Le jugement dernier de l’individu
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Le jugement dernier de l’individu
1: Y a-t-il un jugement individuel qui suit immédiatement la mort?
Objection 1: Il ne semble pas que le jugement individuel suive immédiatement la mort. Le terme de ce jugement est en effet l’attribution d’une peine ou d’une récompense éternelle. Or saint Augustin dit: «Dans l’intervalle entre la mort et la résurrection générale, les âmes habitent des demeures mystérieuses, suivant que chacune a mérité le repos ou la peine.» Or ces demeures ne sauraient signifier le ciel ou l’enfer où les âmes seront avec leur corps après la résurrection, car alors la distinction faite par le saint docteur entre le temps qui précède la résurrection et celui qui la suit n’aurait plus de sens.
Objection 2: La gloire de l’âme est supérieure à celle du corps. Or la gloire corporelle sera donnée à tous en même temps, afin que la joie de chacun soit comme multipliée par la joie de tous, comme le dit la glose. Donc, à plus forte raison, la gloire des âmes doit-elle être différée jusqu’à la fin du monde où elle sera donnée à tous en même temps. Ainsi, il semble que le jugement individuel n’aura lieu qu’à ce moment, en même temps que le jugement général.
Cependant: Saint Paul dit: «Nous savons que si cette tente, notre demeure terrestre vient à être détruite, nous avons une maison qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, dans le ciel». Si cette demeure est éternelle, c’est qu’elle ne doit jamais être changée. Donc les âmes sont jugées à l’instant qui suit leur entrée dans l'autre monde. Cette vérité est proclamée avec évidence par les Ecritures canoniques, les ouvrages des saints Pères et la définition solennelle de Benoît XII. Sa négation doit donc être regardée comme hérétique.
Conclusion: De même que la gravité ou la légèreté porte les corps au lieu qui est le terme de leur mouvement, de même le mérite ou le démérite conduit les âmes à la récompense ou au châtiment qui sont le terme de leur activité. De même donc que si rien n’y met obstacle, les corps obéissent à la gravitation et atteignent le lieu qui leur convient, de même les âmes, après la rupture du lien corporel qui les retenait ici-bas, reçoivent du juge souverain la sentence de leur récompense ou de leur châtiment. Tel est le but du jugement individuel.
Il reste à comprendre de quelle manière on peut dire qu’il ne reste plus d’obstacle à ce que l’âme reçoive la sentence de son destin éternel juste après la mort. A l’heure de la mort, nous l’avons montré, l’homme a été conduit par une série de révélations à poser un choix définitif qu’il ne pourra ni ne voudra jamais changer. Il n’existe donc plus de motif de la part de Dieu pour retarder l’obtention de ce choix. La vie terrestre ne permettait des retours sur les choix qu’à raison de son rôle éducatif et provisoire. C’est pourquoi, juste après la mort, l’âme est conduite en enfer et, dès qu’elle s’est totalement purifiée des restes de son péché, au paradis. On doit donc affirmer que le jugement individuel qui réalise l’attribution de ces peines ou de ces récompenses suit immédiatement la mort.
Solution 1: Parmi les demeures mystérieuses dont parle saint Augustin, il faut ranger le ciel et l’enfer où il y a des âmes même avant la résurrection de la chair. Ce qui distingue le temps qui précède celle-ci et le temps qui la suit, c’est l’absence ou la présence du corps physique, et aussi le fait que certaines demeures qui contiennent aujourd’hui des âmes n’en contiendront plus après la résurrection, (le purgatoire).
Solution 2: Le corps crée une espèce de continuité entre tous les hommes. C’est par lui que se vérifie cette parole des actes: «D’un seul homme, Dieu a fait sortir tout le genre humain.» Au contraire «Dieu a créé chacune des âmes ». La glorification simultanée de toutes les âmes s’impose donc moins que celle de tous les corps. De plus la gloire du corps est moins essentielle que celle de l’âme. L’ajournement de celle-ci causerait donc aux saints un préjudice d’autant plus grave, et que ne suffirait pas à compenser le supplément de joie que chacun recevrait de la joie de tous. Donc il convient que le jugement individuel de chaque âme ne soit pas différé après la mort.
2: L’âme arrive-t-elle au jugement dernier en état de mérite ou de démérite?
Objection 1: Il semble que certaines âmes n’arrivent pas en état de mérite ou de démérite par rapport à la vie éternelle. Car le mérite comme la justification impliquent le libre arbitre. Il semble donc que les enfants morts prématurément ne méritent ni de déméritent puisque leur esprit est incapable par nature de se porter vers un bien.
Objection 2: De même ceux qui n’ont jamais entendu parlé durant leur vie terrestre de la béatitude préparée par Dieu, comme ceux qui ont vécu avant la venue du Christ ou ceux qui, après sa venue, n’ont pas reçu la prédication évangélique, ne peuvent être en état de mérite ou de démérite par rapport à ce qu’ils ne connaissent pas.
Objection 3: Une tradition attestée par les Pères décrit un séjour des morts appelé « mort, shéol ». Ces âmes errent entre deux mondes, sans but. Elles ne sont donc ni en état de mérite, sinon elles seraient dirigées vers le paradis, ni de démérite sinon elles se détermineraient vers l’enfer. Donc…
Cependant: Après sa mort, l’âme reçoit la sentence du juge qui la fixe dans son avenir éternel. Or le jugement divin ne peut qu’être juste et attribuer à chacun la récompense de ses oeuvres. L’âme est donc nécessairement en état de mérite ou de démérite par rapport à cette rémunération.
Conclusion: Nous avons montré précédemment que tout homme recevait de la part de Dieu durant sa vie terrestre la possibilité de vivre de la grâce et d’être justifié. Si cette révélation n’est pas donnée durant la vie, elle est alors reçue au moment de la mort. Elle se fait d’une façon suffisamment claire pour chaque homme de manière à ce que le libre arbitre s’ouvre à la gloire ou au contraire la rejette d’une manière pleinement responsable. L’âme est donc introduite dans la mort de telle manière qu’elle est pleinement en état de mérite ou au contraire de démérite par rapport à la vie éternelle. Or le mérite vient du fait qu’on a établi son intention dans la recherche exclusive de Dieu et de sa volonté comme fin dernière de sa vie, ce qui se réalise par la charité. Le démérite au contraire est la conséquence d’une intention qui s’établit dans la recherche de soi-même comme fin dernière de toutes ses activités. La première de ces intentions étant fondée sur la grâce mérite de la part de Dieu qui en est la cause première, l’introduction dans la gloire. La seconde mérite au contraire la séparation définitive avec Dieu que l’homme rejette.
Solution 1: Le cas des enfants morts prématurément est à considérer à part à cause de l’absence chez eux d’un libre-arbitre personnel. Comme tout être spirituel, ils sont appelés par Dieu à la Vision béatifique mais ils ne peuvent y être introduits que de la manière qui convient aux êtres spirituels: Dans sa liberté souveraine, Dieu ne veut s’unir à sa créature que si elle-même le désire dans un acte de charité. Pour ce faire, deux conditions sont requises:
1) Il faut que l’enfant puisse poser un acte libre. Dieu doit donc remédier à son incapacité naturelle. Nous verrons qu’il le fait par une éducation qui vient réaliser dans leur esprit ce qu’aurait du accomplir l’apprentissage de la terre. Il le fait aussi par la puissance sensible de l’apparition des saints et des anges dont l’image est capable, de manière adaptée à la faiblesse de l’esprit enfantin, de faire naître une vraie vie de connaissance et de volonté active.
2) Il faut en outre que l’enfant puisse se tourner vers Dieu et le désirer. Cet acte de charité n’est possible que par l’infusion de la grâce surnaturelle ce qui présuppose le pardon du péché originel et la proposition explicite de la grâce. Parmi les enfants, certains ont été baptisés soit par le baptême d’eau reçu de l’Église, soit par le baptême que leurs parents ou leur proches ont désiré pour eux sans pouvoir leur administrer. D’autres, ayant été abandonnés ou oubliés par leurs parents avant leur naissance, ils sont adoptés et baptisés à la demande des habitants du paradis par le nouvel Adam et la nouvelle Ève, à savoir Jésus et Marie. Grâce à ces diverses formes de baptême, tous les enfants ont en eux la grâce sanctifiante. De ceci ressort que les enfants, après s’être tournés vers Dieu dans l’innocence de leur âme, arrivent au jugement en état de mérite par rapport à la vie éternelle.
Solution 2: Même avant la venue du Christ, les âmes recevaient la prédication du salut qui allait être bientôt réalisé par la naissance, la mort et la résurrection du Christ. Le contenu de cette révélation n’était pas alors aussi riche et précis que celui reçu de nos jours par les hommes à l’heure de leur mort mais il suffisait pour établir leur âme dans l’espérance future du salut. Depuis toujours, pour pouvoir effectuer son choix de manière lucide, l’homme devait simplement croire que Dieu est lumière et amour et qu’il propose la vision béatifique à celui qui l’aime. Il devait aussi espérer la venue prochaine d’un Messie de cet Evangile.
Et cette espérance ou ce refus d’espérer leur valait déjà de mériter ou de démériter par rapport à la vie éternelle que Jésus vint leur révéler en plénitude après sa passion: «Il s’en alla même prêcher aux esprits en prison.» En attendant cette révélation, les âmes séjournèrent dans les limbes des patriarches, autrement dit l'un des "enfers" selon cette parole de Jacob: «S’il arrivait malheur à Benjamin, vous feriez descendre mes cheveux blancs avec douleur dans les enfers». Si avant la venue du Christ, les âmes des justes ne furent pas immédiatement introduites dans le repos éternel et parfait de la vision de l’essence divine, c’est parce que l’obstacle du péché qui mérite en stricte justice la séparation d’avec Dieu n’avait pas encore été enlevé par le Christ, selon cette parole «il a pris sur lui notre péché, le châtiment qui nous rend la paix est sur lui et dans ses blessures nous trouvons la guérison».
Quant aux enfers, il ne faut pas les confondre avec l’enfer tel que nous en parlons aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de l’état des réprouvés, mais du séjour des morts, qu’ils soient justes, en voie de purification ou déjà saints. Toutes ces âmes avaient en commun d’être séparées de la vision de Dieu et en ce sens, il s’agit bien d’enfers, c’est-à-dire de lieux inférieurs. 1) Mais les unes étaient séparées de Dieu à cause d’un obstacle provisoire que le Christ devait enlever. Leur séjour était l’enfer des justes, (appelé par l’Ecriture le sein d’Abraham car Abraham est le signe de ceux qui croient, le grand exemple de la foi présenté par la Bible, puisqu’il se sépara de la multitude incroyante et reçut le signe de l’Alliance avec Dieu.) Il s’agissait d’un état d’où la souffrance était exclue puisqu’il n’y avait pas de faute à expier. Mais le repos dont jouissait l’âme des justes était imparfait car le désir subsistait, la fin dernière restant encore à atteindre. 2) En outre, certaines âmes étaient déjà, avant la venue du Christ, séparées de Dieu à cause de leur volonté obstinée dans le mal. Ce sont les âmes de l’enfer des damnés qui se distingue de l’enfer des justes car il est l’état définitif de ces âmes obstinément fixées dans le blasphème contre le Saint Esprit de Dieu. 3) En troisième lieu, l’Ecriture Sainte oblige à supposer l’existence, dès avant la rédemption opérée par le Christ, d’un «enfer » correspondant au purgatoire dont parle actuellement l’Église et où les âmes saintes, ayant cependant quelque reste du péché séjournaient dans une attente douloureuse. C’est ce qu’enseigne avec netteté le livre des Maccabées: «Judas fit faire ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu’ils fussent délivrés de leurs péchés.» Il semble qu’il s’agit de la demeure où fut conduit l’homme riche dont parle Jésus dans l’Evangile de saint Luc: «Dans l’Hadès, en proie à des tortures, le riche lève les yeux et voit de loin Lazare en son sein. Alors il s’écrit: père Abraham, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je suis tourmenté par cette flamme.» En tout état de cause, de ces trois enfers, seuls subsistent aujourd’hui les deux derniers car les âmes des justes qui séjournaient dans le sein d’Abraham furent toutes introduites dans la gloire du Ciel au soir du vendredi saint, au moment où, symbolisant cet évènement, le rideau du temple se déchirait.
Quant au jugement individuel qui aboutissait dès avant l’incarnation du Verbe à la distinction des âmes, on peut supposer qu’il était réalisé par l’apparition au moment de la mort d’un envoyé glorieux mandaté par Dieu, capable de manifester avec puissance et clarté la certitude du Salut à venir: Sans doute s’agissait-il d’un archange (l'ange de la mort) se montrant sous une forme adaptée pour le mourant.
Solution 3: Le shéol est un état provisoire réservé à des personnes très rustres. Dieu permet que ces âmes restent entre deux mondes parce qu’il espère, en retardant l’apparition du Christ et le jugement dernier, affiner leur perception du bien et du mal. Il n’y a ni mérite ni démérite définitif car, laissées dans l’ignorance des révélations de la gloire qui accompagnent la Parousie du Christ, elles sont maintenues dans l’incapacité de choisir leur destin éternel. Comme les autres âmes, après ce temps de prolongement de la vie terrestre, ces âmes seront visitées et arriveront au jugement en état de mérite ou de démérite.
3: Toutes les âmes passent-elles en jugement?
Objection 1: Il semble que les saints ne passent pas en jugement lors de leur mort. En effet, Jésus dit: «En vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé à la vie éternelle et ne vient pas en jugement mais il est passé de la mort à la vie.»
Objection 2: Il semble que l’on doive parler de la même manière pour ceux qui sont en état de péché mortel puisque Jésus annonce à leur égard: «Qui ne croit pas est déjà jugé car il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.»
Objection 3: Les enfants morts après avoir reçu le baptême n’ont pas besoin d’être jugés puisqu’ils n’ont commis aucun péché personnel et qu’ils sont sauvés par la foi de leurs parents et de l’Église qui les présente à Dieu.
Objection 4: La Vierge Marie au moins, à cause de son incomparable pureté semble avoir échappé au jugement individuel et être montée directement au ciel.
Cependant: D’après Benoît XII : les âmes reçoivent après leur mort leur récompense ou leur châtiment. Or c’est là justement ce qui spécifie le jugement des individus. Donc tous les hommes passeront en jugement.
Conclusion: Dans le domaine du bien et du mal, on peut employer le terme juger selon plusieurs sens.
1) En un premier sens qui est fondamental, juger signifie simplement énoncer le droit. Et cette détermination exacte des choses justes se fait par rapport à une règle qui peut être écrite (ainsi dit-on que la loi juge de ce qui est bon ou mauvais dans la cité) ou vivante (et c’est le rôle du juge.) Pris en ce sens, on doit affirmer que le jugement individuel concerne tout homme, aussi bien les bons que les mauvais car il est nécessaire que chacun puisse discerner ce qui est bon ou mauvais en lui. Un tel jugement est inauguré dans le temps qui précède la séparation totale de l’âme et du corps physique par l’apparition du Christ glorieux qui est, à lui seul, la loi vivante de Dieu pour les hommes. La vision de son humanité sainte, accompagnée des diverses révélations qui lui sont conjointes manifeste d’une manière suffisante à l’âme l’état de ses mérites ou démérites devant Dieu, au point qu’elle sera rendue capable de discerner en elle chaque péché et chaque bonne action. C’est ce que signifie saint Bonaventure quand il dit qu’on ouvrira le livre des consciences de chacun[18].
2) En un second sens, juger peut signifier la condamnation d’un pécheur à cause de sa faute. Ainsi voit-on les juges se prononcer sur la culpabilité de celui qui a commis un crime en le déclarant coupable. De même, dans les évangiles, Jésus interdit aux hommes de juger afin de ne pas être jugés eux-mêmes[19]. Il signifie par là qu’il n’appartient qu’à Dieu de condamner un pécheur pour son péché car nul autre que lui n’est réellement capable de discerner les intentions profondes de chacun: «Il sonde les reins et les cœurs.»[20] Pris en ce second sens, seul les méchants seront jugés, obtenant par là une juste réponse à leur obstination perverse dans le péché. Quant aux saints, ceux qui auront été trouvés avec la charité, ils échapperont à ce jugement. Ils s’entendront signifier une bénédiction.
3) Enfin, juger peut signifier l’énonciation d’une sentence. Ainsi celui qui a commis un crime reçoit-il une juste peine de la part du juge. Pris en ce sens, on doit affirmer que tous les hommes, les bons comme les mauvais passeront après leur mort en jugement car les justes s’entendront déclarer par le Christ dignes de la vie éternelle tandis que les pécheurs seront déclarés condamnés à l’enfer éternel, selon le démérite de leur péché. C’est ce que signifie saint Bonaventure lorsqu’il affirme qu’on ouvrira le livre de Vie qui manifestera la justice de Dieu: «Entrez dans la joie de mon Père.»
Solution 1: Cette parole de Jésus signifie que celui qui aime Dieu n’a pas à craindre un jugement de condamnation, selon la deuxième acception du mot jugement. Par contre, Dieu établira en lui un discernement de tous les restes du péché, selon cette parole de l’épître aux Hébreux: «Le Verbe de Dieu, comme un glaive à deux tranchants, pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, il peut juger des sentiments et des pensées du cœur». Il s’agit de la première acception du mot jugement. De même, selon la troisième acception, le juste s’entendra déclarer digne du salut dès son jugement individuel: même s’il lui reste quelque péché à effacer au purgatoire, la certitude d’être sauvé ne le quittera jamais.
Solution 2: Le jugement de condamnation qui est réservé aux méchants s’achève donc dans l’énonciation d’une sentence de damnation dont l’origine vient du péché que le reprouvé s’obstine à garder. L’origine étant le péché on peut dire avec l’Ecriture que le réprouvé est jugé par sa propre perversité plutôt que par le juste juge qui ne fait que ratifier .
Solution 3: Comme tout être spirituel, l’enfant n’entre pas au ciel sans un acte libre de sa volonté. Il reçoit donc de la part de Dieu certains dons qui viennent remplacer ce qu’aurait du normalement accomplir l’éducation et l’enseignement d’une vie terrestre. Ainsi, son intelligence est rendue suffisamment forte pour pouvoir engager sa volonté dans un choix concernant le bien et le mal. Simultanément, l’enfant reçoit du Verbe fait chair la révélation explicite du contenu de la foi et de l’espérance. L’enfant étant innocent, il ne subit aucun jugement de discernement vis-à-vis du péché de sa vie passée. Il est simplement introduit au ciel, dès son premier acte volontaire de charité, par la sentence du juge qui bénit la simplicité de son âme.
Solution 4: La Vierge Marie n’a pas eu besoin de se voir énoncer à nouveau les volontés divines lors de son passage dans l’autre monde puisqu’elle en avait perçu pleinement les profondeurs des sa vie terrestre; de même, il n’y a en elle aucun discernement du péché puisqu’elle était immaculée. Elle n’a donc connu le jugement individuel que selon sa première et troisième acception ce qui signifie que le Christ a redit devant elle et le Ciel entier ce que l’ange Gabriel avait fait des année plus tôt. Il l’a déclaré « pleine de grâce ». Puis il a énoncé devant elle la sentence de sa gloire incomparable. C’est ce que l’Église célèbre par la fête de son couronnement. En effet, dans le même moment, la Vierge Immaculée a été élevée par son Fils à la gloire de la vision béatifique, et proclamée Reine du ciel et de la terre.
4: Est-ce l’âme qui se juge elle-même?
Objection 1: Cela n’est pas possible. On ne peut être à la fois juge et accusé, comme on le voit dans les procès humains. Il faut donc qu’il y ait un juge assigné par Dieu pour déterminer la culpabilité ou l’innocence du prévenu et pour lui attribuer sa peine ou sa récompense.
Objection 2: Pour les bons, le jugement dernier aboutit à l’entrée dans la gloire. Or nul ne peut se juger digne soi-même de recevoir une telle récompense. Ce serait de la présomption. Il faut donc qu’il y ait un juge autre que l’âme elle-même.
Objection 3: Comme nous venons de le montrer, il appartient au Christ de manifester lors du jugement particulier la règle du droit, de déclarer coupable le pécheur ou juste l’homme de bien ainsi que d’énoncer la peine ou la récompense finale. Ce n’est donc pas l’âme qui se juge elle-même.
Cependant: Jésus affirme en saint Jean: «Si quelqu’un entend mes paroles et ne les garde pas, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. Qui me rejette et n’accueille pas mes paroles a son Juge: la parole que j’ai fait entendre, c’est elle qui le jugera au dernier jour». Or la parole que Jésus a fait entendre est la cause du témoignage de la conscience donc l’âme n’est pas à elle-même son propre juge.
Conclusion: Pour répondre à cette question, il faut reprendre les distinctions établies à l’article précédent, comme nous l’avons dit, le mot jugement:
En un premier sens, le plus fondamental, il signifie le discernement du bien et du mal qui se trouvent dans l’âme. Ce discernement est réalisé par l’apparition glorieuse du Christ et des saints dont la présence à la fois lumineuse, forte et douce manifeste au pécheur l’état de son âme. En ce premier sens, c’est Jésus dans l’unité de l’Église du Ciel qui est cause du jugement puisque sa présence suffit pour en manifester la règle. Mais l’âme est rendue capable, grâce à son apparition de se juger elle-même, en toute vérité. En se voyant en quelque sorte, à travers les yeux du Christ, l’âme est à ce point rendue participante à son propre jugement qu’elle ne peut, quelle qu’en soit la sentence, qu’en constater de l’intérieur la justice. En ce sens là, on peut dire que l’âme ne se juge pas elle-même, mais plutôt qu’elle reçoit du Christ-juge la capacité de se juger.
En un second sens, qui découle du premier, on appelle jugement la sentence qui relaxe ou condamne le prévenu. Et cette sentence peut être regardée de deux manières: 1) de par sa cause qui est le mérite ou démérite de l’âme; 2) en elle-même. 1) La cause de la sentence est importante à considérer car c’est elle qui motive le salut de l’élu ou au contraire la réprobation du damné. Cette cause doit être juste: il faut que celui qui est damné le soit à cause d’une disposition de sa volonté qui le sépare de Dieu, à savoir un péché mortel à la vie de la grâce. De même celui qui est conduit au salut, doit avoir auparavant sa volonté disposée favorablement par la grâce qui lui mérite l’entrée dans la gloire. Or ce n’est pas de la même façon qu’un homme est pécheur et qu’il est juste. Celui qui est pécheur l’est à cause de sa propre volonté qui lui fait se porter librement vers un bien créé comme sur sa fin dernière. C’est donc par un libre choix qu’en se portant vers la créature, il se sépare du Créateur. Et cette liberté est totale au moment de la mort comme on l’a vu, puisque toute âme reçoit suffisamment pour ne plus être trompée dans son choix par l’ignorance et entraînée par la faiblesse de ses passions. En conséquence, on doit dire que, pris du côté de la cause de son jugement, c’est le méchant lui-même qui est source de sa réprobation, non en ce sens qu’il refuserait explicitement la vision béatifique, mais parce qu’il est prêt à perdre ce bien plutôt que de renoncer à son péché. C’est ce que veut signifier l’Ecriture quand elle dit: «C’est toi seul qui est cause de ta perte, Israël.» Au contraire, pour celui qui est juste, la cause première de sa justice ne vient pas de lui-même car nul ne peut croire, désirer et aimer Dieu s’il n’a pas reçu auparavant de lui la grâce qui l’en rend capable. Chez le juste, le libre arbitre n’est pas cause première de la justification mais ne fait que donner son assentiment à cette justification que Dieu réalise. Le juste mérite donc une récompense éternelle à cause de Dieu. 2) La sentence prise en elle-même, aboutissant à la condamnation du pécheur impénitent ou au contraire à la bénédiction du juste ne peut en aucun cas venir de l’âme elle-même, ni du côté du méchant ni du côté du juste. Car le méchant est trop pervers en blasphémant contre le Saint Esprit de Dieu pour se reconnaître coupable. Il proteste au contraire du bon droit de sa révolte et s’oppose de toutes ses forces à la justice de Dieu qui condamne son orgueil. Quant au juste, la conscience de l’imperfection de son cœur, confronté à la bonté simple du cœur de Jésus, l’empêche de se déclarer lui-même digne du salut. Il reçoit la sentence de sa justice dans l’obéissance: «Venez les bénis de mon père.»
En un troisième sens, nous avons montré que le jugement signifie l’énonciation de la peine ou de la récompense qui découle de la condamnation ou de la justification. Là encore, on doit affirmer que l’âme n’est pas pour elle-même son propre juge. Le réprouvé en effet, ne veut pas de la séparation d’avec Dieu pour elle-même. S’il pouvait voir l’essence de Dieu qui est l’essence même du bonheur, sans pour autant renoncer à son péché, il choisirait cette voie. Mais comme il rejette obstinément les conditions requises pour entrer dans le cœur de Dieu à savoir l’humilité et la charité, il nécessaire que lui soit notifiée par le juste juge cette sentence, selon cette parole de l’Ecriture «Allez-vous en loin de moi, maudits! » Quant à l’élu, à cause même de sa grande humilité, il ne s’estime quant à lui jamais digne d’entrer dans cette gloire que sa charité lui fait désirer. C’est donc Jésus l’y introduit, au moment choisi par lui seul.
Solution 1: Le méchant est à lui-même son propre juge en ce sens que son intention perverse manifeste sa culpabilité et mérite sa sentence d’une manière suffisante. Le juge ne fait, en quelque sorte, que ratifier ce qui est déjà réalisé dans l’âme de celui qui rejette Dieu. Le méchant est donc à lui seul cause de sa réprobation. En ce sens, on peut dire qu’il est lui-même son propre juge.
Solution 2: La grâce que les justes reçoivent de la part de Dieu leur mérite en stricte justice l’entrée dans la gloire. Mais la cause première de ce mérite n’est pas l’homme lui-même qui ne peut en effet réaliser par ses propres forces une telle élévation surnaturelle. Elle est causée par Dieu lui-même qui achève par la glorification ce qu’il avait commencé en justifiant l’âme de bonne volonté. C’est donc Dieu qui juge l’âme des justes et les déclare dignes d’entrer dans la gloire éternelle.
Solution 3: Selon toutes les acceptions du mot jugement, l’âme ne se juge jamais elle-même mais elle reçoit du Verbe Incarné la règle de son jugement, la sentence de sa condamnation ou de sa justification et la peine ou la récompense qui en découle. Cependant, elle ne vit pas de l’extérieur son jugement personnel car, selon la première signification du mot jugement, l’âme se voit elle-même jusque dans ses retranchements les plus intimes; De même, selon le deuxième sens, elle sait que la cause de sa damnation vient d’elle seule, à raison de son péché irrémissible. Elle est obligée, devant l’évidence de ce fait, de reconnaître la justice de cette sentence qu’elle rejette malgré tout de toute la force de son orgueil.
5: Est-ce Jésus sous la forme de son humanité qui juge l’âme?
Objection 1: Cela semble contradictoire avec ce que nous venons de montrer, au moins en ce qui concerne les damnés. Jésus ne peut à la fois être juge et se départir du jugement.
Objection 2: Le Christ ne semble pas devoir nous juger sous la forme de son humanité parce que le jugement requiert chez le juge l’autorité. Celle-ci est dans le Christ, à l’égard des vivants et des morts, en tant qu’il est Dieu: comme tel, il est le Maître et le Créateur de toutes choses. C’est donc sous cette forme divine qu’il jugera.
Objection 3: Le juge a besoin d’un pouvoir invincible. L’Ecclésiastique: «Ne cherche pas à devenir juge, à moins que tu aies le pouvoir de vaincre les iniquités.» Or c’est en tant que Dieu incarné que le Christ possède cette force invincible. Il jugera donc sous la forme de sa divinité.
Objection 4: Matthieu 12, 41 : « Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas! La reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec cette génération et elle la condamnera, car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon! »
Matthieu 19, 28 « Jésus leur dit: "En vérité je vous le dis, à vous qui m'avez suivi: dans la régénération, quand le Fils de l'homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël. » Ce n’est donc pas le Christ seul qui juge mais aussi les saints.
Cependant: Dans l’Evangile de saint Jean, Jésus disait: «le Père ne juge personne, il a donné au Fils le jugement tout entier.» C’est donc à Jésus qu’il appartient de juger aussi bien dans le jugement particulier de l’âme que dans le jugement général de l’humanité qui suivra la résurrection.
De même il est écrit: «Il lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est Fils de l’homme.» C’est donc sous la forme de son humanité que Jésus jugera.
Conclusion: Il est nécessaire d’admettre l’existence d’un juge qui soit autre que l’âme elle-même lors du jugement personnel comme lors du jugement général. La raison en est qu’il faut, pour juger de la rectitude d’un acte, une mesure déterminée du bien et du mal. Or cette mesure est la volonté de Dieu elle-même et elle est exprimée à l’homme dans les commandements. La plus parfaite des révélations est faite par la parole de Dieu faite homme, c’est-à-dire le Verbe Incarné. C’est donc lui qui est la loi divine et la règle du jugement, de la même façon que les juges de la terre représentent dans le tribunal la loi humaine rendue vivant. Mais il convient que le Christ en tant qu’homme soit le juge de l’homme parce qu’il a reçu l’autorité sur les hommes (nul ne peut juger s’il n’a juridiction) pour deux raisons. 1) Il est notre maître non seulement en tant qu’il est notre Dieu et notre Créateur mais aussi en tant qu’il est homme et que, par sa passion, il nous a ouvert les portes du salut; C’est ce que signifient ces paroles des Actes: "Lui-même a été institué par Dieu juge des vivants et des morts." 2) Il faut que le juge puisse être vu par tous ceux qui sont jugés. Or si le Christ apparaissait sous la forme de sa divinité, il ne pourrait être vu par l’intelligence des pécheurs qui n’est pas surélevée par la grâce. Comme le dit saint Bonaventure: «Sans la déiformité de l’esprit et la fruition du coeur, la vision de face est impossible.» Le juge devra donc apparaître sous le visage d’une créature et non du Créateur. Et comme il devra manifester avec puissance l’Evangile de Dieu, on doit admettre qu’il n’apparaîtra pas sous les formes cachées de son humanité douloureuse, tel que le virent ses disciples en Judée mais sous la forme lumineuse de son corps glorieux. Mais nous traiterons plus amplement de cette question dans le chapitre consacré au jugement général.
Solution 1: Pour les méchants, le Christ est juge pour trois raisons: d’abord il manifeste par la clarté de sa lumière la gravité de leur péché de même que la loi humaine manifeste ce qui est illégal. Ensuite il lui revient de prononcer la sentence de culpabilité. Enfin, il lui revient d’en notifier la peine qui ratifie le choix que l’âme maintient librement dans sa volonté perverse.
Solution 2: Le Christ en vertu de sa nature divine possède le pouvoir de dominer toutes les créatures par droit de création. En sa nature humaine il possède le pouvoir de domination qu’il a mérité par sa passion. C’est comme une autorité secondaire et acquise tandis que la première est naturelle et éternelle.
Solution 3: Le Christ en tant qu’homme ne possède pas un pouvoir irrésistible qui résulterait de la puissance de l’espèce humaine. Pourtant par suite d’un don de sa divinité, il possède ce pouvoir invincible jusqu’en sa nature humaine en tant que toutes choses lui sont soumises comme dit saint Paul aux Corinthiens et aux Hébreux. C’est pourquoi il jugera dans sa nature humaine mais par sa puissance divine.
Solution 4: Voir un seul élu dans le rayonnement de sa gloire, c'est comprendre l'Evangile de Dieu. Le plus petit dans le Royaume des Cieux est prophète, roi et prêtre parce que, s'étant abaissé, il a été élevé par son Créateur. Aussi, l'apparition à l'heure de la mort d'un seul de ces saints serait suffisante pour réaliser tout ce que nous avons dit de l'apparition du Christ. En voyant les mérites passés des habitants de Ninive, nous verrons nos manques; en constatant leurs péchés pardonnés, nous découvrirons la miséricorde de Dieu et ainsi de suite pour le reste. Ainsi, le pouvoir de juge du Messie, loin de diminuer celui des autres saints, le fonde. C'est pourquoi le Christ ne vient pas seul mais accompagné des saints et des anges.
6: Aussitôt arrivées dans l’autre monde, les âmes reçoivent-elles leur récompense et leur châtiment?
Objection 1: Il ne convient pas que l’âme reçoive aussitôt séparée du corps sa récompense ou son châtiment. En effet, c’est l’homme tout entier qui a commis le péché ou mérite la gloire. De même, il convient que l’homme tout entier soit puni ou récompense. Donc il convient d’attendre la résurrection finale des corps.
Objection 2: Certains obstacles peuvent parfois s’opposer à la réception immédiate de la gloire comme par exemple quelques restes d’attachement au péché. C’est pourquoi l’Église enseigne l’existence d’un purgatoire après la mort. Donc certaines âmes ne reçoivent pas aussitôt séparées du corps leur récompense.
Objection 3: Avant la venue du Christ, les saints n’étaient pas aussitôt introduits dans la vision de Dieu mais attendaient dans un lieu de paix que l’Ecriture appelle le sein d’Abraham. De même, avant la résurrection finale des corps, le paradis promis aux saints n’est pas la vision de Dieu mais seulement un lieu provisoire d’attente.
Objection 4: Après le jugement dernier, les saints reçoivent de la part de Jésus la sentence de leur salut. Ils sont donc certains de recevoir à la fin du monde la récompense de la gloire. Et cette espérance assurée constitue déjà un paradis. Il n’est pas besoin d’affirmer qu’ils sont introduits immédiatement dans la vision de Dieu.
Objection 5: Le châtiment et la récompense qui dépendent du jugement ne doivent pas le précéder. Or le feu de l’enfer ou le bonheur du paradis seront décernés à tous les hommes par la sentence du souverain juge, au dernier jugement qui suivra la fin du monde. Donc jusque là, les âmes doivent attendre dans les limbes et personne ne va au ciel ou en enfer.
Cependant: Qu’aussitôt après la mort les âmes reçoivent leur châtiment ou leur récompense, s’il n’y a pas d’obstacle, les testes de l’Ecriture l’affirment. Il est dit des méchants au Livre de Job: «Ils passent leurs jours dans le bonheur et en un instant ils descendent aux enfers »; et en saint Luc: «Le riche mourut et fut enseveli dans l’enfer.», l’enfer étant le lieu où les âmes sont punies. Il en va évidemment de même pour les bons. Jésus, suspendu à la crois, dit au larron: «Dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis », étant entendu que le Paradis est la récompense qui est promise aux bons, selon le mot de l’Apocalypse: «Au vainqueur je ferai manger de l’arbre de vie placé dans le paradis de mon Dieu.»
Conclusion: Les âmes humaines reçoivent aussitôt après la mort, selon leurs mérites, leur châtiment ou leur récompense. C’est la finalité du jugement individuel dont la sentence est aussitôt exécutée.
Pour le comprendre, on peut montrer comment tous les obstacles ont disparus. Le premier d’entre eux est le péché originel. Le choix d’Adam et Ève consista à rejeter Dieu au nom de toute l’humanité. Il provoqua un retard vis-à-vis de l’entrée dans la gloire. Il fut effacé par l’acceptation inverse du Christ et de la nouvelle Ève, Marie.
Le seconde condition est celle de l’éducation du cœur de l’homme à l’amour, à l’humilité et à la pureté. Pour cela, Dieu le mène à travers un chemin de vie. Sa première étape est celle de la terre et du passage à travers l’état d’un corps mortel. Tant que le corps mortel subsiste dans son état végétatif, il est impossible à l’homme de voir Dieu. La complexion de cet état est trop fragile pour supporter une telle puissance. Cette vie-ci est le temps du mérite ou du démérite, d’où la comparaison avec le service militaire et les jours du mercenaire, telle qu’elle est établie au Livre de Job: «La vie de l’homme sur terre est un temps de service, ses jours sont comme ceux d’un mercenaire.» Après la mort, que les âmes puissent entrer dans la gloire, c’est évident, après ce que nous avons dit: Dès que l’âme est séparée du corps physique, elle devient capable de voir Dieu.
La seconde étape de cette purification consiste dans la manifestation de l’Evangile et de la possibilité de son refus. C’est réalisé par la Parousie du Christ et l’apparition du démon à l’heure de la mort. La clarté de cette manifestation, suffit à conduire l’âme à poser le choix de son éternité. Ce choix ne variera jamais, comme nous l’avons dit. Dans cette mesure, on ne voit pas pourquoi châtiment et récompense seraient différés, du moment que l’âme est capable de l’un et de l’autre. Sitôt donc que l’âme est séparée du corps, elle reçoit sa récompense ou son châtiment pour tout ce qu’elle a fait pendant qu’elle était dans son corps.
En ce qui concerne l’entrée dans la vision de Dieu, il reste malgré tout un troisième obstacle. Si l’apparition provoque un amour tel qu’il est impossible de l’aimer davantage après la mort, elle ne provoque pas nécessairement une purification totale de l’orgueil. S’il reste donc une purification du cœur à effectuer, l’âme subit un certain retard avant l’entrée dans la gloire. Alors, après le temps de service, après le travail du mercenaire, vient la récompense ou le châtiment, dus à ceux qui ont bien ou mal œuvré. Aussi est-il dit au Lévitique: «Le salaire du mercenaire ne restera pas avec toi jusqu’au lendemain.» Et encore, en Joël: «Bien vite, je ferai retomber votre provocation sur vos têtes.»
Solution 1: Il est normal que l’ordre du châtiment et de la récompense réponde à l’ordre de la faute et du mérite. Or mérite et faute n’intéressent le corps que par l’intermédiaire de l’âme: rien ne rentre dans l’ordre du mérite ou du démérite qui ne soit volontaire. On convient donc que la récompense comme le châtiment atteignent le corps par le biais de l’âme, non point l’âme par le biais du corps. Il n’y a donc aucune raison d’attendre la résurrection des corps pour qu’ait lieu la récompense ou la punition des âmes; bien plutôt convient-il que les âmes en qui tout d’abord se trouvent réalisées faute et mérite, soient tout d’abord aussi punies ou récompensées.
Solution 2: Récompense et châtiment sont dus aux créatures raisonnables en vertu de la même providence de Dieu qui accorde aux réalités naturelles leurs perfections propres. Or il en va ainsi des réalités naturelles que chacune d’elles reçoit à l’instant la perfection dont elle est capable, à moins qu’il n’y ait un obstacle soit de la part du sujet récepteur, soit de la part de l’agent. Puisque les âmes deviennent capables de la gloire et du châtiment aussitôt que séparées du corps, elles les recevront immédiatement, sans que la récompense des bons et le châtiment des méchants soient différés jusqu’au temps où les âmes retrouveront leur corps.
Il faut cependant bien voir que de la part des bons il peut y avoir un certain obstacle à ce que l’âme déliée du corps reçoive immédiatement cette récompense dernière qu’est la vision de Dieu. A cette vision, qui dépasse absolument les facultés naturelles, la créature raisonnable ne peut être élevée qu’une fois totalement purifiée. Il est dit de la Sagesse que[48]«Rien de souillé ne peut pénétrer en elle »; et en Isaïe, «qu’aucun impur ne passera par là.» L’âme est donc immédiatement introduite dans la Vision de l’essence divine, à moins qu’elle n’ait comme on l’a dit, à être purifiée dans le purgatoire.
Solution 3: Certains prétendent, sans doute, qu’il ne faut pas voir dans le paradis l’ultime récompense des cieux dont il est parlé en saint Mathieu: «Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux.» Il ne s’agirait que d’une récompense terrestre, le paradis semblant être en effet ce lieu terrestre dont il est dit dans la Genèse: «Dieu planta un paradis de délices et il y mit l’homme qu’il avait modelé.» Mais si l’on étudie correctement les paroles de la sainte Ecriture, on verra que la rétribution finale promise aux saints dans les cieux est accordée aussitôt après cette vie. Dans la IIe Epître aux Corinthiens, l’Apôtre a commencé par parler de la gloire finale en disant que «la légère tribulation d’un moment nous prépare, bien au delà de toute mesure, une messe éternelle de gloire.» Aussi bien ne regardons-nous pas aux choses visibles, mais aux invisibles; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles, parole qui s’applique clairement à la gloire finale, celle des cieux. Puis, pour en montrer le temps et le mode, l’apôtre ajoute: «Nous savons en effet que si cette tente -notre demeure terrestre- vient à être détruite, nous avons une maison qui est l’œuvre de Dieu, une demeure éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, et qui est dans les cieux.» Par là Paul donne clairement à entendre qu’une fois accomplie la séparation d’avec le corps, l’âme entre dans l’éternelle demeure du ciel, qui n’est rien d’autre que la jouissance de Dieu, à l’image de, celle des anges dans les cieux.
Solution 4: L’Apôtre, objectera-t-on peut-être, n’a pas dit qu’aussitôt après la dissolution du corps nous prendrions en fait possession de cette demeure éternelle des cieux. Il ne s’agit que d’espérance, l’entrée en possession réelle étant réservée à l’avenir. Une telle objection est évidemment à l’opposé de l’intention de l’Apôtre, c’est dès cette vie en effet que nous est promise, selon la prédestination divine, cette demeure du ciel; et déjà nous l’avons en espérance, selon cette parole de l’Epître aux Romains: «C’est en espérance que nous avons été sauvés.» C’est donc inutilement qu’il aurait ajouté: «si cette tente -notre demeure terrestre- vient à être détruite…» Il lui aurait suffi de dire: «Nous savons que nous avons une maison qui est l’œuvre de Dieu, etc.» Ce qui suit le montre d’ailleurs plus clairement encore: «Sachant que demeurer dans ce corps, c’est vivre en exil loin du Seigneur, car nous cheminons dans la foi et non dans la claire vision, nous sommes donc pleins d’assurance et préférons quitter ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur.» C’est en vain que nous voudrions quitter ce corps, c’est-à-dire en être séparés, si ce n’était pour nous trouver aussitôt dans la présence du Seigneur. Or nous ne sommes en sa présence que dans la claire vision. Tant que nous marchons dans la foi et non pas à vue nous vivons en exil loin du Seigneur. C’est donc aussitôt après sa séparation d’avec le corps que l’âme sainte voit Dieu face à face, ce qui est la béatitude suprême. C’est ce que prouvent aussi ces paroles de l’Apôtre aux Philippiens: «J’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ.» Or le Christ est au ciel. L’Apôtre espérait donc parvenir au ciel aussitôt que délie de son corps.
Solution 5: Saint Grégoire propose et résout cette même objection: «Si les âmes des saints sont dès aujourd’hui dans le ciel, que recevront-il donc au jour du jugement, comme prix de leur vertu?» et il répond: «Un merveilleux accroissement: jusque là, leurs âmes seules goûtent le bonheur qui est leur récompense, mais alors ils jouiront de la béatitude de leur corps, ils seront heureux dans cette même chair dans laquelle ils ont enduré les douleurs et les tourments pour le Seigneur.» La même distinction s’applique aux damnés.
Nous savons que le bonheur de l’âme sera non seulement spirituel mais sensible puisque, grâce à son corps psychique, elle verra de ses yeux et avec une grande sensibilité la beauté des élus. Après la résurrection de la chair, ce bonheur s’étendra jusqu’au niveau du sens du toucher de la matière palpable et du plaisir physique qui lui est conjoint.
http://eschatologie.free.fr/traitedesfd/5tjugement.htm
Objection 1: Il ne semble pas que le jugement individuel suive immédiatement la mort. Le terme de ce jugement est en effet l’attribution d’une peine ou d’une récompense éternelle. Or saint Augustin dit: «Dans l’intervalle entre la mort et la résurrection générale, les âmes habitent des demeures mystérieuses, suivant que chacune a mérité le repos ou la peine.» Or ces demeures ne sauraient signifier le ciel ou l’enfer où les âmes seront avec leur corps après la résurrection, car alors la distinction faite par le saint docteur entre le temps qui précède la résurrection et celui qui la suit n’aurait plus de sens.
Objection 2: La gloire de l’âme est supérieure à celle du corps. Or la gloire corporelle sera donnée à tous en même temps, afin que la joie de chacun soit comme multipliée par la joie de tous, comme le dit la glose. Donc, à plus forte raison, la gloire des âmes doit-elle être différée jusqu’à la fin du monde où elle sera donnée à tous en même temps. Ainsi, il semble que le jugement individuel n’aura lieu qu’à ce moment, en même temps que le jugement général.
Cependant: Saint Paul dit: «Nous savons que si cette tente, notre demeure terrestre vient à être détruite, nous avons une maison qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, dans le ciel». Si cette demeure est éternelle, c’est qu’elle ne doit jamais être changée. Donc les âmes sont jugées à l’instant qui suit leur entrée dans l'autre monde. Cette vérité est proclamée avec évidence par les Ecritures canoniques, les ouvrages des saints Pères et la définition solennelle de Benoît XII. Sa négation doit donc être regardée comme hérétique.
Conclusion: De même que la gravité ou la légèreté porte les corps au lieu qui est le terme de leur mouvement, de même le mérite ou le démérite conduit les âmes à la récompense ou au châtiment qui sont le terme de leur activité. De même donc que si rien n’y met obstacle, les corps obéissent à la gravitation et atteignent le lieu qui leur convient, de même les âmes, après la rupture du lien corporel qui les retenait ici-bas, reçoivent du juge souverain la sentence de leur récompense ou de leur châtiment. Tel est le but du jugement individuel.
Il reste à comprendre de quelle manière on peut dire qu’il ne reste plus d’obstacle à ce que l’âme reçoive la sentence de son destin éternel juste après la mort. A l’heure de la mort, nous l’avons montré, l’homme a été conduit par une série de révélations à poser un choix définitif qu’il ne pourra ni ne voudra jamais changer. Il n’existe donc plus de motif de la part de Dieu pour retarder l’obtention de ce choix. La vie terrestre ne permettait des retours sur les choix qu’à raison de son rôle éducatif et provisoire. C’est pourquoi, juste après la mort, l’âme est conduite en enfer et, dès qu’elle s’est totalement purifiée des restes de son péché, au paradis. On doit donc affirmer que le jugement individuel qui réalise l’attribution de ces peines ou de ces récompenses suit immédiatement la mort.
Solution 1: Parmi les demeures mystérieuses dont parle saint Augustin, il faut ranger le ciel et l’enfer où il y a des âmes même avant la résurrection de la chair. Ce qui distingue le temps qui précède celle-ci et le temps qui la suit, c’est l’absence ou la présence du corps physique, et aussi le fait que certaines demeures qui contiennent aujourd’hui des âmes n’en contiendront plus après la résurrection, (le purgatoire).
Solution 2: Le corps crée une espèce de continuité entre tous les hommes. C’est par lui que se vérifie cette parole des actes: «D’un seul homme, Dieu a fait sortir tout le genre humain.» Au contraire «Dieu a créé chacune des âmes ». La glorification simultanée de toutes les âmes s’impose donc moins que celle de tous les corps. De plus la gloire du corps est moins essentielle que celle de l’âme. L’ajournement de celle-ci causerait donc aux saints un préjudice d’autant plus grave, et que ne suffirait pas à compenser le supplément de joie que chacun recevrait de la joie de tous. Donc il convient que le jugement individuel de chaque âme ne soit pas différé après la mort.
2: L’âme arrive-t-elle au jugement dernier en état de mérite ou de démérite?
Objection 1: Il semble que certaines âmes n’arrivent pas en état de mérite ou de démérite par rapport à la vie éternelle. Car le mérite comme la justification impliquent le libre arbitre. Il semble donc que les enfants morts prématurément ne méritent ni de déméritent puisque leur esprit est incapable par nature de se porter vers un bien.
Objection 2: De même ceux qui n’ont jamais entendu parlé durant leur vie terrestre de la béatitude préparée par Dieu, comme ceux qui ont vécu avant la venue du Christ ou ceux qui, après sa venue, n’ont pas reçu la prédication évangélique, ne peuvent être en état de mérite ou de démérite par rapport à ce qu’ils ne connaissent pas.
Objection 3: Une tradition attestée par les Pères décrit un séjour des morts appelé « mort, shéol ». Ces âmes errent entre deux mondes, sans but. Elles ne sont donc ni en état de mérite, sinon elles seraient dirigées vers le paradis, ni de démérite sinon elles se détermineraient vers l’enfer. Donc…
Cependant: Après sa mort, l’âme reçoit la sentence du juge qui la fixe dans son avenir éternel. Or le jugement divin ne peut qu’être juste et attribuer à chacun la récompense de ses oeuvres. L’âme est donc nécessairement en état de mérite ou de démérite par rapport à cette rémunération.
Conclusion: Nous avons montré précédemment que tout homme recevait de la part de Dieu durant sa vie terrestre la possibilité de vivre de la grâce et d’être justifié. Si cette révélation n’est pas donnée durant la vie, elle est alors reçue au moment de la mort. Elle se fait d’une façon suffisamment claire pour chaque homme de manière à ce que le libre arbitre s’ouvre à la gloire ou au contraire la rejette d’une manière pleinement responsable. L’âme est donc introduite dans la mort de telle manière qu’elle est pleinement en état de mérite ou au contraire de démérite par rapport à la vie éternelle. Or le mérite vient du fait qu’on a établi son intention dans la recherche exclusive de Dieu et de sa volonté comme fin dernière de sa vie, ce qui se réalise par la charité. Le démérite au contraire est la conséquence d’une intention qui s’établit dans la recherche de soi-même comme fin dernière de toutes ses activités. La première de ces intentions étant fondée sur la grâce mérite de la part de Dieu qui en est la cause première, l’introduction dans la gloire. La seconde mérite au contraire la séparation définitive avec Dieu que l’homme rejette.
Solution 1: Le cas des enfants morts prématurément est à considérer à part à cause de l’absence chez eux d’un libre-arbitre personnel. Comme tout être spirituel, ils sont appelés par Dieu à la Vision béatifique mais ils ne peuvent y être introduits que de la manière qui convient aux êtres spirituels: Dans sa liberté souveraine, Dieu ne veut s’unir à sa créature que si elle-même le désire dans un acte de charité. Pour ce faire, deux conditions sont requises:
1) Il faut que l’enfant puisse poser un acte libre. Dieu doit donc remédier à son incapacité naturelle. Nous verrons qu’il le fait par une éducation qui vient réaliser dans leur esprit ce qu’aurait du accomplir l’apprentissage de la terre. Il le fait aussi par la puissance sensible de l’apparition des saints et des anges dont l’image est capable, de manière adaptée à la faiblesse de l’esprit enfantin, de faire naître une vraie vie de connaissance et de volonté active.
2) Il faut en outre que l’enfant puisse se tourner vers Dieu et le désirer. Cet acte de charité n’est possible que par l’infusion de la grâce surnaturelle ce qui présuppose le pardon du péché originel et la proposition explicite de la grâce. Parmi les enfants, certains ont été baptisés soit par le baptême d’eau reçu de l’Église, soit par le baptême que leurs parents ou leur proches ont désiré pour eux sans pouvoir leur administrer. D’autres, ayant été abandonnés ou oubliés par leurs parents avant leur naissance, ils sont adoptés et baptisés à la demande des habitants du paradis par le nouvel Adam et la nouvelle Ève, à savoir Jésus et Marie. Grâce à ces diverses formes de baptême, tous les enfants ont en eux la grâce sanctifiante. De ceci ressort que les enfants, après s’être tournés vers Dieu dans l’innocence de leur âme, arrivent au jugement en état de mérite par rapport à la vie éternelle.
Solution 2: Même avant la venue du Christ, les âmes recevaient la prédication du salut qui allait être bientôt réalisé par la naissance, la mort et la résurrection du Christ. Le contenu de cette révélation n’était pas alors aussi riche et précis que celui reçu de nos jours par les hommes à l’heure de leur mort mais il suffisait pour établir leur âme dans l’espérance future du salut. Depuis toujours, pour pouvoir effectuer son choix de manière lucide, l’homme devait simplement croire que Dieu est lumière et amour et qu’il propose la vision béatifique à celui qui l’aime. Il devait aussi espérer la venue prochaine d’un Messie de cet Evangile.
Et cette espérance ou ce refus d’espérer leur valait déjà de mériter ou de démériter par rapport à la vie éternelle que Jésus vint leur révéler en plénitude après sa passion: «Il s’en alla même prêcher aux esprits en prison.» En attendant cette révélation, les âmes séjournèrent dans les limbes des patriarches, autrement dit l'un des "enfers" selon cette parole de Jacob: «S’il arrivait malheur à Benjamin, vous feriez descendre mes cheveux blancs avec douleur dans les enfers». Si avant la venue du Christ, les âmes des justes ne furent pas immédiatement introduites dans le repos éternel et parfait de la vision de l’essence divine, c’est parce que l’obstacle du péché qui mérite en stricte justice la séparation d’avec Dieu n’avait pas encore été enlevé par le Christ, selon cette parole «il a pris sur lui notre péché, le châtiment qui nous rend la paix est sur lui et dans ses blessures nous trouvons la guérison».
Quant aux enfers, il ne faut pas les confondre avec l’enfer tel que nous en parlons aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de l’état des réprouvés, mais du séjour des morts, qu’ils soient justes, en voie de purification ou déjà saints. Toutes ces âmes avaient en commun d’être séparées de la vision de Dieu et en ce sens, il s’agit bien d’enfers, c’est-à-dire de lieux inférieurs. 1) Mais les unes étaient séparées de Dieu à cause d’un obstacle provisoire que le Christ devait enlever. Leur séjour était l’enfer des justes, (appelé par l’Ecriture le sein d’Abraham car Abraham est le signe de ceux qui croient, le grand exemple de la foi présenté par la Bible, puisqu’il se sépara de la multitude incroyante et reçut le signe de l’Alliance avec Dieu.) Il s’agissait d’un état d’où la souffrance était exclue puisqu’il n’y avait pas de faute à expier. Mais le repos dont jouissait l’âme des justes était imparfait car le désir subsistait, la fin dernière restant encore à atteindre. 2) En outre, certaines âmes étaient déjà, avant la venue du Christ, séparées de Dieu à cause de leur volonté obstinée dans le mal. Ce sont les âmes de l’enfer des damnés qui se distingue de l’enfer des justes car il est l’état définitif de ces âmes obstinément fixées dans le blasphème contre le Saint Esprit de Dieu. 3) En troisième lieu, l’Ecriture Sainte oblige à supposer l’existence, dès avant la rédemption opérée par le Christ, d’un «enfer » correspondant au purgatoire dont parle actuellement l’Église et où les âmes saintes, ayant cependant quelque reste du péché séjournaient dans une attente douloureuse. C’est ce qu’enseigne avec netteté le livre des Maccabées: «Judas fit faire ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu’ils fussent délivrés de leurs péchés.» Il semble qu’il s’agit de la demeure où fut conduit l’homme riche dont parle Jésus dans l’Evangile de saint Luc: «Dans l’Hadès, en proie à des tortures, le riche lève les yeux et voit de loin Lazare en son sein. Alors il s’écrit: père Abraham, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je suis tourmenté par cette flamme.» En tout état de cause, de ces trois enfers, seuls subsistent aujourd’hui les deux derniers car les âmes des justes qui séjournaient dans le sein d’Abraham furent toutes introduites dans la gloire du Ciel au soir du vendredi saint, au moment où, symbolisant cet évènement, le rideau du temple se déchirait.
Quant au jugement individuel qui aboutissait dès avant l’incarnation du Verbe à la distinction des âmes, on peut supposer qu’il était réalisé par l’apparition au moment de la mort d’un envoyé glorieux mandaté par Dieu, capable de manifester avec puissance et clarté la certitude du Salut à venir: Sans doute s’agissait-il d’un archange (l'ange de la mort) se montrant sous une forme adaptée pour le mourant.
Solution 3: Le shéol est un état provisoire réservé à des personnes très rustres. Dieu permet que ces âmes restent entre deux mondes parce qu’il espère, en retardant l’apparition du Christ et le jugement dernier, affiner leur perception du bien et du mal. Il n’y a ni mérite ni démérite définitif car, laissées dans l’ignorance des révélations de la gloire qui accompagnent la Parousie du Christ, elles sont maintenues dans l’incapacité de choisir leur destin éternel. Comme les autres âmes, après ce temps de prolongement de la vie terrestre, ces âmes seront visitées et arriveront au jugement en état de mérite ou de démérite.
3: Toutes les âmes passent-elles en jugement?
Objection 1: Il semble que les saints ne passent pas en jugement lors de leur mort. En effet, Jésus dit: «En vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé à la vie éternelle et ne vient pas en jugement mais il est passé de la mort à la vie.»
Objection 2: Il semble que l’on doive parler de la même manière pour ceux qui sont en état de péché mortel puisque Jésus annonce à leur égard: «Qui ne croit pas est déjà jugé car il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.»
Objection 3: Les enfants morts après avoir reçu le baptême n’ont pas besoin d’être jugés puisqu’ils n’ont commis aucun péché personnel et qu’ils sont sauvés par la foi de leurs parents et de l’Église qui les présente à Dieu.
Objection 4: La Vierge Marie au moins, à cause de son incomparable pureté semble avoir échappé au jugement individuel et être montée directement au ciel.
Cependant: D’après Benoît XII : les âmes reçoivent après leur mort leur récompense ou leur châtiment. Or c’est là justement ce qui spécifie le jugement des individus. Donc tous les hommes passeront en jugement.
Conclusion: Dans le domaine du bien et du mal, on peut employer le terme juger selon plusieurs sens.
1) En un premier sens qui est fondamental, juger signifie simplement énoncer le droit. Et cette détermination exacte des choses justes se fait par rapport à une règle qui peut être écrite (ainsi dit-on que la loi juge de ce qui est bon ou mauvais dans la cité) ou vivante (et c’est le rôle du juge.) Pris en ce sens, on doit affirmer que le jugement individuel concerne tout homme, aussi bien les bons que les mauvais car il est nécessaire que chacun puisse discerner ce qui est bon ou mauvais en lui. Un tel jugement est inauguré dans le temps qui précède la séparation totale de l’âme et du corps physique par l’apparition du Christ glorieux qui est, à lui seul, la loi vivante de Dieu pour les hommes. La vision de son humanité sainte, accompagnée des diverses révélations qui lui sont conjointes manifeste d’une manière suffisante à l’âme l’état de ses mérites ou démérites devant Dieu, au point qu’elle sera rendue capable de discerner en elle chaque péché et chaque bonne action. C’est ce que signifie saint Bonaventure quand il dit qu’on ouvrira le livre des consciences de chacun[18].
2) En un second sens, juger peut signifier la condamnation d’un pécheur à cause de sa faute. Ainsi voit-on les juges se prononcer sur la culpabilité de celui qui a commis un crime en le déclarant coupable. De même, dans les évangiles, Jésus interdit aux hommes de juger afin de ne pas être jugés eux-mêmes[19]. Il signifie par là qu’il n’appartient qu’à Dieu de condamner un pécheur pour son péché car nul autre que lui n’est réellement capable de discerner les intentions profondes de chacun: «Il sonde les reins et les cœurs.»[20] Pris en ce second sens, seul les méchants seront jugés, obtenant par là une juste réponse à leur obstination perverse dans le péché. Quant aux saints, ceux qui auront été trouvés avec la charité, ils échapperont à ce jugement. Ils s’entendront signifier une bénédiction.
3) Enfin, juger peut signifier l’énonciation d’une sentence. Ainsi celui qui a commis un crime reçoit-il une juste peine de la part du juge. Pris en ce sens, on doit affirmer que tous les hommes, les bons comme les mauvais passeront après leur mort en jugement car les justes s’entendront déclarer par le Christ dignes de la vie éternelle tandis que les pécheurs seront déclarés condamnés à l’enfer éternel, selon le démérite de leur péché. C’est ce que signifie saint Bonaventure lorsqu’il affirme qu’on ouvrira le livre de Vie qui manifestera la justice de Dieu: «Entrez dans la joie de mon Père.»
Solution 1: Cette parole de Jésus signifie que celui qui aime Dieu n’a pas à craindre un jugement de condamnation, selon la deuxième acception du mot jugement. Par contre, Dieu établira en lui un discernement de tous les restes du péché, selon cette parole de l’épître aux Hébreux: «Le Verbe de Dieu, comme un glaive à deux tranchants, pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, il peut juger des sentiments et des pensées du cœur». Il s’agit de la première acception du mot jugement. De même, selon la troisième acception, le juste s’entendra déclarer digne du salut dès son jugement individuel: même s’il lui reste quelque péché à effacer au purgatoire, la certitude d’être sauvé ne le quittera jamais.
Solution 2: Le jugement de condamnation qui est réservé aux méchants s’achève donc dans l’énonciation d’une sentence de damnation dont l’origine vient du péché que le reprouvé s’obstine à garder. L’origine étant le péché on peut dire avec l’Ecriture que le réprouvé est jugé par sa propre perversité plutôt que par le juste juge qui ne fait que ratifier .
Solution 3: Comme tout être spirituel, l’enfant n’entre pas au ciel sans un acte libre de sa volonté. Il reçoit donc de la part de Dieu certains dons qui viennent remplacer ce qu’aurait du normalement accomplir l’éducation et l’enseignement d’une vie terrestre. Ainsi, son intelligence est rendue suffisamment forte pour pouvoir engager sa volonté dans un choix concernant le bien et le mal. Simultanément, l’enfant reçoit du Verbe fait chair la révélation explicite du contenu de la foi et de l’espérance. L’enfant étant innocent, il ne subit aucun jugement de discernement vis-à-vis du péché de sa vie passée. Il est simplement introduit au ciel, dès son premier acte volontaire de charité, par la sentence du juge qui bénit la simplicité de son âme.
Solution 4: La Vierge Marie n’a pas eu besoin de se voir énoncer à nouveau les volontés divines lors de son passage dans l’autre monde puisqu’elle en avait perçu pleinement les profondeurs des sa vie terrestre; de même, il n’y a en elle aucun discernement du péché puisqu’elle était immaculée. Elle n’a donc connu le jugement individuel que selon sa première et troisième acception ce qui signifie que le Christ a redit devant elle et le Ciel entier ce que l’ange Gabriel avait fait des année plus tôt. Il l’a déclaré « pleine de grâce ». Puis il a énoncé devant elle la sentence de sa gloire incomparable. C’est ce que l’Église célèbre par la fête de son couronnement. En effet, dans le même moment, la Vierge Immaculée a été élevée par son Fils à la gloire de la vision béatifique, et proclamée Reine du ciel et de la terre.
4: Est-ce l’âme qui se juge elle-même?
Objection 1: Cela n’est pas possible. On ne peut être à la fois juge et accusé, comme on le voit dans les procès humains. Il faut donc qu’il y ait un juge assigné par Dieu pour déterminer la culpabilité ou l’innocence du prévenu et pour lui attribuer sa peine ou sa récompense.
Objection 2: Pour les bons, le jugement dernier aboutit à l’entrée dans la gloire. Or nul ne peut se juger digne soi-même de recevoir une telle récompense. Ce serait de la présomption. Il faut donc qu’il y ait un juge autre que l’âme elle-même.
Objection 3: Comme nous venons de le montrer, il appartient au Christ de manifester lors du jugement particulier la règle du droit, de déclarer coupable le pécheur ou juste l’homme de bien ainsi que d’énoncer la peine ou la récompense finale. Ce n’est donc pas l’âme qui se juge elle-même.
Cependant: Jésus affirme en saint Jean: «Si quelqu’un entend mes paroles et ne les garde pas, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. Qui me rejette et n’accueille pas mes paroles a son Juge: la parole que j’ai fait entendre, c’est elle qui le jugera au dernier jour». Or la parole que Jésus a fait entendre est la cause du témoignage de la conscience donc l’âme n’est pas à elle-même son propre juge.
Conclusion: Pour répondre à cette question, il faut reprendre les distinctions établies à l’article précédent, comme nous l’avons dit, le mot jugement:
En un premier sens, le plus fondamental, il signifie le discernement du bien et du mal qui se trouvent dans l’âme. Ce discernement est réalisé par l’apparition glorieuse du Christ et des saints dont la présence à la fois lumineuse, forte et douce manifeste au pécheur l’état de son âme. En ce premier sens, c’est Jésus dans l’unité de l’Église du Ciel qui est cause du jugement puisque sa présence suffit pour en manifester la règle. Mais l’âme est rendue capable, grâce à son apparition de se juger elle-même, en toute vérité. En se voyant en quelque sorte, à travers les yeux du Christ, l’âme est à ce point rendue participante à son propre jugement qu’elle ne peut, quelle qu’en soit la sentence, qu’en constater de l’intérieur la justice. En ce sens là, on peut dire que l’âme ne se juge pas elle-même, mais plutôt qu’elle reçoit du Christ-juge la capacité de se juger.
En un second sens, qui découle du premier, on appelle jugement la sentence qui relaxe ou condamne le prévenu. Et cette sentence peut être regardée de deux manières: 1) de par sa cause qui est le mérite ou démérite de l’âme; 2) en elle-même. 1) La cause de la sentence est importante à considérer car c’est elle qui motive le salut de l’élu ou au contraire la réprobation du damné. Cette cause doit être juste: il faut que celui qui est damné le soit à cause d’une disposition de sa volonté qui le sépare de Dieu, à savoir un péché mortel à la vie de la grâce. De même celui qui est conduit au salut, doit avoir auparavant sa volonté disposée favorablement par la grâce qui lui mérite l’entrée dans la gloire. Or ce n’est pas de la même façon qu’un homme est pécheur et qu’il est juste. Celui qui est pécheur l’est à cause de sa propre volonté qui lui fait se porter librement vers un bien créé comme sur sa fin dernière. C’est donc par un libre choix qu’en se portant vers la créature, il se sépare du Créateur. Et cette liberté est totale au moment de la mort comme on l’a vu, puisque toute âme reçoit suffisamment pour ne plus être trompée dans son choix par l’ignorance et entraînée par la faiblesse de ses passions. En conséquence, on doit dire que, pris du côté de la cause de son jugement, c’est le méchant lui-même qui est source de sa réprobation, non en ce sens qu’il refuserait explicitement la vision béatifique, mais parce qu’il est prêt à perdre ce bien plutôt que de renoncer à son péché. C’est ce que veut signifier l’Ecriture quand elle dit: «C’est toi seul qui est cause de ta perte, Israël.» Au contraire, pour celui qui est juste, la cause première de sa justice ne vient pas de lui-même car nul ne peut croire, désirer et aimer Dieu s’il n’a pas reçu auparavant de lui la grâce qui l’en rend capable. Chez le juste, le libre arbitre n’est pas cause première de la justification mais ne fait que donner son assentiment à cette justification que Dieu réalise. Le juste mérite donc une récompense éternelle à cause de Dieu. 2) La sentence prise en elle-même, aboutissant à la condamnation du pécheur impénitent ou au contraire à la bénédiction du juste ne peut en aucun cas venir de l’âme elle-même, ni du côté du méchant ni du côté du juste. Car le méchant est trop pervers en blasphémant contre le Saint Esprit de Dieu pour se reconnaître coupable. Il proteste au contraire du bon droit de sa révolte et s’oppose de toutes ses forces à la justice de Dieu qui condamne son orgueil. Quant au juste, la conscience de l’imperfection de son cœur, confronté à la bonté simple du cœur de Jésus, l’empêche de se déclarer lui-même digne du salut. Il reçoit la sentence de sa justice dans l’obéissance: «Venez les bénis de mon père.»
En un troisième sens, nous avons montré que le jugement signifie l’énonciation de la peine ou de la récompense qui découle de la condamnation ou de la justification. Là encore, on doit affirmer que l’âme n’est pas pour elle-même son propre juge. Le réprouvé en effet, ne veut pas de la séparation d’avec Dieu pour elle-même. S’il pouvait voir l’essence de Dieu qui est l’essence même du bonheur, sans pour autant renoncer à son péché, il choisirait cette voie. Mais comme il rejette obstinément les conditions requises pour entrer dans le cœur de Dieu à savoir l’humilité et la charité, il nécessaire que lui soit notifiée par le juste juge cette sentence, selon cette parole de l’Ecriture «Allez-vous en loin de moi, maudits! » Quant à l’élu, à cause même de sa grande humilité, il ne s’estime quant à lui jamais digne d’entrer dans cette gloire que sa charité lui fait désirer. C’est donc Jésus l’y introduit, au moment choisi par lui seul.
Solution 1: Le méchant est à lui-même son propre juge en ce sens que son intention perverse manifeste sa culpabilité et mérite sa sentence d’une manière suffisante. Le juge ne fait, en quelque sorte, que ratifier ce qui est déjà réalisé dans l’âme de celui qui rejette Dieu. Le méchant est donc à lui seul cause de sa réprobation. En ce sens, on peut dire qu’il est lui-même son propre juge.
Solution 2: La grâce que les justes reçoivent de la part de Dieu leur mérite en stricte justice l’entrée dans la gloire. Mais la cause première de ce mérite n’est pas l’homme lui-même qui ne peut en effet réaliser par ses propres forces une telle élévation surnaturelle. Elle est causée par Dieu lui-même qui achève par la glorification ce qu’il avait commencé en justifiant l’âme de bonne volonté. C’est donc Dieu qui juge l’âme des justes et les déclare dignes d’entrer dans la gloire éternelle.
Solution 3: Selon toutes les acceptions du mot jugement, l’âme ne se juge jamais elle-même mais elle reçoit du Verbe Incarné la règle de son jugement, la sentence de sa condamnation ou de sa justification et la peine ou la récompense qui en découle. Cependant, elle ne vit pas de l’extérieur son jugement personnel car, selon la première signification du mot jugement, l’âme se voit elle-même jusque dans ses retranchements les plus intimes; De même, selon le deuxième sens, elle sait que la cause de sa damnation vient d’elle seule, à raison de son péché irrémissible. Elle est obligée, devant l’évidence de ce fait, de reconnaître la justice de cette sentence qu’elle rejette malgré tout de toute la force de son orgueil.
5: Est-ce Jésus sous la forme de son humanité qui juge l’âme?
Objection 1: Cela semble contradictoire avec ce que nous venons de montrer, au moins en ce qui concerne les damnés. Jésus ne peut à la fois être juge et se départir du jugement.
Objection 2: Le Christ ne semble pas devoir nous juger sous la forme de son humanité parce que le jugement requiert chez le juge l’autorité. Celle-ci est dans le Christ, à l’égard des vivants et des morts, en tant qu’il est Dieu: comme tel, il est le Maître et le Créateur de toutes choses. C’est donc sous cette forme divine qu’il jugera.
Objection 3: Le juge a besoin d’un pouvoir invincible. L’Ecclésiastique: «Ne cherche pas à devenir juge, à moins que tu aies le pouvoir de vaincre les iniquités.» Or c’est en tant que Dieu incarné que le Christ possède cette force invincible. Il jugera donc sous la forme de sa divinité.
Objection 4: Matthieu 12, 41 : « Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas! La reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec cette génération et elle la condamnera, car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon! »
Matthieu 19, 28 « Jésus leur dit: "En vérité je vous le dis, à vous qui m'avez suivi: dans la régénération, quand le Fils de l'homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël. » Ce n’est donc pas le Christ seul qui juge mais aussi les saints.
Cependant: Dans l’Evangile de saint Jean, Jésus disait: «le Père ne juge personne, il a donné au Fils le jugement tout entier.» C’est donc à Jésus qu’il appartient de juger aussi bien dans le jugement particulier de l’âme que dans le jugement général de l’humanité qui suivra la résurrection.
De même il est écrit: «Il lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est Fils de l’homme.» C’est donc sous la forme de son humanité que Jésus jugera.
Conclusion: Il est nécessaire d’admettre l’existence d’un juge qui soit autre que l’âme elle-même lors du jugement personnel comme lors du jugement général. La raison en est qu’il faut, pour juger de la rectitude d’un acte, une mesure déterminée du bien et du mal. Or cette mesure est la volonté de Dieu elle-même et elle est exprimée à l’homme dans les commandements. La plus parfaite des révélations est faite par la parole de Dieu faite homme, c’est-à-dire le Verbe Incarné. C’est donc lui qui est la loi divine et la règle du jugement, de la même façon que les juges de la terre représentent dans le tribunal la loi humaine rendue vivant. Mais il convient que le Christ en tant qu’homme soit le juge de l’homme parce qu’il a reçu l’autorité sur les hommes (nul ne peut juger s’il n’a juridiction) pour deux raisons. 1) Il est notre maître non seulement en tant qu’il est notre Dieu et notre Créateur mais aussi en tant qu’il est homme et que, par sa passion, il nous a ouvert les portes du salut; C’est ce que signifient ces paroles des Actes: "Lui-même a été institué par Dieu juge des vivants et des morts." 2) Il faut que le juge puisse être vu par tous ceux qui sont jugés. Or si le Christ apparaissait sous la forme de sa divinité, il ne pourrait être vu par l’intelligence des pécheurs qui n’est pas surélevée par la grâce. Comme le dit saint Bonaventure: «Sans la déiformité de l’esprit et la fruition du coeur, la vision de face est impossible.» Le juge devra donc apparaître sous le visage d’une créature et non du Créateur. Et comme il devra manifester avec puissance l’Evangile de Dieu, on doit admettre qu’il n’apparaîtra pas sous les formes cachées de son humanité douloureuse, tel que le virent ses disciples en Judée mais sous la forme lumineuse de son corps glorieux. Mais nous traiterons plus amplement de cette question dans le chapitre consacré au jugement général.
Solution 1: Pour les méchants, le Christ est juge pour trois raisons: d’abord il manifeste par la clarté de sa lumière la gravité de leur péché de même que la loi humaine manifeste ce qui est illégal. Ensuite il lui revient de prononcer la sentence de culpabilité. Enfin, il lui revient d’en notifier la peine qui ratifie le choix que l’âme maintient librement dans sa volonté perverse.
Solution 2: Le Christ en vertu de sa nature divine possède le pouvoir de dominer toutes les créatures par droit de création. En sa nature humaine il possède le pouvoir de domination qu’il a mérité par sa passion. C’est comme une autorité secondaire et acquise tandis que la première est naturelle et éternelle.
Solution 3: Le Christ en tant qu’homme ne possède pas un pouvoir irrésistible qui résulterait de la puissance de l’espèce humaine. Pourtant par suite d’un don de sa divinité, il possède ce pouvoir invincible jusqu’en sa nature humaine en tant que toutes choses lui sont soumises comme dit saint Paul aux Corinthiens et aux Hébreux. C’est pourquoi il jugera dans sa nature humaine mais par sa puissance divine.
Solution 4: Voir un seul élu dans le rayonnement de sa gloire, c'est comprendre l'Evangile de Dieu. Le plus petit dans le Royaume des Cieux est prophète, roi et prêtre parce que, s'étant abaissé, il a été élevé par son Créateur. Aussi, l'apparition à l'heure de la mort d'un seul de ces saints serait suffisante pour réaliser tout ce que nous avons dit de l'apparition du Christ. En voyant les mérites passés des habitants de Ninive, nous verrons nos manques; en constatant leurs péchés pardonnés, nous découvrirons la miséricorde de Dieu et ainsi de suite pour le reste. Ainsi, le pouvoir de juge du Messie, loin de diminuer celui des autres saints, le fonde. C'est pourquoi le Christ ne vient pas seul mais accompagné des saints et des anges.
6: Aussitôt arrivées dans l’autre monde, les âmes reçoivent-elles leur récompense et leur châtiment?
Objection 1: Il ne convient pas que l’âme reçoive aussitôt séparée du corps sa récompense ou son châtiment. En effet, c’est l’homme tout entier qui a commis le péché ou mérite la gloire. De même, il convient que l’homme tout entier soit puni ou récompense. Donc il convient d’attendre la résurrection finale des corps.
Objection 2: Certains obstacles peuvent parfois s’opposer à la réception immédiate de la gloire comme par exemple quelques restes d’attachement au péché. C’est pourquoi l’Église enseigne l’existence d’un purgatoire après la mort. Donc certaines âmes ne reçoivent pas aussitôt séparées du corps leur récompense.
Objection 3: Avant la venue du Christ, les saints n’étaient pas aussitôt introduits dans la vision de Dieu mais attendaient dans un lieu de paix que l’Ecriture appelle le sein d’Abraham. De même, avant la résurrection finale des corps, le paradis promis aux saints n’est pas la vision de Dieu mais seulement un lieu provisoire d’attente.
Objection 4: Après le jugement dernier, les saints reçoivent de la part de Jésus la sentence de leur salut. Ils sont donc certains de recevoir à la fin du monde la récompense de la gloire. Et cette espérance assurée constitue déjà un paradis. Il n’est pas besoin d’affirmer qu’ils sont introduits immédiatement dans la vision de Dieu.
Objection 5: Le châtiment et la récompense qui dépendent du jugement ne doivent pas le précéder. Or le feu de l’enfer ou le bonheur du paradis seront décernés à tous les hommes par la sentence du souverain juge, au dernier jugement qui suivra la fin du monde. Donc jusque là, les âmes doivent attendre dans les limbes et personne ne va au ciel ou en enfer.
Cependant: Qu’aussitôt après la mort les âmes reçoivent leur châtiment ou leur récompense, s’il n’y a pas d’obstacle, les testes de l’Ecriture l’affirment. Il est dit des méchants au Livre de Job: «Ils passent leurs jours dans le bonheur et en un instant ils descendent aux enfers »; et en saint Luc: «Le riche mourut et fut enseveli dans l’enfer.», l’enfer étant le lieu où les âmes sont punies. Il en va évidemment de même pour les bons. Jésus, suspendu à la crois, dit au larron: «Dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis », étant entendu que le Paradis est la récompense qui est promise aux bons, selon le mot de l’Apocalypse: «Au vainqueur je ferai manger de l’arbre de vie placé dans le paradis de mon Dieu.»
Conclusion: Les âmes humaines reçoivent aussitôt après la mort, selon leurs mérites, leur châtiment ou leur récompense. C’est la finalité du jugement individuel dont la sentence est aussitôt exécutée.
Pour le comprendre, on peut montrer comment tous les obstacles ont disparus. Le premier d’entre eux est le péché originel. Le choix d’Adam et Ève consista à rejeter Dieu au nom de toute l’humanité. Il provoqua un retard vis-à-vis de l’entrée dans la gloire. Il fut effacé par l’acceptation inverse du Christ et de la nouvelle Ève, Marie.
Le seconde condition est celle de l’éducation du cœur de l’homme à l’amour, à l’humilité et à la pureté. Pour cela, Dieu le mène à travers un chemin de vie. Sa première étape est celle de la terre et du passage à travers l’état d’un corps mortel. Tant que le corps mortel subsiste dans son état végétatif, il est impossible à l’homme de voir Dieu. La complexion de cet état est trop fragile pour supporter une telle puissance. Cette vie-ci est le temps du mérite ou du démérite, d’où la comparaison avec le service militaire et les jours du mercenaire, telle qu’elle est établie au Livre de Job: «La vie de l’homme sur terre est un temps de service, ses jours sont comme ceux d’un mercenaire.» Après la mort, que les âmes puissent entrer dans la gloire, c’est évident, après ce que nous avons dit: Dès que l’âme est séparée du corps physique, elle devient capable de voir Dieu.
La seconde étape de cette purification consiste dans la manifestation de l’Evangile et de la possibilité de son refus. C’est réalisé par la Parousie du Christ et l’apparition du démon à l’heure de la mort. La clarté de cette manifestation, suffit à conduire l’âme à poser le choix de son éternité. Ce choix ne variera jamais, comme nous l’avons dit. Dans cette mesure, on ne voit pas pourquoi châtiment et récompense seraient différés, du moment que l’âme est capable de l’un et de l’autre. Sitôt donc que l’âme est séparée du corps, elle reçoit sa récompense ou son châtiment pour tout ce qu’elle a fait pendant qu’elle était dans son corps.
En ce qui concerne l’entrée dans la vision de Dieu, il reste malgré tout un troisième obstacle. Si l’apparition provoque un amour tel qu’il est impossible de l’aimer davantage après la mort, elle ne provoque pas nécessairement une purification totale de l’orgueil. S’il reste donc une purification du cœur à effectuer, l’âme subit un certain retard avant l’entrée dans la gloire. Alors, après le temps de service, après le travail du mercenaire, vient la récompense ou le châtiment, dus à ceux qui ont bien ou mal œuvré. Aussi est-il dit au Lévitique: «Le salaire du mercenaire ne restera pas avec toi jusqu’au lendemain.» Et encore, en Joël: «Bien vite, je ferai retomber votre provocation sur vos têtes.»
Solution 1: Il est normal que l’ordre du châtiment et de la récompense réponde à l’ordre de la faute et du mérite. Or mérite et faute n’intéressent le corps que par l’intermédiaire de l’âme: rien ne rentre dans l’ordre du mérite ou du démérite qui ne soit volontaire. On convient donc que la récompense comme le châtiment atteignent le corps par le biais de l’âme, non point l’âme par le biais du corps. Il n’y a donc aucune raison d’attendre la résurrection des corps pour qu’ait lieu la récompense ou la punition des âmes; bien plutôt convient-il que les âmes en qui tout d’abord se trouvent réalisées faute et mérite, soient tout d’abord aussi punies ou récompensées.
Solution 2: Récompense et châtiment sont dus aux créatures raisonnables en vertu de la même providence de Dieu qui accorde aux réalités naturelles leurs perfections propres. Or il en va ainsi des réalités naturelles que chacune d’elles reçoit à l’instant la perfection dont elle est capable, à moins qu’il n’y ait un obstacle soit de la part du sujet récepteur, soit de la part de l’agent. Puisque les âmes deviennent capables de la gloire et du châtiment aussitôt que séparées du corps, elles les recevront immédiatement, sans que la récompense des bons et le châtiment des méchants soient différés jusqu’au temps où les âmes retrouveront leur corps.
Il faut cependant bien voir que de la part des bons il peut y avoir un certain obstacle à ce que l’âme déliée du corps reçoive immédiatement cette récompense dernière qu’est la vision de Dieu. A cette vision, qui dépasse absolument les facultés naturelles, la créature raisonnable ne peut être élevée qu’une fois totalement purifiée. Il est dit de la Sagesse que[48]«Rien de souillé ne peut pénétrer en elle »; et en Isaïe, «qu’aucun impur ne passera par là.» L’âme est donc immédiatement introduite dans la Vision de l’essence divine, à moins qu’elle n’ait comme on l’a dit, à être purifiée dans le purgatoire.
Solution 3: Certains prétendent, sans doute, qu’il ne faut pas voir dans le paradis l’ultime récompense des cieux dont il est parlé en saint Mathieu: «Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux.» Il ne s’agirait que d’une récompense terrestre, le paradis semblant être en effet ce lieu terrestre dont il est dit dans la Genèse: «Dieu planta un paradis de délices et il y mit l’homme qu’il avait modelé.» Mais si l’on étudie correctement les paroles de la sainte Ecriture, on verra que la rétribution finale promise aux saints dans les cieux est accordée aussitôt après cette vie. Dans la IIe Epître aux Corinthiens, l’Apôtre a commencé par parler de la gloire finale en disant que «la légère tribulation d’un moment nous prépare, bien au delà de toute mesure, une messe éternelle de gloire.» Aussi bien ne regardons-nous pas aux choses visibles, mais aux invisibles; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles, parole qui s’applique clairement à la gloire finale, celle des cieux. Puis, pour en montrer le temps et le mode, l’apôtre ajoute: «Nous savons en effet que si cette tente -notre demeure terrestre- vient à être détruite, nous avons une maison qui est l’œuvre de Dieu, une demeure éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, et qui est dans les cieux.» Par là Paul donne clairement à entendre qu’une fois accomplie la séparation d’avec le corps, l’âme entre dans l’éternelle demeure du ciel, qui n’est rien d’autre que la jouissance de Dieu, à l’image de, celle des anges dans les cieux.
Solution 4: L’Apôtre, objectera-t-on peut-être, n’a pas dit qu’aussitôt après la dissolution du corps nous prendrions en fait possession de cette demeure éternelle des cieux. Il ne s’agit que d’espérance, l’entrée en possession réelle étant réservée à l’avenir. Une telle objection est évidemment à l’opposé de l’intention de l’Apôtre, c’est dès cette vie en effet que nous est promise, selon la prédestination divine, cette demeure du ciel; et déjà nous l’avons en espérance, selon cette parole de l’Epître aux Romains: «C’est en espérance que nous avons été sauvés.» C’est donc inutilement qu’il aurait ajouté: «si cette tente -notre demeure terrestre- vient à être détruite…» Il lui aurait suffi de dire: «Nous savons que nous avons une maison qui est l’œuvre de Dieu, etc.» Ce qui suit le montre d’ailleurs plus clairement encore: «Sachant que demeurer dans ce corps, c’est vivre en exil loin du Seigneur, car nous cheminons dans la foi et non dans la claire vision, nous sommes donc pleins d’assurance et préférons quitter ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur.» C’est en vain que nous voudrions quitter ce corps, c’est-à-dire en être séparés, si ce n’était pour nous trouver aussitôt dans la présence du Seigneur. Or nous ne sommes en sa présence que dans la claire vision. Tant que nous marchons dans la foi et non pas à vue nous vivons en exil loin du Seigneur. C’est donc aussitôt après sa séparation d’avec le corps que l’âme sainte voit Dieu face à face, ce qui est la béatitude suprême. C’est ce que prouvent aussi ces paroles de l’Apôtre aux Philippiens: «J’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ.» Or le Christ est au ciel. L’Apôtre espérait donc parvenir au ciel aussitôt que délie de son corps.
Solution 5: Saint Grégoire propose et résout cette même objection: «Si les âmes des saints sont dès aujourd’hui dans le ciel, que recevront-il donc au jour du jugement, comme prix de leur vertu?» et il répond: «Un merveilleux accroissement: jusque là, leurs âmes seules goûtent le bonheur qui est leur récompense, mais alors ils jouiront de la béatitude de leur corps, ils seront heureux dans cette même chair dans laquelle ils ont enduré les douleurs et les tourments pour le Seigneur.» La même distinction s’applique aux damnés.
Nous savons que le bonheur de l’âme sera non seulement spirituel mais sensible puisque, grâce à son corps psychique, elle verra de ses yeux et avec une grande sensibilité la beauté des élus. Après la résurrection de la chair, ce bonheur s’étendra jusqu’au niveau du sens du toucher de la matière palpable et du plaisir physique qui lui est conjoint.
http://eschatologie.free.fr/traitedesfd/5tjugement.htm
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