magré la dictature, le christianisme progresse en chine

"Malgré des années de lutte menées par les régimes successifs contre les cultes, Mao les qualifiant même de «poisons», la société chinoise se tourne de plus en plus vers la religion chrétienne, rapporte le site d’information BBC news. Selon le gouvernement chinois, il y a environ 25 millions de chrétiens dans le pays, plus de 18 millions de protestants et 6 millions de catholiques (selon d'autres estimations «plus indépendantes» ils seraient plus de 60 millions). «Ce qui fait qu’il y a maintenant plus de chinois à l’église le dimanche qu’en Europe», remarque le journaliste Tim Gardam."

La longue marche des chrétiens chinois


(MFI) Persécutés pendant des années, les chrétiens de Chine – dont le nombre est estimé à 50 millions – bénéficient aujourd’hui d’une plus grande liberté de culte. Mais les autorités les surveillent de près, redoutant que les Eglises ne se transforment en un mouvement social de masse incontrôlable. L’idéologie officielle ne souffre toujours pas la concurrence.


Que représente le christianisme en Chine ?

La taille du pays, la clandestinité de certaines églises et un recensement aléatoire rendent incertain le résultat, mais on estime globalement à 50 millions le nombre de chrétiens en Chine : environ 15 millions de catholiques et 35 millions de protestants. Une goutte d’eau rapportée au 1,3 milliard de Chinois. Cependant, le christianisme se développe rapidement dans l’Empire du milieu, comme d’autres religions et mouvements spirituels au demeurant. « Le christianisme, le catholicisme surtout, était une religion des campagnes. Or il séduit de plus en plus de citadins. De même, les intellectuels et les cadres sont nombreux à se convertir à ce qui était considéré comme une religion de gens simples », souligne Jean-Paul Wiest, un spécialiste du catholicisme chinois à l’université de Hong-Kong.

Ancien correspondant de l’hebdomadaire Time Magazine et auteur de Jésus à Pékin, David Aikman veut croire que « d’ici 2050, le tiers de la population chinoise sera chrétienne. C’est cette minorité qui va bouleverser les règles sociales et politiques du pays ».
Une analyse qui laisse sceptique Jean-Paul Wiest : « Je ne pense pas que le christianisme puisse devenir prédominant en cette terre de bouddhisme. Mais il aura sans doute un rôle de ferment dans l’émergence de la société civile et de la démocratie, comme ce fut le cas à Taiwan, notamment du fait de la conversion de nombreux intellectuels. »

Pour sa part, la sociologue Wang Meixiu, citée par L’Express, estime que « le nombre de chrétiens augmente en effet, mais leur foi n’a d’impact que dans leur sphère privée. Cette religion n’a aucune influence sur l’espace public, et encore moins sur une éventuelle démocratisation du pays ». Reste que ce succès croissant du christianisme – même relatif à l’échelle du pays – inquiète les autorités chinoises.

Comment expliquer cette progression du christianisme en Chine ?

Catholicisme se traduit en chinois par « Ecole du Seigneur du ciel » (tianzhujiao), et protestantisme par « Ecole du Christ » (Jidujiao). Ce sont des missionnaires européens – des Jésuites conduits par l’Italien Matteo Ricci – qui ont introduit le catholicisme en Chine au XVIè siècle. Ils ont ouvert des écoles, des dispensaires, des orphelinats… A l’avènement de la République populaire en 1949, on comptait une douzaine de missions catholiques et trois millions de fidèles. « La Chine est une terre de croyances. Le christianisme fait partie de notre histoire ; ce n’est pas une religion de “blancs”, importée récemment. Etre chrétien ne signifie pas être un mauvais patriote », défendait, dans L’Express, Yu-Jie, un militant catholique de Shanghai. Selon lui, « aucune école de pensée de tradition chinoise n’est synonyme de liberté et d’égalité. Le confucianisme défend une société hiérarchisée, le taoïsme aussi; le bouddhisme enseigne l’obéissance. Par son message d’amour universel, le christianisme est au contraire porteur des idéaux d’égalité, de respect, de démocratie ».

Un discours qu’approuve Li Baiguang, un avocat pékinois cité par Le Nouvel Observateur : « Les souffrances subies pendant la Révolution culturelle nous ont renforcés spirituellement. L’oppression venait d’un camp, la libération de l’esprit d’un autre. Aujourd’hui, la Chine continue d’être gouvernée par le Parti communiste. Mais l’idéal communiste est mort. Il ne reste que la course à l’argent et au pouvoir. Mais une fois ces deux choses obtenues, vous comprenez leur vanité. La population a besoin de croire, elle a besoin d’un idéal. L’économie de marché, c’est le triomphe de l’égoïsme; tout le monde se méfie de tout le monde. Le christianisme, lui, enseigne le respect mutuel, la confiance dans l’autre et l’entraide. Ce sont des valeurs qui manquent dans la Chine d’aujourd’hui ». Et un jeune prêtre d’ajouter : « La tolérance religieuse est la dernière réforme. Il y a eu l’ouverture de l’économie. Maintenant arrive l’ouverture de l’esprit. » Le développement économique rapide de la Chine – et le matérialisme et la course à l’argent qu’il entraîne – favoriserait donc l’éclosion des religions.

La progression du christianisme est aussi rendue possible par la plus grande liberté religieuse concédée par les autorités chinoises, et désormais reconnue par la Constitution. En 1978, la politique d’ouverture et de modernisation sociale inaugurée par Deng Xiaoping autorise cinq religions : le bouddhisme, le taoïsme, l’islam, le catholicisme et le protestantisme. Depuis, toutes ont connu un essor certain, et leurs fidèles peuvent prier, se réunir et même propager leur foi sans être harcelés. Ils restent certes surveillés dans un pays où les libertés politiques n’existent pas et où le pouvoir se méfie de toute organisation à même de créer un mouvement social de masse, rapidement incontrôlable et qui concurrence l’idéologie officielle. On se rappelle comment ont été arrêtés des milliers d’adeptes du Falungong, ce mouvement crypto-bouddhiste qui a séduit des millions de personnes en seulement quelques années.

Quel est aujourd’hui le niveau de liberté religieuse des chrétiens chinois ?

Après l’avènement de la République populaire en 1949, et surtout pendant la Révolution culturelle (1966-1976), les chrétiens chinois ont été persécutés : arrestations de fidèles, prêtres envoyés en camps de travail, destruction d’églises et de monastères, autodafés de bibles… La religion est alors l’opium du peuple ; il faut la détruire.
Cette époque est révolue. Mais lorsque Deng Xiaoping autorise cinq religions en 1978, il encadre la liberté de culte en exigeant que « les confessions soient au service de la modernisation de la Chine ». Résultat : il existe deux Eglises catholiques dans l’Empire du milieu : une Eglise officielle, réunie au sein de l’Association patriotique des catholiques, organisation créée en 1957 et inféodée au Parti communiste, qui ne reconnaît pas l’autorité du Pape ; et une Eglise clandestine, fidèle au Vatican, qui résiste aux autorités chinoises. L’Eglise officielle réunit environ 70 % des 15 millions de catholiques chinois, les 30 % restant ont fait le choix de la clandestinité. « Une religion ne peut être qu’indépendante. Le discours du Christ n’est au service d’aucun gouvernement. Il n’a pas à s’adapter à des objectifs politiques », soutient Mgr Joseph Zen, le cardinal de Hong Kong, ardent défenseur des droits de l’Homme.

Wang Lei est un prêtre de l’Eglise clandestine, qui officie dans un gros bourg industriel de la province du Hebei, à l’ouest de Pékin. Comme il l’expliquait dans Le Monde : « Avant 1978, tous les chrétiens étaient persécutés. Puis ceux de l’Eglise officielle ont pu vivre librement leur foi, tandis que les autres restaient menacés. Ces cinq dernières années, la situation s’est nettement améliorée. Si nous sommes discrets, que nous n’intervenons pas dans les conflits sociaux, que nous ne défendons pas de revendications politiques au nom de la religion, que nous nous limitons à notre pastorale, alors les autorités locales nous laissent en paix. » Un discours confirmé par Mgr Li Jinfeng, l’évêque de Fengxiang, au centre du pays. Lui aussi appartient à l’Eglise clandestine. Néanmoins, son presbytère et sa salle de prière – clairement identifiables dans l’artère principale de la ville – sont ouverts à tous, et il entretient les meilleures relations avec les responsables locaux du Parti communiste. « La confrontation est inutile avec les dirigeants politiques. Ayons des rapports de courtoisie, sachons faire des compromis de part et d’autre. Moi aussi, je suis un garant de la paix sociale par l’influence que j’ai sur les fidèles », expliquait, dans un entretien au Monde, cet évêque qui a été emprisonné de 1958 à 1973.
Le témoignage de Mgr Li Jinfeng illustre ces zones grises qui, en Chine, bousculent les frontières entre l’interdit, l’autorisé et le toléré. « La liberté religieuse a fait de grands progrès en Chine. Mais elle varie d’une province à l’autre. Dans certaines régions, tous les catholiques vivent leur foi au grand jour. Dans d’autres, les membres de l’Eglise clandestine sont tenus à une grande discrétion, voire à se cacher. D’une manière générale, se réunir pour prier ou pour lire la Bible ne gêne pas les autorités. Elles interviennent par contre si des prêtres ou des fidèles créent, au nom de leur foi, des associations d’entraide ou des écoles », souligne Bernardo Cervellera, le directeur d’Asianews, une agence de presse catholique, spécialisée sur l’Asie. Au demeurant, les chrétiens ne sont pas les seuls à faire les frais du courroux des autorités chinoises. Les musulmans ouïgours et les bouddhistes tibétains en savent quelque chose.

Des prêtres sont-ils toujours emprisonnés en Chine ?

Les associations humanitaires, comme Amnesty International ou Human Rights Watch in China, assurent que des chrétiens languissent en prison, mais ils se disent incapables d’avancer un chiffre exact. Plus qu’à leur foi, leur arrestation tient souvent à leur engagement social ou à des règlements de compte locaux. Néanmoins, comme le rappelle Mgr Joseph Zen : « Un homme d’Eglise se doit de défendre les droits de l’homme et la démocratie. Ceux qui disent qu’un prêtre doit s’en tenir à la prière n’ont rien compris à la religion. »

De l’avis des observateurs, les longues peines de prison ou la condamnation aux travaux forcés restent exceptionnelles contre des chrétiens. Par contre, il arrive encore dans quelques provinces que certains soient arrêtés deux ou trois semaines, ou subissent des discriminations dans leur emploi, ou soient harcelés par des cadres zélés du Parti communiste local. « Le temps des grandes purges est fini. Mais les menaces existent encore dans certaines localités », explique le directeur d’Asianews.

Les catholiques sont davantage que les protestants soumis à un contrôle étroit du fait des relations tendues entre Pékin et le Vatican (voir article ci-après). Membre de l’organisation évangéliste Evergreen, établie dans la province du Shanxi, le Norvégien Finn Torjesen estime que « certains, aux Etats-Unis notamment, exagèrent les persécutions dont seraient victimes les chrétiens chinois. Ils voient en chaque Chinois un martyr. Ils propagent cette idée fausse soit pour collecter de l’argent, soit par anticommunisme primaire. Mais si l’on reste discret, la pratique religieuse est libre ici ».

L’Eglise officielle évolue-t-elle aussi ?

Avant tout, un point important : l’Eglise officielle et l’Eglise clandestine croient en un même Dieu, suivent les mêmes rites, lisent la même Bible. Dans les églises de l’Association patriotique des catholiques, on ne prie pas le Parti communiste, mais Jésus-Christ.
Si l’Eglise clandestine entretient de meilleures relations désormais avec les autorités chinoises, les fidèles de l’Eglise officielle sont de plus en plus attachés à la personne du Pape. Il suffit de se rappeler les foules qui ont envahi les lieux de prière partout en Chine à la mort de Jean-Paul II, alors que la presse officielle passait sous silence l’évènement. Comme l’explique Jean-Paul Wiest : « Les deux Eglises sont de plus en plus proches. La grande nouveauté du christianisme en Chine est que 99 % des fidèles aujourd’hui veulent que leurs évêques soient légitimés par Rome. Sur les 79 prélats ordonnés par l’Association patriotique des catholiques, 70 ont ensuite été approuvés par le Vatican. Certains réclament discrètement cette bénédiction ; parfois elle se fait au grand jour. » Et le spécialiste du catholicisme chinois à l’université de Hong Kong d’ajouter : « Les quelques évêques patriotiques qui n’ont pas l’assentiment de Rome font de la figuration. Les fidèles ne les reconnaissent pas et leurs églises sont vides. »

C’est là tout le paradoxe de la Chine : le pays envoie des missionnaires à l’étranger, en Birmanie et au Moyen-Orient notamment. On y imprime chaque année plus de trois millions de Bibles. Des écoles et des hôpitaux sont confessionnels. Des prêtres clandestins célèbrent la messe au grand jour et jouent les médiateurs dans des conflits locaux. De nombreux Américains, officiellement professeurs d’anglais, sont en réalité des missionnaires protestants, sans que les autorités n’y trouvent rien à redire. Mais des chrétiens sont toujours emprisonnés, et le régime entend contrôler chaque église et, au-delà, chaque religion. « Comme si 15 millions de catholiques pouvaient menacer le régime chinois », soupire Mgr Joseph Zen.

Jean Piel