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Psychologie des émotions et des sentiments Bannie10

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Psychologie des émotions et des sentiments

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Psychologie des émotions et des sentiments Empty Psychologie des émotions et des sentiments

Message par Invité Jeu 25 Aoû 2011 - 20:38

Version 2006

0 – Introduction

0.1. Des termes multiples pour des concepts flous,Question de termes

Le champ affectif de la vie quotidienne est vaste mais difficile à définir.
Quelles en sont les unités constitutives : les émotions ? les affects ? les
sentiments ? les passions ? sans parler des émois, humeurs et autres " thymies ".
Le vocabulaire des émotions est très riche, on en a recensé plusieurs centaines
en langue anglaise, et, on peut en relever jusqu’à 150 en français .
Beaucoup de mots donc pour parler de ce que l'on connaît mal et qui pourtant
anime chacun de nous quotidiennement (" Emotion " vient de e-movere :
mouvoir au-delà, é-mouvoir).

Depuis Platon qui considérait les émotions comme perturbatrices de la raison, en
passant par Kant pour qui elles étaient maladies de l'âme, Darwin pour qui elles
s'intégraient dans de précieux comportements adaptatifs et évolutifs des
espèces, Sartre pour qui elles étaient " un mode d'existence de la conscience ", et
pour beaucoup d'autres encore, le champ des émotions se présente cacophonique
en philosophie comme dans les représentations populaires.

Tantôt on recherche les émotions, tantôt on les fuit. Ne plus en avoir est le but
de certaines philosophies du Nirvâna, tandis que les " libérer "et les faire
" librement circuler " est l'objectif de certaines thérapies " humanistes ", les unes
comme les autres étant censées rétablir, maintenir ou développer le bonheur de
vivre. Par ailleurs, il est de bon ton dans les entreprises de savoir les utiliser
« intelligemment » et dans les milieux du sport d’apprendre à les «gérer».
Les scientifiques eux-mêmes tiennent à leur sujet des discours qui peuvent
paraître contradictoires, voire auto-contradictoires, comme si, dans ce domaine
chacun, était libre de sécréter son propre savoir et de redéfinir termes et
concepts, c’est ainsi que Kleinjinna et Kleinjinna (1981) ont recensé onze
catégories de définitions des émotions !

Citons quelques exemples de ces contradictions tirés des meilleurs auteurs.
Pour un physiologiste comme Dantzer (2002, p.7) " le terme d'émotion désigne
des sentiments que chacun de nous peut reconnaître en lui-même par
introspection ou prêter aux autres par extrapolation ", mais dans la même
page, le même auteur remarque que le fait " de ne pas rester purement cérébrales
mais d'être accompagnées de modifications physiologiques et somatiques "
constitue une " caractéristique [...] importante [qui] permet de différencier les
émotions des simples sentiments" ...

Pour un psychosociologue clinicien comme Max Pagès (1986, p.70-71) il
convient de distinguer " l'affect " de l'expression émotive, en réservant au
4
premier le sens de l'expérience psychique et en limitant la seconde aux aspects
comportementaux, gestes, mimiques, cris, larmes, et aux dispositions
physiologiques qui les sous-tendent ". Quant au " sentiment ", il est pour lui
" une différenciation de l'affect ... son critère distinctif et son association à un
discours intérieur qui nomme et l'objet et la nature de la relation ... le sentiment
se construit dans la durée et lie les personnes " ... tandis que " l'affect ... est vécu
de façon ponctuelle dans l'instant ".

Pour un psycho-comportementaliste comme Ekman (1992) les émotions sont
des entités psychophysiologiques et comportementales discrètes
(individualisées) en nombre fini : les émotions de base (" basic emotions ") qui
ont en commun un déclenchement rapide, une courte durée, une survenue
spontanée, une évoluation automatique, et des réponses cohérentes. Ce qui les
distinguent des " autres émotions " telles les " attitudes émotionnelles "
(ex :amour, haine) les humeurs (ex : l'appréhension, l'euphorie, l'irritation), les
" traits émotionnels " (je dirais plutôt " caractériels ") (ex : hostile, timoré ...) les
" désordres émotionnels " (ex : dépression, manie ...), les " traces
émotionnelles " (" emotional plots "), " émotions complexes " liées à des
situations particulières et à une histoire relationnelle (ex : jalousie, rancune ...).
Pour un psychologue fondamentaliste comme Frijda (1986, p.4) les
" phénomènes émotionnels" sont " des comportements non opératoirement
finalisés, des traits non instrumentaux de comportement, des changements
physiologiques, et des expériences évaluatives, reliées au sujet, le tout provoqué
par des événements externes ou mentaux, et en premier lieu par la signification
de tels événements ". Ce même auteur distingue les émotions des passions, pour
lui, ces dernières n'ont pas besoin de déclencheur événementiel, mais
s'expriment spontanément et sont attachées durablement à des buts. Les
dispositions et les états d'esprit associés aux passions ou révélés par l'accès
émotionnel sont des " sentiments ". Ceci dit, ce même auteur, dans de récentes
études, (2001, p.15) met en valeur les émotions comme des " états
motivationnels " : " Le plus singulier, le plus marquant dans les émotions, et
ayant le plus de conséquences pour la conduite et la construction de la vie, c’est
d’être des états de motivation"

Quant au neurophysiologiste J.D. Vincent, passions et émotions sont pour lui
synonymes, et sa Biologie des passions (1986) propose une " nouvelle théorie
des émotions " basée sur l'étude du " désir ", du plaisir et de la douleur, de la
faim et de la soif, de l'amour, du sexe et du pouvoir ...
Devant cette polysémie des termes et cette pluralité des définitions (nous aurions
pu citer encore de nombreux auteurs…), on ne s’étonnera pas que les théories
soient multiples et parfois même, antagonistes comme dans la célèbre
opposition1 James-Cannon ouverte au début du siècle dernier dont nous aurons
l’occasion de reparler plus loin..
1 En fait James (1884) et Lange (1885) vs Cannon (1929). L’opposition théorique sera exposée au chapitre!5
5
L’inévitable postulat empathique.

Une autre constatation nous livre une des raisons de cette situation confuse.
Quand les savants ou les philosophes parlent d'émotions, ils n'hésitent pas à se
mettre en scène, phénomène exceptionnel dans des textes où le souci
d’objectivité et d’impartialité est habituellement de rigueur. Les auto-références
personnelles, généralement considérées comme indésirables dans ce genre de
littérature, sont pourtant ici très nombreuses, presque systématiques, comme le
montrent les quelques exemples suivants :
" si je sais que ma compagne est triste, je peux prédire avec davantage de
précision ses réactions à venir, et je peux donc ajuster mon propre comportement
en conséquence. " ;

" si j'ai peur à l'occasion d'une des premières fois où je mets les pieds sur un
bateau à voile ... " (Dantzer, 2002,p.12 ) ;

" je vois venir vers moi une bête féroce, mes jambes se dérobent sous moi, mon
coeur bat plus faiblement, je pâlis, je tombe et je m'évanouis " (Sartre, Esquisse
d'une théorie des émotions. 1965, in Rimé et Scherer,1989, p.234) ;
" Les différents types de cognitions donnent lieu à différents types d'expériences
émotionnelles et nos cognitions, nos perceptions, font partie des indices qui nous
permettent d'étiqueter notre expérience, comme celle de colère, de peur ou de
joie ". (Frijda, 1989, p.27) ;

" Par exemple, quand vous voyez quelqu'un avec une expression de dégoût, vous
savez que cette personne réagit à quelque chose de désagréable au goût ou à
l'odeur, littéralement ou métaphoriquement et va probablement s'écarter de cette
source de stimulation " (Ekman, 1992, p.170) ;

" Imaginez que vous rencontriez un ami ou que l’on vous annonce la mort
inopinée d’une personne… "(Damasio, 1994, p.178).

« Quand nous sommes effrayés par une situation, nous ressentons souvent cette
impression de vouloir prendre nos jambes à notre cou » (Luminet, 2002, p.27)
« Imaginez une promenade dans un parc un beau dimanche de
printemps…Soudain un homme surgit de derrière les buissons, il brandit un
couteau et il semble avoir du sang sur les mains. Il y a de fortes chances que
vous éprouviez ce que l’on appelle communément une émotion. »(Scherer,
2000, p.152).

On peut se demander quelle est la fonction sémantique des pronoms " je ",
“ nous “ et " vous " . Leur emploi vise à provoquer une identification du lecteur
à l'énonciateur mis en scène.. L'énonciateur et l'énonciataire du discours sont
convenus de partager les mêmes éprouvés .

Ce langage à la première ou à la seconde personne révèle ainsi que le champ des
émotions implique particulièrement les auteurs dans leur propre discours, que
chacun explicitement ou implicitement y fait référence à lui-même, et que
l'introspection y occupe une place fondamentale malgré tous les dispositifs
objectivement sophistiqués et les programmes rigoureux de recherches. Parler
6
des émotions, c'est souvent parler de soi-même, et c'est sans doute une des
raisons de la grande variété des propos qui les concernent. Cela traduit le
postulat empathique qui est nécessairement à la base de toute tentative d’étude
des phénomènes affectifs. En effet, si les comportements et les réactions
physiologiques peuvent constituer des thèmes d’étude objectivables permettant
des observations répétées, vérifiables et consensuelles, l’aspect subjectif des
émotions résulte toujours d’un témoignage et de références personnelles. Il est
rapporté par celui qui l’éprouve, et si l’" observateur "lui accorde foi, c’est parce
que lui-même " sait " que de tels éprouvés existent. Les chercheurs et les sujets
qu’ils observent sont tacitement d’accord pour admettre qu’ils ont une aptitude
commune à éprouver des états mentaux et corporels parmi lesquels certains sont
les " émotions ". Le vocabulaire courant pour désigner ces dernières en
authentifie l’existence et la généralité dans une population donnée.

La reconnaissance que tous les êtres humains sont porteurs d’une tête ou d’un
axe vertébral ne nécessite pas un tel présupposé. C’est la simple conséquence
d’une observation qui ne doit rien aux états d’âme des observateurs. Au
contraire, la reconnaissance des éprouvés émotionnels doit tout à ces états d’âme
qui sont tacitement admis comme universels et partageables.
Remarquons d’ailleurs que ce postulat empathique dépasse les relations interhumaines

: il est très banal d’attribuer des émotions aux animaux et cela d’autant
plus facilement qu’ils sont familiers et morphologiquement proches de l’espèce
humaine.

0.2 - Définitions du sujet et des termes utilisés : psychologie des émotions et
des sentiments quotidiens

Dans cette situation terminologique et épistémologique quelque peu confuse, il
importe de définir les significations attribuées dans cet ouvrage aux termes :
émotions, passions, humeurs, sentiments, affect . L’absence de définitions
précises complique en effet bien souvent les discussions même entre
spécialistes. Les difficultés définitoires ont principalement deux raisons , la
première est l’usage populaire du terme : “Emotion“ sert couramment
d’étiquette recouvrant tous les phénomènes affectifs comme au temps de
Descartes on utilisait le terme de “Passions“.

La deuxième raison est la définition même de “phénomènes ou états affectifs“ et
la référence difficilement contournable à l’introspection.
Nos choix terminologiques sont donc forcément entachés d’une certaine dose
d’arbitraire mais ils sont basés sur les usages dominants dans l’International

Society for Research on Emotion.

Ainsi :

-Les “émotions“, stricto sensu, désignent aujourd'hui pour un grand nombre de
spécialistes, uniquement les émotions dites " basales " ou " primaires "ou
“modales“, telles la peur, la surprise, la colère, la joie, la tristesse, le dégoût et
quelques autres, au nombre d'une demi-douzaine à une dizaine, et leurs
7
dérivées, émotions " mixtes ", résultantes des mélanges des émotions basales.
Leurs caractéristiques sont d’être des processus dynamiques qui ont un début et
une fin et une durée relativement brève. Ces phénomènes “phasiques“ sont
causés par des événements précis et inattendus.

-Les “épisodes émotionnels“ sont des émotions rémanentes : ils débutent comme
les émotions basales mais ont des durées plus longues, un exemple
caractéristique est celui du deuil, mais aussi de multiples circonstances de
participation à des événements ou à des manifestations sociales : mariages,
carnavals, fêtes et commémorations, compétitions sportives etc… L’état
émotionnel commence souvent dans l’anticipation de l’événement, subit son
apogée durant l’événement et persiste un temps plus ou moins long .
La rumination mentale est une autre forme d’émotion rémanente, elle consiste
en retour souvent intrusif de pensées, images mentales ou souvenirs liés à un
événement émotionnel passé.

-Les “sentiments“ tels que l’amour, la haine, l’angoisse, entre autres, se
distinguent nettement des précédents par leurs causes plus complexes, par leur
durée plus longue (“tonique“), et leur intensité plus basse. Bien que souvent
construits sur une fixation affective à des objets précis ils persistent et sont
vécus même en l’absence de ces objets .
-Les sentiments excessifs, apparentés aux états de dépendance affective qui
caractérisent les addictions, constituent les “passions“.
Remarquons que la distinction que nous faisons entre “émotion“ et “sentiment“
rejoint la distinction qui est faite dans le langage courant entre “être émotif“ et
“être sentimental“…

-Les “humeurs“ sont des dispositions ou états affectifs qui constituent un arrière
plan plus ou moins durable imprégnant et orientant positivement ou
négativement le déroulement de la vie quotidienne.
-Les “affects“ ou éprouvés affectifs sont les faces subjectives des états
précédents. Certains caractérisent les émotions basales et leurs dérivées, certains
autres sont durables et accompagnent ce que nous avons défini comme
sentiments. (par exemple la sympathie que l’on porte à un ami, les affects de
haine, de jalousie, d’amour… )

Ainsi, tout en utilisant l’acception restreinte, on pourrait dire aujourd‘hui
" consacrée ", du terme " émotion basale "ou “modale“, si nous voulons traiter
aussi du champ émotionnel dans son acception étendue il conviendra d’aborder
les autres états affectifs : épisodes, sentiments et humeurs.

03-Sources d’informations et modes d’approches
Si donc la vie affective présente des faces complémentaires subjectives et
objectives et des temporalités variées il est normal voire indispensable de faire
appel à plusieurs disciplines pour en rendre compte. On peut évoquer en
particulier : la biologie dans ses divers aspects, la psychanalyse, les science.s
cognitives.

Il paraît utile d’indiquer en quoi ces disciplines concernent les émotions.et quel
genre des problèmes et de réponses elles sont susceptibles de traiter et de fournir

0.3.1 - Approches biologiques .

En fait la biologie est un ensemble hétérogène qui offre au moins trois sources
différentes de données : les unes éthologiques (que nous traiterons séparément)
pour les comportements émotionnels humains et animaux , les autres
endocrinologiques, pour le contexte hormonal (et plus généralement humoral) de
ces comportements , les dernières neurophysiologiques, pour les structures
nerveuses centrales et périphériques mises en jeu. À ces trois sources, il
conviendrait d‘en ajouter une quatrième : la “ biologie générale “ dans son
aspect historico-naturaliste et phylogénètique dans la mesure où elle vient
étayer les conceptions évolutionnistes darwiniennes et post-darwiniennes ..
Remarquons d’emblée que la biologie dans ses aspects endocrinologiques et
neurophysiologiques2, est beaucoup plus une science de la “compétence “ que
de la “ performance “ . Elle rend compte des potentialités de l’organisme, de ses
contraintes somatiques et des processus qui étayent comportements et états
mentaux, mais ne peut pas permettre de savoir quels sont les contenus de ces
états mentaux et encore moins quels sont leurs rapports avec l’histoire
individuelle et le contexte du moment.

Pour prendre une métaphore : la connaissance précise de l’organisation d’un
appareil de télévision ne peut nous renseigner sur les programmes des
différentes chaînes. C’est vrai que ces programmes nécessitent, pour leur
réalisation, le fonctionnement d’un appareil dont dépendent la qualité des
images, des couleurs et des sons, et que toute défectuosité de cet appareil
retentira sur la qualité du programme reçu. Pour qui connaît la technologie des
téléviseurs, les possibilités de tel ou tel appareil sont clairement définies, un
appareil conçu pour le noir et blanc ne pourra produire des images couleurs.
Mais si la technologie des écrans est en progrès constants, il n’y a aucune raison
qu’il en soit de même pour les programmes, et vice versa. La science des tubes
et des plasmas est complètement indépendante de celle des programmes.
Pour en revenir à notre mécanique “ passionnelle “ de base, elle comprend
classiquement (et schématiquement) les glandes surrénales (médullo-surrénales
avec l’adrénaline, hormone de l’éveil émotionnel, et cortico-surrénales avec les
2 L’éthologie sera traitée séparément,!et l'"histoire naturelle" sera reprise avec les théories darwiniennes.
9
corticoïdes hormones du stress), le système nerveux autonome (ou “végétatif“ :
sympathique et parasympathique), responsable des phénomènes somatiques
aigüs : troubles du rythme cardiaque, tremblements, rougeurs, sueurs,
etc.. ), l’hypophyse et l’hypothalamus (motivations et régulation des besoins), la
substance réticulée (réaction d’éveil), le paléocortex (avec le cerveau limbique et
les amygdales et leur rôle dans la mémoire et l’intégration des émotions) et le
néocortex (des hémisphères droit et gauche, dont les zones préfrontales jouent
un rôle primordial dans la gestion des émotions) ... Certaines de ces structures
sont d’action rapide, d’autres différées, et certaines encore commandent et
contrôlent les autres, lesquelles régulent à leur tour les premières par des boucles
rétroactives ... Tout cela impliquant en état de marche, des potentiels d’action
neuronaux, la libération et la circulation de substances chimiques (hormones et
neuro- médiateurs) ...

Enfin, ces dernières années grâce aux développement des techniques d’imagerie
cérébrales de nouvelles perspectives, certains parlent même de “neurosciences
sociales“, se sont ouvertes en abordant une physiologie de l’action et des
rapports sociaux, en particulier à la suite de la découverte dans le cerveau de
multiples “systèmes résonnants“(dont les fameux “neurones miroirs“)
qu’activent aussi bien l’exécution d’actions que l’observation des actions
d’autrui, l’évocation de l’action, l’imitation, la contagion émotionnelle…
On peut voir dans ces données un support, voire un apport, à la connaissance de
phénomènes d’empathie dont nous parlerons plus loin.
“ Tout cela “ 3 même décrit avec précision et rigueur ne nous dira cependant
pas pourquoi Monsieur X a tiré l’autre jour un coup de carabine sur des gamins
qui s’intéressaient de trop près à sa voiture, ni pourquoi Madame Y s’est mise à
pleurer en rentrant chez elle samedi soir parce que son ami Pierre n’était pas
venu à la fête du patronage laïque du quartier où elle espérait le rencontrer. Bien
sûr, dans un des cas : trop de noradrénaline ? Dans l’autre, trop d’oestrogènes ?
Bien sûr aussi, quelques molécules tranquillisantes bien choisies seraient un
moyen d’atténuer les problèmes et en tout cas les insomnies de l’un et de
l’autre ...Mais quant à une meilleure connaissance et compréhension de leurs
éprouvés affectifs, cela paraît douteux.

Pour en finir donc avec les apports de la biologie, récapitulons les articles
qu’elle nous propose dans son catalogue.
Une modélisation des grandes motivations. Les unes comme la faim et la soif
obéissent à des systèmes de régulation homéostasique aujourd’hui bien connus
et se traduisent par les besoins au service de la conservation de l’individu. Les
autres comme la sexualité sont étayées par des systèmes neuro-hormonaux, aussi
3 "Tout cela ",!et le reste!... Je n'ai pas mentionné par exemple la participation des phénomènes immunitaires,!ni
les aspects métaboliques pourtant fondamentaux!...!!
10
bien connus, et se traduisent par les désirs au service de la conservation de
l’espèce.

À ces besoins et désirs correspondent des états mentaux “ affectifs “ étroitement
liés à des patterns (ou modules) comportementaux pré-programmés selon le
code génétique de chaque espèce et selon les modalisations épigénétiques, où la
culture joue un rôle majeur dans l’espèce humaine.

La biologie peut donc aujourd’hui nous renseigner sur la machine cérébromentale
: les systèmes motivationnels (à la base des états toniques), les
structures d’éveil et de préparation à l’action et les patterns propres à chaque état
affectif (particulièrement les états phasiques) mais cela dans une perspective
générale, potentielle et compétentielle, et donc hors-histoire et hors-contexte
singuliers.

Ajoutons qu’en dehors des apports aux connaissances neuro-physiopathologiques
un des intérêts majeurs des recherches biologiques
contemporaines a été la mise au point des molécules psychotropes :
antidépresseurs et tranquillisants dont l’utilité, mais aussi l’usage parfois abusif
sont des données évidentes et qui dépassent les pratiques thérapeutiques pour
constituer un fait de société.

0.3.2 – Approches éthologiques : les aspects comportementaux

Si, comme pour certains, l’éthologie est définie comme “ biologie du
comportement “ , alors elle devrait se situer dans le paragraphe précédent. Mais
l’éthologie correspond plus précisément à l’étude objective des comportements
naturels (vs provoqués expérimentalement) observés sur le “ terrain “ , c’est-àdire
dans le cadre de vie habituel des animaux. L’éthologie appartient donc à la
branche “ historico-naturelle“ de la biologie, elle est proche parente de
l’écologie et de la zoologie ; elle débouche naturellement sur les aspects
comparatistes, et phylogénétiques ; elle tient compte de l’histoire et du contexte.
Son apport sera mentionné à diverses reprises et ce n’est pas un hasard si le livre
de Darwin ; L’expression des émotions chez l’homme et les animaux (1872) est
considéré comme l’un des premiers travaux inauguraux de l’éthologie comparée.
Il aboutit à une conception adaptative et évolutive qui sera reprise
ultérieurement.

Pour l’instant, nous mentionnerons quelques données de l’éthologie susceptibles
de guider notre réflexion sur les émotions.
(a)D’abord, le fait que les comportements des animaux révèlent une grande
richesse de la vie émotionnelle tant qualitativement que quantitativement.
Les mammifères, en particulier ceux qui nous sont familiers (chiens – chats) ou
proches (Primates), manifestent sans aucun doute des patterns comportementaux
spécifiques de la colère, de la peur, de la surprise, de la tristesse et de la joie.
11
Ils sont capables de contracter des liens amicaux, et évidemment éroticoamoureux.
Certains sont capables aussi d’entretenir des relations d’hostilité
personnalisée, d’inimitié, et de se coaliser pour mettre des rivaux en échec.
(b) Dans les espèces sociales, l’expression des émotions comme l’avait déjà vu
Darwin, est intégrée dans les systèmes de communication propres à chaque
espèce. Ceci a été bien confirmé par Lorenz et les nombreux éthologues
spécialistes des communications animales (J. Coulon, 1982).

La ritualisation des expressions émotionnelles sert à la régulation de la vie
sociale. Ainsi sont ritualisées les prises de contact, les négociations des rapports
de dominance et de soumission, les réconciliations, la gestion de l’agressivité et
de la sexualité, la coopération etc.

(c) Selon les espèces, existent des liens affectifs interpersonnels de plusieurs
types :

liens entre mère – enfants (attachement) ;
liens entre mâles et femelles (liens sexuels monogames ou polygames selon les
espèces) ;

liens entre femelles ;
liens entre mâles ...

Pour la plupart, ces manifestations sont sous la dépendance :
-de la génétique de l’espèce : les différents types de comportements et leurs
répertoires sont programmés héréditairement (même si leur mise en place est
épigénétique, c’est-à-dire se met en place au cours des interactions avec
l’environnement, en particulier l’environnement social).

-de l’état physiologique actuel de l’animal : ainsi les comportements sexuels
dans les espèces saisonnières n’apparaissent qu’au moment où un équilibre
endocrinien spécifique sera atteint, provoquant ce que nous avons appelé
l’érotisation (différente de la sexualisation qui désigne l’acquisition des organes
et caractères sexuels). Le phénomène du “ rut “ chez la femelle est, à cet
égard, caractéristique : dans la plupart des espèces la femelle ne devient
amoureusement réceptive que lors de la période ovulatoire.

(e) Les comportements émotionnels et les états motivationnels sont donc chez
les animaux un élément fondamental des régulations individuelles de l’action, et
par leur expression ritualisée, un élément fondamental de l’organisation et de la
régulation de la vie sociale.

Sans émotions, pas de communication, et sans communication, pas de sociétés !
Remarquons que, dans la mesure où l’éthologie est une science de terrain, elle
permet une approche beaucoup plus contextualisée que la Biologie traitée dans
le paragraphe précédent, mais notons aussi qu’elle traite des comportements
émotionnels et non directement des affects. Les aspects subjectifs lui sont
forcément étrangers.

Utilisée dans l’étude de l’espèce humaine, l’éthologie est particulièrement
attentive aux comportements non-verbaux et au rôle du corps dans les
interactions quotidiennes. Les notions d’expressivité faciale, de régulation
12
interactionnelle, d’organisation verbo-viscero-motrice et d’analyseur corporel
que nous aurons l’occasion de discuter ultérieurement sont en grande partie
issues des travaux éthologiques ;
0.3.3 – La métapsychologie psychanalytique : les aspects subjectifs
La psychanalyse, au contraire de l’éthologie, ne traite guère des
comportements, mais plutôt des " affects ".

Il y sera fait allusion à plusieurs reprises. Envisageons ici la question à un
niveau général. Freud, dès le début de son travail dans les années 1890 à
1900, est confronté aux " affects ". Il soigne alors (souvent en collaboration,
et/ou sous la direction de son ami et maître Breuer) des
" hystériques ", généralement jeunes femmes de la bourgeoisie viennoise
présentant différents troubles somatiques (" conversions hystériques ") associés
à des problèmes de mal-être sentimentaux. La thérapie est à cette époque très
inspirée par l'hypnose et par la suggestion, et Freud découvre (avec Breuer)
que, si l'on arrive à provoquer chez ces malades des crises durant lesquelles elles
revivent des scènes traumatiques oubliées, la remémoration de ces
représentations et la reviviscence des affects qui leur sont liés permettent une
abréaction et la disparition des symptômes : les affects " coincés " se
déchargent ...

À partir de ce modèle initial, Freud étend sa conception aux autres névroses et
reconnaît trois mécanismes de transformation des affects : le blocage qui
accompagne le refoulement des représentations et leur conversion en symptôme
somatique, le déplacement sur une représentation substitutive dans les
obsessions et les phobies, le flottement par déliaison et transformation en
angoisse dans la névrose d'angoisse et la mélancolie.

D'autre part, en raison de ses essais de théorisation initiaux (appuyés sur des
métaphores neuro-biologisantes), Freud considérait que l'affect était un
représentant de la pulsion mais liait ce concept à un aspect quantitatif : il utilisait
le terme de " quantum d'affect " pour rendre compte de la mise en tension de la
libido, " lorsque celle-ci s'est détachée de la représentation et trouve une
expression adéquate à sa quantité dans des processus qui nous deviennent
sensibles comme affects ". L'affect, dans cette conception, serait l'aspect
subjectif de la quantité d'énergie pulsionnelle. Quand la décharge de cette
énergie pulsionnelle est impossible, alors la quantité mise en tension est
transformée en angoisse (par exemple, dans les cas " simples " de la névrose
d'angoisse).

Retenons donc que, dans cette période première de la psychanalyse, Freud
découvre à la fois le rôle des représentations, du refoulement de ces
représentations et des affects qui leur sont liés. Dans les thérapies, il souligne
que le malade décrit ce qui lui est arrivé de façon détaillée en donnant à son
13
émotion une expression verbale , mais ajoute : qu' un souvenir dénué de charge
affective est presque totalement inefficace .

Les mécanismes de défense qui s'opposent à la réminiscence luttent contre la
reviviscence d'" affects de honte, de remords, de souffrance ".

La pulsion a, dans ces conceptions, deux représentants psychiques : la
représentation et l'affect. La " guérison " se fera par verbalisation de la
représentation refoulée et la requalification affective de cette représentation. Il y
aurait : représentation de chose + affect —> reliaison à la représentation de
mots.

En résumé : le refoulement s'opère sur la représentation de chose, et l'affectselon
les cas, se transforme en angoisse, se déplace, ou est réprimé.L’angoisse peut
prendre valeur de signal, d'origine interne, fantasmatique, comme la peur est un
signal de danger,.

Un autre aspect de la théorie psychanalytique concernant les affects, c'est le
fameux double principe de " plaisir-déplaisir " : l'ensemble de l'activité
psychique a pour but d'éviter le déplaisir et de procurer du plaisir. Or, le
déplaisir est lié à la mise en tension de l'excitation, et le plaisir à la décharge de
l'excitation. Cet axe hédonique du fonctionnement mental est donc un axe
" économique ".

En 1973, A. Green a consacré à l’ensemble de ces conceptions, freudiennes et
post freudiennes, une étude critique très détaillée. Il aboutit à la conclusion que
l'affect serait clivé sur deux versants :

- corporel, surtout viscéral ;

-psychique avec deux aspects : (a) activité auto-perceptive correspondant à la
perception des mouvements corporels ; (b) activité évaluative correspondant aux
sensations de plaisir/déplaisir.

Ainsi, pour cet auteur (comme pour Freud), l'affect va du corps au
psychisme, " l'affect est regard sur le corps ému " (Green p. 231), et l'aspect
qualitatif devient essentiel car c'est lui qui permettra au Moi en vertu du principe
de plaisir/déplaisir d'accepter ou non cet affect, et en cas de non acceptation, de
le repousser dans l'inconscient.

Cette revue schématique, appelle quelques remarques complémentaires.
La psychanalyse est née, comme je l'ai rappelé plus haut, dans l'abréaction des
patients hystériques avec réminiscence de représentations et reviviscence
d'affects.

Mais à partir de là, Freud, pour des raisons à la fois théoriques mais aussi
probablement d’inclination personnelle, a privilégié délibérément l'aspect
" réminiscence de représentations ", au détriment de " reviviscence des affects ".
La position allongée, la primauté accordée à la " mentalisation ", le passage
obligatoire par la verbalisation sont des expressions manifestes de son choix.
Bien sûr, les " affects " ont conservé une place dans la théorie
psychanalytique, place nécessaire pour que le " discours " reste " vivant ". Mais
à condition qu'ils veuillent bien passer par le traitement parolier

------------------

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C.

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