Les églises et le mariage pour tous

Éric Werner

Le mariage pour tous est à l’ordre du jour. Les églises elles-mêmes se disent désormais intéressées. Certaines d’entre elles ont plus ou moins déjà franchi le pas, en instituant des «bénédictions» pour les couples homosexuels. On le voit par exemple en Suisse romande, où le journal protestant, pour illustrer le sujet, a récemment publié la photo d’un couple d’hommes nus en train, apparemment, de faire l’amour.

Chacun sait que la Bible est hostile à l’homosexualité. La condamnation de l’homosexualité ne se rencontre pas seulement dans l’Ancien mais également dans le Nouveau Testament (st Paul).



Pour en venir à légitimer le mariage pour tous ou son équivalent, les responsables d’églises sont donc obligés de contourner ces textes, ce qu’ils font de diverses manières, soit en les minimisant, soit en les réinterprétant, réinterprétation qui elle-même peut prendre plusieurs formes. La plus courante consiste à relativiser de telles condamnations en les considérant comme reflétant un certain état de choses social et/ou culturel, état de choses aujourd’hui dépassé. On serait donc en droit de les considérer elles-mêmes comme obsolètes. La formule rebattue «il faut vivre avec son temps» résume bien cet état d’esprit. La volonté d’alignement s’affiche ici sans fausse honte.



On peut aussi, plus subtilement, recourir au raisonnement par analogie. En substance on dit: il en est de la condamnation biblique de l’homosexualité comme des interdits alimentaires de l’Ancien Testament. L’Évangile affirme que ces interdits sont sans importance, il s’en est donc affranchi. Il en va de même de la condamnation de l’homosexualité. Elle aussi est sans importance. En l’absolutisant, comme on aurait parfois tendance à le faire, on contreviendrait à l’esprit même de l’Évangile, qui ne cesse d’opposer le nouveau à l’ancien. Le nouveau, en l’occurrence, ce serait le mariage pour tous. On retombe ici sur l’argument précédent.



Il est tout à fait vrai que l’Évangile oppose le nouveau à l’ancien. On ne se trompe pas en le disant.


Encore importe-t-il de le lire de près. Au chapitre X de l’Évangile de Marc (des quatre Évangiles celui où l’opposition entre le neuf et l’ancien est peut-être la plus soulignée: elle articule l’ensemble de l’ouvrage, en dessine le plan d’ensemble), l’auteur explique très bien en quoi, selon lui, l’Évangile est novateur. Il est novateur essentiellement dans deux domaines: celui de la sexualité, d’une part, du rapport à l’argent de l’autre.

Celui de la sexualité d’abord. L’auteur affirme, en effet, l’indissolubilité du mariage. L’ancienne loi juive admettait au contraire la possibilité du divorce. Désormais cette possibilité est exclue: «Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni». Celui du rapport à l’argent ensuite. Les riches sont invités non seulement à faire l’aumône, comme le recommande la morale courante, mais à distribuer tous leurs biens aux pauvres. C’est à cet endroit qu’on rencontre la célèbre métaphore du trou de l’aiguille: «Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu». 

Tels sont les deux domaines en lesquels l’Évangile se montre, au sens strict, novateur (notamment par rapport à l’ancienne loi juive). Mais s’il est novateur, ce n’est pas en allant moins loin qu’auparavant, mais au contraire plus loin! C’est là le point.

Dans son dernier livre, récemment paru, l’historien et sociologue Emmanuel Todd consacre tout un chapitre à ce qu’il appelle le «premier christianisme», chapitre en lequel il insiste sur le fait que si le christianisme a pu attirer, comme il l’a fait, autant de monde aux premiers siècles de notre ère, c’est en raison même de son «extrémisme» au double plan sexuel, d’une part, social de l’autre. Sexuel: la valeur donnée à l’abstinence, à tout le moins à une certaine retenue dans ce domaine. On est «très loin», en tout état de cause, «d’une conception soixante-huitarde de la sexualité comme “libératrice”.» Social également: l’amour des pauvres. On retrouve ici le chapitre X de l’Évangile de Marc. Ce double «extrémisme» est la marque propre du christianisme, ce qui lui confère sa spécificité (au regard d’autres mouvements ou courants de pensée des premiers siècles de notre ère). C’est ce qu’il y a d’original en lui. Donc aussi de nouveau.


On ne saurait par conséquent se dire chrétien si l’on ne prend pas grand soin de ne pas se laisser piéger par la sexualité, d’une part, par l’argent et les richesses de l’autre. C’est à cela, d’abord et avant tout, qu’on est invité à croire (au sens, oui, tout à fait, du credo). On croit ou non au reste. Mais ce n’est pas cela d’abord (le reste) qui définit le chrétien. Ce qui le définit d’abord, c’est ce qu’on vient de dire.

Bref, on a le droit de réinterpréter les textes, mais dans certaines limites seulement. Il faut en particulier que l’interprétation proposée s’accorde avec l’inspiration d’ensemble de l’Évangile, à ce qui lui confère sa marque, sa spécificité propre. Autrement on n’interprète pas les textes, on les trahit.




 Ce qui condamne le mariage pour tous, ce ne sont pas les condamnations bibliques de l’homosexualité. Elles sont sans grande importance. Les fondamentalistes littéralistes se trompent en pensant le contraire. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’on peut les faire passer par profits et pertes. Mais presque. La comparaison avec les interdits alimentaires se justifie, de ce point de vue, pleinement. C’est autre chose, en fait, qui est en cause. Il faut élargir le débat.


Ce qui, fondamentalement parlant, est en cause, c’est le rapport à la sexualité en général. L’Évangile nous met en garde contre tout assujettissement dans ce domaine. Nous sommes invités à prendre nos distances, à la limite à renoncer à la sexualité. Inutile de dire qu’un tel discours est aujourd’hui totalement inaudible.



Mais n’en déplaise aux responsables d’églises (qui en l’ignorant ou feignant de l’ignorer, en préférant, comme ils le font, sacrifier à l’air du temps, aux réquisits de l’idéologie dominante, achèvent de se discréditer, eux-mêmes en même temps que les institutions qu’ils représentent), c’est le discours chrétien.



Ce qu’avait bien compris, par exemple, Tolstoï en écrivant sa Sonate à Kreutzer. Il faut aujourd’hui relire ce texte magnifique et par ailleurs si actuel, qui dit bien ce qu’il faut penser de la sexualité dans une optique réellement chrétienne. (En plus c’est un texte féministe: chrétien et féministe. Autre raison encore de le relire).



On a naturellement tout à fait le droit, comme le font les responsables en question, d’avoir sur la sexualité les idées qui sont les leurs. Cela les regarde. Mais ce faisant ils tournent le dos au christianisme. Ils ont tout à fait le droit de le faire, éventuellement même, si le cœur leur en dit, de fonder une nouvelle religion (articulée sur les LGBT). Pourquoi non. L’État laïc tolère toutes les religions. Mais ils sont extérieurs au christianisme.

Cinci a écrit:Éric Werner :


 

Éric Werner

Le mariage pour tous est à l’ordre du jour. Les églises elles-mêmes se disent désormais intéressées. Certaines d’entre elles ont plus ou moins déjà franchi le pas, en instituant des «bénédictions» pour les couples homosexuels. On le voit par exemple en Suisse romande, où le journal protestant, pour illustrer le sujet, a récemment publié la photo d’un couple d’hommes nus en train, apparemment, de faire l’amour.