Dieu et le monothéisme primitif (Abbé de Broglié)
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Dieu et le monothéisme primitif (Abbé de Broglié)
Le monothéisme primitif est l’hypothèse la plus vraisemblable dans l’histoire de l’humanité. Dieu aurait communiqué son existence au tout commencement. Il est temps de découvrir la belle logique d’un texte du XIXe siècle magnifiquement inspiré de l’abbé de Broglié.
« III. – Monothéisme primitif. » tiré de « problèmes et conclusions de l’histoire des religions » par l’abbé de Broglié
« Ici se présente le troisième système que nous allons étudier, système qui, selon nous, résout la difficulté et qui montre clairement l’origine de l’incohérence et de la contradiction du paganisme le plus ancien. Ce système est bien simple : il consiste à supposer que l’origine de la religion dans l’espèce humaine a été semblable à la naissance de l’idée de Dieu dans chaque individu. Ici on nous permettra de quitter un instant le terrain de l’érudition, pour revenir aux réalités de la vie pratique, dont la connaissance peut nous être très utile, le cœur humain étant le même partout et nos aïeux étant des hommes semblables à nous.
Comment s’éveille l’idée de Dieu chez l’enfant ? II y a évidemment dans la formation de cette idée un élément subjectif. L’enfant a dans son âme des facultés, des aspirations, qui le préparent à comprendre et à accepter la notion d’un Père céleste. Sans cela ce serait en vain qu’on essayerait de la lui enseigner, les mots dont on se servirait ne seraient pas compris. Cette faculté religieuse est-elle bien définie par ces termes : intuition ou perception de l’infini ? N’est-ce pas une faculté plus complexe ? Ou plutôt l’âme de l’enfant ne touche-t-elle pas Dieu par plusieurs côtés, par plusieurs de ses facultés ? C’est la raison qui accepte et cherche une cause première ; c’est la conscience qui admet un législateur et un juge ; c’est le cœur qui se tourne vers le Père céleste et qui cherche un objet suprême d’amour. Quoi qu’il en soit, il y a dans l’âme tout un ensemble de dispositions qui la rendent religieuse, et la portent à recevoir l’idée de Dieu.
Mais ces dispositions ne se développent pas spontanément. Il leur faut, comme à toutes les facultés humaines, une excitation extérieure. D’où viendra cette initiation ? Est-ce de la nature physique ? À la rigueur cela pourrait avoir lieu. Il n’est pas impossible de supposer qu’un enfant à qui l’on n’apprendrait pas la religion serait excité par le spectacle de la nature à craindre et à invoquer une puissance suprême. Mais ce cas est très exceptionnel ; il est douteux qu’une idée claire de la divinité soit ainsi formée ; il est probable qu’une âme livrée à la seule influence de la nature n’éprouverait que des impressions vagues et des sentiments confus, et n’arriverait à aucune croyance déterminée. La véritable initiation à l’idée religieuse, l’initiation régulière, normale, naturelle, c’est la parole humaine, ou pour être plus exact, c’est la tradition. Sans doute, répétons-le encore, la parole serait vaine et sans écho, s’il n’y avait pas dans l’auditeur une faculté de percevoir, de sentir le divin, ou plutôt toute une série de puissances et d’aspirations qui ne peuvent être satisfaites que par l’idée de Dieu. Mais cette terre féconde de l’âme religieuse demande à être ensemencée par la parole. L’enfant pourra contempler longtemps l’océan, le soleil, l’orage ; il pourra sans doute être frappé d’admiration, il sera probablement saisi d’un sentiment de terreur superstitieuse, mais il ne croira pas en Dieu, il ne priera pas. Mais que sa mère s’approche de lui, qu’elle lui montre le ciel en lui nommant le Père céleste ; qu’elle lui apprenne à joindre ses mains et à ployer ses genoux, et tout aussitôt, l’idée religieuse, l’idée claire, simple, d’un protecteur céleste et d’un monde supérieur au monde visible se formera dans son esprit, et son cœur s’y attachera. C’est donc la tradition, c’est l’enseignement qui est la véritable initiation des âmes à l’idée religieuse. La religion que chaque génération humaine possède, lui vient en partie de son cœur, mais en partie aussi de la génération précédente. La foi se transmet de croyant en croyant, comme la vie de vivant en vivant. Ce qui prouve d’ailleurs cette vérité, c’est l’immense diversité des opinions religieuses dans le même pays, sous le même climat, en présence de la même nature, chez des peuples de la même race. Pourquoi, dans l’Inde, le musulman coudoie-t-il le brahmane ? Pourquoi, dans les vallées du Nil, les chrétiens d’Abyssinie se trouvent-ils au milieu de musulmans et de païens de même race ? C’est parce qu’ils ont reçu un enseignement différent, c’est parce que leur âme a été arrosée par une autre branche du fleuve de la tradition. S’il en est ainsi, il nous semble qu’on peut admettre, jusqu’à preuve du contraire, que ce qui a lieu pour l’homme a eu lieu pour l’espèce humaine, qu’elle aussi a reçu à ses débuts la religion par un enseignement provenant de quelque chose d’antérieur à elle.
Pour établir que la race humaine a reçu son initiation de la nature physique, tandis que l’individu la reçoit de l’enseignement traditionnel, il faudrait des preuves bien fortes ; il faudrait montrer que les premiers hommes n’ont pas pu être enseignés. Or, cette preuve n’est nullement fournie par les partisans du naturalisme primitif. Remarquons, en effet, que les défenseurs de cette doctrine ne disent pas que l’homme soit un animal perfectionné. Max Muller reconnaît dans l’homme une faculté religieuse spéciale, une perception de l’infini, que l’animal ne possède à aucun degré. Cela suffit à établir entre l’homme et l’animal un abîme, un intervalle brusque, qui n’est pas soumis à la loi de continuité. Cela étant, il y a eu des premiers hommes. Qu’ils aient été directement créés, ou qu’ils soient le résultat d’une transformation brusque ou d’une élévation faite d’un seul jet d’êtres inférieurs à la dignité humaine, il y a eu des premiers hommes. Dès lors, qui peut empêcher le Créateur d’avoir enseigné les premiers hommes, et, tout en leur conférant la faculté religieuse, d’avoir mis lui-même en mouvement cette faculté primordiale, par une impulsion du même ordre que l’initiation qui, dans le cours des générations postérieures, se fait par la parole des parents. Nous ne pouvons savoir de quelle espèce a été cette communication divine ; si elle a été la parole d’un être visible, ou une simple manifestation intellectuelle interne. L’état des premiers hommes qui n’ont pas eu de parents est absolument différent de tout autre et nous est inconnu (*).
Je ne puis comprendre par quel motif on déclarerait une telle communication impossible, et pourquoi on rejetterait la plus vraisemblable des hypothèses, celle que Dieu a servi de père au premier homme et qu’il a commencé lui-même cet enseignement qui devait se transmettre ensuite des parents aux enfants. Je comprends encore moins pourquoi l’on préférerait supposer que les premiers hommes aient été laissés en présence du terrible problème de l’invention de la religion, lorsque leurs descendants, qui ont de plus grandes ressources intellectuelles et morales, n’ont en règle générale qu’à la recevoir et à la conserver. J’ai encore plus de peine à admettre que, laissés ainsi à eux-mêmes, ou aidés seulement par le témoignage équivoque de la nature physique, nos premiers parents soient parvenus à découvrir ces vérités spiritualistes si élevées, que nous trouvons exprimées clairement et d’une manière unanime dans les antiques chants religieux de tous les peuples, et jusqu’à la hauteur desquelles il est rare que la philosophie des époques postérieures se soit élevée.
Nous pouvons donc admettre, ne fût-ce qu’à titre d’hypothèse, l’idée d’une révélation primitive. Or, cette hypothèse étant posée, il nous est facile de prouver qu’elle explique bien mieux que le naturalisme de Max Muller les idées religieuses étranges, bizarres et incohérentes des plus anciens peuples du globe. Si, en effet, c’est Dieu qui a instruit les premiers hommes, il a dû leur enseigner la vérité. La première idée de la divinité a donc dû être une idée vraie, celle de l’Être infini, parfait, tout-puissant, mais en même temps personnel et doué des attributs moraux de justice, de bonté, de miséricorde. Les premiers hommes ont dû également considérer ce Dieu comme la cause universelle de l’univers et comme supérieur à tout ce qui est visible. Sans doute, une telle idée contient une profonde philosophie, mais elle la contient sous une forme simple et familière, qui la rend accessible à des esprits non encore habitués aux subtilités de la pensée. L’expérience nous prouve que les enfants saisissent et acceptent aisément cette idée du vrai Dieu, du Dieu créateur.
Mais, dans la suite des âges, la communication primitive avec Dieu ayant cessé et ayant été remplacée par une tradition descendant des pères aux enfants, cette idée si haute a pu et a dû s’altérer. L’homme n’aime pas à adorer l’invisible ; comme le peuple juif au pied du Sinaï, quand son maître est caché dans les nuages, il cherche à se créer des dieux visibles qui marchent devant lui.
Il était naturel aussi que l’idée de création, si simple et si aisée à admettre, s’effaçât avec le temps et la réflexion. La création est un acte si différent de ceux que nous voyons habituellement, un acte dont le comment nous échappe si complètement, que nous sommes portés à lui substituer quelque idée plus familière à notre expérience. On conçoit donc aisément qu’une notion élevée, quoique simple, de la divinité, révélée à l’origine et conservée par tradition, ait pu s’altérer, avec le temps, et qu’un monothéisme primordial se soit transformé en cette notion plus vague que Max Muller a appelée l’hénothéisme, notion susceptible d’être transformée plus lard en polythéisme. Nous pouvons donc expliquer les faits de la même manière que M. Max Muller ; mais, au lieu de supposer que cette notion incohérente et contradictoire, qui s’applique à la fois à un dieu ou à plusieurs dieux, soit une notion primitive et spontanée, nous voyons en elle le résultat de la dégradation lente d’une notion simple primitivement révélée.
Quiconque lit avec attention les documents primitifs des vieilles religions est frappé de leur caractère contradictoire. C’est un dieu spirituel et élevé au-dessus du monde, puis ce sont des dieux matériels et visibles : le soleil, la lune, l’orage, les fleuves ; c’est un dieu unique, et ce sont des divinités multiples, c’est une divinité juste et vengeresse de la morale, et ce sont des dieux grossiers qui se repaissent de sacrifices ou dont on achète le secours. Dans notre hypothèse, cette contradiction s’explique ; le dieu unique, invisible, juste, le dieu de l’ordre moral, c’est le dieu de la tradition ; les dieux multiples et grossiers sont l’altération de la tradition, sous l’influence précisément de cette nature physique à laquelle l’école de Max Muller attribue la formation complète de la religion. Non, la nature physique ne crée pas la religion ; elle est, au contraire, bien souvent la cause de la corruption de l’idée religieuse. Sans doute, la nature bien interprétée raconte la gloire du Créateur, mais qu’il est facile de voir aussi en elle soit une force aveugle qui reste indifférente aux besoins de l’homme et qui ne s’inquiète pas du bien ni du mal, soit une multitude de principes en lutte les uns avec les autres. Les brillants phénomènes font naître l’idée de l’infini dans l’âme, mais ils attirent cette idée vers eux-mêmes, ils se revêtent des attributs de l’Être Suprême ; c’est un miroir qui reproduit la beauté divine, mais qui la multiplie et la déforme en la reflétant.
IV.
Ajoutons que cette idée d’un monothéisme primitif explique aussi bien l’origine de l’animisme que celle de l’hénothéisme, et que cet antécédent unique peut être considéré comme la source commune de ces deux formes si différentes du paganisme.
Ce qui, en effet, rend l’idée du Dieu créateur si difficile à conserver, c’est que cette idée dans son ensemble ne correspond à aucun type expérimental. C’est un être d’une nature toute différente de celle des autres êtres, qui n’est compris dans aucun genre.
La tendance de l’esprit humain doit donc être de rapprocher Dieu des êtres inférieurs, de le faire rentrer dans un genre.
Or cela peut avoir lieu de diverses manières.
On peut assimiler Dieu aux phénomènes visibles les plus éclatants, au soleil, aux autres astres, au ciel, aux montagnes, c’est alors prendre la figure et le signe pour la réalité. De cette tendance résultent le naturalisme et l’hénothéisme.
Mais à côté et au-delà du monde visible l’homme conçoit des régions obscures et inconnues. Ayant déjà l’idée de Dieu, sachant même par la tradition que Dieu est invisible, il peut transporter son adoration sur les causes inconnues de l’univers, sur des êtres invisibles et peu connus.
D’autre part, l’idée de génies, de démons, d’âmes parcourant l’univers, a pu exister, soit à l’état de tradition primitive, soit par une création spontanée de l’imagination.
Dès lors, assimiler l’Être invisible et le Créateur à l’un de ces Esprits, en faire l’Esprit suprême, le grand Esprit, l’Esprit du ciel, est une conséquence toute simple et toute naturelle des idées antérieures.
Par là l’Être infini s’étant abaissé, il devient possible de le multiplier ; à l’Esprit du ciel on peut opposer l’esprit des eaux, celui de la terre, celui des régions souterraines ; on peut leur donner le même caractère divin.
Ainsi se formera un polythéisme d’un autre genre, plus individuel et plus spirituel. Mais l’un comme l’autre sortiront de l’idée primitive du Dieu unique et infini combinée avec l’influence de la nature physique, avec les autres traditions primitives et avec les créations de l’imagination humaine.
Tous les faits historiques relatifs aux croyances les plus anciennes des peuples s’accordent donc avec l’idée du monothéisme primordial mieux qu’avec toute autre hypothèse.
II semble donc que d’attribuer à un enseignement primordial, fécondant les aspirations religieuses de l’homme, et conservé par tradition, l’idée première de la divinité suprême, et à la nature, jointe à l’imagination et aux passions de l’homme, la déformation de cette idée ; que de considérer comme provenant d’une source céleste le spiritualisme des anciens peuples, et d’imputer à l’action d’agents inférieurs et terrestres la gangue grossière qui enveloppe cet or pur, c’est interpréter les faits de la manière la plus simple, la plus logique et la plus vraisemblable.
Est-ce à dire qu’appuyés seulement sur des documents profanes et sans nous servir de la Bible, nous oserions déclarer certaine une telle origine de la religion ? Nullement, nous n’osons pas donner à notre théorie le caractère affirmatif que donnent si facilement à leurs opinions les défenseurs du fétichisme, de l’animisme et du naturalisme primitif. Nous convenons que ce n’est qu’une induction, que nous ne pouvons prouver par des faits certains que les choses se sont passées comme nous le supposons. Mais nous croyons que cette induction est très vraisemblable, s’adapte avec exactitude aux faits historiques et qu’elle est fondée sur une connaissance exacte de l’âme humaine et de ses facultés.
Il est vrai que notre conclusion ainsi posée se trouve en accord avec le texte de la Genèse. Moïse (Moyse dans le texte) nous enseigne que le Créateur a conversé avec les premiers hommes, et que la première religion qui a existé sur la terre est descendue du ciel. Nos adversaires nous accuseront sans doute d’avoir volontairement cherché cet accord avec le texte inspiré. Nous pouvons leur renvoyer un reproche semblable et demander si leur affirmation si hardie de l’origine naturelle de la religion ne serait pas fondée sur le dogme de l’exclusion du surnaturel ou sur le désir de rejeter la tradition biblique. Aux yeux des hommes impartiaux, ces accusations sont vaines et indignes d’une discussion sérieuse. Ce qui importe, c’est de savoir si une théorie est fondée sur des faits vrais et des raisonnements justes.
Or les faits que je viens d’exposer sont accordés par nos adversaires, ils sont tirés même en grande partie de leurs livres. Quant aux raisonnements, c’est au lecteur qu’il appartient d’en apprécier la valeur. Si, comme je l’espère, leur opinion est sur ce point conforme à la mienne ; s’ils admettent que la religion vient originairement du ciel, ils pourront poursuivre avec plus de courage et d’espérance la recherche de la vraie religion au milieu de la foule des cultes de l’univers. Si, en effet, la religion vient du ciel, c’est qu’il y a un Dieu qui a enseigné les premiers hommes, c’est que l’objet poursuivi par la religion est réel. En outre, s’il y a eu une communication primordiale entre le ciel et la terre, entre Dieu et l’humanité, et si l’effet de cette communication n’a pas été suffisant pour empêcher la production d’une si grande diversité d’opinions, n’est-il pas vraisemblable que ces communications ont pu et ont dû se renouveler dans le cours des siècles, et que celui qui a instruit le genre humain à l’origine ne l’a pas complètement abandonné à son ignorance et à la faiblesse de la raison ?
Ce n’est encore, sans doute, qu’une hypothèse plausible : il reste à en chercher dans les faits historiques la vérification. C’est l’œuvre que nous entreprendrons en descendant le cours des temps à partir de ces origines mystérieuses que nous venons de sonder, et en cherchant quelles transformations a subies cette idée antique du Dieu rémunérateur que nous avons découverte, déjà partiellement altérée, mais encore très reconnaissable, dans les plus anciens monuments de la pensée religieuse de l’homme.
(*) Une initiation de ce genre n’est pas identique aux révélations postérieures, qui sont adressées à des hommes qui connaissent déjà le vrai Dieu. Ce n’est pas sur le témoignage de Dieu que les premiers hommes ont cru à son existence, c’est parce qu’il s’est manifesté à eux intérieurement ou extérieurement. Cette simple remarque répond à une objection de Max Muller qui dit que l’idée de Dieu ne peut venir par révélation, parce que la révélation suppose déjà la connaissance du Dieu révélateur. Cette argutie, que nous pouvons qualifier de sophistique, est le seul argument que Max Muller donne contre l’existence d’une révélation primitive. »
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