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Académie pontificale des sciences 

Une des dernières grandes réalisations de Pie XI fut l'institution de l'Académie pontificale des sciences. Elle succéda à l'Academia dei Lincei (Académie des Lynx) fondée en 1603 à Rome par Federico Cesi. Galilée, avant sa condamnation, en fut membre. Ce fut la première académie moderne, dont le fonctionnement inspira les fondateurs de la Royal Society de Londres et ceux de l'Académie des sciences de Paris. Mais elle ne survécu pas à son fondateur. Elle revécut au XIXe siècle et, en 1847, Pie IX donna un statut officiel à la Pontificia Accademia dei Nuovo Lincei : ses membres (des titulaires résidant à Rome) avaient pour mission de promouvoir l'étude, le progrès et le développement des sciences, à l'exception de la théologie et des sciences morales, médicales ou politiques. Ils formaient un conseil chargé d'éclairer le pape sur les grandes questions scientifiques, plutôt qu'une société savante. Sa première mission fut d'introduire le système métrique à Rome et dans les États pontificaux. 

Après l'occupation des États pontificaux et de Rome, l'Académie des nouveaux Lynx entra en sommeil. Sauf dans deux domaines, l'astronomie (en lien avec l'observatoire du Vatican) et les mathématiques, l'Académie connut pendant près d'un demi siècle, «un marasme semblable à la mort», devait dire le P. Gemelli. Sous Benoit XV, un nouveau président fut nommé, le P. Giuseppe Gianfranceschi. Il avait proposé une réforme complète de l'Académie. La mort de Benoit XV empêcha la réforme d'être engagée. Devenu pape, Pie XI demanda au P. Gianfranceschi un rapport détaillé. Ensuite, il procéda par étape. 

En 1923, il installa l'Académie des Lynx dans de nouveaux locaux, une somptueuse villa Renaissance au coeur des jardins du Vatican, la Casina del Boschetto. Puis, d'authentiques savants, issus des facultés catholiques comme des universités d'État et appartenant à diverses disciplines, furent recrutés : l'italien Marconi, prix Nobel de physique en 1909, les Français Branly, Picard et de Broglie, le Franco-Américain Carrel, l'Autricien Graff, d'autres encore. 

Pie XI avait affirmé dès le début le souhait de voir siéger des non catholiques dans l'Académie. Cette ouverture d'une Académie pontificale à des non catholiques et même à des non chrétiens peut surprendre de la part d'un pontife aussi attaché à défendre l'orthodoxie de la doctrine. Mais Pie XI ne souhaitait pas établir une Académie «catholique» mais un haut lieu de recherche de la vérité telle qu'elle peut commencer à apparaître à qui scrute la création et ses mystères. Pie XI dans ses discours aux savants et aux intellectuels a toujours insisté sur la possibilité de parvenir à Dieu par la contemplation et l'étude de l'univers visible. 

Comme le remarque Régis Ladous : «Certes, la théologie naturelle n'est qu'une première étape et comme une introduction à la connaissance de Dieu par la foi. Mais l'on peut reconnaître avec certitude, dans la nature et tout ce qu'elle renferme, l'existence d'un Être distinct du monde et créateur du monde. Et ce créateur accessible à l'intelligence humaine n'est autre que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Voilà qui fonde en partie l'admiration de Pie XI pour ceux qui cherchent la vérité dans l'étude scientifique de la nature, même quand ils ne sont pas catholiques».

C'st ainsi que Pie XI «imposa» sa volonté en nommant dans les années 30, trois non catholiques, tous trois mathématiciens : le Grec Constantin Caratheodory, professeur à l'université de Munich, de religion orthodoxe, le Suédois Mittag-Leffler, de religion luthérienne, et l'Italien Tullio Levi Civita, professeur à l'université de Rome, de religion juive. L'annonce de la prochaine nomination des deux derniers provoqua des remous au sein de la vénérable Académie. Pie XI convoqua un des plus anciens membres de l'Académie, Giuseppe Martinelli, physicien, et lui expliqua qu'il entendait rassembler les savants les plus illustres de tous les pays, de toutes religions et de toutes races afin de rendre hommage à la Chaire de la Vérité et d'instaurer un «Magistère de la science» que le «Magistère de la foi» pourrait consulter. 

Par le Motu proprio De Pontificia Academia scientarum, en date du 28 octobre 1936, l'ancienne Académie pontificale des Nuovi Lincei était transformée en «Académie pontificale des sciences». La nouvelle Académie compterait soixante-dix membres. Pour bien montrer la très haute considération dans laquelle le pape tenait la nouvelle institution, le nombre des nouveaux académiciens correspondait à l'effectif du Sacré Collège des cardinaux. Ce symbole s'ajoutait au parallélisme établi précédemment entre le Magistère de la science (celui de la nouvelle Académie) et celui du Magistère de la foi (la propre autorité du pape et son magistère doctrinal). Le P. Gemelli fut confirmé par Pie XI à la tête de la nouvelle Académie. 

Beaucoup de nationalités étaient représentées. Mais ces ouvertures ne signifiaient pas que la réputation scientifique avait suffi pour être admis dans ce que Pie XI avait appelé un «sénat scientifique». Le nom de P. Teillhard de Chardin avait été proposé par Gemelli, il fut écarté à cause de ses thèses hardies sur les origines de l'homme et sur l'évolution. Un autre savant, le physicien russe Lazareff, avait été proposé par Levi Civita : il fut écarté parce que Pie XI le soupçonnait d'être un élément actif du régime soviétique. Autre savant proposé par Gemelli : l'Indien Chandrasekhara Venkata Raman, prix Nobel de physique 1930. Pie XI ne retint pas son nom parce qu'il était hindou. L'ouverture religieuse de Pie XI avait ses limites : il lui semblait impossible de chercher la vérité dans la Création si on était adepte d'une religion qui ignorait l'idée même de création. 

L'inauguration avait été fixée au 6 février 1937, quinzième anniversaire de l'élection de Pie XI. 

[...]

Six mois plus tard, Pie XI venait présider en personne la séance annuelle d'ouverture de l'Académie pontificale. En même temps, un hommage était rendu à Marconi, disparu quelques mois plus tôt. Le régime fasciste avait célébré, à travers le savant disparu, le génie de l'italianité. Pie XI, pour contredire cette tendance grandissante du régime qui, nous le verrons, souhaitait forger une «conscience raciale», demanda à un savant norvégien, Bjerknes, de prononcer en allemand, un éloge de Marconi (et il ne fut pas question une seule fois de l'italianité) puis lui-même évoqua Marconi, soulignant ce que ses travaux devaient au théoricien de la TSF Heinrich Hertz, qui était juif. En Allemagne, la famille de Hertz était réduite à la misère et était persécutée à cause de sa race, par le régime hitlérien. En pleine séance de l'Académie pontificale des sciences, le P. Gemelli présenta au pape un manuscrit de Hertz. Le pape allait l'acheter et la somme serait envoyée en Allemagne à sa famille. 

Cette séance du 30 janvier 1938 devait être décryptée : elle était emplie de signes de contestation des nouvelles orientations du fascisme. 

Le syllabus antiraciste

L'année 1938 allait être celle de la confrontation entre le régime fasciste et le Saint-Siège sur un point nodal : la question raciale. Pourtant cette année avait semblé commencer sous les meilleures auspices. En janvier, eut lieu la distribution des récompenses pour la «bataille du blé» engagée par le régime fasciste. Le clergé italien avait participé à cette «bataille» qui visait à rendre l'Italie autonome dans son approvisionnement en céréales et qui avait été un succès. Il y eut donc des réunions solennelles au palais de Venise et au Vatican. Mussolini devant un groupe important d'évêques et de prêtres, s'était réjoui : «Cette réunion est un événement rendu possible grâce à un autre événement, d'une immense portée, qui verra bientôt son dixième anniversaire : la conciliation de l'Italie et du Saint-Siège, qui fut voulue par tant de fermeté par le souverain pontife ... Ainsi, les relations entre l'État et l'Église ont été placées sur le terrain d'une cordiale collaboration, qui a donné ses fruits et qui en donnera toujours davantage.»

Depuis le Vatican, Pie XI répondit à ce discours par des paroles très chaleureuses : «Nous avons eu l'occasion d'entendre d'une bouche éminemment autorisée, des paroles vraiment bien rassurantes et bien confiantes en l'avenir que Dieu semble vouloir nous accorder. C'est bien la vérité, quand on dit que Nous avons voulu le grand bienfait de la Conciliation, que tous reconnaissent maintenant. Et l'on exprime une idée souverainement consolante et rassurante, quand on dit que par ce grand acte et les autres, qui l'ont accompagné ou complété, on veut fermement, véritablement, conserver la foi. 

Mais cet échange de compliments et la cordiale collaboration dont se félicitait Mussolini masquaient une divergence de fond qui allait grandissant. A partir de l'année 1937, se développa dans l'Italie fasciste une idéologie raciale qui, jusque là, lui avait été largement étrangère. Cette année-là, Giulio Cogni, universitaire italien, avait publié Il Razzismo, un ouvrage ou il exposait les principes du racisme germanique et cherchait à les transposer à l'Italie. L'ouvrage, avec une rapidité inhabituelle, avait été mis à l'index.  

Cette nouvelle tendance dans l'Italie fasciste n'avait pas échappé à Pie XI qui la reliait aux rapprochements toujours plus éclatants de Mussolini et d'Hitler en matière de politique étrangère. En avril 1938, le Conseil des ministres italien approuvait un projet de loi qui visait à établir un «Institut pour la bonification humaine et l'orthogénèse».

Ce même mois, Pie XI faisait envoyer à toutes les universités et instituts catholiques du monde une condamnation des thèses raciales. Le document trouve son origine dans un projet de condamnation du racisme, de l'ultranationalisme, du totalitarisme et du communisme préparé par le Saint Office en 1936. Ce qu'on a appelé le «Syllabus antiraciste» est daté du 13 avril 1938. Le document était composé de huit propositions condamnées.

1, Les races humaines par leurs caractères naturels et immuables sont tellements différentes que la plus humble d'entre elles est plus loin de la plus élevée que de l'espèce animale la plus haute. 

2. Il faut par tous les moyens conserver et cultiver la vigueur de la race et la pureté du sang. Tout ce qui conduit à ce résultat est, par le fait même, honnête et permis. 

3. C'est du sang, siège des caractères de la race, que toutes les qualités intellectuelles et morales de l'homme émanent comme de leur source principale. 

4. Le but essentiel de l'éducation est de développer les caractères de la race et d'enflammer les esprits d'un amour brûlant de leur propre race comme un bien suprême. 

5. La religion est soumise à la loi de la race et doit lui être adaptée.

6. La source première et la règle suprême de tout l'ordre juridique est l'instinct racial. 

7. Il n'existe que le cosmos ou l'univers, être vivant : toutes les choses, y compris l'homme ne sont que des formes diverses s'amplifiant au cours des âges de l'universel vivant. 

8. Chaque homme n'existe que par l'État et pour l'État; tout ce qu'il possède de droit dérive uniquement d'une concession de l'État. 

Ces propositions si détestables devaient être réfutées avec solidité et compétence par les professeurs des universités et instituts catholiques, qui devaient «appliquer tous leurs efforts et leurs activités à défendre la vérité contre l'envahissement de l'erreur». 

Cette première déclaration solennelle de l'Église sur le racisme, datée du 13 avril, sera rendue publique le 3 mai 1938, c'est à dire le jour même ou Hitler arrivait à Rome pour une visite officielle à laquelle le régime fasciste donnait un grand relief. La coïncidence n'était pas fortuite. Il y avait de la part de Pie XI la volonté de s'opposer frontalement à ce qu'il estimait le coeur de la doctrine du national-socialisme.


Source :Yves Chiron, Pie XI, p. 380

Saint Thomas d'Aquin au goût du jour

Lire saint Thomas d'Aquin est désormais considéré comme vieux jeu, comme si le monde avait réellement changé, comme si la nature humaine était réellement différente de nos jours parce qu'on gave l'homme d'écrans et de technologies et qu'on rêve de l'installer dans l'espace. Pourtant la nature humaine est immuable et si l'individu peut changer, s'améliorer, s'élever, l'humanité comme telle n'a pas vu son essence changer au fil des derniers siècles. Alors oui, saint Thomas d'Aquin penseur de la Cité, du bien commun politique, reste tout aussi pertinent en 2023 qu'il y a deux ou trois cent ans. Le fait qu'on l'ait délaissé, remplacé par les Charles Taylor et Will Kymlicka, en dit plus long sur notre société que la pensée du saint docteur. 

En 2023, se plonger dans l'oeuvre de saint Thomas d'Aquin, élaborée au XIIIe siècle, peut se révéler ardu. Sa lecture est plus complexe que les pages du journal Métro et bien de nos contemporains, même ceux qui ont reçu diplômes et attestations d'études de nos universités, trouveraient l'exercice difficile et peineraient en déchiffrant les textes à conceptualiser la vision et le message transmis par l'auteur. C'est pour pallier cet obstacle que le Père Jean-Dominique, O.P. vient de publier Le bien commun joie commune, une courte somme de la pensée de saint Thomas, abordant notamment la définition de ce bien commun qui serait l'objectif de toute cité politique, mais aussi son application concrète et sa mise en perspective par rapport à d'autres penseurs comme Nietzche, qu'évidemment le saint docteur ne pouvait pas critiquer lui-même. 

Sans entrer dans les détails, l'ennemi principal, et ce, depuis la chute de Lucifer, reste le libéralisme, négateur de Dieu, mais aussi négateur de la communauté au profit des individus atomisés. La patrie n'est pas un concept flou ou abstrait, mais la base de la cité, en d'autres mots, la pierre d'achoppement de la société. 

Il convient aussi de sortir du piège laïc et de remettre Dieu au coeur de nos préoccupations, l'existence de la cité devant chercher à élever l'homme. La société doit tirer vers le haut et non pas s'abaisser au plus petit dénominateur commun.

Le livre se lisant aisément et ne requérant aucune formation philosophique, il est conseillé à tous ceux intéressés par la politique, au sens noble du terme. Il s'agit d'un digest, allant bien au-delà des simples aphorismes qui pourraient être pris hors-contexte et mal-interprétés, un piège contre lequel met d'ailleurs en garde le Père Jean-Dominique.

Père Jean-Dominique, O.P., Le bien commun joie commune, Éditions de Chiré, 2022, 222 p.  


Source : Marie Groulx, «Saint Thomas d'Aquin au goût du jour» dans Le Harfang, volume II, numéro 4 (été 2023)