Occident : le sexe et rien d'autre

Peut-on mettre tout le monde dans le même panier? Mme von der Leyen représente-t-elle légitimement la volonté d’une majorité d’Européens? Certainement pas. La majorité pense-t-elle comme elle? Probablement pas. Comment se fait-il dès lors que Mme von der Leyen et la nomenklatura puissent régner sur tout notre continent sans opposition significative?




Un lecteur me reproche de dire «les Occidentaux» alors que quand je parle des «Occidentaux», je ne parle en fait que d’un très petit nombre d’individus, ceux qu’on appelle les décideurs, décideurs qui très souvent d’ailleurs aujourd’hui sont des décideuses: Mme Truss, par exemple, quand elle se disait «prête» (ready) à presser sur le bouton atomique, même si cela signifiait une annihilation totale, ou encore Mme Annalena Baerbock quand elle dit que ce que pensent les électeurs allemands de l’engagement allemand dans la guerre en Ukraine lui est «égal». Ou encore Mme von der Leyen qui plaide en faveur d’une comparution du président Poutine devant la «justice». C’est vrai qu’on ne peut pas généraliser. Ces gens-là ne représentent qu’eux-mêmes. On ne peut donc pas dire «les Occidentaux». Même pas «les Occidentales», encore que beaucoup d’Occidentales trouvent très bien que ce soient des femmes qui tiennent de tels propos plutôt que des hommes. Cela prouve au moins que l’égalité de genre n’est pas un vain mot.

Nos Valeurs 

C’est vrai. Et en même temps les choses ne sont pas aussi simples. Admettons que ces trois cruches ne représentent qu’elles-mêmes. Allons même jusqu’à admettre que quand on parle des «Occidentaux» en général, on ne sait en fait pas de quoi l’on parle: ne serait-ce que parce qu’on ne sait pas ce qu’il y a dans la tête des gens. Il n’en reste pas moins que les dirigeants ne cessent à journée faite de brandir ce qu’ils appellent les «valeurs», autrement dit les valeurs occidentales. C’est au nom desdites valeurs, par exemple, qu’ils encouragent, comme ils le font, les Ukrainiens à aller se faire trouer la peau à Kherson ou dans le Donbass. Il faut en tenir compte. On ne peut pas dire que les valeurs occidentales n’existent pas. Ou alors il faudrait admettre que les Ukrainiens qui sont morts à Kherson et dans le Donbass seraient morts pour rien. C’est inimaginable. Ou encore que nos propres dirigeants seraient des criminels: encore plus inimaginable.

C’est le président Poutine qui doit comparaître devant la justice, non bien sûr Mme von der Leyen qui défend les valeurs occidentales. Ou encore Mme Truss qui rêve de déclencher un jour l’Apocalypse.

On va essayer ici de défendre une position moyenne. Oui, absolument, les valeurs occidentales existent. Elles existent, et donc on ne peut pas dire que les Ukrainiens qui meurent aujourd’hui dans le Donbass meurent pour rien. Pour rien, non. Ils ne meurent pas pour rien. À l’évidence, ils meurent pour quelque chose. Pour quoi donc?

Les dirigeants disent: pour la démocratie. Il faudrait d’abord que l’Ukraine en soit une, de démocratie. On a quelques légers doutes à ce sujet. En plus, quand ils disent: pour la démocratie, on pourrait se demander si eux-mêmes croient un seul instant à ce qu’ils disent quand ils le disent. En fait non, autrement ils ne diraient pas en même temps, comme vient de le faire Mme Baerbock, que ce que pensent les électeurs allemands de la guerre en Ukraine leur est «égal». Car ce que dit Mme Baerbock, ils le pensent évidemment tous: tous sans exception. S’il y a quelque chose dont ils se tapent, c’est bien de la démocratie. La démocratie, je m’en tape. Voilà ce qu’ils pensent. Ils n’en ont rien à faire, de la démocratie.

Posons le problème autrement encore. Quelles sont aujourd’hui les grandes questions qui agitent les «Occidentaux»? Les grandes questions qui agitent aujourd’hui les Occidentaux tournent toutes autour du sexe (rebaptisé genre). En soi ce n’est pas nouveau. Cela renvoie à Mai 68 et aux mouvements d’idées de ces années-là. Sauf que maintenant, c’est devenu obsessionnel. On ne dira pas que le sexe est sans importance: sans importance, non. Il faut apprendre à vivre avec: le cas échéant, comme le voulait Freud, en le sublimant. Mais pas forcément. En ce sens, me semble-t-il, Mai 68 a plutôt été une bonne chose. On était plus libre après qu’avant. Cela étant, comme toujours, les humains passent d’un extrême à l’autre. Il n’y a plus aujourd’hui que le sexe qui compte. Suis-je homo ou hétéro? Cis ou trans? Binaire ou non binaire? Dieu est-il homme ou femme? Dans les médias officiels, c’est du matin au soir et du soir au matin. Et dans les écoles. Les enfants ne savent plus ni lire ni écrire, en revanche ils savent ce qu’est la GPA, la PMA, le mariage pour tous, etc. Le sexe comme matière obligatoire. On leur explique aussi comment changer de sexe: les opérations transgenres. Au passage, on observera qu’on ne peut pas changer de sexe. Les chromosomes mâles restent des chromosomes mâles et les chromosomes femelles des chromosomes femelles. Mais il ne faut pas surcharger les programmes.

Bref, c’est une erreur de dire que les valeurs occidentales n’existent pas. Bien sûr qu’elles existent. Ce sont celles qu’on vient de dire: les valeurs LGBT. C’est l’idéologie officielle de l’Occident. La contre-épreuve est vite faite. Essayez un peu aujourd’hui de critiquer le mariage homosexuel: non pas les homosexuels, je le précise, mais le mariage homosexuel. Ou encore les opérations transgenres. Dites par exemple que cela vous rappelle certains précédents: pas si anciens que ça, d’ailleurs. Pour qu’on vous comprenne bien, donnez quelques noms, des dates, etc. Vous verrez alors les réactions. En Suisse, un projet de loi a vu le jour visant à interdire aux homosexuels le droit de recourir à des thérapies de conversion (thérapies visant à les faire autres que ce qu’ils sont, littéralement à les «retourner»). Personnellement, je ne crois pas trop à ces choses. Mais si les intéressés ont envie de recourir à de telles thérapies, je ne vois pas au nom de quoi on les en empêcherait. Cela les regarde. En tout état de cause, à partir du moment où l’on tolère et même encourage les opérations transgenres, on voit mal comment on pourrait interdire les thérapies de conversion. Il faut être cohérent.

La faute à la censure? Pas seulement

Les voilà donc, les valeurs occidentales. Elles valent ce qu’elles valent, mais c’est un autre débat. 3000 ans de civilisation pour en arriver là, on peut effectivement se poser des questions.

Mais ce n’est pas le sujet. Le sujet, encore une fois, ce sont les morts en Ukraine: sont-ils morts pour rien ou non? Ou encore les raisons de l’engagement occidental en Ukraine. On dira qu’entre le mariage pour tous et l’Ukraine, on ne voit pas tellement le lien. Mais il y a toujours un lien. Au besoin, on le crée: en disant par exemple que le président Poutine persécute les homosexuels. Le président Poutine ne veut pas du mariage pour tous. C’est bien la preuve, n’est-ce pas, qu’il persécute les homosexuels. Et donc l’UE, l’OTAN, l’État profond américain, les trois cruches mentionnées plus haut et le G7 sont complètement fondés et justifiés à lui faire la guerre, et une guerre totale.

Au passage, je voudrais aussi répondre à ceux qui disent que s’il n’existe aujourd’hui aucun mouvement de résistance à l’OTAN et à l’hégémonisme américain en Europe, ce serait parce que tout serait verrouillé et contrôlé. C’est certainement un élément d’explication, mais non le seul. Je ne suis pas sûr que si l’on déverrouillait demain ce qui aujourd’hui est verrouillé, les choses en ce domaine changeraient tellement. À mon avis, non. Le problème est plus profond. En partie au moins, il réside dans le fait que les organisations anti-OTAN n’arrivent pas à s’unir entre elles pour mener un combat commun. Cela n’a rien à voir avec le verrouillage des médias et de l’espace public. Bien sûr que tout cela est verrouillé. Mais si en plus les opposants s’anathémisent mutuellement ou même tout simplement ne font que s’ignorer, comme c’est le cas par exemple en France, on ne se fait pas du bien à soi-même.

En Allemagne, la coalition actuellement au pouvoir est très divisée sur ces questions. Les écologistes sont sur une ligne ultra-atlantiste, belliciste et wokiste, mais nombre de socialistes, leurs partenaires au sein de la coalition, sont beaucoup plus réservés. Toute une aile de la SPD reste fidèle à l’ancienne ligne du parti, celle de l’ouverture à l’Est (Ostpolitik). D’une manière générale, si l’on faisait aujourd’hui voter les Allemands sur ces questions, il n’est pas sûr que le parti proaméricain serait majoritaire. Pour beaucoup, en Allemagne, à droite comme à gauche, l’ennemi prioritaire n’est pas la Russie, mais bien les États-Unis.

La récente destruction en mer Baltique par les États-Unis des gazoducs Nord Stream 1 et 2 n’a pu bien évidemment que renforcer encore ce sentiment. Mais là encore, les gens doivent apprendre à se parler. Entre l’AFD anti-atlantiste à droite et les éléments qui, au sein de la SPD à gauche, sont hostiles à l’alignement inconditionnel de l’Allemagne sur les États-Unis, des ponts sont encore à construire.

• Article de Eric Werner paru dans la rubrique «Enfumages» de l’Antipresse n° 359 du 16/10/2022
  

A l’heure où le drapeau LGBT, emblème d’une infime minorité sexuelle, flotte sur les bâtiments officiels, on peut s’interroger sur ce que nous avons encore de commun avec des dirigeants qui nous imposent de telles «valeurs». A quelle cité, au fond, devons-nous encore allégeance?


Pour avoir promulgué une loi pénalisant la propagande homosexuelle dans les écoles, le premier ministre hongrois vient de se faire rappeler à l’ordre par la présidente de la Commission européenne. Une telle loi, a-t-elle dit, va «à l’encontre des valeurs européennes». Elle ne dit pas explicitement que les valeurs européennes ne font qu’un avec l’idéologie LGBT, mais elle n’en sous-entend pas moins que si l’on n’adhère pas à cette idéologie, on n’est pas un bon Européen. C’est ça le critère. Soit l’on adhère à l’idéologie LGBT, soit l’on n’a rien à faire dans l’Union européenne. Voilà à quoi se réduit aujourd’hui l’Europe dans l’esprit des dirigeants: non seulement au sexe, mais au sexe LGBT.



C’est l’occasion une fois de plus de s’interroger sur les dérives actuelles du régime occidental, en même temps que sur l’attitude à adopter dans ce domaine. Il y a d’abord une question de fait (quid facti?): qu’avons-nous encore en commun avec Mme von der Leyen et ses pareils? Parlons-nous encore seulement la même langue? Mais au-delà aussi une question de droit (quid juris?): que faisons-nous encore dans le même bateau? N’est-il pas aujourd’hui temps de prendre des dispositions? En Suisse, certaines autorités ont récemment hissé le drapeau LGBT au fronton des édifices officiels. Là aussi cela soulève des interrogations. Qu’ai-je encore en partage avec ces personnels? Je ne dis pas que le sexe n’est pas important. Ce que je trouve étrange, en revanche, c’est qu’il occupe toute la place.

Nouveaux mantras, nouvelles incantations

Hannah Arendt définissait l’idéologie en disant qu’elle était logique de l’idée. En ce sens, l’idéologie LGBT est un peu au régime occidental actuel ce qu’était le diamat (matérialisme dialectique) au régime en place en Russie entre 1917 et 1989: le régime bolchevik. Dans un cas comme dans l’autre, l’État impose à l’ensemble de sa population un ensemble de croyances s’enchaînant entre elles sur le mode hypothético-déductif: si je dis ceci, il en résulte cela, et ensuite cela, etc. En Union soviétique, on enseignait le diamat dans les écoles et à l’Université, il en va de même aujourd’hui de l’idéologie LGBT: sauf que cette dernière est encore une idéologie en mouvement. Elle ne s’est pas encore figée en un corpus strict, comme c’était le cas du diamat. Concrètement, cela signifie que les limites sont repoussées toujours plus loin, au gré d’une lutte au couteau entre adeptes prêts à tout pour gagner le trophée du plus grand pas en avant. En même temps, on s’écarte toujours plus de la réalité

Tout cela, faut-il le rappeler, est lié à la jungle sociale. Certains se demandent si les idéologues croient eux-mêmes à leur propre idéologie. Ils n’y croient peut-être pas, mais s’ils n’y croient pas, à tout le moins doivent-ils faire semblant d’y croire. Ils y ont intérêt. Les non-idéologues aussi, d’ailleurs. Une étudiante écossaise vient ainsi de se faire exclure de son université, simplement pour avoir dit que les hommes n’étaient pas faits biologiquement comme les femmes. A l’étape suivante, ce sera l’internement psychiatrique.


Voilà où l’on en est aujourd’hui. Du régime occidental on dit volontiers qu’il se caractérise par certains traits «prétotalitaires». Le «pré» est évidemment de trop. C’est une litote. On ne peut même plus ici parler de totalitarisme «_soft_», comme on le dit aussi parfois. Les campagnes de dénonciation dans le style #MeToo n’ont rien en elles-mêmes de particulièrement soft. Ou alors les LBD le sont aussi.


Autre exemple. Les députés suisses ont décidé récemment d’autoriser les opérations chirurgicales sur des mineurs désireux de changer de sexe. Ici le point de comparaison n’est pas le bolchevisme, mais plutôt le nazisme. Si les nazis n’ont pas inventé la techno-médecine, ils l’ont en revanche beaucoup pratiquée. Plus fondamentalement encore, on pourrait parler d’_État criminel_. Un État autorisant les opérations chirurgicales sur des mineurs désireux de changer de sexe est à l’évidence un État criminel.