la prescience accompagne la prédestination ? Comme une règle extérieure, comme une condition de la position par Dieu de son acte prédestinant ? Aucunement. La prescience dont il s’agit n’a pas d’objet hors de Dieu. Parler de prescience des mérites serait un contresens : Prædestinatione quippe Deus ea præscivit, quæ fuerat ipse facturus. Ibid. Ce sont les choses que Dieu fera qui sont l’objet de cette prescience, laquelle s’exerce en raison de la prédestination, Prædestinatione præscivit. Cet ablatif est plein de sens. Car une autre prescience peut s’exercer en dehors de la prédestination (et nous en revenons à la distinction des deux sortes de prescience donnée plus haut) : Potest autem esse sine prædestinatione præscientia. Ibid. Mais alors son objet est tout autre : Præscire potens est [Deus] etiam quæ ipse non facit, sicut quæcumque peccata… Ibid.

Augustin est à ce point convaincu de l’étroitesse des relations entre la prescience et la prédestination que, pour lui, celle-là implique celle-ci : Nec ulla futura dona et quæ danda essent et quibus danda essent Deum non præscire potuisse ac per hoc prædestinatos ab illo esso quos liberat et coronat. De dono pers., XVII, 43, t. XLV, col. 1020. Dieu ne peut pas ne pas connaître à l’avance ses propres dons et ceux qui en seront les bénéficiaires : du même coup, ceux-ci sont prédestinés (d’où le caractère actif de la prescience divine). Et c’est pourquoi Augustin va jusqu’à définir la prédestination par la prescience : prædestinasse est hoc : præscisse quod fuerat ipse facturus, ibid., XVIII, 47, col. 1023, jusqu’à vouloir qu’un même nom puisse leur convenir, celui de prescience : unde aliquando eadem prædestinatio significatur etiam nomine præscientia, sicut ait Apostolos : Non repuit Deus plebem suam quam præscivit (Rom., XI, 2). Hic quod ait « præscivit » non recte intelligitur, nisi « prædestinavit ». Ibid. Enfin, dès lors qu’il s’agit de vocation des élus, c’est-à-dire de vocation efficace à la gloire, qui empêche que l’on entende, sous le nom de prescience employé par les commentateurs de la parole divine, la même prédestination ? Ibid., XIX, 48, col. 1023.

Par où l’on voit que, pour le saint docteur, la prescience divine est l’action par excellence de Dieu prédestinant. C’est qu’elle implique à la fois dans son objet et l’objet de la prédestination : le don divin, soit dans sa préparation (ordre d’intention ou de la promesse), soit dans son accomplissement (ordre d’exécution ou de réalisation), et l’objet de l’élection : les bénéficiaires de ce don, tant dans l’ordre d’intention : les discreti, que dans l’ordre d’exécution : les vocati secundum propositum et les persévérants. Et quoi d’étonnant que la façon de comprendre la prescience divine soit pour Augustin le critère de l’orthodoxie de toute doctrine sur la prédestination ! Porro si hæc ita noverunt Deum dare ut non ignorarent eum daturum se esse præscisse, et quibus daturus esset non potuisse nescire, procul dubio noverant prædestinationem quam per Apostolus prædicatam… defendimus. Ibid., XX, 50, col. 1025.

8° L’élection divine ou la vocation SECUNDUM PROPOSITUM. Sa place dans l’économie de la prédestination. – Pour justifier l’ordre que nous suivons dans l’étude des actes divins qui composent la prédestination, rappelons encore qu’Augustin ne traite de celle-ci que dans son acceptation globale. Son enseignement est trop dégagé de tout système pour que les notions qu’il nous livre aient le caractère formel que requiert un agencement logique en vue d’une synthèse. Le mélange qu’il fait habituellement des deux ordres d’intention et d’exécution rend sa pensée moins immédiatement évidente. Nous allons le constater plus particulièrement à propos de l’élection divine. Augustin était surtout préoccupé d’établir sa gratuité. La doctrine semi-pélagienne l’y invitait. Mais quelle place assignait-il à cette élection dans l’économie de la prédestination ?

1. A première vue, il semble que, pour Augustin, l’élection suive la prédestination proprement dite. – Distinguant la vocation efficace de la vocation non efficace, il assure que l’élection est l’effet de la première : quoniam secundum propositum vocati sunt, profecto et electi sunt… non enim sic sunt vocati ut non essent electi. De corr. et grat., VII, 13, t. XLIV, col. 924. La réalisation de la prédestination que le saint docteur a ici en vue justifie cette postériorité de l’élection.

Dans le même sens, il dit : electi sunt de mundo ea vocatione qua Deus id quod prædestinavit implevit. De præd. sanct., XVII, 34, t. XLIV, col. 986. Et c’est bien de réalisation qu’il s’agit, puisque l’élection est donnée ici comme le résultat de la vocation par laquelle s’accomplit la prédestination.

Mais comment Augustin parle-t-il de l’élection dans l’ordre de la prédestination éternelle ? Notons d’abord qu’il emploie le mot electi, indifféremment, quand il traite de la prédestination éternelle et quand il a en vue la réalisation dans le temps, tandis que le mot discreti ne s’entend que dans le premier cas.

Et il explique alors l’élection en disant : electi sunt ante mundi constitutionem ea prædestinatione in qua Deus sua futura facta præscivit. Ibid. Elle est donc le résultat de la prédestination, mais entendons de la prédestination totale, adæquate sumpta, puisque, d’après ce même texte, elle est aussi un effet de la prescience. Ce qu’Augustin exprime ailleurs, plus clairement encore, en parlant de ceux qui ne persévèrent pas : Non enim sunt a massa illa perditionis præscientia Dei et prædestinatione discreti, et ideo nec secundum propositum vocati ac per hoc nec electi. De corr. et grat., VII, 16, t. XLIV, col. 925. Le saint évêque assure que l’élection est impossible sans la prédestination dont elle est l’effet : Elegit Deus in Christo, ante constitutionem mundi, membra ejus ; et quomodo eligeret eos qui nondum erant, nisi prædestinando ? Elegit ergo prædestinans nos. De præd. sanct., XVIII, 35, t. XLIV, col. 986. L’emploi du gérondif prædestinando indique, plus qu’une concomitance, une causalité, semblerait donc ne laisser aucun doute sur la pensée d’Augustin. Le discernement ou l’élection seraient ainsi pour lui l’œuvre de la prescience et de la prédestination, celle-ci comprenant, du reste, tous les actes divins de l’ordre d’intention. Qu’on se garde, cependant, d’une pareille conclusion.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:26

2. En réalité, l’élection précède la prédestination proprement dite. – Augustin, nous l’avons dit, parle surtout de l’élection pour en défendre la gratuité contre les semi-pélagiens. Dans le système de ces derniers, l’élection était liée à la prescience entendue à leur manière et réglée par elle : Præsciebat ergo [Deus], ait Pelagius, qui futuri essent sancti et immaculati per liberæ voluntatis arbitrium et ideo eos ante mundi constitutionem, in ipsa sua præscientia qua tales futuros esse præscivit elegit. Ibid., 36. Pour Pélage, donc, l’élection suivait la prescience, mais une prescience dont l’objet était extérieur à Dieu et s’imposait à Lui, en quelque sorte. De plus, cet objet était futur, même pour Dieu (nous avons relevé plus haut cette contradiction) et Pélage pensait ainsi résoudre l’antinomie signalée par saint Augustin : Quomodo eligeret eos qui nondum erant : « Elegit ergo, inquit [Pelagius], antequam essent, destinans filios quos futuros sanctos immaculatosque præscivit. » Ibid. Mais ce n’est là qu’une solution vaine et le saint évêque de rapporter avec plaisir ces paroles de l’hérétique, qui sont la condamnation même de sa doctrine : Utique ipse non fecit nec se facturum, sed illos futuros esse prævidit. Ibid. Dieu ne serait donc pour rien dans la vie des saints qui serait pour lui comme un domaine fermé d’avance. Il ne lui resterait qu’à constater leur sainteté présente ou à venir, à les élire en conséquence, à les prédestiner, en leur donnant sans crainte des grâces, dont il est assuré par sa prescience qu’ils n’abuseront pas. Quelle impiété cependant de faire que Dieu ne soit plus qu’un spectateur de l’œuvre du salut ! Aussi est-ce pour en faire justice qu’Augustin rend à Dieu toute l’initiative, qu’il enseigne comme nous l’avons vu, une prescience active et opérante et que, à l’élection imposée à Dieu du dehors dans la théorie semi-pélagienne, il oppose une élection, terme et résumé de toute l’action divine prédestinante : Elegit prædestinando.

Mais conclure de là que, pour le saint docteur, l’élection suit la prédestination dans son acceptation formelle, ce serait pour le moins solliciter sa pensée sinon la fausser. Qu’on se rappelle, en effet, l’objet qu’il assigne à la prescience dans la prédestination : Quæ danda essent quibus danda essent Deum non præscire non potuisse, ac per hoc prædestinatos ab illos esse quos liberat et coronat. De dono pers., XVII, 43, t. XLV, col. 1020. La prescience suppose donc le terme du choix divin : quibus danda essent, et, pour autant, l’élection et la prescience précèdent la prédestination proprement dite. Aussi Augustin, qui n’ignore tout de même pas l’ordre logique des opérations divines, écrit-il formellement : Elegit ergo non Deus in Christo ante mundi constitutionem, prædestinans nos in adoptionem filiorum : non quia per nos sancti et immaculati futuri eramus sed elegit prædestinavitque ut essemus. De præd. sanct., XVIII, 37, t. XLIV, col. 987-988. Et dans le même sens : De massa illius perditionis quæ facta est ex Adam, non discernit hominem, ut eum faciat vas in honorem, non in contumeliam, nisi Deus. Epist., CCXIV, 3, t. XXXIII, col. 969.

3. Le caractère électif de la prescience. – L’élection précède donc la prédestination proprement dite, mais précède-t-elle ou suit-elle la prescience ?

Pour les semi-pélagiens l’élection était consécutive à la prescience des mérites et réglée par elle. Augustin réfute cette ordination, en commentant ainsi saint Paul : Sicut elegit nos in ipso ante mundi constitutionem (Eph., I, 4). Quod profecto si propterea dictum est quia præscivit Deus credituros, non quia facturus fuerat ipse credentes, contra istam præscientiam loquitur Filius dicens : « Non vos me elegistis, sed ego elegi vos », cum hoc potius præscierit Deus, quod ipsi eum fuerant electuri, ut ab illo mererentur eligi. De præd. sanct., XVII, 34, t. XLIV, col. 985. Mais il faut reconnaître que, là-dessus, il ne précise point sa propre pensée. Cependant, nous croyons pouvoir conclure que, d’après lui, l’élection n’est pas postérieure à la prescience. Nous avons vu, en effet, que la prescience supposait le terme du choix divin : Quibus danda essent Deum præscire non potuisse. De dono pers., XVII, 43, t. XLV, col. 1020. De plus, tout nous porte à croire que, par suite peut-être du caractère trop concret de son enseignement, le saint docteur ne distingue pas formellement l’élection, en tant qu’action divine, de la prescience qui a pour objet les prédestinés et les persévérants : ceux-ci étant præscientia discreti. Cette conception, étant donnée la notion que nous avons exposée de la prescience divine dans la prédestination, n’a rien que de très légitime. C’est donc, pour Augustin, la prescience divine qui connaît et choisit tout ensemble ; ce que son caractère actif, que nous avons signalé, explique fort bien. Autre avantage de cette conception : elle rencontre la pensée de saint Paul, dont le quos præscivit, au dire du P. Lagrange, inclut une idée de choix. Epître aux Romains, p. 116.

Notons enfin que c’est le discernement ou l’élection ab æterno qui se réalise par l’élection dans le temps, comme on le voit dans le cas de la vocation des apôtres : Elegit eos de mundo, cum hic ageret carnem [Dominus], sed jam electos in se ipso ante mundi constitutionem. De præd. sanct., XVII, 34, t. XLIV, col. 985. Mais il ne saurait s’agir pour cette réalisation que de vocation efficace : quicumque enim electi, sine dubio etiam vocati : non autem quicumque vocati consequenter electi. De corr. et grat., VII, 14, t. XLIV, col. 924. Ceux-là seuls sont élus qui persévèrent : Non dicuntur electi ab illo qui eos novit non habere perseverantiam. Ibid., 16, col. 925. L’élection, par ailleurs, est la source d’où dérive la réalisation de toute la prédestination : non seulement de la vocation efficace et du don de persévérance, mais encore de la vie sainte, de la conversion et de l’influence providentielle de Dieu à l’égard des élus. De corr. et grat., VII, 13, t. XLIV, col. 924. C’est ainsi que le choix divin est la grande grâce source de garantie de toutes les autres.

4. La gratuité de la prédestination éternelle. – En établissant, selon Augustin, le point précis du mystère, dans la prédestination, à savoir l’impossibilité d’assigner des raisons au terme du choix divin, nous avons conclu à la gratuité de la prédestination. Cette gratuité se trouve vérifiée plus explicitement encore, par l’analyse que nous avons tentée des actes divins. Il n’est que de les passer rapidement en revue.

L’objet de la prescience divine atteste cette gratuité. Il est tout intérieur à Dieu lui-même : c’est proprement l’action divine : Prædestinasse est hoc præscisse quod fuerat ipse facturus, De dono pers., XVIII, 47, t. XLV, col. 1023, et nullement le mérite de l’homme, ni la libre détermination de sa liberté comme le prétendaient les semi-pélagiens.

Quant à la prédestination, nous avons entendu Augustin la définir : la préparation de la grâce. Celle-ci est formellement son effet : Prædestinatio Dei… gratiæ est præparatio, gratia vero est ipsius prædestinationis effectus. De præd. sanct., X, 19, t. XLIV, col. 975. Elle est donc essentiellement gratuite, et cela jusque dans son terme, la gloire : Nunc vero, sanctis in regnum Dei per gratiam Dei prædestinationis… De corr. et grat., XII, 34, t. XLIV, col. 937.

Que l’on se rappelle les rapports qui existent entre la prescience et la prédestination : cette gratuité y éclate davantage encore : Nec ulla sua futura dona et quæ danda essent et quibus danda essent Deum non præscire potuisse ac per hoc prædestinatos ab illo esse quos liberat et coronat. De dono pers., XVII, 43, t. XLV, cl. 1020.

Enfin, la gratuité de la prédestination se manifeste dans l’élection divine. Comme la prescience, dont nous avons vu qu’Augustin ne la distinguait pas, elle n’a pas d’autre règle que Dieu lui-même : Quia electi sunt, elegerunt [Deum], non quia elegrunt electi sunt. Eligentium meritum nullum esset, nisi eos eligentis gratia præveniret. De grat. et lib. arb., XVIII, 38, t. XLIV, col. 904. Le discernement est une œuvre de grâce : Cum audimus, « quis enim te discernit, quid habes quod non accepisti. Si autem et accepisti quid gloriaris quasi non acceperis ? » (I Cor., IV, 7) ab illa perditionis massa quæ facta est per primum Adam, debemus intelligere neminem posse discerni, nisi qui hoc donum habet, quisquis habet, quod gratia Salvatoris accepit. De corr. et grat., VII, 12, t. XLIV, col. 923. On sait que c’est la lecture plus attentive du texte de saint Paul qu’il vient de citer, qui amena Augustin à enseigner la gratuité totale de la prédestination. Il la retrouva dès lors exprimée partout : Quod discipulis suis dicit Dominus : « Non vos me elegistis, sed ego elegi vos » (Joa., XV, 16) nihil aliud indicat nobis. Si enim nos prius dileximus, ut hoc merito nos ipse diligeret, prius illum nos eligimus, ut ab illo eligi mereremur. Sed ipse quiveritas est, aliud dicit et huic vanitati hominum apertissime contradicit : « Non vos me elegestis », inquit. « Si ergo non elegistis, sine dubio nec dilexistis. » Quomodo enim eum eligerent quem non diligerent ? Sed « Ego inquit, vos elegi. » De grat. et lib. arb., XVIII, 38, t. XLIV, col. 904.

Concluons donc, avec le saint docteur, à la gratuité absolue de la prédestination, même considérée indépendamment de sa réalisation. L’étude de celle-ci, mettra davantage en relief cette gratuité, mais déjà nous avons pu voir que Dieu est cause première de toute l’œuvre de notre salut et qu’à Lui en revient toute gloire : Fecit autem hoc secundum placitum voluntatis suæ ut nemo de sua, sed de illius erga se voluntate glorietue ; fecit hoc secundum divitias gratiæ suæ, secundum bonam voluntatem suam, quam proposuit in dilecto Filio suo, in quo sortem consecuti sumus, prædestinati secundum propositum, non nostrum, sed ejus qui universa operatur, usque adeo ut ipse in nobis operetur et velle. De præd. sanct., XVIII, 37, t. XLIV, col. 988.

5. L’infaillibilité de la prédestination éternelle. – Outre son caractère d’absolue gratuité, la prédestination éternelle revêt celui d’une absolue infaillibilité. Augustin l’affirme clairement : Quicumque in Dei providentissima dispositione præsciti, prædestinati, vocati, justificati, glorificati sunt non dico etiam nondum renati, sed etiam nondum nati jam filii Dei sunt et omnino perire non possunt. De corr. et grat., IX, 23, t. XLIV, col. 930. Mais puisque la prédestination de ceux-là mêmes qui ne sont pas encore nés (etiam nondum nati) est infaillible, c’est du côté de Dieu qu’il faut chercher la raison de cette infaillibilité.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:26

Celle-ci est fondée principalement sur l’immutabilité de la prescience. Quoi d’étonnant, puisque nous avons reconnu que, pour Augustin, la prescience était l’acte par excellence de Dieu prédestinant, impliquant à la fois dans son objet l’élection et la prédestination ? Si donc la prescience divine est immuable, il est nécessaire que la prédestination le soit de même. Aussi Augustin fait-il appel à cette immutabilité de la prescience pour définir la prédestination : In sua quæ falli, mutarique non potest præscientia, opera sua futura disponere, id omnino nec aliud quidquam est prædestinare. De dono pers., XVII, 41, t. XLV, col. 1019. Elle explique aussi que le nombre des élus soit arrêté : Horum si quisquam perit, fallitur Deus ; sed nemo eorum perit quia non fallitur Deus. De corr. et grat., VII, 14, t. XLIV, col. 924. Cette argumentation du saint docteur est à remarquer ; il ne dit pas en raisonnant à posteriori : Quia nemo eorum perit, non fallitur Deus, mais au contraire : Nemo eorum perit quia non fallitur Deus. L’infaillibilité divine est la cause de la prédestination infaillible. Nous retrouvons donc, ici encore, le caractère opératif de la prescience divine. En raison de caractère opératif, disons de cette efficacité, la prédestination est infaillible, quelles que soient les apparences et les conditions de sa réalisation : Nonne, si Deus illos bonos futuros esse præscivit, boni erunt, in quantalibet nunc malignitate versentur ? De dono pers., XV, 38, t. XLV, col. 1017.

Cette infaillibilité ne dépend même pas de la réalisation de la prédestination ; elle en fait abstraction : Utique credendo futuri erant filii Dei per Evangelii prædicationem ; et tamen antequam esse factum, jam filii Dei erant in memoriali Patris sui inconcussa stabilitate conscripti. De corr. et grat., IX, 20, t. XLIV, col. 928.

Mais, si la prédestination est infaillible, en raison même de l’infaillibilité et de l’immutabilité de la prescience divine, d’où viennent, peut-on se demander, l’infaillibilité et l’immutabilité de celle-ci ? Augustin ne le dit pas explicitement. C’est qu’elles ne font de douter pour personne, et le saint docteur peut se demander pourquoi l’infaillibilité de la prédestination est une source de difficultés pour ses adversaires, alors que celle de la prescience n’en fait pas. Hoc et de præscientia Dei dici potest quæ tamen a fidelibus negari non potest et puto nec a vobis. Op. imp. contra Jul., I, CXIX, t. XLV, col 1126. A moins qu’ils ne veuillent nier cette prescience, sous les plus ridicules prétextes : Aut negate Deum præscium multos se damnaturum esse quos creat, ne videatur creare quos damnet. Ibid.

On peut, cependant, donner de l’infaillibilité de la prescience divine, des raisons tirées de la propre doctrine d’Augustin. Il n’est que de se rappeler l’objet de cette prescience qui est l’action même de Dieu… Præscivit credituros… quia facturus fuerat ipse credentes. De præd. sanct., XVII, 34, t. XLIV, col. 985. Ce que Dieu connaît d’avance, c’est ce qu’il fera : Deus convertit ad fidem… Deus donat perseverantiam usque in finem : hæc Deus facturum se esse præscivit, De dono pers., VII, 15, t. XLV., col. 1002 ; ce sont ses propres bienfaits : Quæ utique si præscivit, profecto beneficia sua… præscivit. Ibid., XIV, 35, col. 1014. Et nous connaissons la transcendance et la souveraineté de l’action divine, qui s’étend à tous les effets, y compris notre vouloir : Ejus qui universa operatur, usque adeo ut ipse in nobis operetur et velle. De præd. sanct., XVIII, 37, t. XLIV, col. 988. Comme il n’est pas possible que rien empêche de fait cette action divine (ce que nous verrons en examinant comment saint Augustin entend l’efficacité de la grâce), rien ne pourra donc modifier l’objet de la prescience divine, dans l’infaillible activité de laquelle consiste, ni plus ni moins, toute la prédestination : In sua quæ falli mutarique non potest præscientia, opera sua futura disponere, in omnino nec aliud quidquam est prædestinare. De dono pers., XVII, 41, t. XLV, col. 1019.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:27

IV LES EFFETS DE LA PREDESTINATION DANS LE TEMPS. – Autant que le permettait le caractère concret de l’enseignement d’Augustin, nous avons analysé sa doctrine sur l’ordre de la prédestination éternelle. Nous avons cherché quelle était la pensée du saint docteur, relativement à chacun des actes dont cet ordre se compose. Nous avons établi la succession de ces derniers et leurs rapports. Ce travail nous déjà fait conclure à la gratuité et à l’infaillibilité de la prédestination.

Il nous reste à examiner comment, d’après l’évêque d’Hippone, se réalise le plan salutaire que Dieu a conçu de toute éternité. Quels sont ces præsciti, ces discreti, ces prædestinati quand on les considère dans le temps. Sur ce plan inférieur, la prédestination perd-elle de son double caractère de gratuité et d’infaillibilité ou bien celles-ci s’accusent-elles au contraire encore davantage ?

1° Le mal présupposé à la réalisation de la prédestination. – Dans quelles conditions cette réalisation doit-elle se poursuivre ? Un grand principe, formellement augustinien, est à rappeler ici. Le saint docteur l’exprime plusieurs fois en termes équivalents : … saluberrime confitemur quod certissime credimus, Deum Dominumque rerum omnium qui creavit omnia bona valde et mala ex bonis exoritura esse præscivit et scivit magis ad suam omnipotentissimam bonitatem pertinere etiam de malis bene facere quam mala esse non sinere. De corr. et grat., X, 27, t. XLIV, col. 932 ; Enchir., XI, t. XL, col. 236 ; C, col. 279 ; De civ. Dei, XXII, I, 2, t. XLI, col. 751.

Ce principe ne trouvera pas plus éclatante vérification que celle qui en est faite dans la réalisation de la prédestination. Celle-ci, en effet, ne présuppose rien autre que cette double intention de Dieu : permettre le mal, mala sinere, et de ce mal tirer le bien, de malis bene facere. Deux choses qui ne sont, en définitive, que la manifestation de sa toute-puissante bonté : ad suam omnipotentissimam bonitatem.

Mais, d’une façon plus précise, comment cette double attitude de Dieu se traduit-elle dans ce domaine choisi de la création qui a nom la vie des anges et des hommes, et dans lequel se réalise justement la prédestination qui nous occupe ? Ecoutons toujours le saint évêque : Credimus… Deum sic ordinasse angelorum et hominum vitam, ut in ea prius ostenderet quid posset eorum liberum arbitrium, deinde quid posset suæ gratiæ beneficium, justitiæquie judicium. De corr. et grat., X, 27, t. XLIV, col. 932 ; cf. Contra duas epist. Pelag., II, VII, 15, t. XLIV, col. 581 et 582.

Ainsi, l’ordination de la vie tant des anges que des hommes correspond à cette double fin : montrer ce que peut leur libre arbitre ; montrer ce que peuvent le bienfait de la grâce de Dieu et son juste jugement ; la première de ces fins étant une occasion de permettre le mal, mala sinere ; la deuxième, une occasion de tirer du mal le bien, de malis bene facere.

Comment cette double fin a-t-elle été atteinte dans le cas des anges ? Augustin nous l’apprend d’une manière à la fois concise et complète. Un certain nombre d’entre eux, par la faute de leur propre liberté, sont arrivés à ce triste résultat de n’être plus que des transfuges de Dieu lui-même. De corr. et grat., X, 27, t. XLIV, col. 932. Mais ces transfuges de la bonté divine n’ont pu échapper au jugement divin : d’où leur insondable malheur. Et pour autant s’est manifestée la puissance de ce jugement divin. Les autres, toujours par la vertu de leur propre liberté et le bénéfice d’une préférence divine, De civ. Dei, XII, IX, 1, t. XLI, col. 356, sont demeurés dans la vérité de leur état et ont mérité d’avoir la certitude qu’ils n’en décherraient pas à l’avenir, ce qui est l’effet de la grâce divine.

Quoique le plan de Dieu ne soit pas rigoureusement le même, dans le cas des anges et dans celui des hommes, l’exemple de ceux-là éclaire singulièrement le sort de ceux-ci. C’est du reste, une vie éternellement bienheureuse qui nous fut promise, aussi bien qu’à eux-mêmes, et une condition égale à la leur. De corr. et grat., X, 27, 28. D’où la certitude, pour nous comme pour eux, de notre stabilité, une fois le jugement divin porté.

Mais, jusque dans la poursuite de cette fin bienheureuse, le cas des anges et celui des hommes ont de profondes ressemblances. Celui-ci, comme ceux-là, fut créé avec la prérogative de la liberté. Ignorant sa chute future, rien ne troublait son bonheur originel, car il se rendait compte qu’il ne tenait qu’à lui de ne jamais connaître la mort ni le malheur : Sic et hominem fecit cum libero arbitrio et quamvis sui futuri casus ignarum, tamen ideo beatum quia et non mori et miserum non fieri in sua potestate esse sentiebat. Ibid. L’homme pouvait donc, à la seule condition de le vouloir, rester dans son état de rectitude et de bonté morale et recevoir, en retour de cette permanence, la plénitude de bonheur et la confirmation dans celui-ci, qui furent le fait des anges fidèles. Mais, hélas, il profita de sa liberté pour abandonner Dieu et ce fut une seconde intrusion du mal dans l’œuvre divine.

Il ne restait plus à Dieu, cette nouvelle occasion étant donnée, que de faire éclater derechef la puissance de son jugement et de sa grâce. C’est pourquoi l’homme se mit à éprouver toutes les rigueurs de la justice divine : Justum judicium Dei expertus est, ut cum tota sua stirpe, quæ in illo adhuc posita, tota cum illo peccaverat, damnaretur. Ibid. C’est pourquoi aussi la grâce de Dieu ne se contenta plus de combler des innocents, mais alla jusqu’à briser les chaînes de ceux qu’une irrévocable sentence avait déjà garrottés : Quotquot enim ex hac stirpe gratia Dei liberantur, a damnatione utique liberantur, qua jam tenentut obstricti. Ibid.

L’humanité déchue et condamnée, expiant par sa perdition l’abus qu’elle fit, dès son aurore, de la plus noble de ses prérogatives, tel est donc le théâtre où s’opère la prédestination. Cette massa perditionis est sa materia circa quam. Car, ici, le plan divin relatif au salut des hommes diffère du plan relatif au salut des anges. Dans la masse de perdition angélique, Dieu, pour des raisons qu’il ne nous appartient pas de conjecturer, n’intervient plus qu’en tant que juge, ce qui ajoute une profondeur nouvelle au mystère du choix. Car pourquoi sa toute-puissance a-t-elle entrepris de libérer les hommes et non les anges ? O altitudo !

Dans l’étude de la prédestination éternelle, l’action divine était seule en jeu. Mais voici qu’elle rencontre, d’une manière encore à préciser, l’action humaine. Nous aurons donc à les considérer l’une et l’autre, et dans leurs rapports et cela dans chacune des phases de la prédestination se réalisant dans le temps.

2° Le terme de l’action divine dans la réalisation de la prédestination. – Une précision s’impose. Quelle est donc cette action divine dont nous examinons l’effet ? Est-ce l’action créatrice dont les divers résultas, tel notre libre arbitre, entrent en jeu dans l’économie salutaire ? Est-ce l’action divine qui restaure notre nature blessée depuis la chute et qui l’élève à l’ordre proprement divin auquel elle fut appelée dès le premier jour, en d’autres termes est-ce la grâce sanctifiante, à la fois sanans et elevans ? Ou s’agit-il seulement de ces secours généraux et extérieurs que les semi-pélagiens eux-mêmes admettaient sans difficulté ?

Certes, cette multiple intervention de Dieu est à sous-entendre, mais plus formellement, c’est de la grâce actuelle, soit opérante, soit coopérante, qu’il s’agit : Hæc autem gratia qua virtus in infirmitate perficitur, prædestinatos et secundum propositum vocatos (Rom., VIII, 28) ad summam perfectionem glorificationemque perducit, qua gratia agitur non solum ut facienda noverimus, verum etiam ut cognita faciamus, nec solum ut diligenda credamus, verum etiam ut credita diligamus. De grat. Christi, XII, 13, t. XLIV, col. 367 ; cf. Epist., CCXVII, 12, t. XXXIII, col. 983. C’est par l’action de cette grâce que Dieu accomplit ses desseins ; c’est elle qu’Augustin avait défendue contre les pélagiens qui en niaient opiniâtrement l’existence et qu’il défendait encore contre les semi-pélagiens qui en discutaient l’efficacité.

Quel est, cependant, le rôle assigné par le docteur d’Hippone à la grâce ainsi précisée ? C’est d’abord, d’une façon générale, la réalisation des promesses divines : Promisit quod ipse facturus fuerat… Abraham credidit dans gloriam Deo quoniam quæ promisit potens est et facere (Rom., IV, 16-21). Non ait « prædicere » non ait « præscire » nam et aliena facta potest prædicere atque præscire : sed ait « potens est et facere », ac per hoc facta, non aliena, sed sua. De præd. sanct., X, 19, t. XLIV, col. 975. Par où l’on voit la part active que Dieu prend à l’exécution de ses desseins. Il ne se contente pas d’en prédire ou d’en prévoir la réalisation par d’autres que lui, il opère lui-même cette réalisation. C’est là le rôle de sa grâce, laquelle ne va, en définitive, qu’à la conversion de l’homme pécheur, à la justification de l’impie pour une vie désormais méritoire. Epist., CCXIV, 4, t. XXXIII, col. 970.

Mais, d’une façon plus particulière, où portera, si l’on ose dire, l’effort divin ? On sait que dans l’économie du salut, il a un caractère réparateur. C’est la liberté humaine qui causa la chute originelle, et en fut la première victime, c’est elle qui a principalement besoin de secours. Voilà pourquoi Dieu lui donna sa grâce. Augustin fait consister en cela même la préparation de la volonté dont il parle si volontiers. Cette préparation est l’indispensable condition de notre propre activité surnaturelle, le premier objet de notre prière : Certum est nos mandata servare, si volumus : sed, qua voluntas præparatur a Domino, ab illo petendum est ut tantum velimus quantum sufficit ut volendo faciamus. De grat. et lib. arb., XVI, 32, t. XLIV, col. 900.

On le voit, le saint docteur ne songe aucunement à nous rendre purement passifs, tandis que notre propre salut s’opère. C’est bien nous qui observons les commandements qui sont la voie de ce salut : Certum est nos mandata servare. Et il suffit pour cela que notre volonté s’y porte : si volumus. Mais parce que cette volonté vient de Dieu, il nous faut la lui demander dans toute la mesure nécessaire à cette observation.

Plus formellement encore, il écrit : Certum est nos velle, cum volumus ; sed ille facit ut velimus bonum de quo dictum est : præparatur voluntas a Domino (Prov., VIII, 35, d’après les Septante)…, de quo dictum est : Deus est qui operatur in vobis et velle (Phil., II, 13). Ibid. Voilà donc comment il comprend cette préparation de la volonté. C’est une préparation radicale. Dieu ne nous donne pas seulement l’agir ou le faire, par exemple d’observer ses commandements, en donnant à notre volonté, principale ouvrière, une vigueur irrésistible, il nous donne cette volonté même, facit ut velimus. Notre vouloir est un effet de sa grâce, operatur et velle, quelle qu’en soit l’intensité ou l’efficacité : … quamvis parva et imperfecta, non deerat (caritas in Petro) quando dicebat Domino : « animam pro te ponam » (Joa., XIII, 37) ; putabat enim se posse quod se velle sentiebat. Et quis istam etsi parvam dare cœperat caritatem, nisi ille qui præparat voluntatem et cooperando perficit quod operando incipit ? Ibid., 33, col. 901.

Ainsi, cette préparation par Dieu de notre volonté embrasse la totalité du vouloir. Sans elle l’homme ne fait aucun acte salutaire, même inefficace. A l’origine de tout mouvement de notre volonté, il faut présupposer la grâce de Dieu comme en étant la cause, et, tandis que notre volonté continue à s’exercer, cette même grâce alimente, en quelque sorte, son exercice : Quoniem ipse ut velimus operatur incipiens, qui volentibus cooperatur perficiens. Ibid.

On comprend alors que le saint docteur se plaise à revendiquer, comme terme de l’action divine, la mise en branle de la liberté humaine et son exercice efficace. Il parle, certes, d’une coopération, mais uniquement pour écarter l’idée d’une attitude passive de la liberté humaine, comme, tout à l’heure, il disait : Certum est nos mandata servare, certum est nos velle. Il ne saurait s’agir d’une simple coordination d’activités : ce que montre bien la suite de sa pensée : Sine illo vel operante ut velimus, vel cooperante cum volumus, ad bona pielatis opera NIHIL valemus. Ibid. Doctrine précise et formelle qu’Augustin déclare tenir de l’Ecriture : De operante illo ut velimus, dictum est : Deus est enim qui operatur in vobis et velle. » De cooperante autem cum jam volumus et volendo facimus : « Scimus, inquit, quoniam diligentibus Deum omnia cooperatur in bonum » (Rom., VIII, 28). Ibid.

Ajoutons encore que, pour saint Augustin, cette préparation ne souffre aucune exception. L’Ecriture lui apprend encore que même les volontés qui, apparemment, échappent à l’emprise de Dieu parce qu’il ne les a pas converties et prédestinées à la gloire, sont cependant à sa merci. Il fait d’elles ce qu’il veut, quand il veut, aux fins les plus variées et dont il demeure le seul juge. De grat. et lib. arb., XX, 41, t. XLIV, col. 906.

S’il est ainsi le maître des volontés humaines, y compris celles des méchants, faut-il s’étonner de l’action directe de sa grâce sur le cœur des élus qu’il a déjà transformés ? Ibid., XXI, 43, col. 909.

Pour en finir, disons que du terme de l’action divine ainsi considéré, de cette préparation à la fois radicale et universelle, à l’efficacité intrinsèque et infaillible de la grâce, il n’y a qu’un pas qu’Augustin reprochait à Julien d’Éclane de ne point de décider à franchir : Parum de re tanta cogitant, vel ei excogitandæ non sufficiunt qui putant Deum omnipotentem aliquid velle et homine infirmo impediente non posse. Op. imp. contra Jul., I, XCIII, t. XLV, col. 1109. Et encore : Absit ut impediatur ab homine Omnipotentis et cuncta præscientis intentio. Ibid. Et le saint docteur d’avancer un exemple typique : Sicut certum est Jerusalem filios suos ab illo colligi noluisse, ita certum est eum, etiam ipsa nolente, quoscumque eorum voluit, collegisse. Ibid.

3° L’action de l’homme dans la réalisation de sa prédestination. Sa liberté. – Il est à peine besoin de faire remarquer que l’action dont il va être question est l’action spécifiquement humaine, celle de la liberté. C’est, en effet, avant tout en tant qu’agent libre que l’homme figure dans le plan divin. De plus, c’est l’exercice salutaire de sa volonté libre qui est, nous venons de l’établir, le terme de la grâce ; et, parce qu’il nous faut apprendre d’Augustin comment se concilient ces deux activités de Dieu et de l’homme, en vue du même effet, il importe de les connaître l’une et l’autre dans leur nature et leurs conditions.

Par le fait de son élévation à l’ordre surnaturel, élévation qui a transposé aussi bien son opération que son être, l’homme n’a cessé d’être le maître de ses actions tant bonnes que mauvaises : Sibi imputet quisque cum peccat, neque cum aliquid secundum Deum operatur, alienet hoc a propria voluntate. De grat. et lib. arb., II, 4, t. XLIV, col. 884. Bien au contraire, ses œuvres ne sont bonnes et méritoires, dans cet ordre-là précisément, que dans la mesure où il les accomplit librement. Ibid.

Aussi, lorsque dans ses derniers ouvrages, traitant de la prédestination, Augustin parle de la liberté humaine, c’est bien de la liberté ainsi élevée qu’il entend parler, soit pour en revendiquer les droits, soit pour en limiter le pouvoir, soit pour en mesurer la déchéance : Cum autem de libera voluntate recte faciendi loquimur, de illa scilicet in qua homo factus est loquimur. Retract., I, IX, 5, t. XXXII, col. 598.

L’existence de cette liberté ne fait aucun doute. Le saint docteur en apporte comme preuve familière les commandements divins qui n’ont de raison d’être que parce qu’ils s’adressent, en requérant son exercice, à la volonté libre de l’homme. De grat. et lib. arb., II, 4, t. XLIV, col. 884. Si efficace et infaillible que soit l’action de Dieu renouvelant les cœurs et justifiant l’impie, si mystérieuse que soit la permission du péché et de1 l’endurcissement du pécheur, la liberté humaine garde ses droits et remplit son rôle : Ne autem putetur, nihil ibi facere. Ipsos homines per liberum arbitrium, ideo in psalmo dicitur : « Nolite obdurare corda vestra. » Meminerimus eum dicere « et convertimini et vivetis », cui dicitur : « Converte nos Deus » (Ps., LXXIX, 4, et LXXXV, 5). Meminerimus eum dicere « Projicite a vobis impietates vestra » (Ez., XVIII, 31), cum ipse « justificet impium » (Rom., IV, 5). Meminerimus ipsum dicere : « Facite vobis cor novum et spiritum novum dabo in vobis » (Ez., XVIII, 31). Ibid., XV, 31, col. 899. Ainsi, jusque sous les plus formelles intentions de Dieu, la liberté humaine reste intacte et opérante.

Hâtons-nous d’ajouter que cet argument, tiré des préceptes divins, n’établit aucunement que la liberté de l’homme se suffise à elle-même pour leur accomplissement. Au fond, ce que le précepte divin enjoint d’abord à la liberté, c’est d’implorer la grâce d’accomplir ce précepte, ce qui suppose déjà une avance de Dieu : Cur ergo dictum est, « Diligamus invicem, quia dilectio ex Deo est », nisi quia præcepto admonitum est liberum arbitrium, ut quæreret Dei donum ? Quod quidem sine suo fructu prorsus admoneretur, nisi prius acciperet aliquid dilectionis, ut addi sibi quæreret unde quod jubebatur impleret. De grat. et lib. arb., XVIII, 37, t. XLIV, col. 904. Et, pas plus que sans la liberté, le précepte n’a de raison d’être sans la grâce : Homo ergo gratia juvatur, ne sine causa voluntati ejus jubeatur. Ibid., IV, 9, col. 887.

C’est une preuve du même genre qu’Augustin déduit de la justice des châtiments divins, en faveur de l’existence de la liberté humaine. Il parle des crimes dont Dieu tire une juste vengeance parce qu’ils ont été perpétrés librement : Non enim juste vindicarentur nisi fierent voluntate. Retract., I, IX, 3, t. XXXII, col. 595. Ainsi donc, qu’il soit soumis ou rebelle à la loi de Dieu, l’homme demeure libre et c’est en toute liberté qu’il réalise le plan divin.

Mais, comment saint Augustin entend-il cette liberté ? Il nous en parle à deux titres, comme philosophe et comme théologien, en toute cohérence d’ailleurs. Ecoutons d’abord le philosophe. La liberté inhérente à la nature de l’homme et que celui-ci ne peut en aucune manière abdiquer est celle en vertu de laquelle les hommes veulent être heureux, même ceux qui ne prennent pas les moyens de l’être : Hominis vero liberum arbitrium congenitum et omnino inamissibile, si quærimus, illud est quo beati omnes esse volunt, etiam hi qui ea nolunt quæ ad beatitudinem ducunt. Op. imp. contra Jul., VI, XI, t. XLV, col. 1521. Par quoi le saint docteur réfute la théorie de Julien d’Éclane, pour qui la liberté consiste radicalement dans la possibilité de vouloir indifféremment le bien ou le mal : Boni malique voluntarii possibilitas sola libertas est. Ibid. Augustin assigne donc comme objet spécifique à la liberté foncière de l’homme, le bien qui rend ce dernier heureux.

Mais cette liberté foncière, immuablement spécifiée par le bien réel ou apparent que tout homme cherche, ne suffit pas, bous dit le saint évêque, à la possession de ce bonheur. Il faut en considérer une autre qui a pour objet le bien sans doute, mais en tant que moyen de parvenir à ce bonheur. Celle-ci n’est pas aussi foncière ni aussi immuable : Immutabilis autem, cum qua homo creatus est creatur illa libertas est voluntatis qua beati esse omnes volumus et nolle non possumus. Sed hæc ut beatus sit quisque non sufficit, nec ut vivat recte per quod beatus sit : quia non ita est homini congenita libertas immutabilis voluntatis qua velit possitque bene agere, sicut congenita est qua velit beatus esse ; quod omnes volunt, et qui recte agere nolunt. Ibid., VI, XII, col. 1524. Ainsi, dans la volonté humaine, Augustin distingue deux manifestations de la liberté, dont l’une est ordonnée à la fin : Illud… quo beati omnes esse volunt, et l’autre est ordonnée aux moyens : Qua velit possitque bene agere… per quod beatus sit.

Mais ce qu’il importe de remarquer, c’est qu’il évalue la perfection de la liberté d’après la tendance positive de la volonté vers le bien. Dans la mesure où cette tendance se relâche, la liberté déchoit et abdique sa propre nature. Voilà comment la définition que Julien d’Éclane donne de la liberté est à l’opposé de la vérité, pour autant qu’il attribue comme objet à cette liberté la possibilité du mal : boni malique voluntarii possibilitas sola libertas est.

Chez Augustin, le théologien ne contredit pas le philosophe. Il y a toujours en nous, dit-il, une volonté libre, une volonté qui tend au bonheur; mais l’objet prochain de cette volonté libre n’est pas toujours bon moralement (il peut être en opposition avec la loi divine), et cette liberté devient alors un esclavage : a justitia libera est quando servit peccato et tunc est mala. De grat. et lib. arb., XV, 31, t. XLIV, col. 899. S’affranchir de la justice, s’asservir au péché, n’être plus que la corruption d’elle-même, c’est tout un pour la liberté, comme s’affranchir du péché, être l’esclave de la justice, être vraiment bonne, est aussi tout un pour elle : A peccato libera est quando servit justitiæ et tunc est bona. Ibid.

Aussi est-il facile de comprendre comment l’évêque d’Hippone entend la liberté de l’homme dans l’économie présente du salut : c’est une liberté rendue à elle-même, affranchie d’un esclavage dont elle était victime : Libero dicimus… eos quibus dicit Apostolus : « nunc autem liberati a peccato, servi autem facti Deo, habetis fructum vestrum in sactificationem, finem vero vitam æternam » (Rom., VI, 22). Op. imp. contra Jul., I, LXXXVI, t. XLV, col. 1105. Sur le plan surnaturel et mis à part la liberté psychologique qui subsiste dans l’acte du péché, les hommes ne sont libres que dans la mesure où, libérés du péché, ils servent Dieu dans un esclavage fécond, dont le terme est la vie éternelle. Cf. De corr. et grat., I, 2, t. XLIV, col. 917.

Tel est l’enseignement que saint Augustin opposait à celui des semi-pélagiens, touchant la même question. Il avait du reste beau jeu à réfuter une doctrine, dont les conséquences étaient absurdes et que Julien d’Éclane semblait ignorer parfaitement : Sic definis liberam voluntatem ut nisi utrumque, id est et bene et male agere possit, libera esse non possit. Ac per hoc, necesse tibi est auferre libertatem Deo qui tantummodo bonam potest, malam vero non potest habere voluntatem. Op. imp. contra Jul., III, CXXII, t. XLV, col. 1299. Dieu qui ne peut vouloir le mal ne serait-il donc pas libre ? Ibid., VI, X, col. 1518. Le Christ dont l’impeccabilité était hors de doute n’était-il pas libre, d’une liberté d’autant plus grande qu’il lui était impossible d’être l’esclave du péché : Numquid metuendum fuit ne accedente ætate, homo ille libero peccaret arbitrio ; aut ideo in illo non libera voluntas erat, ac non tanto magis erat quanto magis peccato servire non poterat ? De præd. sanct., XV, 30, t. XLIV, col. 982. Répétons-le : c’est un principe pour Augustin que la liberté est d’autant plus parfaite qu’elle est étrangère au mal.

Mais la liberté de l’homme n’est pas restée étrangère au mal, voilà pourquoi le saint docteur la considère en tenant compte de la chute originelle. Le péché l’a considérablement affaiblie. Nous avons vu, en effet, que tel devait être fatalement le résultat du relâchement de sa tendance au bien. Julien d’Éclane ne pouvait que l’avouer. Op. imp. contra Jul., VI, XIX, t. XLV, col. 1529. Depuis la chute donc, la volonté humaine est, dans l’ordre surnaturel et vis-à-vis du bien, comme frappée d’impuissance. Ibid, VI, I, col. 1518, d’une impuissance qui est son châtiment, comme un jour son impuissance vis-à-vis du mal sera sa récompense. Elle partage le sort du prince des ténèbres dont la liberté est toute maléfique, en expiation de son péché. Epist., CCXVII, 10, t. XXXIII, col. 982.

Aussi doit-on dire que, tandis qu’avant la faute originelle l’homme se trouvait libre d’une liberté intacte et puissante, n’excluant certes pas le secours divin, mais capable de se soustraire au mal (comme le fit celle des bons anges, De dono pers., VII, 13, t. XLV, col. 1001), il ne fait plus figure que d’affranchi. De corr. et grat., XII, 35, t. XLIV, col. 937. Il est vrai que cet affranchissement lui redonne une nouvelle et heureuse liberté : celle de servir Dieu. Et c’est ainsi que le Christ délivre ceux qu’il a prédestinés. Il arrache au démon leur liberté, afin que librement ils puissent croire en lui : Mediator intrat in domum fortis et eripit vasa ejus quæcumque prædestinavit eripere, arbitrium eorum ab ejus potestate liberans, ut illo non impediente, credant in istum libera voluntate. Epist., CCXVII, 11, t. XXXIII, col. 892 ; Enchir., XXXI, t. XL, col. 247.

Telle est donc la doctrine d’Augustin sur la liberté de l’homme dans l’œuvre du salut. Parce que l’objet de cette liberté est essentiellement le bien, le péché originel, dans lequel l’homme est tombé, a changé cette liberté en un véritable esclavage. De cet esclavage l’homme est affranchi par la grâce qui rend sa liberté à elle-même en lui donnant Dieu pour objet. Cette doctrine éclaire celle que professe Augustin touchant l’action divine et sa pensée achèvera de nous être manifeste par l’étude des rapports de cette action divine avec l’action humaine, autrement dit des rapports de la grâce avec la liberté.

4° Les rapports de l’action divine et de l’action humaine dans la réalisation de la prédestination. La grâce et la liberté. L’efficacité de la grâce – Saint Augustin, nous l’avons vu plus haut, ne fait pas consister le mystère de la prédestination dans la difficulté de concilier l’action divine et l’action humaine autour du même objet. Le mystère, pour lui, est dans la liberté de l’élection divine, mais quant à l’action de l’homme ou de sa liberté, elle est subordonnée à l’action divine et la question n’est plus que d’étudier les modalités et l’étendue de cette subordination.

Le saint docteur affirme d’abord la coexistence de la grâce et de la liberté dans la réalisation de l’œuvre salutaire : In errorem [Pelagianum] cadit qui putat secundum atiqua merita humana dari gratiam Dei, quæ sola hominem liberat per Dominum nostrum Jesum Christum. Sed rursum, qui putat, quando ad judicium Dominus venerit, non judicari hominem secundum opera sua qui jam per ætatem uti potuit libero voluntatis arbitrio, nihilominus in errore est. Epist., CCXV, 1, t. XXXIII, col. 971. C’est par la grâce seule que l’homme est délivré du péché. Néanmoins il sera jugé sur les œuvres que, dans son âge adulte, il aura accomplies librement. Bons et mauvais, lors du jugement, seront rétribués d’après les mérites de leur propre volonté, mais les bons auront à se souvenir que la grâce fut toujours au principe de leur bonne volonté. La foi, dit Augustin, ne nie aucunement l’action de la liberté, mais, sans la grâce, la liberté ne peut rien, à quelque moment que ce soit de l’économie salutaire. Ibid., 4. Comme nous avons vu que le fait d’imposer à l’homme des préceptes était une reconnaissance par Dieu lui-même de cette liberté, ainsi l’accomplissement de ces mêmes préceptes est une preuve que la grâce coexiste à cette liberté : neque enim [multa] præciperentur, nisi homo haberet propriam voluntatem qua divinis præceptis obediret. Et tamen Dei donum est, sine quo servari… præcepta non possunt. De grat. et lib. arb., IV, 8, t. XLIV, col. 885.

C’est merveille, d’ailleurs, de voir comment l’action de Dieu respecte l’action de l’homme et comment celle-là atteint ses fins sans que celle-ci soit lésée : Nec ideo auferatis a pharaone liberum arbitrium, quia multis locit dicit Deus : « Ego induravi pharaonem, vel induravi aut indurabo cor pharaonis. » Non enim propterea ipse pharao non induravit cor suum. Nam et de illo legitur. « Et ingravavit pharao cor suum et in isto tempore, et noluit dimittere populum ». Ac per hoc et Deus induravit per justum judicium, et ipse pharao per liberum arbitrium. Ibid., XXIII, 45, col. 911. Très librement, le pharaon endurcit son cœur : et néanmoins, cet endurcissement n’est qu’un juste châtiment de Dieu.

Il en va de même dans l’accomplissement des œuvres méritoires : ce sont bien les hommes qui les font, mais sous l’action de la grâce : Etsi faciunt homines bona quæ pertinent ad colendum Deum, ipse facit ut illi faciant quæ præcepit, De præd. sanct., X, 19, t. XLIV, col. 975, action indispensable, même lorsqu’il s’agit de notre coopération la plus habituelle : Cogitantes credimus, cogitantes loquimur, cogitantes agimus quidquis agimus ; quod autem attinet ad pietatis viam et ad verum Dei cultum, non sumus idonei cogitare aliquid tanquam ex nobismetipsis, sed sufficientia nostra ex Deo est. De dono pers., XIII, 33, t. XLV, col. 1013. Et cependant, parmi les douze règles qu’Augustin formulait dans sa lettre à Vitalis de Carthage, touchant la prédestination, il en est une pour revendiquer formellement la liberté de l’acte de foi : Scimus eos qui corde proprio credunt in Dominum, sua id facere voluntate ac libero arbitrio. Epist., CCXVII, 16, t. XXXIII, col. 985. C’est donc que la grâce et la liberté coexistent. Ni celle-là ne détruit celle-ci, ni celle-ci n’exclut celle-là. Il set vrai que, sur ce point particulier de la liberté de la foi, le saint docteur ne parvint pas, dès l’abord, à la vérité. Aussi le voyons-nous se reprendre dans ses Rétractations : … ac deinde subjunxi, quod ergo credimus nostrum est, quod autem bonum operum, illius est qui credentibus dat Spiritum Sanctum ; profecto non dicerem, si jam scirem etiam ipsam fidem inter Dei numera reperiri, quæ dantur in eodem Spiritu. Retract., I, XXIII, 3, t. XXXII, col. 622. Et Augustin de conclure à la double action de la liberté et de la grâce, tant pour la foi que pour les bonnes œuvres. De præd. sanct., III, 7, t. XLIV, col. 965.

Mais comment faut-il entendre cette coexistence de l’action divine et de l’action humaine en vue du même effet qui est, en général, la réalisation de la prédestination, et en particulier, l’accomplissement de toute œuvre salutaire ? En d’autres termes, quels caractères revêt cette « préparation » et cette « réparation » de la volonté, en quoi nous avons vu consister le terme de l’action divine ? Est-ce une « préparation » totale ou partielle seulement, physique ou seulement morale, efficace ou indifférente? La pensée d’Augustin nous paraît sur ce point des plus formelles. Il ne peut s’agir que d’une préparation totale, physique, efficace.

Et d’abord cette préparation est totale. Il faut entendre par là que notre volonté tient de Dieu toute son activité : Multa Deus facit homoin homine bona, quæ non facit homo ; nulla vero facit homo quæ non facit Deus ut faciat homo. Contra duas epist. pelag., II, IX, 21, t. XLIV, col. 586. Augustin y revient souvent, soit pour expliquer le texte évangélique : sine me nihil potestis facere, soit pour expliquer celui de saint Paul : non quia idonei sumus cogitare aliquid quasi ex nobis, sed sufficientia nostra ex Deo est. Ibid., VIII, 18, col. 584.

Mais il y a plus. Cet effet total pourrait résulter d’une intervention morale de Dieu plus ou moins directe, amenant en quelque sorte l’action humaine à changer de direction, à se désavouer même, par une direction contraire. Qu’en est-il au juste ? Pour Augustin, qui aime traduire sa pensée là-dessus par les paroles de saint Paul, il n’est pas seulement question de causalité morale. Le résultat de la grâce divine, c’est notre libre vouloir que l’action divine opère en nous. N’était le sens matériel du terme, qui répugne au caractère spirituel de l’activité divine, on parlerait en toute vérité d’une fabrication de notre libre vouloir : Nec oraret Ecclesia… nisi crederet Dominum sic in potestate habere cor nostrum, ut bonum quod non tenemus nisi propria voluntate, non tamen teneamus nisi ipse in nobis operetur et velle. De dono pers., XXIII, 63, t. XLV, col. 1031. Voilà comment l’Eglise conçoit la puissance de Dieu sur le cœur de l’homme, voilà pourquoi elle prie l’artisan divin de notre action libre. Sa prière n’ignore pas, encore une fois, ce caractère libre de l’action humaine, mais elle sait aussi qu’il résulte de l’action de Dieu, qui affranchit l’homme. Epist., CCXVII, 8, t. XXXIII, col. 981.

Mais il est possible de caractériser davantage encore cette « préparation ». Car on pourrait se demander si elle n’est pas conditionnée de quelque manière, entre autre chose par l’acceptation de l’homme. En d’autres termes, la grâce n’aurait-elle son effet que si la liberté humaine consent à sa propre « préparation » ? Ecoutons le saint docteur : Quod (orare ut qui notunt credant) faceremus prorsus inaniter, nisi rectissime crederemus etiam perversas et fidei contrarias voluntate omnipotentem Deum ad credendum posse convertere. De grat. et lib. arb., XIV, 29, t. LXIV, col. 898. Qu’importe donc à la grâce toute-puissante l’attitude de la volonté humaine à son égard, puisqu’elle se joue des plus endurcis et des plus rebelles. Dieu ne se laisse point arrêter par la dureté des cœurs : Nisi posset Deus etiam duritiam cordis auferre, non diceret per prophetam : « Auferam ab eis cor lapideum et dabo eis cor carneum »,… quia lapis sine sensu est, cui comparatum est cor durum, cui nisi carni sentienti cor intelligens debuit comparari ? Ibid. Il est à même de leur faire comprendre leur propre intérêt : Dabo eis cor carneum, cor intelligens, selon la glose d’Augustin. Lui dénier ce pouvoir, ne serait-ce pas, du même coup, taxer d’inanité et d’hypocrisie bon nombre de nos prières ? Epist., CCXVII, 6, t. XXXIII, col. 980. La grâce divine est donc efficace d’une efficacité que rien ne conditionne, même pas et tant s’en faut, l’acceptation de l’homme rebelle bien souvent.

Mais n’est-ce pas là plutôt détruire la liberté que préparer la volonté, et celle-ci n’est-elle pas contrariée dans son acte propre, qui devient nécessaire et cesse d’être libre ? Vieille objection que nous retrouvons sous la plume de Julien d’Éclane, mais qui ne gêne pas beaucoup Augustin : Si, ut dicis, « ab intentione propria » utique mala, « non debet homo ulla necessitate revocari », cur apostolus Paulus, adhuc Saulus, cædem spirans et sanguinem sitiens, viloenta corporis cæcitate et terribili desuper voce, a sua pessima intentione revocatur ? Agnosce gratiam. Op. imp. contra Jul., I, CXIII, t. XLV, col. 1109. Le saint docteur veut précisément que l’on reconnaisse l’action efficace de la grâce dans ces revirements de la volonté humaine : Agnosce gratiam. Et notons ici qu’il s’agit de l’acte propre de la volonté ab intentione propria. Que la liberté de Saul ait été violentée, on ne saurait le déduire de ce texte d’Augustin, qui ne parle que d’une coercition extérieure : Violenta corporis cæcitate et terribili desuper voce. Et le saint évêque ne nous a-t-il pas enseigné que la grâce respectait la liberté : Scimus eos qui corde proprio credunt, sua id facere voluntate ac libero arbitrio. Epist., CCXVII, 16, t. XXXIII, col. 985. Nous verrons bienttôt que l’action divine n’et aucunement nécessitante.

En quoi consiste cependant la préparation de la volonté ou l’efficacité de la grâce ? C’est d’abord une conversion de notre volonté au bien, de mauvaise qu’elle était : Gratia vero Dei semper est bona, et per hanc fit ut sit homo bonæ voluntatis, qui prius fuit voluntatis malæ. De grat. et lib. arb., XV, 31, t. XLIV, col. 899. Et remarquons qu’il s’agit là d’une transformation active, d’une véritable causalité efficiente, l’effet portant l’empreinte de sa cause qui est bonne comme lui. C’est de plus une transformation actuelle qui dure autant que son effet, dont elle cause toute la perfection progressive : Per hanc etiam fit ut ipsa bona voluntas quæ jam esse cœpit, augeatur, et tam magna fiat ut possit implere divina mandata quæ voluerit, cum valde perfeteque voluerit. Ibid. Elle va à produire la liberté parfaite de l’homme, au point que celle-ci s’exerce en réalité, car, dit Augustin, le vouloir n’est pas pleinement lui-même s’il ne peut s’exercer : Ad hoc enim valet quod scriptum est : « Si volueris, servabis mandata », ut homo qui voluerit et non potuerit, nondum se plene velle cognoscat et oret ut habeat tantal voluntatem, quanta sufficit ad implenda mandata. Sic quippe adjuvatur ut faciat quod jubetur. Ibid. La grâce nous donne donc de vouloir actuellement et efficacement le bien, selon le précepte qu’elle aide à accomplir.

Notons que cette doctrine concilie à merveille les deux activités divine et humaine et Augustin a pu rejeter avec raison toutes les explications tendant à déplacer le mystère de la prédestination : Quomodo ergo qui dicit : « Facite vobis », hoc dicit « Dabo vobis » ? Quare jubet, si ipse daturus est ? Quare dat, si homo facturus est, nisi quia dat quod jubet, cum adjuvat ut faciat cui jubet. Ibid. Telle est la façon dont Dieu nous vient en aide par sa grâce qui nous donne ce qu’il ordonne : l’observation effective de ses commandements.

On se rappelle le principe par lequel Augustin établit la transcendance de l’opération divine, ayant en corrélation la subordination de l’activité humaine : Ipsa bona opera ille in bonis operatur. Ibid., IX, 21, col. 893. Ce principe garde toute sa valeur dans la question présente, mais il se précise encore et, si l’on tient compte du premier terme de l’opération divine, il est ainsi formulé : Agit [enim] Omnipotens in cordibus, hominum etiam motum voluntatis eorum ut per eos agat quod per eos agere ipse voluerit, qui omnino injuste aliquid velle non novit. Ibid., XXI, 42, col. 908. Dieu est donc la cause du mouvement même de la volonté libre de l’homme et c’est lui qui, à travers cette volonté libre, accomplit ses libres desseins. On concevra donc aisément la transformation opérée dans la volonté humaine, déficiente par nature et encore affaiblie par le péché. Sous la motion puissante de la grâce, elle devient capable d’affronter tous les obstacles : Subventum est igitur infirmitati voluntatis humanæ, ut divina gratia indeclinabiliter et insuperabiliter ageretur et ideo quamvis infirma, non tamen deficeret, neque adversitate aliqua vinceretur. De corr. et grat., XII, 38, t. XLIV, col. 940.

Ajoutons que la grâce est efficace, précisément parce qu’elle est un principe intérieur d’action. Ce mouvement de la volonté dont nous venons de parler, Dieu le cause dans ce que l’homme a de plus intime, et cette grâce, ouvrière de notre justification, sans laquelle aucune de nos actions méritoires n’est possible, est la source jaillissante de notre activité surnaturelle. N’en faire qu’un principe extrinsèque, une simple vertu illuminatrice, serait la définir incomplètement : Intelligenda est enim gratia Dei… non solum ut, monstrante ipsa, quid faciendum sit sciant [homines], verum etiam ut, præstante ipsa, faciant cum dilectione quod sciunt. Ibid., II, 3, col. 917. Dieu n’a que faire de moyens extérieurs pour amener les hommes à réaliser ses desseins : Intus egu, corda tenuit, corda movit, eosque volontatibus eorum quas ipse in illis operatus est traxit. Ibid., XIV, 45, col. 944. Par l’action intérieure de la grâce, il s’empare des cœurs et les dirige à sa guise ; il attire les hommes par leur libre vouloir dont il est l’artisan.

Ce n’est pas que les moyens extérieurs n’aient pas leur raison d’être et que leur emploi soit en dehors du plan divin, mais ils ne serviraient de rien sans l’efficacité intime et mystérieuse de la grâce, comme on le voit dans la correction des pécheurs. Ibid., VI, 9, col. 921.

Comment se fait-il cependant que la grâce ne détruise pas la liberté ? C’est que la motion divine en quoi elle consiste ne donne jamais à l’action humaine un caractère de nécessité. Augustin ne se lasse pas de le répéter sous les formes les plus diverses : Si non esset, liberum arbitrium non diceretur : « Rectos cursus fac pedibus tuis et vias tuas dirige, ne declines in dexteram, neque in sinistram », et tamen sine Dei gratia si posset hoc fieri, non postea diceretur : « Ipse autem rectos faciet cursus tuos, et itinera tua in pace producet » (Prov., IV, 26, 27). Epsit., CCXV, 5, t. XXXIII, col. 973. Que conclure de ce texte sinon que la grâce efficace qui maintient l’homme dans le droit chemin ne l’empêche aucunement d’y marcher librement ? C’est la même doctrine que le saint évêque expose en commentant ce verset de l’Evangile : Non omnes capiunt verbum hoc, sed quibus datum est. (Matth., XIX, 11.) Quibus enim non est datum, aut non implent quod volunt : la volonté humaine suffit pour la déficience ; quibus autem datum est, sic volunt ut impleant quod volunt ; mais le vouloir effectif est le terme de la grâce : Itaque, ut hoc verbum quod non ad omnibus capitur ab aliquibus capiatur, et Dei donum est, et liberum arbitrium. De grat. et lib. arb., IV, 7, t. XLIV, col. 886. L’action de la grâce ne supprime pas celle de la liberté.

Au sujet de ceux qui réclamaient en faveur de l’indépendance absolue de la volonté humaine, le saint docteur répondait : Sed potius intelligant, si filii Dei sunt, Spiritu Dei, se agi (Rom., VIII, 14) ut quod agendum est agant, et cum egerint, illi a quo agunt gratias agant. Aguntur enim ut agant, non ut ipsi nihil agant. De corr. et grat., II, 4, col. 918. Réponse on ne peut plus claire. Augustin semble y condenser toute sa doctrine sur l’efficacité de la grâce par laquelle se réalise la prédestination et qui implique une subordination d’activités : aguntur ut agant, sans passivité toutefois : non ut ipsi nihil agant.

Il n’est pas jusqu’à l’élection, acte essentiellement libre de la volonté humaine, dont la grâce ne respecte le caractère de liberté, encore que, de cette élection, elle soit le principe actif : Sua voluntate utique, isti constituerunt regem David. Quis non videat ? Quis hoc neget ? Non enim hoc non ex animo aut non exb ona voluntate fecerunt, quod fecerunt corde pacifico : et tamen hoc in eis egit, qui in cordibus hominum quod voluerit operatur. Ibid., XIV, 45, col. 944. C’est donc que la grâce, malgré son efficacité que rien d’extrinsèque ne conditionne, n’est pas nécessitante. Le choix que Jésus fit de ses apôtres n’empêche pas ceux-ci d’avoir librement choisi le Maître de leur choix : Unde non ob aliud dicit : « Non vos me elegistis, sed ego eleis vos », nisi quia non elegerunt eum ut eligeret eos, sed ut eligerent eum elegit eos. De præd. sanct., XVII, 34, t. XLIV, col. 985.

Qu’il suffise enfin d’ajouter que saint Augustin défendit expressément ce caractère non nécessitant de l’action divine, caractère que Julien lui reprochait de ne pas sauvegarder dans sa doctrine sur la grâce et la liberté humaine. Revendiquant formellement le caractère non nécessaire de la liberté, Julien s’écriait : Arbitrium liberum, quod in mali parte vitiorum voluptatibus, vel diaboli persuasionibus, in boni autem parte virtutum dogmatibus et variis divinæ gratiæ speciebus juvatur, non postest aliter constare, nisi ut et justitiæ ab eo et peccati necessitas auferatur. Op. imp. contra Jul., III, CXXII, t. XLV, col. 1299. Mais il omettait sciemment, à n’en pas douter, la grâce efficace dilectionem comme venant au secours de cette liberté. Et Augustin de lui reprocher assez vertement : Inter divinæ gratiæ species, si poneretis dilectionem, quam non ex nobis sed ex Deo esse, eamque Deum dare filiis suis, apertissime legitis, sine qua nemo pie vivit, et cum qua nemo nisi pie vivit, sine qua nullius est bona voluntaset cum qua nullius est nisi bona voluntas : vere liberum defenderetis, non inflaretis arbitrium. Ibid. Cum qua nemo nisi pie vivit, cum qua nullius est nisi bona voluntas. Augustin concevait donc l’action de la grâce comme infaillible. Et cependant, aucune trace de nécessité : Necessitatem porro, si eam dicis qua quisque invitus opprimitur, justitiæ nulla est, quia nemo est justus invitus, sed gratia Dei ex nolente volentem facit. Ibid.

Gratia Dei ex nolente volentem facit, la voilà bien la raison de cette non-nécessité : la grâce est la cause du libre vouloir. C’est là aussi le point culminant de l’enseignement d’Augustin sur les rapports de la grâce et de la liberté, et conséquemment sur la prédestination que l’une et l’autre réalisent.

A propos de Prov., IV, 26, 27, nous avons vu le saint docteur affirmer que l’action de la grâce ne gênait aucunement celle de la liberté. La suite de son exégèse nous en donne le pourquoi : Sic ergo intellige quod libi præceptum est : « Recto cursus fac pedibus tuis, et vias tuas dirige », ut noveris, cum hoc facis, a Domino Deo tibi præstari ut hoc facias. Epist., CXXV, 7, t. XXXIII, col. 974. Lors donc que l’homme suit le droit chemin, en toute liberté, il faut qu’il sache qu’il tient de Dieu cette libre orientation de ses voies. Plus formellement encore, après avoir rappelé l’efficacité de la prière du Christ en faveur de saint Pierre, Augustin en expose aussi l’objet : Quando rogavit ergo [Christus] ne fides ejus [Petri] deficeret, quid aliud rogavit, nisi ut haberet in fide liberrimam, fortissimam, invictissimam, perseverantissimam voluntatem. De corr. et grat., VIII, 17, t. XLIV, col. 926. L’effet de la grâce divine devait être une très libre volonté.

Si l’on considère, enfin, les conditions dans lesquelles, après la chute, se réalise la persévérance, cette doctrine de l’efficacité de la grâce s’en trouve encore corroborée : Quoniam [sancti] non persevera bunt nisi et possint et velint, perseverandi eis et possibilitas et voluntas divinæ gratiæ largitate donatur. Tantum quippe Spiritu sancto accenditur voluntas eorum, ut ideo possint quia sic volunt ; ideo sic velint, quia Deus operatur ut velint. Ibid., XII, 38, t. XLIV, col. 939. La raison de cette persévérance effective est que Dieu est l’artisan de la liberté : operatur ut velint. La liberté est le résultat de la grâce, sous forme d’affranchissement et non de servilité : Nemo nisi per gratiam Christi ad bonum quod vult agendum et ad malum quod odit non agendum, potest habere liberum voluntatis arbitrium, non ut voluntas ejus ad bonum sicut ad malum captiva rapiatur (c’est ainsi que Julien d’Éclane feignait de comprendre l’enseignement d’Augustin), sed ut a captivitate liberata ad liberatorem suum liberi suavitate omoris, non servili amaritudine timoris attrahatur. Op. imp. contra Jul., III, CXII, t. XLV, col. 1296.

Remarquons dans quel sens on peut dire, selon Augustin que le mal est l’objet de la volonté libre. Il est son objet négatif : Ad malum quod odit non agendum. Dans sa double tendance qui consiste à vouloir le bien et à fuir le mal, la liberté est inexistante sans la grâce, mais, loin que violence soit faite à la volonté, c’est au contraire une délivrance de celle-ci qui s’opère. Et voilà pourquoi, combattre la grâce efficace, sous couleur de sauver la liberté, c’est s’opposer directement à cette dernière : Qui oppugnat gratiam, qua nostrum ad declinandum a malo et faciendum bonum liberatur arbitrium, ipse arbitrium suum adhuc vult esse captivum. Epist., CCXVII, 8, t. XXXIII, col. 981.

Quelle inconséquence, du reste, que de dénier à l’auteur de tous les biens l’usage de notre liberté ! Augustin ne l’entend pas ainsi. Il divise les biens en trois catégories : les grands, les moyens, et les moindres. Parmi les moyens, se trouve le libre arbitre, car, encore que susceptible d’un mauvais usage, il est une condition sine qua non de la vie honnête. Mais le bon usage du libre arbitre est une vertu, et la vertu dont personne ne peut mal user est au nombre des grands biens. Il s’ensuit que le bon usage du libre arbitre est au nombre des grands biens et qu’il a donc, au premier chef, Dieu pour auteur : Sequitur ut ex Deo sit etiam bonus usus liberæ voluntatis, quæ virtus est, et in magnis numeratur bonis. Retract., I, IX, 6, t. XXXII, col. 598.

Concluons cette merveilleuse et profonde doctrine (que plus tard saint Thomas saura généraliser en étudiant la manière dont Dieu meut les agents libres, Sum. theol., Ia-IIæ, q. X, a. 4) par l’énonciation d’un principe, explicatif de tous les rapports entre la grâce et la liberté, à savoir : Voluntas quippe humano, non libertate consequitur gratiam, sed gratia potius libertatem et, ut perseveret, delectabilem perpetuitatem et insuperabilem fortitudinem. De corr. et grat., VIII, 17, t. XLIV, col. 926. La volonté humaine tient de la grâce et son acte libre et l’exercice persévérant, connaturel et efficace de celui-ci. C’est bien nous qui voulons librement, mais Dieu est l’artisan de notre libre vouloir : nos œuvres sont bien nôtres, mais c’est Dieu qui les accomplit en nous. Voilà ce qu’il nous est avantageux de croire et de proclamer, si nous voulons être dans la piété, la vérité, l’humilité et la justice : De dono pers., XIII, 35, t. XLV, col. 1043.

Toute autre façon de comprendre l’efficacité de la grâce divine ne saurait donc s’accorder avec l’enseignement d’Augustin. Julien d’Éclane se faisait déjà le défenseur d’une sorte de « concours simultané », lorsqu’il écrivait : Bonæ itaque voluntati, innumeras adjutorii divini adesse species non negamus : sed ita ut non per adjutorii genera aut fabricatur quæ fuerit arbitrii destructa libertas (toujours à l’adresse d’Augustin la même spécieuse accusation), aut aliquendoea exclusa, vel boni vel mali cuiquam necessitas credatur incumbere (toujours le même fallacieux prétexte) ; verum arbitrio libero omne adjutorium cooperatur. Op. imp. contra Jul., I, XCV, t. XLV, col. 1112. Mais Augustin de lui répondre par cette simple observation : Si non prævenit, ut operetur eam, sed prius existenti voluntati gratia cooperetur, quomodo verum est : « Deus in vobis operatur et velle » (Phil., 11, 13) ? Quomodo præparatur voluntas a Domino ? Ibid.

Bien plus, au même adversaire, exposant avec une sérénité toute affectée le mécanisme du « concours indifférent » : Adsunt tamen adjutoria gratiæ Dei, quæ in parte virtuis nunquam destituunt voluntatem : cujus licet innumeræ species, tali semper moderatione adhibentur, ut nunquam liberum arbitrium loco pellant, sed præbeant adminicula, quamdiu eis voluerit inniti ; cum tamen non opprimant reluctantem animum. Inde quippe est, quod ut alii ad virtutes a vitiis ascendunt, ita etiam alii ad vitia a virtutibus relabuntur, Op. imp. contra Jul., III, CXIV, col. 1296, Augustin répond : Unde fieri potest ut adjutoria Dei, liberum arbitrium loco pellant, quod, potius vitiis pulsum et nequitiæ subjugatum, ut in locum suum redeat, liberant ? Ibid. Loin de chasser le libre arbitre, la grâce le libère et le restaure dans sa dignité. Mais pourquoi les semi-pélagiens, en énumérant les diverses façons dont la grâce vient au secours de la volonté, omettent-ils la seule qui soit spécifiquement divine, la grâce efficace, qu’Augustin désigne ici par son principe, la charité ? C’est qu’ils pensent que la grâce efficace, telle que saint Augustin l’enseigne, détruit la liberté : Hanc vos inter adjutoria gratiæ quæ commemoratis, nominare non vultis, ne hoc ipsum quod obedimus Deo, ejus esse gratiæ concedatis. Putatis quippe isto modo auferri voluntatis arbitrium ; cum hoc quisquam facere nisi voluntate non possit. Ibid. Le saint docteur choisit intentionnellement l’obéissance comme exemple, car, de toute évidence, l’obéissance digne de ce nom suppose la liberté : cum hoc quisquam facere nisi voluntate non possit, et si nous n’obéissons à Dieu qu’en vertu de la grâce, et non de notre chef, c’est donc que la grâce efficace, comme le prétendent les semi-pélagiens, détruit la liberté. Mais qu’importe le sentiment erroné de ces derniers ? Augustin n’en défend pas moins, contre eux, l’efficacité de la réparation divine de la volonté : Sed, quod vos non vultis, « præparatur voluntas a Domino » non forinsecus sonantibus verbis, sed sicut orante exauditaque regina convertit Deus et transtulit indignationem regis in lenitatem. Ibid. Préparation intime et secrète, qui fait que Dieu est l’artisan de notre libre vouloir et l’ouvrier de nos œuvres : Sicut enim hoc divino et occulto modo egit in hominis corde, sic operatur in nobis velle et operari, pro bona voluntate. Ibid.

5° La vocation. – La réalisation de la prédestination dans le temps s’opère par la vocation, la vie sainte, la persévérance finale. L’action de grâce que nous avons longuement analysée avec saint Augustin intervient tout d’abord dans la vocation. Celle-ci a-t-elle la gloire pour terme ? Ou peut-on parler, selon le saint docteur, d’une vocation qui serait seulement un appel à la foi et à la grâce ?

Saint Augustin enseigne qu’il est une vocation à la foi ou à la grâce seule. Sont l’objet de cette vocation ceux dont il est dit : Multi vocati sunt, pauci vero electi (Matth., XX, 16) ou encore : cum annuntiasset et locutus esset, multiplicati sunt super numerum (Ps., XXXIX, 6). Ipsi enim vocati dici possunt, non autem electi quia non secundum propositum vocati. De corr. et grat., XIII, 39, t. XLIV, col. 940. Ce sont des « appelés » mais ils ne seront point élus, car ils sont étrangers au propos divin, partant à la prédestination et à la prescience. Sont encore l’objet de cette vocation ceux qui ne persévéreront pas : Qui vero perseveraturi non sunt, procut dubio nec illo tempore quo bene pieque vivunt, in istorum [electorum] numero computandi sunt. Non enim sunt a massa illa perditionis præscientia Dei et prædestinationje discreti et ideo nec secundum propositum vocati, ac per hoc nec electi, sed in eis vocatis de quibus dictum est : « multi vocati » ; non in eis de quibus ditum est : « pauci vero electi ». Ibid., VII, 16, t. XLIV, col. 925.

Cette vocation n’en est pas moins absolument gratuite, comme le prouvent la prière de demande dont elle est l’objet : Non enim orando peteretur ab eo [Deo], nisi ab ipso tribui crederetur. De præd. sanct., XX, 41, t. LXIV, col. 990, et la prière d’actions de grâces à laquelle elle donne lieu : Donum [Dei] est etiam incipiens fide, ne Apostoli fallax vel falsa gratiarum actio merito judicetur. Ibid., XIX, 39, col. 989.

Quelle est cependant sa raison d’être, puisqu’elle est en fin de compte sans rapport avec la prédestination? Augustin, il faut le reconnaître, ne répond pas explicitement à cette question, préoccupé qu’il est de défendre, contre les semi-pélagiens, l’autre vocation, la vocation à la gloire. Cependant il insinue que la grâce de la foi contient en germe toutes les autres grâces : Fides et non petita conceditur, ut ei petenti alia fidem, ut per fidem impetremus orando, ut possimus facere quæ jubemur. De grat. et lib. arb., XIV, 28, t. LXIV, col. 898. Pour autant, n’a-t-elle pas le caractère d’une vocation suffisante ?

Par contre, le saint docteur nous donne toute sa pensée sur la vocation à la gloire, qu’il a grand soin de distinguer de la précédente : Non enim sic sunt vocati ut non essent electi, propter quod dictum est, « multi enim vocati, pauci vero electio » (Matth., XX, 16) ; sed quoniam secundum propositum vocai sunt, profecto et electi sunt per electionem, ut dictum est, gratiæ. De corr. et grat., VII, 13, t. XLIV, col. 924. La vocation dont la gloire est le terme est donc celle qui est consécutive au propos divin : quoniam secundum propositum vocati sunt, et ce sont les élus qui en sont l’objet. Par elle se réalise l’élection ; elle est une des phases de l’ordre d’exécution. Aussi Augustin entend-il de cette vocation le passage de Rom., VIII, 28-30 : De talibus dicit Apostolus : « Scimus quoniam diligentibus Deum omnia cooperatur in bonum, his qui secundum propositum vocati sunt ». Ibid. De sorte que la correspondance est rigoureuse entre ceux qui sont l’objet des divers actes de Dieu prédestinant : Illi ergo electi, ut sæpe dictum est, qui secundum propositum vocati, qui etiam prædestinati atque præscit. Ibid.

Il va sans dire que la vocation à la gloire inclut la vocation à la foi. La foi est son premier effet : Deus ligitur operatur in cordibus hominum, vocatione illa secundum propositum suum, ut non inaniter audiant Evangelium, sed eo audito convertantur et credant, excipientes non ut verbum hominum, sed sicut est vere verbum Dei. De præd. sanct., XIX, 39, t. XLIV, col. 989.

Cette vocation à la gloire par la foi est une vocation efficace. Cela ressort de la double considération de son terme et de son principe. De ceux qui sont appelés secundum propositum Augustin nous dit : Ex istis nullus perit, quia omnes electi sunt. La raison de l’efficacité de la vocation est donc l’infaillibilité même du choix divin. Le principe de cette vocation n’est autre que la grâce efficace. L’exemple de saint Paul est décisif sur ce point : Aversus quippea fide quam vastabat eique vehementer adversus, repente est ad illam gratia potentiore conversus. De præd. sanct., II, 5, t. XLIV, col. 962. L’homme ne saurait de lui-même venir à la foi : Nemo sibi sufficit vel ad incipiendam, vel ad perficiendam fidem, sed sufficientia nostra ex Deo est ; quoniam fides, si non cogitetur nulla est non sumus idonei cogitare aliquid quasi ex nobismetipsis. Ibid., II, 5, col. 963. Ce disant, Augustin avait en vue l’erreur semi-pélagienne qu’il avait quelque temps inconsciemment partagée. Les semi-pélagiens n’admettaient certes pas la vocation à la gloire, pas plus que la prédestination à celle-ci enseignée formellement par le saint évêque : à leur prédestination à la grâce seule, ils faisaient correspondre une vocation à la grâce seule, croyant ainsi suffisamment se blanchir de l’hérésie pélagienne. Mais ils retombaient partiellement dans cette dernière en revendiquant pour la liberté humaine l’initium fidei et la persévérance. Et saint Augustin de remettre les choses au point : Sed audiant et ipsi in hoc testimonio ubi [Apostolus] dicit : « Sortem consecuti sumus, prædestinati secundum propositum, qui universa operatur. » Ipse ergo ut credere incipiamus operatur, qui universa operatur. De præd. sanct., XIX, 38, t. XLIV, col. 988. Qu’il s’agisse de la vocation à la gloire par la foi, cela ne fait aucun doute, car le saint docteur la caractérise ainsi : Illa vocation quæ sine pænitentia est, id prorsus agitur et peragitur ut credamus, ibid. ; et ailleurs, toujours contre les semi-pélagiens : Intelligamus ergo vocationem qua fiunt electi, non qui eliguntur quia crediderunt, sed eliguntur ut credant. Ibid., XVII, 34, col. 985. Augustin parle donc bien de la vocation à la gloire, effet de la grâce efficace. Nous pouvons même préciser : de la grâce efficace par elle-même ; car cette grâce de la vocation opère dans le secret : Multos venire videmus ad Filium, quia multos videmus credere in Christum, sed ubi et quomodo a Patre audierint hoc et didicerint non videmus. Nimium gratia ista secreta est ; gratiam vero esse quis ambigat ? Ibid., VIII, 13, col. 970. Elle a pour mission d’emporter toute résistance : Hæc itaque gratia, quæ occulte humanis cordibus divina largitate tribuitur, a nullo duro corde respuitur. Ideo quippe tribuitur, ut cordis duritia primitus auferatur. Ibid., col. 971.

6° Auxilium SINE QUO et auxilium QUO. – La vocation des élus n’est que le premier effet de la grâce divine dans la réalisation de la prédestination. Il faut que les « appelés » restent fidèles à cette vocation en ne cessant pas d’accomplir les œuvres méritoires que la gloire récompensera. Mais nous savons les conditions qui leur sont faites : l’intrusion du mal dans l’œuvre divine de la création et, consécutivement, la déchéance de l’action humaine, l’asservissement de la liberté. D’où la nécessité de l’intervention divine, de la grâce, dont l’enseignement d’Augustin relatif à l’auxilium sine quo et à l’auxilium quo est susceptible de nous découvrir plus complètement encore la nature.

C’est une objection, fort subtile, des moines d’Hadrumète, qui obligea le saint évêque à expliciter sa pensée sur ce qu’on a toujours, depuis lors, appelé l’auxilium sine quo et l’auxilium quo, faute d’une dénomination plus caractéristique. Cette objection se fondait sur la non-persévérance d’Adam. Par quoi il faut entendre non pas l’impénitence finale de notre premier père et la non-réception par lui d’une grâce très spéciale que nous considérerons plus loin, mais plutôt sa non-permanence dans l’excellence de sa première condition, et la déchéance de son opération originelle. Il est à croire que la dite objection avait successivement revêtu plusieurs formes. Augustin, en effet, prend la peine de la préciser pour réserver l’à-propos de sa réponse. Il ne s’agit pas d’expliquer comment, n’ayant pas reçu la grâce indispensable à la permanence dans le bien, Adam ne laissa pas de demeurer quelque temps sans péché. Ce qui advint, de fait, correspond à cette non-réception, la grâce de la permanence n’étant pas ordonnée à une fidélité momentanée, mais à une fidélité de tous les instants.

Mais voici une difficulté plus sérieuse. Selon la propre doctrine d’Augustin touchant la nécessité et l’efficacité de la grâce, si Adam avait reçu le don de persévérer dans sa rectitude originelle, nul doute qu’il n’y eût persévéré et, partant, qu’il n’eût point déchu de son excellence originelle. Or, il pécha et s’éloigna du bien moral. Donc, Adam n’eut pas ce don de persévérance, et s’il ne l’eut pas, c’est qu’il ne le reçut pas de Dieu. Mais s’il ne l’eut pas, faute de l’avoir reçu, comment peut-on lui imputer à péché de n’avoir point persévéré, ce don étant indispensable à la persévérance ? Qu’on ne nous réponde pas, disaient les semi-pélagiens, qu’Adam ne reçut point le don de persévérer dans le bien, parce que l’action divine ne l’avait pas discerné, distingué, séparé d’avec la masse vouée à la perdition. Car, avant son péché qui fut corrupteur de tout ce qui devait prendre origine de lui, cette masse n’existait pas encore.

Il est difficile, assurément, de formuler une objection plus forte contre la responsabilité de l’homme dans le mal. A la base du premier péché, source unique de tous les désordres ultérieurs, il y a la non-dispensation par Dieu d’une grâce, la grâce efficace de la permanence dans le bien. Aussi longtemps que l’on n’a point précisé les rapports qui existent entre le péché et cette non-dispensation, n’est-ce pas là l’équivalent d’une réprobation positive antécédente, posée en germe dans cette non-dispensation ?

C’est à cette grave difficulté qu’Augustin opposa sa distinction, soigneusement expliquée, entre l’auxilium sine quo et l’auxilium quo. Distinction vraiment géniale et dont le mérite nous échappe uniquement parce que des siècles de labeur théologique l’ont mise à notre portée avec beaucoup d’autres. Par elle, comme on va le voir, le saint docteur concilie à merveille l’efficacité de l’action divine, la dignité de la liberté humaine et l’entière responsabilité d’Adam prévaricateur.

Le fondement de cette distinction se prend de la différence qui existe entre les conditions d’exercice de la liberté d’Adam, avant la chute, et les conditions d’exercice de la liberté de ses descendants, atteinte par sa prévarication. A ces conditions si diverses da

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:27

D’une façon plus spéciale, la première fut donnée au premier homme afin qu’il persévérât dans le bien, la seconde nous donne le vouloir effectif de cette persévérance. Celle-là venait au secours de la volonté impuissante vis-à-vis du bien surnaturel : Nec ipsum [Adam] ergo Deus esse voluit sine sua gratia… quoniam liberum arbitrium ad malum sufficit, ad bonum autem parum est, nisi adjuvetur ab omnipotenti bono. Ibid., 31. Celle-ci fortifie la volonté, déficiente après la chute, et lui fait produire son acte en vertu d’une nouvelle énergie : Secunda ergo plus potest, qua etiam fit ut [homo] velit et tantum velit, tantoque ardore diligat ut carnis voluntatem contraria concupiscentem voluntate spiritus vincat. Ibid. L’une ne porte pas encore à vouloir effectivement, l’autre a pour terme premier et direct l’acte de la volonté.

C’est du reste la différence des rapports qu’elles ont avec la volonté qui les distingue l’une de l’autre. Vis-à-vis de la première, la volonté humaine joue un rôle conditionnel (nous verrons plus loin dans quel sens) : [Gratiam primus homo] habuit in qua si permanere vellet, nunquam malus esset… Tale quippe erat adjutorium in quo permaneret si vellet. Prima enim et qua fit ut habeat homo justitiam si velit… Acceperat [primus homo] posse is velet, posset enim perseverare si velet. Ibid. Vis-à-vis de la seconde, la volonté humaine déchue et affaiblie a une attitude d’obéissance salutaire et d’abandon. Sous l’action de cette grâce, la liberté se laissa rendre à elle-même ; après la honteuse abdication de sa dignité, elle se répand en deux généreux vouloirs : Nunc autem… quibus datur tanto amplius datur per Jesum Christum Dominum nostrum… ut non solum adsit sine quo permanere non possumus, etiam si velimus, verum etiam tantum ac tale sit ut velimus. Ibid., 32, col. 936.

Comment faut-il comprendre cependant l’inefficacité de l’une et l’autre grâces, étant donnée cette diversité de leurs objets respectifs et de leurs rapports avec la liberté humaine ? Rappelons que nous avons déjà considéré longuement avec Augustin l’efficacité de la grâce qui prépare et répare la volonté. C’est donc surtout l’efficacité de la grâce accordée au premier homme qui est en question.

Pour saisir la pensée exacte d’Augustin sur ce point délicat de sa doctrine, il faut distinguer une double efficacité de cette grâce, à savoir son efficacité de droit et son efficacité de fait.

Efficacité de droit. Nous entendons par là que cette grâce ne tient que d’elle-même la vertu de produire son effet qui est, nous l’avons dit, la permanence dans la justice originelle. Cette permanence lui revient tout entière, car la liberté du premier homme laissée à elle-même est à cet égard d’une impuissance totale : Sine qua [primus homo] etiam cum libero arbitrio bonus esse non posset… : sic [liberu arbitrium] adjuvabatur, ut sine hoc adjutorio in bono non maneret… ; dederat adjutorium [homini Deus] sine quo in ea [bona voluntate] non posset permanere si vellet… ; ut autem [primus homo] in eo [bono] permaneret egebat adjutorio gratiæ, sine quo id omnino non posset. Primo itaque homini… datum est adjutorium perseverantiæ… sine quo per liberum arbitrium perseverare non posset. Ibid. Par où l’on voit que la persévérance d’Adam n’eut point résulté d’une simple coordination de la grâce et de la liberté.

Cependant, nous avons parlé d’un rôle conditionnel de la volonté humaine vis-à-vis de la grâce sine qua ou de l’auxilium sine quo. Il importe de préciser ce rôle. Augustin n’y manque pas : Eam [gratiam sine qua] tamen [homo primus] per liberum arbitrium deserere posset… Quod adjutorium, si homo ille per liberum non deseruisset arbitrium, semper esset bonus… Tale quippe erat adjutorium quod desereret cum vellet… Hoc adjutorium si vellet desereret. Ibid. Par où l’on voit que ce qui était au pouvoir de la liberté du premier homme, c’était de « déserter » le secours divin, d’abandonner la grâce, de se soustraire à son efficacité. Pouvoir tout négatif, on en conviendra, puisqu’il n’allait qu’à se priver d’une aide indispensable pour faire le bien.

L’efficacité de la grâce s’en trouva-t-elle compromise ? En fait, oui ; en droit, nullement. En fait, disons-nous, car si le premier homme, en se dérobant à cette grâce par une abdication de son libre arbitre s’interdit à lui-même toute persévérance effective dans le bien, la grâce n’en demeurait pas moins la source de cette persévérance que seule une déficience de la volonté humaine contraria. De sorte que la volonté d’Adam fut la condition non pas de l’efficacité de droit de l’auxilium sine quo non, mais la cause de son inefficacité de fait en le frustrant de son application. Aussi, comparant l’auxilium sine quo et l’auxilium quo, Augustin ne veut pas que le premier soit déprécié, quelle que soit la prééminence du second : Nec illa quidem parva erat, quo demonstrata est etiam potentia liberi arbitrii, quoniam sic adjuvabatur, ut sine hoc adjutorio in bono non maneret sed hoc adjutorium si vellet desereret. Ibid. Son excellence est donc mise en relief et par son efficacité de droit qui le rend indispensable : sine hoc adjuvatur in bono non maneret, et par le conditionnement purement négatif de la volonté : si vellet desereret.

Mais, dira-t-on peut-être, l’inefficacité de fait ne contredit-elle pas à toute efficacité de droit ? Nous répondrons par un exemple, à l’aide duquel Augustin distingue les deux auxilia : Sine alimentis, dit-il, non possumus vivere, nec tamen cum adfuerint alimenta eis fit ut vivat qui mori voluerit. Ibid., XII, 34, col. 937. Les aliments sont indispensables à la vie, à cause de la vertu nutritive qu’ils sont seuls à posséder. Cependant leur possession ne suffira pas à la vie de celui qui préférera mourir. Qu’est-ce à dire, sinon qu’efficaces en droit ou par eux-mêmes, ils peuvent inefficaces de fait pour celui qui se prive volontairement de leur vertu nutritive, indispensable et suffisante à la vie.

Il sera donc possible de répondre avec Augustin à l’objection semi-pélagienne qui nous a valu cette précieuse doctrine. Cette objection procède d’une confusion entre la nature de la grâce accordée au premier homme pour sa persévérance dans le bien, et la nature de la grâce accordée à ses descendants. Parce que les forces de son libre arbitre n’étaient atteintes par le péché, Adam reçut une grâce telle que, à la seule condition de ne pas se dérober à son efficacité, il eût toujours persévéré dans le bien, d’autant que rien encore ne le sollicitait à se dérober de la sorte. Cette grâce, sans laquelle la persévérance lui était impossible, était donc, tout ensemble, indispensable, efficace quant à elle-même, et respectueuse d’une liberté encore intacte : Ut autem vellet [permanere in bona voluntate] in ejus libero reliquit arbitrio. Ibid., XI, 32, col. 935. La question était pour lui de rester sous l’action de cette grâce. On sait ce qui arriva. Abusant de sa liberté, jusqu’alors ordonnée à son véritable objet, le bien, il se tourna vers le mal, devenant ainsi l’artisan de sa propre déchéance. L’action divine ne pouvait le suivre sur cette voie : deseruit et desertus est (ibid.), où d’ailleurs il pouvait se suffire : quoniam liberum arbitrium ad malum sufficit. Ibid. Mais, du même coup, il perdit sa rectitude originelle, pour se retrouver avec sa défectibilité native et son impuissance radicale vis-à-vis du bien surnaturel et méritoire. Sa responsabilité fut entière. D’une part, en effet, Dieu ne lui avait pas refusé le secours indispensable à sa défectibilité naturelle. Mais, d’autre part, ce secours il le dédaigna en quelque sorte, le rendit vain en faisant fi de son efficacité : Acceperat posse si vellet… quod ut nollet de libero descendit arbirio. Ibid.

Ainsi, les semi-pélagiens n’avaient pu prendre en défaut la doctrine d’Augustin sur l’efficacité de la grâce. Si peu même, que le saint docteur, dans sa réponse à leurs subtilités, trouvait une occasion nouvelle de mettre cette efficacité en relief. Car si l’auxilium sine quo était efficace, jusqu’à faire toucher au doigt l’impuissance de la liberté du premier homme laissée à elle-même : qua demonstrat est etiam potentia liberi arbitrii, que dire de l’auxilium quo qui vient au secours d’une liberté déchue ? Hæc autem tanto major est, ut parum sit homini per illam reparare perditam libertatem, parum sit denique non posse sine illa vel apprehendere bonum, vel permanere in bono si velit, nisi etiam sufficiatuir ut velit… Fit quippe in nobis per hanc Dei gratiam in bon recipiendo et perseveranter tenendo, non solum posse quod volumus, verum etiam velle quod possumus. Ibid. Le libre vouloir qui pouvait être, pour la grâce donnée au premier homme, une condition d’efficacité de fait, est le principal effet de la grâce donnée à ses descendants. Et ceux-ci ne reçoivent pas seulement la faculté de persévérer dans le bien, ils reçoivent cette persévérance même : Nunc vero, sanctis in regnum Dei per gratiam Dei prædestinatis, non tale adjutorium perseverantiæ datur (sine quo perseverare non possunt), sed tale ut eis perseverantia ipsa donetur ; non solum ut sine isto dono perseverantes esse non possint, verum etiam ut per hoc donum, non nisi perseverantes sint. Ibid., XII, 34, col. 937. Non nisi perseverantes sint : nous retrouvons le caractère infaillible de la grâce efficace. Est-ce au détriment de la liberté ? Nullement : Prima libertas voluntatis erat posse non peccare ; novissima erit multo major ; non posse peccare. Ibid., 33. C’est qu’Augustin est fidèle à son principe : la liberté humaine est d’autant plus parfaite qu’elle est plus étrangère au mal.

Le saint docteur avait donc raison d’exalter la toute-puissance divine, à propos de la permission du péché : Prima immortalitas erat posse non mori, novissima erit multo major, non posse mori ; prima erat perseverantiæ potestas bonum posse non deserere, novissima erit felicitas perseverantiæ bonum non posse deserere. Ibid. Cette nouvelle immortalité bienheureuse, cette impossibilité de mourir et cette nouvelle persévérance, véritable confirmation dans le bien, furent la récompense des anges fidèles. L’auxilium quo tient lieu de l’une et de l’autre pour ceux que Dieu a prédestinés : Sanctis in regnum Dei per Dei gratiam prædestinatis.

7° Le don de la persévérance finale. – La vocation à la gloire ou secundum propositum, la collation, après la chute originelle, de l’auxilium quo pour la permanence effective dans le bien surnaturel et méritoire, seraient insuffisantes à la réalisation de la prédestination des élus, sans la grâce très spéciale de la persévérance finale.

On se rappelle que les semi-pélagiens, partagés entre le double souci d’échapper à la condamnation des doctrines de Pélage, d’une part, et d’exalter le rôle de la liberté humaine dans l’œuvre du salut, d’autre part, affectaient de ne revendiquer pour la liberté que deux interventions absolument indépendantes ; l’une au moment de l’initium fidei, l’autre à l’instant de la persévérance finale. Mais Augustin de s’inscrire en faux contre l’une et contre l’autre. C’est de son attitude intransigeante que nous déduisons sa pensée sur ce qu’il appelle le grand don de Dieu : Ad hæc nos negare quidem non possumus etiam perseverantiam in bono proficientem usque in finem, magnum esse Dei munus ; nec esse nisi ab illo de quo scriptum est : « Omne datum optimum et omne donum perfectum desursum est, descendes a Patre luminum » (Jac., I, 17). De corr. et grat., VI, 10, t. XLIV, col. 921.

Il importe de ne pas se méprendre sur la nature de cette grâce. On peut parler, certes, d’une persévérance plus ou moins longue dans le bien avec le secours de l’auxilium quo, mais une telle persévérance ne coïncide avec le don divin dont nous parlons, que si elle dure jusqu’à la fin : Hanc certe de qua nunc agimus perseverantiam, qua in Christo perseveratur usque in finem. De dono pers., I, 1, t. XLV, col. 995. Il est donc de l’essence même de ce don d’être final, encore qu’il importe peu que la fin vienne plus tôt ou plus tard. Augustin le précise comme étant le seuil de la gloire divine. De corr. et grat., VI, 10, t. XLIV, col. 922.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:27

De plus, ce don a un caractère très spécial qui le distingue de toutes les autres grâces. Celles-ci, et c’est chose bien mystérieuse, peuvent affluer tandis qu’il fait défaut : Mirandum est quidem, multumque mirandum, quod filiis suis quibusdam Deus quos regeneravit in Christo, quibus fidem, spem, dilectionem dedit, non dat perseverantiam. Ibid., VIII, 18, t. XLIV, col. 926. Dieu, dans sa providence, a deux façons de l’accorder, soit que l’homme, mourrant prématurément, n’ait pas le temps de se pervertir : Ut finiat homo vitam istam, antequam ex bono mutetur in malum, ibid., soit qu’il demeure jusqu’à la fin dans l’amitié divine, ou, s’il la quitte momentanément, qu’il y revienne jusqu’à la fin : Hi enim in eo quod diligunt Deum permanent usque in finem ; et qui ad tempus inde deviant revertuntur, ut usque in finem perducant quod in bono esse cœperunt. Ibid., IX, 23, col. 929. Enfin, nous retrouvons le don de la persévérance finale aussi bien chez le martyr, que chez la victime d’une lente maladie ou d’un accident imprévu : Ægritudine corporis vel quocumque casu moriuntur in Christo. Plus rare d’un côté, plus commune de l’autre, pour Dieu à qui tout est facile, la collation de cette grâce ne fait aucune difficulté. De dono pers., II, 2, t. XLV, col. 995.

Il est à peine besoin de souligner l’importance d’un pareil don. N’est-ce pas lui qui consomme toute l’économie de la prédestination : Liberati enim a peccato servio facti sunt justifiæ (Rom., VI, 18), in qua stabunt usque in finem, donante sibi illo perseverantiam, qui eos præscivit et prædetinati Deus pereverantiam non dedit. De corr. et grat., IX, 21, t. XLIV, col. 928. Nesque enim datur nisi eis qui non peribunt, quoniam qui non perseverant peribunt. Ibid., 23. Son absence est un signe de perdition. Quoi d’étonnant, si elle est la condition sine qua non de la réalisation de la prédestination dans son sens le plus évident ? Quis enim in æternam vitam potuis oridnari perseverantiæ dono ? Quandoquidem qui perseverarit usque in finem, hic salvus erit (Matth., X, 22). Qua salute, nisi æterna ? Ibid., VI, 10, t. XLIV, col. 922.

A l’inverse, on peut dire que la prédestination est une garantie assurée de persévérance finale, tant sont étroites leurs relations : … nullus eorum (prædestinatorum et secundum propositum vocatum) ex bono in malum mutatus finit hanc vitam, quonima sic est ordinatus, et ideo Christo datus, ut non pereat, sed habeat vitam æternam. Ibid., IX, 21, col. 929.

En dépit de toutes les apparences, ceux qui ne reçoivent pas le don de la persévérance finale ne sont ni de vrais disciples du Christ, ni de véritables enfants de Dieu. Si nous nous trompons sur leur compte, c’est que nous sommes ignorants de l’issue de leur vie : Appellamus ergo nos et electos et Christi discipulos et Dei filios, quia sic appellandi sunt, quos regeneratos pie vivere cernimus ; sed tunc vere sunt quod appellantur, si manserint in eo propter quod sic appellantur. Si autem perseverantiam non habent, id est, in eo quod cœperunt esse non manent, non vere appellantur quod appellantur et non sunt : apud eum enim hoc non sunt cui notum est quod futuri sunt, id est, ex boni mali. Ibid., 22.

La gratuité finale du don de persévérance finale ne sera donc qu’un corollaire obligé de sa nature et de son rôle dans l’ensemble de la prédestination. C’est à la déduction de ce corollaire qu’Augustin s’emplie dans son De bono (seu dono) perseverantiæ, dont il présume en ces termes la conclusion : Asserimus ergo donum Dei esse perseverantiam qua usque in finem perseveratur in Christo. De dono pers., I, 1, t. XLV, col. 993. Volontiers, il a recours à l’argument traditionnel de la prière, lui que les semi-pélagiens accusaient de briser avec toute tradition. On implore de Dieu la persévérance : c’est donc qu’elle est un don de Lui. On en rend grâces : quelle dérision, si Dieu n’en est ni le dispensateur, ni l’auteur. L’Eglise toute entière demande la persévérance de ses enfants, parce qu’elle sait de qui l’obtenir. Voir De dono pers., II, 3, col. 996 ; VII, 15, col. 1002. C’est là, du reste, une vérité de simple bon sens pour quiconque se rappelle que Dieu est le maître de la vie et qu’il n’a qu’à interrompre le cours de celle-ci, lorsqu’une chute est imminente, pour que l’homme ainsi prévenu persévère jusqu’à la fin. Ibid., XVII, 41, col. 1018.

8° La gratuité de la prédestination manifestée dans sa réalisation « in tempore », principalement par l’absence de mérites antécédents. – Pour qu’apparaisse cette gratuité dans la réalisation du propositum divin, il suffit de se rappeler les caractères de l’action divine ou de la grâce, les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté humaine, la nature de la vocation efficace, de l’auxilium quo, du don de la persévérance finale.

Il est bien vrai que l’Ecriture atteste que Dieu rendra à chacun selon ses œuvres. Matth., XVI, 27. Mais elle proclame en même temps que la grâce n’est pas la récompense du mérite, Rom., IV, 4, et nous savons par l’Apôtre que la vie éternelle est une grâce. Rom. VI, 23. Comment Augustin démêle-t-il cette apparente contradiction ? Par sa doctrine même.

La vie éternelle est gratuite, parce que sont gratuites les bonnes œuvres qu’elle récompense. La gratuité de la fin s’explique par la gratuité des moyens : Itaque, charissimi, si vita bona nostra nihil aliud est quam Dei gratia, sine dubio et vita æterna, quæ bonæ vitæ redditur, Dei gratia est ; et ipsa enim gratis datur, quia gratis data est illa cui datur. De grat. et lib. arb., VIII, 20, t. XLIV, col. 893. La seule différence entre ces deux gratuités c’est que l’une, celle des bonnes œuvres, n’en suppose pas d’autre, tandis que celle de la vie éternelle suppose celle des bonnes œuvres : Sed illa cui datur, tantummodo gratia est : hæc autem quæ illi datur, quoniam præmium ejus est, gratia est pro gratia, tanquam merces pro justitia, ut verbum sit, quoniam verum est, qui reddet unicuique Deus, secundum opera ejus. Ibid. Ce n’est là qu’une façon originale de dire que Dieu récompense notre activité, mais que cette récompense n’en demeure pas moins purement gratuite : Si ergo Dei dona sunt bona merita tua, non Deus coronat merit tua tanquam merita tua, sed tanquam dona sua. Ibid., VI, 15, col. 891.

Il plaît à saint Augustin d’insister non seulement sur l’absence de tout mérite, mais sur l’accumulation des démérites. Il faut que ceux-ci, qui sont la libre conséquence de la très sage permission des péchés, fassent éclater la raison d’être de cette permission, montrent la toute-puissance divine : Quandoquidem non solum nullis bonis sed etiam multis meritis malis præcedentibus [gratiam Dei] videmus datam et quotidie dari videmus. De grat. et lib. arb., VI, 13, t. XLIV, col. 889.

Ceux qui veulent que la grâce récompense le mérite antécédent se trompent singulièrement, en dépit de tous les textes qu’ils peuvent mettre en avant. N’aperçoivent-ils donc pas la contradiction de leur effort ? Illi ponunt meritum hominis quod dictum est (I Par., XXVIII, 9) : « Si quæsieris eum », et secundum hoc meritum dari gratiam, in eo quod dictum est : « invenietur tibi », et omnino laborant, quantum possunt, ostendere gratiam Dei secundum merita nostra dari ; hoc est gratiam non esse gratiam. Quibus enim secundum meritum redditur, non imputatur merces secundum gratiam, sed secundum debitum, sicut apertissime dicit Apostolus (Rom., IV, 4). Ibid., V, 11, col. 888 ; et ailleurs : Gratia vero non secudum merita hominum datur, alioquin gratia jam non gratia, quia ideo gratia vocatur quia gratis datur. Ibid., XXI, 43, col. 909.

Toute la réalisation de la prédestination par la grâce efficace revêtira donc ce caractère de gratuité absolue. C’est en vain que les semi-pélagiens voulaient faire exception pour la foi. La parole de l’apôtre est formelle : Non enim dixit : « misericordiam consecutus sum, quia fidelis eram », sed « ut fidelis essem » (I Cor., VII, 25), hinc ostendes etiam ipsam fidem haberi nisi Deo miserante non posse et esse donum Dei. De grat. et lib. arb., VIII, 17, t. XLIV, col. 891. De la prière pour les infidèles (Rom., X, 1), Augustin tire ce raisonnement : Orat Apostolus, pro non credentibus, quid nisi ut credant ? Non anim aliter consequuntur salutem. Si ergo fides orantium Dei prævenit gratiam, numquid eorum fides, pro quibus oratur ut credant, Dei prævenit gratiam ? Paul parlait et priait en connaissance de cause. Sa vocation à la foi, sur le chemin de Damas, fut un comble de gratuité et Augustin que nous avons vu invoquant l’exemple de cette vocation en faveur de l’efficacité intrinsèque et non nécessitante de la grâce, y fait encore appel en faveur de sa gratuité absolue. De grat. et lib. arb., V, 12, t. XLIV, col. 889.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:28

Il serait superflu de revenir sur la gratuité du don de persévérance finale, corollaire obligé de sa nature et de son rôle dans la réalisation de la prédestination. Au reste, pour le saint docteur, la gratuité totale de celle-ci ne fait pas plus de difficulté que sa gratuité initiale : Si operatur Deus fidem nostram, miro modo agens in cordibus nostris ut credamus, numquid metuendum est ne totum facere non possit ? De præd. sanct., II, 6, t. XLMIV, col. 963. Quelle étrange conception que de revendiquer pour l’homme toute initiative dans le commencement, afin d’enchaîner l’action divine à ses mérites dans la suite. C’est Dieu qui est à la source de toute notre vie morale et en procure le mystérieux accroissement : Quis… non fateatur a Domino Deo nobis esse, ut declinemus a malo et faciamus bonum ?… Sciebat [Apostolus] hæc omnia non valere quæ plantado et rigando faciebat in aperto, nisi eum pro illis exaudiret orantem, qui dat, invrementum in occulto. De corr. et grat., II, 3, t. XLIV, col. 918.

Aussi quelle place peut-on faire décemment aux mérites de l’homme ? Unde satis dilucide ostenditur et inchoadi, et usque in finem perseverandi gratiam Dei non secundum merita nostra dari. De dono pers., XIII, 33, t. XLV, col. 1012. C’est la très secrète, très juste, très sage et très bienfaisante volonté de Dieu qui en tient lieu : Sed dari secundum ipsius secretissimam, eamdemque justissimam, sapientissimam, beneficentissimam voluntatem. Ainsi se réalisent efficacement et sans repentance les décrets prédestinants : Quoniam quos prædetinavit, ipsos et vocavit vocatione illa de qua dictum est : Sine pænitentia sunt dona et vocatio Dei. Ibid.

Qu’on ne fasse pas appel, pour sauver de l’erreur la doctrine contraire, à des mérites futuribles. Nous avons Augustin taxer d’absurdité la prescience divine dont ces mérites seraient l’objet pour devenir ensuite la règle de la prédestination. Le châtiment de Tyr et de Sidon, qui cependant auraient eu le mérite de la docilité à l’Evangile, si celui-ci leur eût été prêché, justifie le jugement sévère du saint docteur : Si etiam secundum facta quæ facturi essent si viverent mortui judicantur, profecto, quia fideles futuri erant isti [Tyrii et Sidonii] si eis cum tantis miraculis fuisset Evangelium prædicatum, non sunt utique puniendi ; punientur autem ; falsum est igitur et secundum ea mortuos judicari, quæ facturi essent si ad viventes Evangelium perveniret. Ibid., IX, 23, col. 1006.

Et que d’inconvénients à admettre cette sorte de mérites ! Le moindre n’est pas la falsification de l’Ecriture : Cum unusquisque recipiat si sive bonum, sive amlum, secundum ea quæ per corpus gessit, non secundum ea quæ gesturus esset, si diutius fuisset in corpore, sicut Apostolus (II Cor., V, 10) definit, Epist., CCXVII, 22, t. XXXIII, col. 986, ou tout au moins sa contradiction : Cum dicat Scriptura : « Felices mortui qui in Domino moriuntur » (Apoc., XIV, 13), quorum sine dubio certa et secura felicitas non est, si et ea quæ non egerunt, sed acturi fuerant, si esset eis hæc vita prolixior, judicabit Deus. Ibid.

Au surplus, si la mort prématurée n’est plus un bienfait de la Providence, c’est le renversement de toutes les croyances : Nullum accipit beneficium qui rapitur ne malitia mutet intellectum ejus, ibid., et le champ ouvert à la désolation : quia et pro illa malitia, cui forsitan imminenti subtractus est, pœnas luit. C’est la fin de tous les espoirs et le commencement de toutes les angoisses, s’il est risqué de se réjouir, à la mort de ceux qui ont bien vécu, mais qui pourraient mal vivre : Ne secundum aliqua scelera judicentur quæ fuerant, si viverent, fortasse facturi. C’est enfin la négation de toute justice sociale, s’il est permis de regretter le châtiment des scélérats : Quia forte si viverent, acturi fuerant pænitentiam, pieque victuri, et secundum ista sunt judicandi. Ibid. Aussi pareille doctrine, basée sur une contradiction, ne mérite-t-elle que dérision, parce qu’elle est naïve, et exécration parce qu’elle est funeste : Ridendus est et exscerandus error quo putatur quod homines, secundum suas futuras quæ morientium non sunt futuræ, judicandi sunt voluntates (ibid.). Augustin l’avait stigmatisée ouvertement dès sa lettre à Vitalis de Carthage dans laquelle sur douze sentences exprimant l’essentiel de sa propre pensée, quatre concernaient la gratuité de la prédestination. Ce sont les suivantes, dont la dernière combat toute considération de mérites futuribles.


II. Secundum gratiam Dei, nec parvulis, nec majoribus secundum merita nostra dari.

III. Scimus non omnibus dari, et quibus datur non solum secundum merita operum non dari, sed nec secundum merita voluntatis eorum quibus datur : quod maxime apparet in parvulis.

V. Scimus eis quibus gratia datur, misericordia Dei gratuita dari.

VII. Scimus quod omnes adstabimus ante tribunal Christi ut ferat unuquisque secundum ea quæ per corpus gessit, non secundam ea quæ si diutius viveret, gesturus fuit, sive bonum sive malum. Epist., CCXVII, 16, t. XXXIII, col. 984.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:28

Ajoutons, pour rendre toute la pensée du saint docteur, que, loin d’être la récompense de mérites antécédents, la grâce par laquelle se réalise la prédestination est la condition de tout mérite : du mérite de la correspondance à la vocation : Ad hanc vocationem qui pertinent, omnes sut docibiles Dei, nec potest eorum quisquam dicere « Credidi ut sic vocarer », prævenit quippe eum misericordia Dei, quia sic est vocatus ut crederet, De præd. sanct., XVI, 33, t. XLIV, col. 985 ; du mérite de la fidélité au bien, car elle prévient les défaillances de la liberté : Plane, cum data fuerit, incipiunt esse merita nostra bona, per illam tamen ; nam, si se illa subtraxerit, eadit homo, non erectus sed præcipitatus libero arbitrio. De grat. et lib. arb., VI, 13, t. XLIV, col. 889.

Aussi bien n’est-ce là, au dire d’Augustin, que la pensée de saint Paul lui-même : Et ideo commendans istam gratiam quæ non datur secundum aliqua merita, sed efficit omnia bona merita, « non quia idonei sumus cogitare aliquid quasi ex nobismetipsis, sed sufficientias nostra ex Deo est ». De præd. sanct., II, 5, t. XLIV, col. 962.

9° L’infaillibilité de la prédestination expliquée du côté de l’homme par l’efficacité de la grâce divine. – C’est encore une conclusion qui va de soi, si l’on se rappelle que, pour saint Augustin, la volonté de l’homme ne fait point échec à la grâce divine, celle-ci étant la source de nos libres vouloirs eux-mêmes. L’action divine réalise, en toute indépendance, le plan de la prédestination, dès l’instant de la vocation efficace et jusqu’à celui de la persévérance finale, en dépit de passagères déviations : Hi enim [qui secundum propositum vocati sunt] in eo quod diligunt Deum, permanent usque in finem, et qui ad tempus inde deviant, revertuntur, ut usque in finem perducant, quod in bono esse cœperunt. De corr. et grat., IX, 23, t. XLIV, col. 929. Comment concevoir, du reste, que dans l’accomplissement de ses desseins, la toute-puissance de Dieu puisse être contrecarrée par la faiblesse de l’action humaine : Parum de re tanta cogitant, vel ei excogitandæ non sufficiunt qui putant Deum omnipotentem aliquid velle, et homine infirmo impediente, non posse. Op. imp. contra Jul., I, XCIII, t. XLV, col. 1109.

Mais c’est surtout l’infaillibilité du don de persévérance qui explique l’infaillibilité de la prédestination. Chez ceux qui l’on reçu, ou la foi vive et agissante ne chancelle pas, ou elle est relevée avant la mort : Horum (quos Dominus scit esse ejus, II Tim., II, 19) fides quæ per dilectionem operatur profecto aut omnino non deficit, aut, si qui sunt quorum deficit, reparatur antequam vita ista finiatur. De corr. et grat., VII, 16, t. XLIV, col. 925. Or, l’infaillibilité du don de persévérance tient à sa nature de grâce efficace. S’il en était autrement, la prière du Christ en faveur de Pierre eût été vaine, car il n’eût tenu qu’à ce dernier d’être infidèle : An audebis dicere, etiam rogante Christo ne deficeret fides Petri, defecturam fuisse, si Petrus eam deficere voluisset, hoc est si eam usque in finem perseverare noluisset. Ibid., VIII, 17, t. XLIV, col. 926. C’est en effet la déficience ou la permanence de la volonté qui font la défection ou la persévérance. Mais nous savons que la préparation de la volonté est l’œuvre de la grâce et voilà pourquoi, en définitive, ni la prière du Christ ne pouvait être vaine, ni la persévérance de Pierre prise en défaut, ni sa prédestination que cette persévérance devait réaliser, ne pas être infaillible : Sed quia præparatur voluntas a Domino, ideo pro illo Christi non posset esse inanis oratio. Ibid.

Saint Augustin assimile donc l’efficacité et l’infaillibilité de la grâce, à l’efficacité et à l’infaillibilité de la prière du Christ. Le sens de ce quia est d’une profondeur extrême, car il touche à l’union hypostatique. Parce que c’est Dieu (ou sa grâce) qui prépare la volonté, la prière du Christ ne peut être vaine. Qu’est-ce à dire, sinon parce que celui qui exauce est le même que celui qui prie. Mais, celui qui prie, que demande-t-il ? Quid aliut rogavit [Christus] nisi ut haberet [Petrus] in fide liberrimam, fortissimam, invictissimam, perseverantissimam voluntatem, ibid., en un mot : que la prédestination de saint Pierre se réalise.

S’il s’agit enfin de la prédestination des anges, elle n’apparaît pas moins gratuite, chez saint Augustin, que celle des hommes. Il suffit de citer le texte bien connu de la Cité de Dieu : Si [angeli boni et angeli mali] utrique boni ÆQUALITER creati sunt, istis mala voluntate cadentibus, illi AMPLIUS adjuti, ad eam beatitudinis plenitudinem, unde se nunquam casuros certissimi fierent, pervenerunt. De civ. Dei, XII, IX, 2, t. XLI, col. 357.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:29

V. SOLUTION DES DIFFICULTES. – Comme il a été indiqué dans l’état de la question, ces difficultés sont de deux sortes, à savoir d’ordre doctrinal et d’ordre moral. On peut y ajouter celles, plus particulières, qui résultaient, au dire des semi-pélagiens, de la méthode augustinienne elle-même.

1° Objections d’ordre doctrinal. – 1. La non-persévérance finale d’un grand nombre. – Nous ne reviendrons pas sur celles que l’exposé même de la doctrine nous a fait rencontrer et analyser, par exemple l’objection tirée de la non-persévérance d’Adam et résolue par la distinction de l’auxilium sine quo et de l’auxilium quo. Ci-dessus, col. 2878 sq. Mais notre propre persévérance, disaient les semi-pélagiens, est, dans la théorie d’Augustin, une source de difficultés. C’est en effet la grâce de la persévérance finale qui réalise la prédestination, plus encore que celle de la vocation efficace ; c’est elle qui est l’auxilium quo par excellence. Dès lors la damnation de ceux qui ne l’ont pas reçue est injuste, et ils peuvent à bon droit s’écrier : Quare damnamur, quandoquidem ut ex bono reverteremur ad malum, perseverantiam non accepimus qua permaneremus in bono ? De corr. et grat., VII, 11, t. XLIV, col. 923.

Augustin répond que c’est en toute liberté que sont devenus mauvais ceux qui étaient bons : Ex bono quippe in malam vitam sua voluntate mutati sunt et ideo… divina in æternum damnatione sunt digni. Ibid. La théologie du saint docteur correspond bien à sa philosophie. Nous avons vu, en effet, que le libre arbitre se suffit pour le mal. Les déficiences ne sont donc imputables qu’à lui-même. Il en porte toute la responsabilité.

Le mystère du choix divin, au surplus, de ce choix dont il est impossible à l’homme d’assigner des raisons et que, précisément, la collation du don de persévérance réalise, envahit cette question. Ceux qui, étant en dehors de l’élection divine, n’ont pas reçu la grâce de la foi sont damnés : Sicut veritas loquitur, nemo liberatur a damnatione quæ facta est per Adam, nisi per fidem Jesu Christi. Ibid. Comme ils seraient plus excusables, cependant, que ceux qui n’ont pas voulu persévérer ! Quoniam potest dici : Homo, in eo quod audieras et tenueras, in eo perseveras si velles, nullo modo autem dici potest : Id quod non audieras, crederes si velles. Ibid.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:29

2. La volonté salvifique universelle de Dieu. – Mais une objection plus sérieuse encore était faite au saint docteur, qui se basait sur la volonté salvifique universelle de Dieu, affirmée dans I Tim., II, 4. C’est encore la plus grave qui subsiste contre sa doctrine.

a) Prosper d’Aquitaine et Hilaire de Marseille avaient soigneusement attiré l’attention d’Augustin sur ce point. Le premier l’avertissait que cette volonté divine du salut universel était une pièce maîtresse du système semi-pélagien par laquelle était mise en relief la bonté de Dieu : Bonitas [Dei] in eo apparet, si neminem repellat a vita, sed indifferenter velit universos salvos fieri et in agnitionem veritatis venire. Epist., CCXXV, 4, t. XXXIII, col. 1004. Il ajoutait même que ce système prétendait, contre celui d’Augustin, laisser à cette volonté toute sa force : Nec vacillare illud, quod Deus omnes homines velit salvos fieri et in agnitionem veritatis venire. Ibid., 5. Hilaire faisait savoir au saint évêque que les semi-pélagiens n’entendaient pas comme lui le passage de l’épître à Timothée et n’admettaient pas, conséquemment, la détermination du nombre des élus et des réprouvés : Illud pariter non accipiunt, ut eligendorum rejiciendorumque esse definitum numerum velint, alque illius sententiæ expositionem, non eam quæ a te est deprompta suscipiant… Epist., CCXXVI, 7, col. 1010. Nous pouvons donc assurer qu’à partir de 428, au plus tard, l’état de la question concernant les rapports de la volonté salvifique et de la prédestination était connu d’Augustin. Si donc l’expression de sa pensée, après cette date, semble présenter quelque lacune, celle-ci ne peut être dite que d’une ignoratio elenchi. Mais il importe de voir jusqu’à quel point l’enseignement du saint docteur est déficient.

b) Il est bien vrai que, même à la fin de sa vie, lorsque le texte de I Tim., II, 4, revient sous sa plume, Augustin n’en donne pas une explication rigoureusement identique. Cependant, doit-on parler d’hésitation ou de fluctuation ? Nous ne le croyons pas. Nous croyons plutôt que, ayant à faire œuvre non d’exégète, mais de théologien, le saint docteur était préoccupé de ne pas infirmer par telle interprétation, tel autre point, non moins acquis, de sa doctrine, en particulier, la gratuité absolue de la prédestination. Voilà pourquoi ses commentaires paraissent plus divergents qu’ils ne le sont réellement et pourquoi aussi il ne faut pas les séparer de l’ensemble de son enseignement.

Reprenant une interprétation donnée déjà dans l’Enchiridion, CIII, 27, avant les avertissements de Prosper et d’Hilaire, il entend, dans le De correptione et gratia, le passage en question d’une volonté salvifique de Dieu, non pas sans doute formellement universelle, mais cependant indistincte, ce qui est déjà une façon d’universalité : Ita dictum est : « Omnes homines vult salvos fieri », ut intelligantur omnes prædestinati quia omne genus hominum in eis est. De corr. et grat., XIV, 44, t. XLIV, col. 943. Est-ce d’une si mauvaise exégèse ? A remettre ainsi le passage interprété dans son contexte, on ne peut s’empêcher d’admettre qu’il fait parallèle, en toute vraisemblance, avec la recommandation instante de saint Paul que l’on prie indistinctement pour tous les hommes, sans en excepter les rois et les grands de la terre. I Tim., II, 1 et 4. De plus, l’apôtre lui-même, au c. IV, v. 10, semble autoriser d’avance l’interprétation d’Augustin. Il dit en effet : Speramus in Deum vivum qui est salvator omnium hominum, maxime fidelium. Si Dieu est principalement le sauveur des fidèles, il faut admettre qu’il l’est aussi, quoique à un degré moindre, de ceux qui ne sont pas fidèles. Il y a donc, si on ne précise pas la manière différente dont ils le sont, des sauvés dans l’un et l’autre bords ; Augustin ne dit pas autre chose : omne genus hominum in eis est.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:29

Dans le De prædestinatione sanctorum, partant du fait indéniable que tous ne sont pas sauvés, que tous ne viennent pas au Christ, le saint docteur (qui ne pose aucunement en principe qu’un petit nombre seulement y vienne) se fait implicitement à lui-même l’objection dont nous parlons : Multos venire videmus ad Filium… cur ergo [Pater] non omnes docet ut veniant ad Christum ? De præd. sanct., VIII, 14, t. XLIV, col. 971. Il répond par une vérité de fait : Quia omnes quod docet, misericordia docet ; quos autem non docet, judicio non docet, appuyée par un témoignage de l’Ecriture : Quoniam cujus vult miseretur et quem vult obdurat. C’est de la plus stricte orthodoxie, car, en fait, Dieu ne veut pas efficacement le salut de tous les hommes qui, autrement, seraient tous infailliblement sauvés.

Mais saint Augustin est le premier à s’apercevoir qu’il faut concilier ce salut, en fin de compte partiel, avec la volonté salvifique universelle affirmée dans I Tim., II, 4. Il ajoute : Et tamen secundum quemdam modum, omnes Pater docet venire ad suum Filium (ibid.). Quelle est cette manière ? Le saint évêque, reprenant son enseignement du Contra Jul., IV, 44, t. XLIV, col. 760, l’explique par un exemple, avouons-le, inattendu. De même, dit-il, que nous parlons loyalement lorsque, d’un maître qui est seul dans une ville, nous affirmons qu’il en instruit tous les habitants, non que tous se mettent à son école, mais parce que personne ne s’instruit qu’à son école, de même nous disons justement que tous les hommes reçoivent de Dieu l’enseignement qui les conduit au Christ, parce que si tous ne viennent pas au Christ, personne n’y vient par une voie différente : Ita recte dicimus : « omnes Deus docet venire ad Christum », non quia omnes veniunt, sed quia nemo aliter venit. Ibid. Il y a là, estime Augustin, une manière d’universalité : Hos omnes docet venire ad Christum Deus ; hos enim omnes vult salvos fieri et in agnitionem veritatis venire. Ibid. La question de la volonté salvifique universelle n’est donc pas absente des perspectives d’Augustin.

On objectera que cette interprétation, pour nous qui avons les notions de la volonté divine antécédente et conséquente, n’a qu’une valeur d’expédient, car l’universalité de la volonté salvifique ainsi comprise est en réalité une limitation. Nous répondrons que des deux volontés divines antécédente et conséquente, seule la première est universelle quant au salut des hommes. Or, saint Augustin parle, à raison même du caractère concret de son enseignement, d’une volonté de Dieu qui équivaut à la volonté conséquente. Il ignorait le terme de « conséquente », nous voulons bien. Ignorait-il la chose ? C’est beaucoup moins sûr. Ne complète-t-il pas la réponse à sa propre objection en disant : Sed [Deus] miseretur bona tribuens ; obdurat digna retribuens ? Or, nous voyons saint Thomas expliquer la volonté divine conséquente par l’exemple du juge, vengeur de la justice sociale : Justus judex… consequenter vult homicidam suspendi. Similiter Deus consequenter vult quosdam damnari secundum exigentiam suæ justitiæ. Sum. Theol., Ia, q. XIX, a .6, ad 1um.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:29

De plus, il ne faut pas perdre de vue que les adversaires d’Augustin ne défendaient pas contre lui une volonté salvifique universelle antécédente, mais une volonté susceptible d’être rendue universellement salvifique, par la volonté humaine de laquelle dépendaient, selon eux, l’initium fidei et la persévérance finale. C’est ainsi que les semi-pélagiens démarquaient le passage I Tim., II, 4.

Le but du saint docteur est avant tout d’empêcher les hérétiques de chercher des fondements de leur erreur dans l’Ecriture. Pour ce faire, théologien prudent plutôt qu’exégète, il interprétait ce même passage de façon à ruiner l’interprétation semi-pélagienne et la doctrine qui prétendait s’y fonder, et à ne point ébranler tels autres de ses enseignements : Omnes homines eam [gratiam] fuisse accepturos, disaient les semi-pélagiens, si non illi quibus non donatur eam sua voluntate respuerent, quoniam « Deus vult omnes homine salvos fieri ». Epist., CCXVII, 19 t. XXXIII, col. 985. Le salut ne dépend que de l’homme, qui n’a qu’à accepter la grâce que Dieu lui offre, dans sa volonté du salut universel. Mais saint Augustin ne peut admettre cette conception injustement appuyée sur l’Ecriture. Le fait des nombreux enfants qui n’ont pu démériter cette grâce et meurent sans l’avoir reçue, l’en empêche : Cum multis non detur parvulis et sine illa plerique moriantur, qui non habent contrariam voluntatem et aliquando cupientibus festinantibusque parentibus, ministirs quoque volentibus et paratis, Deo nolente non detur, cum repente antequam detur exspirat, pro quo ut acciperet currebatur. Ibid. Et c’est à bon droit qu’il s’en prend à l’exégèse semi-pélagienne : Unde manifestum est eos qui huic resistunt tam perspicuæ veritati non intelliger omnino qua locutione sit dictum quod « omnes homines vult Deus salvos fieri », cum tam multi salvi non fiant, non quia ipsi sed quia Deus non vult, quod sine ulla caligine manifestatur in parvulis. Ibid. Il s’agit de la volonté que nous appellerions « conséquente ». Les semi-pélagiens arguaient de cette volonté comme si elle était universelle. Augustin leur oppose le cas des enfants, en fort grand nombre, dont Dieu ne veut pas de fait (nous dirions : consequenter) le salut. Il faut donc expliquer d’une autre manière l’universalité incluse dans I Tim., II, 4. Nous avons vu quelle était cette autre manière pour le saint docteur : Ita quod dictum est : « omnes homines vult Deus salvos fieri », cum tam multos nolit salvos fieri, ideo dictum est quia omnes qui salvi fiunt, nisi ipso volente non fiunt. Ibid.

Assurément, ce n’est pas là la notion de volonté salvifique universelle antécédente, telle que la développeront plus tard saint Jean Damascène et saint Thomas. Mais remarquons tout d’abord que l’interprétation d’Augustin n’est aucunement exclusive. Il écrit lui-même : Et si quo alio modo illa verba apostolica intelligi possunt, ut tamen huic apertissimæ veritati, in qua videmus tam multos, volentibus hominibus sed Deo nolente, salvos non fieri, contraria esse non possint. Ibid. Il admet donc toute autre explication qui sauvegardera cette vérité de fait, à savoir que beaucoup ne seront pas sauvés.

Au surplus, il importe de rappeler que les principes relatifs à cette même question de la volonté salvifique et par lui énoncés ailleurs ne sont infirmés en rien par le caractère particulier et l’exposé fragmentaire de sa réponse à des adversaires déterminés. Nombreux sont les textes où il parle, évidemment d’une autre volonté, favorable, celle-là, au salut de tous : Vult autem Deus omnes homines salvos fieri et in agnitionem veritatis venire. De spir. et lit., XXXIII, 58, t. XLIV, col. 238. D’après le contexte, dit le P. Cayré, Précis de patrologie, t. I, p. 674, le mot de Paul est appliqué ici même à ceux qui seront jugés et condamnés. Dans l’Op. imp. contra Jul., II, CLXXV, t. XLV, col. 1217. Il affirme que le Christ est mort pour tous, même pour les petits enfants privés du ciel : Et pro ipsis Christus mortuus est, qui propterea pro omnibus mortuus est, quia omnes mortui sunt. Tixeront trouve que les deux volontés, aussi bien antécédente que conséquente, assez nettement marquées dans le De nupt. et conc., II, XVI, 31, t. XLIV, col. 454, et l’Op. imp., II, CXLIV, t. XLV, col. 1201.

En outre, comment concilier la prétendue affirmation par le saint docteur d’une volonté salvifique restreinte avec son principe, si souvent rappelé, que Dieu ne commande jamais l’impossible ? Or, ses textes sur ce point sont bien connus, surtout depuis que le concile de Trente les a faits siens. Sess. VI, c. II, Denzinger, n. 804. Dans le De peccat. merit. et remissione, II, III, 3, t. XLIV, col. 152, il se divertit de la naïveté de ses contradicteurs : Acule autem sibi videntur dicere, quasi nostrum hoc ullus ignoret quod « si nolumus, non peccamus, nec præcipiret Deus homini quod esset humanæ impossibile voluntati ». Le passage est formel du De nat. et grat., XLIII, 50, t. XLIV, col. 2871 : non igitur Deus impossibilia jubet, sed jubendo admonet, et facere quod possis, et petere quod non possis. Dans le même ouvrage, t. LXIX, 83, col. 289, dans le De perfect. just. hom., III, 9, col. 295, et X, 21 et 23, col. 303, on retrouvera la même doctrine.

S’il en est ainsi, et si, comme tant de fois encore Augustin le répète, le libre arbitre suffit pour le mal, si Dieu n’abandonne que ceux qui l’ont abandonné, peut-on soutenir que l’évêque d’Hippone enseigne une volonté salvifique présupposant pour un grand nombre le démérite final, le péché inévitable, la dénégation de grâces suffisantes ? La volonté salvifique chez saint Augustin, dans Rev. thomiste, nov. 1930, p. 480.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:30

« Il affirme toujours, dit le P. Garrigou-Lagrange, que la grâce efficace est accordée par miséricorde à ceux qui la reçoivent et n’est refusée aux autres par la justice divine qu’en raison d’un péché antérieur. De præd. sanct., VIII, P. L., t. XLIV, col. 971. » Le même auteur (ibid.) ne pense pas que ce péché antérieur, dans le cas des adultes, soit le seul péché originel. Celui-ci, du reste, ne saurait être le motif de la réprobation négative chez ceux auxquels il a été remis. Il faut donc supposer des péchés personnels qui ont eu pour conséquence l’abandon par Dieu : Non deserit si non deseratur [Deus], ut pie semper justeque vivatur. De natura et gratia, XXVI, 29, t. XLIV, col. 261.

2° Objections d’ordre moral. – 1. La doctrine angoissante d’Augustin. – Les semi-pélagiens reprochaient aux enseignements d’Augustin de fomenter l’angoisse dans les âmes, à cause même de cette impénétrabilité des desseins de Dieu à laquelle il recourait sans cesse : Sed incerta est mihi, inquit, de me ipso voluntas Dei. De præd. sanct., XI, 21, t. XLIV, col. 976. Le saint docteur avait la répartie belle. La volonté humaine est-elle donc un si sûr appui ?… Miror homines infirmitati suæ se malle committere quam firmitati promissionis Dei… Quid ergo ? Tuane tibi voluntas de te ipso certa est, nec times, « qui videtur stare videat, ne cadat » (I Cor., X, 12) ? Et si des deux côtés c’est le règne de l’incertitude, pourquoi ne pas s’abandonner du côté où se trouve la force : Cum igitur utraque incerta sit, cur non homo firmiori quam infirmiori fidem suam, spem charitatemque committit ? Ibid.

C’est au contraire la doctrine semi-pélagienne qui mène aux plus absurdes conclusions : … Hoc est enim dicere, tunc de sua salutate hominem desperare, quando spem suam non in seipso, sed in Deo didicerit ponere, cum propheta clamet : « Maledictus qui spem habit in homine ». De dono pers., XVII, 46, t. XLV, col. 1022. Comme si d’espérer uniquement en Dieu était une source de désespoir ! Absit autem a vobis, ideo desperare de vobis, quoniam spem vestram in ipso habere jubemini, non in vobis. Ibid., XXII, 62, col. 1030.

2. Inutilité de la prédication. – Les moines d’Hadrumète, qui avaient bien saisi le point central de l’enseignement d’Augustin, s’étaient écriés : Utquid nobis prædicatur atque præcipitur ut declinemus a malo et faciamus bonum, si hoc non agimus, sed id velle et operari Deus operatur in nobis ? Il semblait aux moines africains que l’efficacité de ma grâce revendiquée par l’évêque d’Hippone détruisait toute activité proprement humaine. Mais Augustin de les éclairer : Potius intelligant, si filii Dei sunt, Spiritu Dei se agi, ut quod agendum est agant… ; aguntur enim ut agant, non ut ipsi nihil agant. De corr. et grat. II, 4, t. XLIV, col. 918. L’emprise de l’action divine sur l’action humaine est le principe, non la destruction de celle-ci. Plus abstraitement nous dirions : la grâce efficace n’est pas nécessitante. Dès lors la prédication, le rappel des préceptes divins garde toute sa raison d’être.

C’est à une objection semblable que, dans le De dono perseverantiæ, Augustin oppose la conduite de saint Paul dont la doctrine touchant la prédestination ne gênait aucunement le ministère pastoral : Quasi vero adversata sit Apostolo prædicanti. Nonne ille doctor gentium in fide et veritate et prædestinationem toties com mendavit et verbum Dei prædicare non destitut ? XIV, 34, t. XIX, col. 1013. L’Apôtre savait fort bien en concilier les thèses les plus rigoureuses avec les plus instantes exhortations : Numquid quia dixit « Deus est qui operatur in vobis et velle et operari pro bona voluntate (Phil., II, 13), ideo non ipse et ut velimus quæ Deo placeant, et ut operemur hortatus est ? Ibid.

3. Inutilité de la correction des pécheurs. – Toujours sous le faux prétexte que la grâce divine est exclusive dans l’œuvre du salut et que, par conséquent, au lieu de corriger le pécheur en lui imposant une repentance, il faut se borner à implorer en sa faveur la grâce de Dieu. Les moines d’Hadrumète revenaient à la charge. Le mal est le fait de l’homme seul, répliquait Augustin : Tuum quippe vitium est quod malus es et majus vitium corript nolle quia malus es. De corr. et grat., V, 7, t. XLIV, col. 919. Sans doute la correction ne profite au pécheur que par la grâce de Dieu qui peut aux mêmes fins, se passer d’elle : Tunc autem autem correptione proficit homo cum miseretur et adjuvat, qui facit quos voluerit etiam sine correptione proficere, ibid, mais ses effets psychologiques sont dans l’ordre du plan divin : Dolor quippe ille quo sibi displicet quando sentit correptionis aculeum excitat eum in majoris orationis affectum ut, Deo miserante, incremento charitatis adjutus desinat agere pudenda et dolenda et agat laudanda atque gratanda. Hæc est correptionis utilitas. Ibid.

Qu’on ne dise donc plus qu’il ne faut pas faire des remontrances à celui qui sort du droit chemin, mais seulement demander à Dieu son retour et sa persévérance. S’il est du nombre des prédestinés, Dieu fera à coup sûr, tourner nos remontrances à son avantage : Si enim secundum propositum est iste, procul dubio illi etiam quod corripitur, Deus cooperatur in bonum. Ibid., IX, 25, col, col. 931. Et, comme nous ignorons s’il est de ce nombre, que la charité, en fin de compte, nous dicte notre devoir, laissant à Dieu le soin de réaliser ses propres desseins : Utrum autem ita sit vocatus quoniam qui corripit nescit, faciat ipse cum charitate quod scit esse faciendum ; scite enim talem corripiendum, facturo Deo aut misericordiam, aut judicium. Ibid.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:30

Toutes ces difficultés, on le voit, ne parviennent pas à infirmer la vigoureuse doctrine d’Augustin sur la prédestination des élus. Il sait qu’elle a des conséquences rigoureuses, entre autres l’immutabilité des décrets divins et l’efficacité intrinsèque de la grâce : definita sententia voluntatis Dei : gratia qua velitis et sitis electi. Cependant il ne faut pas leur sacrifier en chaire l’absolue gratuité de la prédestination : Ista cum dicuntur ita nos a confitenda vera Dei gratia id est quæ non secundum merita nostra datur, et a confitenda secundum eam prædestinatione sanctorum deterrere non debent. De dono pers., XV, 38, t. XLV, col. 1016. Ces conséquences, en effet, ne sont pas plus alarmantes que celles de la prescience universelle de Dieu, tout aussi immuable, quoi que nous fassions : Sicut non deterremur a confitenda præscientia Dei. A s’ajoute le devoir d’autres erreurs qui s’autoriseraient du silence même des prédicateurs : Numquid ergo, propter hujusmodi animas, ea quæ de præscientia Dei vera dicuntur, vel neganda sunt vel tacenda, tunc vide licet quando si non dicantur in alios itur errores. Ibid., col. 1017.

Il faut user pourtant d’une certaine prudence, de crainte que des auditeurs peu préparés ne soient mis en défiance : Quæ tamen [prædestinatio] non ita populis prædicanda est, ut apud imperitam vel tardioris intelligentiæ multitudinem redargui quodam modo ipsa sua prædicatione videatur. Ibid., XXII, 57, col. 1028. Il faut avec l’apôtre les encourager à l’effort salutaire et à voir dans ce effort même un signe de prédestination : Sed dicendum est : « Sic currite ut comprehendatis » (I Cor., IV, 24), atque ut ipso cursu vestro ita vos esse præcognitos noveritis, ut legitime curreretis. Ibid.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:30

3° Objections contre la méthode de saint Augustin. – Non contents d’incriminer l’enseignement du saint docteur, ses adversaires ne ménageaient pas sa méthode elle-même, et il faut reconnaître que leurs reproches ne manquent pas de gravité.

1. Critique de l’exégèse augustinienne. – Nous avons entendu déjà Augustin se blanchir de l’accusation d’antitraditionalisme. L’exposé de sa doctrine, quoi qu’on en ait dit, nous la montre jalousement fidèle à saint Paul, mais les semi-pélagiens, à plusieurs reprises, critiquèrent violemment son exégèse. Il alléguait, disaient-ils, des textes non canoniques, comme l’en avertissait Hilaire de Marseille : Illud testimonium quod posuisti « Raptus est ne malitia mutaret intellectum ejus » (Sap., IV, 11), tanquam non canonicum definiunt omittendum. Epist., CCXXVI, 4, t. XXXIII, col. 1009. A quoi le saint évêque répondait qu’il avait exposé l’Ecriture en théologien et non en commentateur : Hæc est tota causa cur dictum est, a quocumque sit dictum. Dictum est enim secundum pericula hujus vitæ, non secundum præscientiam Dei qui hoc præscivit quod futurum erat non quod futurum non erat. De præd. sanct., XIV, 26, t. XLIV, col. 979. Ce n’est pas d’authentique qu’il était préoccupé, mais surtout d’orthodoxie.

On l’avait accusé également d’avoir sollicité, en faveur de l’efficacité mystérieuse de la grâce, un passage du livre des Rois et un endroit parallèle du l. I des Chroniques : Frustra itaque etiam illud quod Regnorum et Paralipomenon scriptura teste probavimus, cum Deus vult fieri quod non nisi volentibus hominibus oportet fieri inclinari eorum corda ut hoc velint (I Reg., X, 26, et I Paral., XII, 11) eo scilicet inclinante qui in nobis mirabili modo et ineffabili operatur et velle ad causam de qua disserimus, non pertinere dixerunt. Ibid., XX, 42, col. 990. Peine perdue ! Car, outre que l’accusation est gratuite, ce dont il se plaint brièvement : Quid est aliud, nihil dicere et tamen contradicere (ibid.), elle n’atteint pas sa doctrine. Pense-t-on que Dieu ait une double mesure et que, s’il peut amener les volontés à l’établissement de royaumes terrestres, comme ceux de Saül ou de David, elles lui échappent dans la constitution du royaume du ciel ? Cogitate autem quale, sit, ut credamus ad constituenda regna terrena hominum voluntates operari Deum, et ad capessendum regnum cælorum homines operari voluntates suas. Ibid. L’exégète s’efface, mais le théologien triomphe.

L’exégète, d’ailleurs, reparaît au sujet du texte de saint Paul (I Cor., IV, 7) que les semi-pélagiens refusaient d’étendre à la foi, laquelle, d’après eux, comme une sorte d’attribut essentiel, était restée dans la nature bien que déchue : Nec de hac fide posse dici « Quid habes quod non accepisti » ? Cum in eadem natura remanserit licet vitiata, quæ prius sana ac perfecta donata sit. Epist., CCXXVI, 4, t. XXXIII, col. 1009.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:30

Augustin dissipe cette objection en faisant appel au contexte. L’apôtre n’y tend qu’à réfréner l’orgueil de l’homme par l’exaltation exclusive de Dieu : Vide tisne nihil agere Apostolum nisi ut humilietur homo et exaltetur Deo ? De præd. sanct., V, 9, t. XLI, col. 967. C’est pour conclure diverses considérations dans ce sens qu’il s’écrie : Quis enim te discernit, quid habes quod non accepisti ? Si autem et accepisti, quid gloriaris quasi non acceperis ? (I Cor., IV, 6, 7). Sa pensée ne fait aucun doute et il est d’une absurdité sans bornes de soupçonner que Paul songe aux dons naturels de Dieu lorsqu’il mentionne la justice originelle, ou ce qui en reste après la chute : In hac Apostoli evidentissima intentione, qua contra humanam superbiam loquitur, ne quisquam in homine, sed in Domino glorietur, dona Dei naturalia suscipari, sive ipsam totam perfectamque naturam qualis in prima conditione donata est, sine vitiatæ naturæ qualescumque reliquias, numis quantum existimo, absurdum est. De præd. sanct., V, 10, t. XLIV, col. 967. Paul ne parle-t-il pas d’un discernement ? Or les dons naturels que tout le monde possède, ne peuvent y servir, mais seulement les dons surnaturels comme la foi, la justice et autres. L’Apôtre prévient l’arrogance de ceux qui s’en prévaudraient : Talibus occurens cogitationibus bonus doctor : « Quid autem habes, inquit quod non accepisti ? » Ibid. Ils les ont reçus de celui-là même qui discerne en les distribuant à son gré.

Et le théologien, en saint Augustin, de donner raison à l’exégète par une distinction : ce qui est essentiel à la nature, c’est de pouvoir avoir la foi, comme de pouvoir avoir la charité, mais non de les avoir de fait : Proinde posse habere fidem, sicut posse habere charitatem naturæ est hominum, habere autem fidem, quemadmodum habere charitatem gratiæ est fidelium. Ce n’est donc pas la possibilité naturelle d’avoir la foi qui est une base de discernement, tandis que la foi du fidèle le distingue d’avec l’infidèle : Ipsa vero fides discernit ab infideli fidelem. Ibid.

Sur les difficultés enfin que pouvait créer le passage paulinien sur la volonté salvifique universelle, nous nous sommes expliqués plus haut.

2. Contradictions. – Enfin les semi-pélagiens allaient jusqu’à opposer à saint Augustin ses propres paroles. Expliquant la venue apparemment tardive du Christ dans le monde, Epist., CII, 14, 15, le saint docteur avait fait appel à la prescience divine : Tunc voluisse hominibus apparere Christum, apud eos prædicati doctrinam suam, quando sciebat et ubi sciebat esse qui in eum fuerant credituri. De præd. sanct., IX, 17, t. XLIV, col. 973. Pourquoi donc refusait-il d’expliquer par elle la prédestination des élus ? Mais le saint docteur de remettre les choses au point. Tout d’abord, en invoquant la prescience divine, il n’avait point prétendu épuiser la question : Sine præjudicio etiam aliarum forte causarum, quæ a prudentibus vestigari queunt. De plus cette explication laissait intacte la question de la gratuité de la foi et de la prédestination. Rien de plus vrai que la prescience du Christ relative à ses futurs fidèles : Quid enim est verius quam præscisse Christum qui et quando et quibus locis in eum fuerant credituri. Mais restait à savoir si ces fidèles auraient la foi par eux-mêmes ou la recevraient de Dieu comme un don. Augustin n’avait pas cru nécessaire, à ce moment-là, de l’élucider : Sed utrum, prædicato sibi Christo, a se ipsis habituri essent fidem, an Deo donante sumpturi, id est utrum tantummodo eos præscierit (de cette prescience qui est étrangère à la prédestination), an etiam prædestinavit Deus, quærere atque dissere tunc necessarium non putavi. Ibid.

Même insuccès de l’objection qui se fondait sur ces autres paroles : « le salut est pour ceux qui en sont dignes ». Le saint docteur n’avait eu qu’à préciser d’où venait cette dignité pour affirmer, une fois de plus, la gratuité absolue de la prédestination qui est l’alpha et l’oméga de son inébranlable doctrine : Si discutiatur et quæratur unde quisque sit dignus, non desunt qui dicant voluntate humana, nos autem dicimus, gratia vel prædestinatione divina. Ibid., X, 19, col. 974.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:31

VI. CONCLUSION. LA DEFINITION AUGUSTINIENNE DE LA PREDESTINATION. – Nous avons déjà rencontré plusieurs définitions de la prédestination par saint Augustin. Celle dont nous allons montrer la richesse, il la formula, en bon philosophe, presque à la fin de l’ouvrage qui devait la légitimer, comme le fruit mûr de ses longues investigations. Seul le génie du grand docteur pouvait suppléer aux siècles de labeur philosophique et théologique que suppose une définition, digne de ce nom, c’est-à-dire compréhensive, en sa brièveté, d’une science tout entière. Augustin écrivait donc dans le De dono perseverantiæ : Hæc est prædestinatio sanctorum nihil aliud, præscientia scilicet et præparatio beneficiorum Dei, quibus certissime liberantur quicumque liberantur, XIV, 35, t. XLV, col. 1014. Connaissant le caractère de son enseignement, nous serions vains de voir là, exprimés en forme, un genre prochain de différence spécifique. Augustin définit ainsi non l’imperium de l’acte divin, mais la prédestination globale, adæquate sumpta, dira-t-on plus tard.

Nous retrouvons l’idée du choix, en tant que point précis du mystère de la prédestination dans l’indétermination formelle du pronom quicumque qui fait songer au quos præscivit de saint Paul.

L’ordre éternel est impliqué dans le caractère d’antériorité que revêtent la prescience et la præparatio beneficiorum. On remarquera qu’Augustin ne mentionne pas l’élection comme appartenant à cet ordre, mais nous avons vu que la prescience, celle qui intègre la prédestination, est une prescience élective.

L’ordre de la réalisation dans le temps est notifié par le résultat même de la prédestination : quibus certissime liberantur. Il s’agit d’une libération de fait.

Le principe augustinien de la permission divine du mal, ainsi que la maleria circa quam de la prédestination, sont suggérés par cette libération, cet affranchissement qui évoquent la massa damnationis. Nous avons vu, en effet, que l’action de la grâce dans la réalisation de la prédestination, allait rendre à elle-même la liberté humaine, victime au moment du péché originel, de sa propre abdication.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:31

La transcendance de l’action divine et la subordination de l’activité humaine, en un mot l’efficacité non nécessitante de la grâce, tiennent merveilleusement dans ce mot liberantur. Il indique, certes, une passivité et, pour autant, affirme l’action divine, mais en quoi consiste pour l’homme cette passivité, sinon à recevoir de Dieu l’exercice même de sa propre liberté. Agit Omnipotens in cordibus hominuùm etiam motum voluntatis eorum. De grat. et lib. arb., XVI, 42, t. XLIV, col. 908.

L’infaillibilité de la prédestination est expressément signifiée : certissime liberantur. Il faut en chercher la raison, comme nous l’avons établi longuement, dans l’infaillibilité de la prescience, ayant elle-même pour objet l’action de Dieu : Quæ danda essent et quibus danda essent Deum non præscire non potuisse, De dono pers., XVII, 43, t. XLV, col. 1020, et nullement l’action de l’homme ni ses mérites futurs, qui, en tant que futurs, seraient pour Dieu contradictoires : in præscientia Dei non futuris.

Enfin l’absolue gratuité de la prédestination envahit la définition augustinienne tout entière. Elle est liée à l’impossible détermination par l’homme des prédestinés, quicumque. L’homme ne saurait en effet donner des raisons du choix divin. L’action divine qui a toute initiative dans l’ordre d’intention (præscientia et præparatio), une efficacité intrinsèque dans l’ordre d’exécution (quibus certissime liberantur), en un mot la grâce (beneficiorum Dei), qui réalise la prédestination, ne laisse aucune place aux mérites antécédents de l’homme et rend absurde leur prévision comme règle du plan divin.

Ajoutons que la définition de saint Augustin perd toute cohérence, si la libération dont elle parle n’est pas définitive, et les bienfaits de Dieu sans repentance, bref si Augustin n’entend pas définir exclusivement la prédestination et infaillible des élus : ad gloriam Hæc est prædestinatio sanctorum nihil aliud præscientia scilicet et præparatio benficiorum Dei, quibus certissime liberantur, quicumque liberantur.


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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:31

VII. LES DISCIPLES DE SAINT AUGUSTIN. – 1° Saint Prosper d’Aquitaine. – Après la mort d’Augustin, sa doctrine sur la prédestination fut défendue, contre un pamphlet anonyme qui la défigurait, par saint Prosper d’Aquitaine dans ses Pro Augustino responsiones ad capitula objectionum Gallorum callumniantium, P. L., t. LI, col. 155-174. Prosper se rendit même à Rome et obtint du pape saint Célestin en 431 la lettre qui affirmait hautement l’orthodoxie de l’évêque d’Hippone et recommandait à l’épiscopat gaulois de ne pas permettre qu’on le calomniât davantage. De retour en Gaule, Prosper dut pourtant réfuter un nouveau pamphlet, qui paraît être l’œuvre de saint Vincent de Lérins, et d’après lequel la doctrine augustinienne nie que Dieu veuille le salut de tous les hommes et suppose qu’il est l’auteur du péché. Saint Prosper rejeta ces conclusions dans ses Pro Augustino responsiones ad capitula objectionum Vincentianarum, ibid., col. 177-186, et il écrivit contre Cassien, vers 433-434, le Liber contra Collatorem, ibid., col. 213-276, qui traite de nouveau le problème de la grâce et du libre arbitre.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:31

Pour répondre aux pélagiens qui abusaient du texte de Paul, I Tim., II, 4 : Deus omnes homines vult salvos fieri, et prétendaient que Dieu veut également sauver tous les hommes, saint Augustin, partant du fait que tous les hommes ne sont pas sauvés et du principe de l’infaillible efficacité de la volonté divine, avait plusieurs fois parlé, nous l’avons vu, d’une volonté salvifique restreinte. Il entendait par là la volonté infailliblement efficace qui conduit tous les élus à la vie éternelle. Saint Prosper, pour répondre aux objections faites contre la doctrine de son maître, insiste sur un autre aspect de cette doctrine. Saint Augustin avait nettement affirmé dans le De natura et gratia, XLIII, 50, t. XLIV, col. 271 : Deus impossibilia non jubet, sed jubendo monet et facere quod possis et petere quod non possis. Dieu ne commande jamais l’impossible, autrement le péché actuel serait inévitable, dès lors il ne serait plus un péché et les châtiments divins infligés pour une pareille faute seraient une injustice manifeste. Mais dire que Dieu ne commande jamais l’impossible signifie qu’il veut rendre réellement possible à tous les hommes l’accomplissement des préceptes qui s’imposent à eux et quand ils s’imposent à eux ; par là il veut rendre réellement possible leur salut, sans pourtant les conduire tous efficacement à la vie éternelle. De plus, Augustin avait plusieurs fois expliqué sans restriction le texte de saint Paul, II Cor., V, 15 : pro omnibus mortuus est Christus. Cf. Contra Jul., VI, IV, 8, t. XLIV, col. 825 ; Op. imp. contra Jul., II, CLXXIV, CLXXV, t. XLV, col. 1217.

Aussi saint Prosper put écrire en restant fidèle à son maître : Sincerissime credendum atque profitendum est Deum velle ut omnes homines salvi fiant ; siquidem Apostolus, cujus ista sententia est, sollicitissime præcipit, quod in omnibus Ecclesiis piissime custoditur, ut Dep pro omnibus hominibus supplicetur : ex quibus quod multi pereunt, pereuntium est meritum, quod multi salvantur, salvantis est donum. Resp. ad cap. obj. Vincent., 2, t. LI, col. 179 ; cf. Resp. ad cap. Gallorum, col. 162.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:32

Ces paroles de saint Prosper formulent les deux aspects extrêmes du mystère, d’une part, la volonté salvifique universelle, de l’autre, le mystère de la prédestination : quod multi salvantur, salvantis est donum. Voir sur cette question, chez saint Prosper, P. M. Jacquin, O. P., La question de la prédestination aux Ve et VIe siècles, dans Revue d’hist. eccl., t. VII, 1906, p. 269-300 ; J. Tixeront, Hist. des dogmes, t. III, p. 283-293 ; F. Cayré, Précis de patrologie, t. II, 1930, p. 180-185.

Sur la prédestination proprement dite, saint Prosper défend aussi fermement la pensée de saint Augustin et refuse d’identifier la prédestination à la prescience, car Dieu ne prévoit pas moins les actes mauvais que les actes bons, mais il ne veut positivement et ne produit que les seconds. Cf. Resp. ad cap. Gall., I, 15, col. 170. Il est l’auteur de tout bien et ce ‘est pas indépendamment de la volonté divine que tel homme est meilleur qu’un autre. La prédestination comporte donc, avec la prescience, un amour de prédilection ou la volonté de produire en tel homme plutôt qu’en tel autre et par lui ce bien salutaire par lequel il méritera de fait la vie éternelle et y parviendra. Cf. Resp. ad. Cap. Gall., II, 15, col. 174. Et donc la prédestination des élus est gratuite, comme l’avait dit saint Augustin.

Si saint Prosper a atténué sur un point la doctrine de son maître, c’est sur la réprobation. Il ne se contente pas de parler des âmes laissées par Dieu dans la massa perditionis, il pense que la réprobation est une suite des péchés personnels prévus par Dieu. Resp. ad cap. Gall., I, 7, col. 161. Cette manière de voir ne saurait se soutenir pour la non-élection des enfants morts sans baptême. Quant aux adultes réprouvés, elle laisse subsister une grande obscurité : leurs péchés personnels prévus par Dieu n’arriveraient pas sans une permission divine ; et pourquoi Dieu a-t-il permis en tels hommes les péchés personnels sans avoir l’intention de les remettre, tandis qu’il ne permet les péchés personnels dans la vie des élus que pour les conduire à une humilité plus vraie, condition d’un amour plus pur ?

Bien des disciples de saint Augustin, qui viendront plus tard, penseront être fidèles à sa pensée, en distinguant entre la réprobation négative (non-élection et volonté de permettre des péchés qui ne seront pas remis) et la réprobation positive (décret éternel d’infliger la peine de la damnation pour les péchés prévus). La réprobation négative, diront-ils, ne saurait être la suite de péchés personnels prévus par Dieu comme ne devant pas être remis, car elle n’est autre que la permission divine de ces péchés, et, sans elle, Dieu ne pourrait les prévoir. Ce sera la doctrine de saint Thomas, Ia, q. XXIII, a. 5, ad 3um, qui paraît bien conforme à celle de saint Augustin. De præd. sanct., III, 7, t. XLIV, col. 965 ; Contra duas epist. pelag., II, VII, 13, col. 580.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:32

2° L’auteur du traité « De vocatione omnium gentium », P. L., t. LI, col. 647-722, écrit entre 430 et 460, à peu près à la même époque que saint Prosper ; il admet la volonté salvifique universelle et maintient la gratuité de la prédestination, en vrai disciple d’Augustin. Pour expliquer la volonté salvifique universelle, il insiste sur une grâce de salut générale, offerte à tous, et il la distingue d’une grâce spéciale toute gratuite, donnée à ceux qui se sauvent de fait. Quibus donis [generalibus]… specialis gratiæ largitas superfusa est. Op. cit., II, XXV, col. 710. Cette grâce spéciale est l’effet d’une prédilection divine.

3° Saint Fulgence. – Au début du VIe siècle, les controverses sur la grâce et la prédestination reprirent à cause de discussions relatives aux écrits de l’évêque semi-Pélagien Fauste de Riez, après la mort de celui-ci. C’est alors que saint Fulgence de Ruspe écrivit le petit traité Liber de incarnatione et gratia Domini nostri Jesu Christi, P. L., t. XLV, col. 451-493, puis une lettre importante sur la question de la grâce, Epist., XV, ibid., col. 435-442, et directement contre les doctrines de Fauste un ouvrage en sept livres, dont il ne reste que le traité Ad Monimum, ibid., col. 151-206, , dont le l. I, col. 153-178, est sur la prédestination, enfin le De veritate prædestinationis et gratiæ, ibid., col. 603-672.

Saint Fulgence, appelé Augustinus abbreviatus, fait sienne toute la doctrine de saint Augustin sur la grâce et la gratuité de celle-ci. Cf. Ad Monimum, I, VIII-XI, XIV. Il accepte aussi toute la doctrine de son maître sur la prédestination. La prédestination totale, c’est-à-dire à la gloire et à la grâce, est selon lui gratuite, certaine et restreinte. Elle est gratuite, parce que la grâce, sans laquelle l’homme ne peut faire aucun bien salutaire, est un don de la pure miséricorde de Dieu. De verit. prædestin., l. I. La prédestination est certaine, en vertu de la toute-puissance de l’immuable volonté de Dieu. Ad Mon., I, XII. Elle est enfin restreinte aux élus appelés à manifester la miséricordieuse bonté de Dieu. Ibid., I, XXVI ; De verit. prædestin, II, n. 35.

Quant à la volonté salvifique, saint Fulgence la limite comme le faisait saint Augustin dans les textes où il parlait de la volonté salvifique infailliblement efficace. Cf. De verit. prædestin., III, n. 14-15, 17-22, col. 658 sq. ; Epist., XV, 15, col. 441. Il ne nie pourtant pas cet autre point de la doctrine augustinienne : Deus impossibilia non jubet, ou Dieu veut rendre réellement possible à tous l’accomplissement des préceptes, qui sont la voie du salut. Saint Fulgence rejette nettement la prédestination au péché, Ad Mon., I, IV-VII, XVII-XXX, et il explique que ceux que Dieu n’a pas élus, il les abandonne justement soit à cause du péché originel, soit à cause de l’orgueil qui en est la suite. Ibid., I, XVII.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:32

4° Saint Césaire d’Arles (470-543) conserve aussi dans ses sermons la doctrine de saint Augustin sur la prédestination. Comme le dit le P. Lejay (article CÉSAIRE D’ARLES, t. II, col. 2178) : « Le problème du salut et de la damnation est résolu de la même manière dans saint Augustin. Si la méchanceté des pécheurs les conduit à l’endurcissement, c’est que Dieu leur a soustrait sa grâce (Serm., XXII, 4). Si l’on demande pourquoi Dieu donne aux uns la grâce et la refuse aux autres, Césaire répond comme Augustin : Judicia Dei plerumque sunt occulta, numquam tamen injusta (Serm., CCLXXV, 1). Et il oppose, comme saint Augustin, les textes connus : O altitudo ! O homo tu quis es ut respondeas Deo ! ».

On voit cependant que saint Césaire, comme son maître, distingue entre la permission divine du péché, sans laquelle celui-ci n’arriverait pas, et la soustraction divine de la grâce, qui, comme une juste peine, suppose au contraire la prévision du péché. C’est ainsi qu’il écrit : « Le pharaon est endurci par la soustraction de la grâce, mais aussi à cause de sa méchanceté. » (Serm., XXII.)

Le mystère reste dans la permission divine des péchés qui ne seront pas remis. Dieu relève souvent des péchés qu’il a permis, souvent, mais pas toujours ; c’est là le mystère même.

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Message par Charles-Edouard Ven 2 Déc 2011 - 12:32

5° Le IIe concile d’Orange (529), ou saint Césaire d’Arles eut une influence prépondérante, mit fin aux luttes entre augustiniens et antiaugustiniens, en Gaule, en approuvant les points fondamentaux soutenus par Augustin. Il contient d’abord huit canons extraits par Césaire des œuvres d’Augustin (1-Cool, plus (n. 10) une autre proposition ajoutée par l’évêque d’Arles, ensuite 16 propositions (9 et 11-25) tirées par Prosper des œuvres d’Augustin et envoyées par le pape Félix IV. Le pape suivant, Boniface II, confirma, le 25 janvier 531, ces décisions auxquelles Rome avait eu déjà une grande part et il déclara la profession de foi du synode consentanea catholicis Patrum regulis.

Dans ces canons du concile d’Orange, sont clairement affirmées la nécessité de la grâce pour tout bien surnaturel et sa gratuité ; par là le semi-pélagianisme était définitivement écarté. Sur la question de savoir si l’efficacité de la grâce dont parle ce concile est intrinsèque ou extrinsèque, c’est-à-dire si elle est indépendante ou non de la prévision divine de notre consentement, les théologiens modernes ne s’accordent pas. Ceux qui, comme les augustiniens et les thomistes, admettent l’efficacité intrinsèque de la grâce, citent surtout les canons suivants : can. 3, Si quis invocatione humana gratiam Dei dicit posse conferri, non autem IPSAM GRATIAM FACERE ut invocetur a nobis, contradicit Isaiæ prophetæ, vel Apostolo idem dicenti : « Inventus sum a non quærentibus me ; palam apparui his, qui me non interrogabant. » (Rom., X, 20 ; Is., LXV, 1.) – Can. 4, Si quis, ut a peccato purgemur, voluntatem nostram Deum exspectare contendit, non autem, ut etiam purgari velimus, per Sancti Spiritus infusionem et operationem IN NOS FIERI confitetur, resistit ipsi Spiritui Sancto per Salomonem dicenti : « Præparatur voluntas a Domino » (Prov., VIII, 25), et Apostolo salubriter prædicanti : « Deus est, qui operatur in vobis et velle et perficere pro bona voluntate » (Phil., II, 13). – Can. 6, Si quis… non ut obedientes et humiles simus IPSIUS GRATIÆ DONUM esse consentit, resistit Apostolo dicenti : « Quid habes, quod non accepisti ? » (I Cor., IV, 7) et « Gratia Dei sum id, quod sum » (I Cor., XV, 10). – Can. 9, Quoties enim bona agimus, Deus in nobis alque nobiscum, UT OPEREMUR, OPERATUR. – Can. 10, Adjutorium Dei etiam renatis et sanatis semper est implorandum, ut ad finem bonum pervenire, vel in bono possint opere perdurare. – Can. 12, Tales nos amat Deus, quales futuri sumus ipsius dono, non quales sumus nostro merito. – Can. 20, Nulla facit homo bona, quæ non Deus præstat ut faciat homo. – Can. 22, Nemo habet de suo nisi mendacium et peccatum. La théologie en précisera plus tard le sens : l’homme ne fait aucun bien surnaturel sans le secours surnaturel de Dieu, ni aucun bien naturel sans un secours d’ordre naturel.

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