Philosophie éthique : L'amour d'amitié
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Philosophie éthique : L'amour d'amitié
Philosophie éthique : L'amour d'amitié
L'amour d'amitié réalisé
COURS DE PHILOSOPHIE MORALE, à l'école du père Marie-Dominique Philippe op.
PARTIE 1 — ETHIQUE HUMAINE
Philosophie éthique 8 — L'amour d'amitié réalisé (35 mn).
Quand l'union affective devient union effective.
L'amour d'amitié est une alliance de deux esprits se choisissant.
L'amour d'amitié implique une égalité de droit, une identité des volontés vers une fin.
Il se nourrit et nécessite une communication.
Une philosophie réaliste à l'école du père Marie-Dominique Philippe visant à la lecture de la théologie de saint Thomas d'Aquin.
Par Arnaud Dumouch, 2011.
La croissance de l'amour d'amitié
COURS DE PHILOSOPHIE MORALE, à l'école du père Marie-Dominique Philippe op.
PARTIE 1 — ETHIQUE HUMAINE
Philosophie éthique 9 — La croissance de l'amour d'amitié (45 mn).
L'amitié entre homme, l'amitié entre femme et son devenir.
L'amour d'amitié conjugale et son devenir dans la psychologie féminine.
L'amour d'amitié conjugale et son devenir dans la psychologie masculine.
Une philosophie réaliste à l'école du père Marie-Dominique Philippe visant à la lecture de la théologie de saint Thomas d'Aquin.
Par Arnaud Dumouch, 2011.
La destruction de l'amour d'amitié
COURS DE PHILOSOPHIE MORALE, à l'école du père Marie-Dominique Philippe op.
PARTIE 1 — ETHIQUE HUMAINE
Philosophie éthique 10 — La destruction de l'amour d'amitié (49 mn).
Sa destruction par la faute morale. Les trois sortes de la faute morale (ignorance, faiblesses, méchanceté lucide et maîtrisée).
Les quatre conditions du pardon de la faute de faiblesses.
Sa destruction par la mort. L'ouverture à une recherche de sagesse.
Une philosophie réaliste à l'école du père Marie-Dominique Philippe visant à la lecture de la théologie de saint Thomas d'Aquin.
Par Arnaud Dumouch, 2011.
La charité, amour d'amitié
COURS DE THEOLOGIE MORALE, à l'école du père Marie-Dominique Philippe op.
PARTIE 3 — ETHIQUE CHRÉTIENNE
Théologie éthique 31 — La charité, amour d'amitié (39 mn).
La vie de la grâce suit la nature.
Les conditions de la charité.
Nécessité de la grâce sanctifiante et de la grâce actuelle.
La réponse de l'homme à Dieu.
Une philosophie réaliste à l'école du père Marie-Dominique Philippe visant à la lecture de la théologie de saint Thomas d'Aquin.
Par Arnaud Dumouch, 2011.
L’amour dont je vous parle est l’amour selon le plan de Dieu, l’amour de charité, ou « agapè ». Nous sommes au cœur de notre existence de célibataire. Je me mets avec vous. Nous partageons cette attente de célibataire qui sera d’autant plus féconde que nous vivons, dans cet état de vie, l’amour. Cela va nous permettre de resituer la place de l’amour d’amitié, de redécouvrir combien l’amour d’amitié est essentiel pour nous célibataires.
Si je ne vis pas un amour d’amitié avec mes frères, combien pauvre sera ma vie ! Quel appauvrissement de notre vie d’amour, de notre déploiement du cœur, si nous ne découvrons pas cet amour d’amitié, entre l’amour du prochain et l’amour conjugal.
L’amour d’amitié n’est pas un succédané, un ersatz, un trompe la faim. Je ne vous invite pas à ronger votre frein. Une vie de conjugalité épanouie n’est rien d’autre qu’une amitié conjugale.
Il faut que la pensée avance comme les vagues dans la mer, qui reculent pour mieux avancer.
1 Co 9,7 : « Dieu aime celui qui donne avec joie ! » nous dit Saint Paul. Cette phrase condense les différents amours que nous avons évoqués :
- l’amour qui se porte sur Dieu : l’homme aime Dieu quand il donne avec joie. Car l’amour de Dieu pour nous relève pas d’un mérite quelconque. Dieu nous aime quoiqu’il advienne.
- « qui donne » : renvoie à l’amour du prochain, à une charité effective, réelle, qui peut aller jusqu’à l’ultime solidarité de donner sa vie.
- « avec joie » : l’homme s’aime lui-même quand il donne avec joie. L’homme s’aime lui-même en cherchant son bonheur. C’est une joie concrète, perceptible, réelle, qui valide la qualité de l’amour pour soi. Le don sans le parfum de la joie, c’est un sacrifice mal consenti. Le don peut nourrir le pauvre, mais il ne remplit pas le cœur ! (attention à certaines mauvaises images de la religion : attention aux dons sans amour ! Une joie sans l’élan du don n’est qu’un plaisir. La joie n’est pas le plaisir. L’un se partage, l’autre pas. A la différence de la joie, le plaisir a toujours des lendemains tristes !
L’amour de Dieu et l’amour de soi sont totalement imbriqués, comme deux rythmes ou deux successions de notes. Les images sont alternatives :
- toute la morale, l’éthique, la vie chrétienne part de ceci : « Cherche ton bonheur ». C’est le premier mouvement de l’amour de soi, qui nécessite de se saisir comme un sujet.
- pour cela, « connais-toi en profondeur ». Tu veux être heureux ? Qu’est-ce que cela signifie pour toi ? Etre heureux ? Vouloir ? Cela peut être très vague….
- En cet abîme intérieur que tu découvres en toi, tu vas rencontrer Dieu qui t’habite en profondeur, qui t’est plus intime que toi-même. « En moi, il y a un puits, et au fonds de ce puits, il y a Dieu » (Etty Hillesum, « Une vie bouleversée »).
- Tu ne peux rencontrer Dieu véritablement sans l’aimer. Sinon, tu n’as rencontré qu’une apparence de Dieu, une idole.
A chaque fois que naît un mouvement de révolte contre Dieu, sachons discerner que c’est une image de Dieu et pas Dieu, contre quoi nous nous révoltons. Cette lutte contre l’idolâtrie traverse, de part en part, toute la parole de Dieu. Freud a un seul mérite, celui d’avoir mis le doigt sur les mécanismes psychologiques qui nous fabriquent des idoles. Quand Adam se cache, il entend les pas de Dieu, il n’est pas face à Dieu ! Nous avons peur des images de Dieu que nous nous faisons : « J’ai péché, j’ai péché, j’ai mal fait… » Si Adam avait l’image d’un Dieu tout amour…
- C’est en aimant Dieu que tu le connais (cf. Catherine de Siennes)
- En connaissant Dieu, tu te reconnais à son image. Tu te connais toi-même, à l’image de Dieu. C’est la « reconnaissance de soi ». Quand on connaît Dieu parce qu’on l’aime, on se connaît soi-même dans une lumière extraordinaire… Qui de nous sait qu’il est responsable de la Création, de chaque être humain ?...
- En te reconnaissant, tu vas te décentrer complètement. On est à l’image de Dieu, pas à l’image de ses parents, ni à l’image de soi. La portée spirituelle de cette révélation est considérable. C’est là que l’homme se perd en se trouvant.
- En te décentrant, tu vis la joie multiple de tous les autres ! Si au terme de cet itinéraire, je suis décentré de moi-même, alors toute la joie des autres devient aussi la mienne. Avons-nous réalisé que Dieu tire sa joie de notre joie ? La joie des hommes, c’est la joie de Dieu. Comme la joie du Fils est celle du Père ! A l’image du Père, sommes nous heureux de la joie des autres ? Etre heureux de la réussite, du mariage d’un autre. Si nous avions un cœur universel, la joie de tous les autres deviendrait notre propre joie. C’est un ruissellement sans fin….
Dans un mouvement, qui est toujours un mouvement de surabondance, dans une dynamique, un élan, tu aimes ton prochain en lui donnant l’existence. Aimer son prochain sera un profit pour moi ! C’est différent de : « si tu existes dans ma vie, je vais perdre ce à quoi j’ai droit ». Celui qui aime Dieu et s’aime soi-même, même dans son ermitage, n’aspire qu’à une chose : donner l’existence au prochain pour chercher à partager avec lui son plus grand bien. Avec ses amis, on dépasse le sentiment de compétition. « Si tu existes, tu prends un peu de mon air, de mon bien, de ma joie… » Alors qu’ils devraient se démultiplier.
Tout amour du prochain, quand il est vrai, fort, plein, épanoui, ne peut se perfectionner qu’en amour d’amitié. Aimer ses ennemis ne peut être un amour d’amitié, au départ, car l’amour d’amitié implique la réciprocité. ‘J’aime tout le monde’ ne veut pas dire : je n’ai pas d’ennemis ! Saint Augustin affirme le contraire : tout le monde a des ennemis. Précisément parce qu’on est chrétien et qu’on est bon envers eux (cf. l’endurcissement du cœur du Pharaon vis à vis de Moïse). Tout amour, même de notre ennemi, est porteur en germe d’un amour d’amitié.
Quelle est la fin d’une personne humaine ? C’est le cri pour la communion ! (Jean Vanier) Cri qui se manifestera certains soirs par une révolte contre la solitude. Dans la pratique des hommes, l’amitié relève d’un culte : tous les peuples célèbrent l’amitié, et chacun en a une certaine expérience. Cf Aristote (qui inspirera Saint Thomas d’Aquin) et Cicéron, qui inspirera Saint Augustin
La morale du bonheur et de l’amour.
Jean Vanier : « Je suis convaincu que le cri le plus profond de l’être humain est le cri pour la communion. Cri du cœur pour rencontrer un autre cœur. Pour sortir de son isolement, dans une relation de confiance, d’amitié ».
Nous n’avons pas besoin d’aimer seulement, mais aussi besoin d’être aimés, c’est cela, la communion. « Un peu d’amitié, c’est tout ce qu’il me faut ! » disait le Curé d’Ars. Il ne manquait pas de vie contemplative !
Que faire quand on est en manque de communion ? Relisez les notes intimes de Marie-Noël, recluse de solitude : « Le silence à la longue devient si étouffant que ne sais où me jeter. Je cherche à déposer un instant mon fardeau de solitude. J’ai tellement besoin d’un ami que je l’invente ! » C’est un cri que nous portons, parce que nous sommes une personne humaine.
« La fin propre de la personne humaine ne peut être qu’une autre personne qui l’aime. Soit une personne humaine, soit Dieu. » Père Marie- Dominique Philippe.
L’amitié se définit par la réciprocité.
La grâce est nécessaire. Elle travaille à l’intérieur du mouvement de notre cœur, le purifiant, le réveillant. Parfois, on ne le discerne pas. C’est une grâce intérieure mais extrinsèque : qui travaille à l’intérieur de notre liberté.
L’homme pécheur, ayant perdu la finalité de sa nature humaine, ne peut la redécouvrir que dans et par le Christ Sauveur.
Je n’ai pas assez insisté sur le caractère miséricordieux que doit avoir notre amitié ! Dans l’amour, si nous avons une exigence particulière vis à vis de l’autre, l’amour d’amitié ne doit pas poser trop d’exigences, ou plutôt, il doit toujours être empreint d’une profonde miséricorde. L’autre est comme moi, pécheur, il peut aussi manquer à l’amitié.
« Il arrive que nous ayons soif et que la tendresse de notre ami oublie notre soif…C’est que la source de la douceur humaine n’est pas inépuisable. Le consolateur a comme nous son heure de faiblesse. Recevons comme un don le peu qu’il veut bien nous donner… » (Marie-Noël)
L’ami a aussi ses faiblesses.
C’est la fin, l’achèvement du christianisme. Nous avons un double devoir d’amitié, parce que nous sommes homme et parce que nous sommes chrétien. « Tandis que la loi humaine a principalement en vue l’établissement d’une amitié entre les hommes, la loi divine vise à fonder principalement une amitié entre l’Homme et Dieu. » St Thomas d’Aquin va fonder tout son enseignement sur la charité sur l’amitié (qu’il va puiser chez Aristote).
Réfléchir sur l’amitié, c’est être au cœur de notre alliance avec le Seigneur. « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle amis », dit Jésus. Dieu vous nous situer comme son égal et pas comme un serviteur.
La charité ne signifie pas seulement l’amour de Dieu, mais une amitié avec lui : cela suppose la réciprocité, la connaissance réciproque, un « commerce familier » avec Lui. C’est par la grâce que dès ici bas, elle commence (elle sera pleinement vécue au ciel).
La charité implique la foi. La charité étant une amitié, seule la foi me permet d’y entrer, de répondre à l’amour du Dieu par un amour réciproque. Le Cardinal Schönborn (rédacteur du catéchisme de l’Eglise catholique) le dit : le christianisme est une amitié, une amitié toute particulière…
Le christianisme, c’est le filet de pêcheur de Pierre, les mille nœuds de l’amitié… Nous sommes appelés, comme Pierre, à jeter le filet. « Duc in altum ! » Va en eau profonde ! Souvent, nous jetons des filets percés, des filets aux nœuds insuffisamment serrés, parce qu’il n’existe pas assez de liens d’amitié entre nous chrétiens.
Nous ne pouvons pas avoir des liens d’amitié avec tous. L’amour d’amitié est promu par la foi chrétienne comme une valeur en soi. Contre la tradition, l’amitié chrétienne a été soupçonnée puis éliminée, aux dépens des célibataires, en attente ou consacrés.
L’amitié est un véritable amour, voulu par Dieu comme tel, et qui a sa fécondité. La fécondité du célibataire est directement liée à l’amitié. L’amitié subsiste dans le monde chrétien, elle n’a jamais tant fleuri que depuis l’Evangile, avec plus de pureté, de finesse, de noblesse.
Dieu a voulu nouer une amitié avec nous. Partant de là, cela vaut la peine d’y réfléchir. (Comme St Thomas d’Aquin qui s’est intéressé aux passions : le Christ a vécu lui-même des passions, du coup, il les a ennoblies de manière extraordinaire.)
« Les grandes amitiés sont le reflet de la gratuité de son amour. » Jacques Maritain.
L’amitié est dangereuse : il y a une certaine résistance à l’amitié, une certaine méfiance qui vient des cloîtres. Il faut dégager la route de l’amitié des obstacles qui viennent l’obstruer. Les fondateurs se méfient des cabales, des sous-groupes, des amitiés particulières qui défont certaines communautés religieuses. Mais on oublie qu’ils considèrent leur communauté comme une communauté d’amis ! Les fondateurs ne se méfient pas de l’amitié en général. Il y a un point de passage presque obligé, dans les premiers temps de l’amitié, par un amour fusionnel (comme dans l’amour conjugal). « Ouh, ce n’est pas beau !… » Si cela nourrit, ce n’est pas si mal…. L’important c’est le chemin que l’on veut parcourir, pas le chemin que l’on a déjà parcouru. Heureusement pour nous pécheurs !
La famille. Dans les premiers temps, on a cru que la pratique de l’amour conjugal était a seule manière d’épanouir les cœurs d’adultes, en plénitude. On en est venu à considérer l’amitié comme une étape de jeunesse, appelée à disparaître. Les femmes ne comprenaient pas comment leurs maris pouvaient garder d’authentiques amitiés (qui peuvent se maintenir à côté du couple, quels que soient les risques. Mais prenons le risque d’aimer !). L’amitié serait une étape transitoire, un succédané d’amour, en attendant l’amour conjugal.
3ème obstacle : une certaine vision égalitaire de la charité. Je ne peux pas être ami avec tout le monde. Je vais manquer à la charité que je dois à tous. La charité universelle m’interdit les préférences, les amitiés sélectives. Seul demeure le commandement de l’amour du prochain. « Je me dois tout à tous ! » St Paul. L’amitié vécue comme un luxe, aux dépens de la charité véritable, sur laquelle je dois mobiliser tous mes efforts.
4ème objection : Une certaine perversion du sens de l’amitié, sous la forme de perversions, de déviations : l’amitié réduite au copinage, au concubinage… La chose n’est pas neuve ! Ce n’est pas l’amitié chrétienne.
Une dégradation du mot et de sa réalité conduit à ne plus rechercher, à vivre l’amitié chrétienne.
La paresse qui sommeille en chacun de nous trouve son compte à éliminer, plutôt qu’à purifier ou transfigurer. Cf. la belle et magnifique amitié entre David et Jonathan, sur laquelle il y a très peu d’enseignements.
Qu’en est-il du message de Dieu et de la pratique de l’Eglise ? Les enjeux sont considérables lorsque nous sommes réunis, avec Vatican II, devant une église qui ne sera évangélisatrice que si nous réussissons à vivre l’unité, la communion. « Qu’ils soient uns, pour que le monde croit ». « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra comme mes disciples ». C’est la communion entre nous qui est rayonnante et missionnaire. Cette communion (en grec, koïnonia) est l’un des mots employés pour désigner l’amitié.
Lorsque je découvre pour la 1ère fois un frère (c’est-à-dire que je le reconnais comme chrétien), quel est mon premier mouvement ? Est-ce que je vais chercher à l’aimer d’amitié ? Ou, en tant que chrétien, va-t-il faire l’objet de mon attention scrupuleuse et critique ? « C’est parce qu’on est chrétien qu’on est critiquable à priori ».
Dans la parole de Dieu, dans le sens vertical (relation de Dieu à l’homme) Dieu préfère Abel à Caïn et Saint Jean est présenté comme « le disciple que Jésus aimait ». Il y a une manière particulièrement intense de vivre l’alliance. Derrière des raisons qui ne sont pas données, Dieu manifeste un amour d’élection. A travers les patriarches, les saints, les prophètes… Pourquoi Dieu parlait-il à Abraham, à Moïse « comme un ami parle à un ami » ?
Jésus sauve tous les hommes, mais choisit des amis. Il y a un cercle d’intimité concentrique autour de Jésus : Jean, puis Pierre, Jacques et Jean, puis les douze… Jésus tisse autour de lui des cercles concentriques d’appartenance à son intimité.
Dans le sens horizontal, la Bible reconnaît et honore l’amitié. 1 Rois : David et Jonathan, qui a toujours préféré l’amitié à la jalousie. C’est une véritable amitié, parfaite, stable éternelle… « En but à une telle tentation, elle demeure fidèle. L’envie ne peut la corrompre, ni le soupçon la dissoudre. »
Ces gens qui veulent prendre de la place dans votre vie, qui viennent jeter le soupçon… Tout couple, tout amour d’amitié sera soumis à cette tentation. D’où l’importance de la fidélité. On n’écoute même pas les rumeurs… C’est là où on voit la différence entre l’amour- passion et le véritable amour d’amitié. L’amour-passion ne résiste pas aux cancans, à la calomnie.
« En but à une telle tentation, elle demeure fidèle. Déchirée par tant d’injures, elle ne bronche pas…. »
Livre du Siracide : « L’ami fidèle n’a pas de prix. Vin nouveau, ami nouveau, s’il a vieilli, tu le boiras avec joie. »
Jn 15 : « Aimez vous les uns les autres… » Ce commandement est nouveau par son modèle -« comme je vous ai aimés » - et par la réciprocité qu’il implique : les uns les autres. Nous partageons l’Eucharistie : quand on pense qu’on peut partager le même pain avec autrui et en dire du mal en sortant de la messe, on ne peut pas ne pas penser à Judas.
Lire : Ga 6, Rom 12-13-14, Co 5
Dans la tradition de l’amitié : « On ne connaît personne, si ce n’est par l’amitié » St Augustin. Les seuls que je connaisse vraiment, ce sont mes amis. Et les seuls qui me connaissent vraiment, ce sont mes amis. St Augustin va inventer une nouvelle forme de vie canoniale : il crée un monastère. Puis à l’évêché, il réunit ses frères prêtres. L’amitié requiert une certaine vie commune. St Augustin a été toute sa vie hanté par l’amitié.
L’amitié est un amour véritable, à la différence de la camaraderie, du copinage. Un amour qui utilise les mots de l’amour. C’est une véritable « communion des âmes » (qui sont amantes). Ce n’est pas toujours évident, dans une amitié forte, de discerner si nous sommes appelés à plus…
§ 2347 du Catéchisme de l’Eglise catholique : « La vertu de la chasteté s’épanouit dans l’amitié. » La chasteté doit se vivre y compris dans le mariage (ce qui ne veut pas dire la continence totale). « Il ne faut pas vivre une sexualité refoulée », dit le Père Ide. Nous pouvons tomber, nous sommes des pécheurs. Mais la vertu de chasteté (qui est un conseil évangélique donné par Jésus à tous) s’épanouit dans l’amitié, développée entre personnes du même sexe. Grand bien pour tous, elle conduit à la communion spirituelle. Dieu sait voir le bon grain et n’est pas fasciné comme nous par l’ivraie… Une amitié est ambiguë, peut-être… N’empêche qu’elle porte du bon grain. Arrêtons d’être dualistes, manichéens. Ce n’est pas parce qu’un amour n’est pas totalement pur et parfait qu’il n’est pas de Dieu. Arrêtons de trancher. On se prive d’un don de Dieu. L’amitié est gardienne de la chasteté, même au sein du couple marié.
Jean-Paul II : Tertio Millenio § 43
« Une spiritualité de communion, cela veut dire la capacité d’être attentif, dans l’unité profonde du corps mystique, à notre frère […] pour deviner ses désirs et répondre à ses besoins, pour lui offrir une amitié vraie et profonde. »
L’ami n’est pas simplement celui qui répond à nos demandes, il devine nos désirs : c’est le propre de l’amitié.
Dans sa théologie, St Thomas parle de l’agapè, à propos de St Bernard de Clairvaux : « La plénitude de la charité n’est atteinte que dans et par l’amitié ».
Triple préoccupation pour cet amour d’amitié :
- qu’il naisse : il prend naissance si nous donnons à manger à notre ennemi.
- qu’il grandisse : il grandit si tu subviens aux besoins de celui qui est dans la nécessité, si tu ouvres ton âme à ton ami.
- qu’il se conserve : si par tes paroles et tes actes, tu satisfais aux désirs de ton ami, même quand ceux-ci ne paraissent pas indispensables.
Oui, il y a préférence ! Devons- nous préférer un ami ou un frère de sang ? Sa mère ou sa femme ? Il y a préférence, parce qu’il y a intensité d’amour plus ou moins grande. Nier ce fait, c’est nier l’amour.
L’amitié avec les parents va être le plus stable. Mais celle qui est le fruit d’une élection personnelle va être plus grande. «La charité nous fait aimer plus ardemment ceux qui nous sont unis plutôt que ceux qui nous sont éloignés. » StThomas d’Aquin (Secunda Secundae)
Il y a des différences dans nos amours :
- du côté du bien que nous souhaitons à celui que l’on aime. De ce point de vue, nous aimons tous les hommes également, nous leur souhaitons tous le même bonheur éternel, la vie éternelle. Amis ou ennemis. De ce côté-là, pas de différence !
- en 2nd lieu, on peut parler de dilection, car il y a intensité plus grande d’amour.
Il y a des préférences dans l’amour.
Réflexions de Marie-Noël, dans Notes Intimes :
- « Avec mon ami, je suis moi, avec mes proches, je suis eux » (On se propulse et on s’ajuste à eux).
- « Partage ton cœur : la charité à tous, la sympathie à presque tous, l’amitié à quelques uns et à beaucoup ou à peu d’êtres, selon la profondeur retirée ou l’ouverture facile du cœur… »
- « Oh cher Christ , comment aurais-je pu vivre sans … quelques gorgées d’eau merveilleuse aux fontaines de l’amitié…. »
Caractéristiques de ce compagnonnage :
La première sorte d’amitié, c’est l’affabilité. Etre affable, c’est la première manière concrète de vivre l’amitié. Etre amical. Le vice opposé à l’affabilité, c’est la flatterie. L’affabilité : « elle cherche à maintenir un ordre harmonieux en faisant plaisir à ceux qui vivent avec nous, mais sans tomber dans la flatterie ou la complaisance. » St Thomas d’Aquin. Elle se traduit par des manifestations extérieures, en paroles et en actes. Le flatteur vise son avantage, le complaisant vise à plaire. L’affable n’hésite pas à se donner de la peine, et même à faire de la peine, car il veut la qualité de la relation, l’harmonie entre les hommes.
L’amitié humaine doit être vécue de façon chrétienne, différemment de la communion spirituelle vécue de façon un peu désincarnée, qui n’a plus aucune densité humaine. Le christianisme ne vient pas réduire, amputer notre humanité. Il vient le purifier, mais pour l’épanouir, lui donner sa plénitude. Ressaisir notre dignité. Un chrétien n’est pas extrait par Dieu de l’humanité.
La tentation de se mettre à part du monde est anti-chrétienne. J’y suis, dans cette nappe humaine, et je ne me désolidarise pas, pour la juger et la critiquer. J’en pleure, peut-être, de voir cette société qui fabrique de plus en plus de marginaux…
La joie est humaine. Elle doit faire vibrer toute notre humanité ! Même si sa cause peut être spécifiquement chrétienne (joie de l’eucharistie, de la communion.) Attention à ces chrétiens qui n’ont plus aucune densité humaine, aucune chaleur humaine.
L’ascèse que préfère le Seigneur, c’est le sacrifice d’un cœur joyeux !
L’amitié est un véritable amour de bienveillance réciproque : vouloir du bien entraîne la bienveillance. La bienveillance est un attachement profond du cœur, et par une simple sympathie (cf. texte du Cardinal Woyltyla), un désir (cf. St Thomas). Il y a du désir, dans l’amitié conjugale.
L’amitié est un amour réel, un mélange d’amour désintéressé, mais aussi amour de désir. De sorte que le discernement n’est pas évident par rapport à un amour conjugal.
St Thomas distingue : il y a deux choses qu’on aime X en tant qu’ X, et le bien qu’on lui souhaite (de réaliser un mariage épanoui !). J’aime la personne et le bien que je lui souhaite (ou que je vais partager avec lui : un merveilleux repas que nous allons partager). Il y a distinction entre le bien que je veux - pour cette personne ou pour moi-même - et la personne que j’aime.
L’amitié suppose la réciprocité : si je lui souhaite la béatitude éternelle, je ne peux pas immédiatement ne pas la souhaiter aussi pour moi.
Cet amour d’amitié crée un attachement réel, un attachement affectif. Le cœur est pris. Je vais partager ses peines et ses joies.
Cette distinction est essentielle. Il y a de bons amis qui nous veulent tellement de bien qu’ils en oublient de nous aimer nous-même !
L’amitié manque parfois de délicatesse. « Si tu parles, parle par amour. Si tu te tais, tais-toi par amour. » St Augustin.
Nous n’avons pas le charisme d’infaillibilité.
Mais au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour… Attention aux biens que l’on souhaite à ses enfants (faire telle école…).
On aime la personne, et c’est un attachement réel. L’amitié comporte une certaine union affective - plus que de la sympathie. « Le premier considère le second comme un avec lui, ou comme une partie de lui-même, et c’est ce qui le porte vers lui. » Saint Thomas d’Aquin. « Une âme en deux corps. »
L’amant considère l’aimé comme un autre soi-même. « A l’égard de mon ami, quand il souffre, je n’éprouve même plus de miséricorde. J’éprouve de la douleur. »
L’amitié, bienveillance réciproque, est fondée sur une certaine communication, communion. La réalité et la vigueur de cette communion font la réalité et la vigueur de cette amitié.
Le même bonheur, c’est le vivre ensemble. Le signe de l’amitié, c’est le désir de partager des joies, un bonheur. La bienveillance de l’amitié ne veut pas simplement un bonheur parallèle. L’amitié dit : nous voulons vivre un même bonheur ensemble. Une synchronie. L’amour de bienveillance suppose que l’on veut le bien qui convient à l’autre. Dans l’amitié, l’autre est un autre soi-même, d’où le désir de partager le même bien, le même bonheur.
Dans l’amour d’amitié, il s’agit de construire un « nous » ensemble, une communauté. L’amitié a comme requête de vouloir construire une communauté où l’on se retrouve pour partager des pratiques communes, mais où l’on aspire à ce que cela devienne un échange de vie.
L'amour d'amitié réalisé
COURS DE PHILOSOPHIE MORALE, à l'école du père Marie-Dominique Philippe op.
PARTIE 1 — ETHIQUE HUMAINE
Philosophie éthique 8 — L'amour d'amitié réalisé (35 mn).
Quand l'union affective devient union effective.
L'amour d'amitié est une alliance de deux esprits se choisissant.
L'amour d'amitié implique une égalité de droit, une identité des volontés vers une fin.
Il se nourrit et nécessite une communication.
Une philosophie réaliste à l'école du père Marie-Dominique Philippe visant à la lecture de la théologie de saint Thomas d'Aquin.
Par Arnaud Dumouch, 2011.
La croissance de l'amour d'amitié
COURS DE PHILOSOPHIE MORALE, à l'école du père Marie-Dominique Philippe op.
PARTIE 1 — ETHIQUE HUMAINE
Philosophie éthique 9 — La croissance de l'amour d'amitié (45 mn).
L'amitié entre homme, l'amitié entre femme et son devenir.
L'amour d'amitié conjugale et son devenir dans la psychologie féminine.
L'amour d'amitié conjugale et son devenir dans la psychologie masculine.
Une philosophie réaliste à l'école du père Marie-Dominique Philippe visant à la lecture de la théologie de saint Thomas d'Aquin.
Par Arnaud Dumouch, 2011.
La destruction de l'amour d'amitié
COURS DE PHILOSOPHIE MORALE, à l'école du père Marie-Dominique Philippe op.
PARTIE 1 — ETHIQUE HUMAINE
Philosophie éthique 10 — La destruction de l'amour d'amitié (49 mn).
Sa destruction par la faute morale. Les trois sortes de la faute morale (ignorance, faiblesses, méchanceté lucide et maîtrisée).
Les quatre conditions du pardon de la faute de faiblesses.
Sa destruction par la mort. L'ouverture à une recherche de sagesse.
Une philosophie réaliste à l'école du père Marie-Dominique Philippe visant à la lecture de la théologie de saint Thomas d'Aquin.
Par Arnaud Dumouch, 2011.
La charité, amour d'amitié
COURS DE THEOLOGIE MORALE, à l'école du père Marie-Dominique Philippe op.
PARTIE 3 — ETHIQUE CHRÉTIENNE
Théologie éthique 31 — La charité, amour d'amitié (39 mn).
La vie de la grâce suit la nature.
Les conditions de la charité.
Nécessité de la grâce sanctifiante et de la grâce actuelle.
La réponse de l'homme à Dieu.
Une philosophie réaliste à l'école du père Marie-Dominique Philippe visant à la lecture de la théologie de saint Thomas d'Aquin.
Par Arnaud Dumouch, 2011.
L’amour d’amitié
L’amour dont je vous parle est l’amour selon le plan de Dieu, l’amour de charité, ou « agapè ». Nous sommes au cœur de notre existence de célibataire. Je me mets avec vous. Nous partageons cette attente de célibataire qui sera d’autant plus féconde que nous vivons, dans cet état de vie, l’amour. Cela va nous permettre de resituer la place de l’amour d’amitié, de redécouvrir combien l’amour d’amitié est essentiel pour nous célibataires.
Si je ne vis pas un amour d’amitié avec mes frères, combien pauvre sera ma vie ! Quel appauvrissement de notre vie d’amour, de notre déploiement du cœur, si nous ne découvrons pas cet amour d’amitié, entre l’amour du prochain et l’amour conjugal.
L’amour d’amitié n’est pas un succédané, un ersatz, un trompe la faim. Je ne vous invite pas à ronger votre frein. Une vie de conjugalité épanouie n’est rien d’autre qu’une amitié conjugale.
Il faut que la pensée avance comme les vagues dans la mer, qui reculent pour mieux avancer.
1 Co 9,7 : « Dieu aime celui qui donne avec joie ! » nous dit Saint Paul. Cette phrase condense les différents amours que nous avons évoqués :
- l’amour qui se porte sur Dieu : l’homme aime Dieu quand il donne avec joie. Car l’amour de Dieu pour nous relève pas d’un mérite quelconque. Dieu nous aime quoiqu’il advienne.
- « qui donne » : renvoie à l’amour du prochain, à une charité effective, réelle, qui peut aller jusqu’à l’ultime solidarité de donner sa vie.
- « avec joie » : l’homme s’aime lui-même quand il donne avec joie. L’homme s’aime lui-même en cherchant son bonheur. C’est une joie concrète, perceptible, réelle, qui valide la qualité de l’amour pour soi. Le don sans le parfum de la joie, c’est un sacrifice mal consenti. Le don peut nourrir le pauvre, mais il ne remplit pas le cœur ! (attention à certaines mauvaises images de la religion : attention aux dons sans amour ! Une joie sans l’élan du don n’est qu’un plaisir. La joie n’est pas le plaisir. L’un se partage, l’autre pas. A la différence de la joie, le plaisir a toujours des lendemains tristes !
L’amour de Dieu et l’amour de soi sont totalement imbriqués, comme deux rythmes ou deux successions de notes. Les images sont alternatives :
- toute la morale, l’éthique, la vie chrétienne part de ceci : « Cherche ton bonheur ». C’est le premier mouvement de l’amour de soi, qui nécessite de se saisir comme un sujet.
- pour cela, « connais-toi en profondeur ». Tu veux être heureux ? Qu’est-ce que cela signifie pour toi ? Etre heureux ? Vouloir ? Cela peut être très vague….
- En cet abîme intérieur que tu découvres en toi, tu vas rencontrer Dieu qui t’habite en profondeur, qui t’est plus intime que toi-même. « En moi, il y a un puits, et au fonds de ce puits, il y a Dieu » (Etty Hillesum, « Une vie bouleversée »).
- Tu ne peux rencontrer Dieu véritablement sans l’aimer. Sinon, tu n’as rencontré qu’une apparence de Dieu, une idole.
A chaque fois que naît un mouvement de révolte contre Dieu, sachons discerner que c’est une image de Dieu et pas Dieu, contre quoi nous nous révoltons. Cette lutte contre l’idolâtrie traverse, de part en part, toute la parole de Dieu. Freud a un seul mérite, celui d’avoir mis le doigt sur les mécanismes psychologiques qui nous fabriquent des idoles. Quand Adam se cache, il entend les pas de Dieu, il n’est pas face à Dieu ! Nous avons peur des images de Dieu que nous nous faisons : « J’ai péché, j’ai péché, j’ai mal fait… » Si Adam avait l’image d’un Dieu tout amour…
- C’est en aimant Dieu que tu le connais (cf. Catherine de Siennes)
- En connaissant Dieu, tu te reconnais à son image. Tu te connais toi-même, à l’image de Dieu. C’est la « reconnaissance de soi ». Quand on connaît Dieu parce qu’on l’aime, on se connaît soi-même dans une lumière extraordinaire… Qui de nous sait qu’il est responsable de la Création, de chaque être humain ?...
- En te reconnaissant, tu vas te décentrer complètement. On est à l’image de Dieu, pas à l’image de ses parents, ni à l’image de soi. La portée spirituelle de cette révélation est considérable. C’est là que l’homme se perd en se trouvant.
- En te décentrant, tu vis la joie multiple de tous les autres ! Si au terme de cet itinéraire, je suis décentré de moi-même, alors toute la joie des autres devient aussi la mienne. Avons-nous réalisé que Dieu tire sa joie de notre joie ? La joie des hommes, c’est la joie de Dieu. Comme la joie du Fils est celle du Père ! A l’image du Père, sommes nous heureux de la joie des autres ? Etre heureux de la réussite, du mariage d’un autre. Si nous avions un cœur universel, la joie de tous les autres deviendrait notre propre joie. C’est un ruissellement sans fin….
Dans un mouvement, qui est toujours un mouvement de surabondance, dans une dynamique, un élan, tu aimes ton prochain en lui donnant l’existence. Aimer son prochain sera un profit pour moi ! C’est différent de : « si tu existes dans ma vie, je vais perdre ce à quoi j’ai droit ». Celui qui aime Dieu et s’aime soi-même, même dans son ermitage, n’aspire qu’à une chose : donner l’existence au prochain pour chercher à partager avec lui son plus grand bien. Avec ses amis, on dépasse le sentiment de compétition. « Si tu existes, tu prends un peu de mon air, de mon bien, de ma joie… » Alors qu’ils devraient se démultiplier.
Tout amour du prochain, quand il est vrai, fort, plein, épanoui, ne peut se perfectionner qu’en amour d’amitié. Aimer ses ennemis ne peut être un amour d’amitié, au départ, car l’amour d’amitié implique la réciprocité. ‘J’aime tout le monde’ ne veut pas dire : je n’ai pas d’ennemis ! Saint Augustin affirme le contraire : tout le monde a des ennemis. Précisément parce qu’on est chrétien et qu’on est bon envers eux (cf. l’endurcissement du cœur du Pharaon vis à vis de Moïse). Tout amour, même de notre ennemi, est porteur en germe d’un amour d’amitié.
Quelle est la fin d’une personne humaine ? C’est le cri pour la communion ! (Jean Vanier) Cri qui se manifestera certains soirs par une révolte contre la solitude. Dans la pratique des hommes, l’amitié relève d’un culte : tous les peuples célèbrent l’amitié, et chacun en a une certaine expérience. Cf Aristote (qui inspirera Saint Thomas d’Aquin) et Cicéron, qui inspirera Saint Augustin
La morale du bonheur et de l’amour.
Jean Vanier : « Je suis convaincu que le cri le plus profond de l’être humain est le cri pour la communion. Cri du cœur pour rencontrer un autre cœur. Pour sortir de son isolement, dans une relation de confiance, d’amitié ».
Nous n’avons pas besoin d’aimer seulement, mais aussi besoin d’être aimés, c’est cela, la communion. « Un peu d’amitié, c’est tout ce qu’il me faut ! » disait le Curé d’Ars. Il ne manquait pas de vie contemplative !
Que faire quand on est en manque de communion ? Relisez les notes intimes de Marie-Noël, recluse de solitude : « Le silence à la longue devient si étouffant que ne sais où me jeter. Je cherche à déposer un instant mon fardeau de solitude. J’ai tellement besoin d’un ami que je l’invente ! » C’est un cri que nous portons, parce que nous sommes une personne humaine.
« La fin propre de la personne humaine ne peut être qu’une autre personne qui l’aime. Soit une personne humaine, soit Dieu. » Père Marie- Dominique Philippe.
L’amitié se définit par la réciprocité.
La grâce est nécessaire. Elle travaille à l’intérieur du mouvement de notre cœur, le purifiant, le réveillant. Parfois, on ne le discerne pas. C’est une grâce intérieure mais extrinsèque : qui travaille à l’intérieur de notre liberté.
L’homme pécheur, ayant perdu la finalité de sa nature humaine, ne peut la redécouvrir que dans et par le Christ Sauveur.
Je n’ai pas assez insisté sur le caractère miséricordieux que doit avoir notre amitié ! Dans l’amour, si nous avons une exigence particulière vis à vis de l’autre, l’amour d’amitié ne doit pas poser trop d’exigences, ou plutôt, il doit toujours être empreint d’une profonde miséricorde. L’autre est comme moi, pécheur, il peut aussi manquer à l’amitié.
« Il arrive que nous ayons soif et que la tendresse de notre ami oublie notre soif…C’est que la source de la douceur humaine n’est pas inépuisable. Le consolateur a comme nous son heure de faiblesse. Recevons comme un don le peu qu’il veut bien nous donner… » (Marie-Noël)
L’ami a aussi ses faiblesses.
C’est la fin, l’achèvement du christianisme. Nous avons un double devoir d’amitié, parce que nous sommes homme et parce que nous sommes chrétien. « Tandis que la loi humaine a principalement en vue l’établissement d’une amitié entre les hommes, la loi divine vise à fonder principalement une amitié entre l’Homme et Dieu. » St Thomas d’Aquin va fonder tout son enseignement sur la charité sur l’amitié (qu’il va puiser chez Aristote).
Réfléchir sur l’amitié, c’est être au cœur de notre alliance avec le Seigneur. « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle amis », dit Jésus. Dieu vous nous situer comme son égal et pas comme un serviteur.
La charité ne signifie pas seulement l’amour de Dieu, mais une amitié avec lui : cela suppose la réciprocité, la connaissance réciproque, un « commerce familier » avec Lui. C’est par la grâce que dès ici bas, elle commence (elle sera pleinement vécue au ciel).
La charité implique la foi. La charité étant une amitié, seule la foi me permet d’y entrer, de répondre à l’amour du Dieu par un amour réciproque. Le Cardinal Schönborn (rédacteur du catéchisme de l’Eglise catholique) le dit : le christianisme est une amitié, une amitié toute particulière…
Le christianisme, c’est le filet de pêcheur de Pierre, les mille nœuds de l’amitié… Nous sommes appelés, comme Pierre, à jeter le filet. « Duc in altum ! » Va en eau profonde ! Souvent, nous jetons des filets percés, des filets aux nœuds insuffisamment serrés, parce qu’il n’existe pas assez de liens d’amitié entre nous chrétiens.
I - Les préférences de l’amitié
Nous ne pouvons pas avoir des liens d’amitié avec tous. L’amour d’amitié est promu par la foi chrétienne comme une valeur en soi. Contre la tradition, l’amitié chrétienne a été soupçonnée puis éliminée, aux dépens des célibataires, en attente ou consacrés.
L’amitié est un véritable amour, voulu par Dieu comme tel, et qui a sa fécondité. La fécondité du célibataire est directement liée à l’amitié. L’amitié subsiste dans le monde chrétien, elle n’a jamais tant fleuri que depuis l’Evangile, avec plus de pureté, de finesse, de noblesse.
Dieu a voulu nouer une amitié avec nous. Partant de là, cela vaut la peine d’y réfléchir. (Comme St Thomas d’Aquin qui s’est intéressé aux passions : le Christ a vécu lui-même des passions, du coup, il les a ennoblies de manière extraordinaire.)
« Les grandes amitiés sont le reflet de la gratuité de son amour. » Jacques Maritain.
Les objections à l’amitié
L’amitié est dangereuse : il y a une certaine résistance à l’amitié, une certaine méfiance qui vient des cloîtres. Il faut dégager la route de l’amitié des obstacles qui viennent l’obstruer. Les fondateurs se méfient des cabales, des sous-groupes, des amitiés particulières qui défont certaines communautés religieuses. Mais on oublie qu’ils considèrent leur communauté comme une communauté d’amis ! Les fondateurs ne se méfient pas de l’amitié en général. Il y a un point de passage presque obligé, dans les premiers temps de l’amitié, par un amour fusionnel (comme dans l’amour conjugal). « Ouh, ce n’est pas beau !… » Si cela nourrit, ce n’est pas si mal…. L’important c’est le chemin que l’on veut parcourir, pas le chemin que l’on a déjà parcouru. Heureusement pour nous pécheurs !
La famille. Dans les premiers temps, on a cru que la pratique de l’amour conjugal était a seule manière d’épanouir les cœurs d’adultes, en plénitude. On en est venu à considérer l’amitié comme une étape de jeunesse, appelée à disparaître. Les femmes ne comprenaient pas comment leurs maris pouvaient garder d’authentiques amitiés (qui peuvent se maintenir à côté du couple, quels que soient les risques. Mais prenons le risque d’aimer !). L’amitié serait une étape transitoire, un succédané d’amour, en attendant l’amour conjugal.
3ème obstacle : une certaine vision égalitaire de la charité. Je ne peux pas être ami avec tout le monde. Je vais manquer à la charité que je dois à tous. La charité universelle m’interdit les préférences, les amitiés sélectives. Seul demeure le commandement de l’amour du prochain. « Je me dois tout à tous ! » St Paul. L’amitié vécue comme un luxe, aux dépens de la charité véritable, sur laquelle je dois mobiliser tous mes efforts.
4ème objection : Une certaine perversion du sens de l’amitié, sous la forme de perversions, de déviations : l’amitié réduite au copinage, au concubinage… La chose n’est pas neuve ! Ce n’est pas l’amitié chrétienne.
Une dégradation du mot et de sa réalité conduit à ne plus rechercher, à vivre l’amitié chrétienne.
La paresse qui sommeille en chacun de nous trouve son compte à éliminer, plutôt qu’à purifier ou transfigurer. Cf. la belle et magnifique amitié entre David et Jonathan, sur laquelle il y a très peu d’enseignements.
Qu’en est-il du message de Dieu et de la pratique de l’Eglise ? Les enjeux sont considérables lorsque nous sommes réunis, avec Vatican II, devant une église qui ne sera évangélisatrice que si nous réussissons à vivre l’unité, la communion. « Qu’ils soient uns, pour que le monde croit ». « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra comme mes disciples ». C’est la communion entre nous qui est rayonnante et missionnaire. Cette communion (en grec, koïnonia) est l’un des mots employés pour désigner l’amitié.
Lorsque je découvre pour la 1ère fois un frère (c’est-à-dire que je le reconnais comme chrétien), quel est mon premier mouvement ? Est-ce que je vais chercher à l’aimer d’amitié ? Ou, en tant que chrétien, va-t-il faire l’objet de mon attention scrupuleuse et critique ? « C’est parce qu’on est chrétien qu’on est critiquable à priori ».
Dans la parole de Dieu, dans le sens vertical (relation de Dieu à l’homme) Dieu préfère Abel à Caïn et Saint Jean est présenté comme « le disciple que Jésus aimait ». Il y a une manière particulièrement intense de vivre l’alliance. Derrière des raisons qui ne sont pas données, Dieu manifeste un amour d’élection. A travers les patriarches, les saints, les prophètes… Pourquoi Dieu parlait-il à Abraham, à Moïse « comme un ami parle à un ami » ?
Jésus sauve tous les hommes, mais choisit des amis. Il y a un cercle d’intimité concentrique autour de Jésus : Jean, puis Pierre, Jacques et Jean, puis les douze… Jésus tisse autour de lui des cercles concentriques d’appartenance à son intimité.
Dans le sens horizontal, la Bible reconnaît et honore l’amitié. 1 Rois : David et Jonathan, qui a toujours préféré l’amitié à la jalousie. C’est une véritable amitié, parfaite, stable éternelle… « En but à une telle tentation, elle demeure fidèle. L’envie ne peut la corrompre, ni le soupçon la dissoudre. »
Ces gens qui veulent prendre de la place dans votre vie, qui viennent jeter le soupçon… Tout couple, tout amour d’amitié sera soumis à cette tentation. D’où l’importance de la fidélité. On n’écoute même pas les rumeurs… C’est là où on voit la différence entre l’amour- passion et le véritable amour d’amitié. L’amour-passion ne résiste pas aux cancans, à la calomnie.
« En but à une telle tentation, elle demeure fidèle. Déchirée par tant d’injures, elle ne bronche pas…. »
Livre du Siracide : « L’ami fidèle n’a pas de prix. Vin nouveau, ami nouveau, s’il a vieilli, tu le boiras avec joie. »
Jn 15 : « Aimez vous les uns les autres… » Ce commandement est nouveau par son modèle -« comme je vous ai aimés » - et par la réciprocité qu’il implique : les uns les autres. Nous partageons l’Eucharistie : quand on pense qu’on peut partager le même pain avec autrui et en dire du mal en sortant de la messe, on ne peut pas ne pas penser à Judas.
Lire : Ga 6, Rom 12-13-14, Co 5
Dans la tradition de l’amitié : « On ne connaît personne, si ce n’est par l’amitié » St Augustin. Les seuls que je connaisse vraiment, ce sont mes amis. Et les seuls qui me connaissent vraiment, ce sont mes amis. St Augustin va inventer une nouvelle forme de vie canoniale : il crée un monastère. Puis à l’évêché, il réunit ses frères prêtres. L’amitié requiert une certaine vie commune. St Augustin a été toute sa vie hanté par l’amitié.
L’amitié est un amour véritable, à la différence de la camaraderie, du copinage. Un amour qui utilise les mots de l’amour. C’est une véritable « communion des âmes » (qui sont amantes). Ce n’est pas toujours évident, dans une amitié forte, de discerner si nous sommes appelés à plus…
§ 2347 du Catéchisme de l’Eglise catholique : « La vertu de la chasteté s’épanouit dans l’amitié. » La chasteté doit se vivre y compris dans le mariage (ce qui ne veut pas dire la continence totale). « Il ne faut pas vivre une sexualité refoulée », dit le Père Ide. Nous pouvons tomber, nous sommes des pécheurs. Mais la vertu de chasteté (qui est un conseil évangélique donné par Jésus à tous) s’épanouit dans l’amitié, développée entre personnes du même sexe. Grand bien pour tous, elle conduit à la communion spirituelle. Dieu sait voir le bon grain et n’est pas fasciné comme nous par l’ivraie… Une amitié est ambiguë, peut-être… N’empêche qu’elle porte du bon grain. Arrêtons d’être dualistes, manichéens. Ce n’est pas parce qu’un amour n’est pas totalement pur et parfait qu’il n’est pas de Dieu. Arrêtons de trancher. On se prive d’un don de Dieu. L’amitié est gardienne de la chasteté, même au sein du couple marié.
Jean-Paul II : Tertio Millenio § 43
« Une spiritualité de communion, cela veut dire la capacité d’être attentif, dans l’unité profonde du corps mystique, à notre frère […] pour deviner ses désirs et répondre à ses besoins, pour lui offrir une amitié vraie et profonde. »
L’ami n’est pas simplement celui qui répond à nos demandes, il devine nos désirs : c’est le propre de l’amitié.
Dans sa théologie, St Thomas parle de l’agapè, à propos de St Bernard de Clairvaux : « La plénitude de la charité n’est atteinte que dans et par l’amitié ».
Triple préoccupation pour cet amour d’amitié :
- qu’il naisse : il prend naissance si nous donnons à manger à notre ennemi.
- qu’il grandisse : il grandit si tu subviens aux besoins de celui qui est dans la nécessité, si tu ouvres ton âme à ton ami.
- qu’il se conserve : si par tes paroles et tes actes, tu satisfais aux désirs de ton ami, même quand ceux-ci ne paraissent pas indispensables.
Oui, il y a préférence ! Devons- nous préférer un ami ou un frère de sang ? Sa mère ou sa femme ? Il y a préférence, parce qu’il y a intensité d’amour plus ou moins grande. Nier ce fait, c’est nier l’amour.
L’amitié avec les parents va être le plus stable. Mais celle qui est le fruit d’une élection personnelle va être plus grande. «La charité nous fait aimer plus ardemment ceux qui nous sont unis plutôt que ceux qui nous sont éloignés. » StThomas d’Aquin (Secunda Secundae)
Il y a des différences dans nos amours :
- du côté du bien que nous souhaitons à celui que l’on aime. De ce point de vue, nous aimons tous les hommes également, nous leur souhaitons tous le même bonheur éternel, la vie éternelle. Amis ou ennemis. De ce côté-là, pas de différence !
- en 2nd lieu, on peut parler de dilection, car il y a intensité plus grande d’amour.
Il y a des préférences dans l’amour.
Réflexions de Marie-Noël, dans Notes Intimes :
- « Avec mon ami, je suis moi, avec mes proches, je suis eux » (On se propulse et on s’ajuste à eux).
- « Partage ton cœur : la charité à tous, la sympathie à presque tous, l’amitié à quelques uns et à beaucoup ou à peu d’êtres, selon la profondeur retirée ou l’ouverture facile du cœur… »
- « Oh cher Christ , comment aurais-je pu vivre sans … quelques gorgées d’eau merveilleuse aux fontaines de l’amitié…. »
II - Les particularités essentielles de l’amitié
Caractéristiques de ce compagnonnage :
La première sorte d’amitié, c’est l’affabilité. Etre affable, c’est la première manière concrète de vivre l’amitié. Etre amical. Le vice opposé à l’affabilité, c’est la flatterie. L’affabilité : « elle cherche à maintenir un ordre harmonieux en faisant plaisir à ceux qui vivent avec nous, mais sans tomber dans la flatterie ou la complaisance. » St Thomas d’Aquin. Elle se traduit par des manifestations extérieures, en paroles et en actes. Le flatteur vise son avantage, le complaisant vise à plaire. L’affable n’hésite pas à se donner de la peine, et même à faire de la peine, car il veut la qualité de la relation, l’harmonie entre les hommes.
L’amitié humaine doit être vécue de façon chrétienne, différemment de la communion spirituelle vécue de façon un peu désincarnée, qui n’a plus aucune densité humaine. Le christianisme ne vient pas réduire, amputer notre humanité. Il vient le purifier, mais pour l’épanouir, lui donner sa plénitude. Ressaisir notre dignité. Un chrétien n’est pas extrait par Dieu de l’humanité.
La tentation de se mettre à part du monde est anti-chrétienne. J’y suis, dans cette nappe humaine, et je ne me désolidarise pas, pour la juger et la critiquer. J’en pleure, peut-être, de voir cette société qui fabrique de plus en plus de marginaux…
La joie est humaine. Elle doit faire vibrer toute notre humanité ! Même si sa cause peut être spécifiquement chrétienne (joie de l’eucharistie, de la communion.) Attention à ces chrétiens qui n’ont plus aucune densité humaine, aucune chaleur humaine.
L’ascèse que préfère le Seigneur, c’est le sacrifice d’un cœur joyeux !
L’amitié est un véritable amour de bienveillance réciproque : vouloir du bien entraîne la bienveillance. La bienveillance est un attachement profond du cœur, et par une simple sympathie (cf. texte du Cardinal Woyltyla), un désir (cf. St Thomas). Il y a du désir, dans l’amitié conjugale.
L’amitié est un amour réel, un mélange d’amour désintéressé, mais aussi amour de désir. De sorte que le discernement n’est pas évident par rapport à un amour conjugal.
St Thomas distingue : il y a deux choses qu’on aime X en tant qu’ X, et le bien qu’on lui souhaite (de réaliser un mariage épanoui !). J’aime la personne et le bien que je lui souhaite (ou que je vais partager avec lui : un merveilleux repas que nous allons partager). Il y a distinction entre le bien que je veux - pour cette personne ou pour moi-même - et la personne que j’aime.
L’amitié suppose la réciprocité : si je lui souhaite la béatitude éternelle, je ne peux pas immédiatement ne pas la souhaiter aussi pour moi.
Cet amour d’amitié crée un attachement réel, un attachement affectif. Le cœur est pris. Je vais partager ses peines et ses joies.
Cette distinction est essentielle. Il y a de bons amis qui nous veulent tellement de bien qu’ils en oublient de nous aimer nous-même !
L’amitié manque parfois de délicatesse. « Si tu parles, parle par amour. Si tu te tais, tais-toi par amour. » St Augustin.
Nous n’avons pas le charisme d’infaillibilité.
Mais au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour… Attention aux biens que l’on souhaite à ses enfants (faire telle école…).
On aime la personne, et c’est un attachement réel. L’amitié comporte une certaine union affective - plus que de la sympathie. « Le premier considère le second comme un avec lui, ou comme une partie de lui-même, et c’est ce qui le porte vers lui. » Saint Thomas d’Aquin. « Une âme en deux corps. »
L’amant considère l’aimé comme un autre soi-même. « A l’égard de mon ami, quand il souffre, je n’éprouve même plus de miséricorde. J’éprouve de la douleur. »
L’amitié, bienveillance réciproque, est fondée sur une certaine communication, communion. La réalité et la vigueur de cette communion font la réalité et la vigueur de cette amitié.
Le même bonheur, c’est le vivre ensemble. Le signe de l’amitié, c’est le désir de partager des joies, un bonheur. La bienveillance de l’amitié ne veut pas simplement un bonheur parallèle. L’amitié dit : nous voulons vivre un même bonheur ensemble. Une synchronie. L’amour de bienveillance suppose que l’on veut le bien qui convient à l’autre. Dans l’amitié, l’autre est un autre soi-même, d’où le désir de partager le même bien, le même bonheur.
Dans l’amour d’amitié, il s’agit de construire un « nous » ensemble, une communauté. L’amitié a comme requête de vouloir construire une communauté où l’on se retrouve pour partager des pratiques communes, mais où l’on aspire à ce que cela devienne un échange de vie.
Invité- Invité
Re: Philosophie éthique : L'amour d'amitié
Avec mes amis,
qu’est-ce que j’ai en commun ?
Qu’est-ce que je veux mettre en commun ?
qu’est-ce que j’ai en commun ?
Qu’est-ce que je veux mettre en commun ?
Comment se fait-il que je sois plus lié avec des personnes avec qui j’ai passé 15 jours à marcher vers St Jacques, qu’avec celles que je n’ai rencontrées que dans des week-ends ? Il y a un vécu ensemble.
Veux-tu être mon ami ? Cela suppose que nous voulions construire quelque chose ensemble. Si une certaine sympathie naît - don de Dieu - pourra naître une grande amitié. Mais il faudra le vouloir. Surtout si on veut construire des choses sur le long terme. Cela suppose une certaine stabilité, une continuité.
Les niveaux d’amitié seront qualifiés par ce que l’on met en commun :
- prendre un plaisir ensemble (cinéma, repas…). C’est l’amitié dans le plaisir. Mais il y a un moyen d’être unis de manière plus profonde (opéra…)
- Amitié d’utilité : on a besoin de l’autre pour mener un projet en commun (cf. St Exupéry).
Si quelque chose a été donné au départ, à un moment donné, il faut le vouloir.
Qu’est-ce que je veux construire avec cet ami ?
-« Il y a des amitiés beaucoup plus profondes : la recherche du vrai bien de chacun, et partager ensemble le même bien. » C’est l’amitié « honnête ». Les autres amitiés n’étant pas à condamner…
Chercher la vérité ensemble : Saint Augustin avec ses amis.
L’amitié et la sexualité
A la différence de la conjugalité, l’amitié n’impose pas la différence sexuelle comme fondatrice. (Je peux avoir des amis du même sexe). Pour autant, elle ne l’ignore pas : la sexualité marque tout l’être humain.
Les amitiés entre hommes et les amitiés entre femmes sont nécessaires à la construction de son identité. (Pas d’ambiguïté ? Ce n’est pas si sûr…)
Quand on a du mal à aller vers l’autre dans sa différence, cela peut conduire à l’homosexualité. Nous sommes dans une société où la différence fait peur. On a plus de facilité à aller vers le même que vers l’autre différent.
Les amitiés masculines ou féminines sont des repères d’identification, par rapport à l’identité masculine ou féminine.
Il y a une amitié à développer au sein de sa famille, avec ses frères et ses sœurs, ses parents. L’amitié suppose la réciprocité et l’égalité. Les relations enfants-parents doivent évoluer d’un rapport vertical, vers un rapport horizontal. Modifier la relation, oui, la casser, non ! Mais cela suppose que l’autre accepte de modifier la relation.
L’amitié ne supprime pas les différences !
« J’aime et je suis aimée !… Oui, mais c’est pas le même ! » Nous avons pu connaître des déceptions amoureuses ou amicales.
Dans des vocations d’hommes, il peut y avoir de très belles amitiés ! L’amitié ne tient pas compte des différences d’âge. On peut nouer des amitiés avec son grand-père, ou sa grand-mère.
Mais l’amitié n’échappera jamais à l’ambiguïté. Elle n’est pas nécessairement toujours totalement pure et transparente. Le plus simple, la paresse, c’est parfois de trancher, de brûler tout le champ, avec l’ivraie et le bon grain… Parfois, on peut faire mûrir.
L’amitié entre hommes et femmes ne correspond pas nécessairement à la mort du désir. Mais le désir est situé.
L’amitié cerne le frontières du désir (le désir est une force. L’homme qui n’a pas de désir n’a pas de force).
Jn 15 : « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis. Le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Je vous appelle mes amis, parce que tout ce j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. »
Il y a d’abord une orientation fondamentale du cœur. « L’amitié naît au moment où je me décide à être un ami et non pas à en avoir un ».
« Je n’ai pas d’amis !… » « Sois en un ! »
L’amour appelle l’amour.
Carnégie : « Vous vous ferez plus d’amis en deux mois en vous intéressant sincèrement aux autres… »
Dans une amitié véritable, il y a un élément mystérieux, une sorte de connivence profonde, un sentiment inexplicable (relu dans la foi comme un don de Dieu). Une élection amicale. Dilection = élection
La volonté dit : « je veux, je le choisis ».
Sinon, les moyens propres à la communication ne seront jamais pris. « S’il te plait, apprivoise-moi ».
L’amitié s’approfondit dans la mesure où l’ami offre à l’ami un miroir de vérité. Elle implique que nous ne jugions pas. Je ne te condamne pas.
Le mouvement profond de la condamnation ne monte pas, vis-à-vis d’un ami. L’ami ne juge pas son ami. L’ami ne cherche jamais à nous enfoncer dans la flatterie, dans l’illusion. Je vais pouvoir m’appuyer sur un ami pour avancer dans la connaissance de soi. L’ami nous connaît parfois mieux que nous-même, dans nos désirs et nos besoins.
C’est un miroir de vérité parce que souvent, nous partageons un secret. L’amitié se nourrit des secrets partagés. (La trahison de l’amitié se joue quand le secret est livré). Telle est la fécondité la plus intime de l’amour spirituel, dans la communication ou le partage d’un secret.
Dernier aspect : dans l’amitié, il y a l’échange des dons, jusqu’à vouloir tout donner, tout partager à l’ami.
Deux grandes blessures dans l’amitié : venant de l’intérieur ou de l’extérieur.
- venant de l’intérieur : la trahison – Judas ; Le geste de l’amitié devient le signe de la trahison (baiser de Judas). Blessure grave. Il faut y prendre garde.
- venant de l’extérieur : la médisance cherche toujours à diviser les amis. « Le médisant met surtout en avant les fautes du prochain qui peuvent irriter contre celui qui l’écoute » St Thomas d’Aquin. Le diffamateur calomnie (dit du mal qui est faux). La médisance est un péché plus grave que la calomnie ou la diffamation.
Il y a dans l’amitié une amitié très spécifique, l’amitié conjugale. Dans l’amitié, nous donnons et nous prenons peut-être tout. Il y a la volonté de faire un « nous ». Dans l’amour conjugal, je me donne. Et je ne pourrai me donner qu’à une seule personne. Il y a la volonté de faire un « nous » où je me donne à toi et tu te donnes à moi. C’est la formule même de l’échange des consentements.
http://www.abbaye-champagne.com/
"Quand je dis Dieu, c'est un poème,
c'est une étoile dans ma vie,
du feu qui coule dans mes veines,
un grand soleil pour aujourd'hui ! "
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Re: Philosophie éthique : L'amour d'amitié
L'amour D'amitié Et La Finalité
L’expérience de l’amour d’amitié est sans aucun doute d’une importance capitale dans la découverte par la personne humaine de sa fin humaine ; la personne amie n’est-elle pas pour son ami un « autre soi-même », selon l’expression d’Homère reprise par Aristote[1]? C’est bien de la rencontre de l’autre par excellence qu’il s’agit. Si, dans l’activité artistique, l’autre qu’est la matière est rencontré à travers sa transformation efficace par l’artiste dans le travail, dans l’amour d’amitié, en revanche, une personne n’est pas aimée pour être transformée ni pour être absorbée dans une sorte de fusion. Elle est aimée pour elle-même, d’un amour volontaire.
Cependant, cet amour se noue dans un authentique choix personnel, libre et réciproque : dans le choix amical, la rencontre de deux amours spirituels (qui donne l’expérience de la réciprocité dans l’amour), est source d’une unité tout à fait particulière. L'amour réalise alors une unité, une identité de volonté : « le propre des amis est d’avoir le même vouloir », dira saint Thomas d'Aquin[2].
Nous constatons donc ici une dualité qu’il est capital de saisir : dualité entre l’altérité des personnes dans l’ordre de l’être, d'une part, et, d'autre part, l’unité aimante et volontaire entre ces mêmes personnes – unité quasi substantielle dans l’ordre de l’amour, en raison du choix amical et personnel qui les noue dans un secret personnel qui ne peut être saisi de l'extérieur.
C’est bien le choix amical qui constitue cette relation personnelle parfaite, qui lie l’une à l’autre deux personnes humaines dans la fidélité et la liberté de l’amour. Au sens propre, personne d’autre qu'elles n'a accès à la qualité et à la profondeur de leur choix amical. L’amour d’amitié conduit donc à une expérience d’une immanence toute particulière, et c'est pourquoi il mûrit les personnes, creusant en elles, en même temps qu'une joie profonde, un poids, un silence, une forme de gravité.
Mais pourquoi un tel choix peut-il s’imposer ? Et pourquoi choisir telle personne plutôt que telle autre ? Qu’est-ce qui est la cause propre d'un tel choix ?
Ce par quoi ce choix s’impose, c’est la découverte dans l’autre, à l’intérieur de l’amour que nous avons pour sa personne, d’un bien personnel existant, réel, et qui est un certain absolu pour nous dans l’ordre du bien. L’amour qui s’éveille dans notre volonté est l’expérience d’une attraction, d’une attirance qui nous connaturalise à l’autre dans sa bonté personnelle. Aimer, c’est être attiré par la personne de l’autre ; c’est expérimenter cette attraction mystérieuse qu’exerce sa bonté, au-delà de toute œuvre commune et de toute efficacité, de toute utilité. Nous aimons cette personne parce que c’est cette personne… Il n’y a pas d’autre raison. Nous avons en nous ce poids[3], cette inclination silencieuse vers l’autre qui exerce cette attraction sur notre volonté. En nous, l’amour personnel, volontaire, est bien notre réponse à l'attraction que l’autre exerce sur nous. C'est donc sa bonté qui en est la cause. Le bien attire, il suscite l’amour. Et il peut capter nos forces, notre capacité d’aimer la plus personnelle, d’une façon telle qu’il réclame de nous ce choix : ce choix s’impose et, en même temps, il garde cette gratuité, cette liberté absolue de l’amour spirituel, à la différence de l'amour passionnel qui reste toujours un peu tyrannique.
Le bien-fin, cause propre de nos choix
En faisant l’expérience du choix amical et en cherchant à analyser la cause profonde de ce choix qui nous unit personnellement à une autre personne humaine, nous découvrons donc l’existence d’un bien spirituel cause d’amour ; et ce bien que nous aimons est tel qu'il est pour nous une véritable fin : un bien premier, ultime, par le fait même capable d'ordonner et de commander nos activités volontaires en relativisant les choses secondaires.
Ce par quoi une personne devient, d’autre qu'elle est dans son être, une avec nous dans un choix amical réciproque, c’est sa bonté réelle, personnelle, cause d’un amour unique et premier, non-relatif. Dans la personne réelle de l'autre qui est notre ami, l’autre est bon pour nous : c'est la cause de l'amour, de l’acte le plus immanent et le plus personnel qui soit dans notre volonté.
Nous saisissons ainsi, dans l’expérience de l’amour d’amitié, une nouvelle explicitation de la cause finale. Une personne humaine est toujours autre que nous : elle nous échappe dans son être ! Nous pouvons saisir d’elle certaines choses, la connaître dans ses qualités et dans ses déterminations. Mais dans son être, en tant qu’elle est, elle nous échappe, elle est inassimilable… Et cependant, en tant qu'elle est bonne, elle nous attire. Dans sa bonté, elle est cause d’amour. Elle qui est autre que nous et qui nous dépasse, elle est cause, comme fin, de ce qui est en nous le plus intérieur, le plus personnel et le plus secret : l’éveil de l’amour spirituel. En acceptant cet amour et en découvrant que ce bien aimé est notre fin, nous sommes alors capable de la choisir et de lui dire : « Toi qui existes dans ta propre bonté pe.rsonnelle, tu es mon ami ».
Le bien est donc ce qui suscite « l’extase »[4] : une sortie, un dépassement de soi vers l’autre qui nous transcende, que nous aimons plus que nous-même (ce qui nous fait quitter notre égoïsme!) ; et en même temps, le bien est ce qui creuse en nous l’intériorité la plus profonde, la plus silencieuse et la plus personnelle
Dans l’expérience de l’amour d’amitié, nous découvrons donc le bien réel existant, cause d’amour, comme fin de toutes nos activités, comme ce en vue de quoi nous accomplissons toutes nos actions. Nous le découvrons comme ce qui mobilise toutes nos forces, notre capacité d’aimer et de nous donner d’une manière effective ; et surtout, comme cause profonde, de notre choix libre le plus personnel.
Marie-Dominique Goutierre
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[1]. Éthique à Nicomaque, IX, 4, 1166 a 31-32 ; IX, 9, 1170 b 6-7.
[2]. Proprium amicorum est idem velle : cf. ST, II-II, q. 25, a. 6, obj. 4 ; q. 29, a. 3 ; q. 104, a. 3. Voir aussi CG, III, 96 ; CG, III, 151.
[3]. « Tu as tout disposé avec mesure, nombre et poids » (Sg 11, 21) ; « Pondus meum, amor meus » (saint Augustin, Confessions, XIII, ix, 10, BA 14, Paris, DDB, 1980, p. 441) ; « Est pondus amoris et voluntatis » (id., La Genèse au sens littéral, IV, iv, 8, BA n° 48, Paris, DDB, 1972, p. 290-291) ; voir aussi saint Thomas, ST, I, q. 5, a. 5.
[4]. « Selon la partie appétitive [de l’âme], on dit que quelqu’un pâtit l’extase quand sa capacité d’aimer se porte vers un autre, sortant en quelque sorte hors d’elle-même. (…) Dans l’amour d’amitié, l’affection sort absolument (simpliciter) d’elle-même, parce qu’elle veut du bien à l’ami et opère en prenant soin de lui et en veillant sur lui, à cause de l’ami lui-même » (saint Thomas, ST, I-II, q. 28, a. 3).
Invité- Invité
Re: Philosophie éthique : L'amour d'amitié
Merci beaucoup Etoile Bleu, ce fil sur l'amitié à beaucoup à nous apprendre
pere Marie-Do je l'aime beaucoup rempli de simplicité et d'amour
J'écouterai les vidéos dès que j'aurais un peu de temps
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flou- Combat l'antechrist
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Re: Philosophie éthique : L'amour d'amitié
Extériorité Et Intériorité De La Fin
L’activité artistique et l’amour d’amitié nous donnent donc deux regards extrêmes sur la cause finale : la fin, c’est ce qui, dans le devenir du travail, nous permet d’affirmer que l’œuvre est achevée, terminée ; et elle est ce qui, dans l’intériorité du choix amical personnel, transcende ce choix en l’expliquant dans sa cause profonde. Notre choix est le nôtre, mais il rejoint l’autre dans sa bonté qui est cause réelle de l’absolu de l’amour, de l’amour sans mesure qui s’éveille dans notre volonté.
Dans l’activité artistique, nous expérimentons donc le passage de l’immanence de l’idée à l’extériorité de l’œuvre ; et dans l’amour d’amitié, nous expérimentons le passage de l’altérité de l’autre dans son être à l’immanence aimante du choix amical, choix qui nous est le plus personnel, le plus secret : notre grand secret, c’est la personne que nous aimons, que nous portons en nous-mêmes. Elle est la "perle" intérieure que nous secrétons intérieurement, la vie de notre vie, le cœur de notre cœur.
Ces deux grandes expériences humaines nous invitent à regarder la fin au niveau même de ce qui est, en tant qu’il est. La fin, comme telle, est au delà du devenir de l’activité artistique (de l’efficience du travail) et au delà de l’intentionnalité de l’intelligence et de la volonté dans le choix amical. La fin dépasse la distinction propre à l’activité humaine de l’intériorité et de l’extériorité, de l’immanence et de la transcendance : elle est cause propre de ce qui est, en tant qu’il est.
La Fin De Ce Qui Est
Le sommet de la philosophie première (ce que l'on a appelé de façon malheureuse la métaphysique) est la recherche de la cause finale de ce qui est en tant qu’il est : en vue de quoi ce qui est est-il?
Comprenons d’abord l’importance de cette recherche : la découverte de la finalité, de la cause finale, a-t-elle un sens au niveau de ce qui est, en tant qu’il est ? Instinctivement, en effet, nous voyons la finalité comme un idéal à atteindre, comme un but ou comme un résultat, un terme ! Alors nous restons au niveau du devenir, du mouvement, et nous ne saisissons plus la fin au delà de la façon dont elle est réalisée dans l’activité artistique ; là, elle est inséparable de la cause efficiente (l’efficacité de la réalisation) et de la cause exemplaire (l’idéal). C’est pourquoi il est essentiel de développer une philosophie de l’activité artistique : ne pas nous y intéresser risque de nous conduire à la projeter dans toutes les autres parties de la philosophie, étant donné que l’homme est fondamentalement un artiste et que l’activité artistique, le travail, est ce qui lui est le plus connaturel selon son conditionnement. N’est-ce pas ce que font beaucoup de philosophes modernes qui affirment que la cause finale est métaphorique ? Alors elle n’est plus vraiment cause propre de ce qui est en tant qu’il est, de la réalité existante dans son être même. Etant ramenée à un idéal, à un but à atteindre, elle n’est plus la cause des causes (selon l’expression d'Aristote et de saint Thomas[1]) de ce qui est, dans son être même. C’est la cause efficiente dans l’exercice et la cause exemplaire qui remplacent le réalisme de la finalité et du jugement d’existence.
C’est pourquoi l’expérience de l’amour d’amitié est très importante sur le chemin de cette découverte. Car, dans la personne que nous aimons, nous découvrons par l’amour un bien spirituel existant, réel, dont la bonté n’est ni un idéal à atteindre, ni le fruit, le résultat de notre amour : la personne amie n’est pas bonne parce que nous l’aimons et parce que nous l’avons choisie ; c’est parce qu’elle est bonne que nous l’aimons et la choisissons. Et il en va de même pour la connaissance de ce qui est : la réalité n’est pas vraie parce que nous la connaissons. Elle est ce qu’elle est, et nous sommes vrais si ce que nous connaissons d’elle correspond à ce qu’elle est[2] ; dans son être, elle mesure donc et finalise notre jugement intellectuel.
Le réalisme de l’amour d’amitié et de la recherche de la vérité nous invitent donc à nous interroger sur la fin de ce qui est en tant qu’il est. En effet, dans l’amour d’amitié, nous expérimentons à la fois un dépassement vers le bien aimé et une plénitude en nous-même ; de même dans le jugement vrai : notre intelligence est parfaite en énonçant, dans son jugement, ce qu’est la réalité existante et elle adhère à ce qui est. Nous devons donc nous interroger : du point de vue de l’être, qu’est-ce que le bien que nous aimons et qu’est-ce que l’amour ? Du point de vue de l’être, qu’est-ce que la réalité existante que nous connaissons et qui, en tant qu’elle est, mesure et finalise notre jugement vrai? Et qu’est-ce que la connaissance vraie ?
Pour répondre à ces interrogations, nous devons revenir à notre expérience la plus simple de la réalité existante. Car nous pouvons constater que la réalité existante dont nous avons l’expérience n’est pas seulement une réalité déterminée (ce que nous pouvons exprimer à travers les catégories), mais qu’elle existe dans des états différents. Je dors et je suis éveillé ; je suis assis et je me lève pour marcher ; je ferme les yeux pour me reposer ou pour prier et je les ouvre pour regarder le paysage magnifique qui s’offre à ma vue ; je pense à l’article que je dois écrire et je me mets au travail pour le réaliser dans le temps qui m’est fixé ; j’attends l’ami qui doit passer me voir et je me lève pour l’accueillir et le retrouver quand il frappe à ma porte, etc. A tous les niveaux de notre expérience humaine, nous faisons l’expérience de ces états différents : état d’attente et d’imperfection ; état de plénitude et de perfection.
D’autre part, nous découvrons un ordre entre ces états : je dors en vue d’être éveillé ; je suis capable de voir en vue de la vision « en acte ». Et il en va de même dans l’activité artistique : l’artiste dans son projet est tout entier orienté vers son œuvre. Tant qu’elle n’est pas achevée, il demeure en tension, en état d’insatisfaction. Quand l’œuvre lui semble achevée, il est alors en repos, dans une certaine détente. Le projet, l’idée et tout le devenir du travail n’ont de sens qu’en vue de l’œuvre achevée et de cet état de perfection de l’artiste jugeant son œuvre[3].
Il y a quelque chose d’analogue dans l’expérience de l’amour d’amitié : l’amour spirituel est, pour celui qui aime, l’expérience d’un état de perfection de sa volonté. Celui qui est capable d’aimer est tout entier en vue de celui qui aime en acte ; dans celui qui aime, tout s’éclaire et prend son sens d’une façon nouvelle. Sa capacité d’aimer, sa volonté, est tout ordonnée à l’amour de l'autre qui la perfectionne et l’actue.
Nous découvrons donc quelque chose de semblable dans ces expériences très diverses : l’architecte est en vue de celui qui construit en acte ; l’homme capable d’aimer est en vue de celui qui aime en acte et choisit son ami ; l’homme capable de connaître est en vue de celui qui connaît. Dans toutes ces expériences, un état imparfait est ordonné à un état parfait. Et ce qui leur est commun, c’est ce qui est, l’être lui-même : l’être comme tel est au delà de ces états. Nous découvrons donc, dans la diversité des états, un ordre de l’imparfait vers le parfait et quelque chose de commun, l’être : ce qui est, est dit de multiples manières. L’être ne se ramène pas à un état : tous ces états sont ; l’être comme tel est donc au delà de ces états différents de la réalité. C’est ce qui suscite en nous l’interrogation : qu’est-ce qui est cause de cet ordre de l’état imparfait vers l’état parfait ? Quelle est la fin de l’être ?
C’est l’expérience de ces états de la réalité existante et de l’ordre, du dépassement de l’état imparfait vers l’état parfait, qui nous conduit, grâce à l’interrogation : « quelle est la fin de l’être, qu’est-ce qui finalise l’être en lui-même? », à la découverte de la source, de la cause propre de ce dépassement. Nous passons ainsi de la constatation de la diversité des états de la réalité existante et d’un ordre entre ces états, à la découverte de la cause qui explique ce que nous constatons dans la réalité existante. Il s’agit là de l’induction philosophique par excellence, première dans l’ordre de perfection : elle nous libère du conditionnement rationnel de notre rationnel de intelligence humaine.
Cette découverte éclaire d’une façon ultime l’expérience de l’amour d’amitié et de la connaissance vraie de ce qui est. En effet, dans l’expérience de l’amour, nous sommes attirés par le bien spirituel : nous sommes dans « l’état » de perfection de celui qui est attiré par une personne et qui, dans l’amour, vit de cette personne, de sa bonté. En nous interrogeant sur cette expérience, nous cherchons ce qui est cause de cette attraction, de cet état de perfection dans lequel nous sommes lorsque nous aimons. N’est-ce pas le bien existant, réel, qui en est la cause ? De même pour la connaissance vraie de ce qui est : quand nous connaissons la vérité en jugeant, notre intelligence est dans l’état de perfection de celle qui touche la réalité existante ; elle est vraie, conforme à ce qui est. En connaissant cette réalité existante, elle atteint sa propre fin, son état de perfection, et elle ennoblit ce qu’elle connaît. Mais cela n’existe pour elle qu’en tant qu’elle accepte d’être relative à la réalité existante qui la mesure et l’actue. Dans son être, la réalité existante est vraie : elle mesure et finalise la connaissance vraie de notre jugement intellectuel.
Pour expliciter cela, Aristote a utilisé deux termes différents en philosophie : entelecheia etenergeia[4]. Entelecheia, littéralement "l'ayance dans la fin"... l'état de celui qui demeure dans sa fin. Et energeia, la "mise en oeuvre", l'action d'oeuvrer à cette plénitude. Il distingue ainsil’exercice parfait, de la fin, la cause finale de ce qui est. Nous ne devons pas les séparer, car c’est à partir de l’état de celui qui possède sa fin (et qui achève ainsi celui qui est encore imparfait), que nous découvrons par induction le principe et la cause. Quand nous nous interrogeons : « pourquoi ce dépassement que nous constatons de l’imparfait vers le parfait? », nous ne pouvons nous arrêter à la description de l’état parfait, du « vécu » de celui qui possède sa fin. Nous ne pouvons nous arrêter que dans ce qui est ultime, premier : le principe, la cause de ce dépassement et qui explique l’ordre de l’imparfait vers le parfait. Nous découvrons alors dans ce qui est la cause finale de ce qui est en tant qu’il est.
(A suivre)
Marie-Dominique Goutierre
www.les-trois-sagesses.org
[1]. Voir par exemple ST, I, q. 5, a. 2, ad 1.
[2]. « Tu n’es pas blanc par le fait que nous pensons que tu es blanc, mais c’est parce que tu es blanc, que nous, qui l’exprimons, disons la vérité » (Aristote, Métaphysique, livre Thêta, 10, 1051 b 7-9) ; « Le vrai, c’est toucher et énoncer (affirmation et énonciation n’étant pas la même chose) ; ignorer, c’est ne pas toucher » (ibid., 1051 b 24-25).
[3]. « La perfection de l’art consiste dans le fait de juger » (saint Thomas, ST, II-II, q. 47, a.
[4]. Le latin a traduit ces deux termes par actus. Si on demeure alors au niveau du langage sans chercher à connaître la réalité existante, on ne peut plus distinguer l’état parfait (l’exercice) de la cause finale.
Dernière édition par etoilebleue le Sam 4 Mai 2013 - 11:16, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: Philosophie éthique : L'amour d'amitié
Merci beaucoup Etoile Bleu, ce fil sur l'amitié à beaucoup à nous apprendre
pere Marie-Do je l'aime beaucoup rempli de simplicité et d'amour
J'écouterai les vidéos dès que j'aurais un peu de temps
Mais de rien, chère soeur , tu sais bien entre âmes-soeurs...
Le Père Marie Do je l'ai rencontré à plusieurs reprise lors de conférences-enseignement. J'étais contente quand il m'a dit que j'avais des questions pertinentes et le don de l'Amour et que c'était d'autant plus beau que mon coeur avait été blessé et trahi. Quand je lui ai répondu qu'il fallait que mon coeur le soit pour être plus conforme à Ceux de Jésus et Maman Marie et donne tout son comptant, il m'a souri et m'a répondu : "Que Dieu te bénisse mon enfant !" Il a permis à mon filleul de confirmation de prendre le nom de frère jean du Sacré Coeur alors qu'il l'avait refusé à d'autres postulants, auparavant. En ce moment mon filleul est dans sa communauté en Corée du Sud.
Je ne suis pas trop tranquille à ce sujet mais il est dans les mains du Seigneur.
Amicalement.
"Quand je dis Dieu, c'est un poème,
c'est une étoile dans ma vie,
du feu qui coule dans mes veines,
un grand soleil pour aujourd'hui ! "
Dernière édition par etoilebleue le Sam 4 Mai 2013 - 20:04, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: Philosophie éthique : L'amour d'amitié
compliquer
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Re: Philosophie éthique : L'amour d'amitié
L'induction, Désir De L'intelligence
L’induction de l’être-en-acte est « analogique et synoptique », selon l’expression d’Aristote[1] : elle rassemble toutes les expériences humaines en les regardant sous ce point de vue de deux états qui se retrouvent à tous les niveaux, l’unité n’existant qu’au niveau de l’être. Dans la diversité extrême de nos expériences, il y a une unité d’ordre de l’imparfait vers le parfait. Et c’est le jugement « ceci est » qui nous montre que seul ce qui est, en tant qu’il est, est au-delà de toute la diversité des états. Les états en tant que tels sont corrélatifs et n’expliquent pas par eux-mêmes cet ordre. Il faut donc dépasser leur dualité pour découvrir la source de l’ordre qui existe entre eux au niveau même de l’être : l’être-en-acte, principe et cause finale de ce qui est en tant qu’il est.
Ce n’est donc pas par des exemples que nous saisissons l’être-en-acte ! C’est par une démarche inductive, pénétration ultime de notre intelligence dans la connaissance qu'elle a de ce qui est, au-delà de la description, au-delà de la définition logique, au-delà même de la découverte de l’ousia-substance comme principe et cause selon la forme de ce qui est. C’est à partir de la découverte de l’être-en-acte, principe et cause selon la fin de ce qui est que nous pouvons saisir dans leur fine pointe ce que sont notre intelligence et notre volonté : capacité de connaître la vérité en adhérant à ce qui est, capacité d’aimer le bien existant, la personne bonne capable de devenir notre ami.
La contemplation philosophique sera le fruit savoureux de cette découverte : nous ne pouvons nous élever à la contemplation de la simplicité de l’Être premier, Acte pur, que par la finalité. Si notre intelligence est faite pour ce qui est, ce que nous manifeste le jugement d’existence et la découverte du vrai, c’est la découverte de l’être dans ce qu’il a d’ultime qui lui permettra d’avoir comme un levier pour s’élever jusqu’à la contemplation de l’Être premier. En lui, lumière et amour, vérité et bonté s’identifient : Dieu est lumière, Dieu est amour. La sagesse, qualité acquise de notre intelligence humaine, est ce qui nous permettra d’exercer la contemplation et de découvrir en elle la source de l’unité la plus profonde de notre personne humaine.
Marie-Dominique Goutierre
© www.les-trois-sagesses.org
[1]. Métaphysique, È, 6, 1048 a 35.
Dernière édition par etoilebleue le Sam 4 Mai 2013 - 12:49, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: Philosophie éthique : L'amour d'amitié
à Micka
On est réceptif ou pas : il y a tellement de sujets sur ce forum
tous aussi intéressants, mon ami que tu y trouves ton compte. Alors pas de soucis !
Toutefois tu pourrais commencer par visionner les vidéos petit à petit quand tu as du temps
devant toi;
Fraternellement.
"Quand je dis Dieu, c'est un poème,
c'est une étoile dans ma vie,
du feu qui coule dans mes veines,
un grand soleil pour aujourd'hui ! "
compliquer
On est réceptif ou pas : il y a tellement de sujets sur ce forum
tous aussi intéressants, mon ami que tu y trouves ton compte. Alors pas de soucis !
Toutefois tu pourrais commencer par visionner les vidéos petit à petit quand tu as du temps
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Fraternellement.
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Invité- Invité
Re: Philosophie éthique : L'amour d'amitié
Bonjour!
Merci pour ces beaux enseignements du père Philippe que vous nous partagez!
J'ai suivi son enseignement pendant 7 ans et j'en ai été vraiment changée!
J'aimerais aussi partager cet enseignement si riche a travers un petit blog que je viens de créer.
Voici l'adresse : http://intelligence-foi.over-blog.com/
J'espere que cela vous plaira!
amitiés
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amitiés
Re: Philosophie éthique : L'amour d'amitié
Chère Lilou,
Je t'ai mis un mot à ce sujet sur ton fil, petit blog.
J'ai rencontré le père Marie Do lors de conférences.
Nous avons eu même un entretien.
Bien amicalement.
"Quand je dis Dieu, c'est un poème,
c'est une étoile dans ma vie,
du feu qui coule dans mes veines,
un grand soleil pour aujourd'hui ! "
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