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Sainte Marie-Madeleine de Pazzi

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Sainte Marie-Madeleine de Pazzi Empty Sainte Marie-Madeleine de Pazzi

Message par M1234 Mar 13 Sep 2016 - 10:10

Sainte Marie-Madeleine de Pazzi Magdalena_di_pazzi_09_16

MARIE MADELEINE DE PAZZI
Carmélite et auteur mystique, Sainte
(1566-1607)

Extrait Biographique

Sainte Marie Madeleine de Pazzi, l'une des fleurs les plus suaves qui aient embaumé les jardins du Carmel, naquit à Florence. Dès l'âge de sept ans, à l'école du Ciel, elle était formée à l'oraison, et elle paraissait presque un prodige de mortification. Toute une nuit elle porta une couronne d'épines sur sa tête, avec des douleurs inexprimables, pour imiter son Amour crucifié. Chaque fois que sa mère avait communié, l'enfant s'approchait d'elle et ne pouvait plus la quitter, attirée par la douce odeur de Jésus-Christ.

A partir de sa Première Communion, elle fut prête à tous les sacrifices, et c'est dès lors qu'elle fit à Jésus le vœu de n'avoir jamais d'autre époux que Lui. Aussi, quand plus tard, son père voulut la marier : "Je livrerais plutôt, s'écria-t-elle, ma tête au bour-reau que ma chasteté à un homme."

La sainte épouse du Christ entra au Carmel, parce qu'on y communiait presque tous les jours. Dès lors sa vie est un miracle continuel; elle ne vit que d'extases, de ravissements, de souffrances, d'amour. Pendant cinq années, elle fut assaillie d'affreuses tentations ; son arme était l'oraison, durant laquelle elle s'écriait souvent; "Où êtes-Vous, mon Dieu, où êtes-Vous ?" Un jour, tentée plus fortement qu'à l'ordinaire, elle se jeta dans un buisson d'épines, d'où elle sortit ensanglantée, mais victorieuse.

Elle avait tant de plaisir à proférer ces mots : "La Volonté de Dieu !" qu'elle les répétait continuelle-ment, disant à ses sœurs : "Ne sentez-vous pas com-bien il est doux de nommer la Volonté de Dieu ?" Un jour, ravie en extase, elle alla par tout le couvent en criant : "Mes sœurs, oh ! que la Volonté de Dieu est aimable!" Il plut à Dieu de la crucifier longtemps par des douleurs indicibles, qui la clouaient sur son lit, dans un état d'immobilité en même temps que de sensibilité extraordinaire. Loin de demander soulagement, elle s'écriait bien souvent : "Toujours souffrir et ne jamais mourir !"

Son cœur était un brasier ardent consumé par l'amour. Quinze jours avant sa mort, elle dit : "Je quitterai le monde sans avoir pu comprendre comment la créature peut se résoudre à commettre un péché contre son Créateur. " Elle répétait souvent : "Si je savais qu'en disant une parole à une autre fin que pour l'amour de Dieu, je dusse devenir plus grande qu'un Séraphin, je ne le ferais jamais. " Près de mourir, ses dernières paroles à ses sœurs furent celles-ci : "Je vous prie, au nom de Notre-Seigneur, de n'aimer que Lui seul !"


Sainte Marie-Madeleine de Pazzi Magdalena_di_pazzi_09_01








   

Chronologie de sa vie
1566

Catherine de Pazzi naît le 2 avril à Florence, après Geri, premier-né de Maître Camillo di Geri de’Pazzi et de Dame Marie de Lorenzo Buondelmonti, et suivie de deux autres frères, Alamanno et Baccio.

Le 3 avril, elle est baptisée dans l’oratoire de Saint Jean Baptiste, et reçoit comme patronne sainte Catherine qu’elle aimera beaucoup ; mais en famille on l’appellera couramment Lucrezia, nom de sa grand-mère paternelle.

1574

Le 25 février, elle entre pour la première fois, comme pensionnaire, au monastère de Saint Jean des Chevaliers, confiée aux bons soins de sa tante maternelle, Sœur Lessandra Buondelmonti.

1576

Le 25 mars, fête de l’Annonciation, elle reçoit la première communion à l’âge de dix ans, dans l’église de Saint Jean des Chevaliers, tenue par les pères Jésuites.

Le 19 avril, jeudi saint, au moment de la sainte communion elle se sent appelée à faire à Dieu le vœu de virginité.

1578

Le 30 novembre, en la fête de l’apôtre saint André, elle tombe en extase pour la première fois en la présence de sa mère, vers le soir, dans un pré de leur villa de Parugiano, près de Prato.

1580

Le 16 mars, par suite du départ de son père pour Cortone, elle est confiée aux Sœurs du Monastère de Saint Jean des Chevaliers, à la condition de pouvoir communier tous les jours de fête.

Le jour de l’Ascension, elle est submergée par l’Amour de Dieu. Elle reçoit une connaissance extraordinaire de la grandeur de Dieu et de sa grâce.

1581

Au retour des siens à Florence, elle rentre en famille dans la villa de Parugiano.

1582

Le 14 août, Catherine entre pour 15 jours au Carmel de Sainte Marie des Anges pour faire l’essai de sa vocation religieuse et de la vie carmélitaine. Elle choisit ce monastère à cause du privilège exceptionnel dont il jouit : celui de la communion quotidienne. Puis elle rejoint sa famille.

Le 27 novembre, veille du premier dimanche de l’Avant, Catherine, bénie par ses parents et accompagnée de sa mère, entre définitivement au monastère de Sainte Marie des Anges.

Le 8 décembre, le chapitre du monastère accepte à l'unanimité la nouvelle postulante.

1583

Ses parents envoient un peintre pour faire le portrait de Catherine avant sa prise d’habit. Elle en est contrariée, mais accepte par obéissance.

Le 30 janvier, elle reçoit l’habit carmélitain et prend le nom de Sœur Marie Madeleine.

Durant l’Avent, elle éprouve l’Amour de Dieu dans sa surabondance comme elle l’avait connu dans la villa de Parugiano.

1584

Le 30 janvier, on diffère la date de sa profession pour attendre d’autres Sœurs qui n’ont pas encore terminé leur Noviciat. Elle prophétise qu’elle fera sa Profession avant les autres.

Au début du mois de mars, elle tombe malade et son état empire rapidement.

Le 27 mai, dimanche de la Trinité, sur un lit, devant l’autel de la Vierge, elle prononce ses vœux. Elle est reconduite à l’infirmerie. À ce moment, commence une période surprenante d’extases, qui surviennent tous les jours après la communion, pendant deux ou trois heures. Cela va durer quarante jours. La maladie continue son cours.

Le 8 juin, vision du drame de la Passion.

Le 10 juin, Jésus lui donne Son cœur et prend en échange celui de la carmélite pour le remplir d’un saint amour.

Le 16 juin, rendant visite au tombeau de la bienheureuse Maria Bagnesi sur l'ordre de son confesseur, elle est guérie de sa maladie.

Le 28 juin, elle reçoit la marque des stigmates ; à sa prière ils seront cachés aux créatures.

Le 6 juillet , elle reçoit la couronne d’épines.

1585

Le soir du 24 mars, veille de l’Annonciation, S. Augustin lui écrit dans le cœur les mots : Verbum caro factum est.

Le 15 avril, elle reçoit dans son âme les stigmates invisibles.

Le dimanche 28 avril, elle reçoit de Jésus l’anneau de son mariage mystique.

Le 21 mai, on lui annonce une grande épreuve : le Seigneur lui demande de se nourrir de pain et d’eau seulement et de ne dormir que 5 heures par jour.

Le 8 juin, veille de la Pentecôte, commence la seconde grande période d’extases : durant huit jours, elle reste en extase jour et nuit, sauf deux heures environ pour prier l’office, et prendre un peu de nourriture. Durant ces jours elle reçoit sept fois, à l'heure de Tierce, sous diverses formes, le Saint-Esprit.

Le 16 juin, fête de la Trinité, commence la grande éprouve appelée, « lac des lions », qui va durer cinq ans.

Le 5 juillet, le Seigneur lui commande de marcher les pieds nus.

1586

Le 20 juillet, elle entre en extase, Dieu l’appelle à la tâche de renouveler l’Église. Elle va dicter 12 lettres à diverses personnes, dont le Pape.

Le 17 septembre, elle reçoit le « voile blanc » de la Vierge, pour avoir triomphé des tentations contre la pureté.

En octobre, elle quitte le Noviciat.

1587

Son frère Alamanno meurt le 14 juillet. Elle voit l’âme de celui-ci peiner au Purgatoire.

1588

Le jeudi 25 février, elle reçoit le faisceau de la Passion.

Le 25 novembre, les épreuves qu’elle subit, la tentation de s’évader et de mourir, atteignent leur point culminant.

1589

Le 30 septembre, elle est élue Sous-maîtresse des novices.

1590

Le 22 avril, jour de Pâque, le Seigneur lui demande de faire encore un Carême de Cinquante jours. Elle jeûne ainsi jusqu’à la Pentecôte.

Le 10 juin, dans la nuit de Pentecôte, elle est enfin libérée du « lac des lions ». Elle reçoit de grands dons et des communications divines.

Sa mère meurt le 24 août. Elle la contemple, joyeuse au Purgatoire, et on lui révèle la gloire qui lui est réservée pour ses actes de charité envers le prochain. Le 7 septembre, elle voit l’âme de sa mère entrer au Paradis.

1592

Le 26 mars, dans une longue extase, elle participe aux douleurs de la Passion.

Le 3 mai, dans un grand excès d’amour, elle sonne les cloches, appelant à aimer l’Amour.

Au mois d’octobre elle reçoit l’office de sacristine.

1595

Le 1er mai, elle demande au Seigneur la souffrance pure.

Elle est élue Maîtresse des jeunes professes.

1597

Mort du père de Sœur Marie Madeleine.

1598

Au chapitre du 2 octobre, elle est élue Maîtresse des novices.

1604

Le 24 juin, dernière extase : Dieu lui accorde ainsi la pure souffrance.

Au chapitre, elle est élue Sous-prieure, contre sa volonté.

Peu après elle tombe malade.

1607

Le 13 mai, après trois ans de maladie, elle reçoit l’Extrême Onction.

Le 25 mai, à huit heures elle entre en agonie. Quand on appelle le Père confesseur, il lui fait dire que par la sainte Obéissance elle doit attendre pour mourir. Elle se réveille un instant et prononce ses derniers mots : « Benedictus Deus ». Elle meurt vers 14 heures.

1608

Un an après sa mort, les carmélites obtiennent de porter les dépouilles mortelles de leur Sœur dans la cellule où elle avait vécu.

1611

Le procès de béatification commence après les nombreux miracles obtenus par son intercession.

1626

Le 8 mai, le Pape Urbain VIII la proclame bienheureuse.

1662

Début du procès de canonisation.

1669

Le 28 avril, le Pape Clément IX l’inscrit dans la gloire des saints.

Sa dépouille vénérée, toujours intacte, repose aujourd’hui dans le nouveau monastère qui lui est dédié sur la colline de Careggi aux environs de la ville de Florence.





   

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A suivre...
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Message par M1234 Mer 14 Sep 2016 - 13:37

Sainte Marie-Madeleine de Pazzi Marie_madeleine_de_pazzi_45_01

MARIE MADELEINE DE PAZZI
Carmélite et auteur mystique, Sainte
(1566-1607)

LES QUARANTE JOURS D'EXTASES
1

INTRODUCTION

1. 27 mai 1584 fin de tout espoir de guérison pour la jeune novice de 18 ans

27 mai 1584, au monastère de Sainte Marie des Anges, faubourg populaire de San Frediano de Florence, une modeste cérémonie religieuse marque la fin de tout espoir de guérison pour une jeune novice, Sœur Maria Maddalena, de la noble famille des Pazzi.

Ce jour, qui se présentait sous le signe de la déception et de la tristesse, ouvrait cependant une page étonnante de l’histoire du Carmel de Florence et de la spiritualité.

Lisons le récit qu’en a fait, plus tard, Sœur Maria Pacifica del Tovaglia :

« Elle désirait ardemment que le Seigneur brisât le lien de sa chair mortelle pour lui être parfaitement unie, disant avec saint Paul : J’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ.

Comme son état empirait chaque jour, elle espérait une fin rapide. Après deux mois de maladie et d’efforts inutiles, les médecins la déclarèrent perdue, et les Mères se décidèrent à lui laisser prononcer ses vœux, le 27 mai 1584, jour de la Sainte-Trinité. Elle était si malade que le Père confesseur voulait qu’elle restât au lit pour la cérémonie… Mais s’en remettant à Dieu, elle demanda aux Sœurs la grâce de la porter dans le chœur devant l’autel de la Vierge; c’est là que le Père confesseur célébra la Messe, tandis qu’elle restait allongée dans un petit lit qu’on lui avait préparé.

À la fin de la Messe, dans les mains de notre Père confesseur Agostino Campi da Pontremoli, elle prononça les saints vœux avec une grande dévotion et une ferveur extrême. Puis, une Sœur la ramena dans son lit à l’infirmerie, en la prenant dans ses bras. Elle pria les infirmières de fermer les rideaux et de sortir de la chambre car elle voulait se reposer un peu.

Au bout d’une heure environ, l’infirmière, étonnée du fait qu’elle n’entendait pas la malade tousser comme d’habitude — elle ne restait pas le temps d’un Ave sans tousser — intriguée par ce silence inaccoutumé, s’enhardit et doucement entra dans la chambre et, tirant les rideaux, elle la vit reposer en son centre, c’est-à-dire en Dieu. Son visage était beau, son teint coloré, ses yeux fixés sur le Crucifix. Son visage resplendissait d’une majesté et d’une grâce telles qu’elle ne semblait plus la même personne, elle que la maladie avait rendue blême et décharnée. Ce que voyant, l’infirmière en informa la Mère Prieure, qui, avec d’autres Mères, se rendit dans la chambre. Et toutes les autres Sœurs qui vinrent la visiter, entrant une à une dans la chambre, en reçurent une très grande consolation. Ce fut la première fois que nous la vîmes en extase, et cela dura deux bonnes heures ».

C’est ainsi que commence pour la jeune professe une période exceptionnelle d’extases quotidiennes, qui se prolongea durant quarante jours. D’autres extases vont suivre, mais à un rythme moins régulier, sauf durant la semaine de la Pentecôte à la Trinité, l’année suivante, qui, avec les quarante jours, constitue un cycle achevé d’extases.

2. Le confesseur exige pour discerner que tout soit communiqué à des religieuses spécialement désignées :

« Dès les premières extases de 1584, le confesseur du monastère, Agostino Campi da Pontremoli, pour se rendre compte s'il s’agissait d’illusions ou de tromperies diaboliques ou de faveurs divines, avait par l’entremise de la prieure, ordonné à la jeune professe, en vertu de l’obéissance, de rapporter tout ce qui lui arrivait en sa vie, en particulier en ses extases, tout ce que Dieu lui communiquait, à des religieuses qui avaient mandat de le mettre par écrit.

On lui donna comme confidente Sœur Veronica Alessandri. Le Père, conscient du caractère embarrassant de cette assistance, eut la délicatesse de lui donner pour ces communications une jeune professe, sa compagne de noviciat, avec laquelle elle était assez intime. Sœur Marie Madeleine l'accepta comme une mortification : elle obéit du mieux qu’elle put.

Mais les Supérieures du monastère ne furent pas satisfaites du résultat. Après ses extases, Sœur Marie Madeleine ne se rappelait que peu de choses et de manière fragmentaire, d’autres fois elle ne trouvait pas les mots pour exprimer ce qu’elle avait vu et entendu; enfin il arrivait qu’on ne pût l’interroger car parfois ses extases se prolongeaient plusieurs heures.

Les religieuses, ne voulant pas perdre tant de trésors de doctrine et de rare expérience religieuse, décidèrent, en accord avec le confesseur, d’écrire durant l'extase même tout ce que disait la sainte, prenant note en même temps des gestes les plus significatifs. L’extase terminée, la sainte relisait ce qui avait été écrit, elle corrigeait les erreurs, s’il y en avait, disant : “C’est ceci que j’ai compris ou dit », et elle déclarait avoir eu toutes ces connaissances et compréhensions telles qu’elles étaient consignées” ».

Ces notes étaient ensuite recopiées dans des livres manuscrits, gardés dans les archives du monastère. Il est probable qu’une partie d’entre elles ne furent pas consignées dans ces livres; elles ne furent pas toutefois jetées au feu, mais utilisées dans le procès de béatification et dans la rédaction de l’œuvre de Puccini, premier biographe de la sainte. Celui-ci publia aussi, en 1611, une édition des œuvres de Sœur Marie Madeleine, qui ne correspond pas exactement aux grands livres manuscrits. C’est pourquoi il fut accusé d’avoir interpolé les écrits de la sainte, confondant les extases, développant parfois longuement une pensée de quelques lignes à peine dans les originaux, etc.. Catena pense que Puccini a pu se servir aussi des notes qui devaient être plus étendues que le texte consigné dans les grands livres.  En tout cas, c’est grâce à l’œuvre de Puccini que l’on connaîtra les écrits de Marie Madeleine, jusqu’au 4e centenaire de la naissance de la sainte, où les cinq livres manuscrits ont pu enfin être intégralement publiés.

De 1960 à 1966, en effet, le « Centre international du livre » publiait à Florence les œuvres complètes de sainte Marie Madeleine de Pazzi, tirées des manuscrits originaux conservés dans les archives de son monastère.  On ne saurait dire combien cette œuvre était nécessaire pour accéder à la pensée de Marie Madeleine de Pazzi, relativisant la médiation de Puccini, qui sans fausser la pensée de la sainte, avait traité les textes avec une trop grande liberté. Parfois, c’est vrai, il l’a rendue plus accessible et facile à lire, mais en s’éloignant du texte original. Toutefois il faut ajouter que l'édition des « Œuvres complètes » gagne, aujourd’hui encore, à être accompagnée, pour une meilleure compréhension, de l’œuvre de Puccini, surtout si l’on pense que les « Œuvres complètes » ne présentent que les épisodes extraordinaires des extases, une phase d’ailleurs courte de la vie de la sainte, comprise entre les années 1584 et 1592. C’est donc encore à Puccini qu’on doit recourir si l’on veut connaître les épreuves et les vertus de sa vie humble et abandonnée, dans le plus grand dénuement, jusqu’à sa mort le 25 mai 1607.

Le quatrième centenaire de la naissance de sainte Marie Madeleine de Pazzi a vu la parution de nombreuses études, qui ont permis une meilleure connaissance de la sainte. La thèse de doctorat du P. Secondin Bruno  fait le point sur tous ces travaux et offre une nouvelle synthèse de la vie et de la pensée de la grande mystique florentine. De nouvelles biographies, dont certaines remarquables, ont contribué à donner de la sainte une image plus complète et séduisante, comme par exemple « La parabole des deux épouses ».

3. En France, malgré une certaine renommée, sainte Marie Madeleine de Pazzi demeure peu connue.

Elle jouit d’une grande popularité au XVII siècle, surtout grâce aux Carmes de la Réforme de Touraine qui firent connaître sa vie et son message, et favorisèrent le développement de son culte. D’après les recherches du P. Ancilli, ce siècle a connu le plus grand nombre d’œuvres imprimées. Sur les 209 textes qu’il a recensés, 131 sont en langue italienne; le français occupe ensuite la première place avec 21 œuvres, suivi du néerlandais avec 19 éditions, du portugais avec 14, de l’espagnol avec 13, etc.. L’auteur le plus considérable par ses écrits sur la sainte est sans doute le P. Léon de Saint Jean. On lui doit plusieurs ouvrages dont une biographie qui connut un grand succès jusqu’à la sixième édition en 1669.

Hélas, le XVIII siècle, époque difficile pour les mystiques, annonçait des temps plus durs encore pour la vie religieuse en général. La Révolution française allait chasser de France les Carmes qui aimaient la vie et le message de la sainte florentine.

Au XIX siècle, nous constatons une lente reprise des éditions concernant notre sainte. En 1837, paraît la « Vie de sainte Marie Madeleine de Pazzi » par son confesseur, le jésuite Cépari, traduction de l’œuvre italienne parue à Rome en 1669, qui connaîtra cinq éditions successives. En 1873, Dom Anselme Bruniaux, prieur de la Chartreuse de Valbonne, publiait à Paris les « Œuvres de sainte Marie Madeleine de Pazzi ». Il s’agit de la traduction française d’une ancienne anthologie composée par le P. Laurent-Marie Brancaccio, carme de la stricte observance du couvent Sainte Marie de la Vie, à Naples.

En ce qui concerne le XX siècle, parmi les quelques œuvres parues, émerge surtout la biographie de Maurice Vaussard, « Sainte Marie Madeleine de Pazzi » qui connut trois éditions de 1921 à 1925, et, du même auteur, « Extases et lettres de Sainte Marie Madeleine de Pazzié, précieux mais bien modeste recueil d’écrits de la carmélite florentine. Le tome X du Dictionnaire de Spiritualité paru en 1980, publiait un bel article sur la sainte, par le Père E. Ancilli, OCD, (col. 575-588).

Malgré le nombre de publications en langue française, la vie et le message de sainte Marie Madeleine de Pazzi demeurent peu connus, car ces documents sont d’accès difficile.

4. La traduction des extases de « I Quaranta giorni », et les « Douze méditations », sont tirées du dernier volume italien des Œuvres complètes.

5. Pratique de l'oraison mentale.

Le cœur de la vie spirituelle de la jeune florentine est sans doute l’oraison, qu’elle pratiqua dès sa plus tendre enfance. Dès l’âge de neuf ans, elle demanda à sa mère de lui enseigner la pratique de l'oraison mentale. Sa mère lui suggéra d’aller voir le Père confesseur.

« Le Père confesseur lui conseilla de lire le P. Gaspard Loarte,  puis de se mettre à genoux, de dire l’antienne “Veni Sancte Spiritus” et le “Confiteor”, et ensuite, durant une demi-heure, de penser à ce qu’elle venait de lire. En me le racontant, elle me disait : “Je me mettais là, sachant que je devais penser à ce que je venais de lire, et je laissais Dieu agir, et Lui, par miséricorde, me donnait ce qui Lui plaisait. Comme vous le savez, Dieu se plaît dans les cœurs purs, parce qu’ils ne sont pas occupés par d’autres pensées. En effet, je ne me souviens pas d’avoir pensé à autre chose dans l’oraison, si ce n’est aux moyens par lesquels je pouvais entrer en religion, mais c’était aussi pour accomplir Sa volonté, car c’est bien pour cela, et rien d’autre, que je suis devenue religieuse”.

Elle me dit encore qu’elle ne pouvait se contenter du temps d’oraison indiqué par le confesseur, mais que toujours, le matin, elle y passait une heure entière.

Elle dormait dans un coin à part de la chambre de sa mère, et là, derrière son lit, une fois sa mère sortie, elle se recueillait en prière. S’il lui arrivait de se retrouver toute seule à la maison, elle s’enfermait dans l’oratoire et s’absorbait dans l’oraison.

Comme je lui demandais un jour si elle on n’avait pas de difficulté à faire oraison, elle me répondit que parfois Jésus ne se laissait pas trouver; Il voulait qu’elle se fatiguât et apprît à se conformer à Sa volonté. Alors elle s’appliquait à persévérer dans l’oraison, car la prière continue est une source de grand profit et de bénéfices.

Elle ne se souciait que d’être attentive à la voix de Dieu qui parlait à son cœur et l’instruisait intérieurement. On pouvait lui appliquer la béatitude dont parlent les psaumes de David : “Heureux l’homme que tu instruis, Seigneur”. En effet, la lumière et la connaissance de Dieu qu’elle possédait ne lui venaient pas de la lecture de livres savants, elle ne lisait que les évangiles — elle les a toujours aimés plus que tout autre livre — et quelques ouvrages de dévotion comme les méditations de Grenada, le P. Gaspard Loarte et le P. Fulvio Androtio. À l’âge de 14 ans, elle lisait parfois quelques chapitres des méditations de S. Augustin, mais c’est grâce à l’oraison continue qu’elle y parvint ».

6. L’Eucharistie, moyen et signe de l’union avec Dieu.

L’oraison tend à l’union. C’est tout naturellement que l’Eucharistie, moyen et signe de l’union avec Dieu, vient occuper une place de choix dans la vie de sainte Marie Madeleine de Pazzi ; elle en est un pilier essentiel.

Elle manifesta toujours un grand désir de s’unir à Jésus dans ce sacrement. Toute petite, à l’église, quand sa mère recevait la communion, elle se pressait contre elle, pour être plus proche de Jésus, et, à la maison, elle la suivait partout.

À dix ans, elle reçut la première communion, et, chaque fois qu’elle le pouvait, ne manquait pas de se présenter à la sainte table, préparant chaque fois son cœur à cette rencontre avec le plus grand soin.

« Nous étions un jour à la villa pour les fêtes du Saint Esprit. Devant communier — elle n’était pas en bonne santé — vu l’éloignement de l’église, sa mère voulut l’y envoyer à cheval. Mais elle ne pouvait se résigner à s’y rendre si commodément pour recevoir cette majesté divine qui, en prenant notre humanité, s’était si fort humilié pour nous. Considération si puissante qu’obéissant à sa mère, elle s’y rendit en pleurant amèrement tout au long de la route ».

Désir de la communion fréquente

À 14 ans, elle fut accueillie au Monastère de Saint Jean ; les moniales avaient accepté la condition imposée par le confesseur de la jeune fille, le P. Pietro Blanca de la Compagnie de Jésus, qu’elle pût communier les jours de fête, contre la coutume du monastère. Ce fut un grand contentement pour la jeune fille, mais ne lui épargna pas quelques moqueries des moniales moins attachées à la communion fréquente : « Voici la Jésuite, elle vient nous réformer! Voilà où nous en sommes, une séculière vient nous réformer! Qu’elle pense plutôt à elle-même ! »

Elle fut si exemplaire dans sa vie qu’au moment où elle quitta le monastère pour revenir dans sa famille, un réel changement s’y était opéré : désormais une cinquantaine de Sœurs communiaient les jours de fête.

La veille de l’Assomption de 1582, Caterina de Pazzi est accueillie au Carmel de Florence pour une expérience de 15 jours.

« Durant ce temps, elle nous édifia toutes grandement, par les vertus qu’on voyait resplendir en elle et une grâce particulière qu’elle manifestait dans ses actes et ses paroles; nous avons reconnu en particulier sa grande obéissance, car même si nous communiions tous les matins — ce qu’elle désirait ardemment — et l’invitions à faire de même, toutefois n’ayant pas la permission de son confesseur de communier plus de trois fois par semaine, elle ne voulut pas manquer d’observer cet ordre ».

Plus tard, quand elle dut choisir entre le monastère de « Saint Jean », celui de la « Crocetta » et « Sainte Marie des Anges », la décision ne fut pas difficile à prendre en faveur de ce dernier, notamment à cause de la communion quotidienne dont jouissait le Carmel de Florence.

C’est grâce à l’influence favorable des Jésuites que ce Carmel avait obtenu le privilège de la communion quotidienne, exceptionnel pour l’époque et pour longtemps encore dans l’Église. Il n’est pas à exclure que dans cette pratique, entrée en vigueur peu avant l’arrivée de Caterina de Pazzi, ait pesé aussi l’influence du Prieur Général de l’Ordre, Jean Baptiste Rossi, qui, durant les visites canoniques, invitait les moniales à une plus fréquente participation au Corps et au Sang du Christ.

La communion était donnée en dehors de la messe, par le confesseur ou le chapelain. En leur absence, les moniales se rassemblaient toutes pour une demi-heure de prière, qu’elles appelaient « la communion spirituelle ».

La pratique de la communion quotidienne n’étant pas obligatoire, des novices et des Sœurs n’y participaient pas : Sœur Marie Madeleine témoignera de sa désapprobation à leur égard ; pour elle cette rencontre était toujours une source de grâces et de consolations sans nombre, les “Quarante jours” le confirment amplement ; elle ne pouvait comprendre comment l’on pouvait se priver d’accueillir ce don d’Amour de Jésus.

7. Maria Madeleine à Sainte Marie des Anges

Quand Caterina De Pazzi entra à Sainte Marie des Anges, le monastère comptait environ quatre-vingts moniales. En réalité, elle commence sa vie religieuse avec un petit groupe de Sœurs, celles du noviciat, avec qui elle mène une vie commune, sauf pour les repas qui sont pris avec toute la communauté dans le grand réfectoire. Elle vit donc à part avec ce groupe plus réduit, comprenant toutefois, avec les novices, les jeunes professes, qui restent au noviciat pour parfaire leur formation durant au moins trois ans.

Toutes les œuvres de la vie religieuse forment une oraison continuelle, parce qu’elles sont toutes faites par obéissance

« Une fois, pour la mettre à l’épreuve, avant sa prise d’habit, la Mère Maîtresse lui dit : “Comment ferez-vous quand vous serez moniale ? Vous ne pourrez pas consacrer à l’oraison autant d’heures que vous en avez l’habitude !” Elle fit une réponse de parfaite religieuse, et non de personne du monde, lui disant : “Je pense que toutes les œuvres de la vie religieuse forment une oraison continuelle, parce qu’elles sont toutes faites par obéissance” ».

Le 30 janvier 1583, elle reçoit l’habit religieux et prend le nom de Sœur Maria Maddalena. Au cours de la cérémonie, le prêtre lui présenta le Crucifix, tandis que les Sœurs chantaient : « Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde », elle éprouva une grande joie et consolation, en promettant à son Dieu ne jamais vouloir autre gloire que Jésus crucifié.

Ce même jour, elle s’agenouille devant la maîtresse du noviciat, Sœur Vittoria Contugi et fait l’offrande complète de sa volonté, geste qu’elle répétera quelques mois après, quand Sœur Vangelista del Giocondo assumera la charge de maîtresse des novices.

Dans le silence du noviciat, Sœur Marie Madeleine apprend à se défaire d’elle-même pour être toute à Dieu. Elle ne cherche pas à se singulariser, mais à vivre jusqu’au bout les exigences de la vie commune.

« Parfois la Mère Maîtresse, sachant combien elle aimait l’oraison, lui accordait du temps pour cela, mais ce temps n’étant pas accordé aux autres, elle n’en voulait pas pour elle-même.

Une fois, la veille de la Sainte-Madeleine, les novices devaient accomplir un exercice extérieur ; la Mère Maîtresse lui proposa d’aller faire oraison pour se préparer à la fête de la sainte ; mais elle, avec humilité et soumission, la pria de la laisser avec les autres, disant qu’elle pouvait s’y préparer autant par cet exercice que par l’oraison ».

Elle s’occupait surtout à accomplir des actions de charité envers ses Sœurs converses, les aidant dans les tâches les plus humbles.

Sœur Marie Madeleine commença le noviciat avec neuf compagnes. Le 5 mai 1583 quatre d’entre elles font profession, une la fera sur son lit de malade, le 28 mai suivant, et trois autres le 5 juin de la même année, parmi lesquelles Sœur Veronica Alessandri, la confidente des extases des “Quarante jours”, et Sœur Maria Grazia Gondi, la rédactrice des notes des “Douze méditations”. Elle demande à faire la profession avec elles, mais ce n’était pas possible : les lois canoniques exigeaient un an complet de noviciat avant que l’on pût s’engager dans la profession religieuse, qui était définitive. Les Supérieures lui promettent qu’elle la fera dès la fin de son année de noviciat.

Elle demeura ainsi un certain temps avec une seule compagne, peu fervente d’ailleurs, jusqu’à la fin de l'été, où une autre jeune fille se joignit à elles.

Janvier 1584 : l’année canonique du noviciat de Sœur Marie Madeleine achevée, elle demanda humblement de pouvoir faire sa profession, mais les Supérieures du monastère ne le lui permirent pas, respectueuses d’une tradition qui voulait qu’on ne professe pas seule, mais en groupe. Elle en fut très peinée, mais accepta, tout en affirmant avec calme : « Je ne ferai pas la profession avec les autres; malgré vous, vous devrez me la laisser faire seule ».

Au début du mois de mars elle tombe malade, et, malgré les soins, son état de santé ne s’améliore pas. En avril 1584, deux autres jeunes filles entrent au noviciat et reçoivent l’habit, mais Sœur Marie Madeleine est désormais pratiquement immobilisée à l’infirmerie du monastère, où elle donne l’exemple d’une grande vertu et d’une parfait abandon à la volonté de Dieu.

« Un jour — raconte Sœur Pacifica del Tovaglia — je lui rendis visite et lui demandai comment elle faisait pour passer des nuits entières sans dormir avec toutes ces peines et tourments, sans pouvoir s’asseoir même un court instant, et à quel moyen elle avait recours contre l’impatience. Elle me répondit que son remède était de regarder bien souvent, de façon presque continue, le Crucifix qu’elle avait à côté du lit ! “Si je pense, disait-elle, combien Il a souffert pour moi, misérable, avec un amour si ardent et incompréhensible, Son regard sur ma faiblesse me réconforte” ».

8. On fausserait l’image de la sainte en ne pensant qu’à ses extases

On fausserait l’image de la sainte en ne pensant qu’à ses extases, car même durant les "Quarante jours", on oublierait les autres heures de sa vie ordinaire. C’est ce que ses Supérieures elles-mêmes furent tentées de croire, quand après sa guérison miraculeuse, à la fin de la grande extase de la Passion du 14 juin, elles pensèrent la faire sortir du noviciat, et lui accorder un régime à part, afin qu’elle pût se consacrer davantage à l'oraison contemplative. Mais ce n’était pas le désir de la sainte, qui était venue au Carmel pour se cacher en Dieu dans la vie ordinaire du monastère. Quittant l’infirmerie, elle insista pour réintégrer la vie commune du noviciat, selon la tradition du monastère. Un témoignage du procès de béatification à cet égard est formel :

« Rentrée au noviciat à la grande joie de toutes les novices, elle s’adonna plus que jamais à l'obéissance, à la soumission et s’attacha à suivre, jusqu’à la plus minime, les règles du noviciat. Elle conversait humblement avec les plus jeunes novices, se mettant toujours à la dernière place. Il était merveilleux de voir comment, elle qui passait plusieurs heures par jour en extases et autres contemplations, une fois revenue à son état naturel, parlait avec toutes avec une telle bienveillance, qu’il ne semblait pas que ce fût la même personne qui s’était entretenue avec Dieu avec une si familière grandeur ; car il semblait qu’elle voulait apprendre de chacune. De plus, si parfois il était nécessaire au noviciat d’accomplir quelque humble exercice extérieur, elle était la première à courir. Elle aimait beaucoup la vie ordinaire. Très humble et désireuse d’être parmi les autres, elle n’aimait pas se singulariser.

Elle priait, avec larmes, de la laisser avec les autres et me disait qu’elle estimait davantage la soumission et l’obéissance que les hautes contemplations, et exhortait les autres novices à s’appliquer avec plus de zèle aux règles communes plutôt qu’à n’importe quel exercice particulier, même bon et saint… »

Nous pouvons alors comprendre comment les extases étaient aussi une souffrance pour elle. Le fait de se retrouver, contre sa volonté, donnée en spectacle à toute la communauté, était une rude épreuve pour son humilité. Parfois elle éprouvait une telle crainte qu’elle faisait de son mieux pour se cacher et n’être point remarquée par ses Sœurs. Ajoutons à cela l’obligation d’en parler à une Sœur, exercice auquel elle ne se déroba jamais, et qui contribua à la faire parvenir à la mort de sa volonté propre pour s’abandonner complètement à la volonté de Dieu, ce qu’elle désirait au plus profond d’elle-même.

9-10. Les "Quarante jours" sont un ensemble unique dans l’histoire de la spiritualité

pour plusieurs raisons :

par le caractère exceptionnel de l’expérience mystique ;

par la continuité et la régularité du phénomène, 41 jours durant ;

par son caractère public : presque toujours plusieurs Sœurs, voire toute la communauté, en sont témoins ;

par le cadre constant du début de l’extase, la prière, en général après la communion, mais aussi à d’autres moments de recueillement ;

par la richesse du contenu de paroles, images, visions, mouvements, jusqu’à la participation physique à l'événement contemplé, notamment celui de la Passion de Jésus, l’extase la plus longue des "Quarante jours", qui dura plus de 14 heures ;

par le miracle de sa guérison survenue après cette grande extase, et qu’elle attribue à l’intercession de la bienheureuse Maria Bagnesi.

Un exemple authentique de la spiritualité des carmes

Dans les "Quarante jours", nous pouvons reconnaître l’écho de la spiritualité carmélitaine la plus authentique, celle qui ne s’abandonne pas aux états d’âme ou aux goûts personnels, mais qui s’associe pleinement à la prière liturgique de l’Église et en fait la source de sa prière personnelle. Au monastère de Sainte Marie des Anges, selon l’ancienne tradition carmélitaine, l’oraison mentale y avait sa place, mais subordonnée à la liturgie. Les Constitutions établissaient vingt minutes d’oraison mentale le matin après matines et un quart d’heure après les Vêpres. Quand il n’y avait pas de communion eucharistique, la communauté se réunissait pour une demi-heure d’oraison, que les moniales appelaient « communion spirituelle ». Après la communion, un temps de silence et de recueillement était aussi prévu. C’est dans ce moment de grâce si privilégié, qu’ont lieu la plupart des extases des "Quarante jours". La pratique de l’oraison et de la communion eucharistique contribue à créer l’union profonde de l’âme avec Dieu, par la contemplation de quelque vérité de la Parole de Dieu priée ou célébrée en ce jour. L’extase élève et transforme l’expérience d’abandon à Dieu en expérience de la douceur divine de Sa présence et de Son action en l’âme, la rendant témoin de la transfiguration que Dieu opère dans l'âme qui se livre entièrement à Son amour infini.

Le mystère du Christ occupe une place centrale dans les "Quarante jours” ; ce mystère est étroitement associé à la médiation de Marie, car c’est par elle qu’on y parvient. Marie est la voie particulière de l’ordre du Carmel. Les symboles que nous rencontrons ont pour fonction de nous expliquer ou montrer cette place centrale du mystère du Christ : pasteur, regard, lumière, anneau, fleuve, vigne, fontaine, fournaise, cercle, mer, sphère, pont, lac, etc.. En tout cela, bien sûr, il n’est pas difficile de retrouver l’écho des lectures spirituelles de sainte Marie Madeleine de Pazzi, mais il est incontestable qu’elle intègre sa culture spirituelle à sa vie personnelle, qui aboutit toujours au Christ, le centre recherché, qui Se montre comme « le côté ouvert, riche de sang, expression d’un amour inouï, lieu de repos et en même temps voie de passage vers la mer infinie de la divinité ».

Trois moments dans les Extases

Nous pouvons tenter de tracer un schéma-type des extases en distinguant trois moments : une introduction, un développement et une conclusion.

A) Introduction : après la mention du jour et de la formule habituelle, « après avoir communié », nous trouvons une phrase biblique ou un mystère liturgique sur lesquels la sainte médite, un appel ou une image soudaine, le ravissement et le recueillement.

B) Développement : prise de conscience d’une vérité par une vision, par une locution ou par l’expérience d’union dans la joie ou la douleur, examen et interprétation des visions et locutions, application de ces lumières sous forme de considérations mystiques ou morales, concernant en particulier la vie du monastère ou de l'âme, nouvelle expérience de goût spirituel.

C) Conclusion : état de silence profond et de jouissance inexprimable, fin soudaine de l’extase, recommandation des créatures, retour à la vie normale.

Des extases se détachent du schéma habituel : elles ont lieu à d’autres moments de la journée. Les Sœurs ont pris soin d’enregistrer, sans attendre le dialogue avec elle, ce qu’elles voient et entendent. Ces extases conservent la fraîcheur d’une description en direct, plus vivantes que les autres qui gardent l'aspect d’un compte rendu successif, toujours un peu détaché. Et d’ailleurs c’est à cela que les Sœurs seront plus tard obligées, quand les extases seront beaucoup plus longues. Dans la période des "Quarante jours", ces ravissements eurent lieu les 11, 12, 13 et 14 juin, ce dernier jour étant celui de l’extase la plus étonnamment longue et impressionnante, celle de la participation de Marie Madeleine à la Passion de Jésus, qui dura de 1 heure et demie le jeudi 14 juin à 18 heures du lendemain, sans interruption aucune.

Dans les "Quarante jours" nous ne sommes pas très loin des “Douze méditations”. C’est sœur Marie Madeleine qui parle, elle raconte la vision et les paroles entendues. Elle s’exprime avec simplicité, s’efforçant d’obéir mais sans trop développer, malgré notre impression contraire, surtout pour certaines d’entre elles. C’est que peut-être à ce stade de sa vie, le vocabulaire et surtout la familiarité avec ce monde, sont encore ceux d’une débutante. En effet, si l’on compare les "Quarante jours" avec les « Entretiens » datés pourtant de l’année suivante, on peut constater toute la différence. Dans ces derniers, Marie Madeleine nous paraît, si l’on peut parler ainsi, désormais à l’aise avec l'expérience des extases et parle de tout cela avec plus de facilité, s’étendant davantage sur les descriptions et sur les développements spirituels de sa contemplation ou de sa vision. Il suffirait de comparer par exemple la grande extase de la Passion des "Quarante jours" avec celle de la « Passion » de l’année suivante, non seulement plus longue — cette dernière durera 26 heures ! — mais aussi plus dramatique dans la participation par ses divers mouvements et l’impressionnante représentation des souffrances physiques du Sauveur dans son propre corps.

On peut affirmer que, dans la démesure des extases, les "Quarante jours" représentent une introduction. Mais nous en avons déjà tous les éléments. Par contre, nous reconnaissons dans les "Quarante jours" un aspect qui touche ici un sommet, son expression la plus forte et la plus étonnante. Nous ne le retrouverons plus avec cette force passionnée, que dans l’émouvante extase du 3 mai 1592 où ce cri de l’Amour retrouve l’ardeur de la jeune professe des "Quarante jours", avec une sorte de douceur en plus.

La passion amoureuse de Marie Madeleine pour Jésus-Amour

Nous voulons parler de la passion amoureuse de Marie Madeleine pour Jésus-Amour, avec cette constante répétition du terme « Amour » et l’appel à aimer l’Amour qui n’est ni aimé ni connu ; elle atteint dans les "Quarante jours" un sommet qui restera inégalé. Annoncée déjà dans l’extase du 28 mai, elle explosera surtout le 11 juin et se répétera encore les 12 et 13 juin. Cette contemplation de l’Amour pénètre aussi de manière particulière la grande extase de la Passion de Jésus, qui se trouve toute pétrie d’Amour, l’expression la plus simple pour faire comprendre l’essence de ce mystère. Tout ce qui se passe, tout ce qui est contemplé, tous les personnages baignent dans cet élément, l’Amour. Nous aimons y voir l’explosion irrésistible de la passion de la jeunesse qui, de toutes ses forces, s’est fixée et a été captivée par l’Amour. Toute la personne, avec ce qu’elle est et vit, devient un instrument de musique d’où s’élève, sous les doigts de Dieu, une mélodie suprême et unique.

La dernière extase des "Quarante jours" nous parle encore de cet amour, mais présenté sous un autre jour ; ce n’est plus la passion ardente de Marie Madeleine, mais la douceur d’un face à face avec Jésus, étonnamment profond et familier, où toute la vie de la sainte va désormais être située et ancrée, avec celle du monastère tout entier.

11. Neuf autres extases qui eurent lieu du 11 juillet au 15 août 1584

Dans ce premier livre des extases de Marie Madeleine conservé au monastère, aux "Quarante jours" — en fait quarante et un — succèdent comme en appendice neuf autres extases qui eurent lieu du 11 juillet au 15 août de la même année. Nous avons séparé des "Quarante jours" ces extases recueillies par Sœur Marie Madeleine Mori, bien qu’elles les suivent immédiatement. Elles sont un moment distinct de l’expérience spirituelle de la sainte. Elles n’ont pas lieu après la communion, sauf deux, celles du 5 et du 15 août, mais à l'occasion de la visite au Saint Sacrement, ou à la messe, ou en oraison dans la chapelle de la Vierge, ou au tombeau de la bienheureuse Maria Bagnesi.

En ces extases se révèle une plus grande attention aux Sœurs et au monastère.

L’extase du 5 août est particulièrement digne d’attention : elle y montre les différentes voies vers le Paradis et définit le caractère spécifique du Carmel, identifié avec la Vierge Marie, qui occupe dans l’ordre la place réservée dans les autres ordres au fondateur.

Particulièrement touchante enfin, la parabole de l’extase du 7 août, nous présente la grande sollicitude du Père pour l’homme, son enfant.

12. L’importance de Marie Madeleine et de sa doctrine spirituelle.

Le P. Zimmermann affirmait : « Parmi les Carmes de l'ancienne observance, sainte Marie Madeleine de Pazzi occupe la place occupée par sainte Thérèse dans la réforme ». Avec le P. Secondin nous pensons tout d’abord que Thérèse et Marie Madeleine font partie du même patrimoine intrinsèque de l’Ordre. Nous aimons reconnaître en sainte Marie Madeleine de Pazzi la continuité de l’école spirituelle du Carmel : alors qu’en 1582, Thérèse d’Avila quittait cette terre, Marie Madeleine entrait au Carmel de Florence, et presque tout de suite la force de l’Esprit la faisait monter en chaire pour enseigner, elle qui savait à peine lire.

S’il est vrai que Marie Madeleine a été très aimée par les Grands Carmes et leurs Sœurs c’est « parce qu’elle avait su incarner les valeurs les plus profondes du Carmel, parvenues à elle à travers les siècles, sans s’imposer comme un modèle préétabli, psychologique ou opérationnel. Moins introspective et psychologue, Madeleine offre une rapide science du mystère du Dieu vivant.

Le Carme, tout en unissant dans le même mouvement de charité l’action et la contemplation, ne doit pas s’arrêter à la seule contemplation dans “la chambre secrète du cœur du Christ”, mais aussi "se pencher à la fenêtre de son côté pour appeler beaucoup d’âmes avec un anxieux et amoureux désir de leur salut".

     



   


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A suivre...
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Message par M1234 Jeu 15 Sep 2016 - 10:45

MARIE MADELEINE DE PAZZI
Carmélite et auteur mystique, Sainte
(1566-1607)

LES QUARANTE JOURS D'EXTASES
2

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QUARANTE JOURS

1

(27 mai 1584)

Le matin de la Sainte-Trinité, ayant fait ma Profession, je me sentis entièrement privée de l’usage de mes sens  et attirée vers la connaissance et la compréhension du lien qui m’unissait à Dieu. Je me voyais liée à la très Sainte-Trinité par trois liens : les trois vœux auxquels je m’étais engagée par ma Profession. Par le premier, le vœu de chasteté, j’étais liée et unie au Père éternel, qui est la pureté même. Celle-ci m’apparaissait comme l'union et le lien le plus étroit que l’âme puisse contracter avec Dieu, par la conformité à Dieu que reçoit une âme pure ; je me voyais unie à Dieu de telle sorte et si étroitement, qu’il me semblait impossible de jamais, jamais pouvoir me séparer de Lui, à moins que je ne fusse tombée dans le péché de la chair. Mais le lien de la pureté ne serait point détruit parles autres péchés, fût-il souillé et distendu au point de paraître quasi rompu; et ce lien me semblait si précieux que ni sa grandeur, ni l’union que l’âme contracte avec Dieu ne pourrait s’exprimer par la parole humaine.

Puis je me vis liée et unie à l'époux Jésus, par le vœu d’obéissance, lien qui me paraissait, lui aussi, plus noble qu’on pourrait croire. Et voyant combien cette vertu est précieuse, grande et utile, je m’affligeais d’avoir si peu reconnu son utilité et sa valeur dans le passé, car cette sainte vertu rend l’âme conforme à Jésus, qui fut pleinement obéissant. Et je voyais que si les créatures pouvaient connaître la grandeur et l’utilité qu’apporte à l’âme cette vertu, elles se soumettraient à tout être, même infime. Il me semblait que cette vertu était particulièrement nécessaire au noviciat, où les novices n’en connaissent pas toute la valeur.

Ensuite j’étais liée à l’Esprit Saint par le vœu de pauvreté. Non pas que l’âme lui soit conforme, l’esprit Saint étant plein des trésors et richesses célestes, mais je pensais l’être de la manière dont parle Jésus dans l’Évangile : Heureux les pauvres en esprit, (Mt 5,3) et heureuses les âmes qui connaissent, savent recevoir et garder en elles les richesses et trésors de cet Esprit.

Ensuite, comme la veille de la très Sainte-Trinité j’avais offert mon cœur à Jésus, je sus qu’il l’avait accepté, car en cette matinée, je vis Jésus me le rendre et me donner en même temps la pureté de la Vierge Marie, si parfaite à mes yeux que ne pourrais l’exprimer.

Après cela, Jésus me caressant doucement, ainsi qu’une nouvelle épouse, m’unit toute à Lui et me serra contre son cœur où je trouvai un très suave repos. Puis il me sembla que le Seigneur m’ôtait ma volonté et tous mes désirs, de sorte que je ne puis rien vouloir ni désirer sinon ce que veut le Seigneur, ma volonté étant si conforme et si unie à celle de Dieu que de moi-même je ne puis rien vouloir ; s’il me voulait damnée, je serais encore contente et ne me soucie plus ni de mourir ni de guérir, mais je veux seulement ce qui est volonté de Dieu.

Finalement, il me sembla que Jésus et la très Sainte-Trinité me promettaient que jamais je ne tomberai en aucun péché mortel, et j’en eus très grand contentement, en sorte que dans la douceur que j’éprouvais je ne pouvais me retenir de pleurer.

2

(28 mai 1584)

Le lundi matin, après la communion, considérant les paroles de Jésus : Personne ne vient au Père, si ce n’est par moi, (Jn 14,6) il me sembla voir Jésus comme un pont (je ne saurais trouver d’autre similitude) et que personne ne pouvait être sauvé, sans passer par ce pont, c’est-à-dire à travers ses commandements, sa vie et sa Passion. Ensuite m’apparut la très Sainte-Trinité toute pleine d’amour pour les créatures ; mais je voyais que les créatures ne connaissaient pas cet amour, et ne mettaient pas tout leur effort à aimer purement Dieu. Je voyais que Dieu a créé l’âme d’un infidèle avec le même amour que celle de sa Mère très sainte, avec la différence que la Vierge a coopéré à cette grâce, en l’augmentant et la faisant grandir sans cesse, tandis que les infidèles s’en rendent indignes.

Je voyais cet amour si grand et démesuré, que jamais, jamais aucune créature ne pourra le comprendre ; il me semble même que nul ne saurait en avoir la plus petite idée, sinon celui qui l’aurait lui-même goûté. En voyant un amour si grand, j’étais poussée à crier « Amour, amour » avec tant de force et de véhémence, que je le prononçais à voix haute ; et, si je l’avais pu, je serais allée par le monde entier en criant « Amour, amour ». Mais en observant et voyant combien les créatures prêtaient peu d’attention à cet amour, je ne pouvais m’empêcher de ressentir une très grande souffrance, de sorte que je pleurais à chaudes larmes, et j’en étais profondément affligée.

3

(29 mai 1584)

Mardi matin, ayant communié, je considérais les trois facultés de l’âme et je voyais que l’intelligence des créatures, créée par Dieu pour comprendre et chercher Dieu et ses biens, s’employait tout entière à comprendre et rechercher les biens matériels de ce monde.

Puis je considérai que la mémoire, créée pour se souvenir des bienfaits de Dieu, de la Passion du Seigneur, de ses dons et de ses grâces, était occupée elle aussi par le souvenir de choses nocives pour l'âme.

Je voyais aussi que la volonté, créée pour l'union et la conformité à la volonté de Dieu, en était si éloignée, cherchant et voulant les biens de ce monde, et si fort attachée à la terre que, ne pouvant souffrir tant d’aveuglement et d’ingratitude de la part des créatures, je m’écriai dans un élan d’amour : « Non plus la terre, non plus la terre, mais Toi seul suffis, qui es plus grand que la terre ! » Je répétai plusieurs fois ces paroles, et je les prononçai encore à haute voix.

Puis je vis Jésus tout aimable et beau à la droite du Père éternel, avec ses cinq plaies comme cinq très belles chambres nuptiales toutes pleines de joyaux précieux, surtout celle du saint côté, où se tenaient toutes sortes de gens. Mais il me semblait que celle du côté était réservée à ses épouses, à nous qui sommes religieuses, et je voyais des créatures entrer dans ces chambres et en sortir. Les unes se paraient de beaux joyaux, les autres restaient immobiles, et moi je demeurais dans le côté où je voyais toutes nos moniales et beaucoup d’autres épouses de Jésus qui se paraient de bijoux et se faisaient toutes belles. Mais je n’en prenais pas et ne me parais point, je restais à me reposer très suavement dans l’époux, et, me retournant vers Jésus, lui disais : « Oh ! Mon Jésus, mon Amour, pourquoi ne prendrais-je pas de ces joyaux pour m’en parer, de même que tes autres épouses ? » J’entendis alors qu’il m’était répondu intérieurement : « Sais-tu pourquoi ? Parce que tu n’en es pas encore capable ».

Ensuite, je recommandai toutes les créatures à Jésus et une en particulier pour qui je n’eus pas grand espoir, ce dont j’éprouvai quelque douleur et amertume.

4

Le mercredi 30 mai 1584, ayant communié, je considérai les paroles du psalmiste : Tu as tout fait avec sagesse (Ps 104,24), et il me parut que le Père éternel faisait tout avec la Sagesse, à savoir son Fils, c’est-à-dire que le Père opérait par le moyen du Fils, et que dans la très Sainte-Trinité se trouvait la perfection infinie de toutes choses, dont une seule, l’humanité, lui manquait. Le Père éternel, en envoyant Jésus s’incarner en vint, par sa sagesse, à perfectionner la très Sainte-Trinité et à faire qu’au sein de celle-ci se trouvât ce qui n’y était pas encore; et l’âme reconnaissait combien de choses Dieu, dans sa sagesse, accomplit pour le seul bien des créatures, car lui n’en a nul besoin. En voyant combien les créatures connaissent peu ces bienfaits, et combien faible est leur amour pour Dieu, je ressentais une grande douleur et une peine insupportable, qui m’obligeait à dire : « Ô doux Seigneur, elle est bien grande la méchanceté de l’homme. Ô Amour, pourquoi tout cet aveuglement ? » Je le disais avec tant de peine et de véhémence, que je le proclamais à haute voix.

Une telle connaissance me fut donnée dans la contemplation de ces paroles : Tu as tout fait avec Sagesse. Alors mon âme, connaissant les bienfaits de Dieu, s’adressant à Lui pleine de joie s’écria : J’espérerai dans ta bonté (Ps 13.6). Je veux dire qu’en voyant la grande bonté de Dieu pour nous, je mettais en Lui, qui est la bonté suprême, toute mon espérance. En voyant ce qu’il avait fait pour ses créatures, à travers sa sagesse et sa bonté infinies, c’est-à-dire Jésus, et répétant souvent ces paroles : Dans ta bonté j’espérerai, je recommandai les créatures à Jésus, et terminai cette contemplation comme j’en avais l’habitude.

5

Jeudi 31 mai 1584. Ayant communié, je considérai ces paroles de Jésus : Je vis pour le Père (Jn 6,57). Et je vis que Jésus vivait pour le Père de trois façons. D’abord par la conformité de sa volonté à celle du Père ; de la seconde je ne garde aucun souvenir ; la troisième était son égalité avec le Père. Je dis que la première concerne la conformité de son vouloir, car Lui seul est parfaitement en accord avec la volonté du Père. Je voyais que l’âme aussi pouvait être unie à Dieu et vivre pour Dieu parce que si elle aime Dieu purement, elle sera, par cet amour, rendue conforme à la volonté de Dieu ; elle parviendra à accomplir toutes ses œuvres en Dieu et pour Dieu et ne vivra même que pour Dieu. Il en était de même pour la seconde dont je ne me souviens plus. Quant à la troisième, qui concerne l’égalité, Lui seul étant égal au Père, je ne savais de quelle manière l’âme pouvait être en cela conforme à Dieu, nul ne pouvant être l’égal de Dieu, sinon le Fils de Dieu lui-même.

Et pourtant je compris que l’âme peut aussi lui être conforme, et vivre pour Dieu en Dieu ; non toutefois de manière parfaite comme le Fils de Dieu, mais comme je vais le dire : l'âme étant pure, et aimant Dieu purement, et Dieu, le pur amour en personne, aimant l’âme de manière toute pure, celle-ci aime Dieu en retour et en vient par ce pur amour à être égale, par mode de participation, à Dieu lui-même, non pas en tout car Dieu seul peut s’aimer purement. Ensuite je voyais Jésus à la droite du père éternel, comme une mer immense, ou une étendue d’eau, qui se déversait continuellement dans les cœurs des pécheurs, afin qu’ils en viennent à s’adoucir et s’assouplir et, quittant le péché, à s’abandonner tous en Dieu. Mais la malice et l’orgueil des créatures étaient si grands qu’ils consumaient immédiatement cette eau à la manière d’un feu ardent, car rien ne pouvait lui résister. Il en était de même de tous les autres vices, mais surtout de l’orgueil.

Ensuite je vis du côté de Jésus, et dans son cœur même, une très grande fournaise d’amour, qui envoyait continuellement des flèches et des rayons enflammés dans les cœurs de ses élus. L’amour de Dieu répandu en eux leur donnait une telle grandeur et un tel prix que, coopérant à cet amour, ils pouvaient répondre à l’amour de Dieu en l’aimant d’un amour pur et, pour cette raison, ils étaient placés si haut, après Dieu, que je ne saurais le dire ou le faire comprendre en aucune manière. Ensuite, je recommandai les créatures à Jésus, et particulièrement le Père, comme j’ai l’habitude de le faire tous les matins (ici termine la transcription des extases de la main de sœur Véronique Alessandri).

6

Vendredi 1er juin 1584. Après avoir reçu la sainte communion, je considérais les paroles de Jésus : J’attirerai toute chose à moi (Jn 12,32). Comme je le remarquai, Jésus n’avait pas dit qu’il attirerait Celui qui contient toute chose — car, en ce cas, il aurait parlé de Lui-même, puisque Lui seul contient toute chose en Lui — mais « toute chose individuellement et sans exception ». Et selon l’expression « toute chose », le Seigneur, à ce qui m’apparut, avait attiré à lui notre faute même, bien qu’il ne puisse y avoir de peine en lui, je veux dire quant à sa divinité. En attirant la faute, il avait effacé la peine, souffrant et pâtissant beaucoup pour nous. Alors mon âme fondit d’amour, et jamais je ne pourrai dire ce que je goûtai ici de l’amour de Dieu.

Ensuite, il me sembla voir Jésus sur la croix, en pitoyable état, comme il fut sur le mont Calvaire : il répandait du sang de tous côtés. Et je voyais ces gouttes pareilles à des langues appelant les créatures à recevoir ce sang ; mais comme très peu le recevaient, j’en ressentis une grande peine intérieure, et dis à Jésus : « Mon Seigneur, comment est-il possible que la créature soit si ignorante et ingrate ? » Ensuite je vis les âmes qui recevaient ce sang. Il me sembla qu’il produisait en elles trois effets : aspirer, souffler et respirer en elles. Il faisait que l’âme aspirât, c’est-à-dire qu’elle désirât s’unir à Dieu, quittant ses péchés et se dépouillant complètement de ses vices et défauts. Ensuite il soufflait en elle, c’est-à-dire qu’il ouvrait et illuminait ses yeux intérieures, donnant à cette âme la connaissance de Dieu et d’elle-même. Enfin il respirait en elle : cette âme devenait le repos de Dieu, et Dieu se reposait en elle avec très grand plaisir et agrément; en échange l'âme devait se reposer en Dieu avec une douce satisfaction, mais c’est Dieu, tout d’abord, qui se reposait en elle.

Je vis encore Jésus portant sur la tête sa couronne d’épines ; il me sembla que cette couronne, comme le sang, produisait trois effets : traverser, transpercer, abaisser. Ces épines traversaient la tête de Jésus, car elles étaient bien longues et aiguës. Elles transperçaient le Père éternel au ciel. Non que la divinité au ciel puisse souffrir, mais en raison de l’amour que le Père éternel a pour son Fils, et sachant et voyant combien Jésus souffrait pour les créatures et toute l’ingratitude qu’elles lui rendraient pour cet amour, cette grande dureté de cœur des créatures lui donnait la nausée. C’est ainsi que la couronne transperçait le Père. Quant à l’abaissement, c’est en cela, me semble-t-il que consiste la grande humilité de Jésus ; j’ajouterai encore que la dite couronne l'accablait et l’écrasait tellement que lorsqu’il expira sur la croix il fut contraint de baisser la tête. Il me parut qu’en s’inclinant ainsi, Jésus avait, pour sa part enseveli et scellé le péché dans la terre.

Et moi, voyant le grand amour de Dieu pour les créatures, et par ailleurs l’ingratitude des créatures envers Dieu, je ressentais une si grande douleur que je pensai m’évanouir. Ce jour en allant au chœur devant le très Saint-Sacrement, face au beau Crucifix qui s’y trouvait, je dis cinq Notre Père et cinq Ave Maria; il me sembla que Jésus à chaque Notre Père et Ave Maria déposait chaque fois, dans une de ses plaies une fleur d’or très belle, me montrant ainsi qu’il en éprouvait de la joie, que cela lui était agréable, et j’en ressentis un grand plaisir.

7

Le samedi 2 juin, ayant communié, je considérais ces paroles que le Père avait prononcées en me donnant la communion : Et le Seigneur appela Samuel (I S 3,4), et qu’on avait lues la nuit à la leçon du premier nocturne de Matines. Il me semblait voir Jésus appeler les créatures à lui de deux manières. Premièrement, il appelait par des inspirations intérieures ses élus qui lui répondaient, mais non point tous, en agissant bien. Puis il appelait, de l’extérieur, les imparfaits par les prédications, confessions, exhortations, la tribulation ou la prospérité, mais très peu lui répondaient. J’en éprouvai de l’affliction, mais cette considération me fut ôtée en un instant.

Il me sembla voir la très Sainte Vierge en Paradis à la droite de Jésus; elle semblait me dire en souriant : « Tu ne tiens pas compte du don que tu as reçu le jour où tu pris le voile ». Ce don était la pureté de la Vierge que Jésus m’avait donnée. Je voyais la Vierge si belle que je ne puis vous l’exprimer ; il me semblait que par sa perfection, non par son désir, car le désir ne peux exister en Paradis, elle aurait, si elle l’avait pu, augmenté la grandeur et la gloire de son Fils.

Je voyais encore que la Vierge avait glorifié Dieu de plusieurs façons quand elle vivait en ce monde, mais surtout de cinq manières. Premièrement, elle le glorifia comme Seigneur dans l’Incarnation, quand elle dit en s’humiliant et s’abaissant comme ferait un serviteur devant son maître : Je suis la servante du Seigneur (Lc 1,38). En second lieu, elle le glorifia dans la Circoncision en lui obéissant comme au Père. Troisièmement, elle le glorifia dans la Passion en lui gardant sa foi comme à un époux, en un temps où nul ne la possédait intégralement. Quatrièmement, elle le glorifia comme son Fils dans la Résurrection en l'attendant avec l’amour et l’allégresse que ressent une Mère pour son Fils. Cinquièmement, elle le glorifia comme Rédempteur lors de la venue de l’Esprit Saint. Bien que Jésus nous eût rachetés sur le bois de la croix, la Rédemption n’était cependant pas encore prêchée et proclamée à travers le monde, car les Apôtres étaient fort peureux et timides avant la venue de l’Esprit Saint, qui ne leur avait point encore donné sa plénitude, et qui fut le terme et le sceau de notre Rédemption (2 Co 1,22).

Et je voyais que du sein de la Vierge Marie coulaient deux fontaines, l’une de lait, l’autre de sang. Celle de lait se répandait sur toutes les âmes bienheureuses du Paradis, les rendant capables de mieux comprendre l’union qui existe en Jésus entre la divinité et l’humanité. Celle de sang se répandait sur toutes les créatures, mais très peu le recevaient et à voir tant d’ingratitude et de malice dans le cœur des créatures, je ressentais une douleur très intense, qui me contraignit à dire encore à haute voix : « Assez, assez Seigneur, assez, ne me montre plus leur malice, car je ne puis supporter la vue de tant d’ingratitude ». Je vis encore ce sang se répandre sur tous les religieux, en particulier sur les moniales de ce monastère, et toutes le recevaient, mais les unes en tiraient profit et les autres non, parce que certaines le recevaient avec tant de tiédeur et si peu d’amour qu’il ne pouvait fructifier en elles. Je les recommanda donc à Jésus, ainsi que toutes les autres créatures, et particulièrement quatre pécheurs qui, je le savais, en avaient besoin.

À ce moment je vis la Vierge Marie dont la bouche s’ornait de tant de gloire, de grâce et de beauté que jamais je ne pourrai l’exprimer en aucune manière, ni le faire comprendre. Et cela provenait, me semblait-il, des profondes paroles qu’elle avait dites au moment de l’Incarnation : Je suis la servante du Seigneur. Telle était la gloire répandue sur ses lèvres qu’il me sembla que si Dieu n’eût pas été au Paradis, elle seule avec sa gloire, sa grâce et sa beauté aurait suffi à en donner en abondance à tous les saints. Car elle me semblait à elle seule un Paradis, débordant de gloire, de beauté et de charme.

Et continuant à recommander ces quatre pécheurs, je priai en particulier pour une personne pour laquelle je ressentis en moi une très grande douleur, car je croyais comprendre qu’elle n’avait pas un vrai repentir d’un péché qu’elle avait commis, et même si elle éprouvait quelque regret, il lui manquait la confiance en Dieu, car elle était, semblait-il, presque désespérée. Mon cœur en souffrit tant que cela m’atteignit même extérieurement, et je m’en plaignis au Seigneur, le priant de ne plus rien me montrer, car la douleur me faisait presque défaillir.

8

Le dimanche 3 juin 1584, considérant l’Évangile du jour : Un homme donna un grand repas (Lc 14,16), il me parut comprendre que tout ce que Jésus avait enseigné dans le saint Évangile, et prononcé de sa sainte bouche, il l’avait enseigné et dit selon l’excessif amour qu’il nous porte. Quant à cette parabole de l’Évangile d’aujourd’hui, il me fut donné de la comprendre de deux manières, une pour les séculiers, l’autre pour les religieux.

Je voyais Jésus envoyer ses serviteurs, c’est-à-dire les quatre évangélistes, inviter toutes les créatures. Tous étaient conviés à la table du très Saint-Sacrement. Les premiers qui refusèrent l’invitation, disant avoir acheté un domaine, sont ceux que retiennent les richesses et les choses de ce monde. Des seconds qui s’excusèrent parce qu’ils devaient essayer des bœufs, je ne me rappelle pas ce que j’entendis. Les suivants qui venaient de se marier sont ceux qui s’adonnent à la sensualité et aux plaisirs de la chair et demeurent captifs du pouvoir de leurs sens, comme les animaux.

Voyant ensuite les aveugles et les boiteux appelés à la cène, je reconnus ceux qui reçoivent le très Saint-Sacrement, les seuls qui soient bons, même sans être encore dans la voie de la perfection. Ceux des places et des haies sont non seulement bons mais se trouvent dans la voie de la perfection, parce que, cheminant dans les lieux publics ils sont méprisés par les gens et considérés comme vils, j’entends, par ceux qui manquent d’intelligence, c’est-à-dire les gens du siècle.

Je vis ensuite que — pour inviter les religieux —, Jésus envoyait ses serviteurs, c’est-à-dire les inspirations du Saint-Esprit, non que l’Esprit soit serviteur, car il est égal au Père et au Fils, mais c’est une tâche de serviteur qu’il accomplit au moyen de l’inspiration communiquée aux créatures. Ainsi donc Jésus appelait les religieux à son banquet par l’inspiration de l’Esprit Saint. Les premiers qui ne voulurent pas accepter l'invitation, car ils avaient acheté un domaine, sont les religieux qui veulent toujours faire leur volonté, et n’observent pas le vœu de la sainte obéissance. Les seconds, ceux qui achètent les bœufs, sont ceux qui ne gardent pas leurs cinq sens, mais comme cinq paires de bœufs déchaînés donnent satisfaction à toutes leurs envies, et violent le vœu de la sainte chasteté. Les troisièmes, ceux qui se marient, sont les religieux propriétaires, qui, ayant pris la propriété pour femme, n’observent point le vœu de pauvreté. Me souvenant alors des monastères non observants je les recommandai à Jésus.

Je vis ensuite les aveugles et les boiteux qu’on avait obligés à entrer pour le repas : ce sont les religieux qui observent leur Règle, mais ne sont pas encore parfaits. Quant aux autres, qui se tenaient sur les places et le long des clôtures, ce sont les religieux les plus parfaits ; ils restent seuls et s’adonnent à l'oraison, aux jeûnes, aux pénitences, ils vivent retirés, demeurant en silence dans leurs cellules, mais quand ils sortent sont considérés comme fous et beaucoup se moquent d’eux. Et, je le compris, tous ceux que je voyais invités, religieux ou séculiers, étaient conviés non seulement à la table du très Saint-Sacrement, mais encore à celle des bienheureux (Cf. Ap 19,9), qui est la vision de Dieu. Mais ici-bas où nous sommes mortels et ne pouvons voir Dieu, il me semblait que Jésus attirait à son côté tous les religieux et séculiers qui s’approchaient de cette table, et les alimentait et nourrissait de son sang. Plus encore, il les habillait, comme enfants du même sang, de sorte que je les voyais tous nourris et vêtus de sang, ceci à cause du grand amour que le Seigneur porte à ses créatures.

Ensuite, je vis Jésus tout amoureux; de son côté sortait un très beau lien formé de trois brins, et Jésus me lia de ces liens à la très Sainte-Trinité, à laquelle j’étais liée. Jésus plaça ensuite une très belle pierre de couleur violette dans son côté très saint, afin que je n’en puisse pas sortir, et ne m’attribue à moi-même aucun bien, mais tout à Dieu. Ceci non plus n’empêchait pas la précédente vision. Et puisque c’était l'octave de ma Profession et de ma prise de voile je compris que, de cette manière, Jésus m’avait à nouveau liée à lui.

Ce matin, qui était l’octave de la fête du Corps du Seigneur, les moniales firent une procession solennelle avec le très Saint-Sacrement, qu’on déposa dans la pièce où j’étais alitée. Et alors qu’on chantait une sublime louange, il me sembla que Jésus venait à moi tout plein d’amour, m’honorant d’un joyeux accueil. Il me donna sa sainte paix dans un baiser plein de douceur, dont j’eus un grand contentement.

9

Le lundi 4 juin, ayant communié, je vis Jésus, et il semblait me dire : « Eh bien donc, mon épouse, voici que je me suis donné tout à toi, je veux que maintenant tu t’unisses toute à moi ». Et aussitôt en me caressant, il m’unit toute à lui dans un très grand amour, de telle manière que je demeurai tout absorbée par l’immensité de l’amour de Dieu. Et l’on me fit alors connaître la grandeur de ces paroles de l’Apocalypse : Au vainqueur je donnerai la manne cachée et un nom nouveau (Ap 2,17). Je compris que les vainqueurs étaient ceux qui maîtrisaient le démon, le monde et eux-mêmes ; on leur donnait la manne cachée du très Saint-Sacrement, cachée aux superbes mais non aux humbles, encore cachée pour nous tous sous les apparences de l’hostie. Il est caché aux superbes, car quand Jésus passe chez eux, ils demeurent sans goûter la douceur et la suavité de ce Sacrement, et incapables d’en tirer le fruit. Je vis ensuite Jésus dans sa gloire à la droite du père ; de son côté sortait une liqueur, une manne très blanche et très douce, et je compris que c’était sa très sainte grâce, tout à fait cachée aux superbes, car il ne peuvent, à cause de leur orgueil, avoir la grâce de Dieu.

Je vis ensuite que les âmes qui recevaient cette liqueur de la grâce de Jésus étaient à ce point fortifiées et montraient une telle constance, que si une seule d’entre elles était tentée par tous les démons de l’enfer, et que toutes les créatures, s'il était possible, devenaient des démons incarnés pour tenter et harceler cette âme, elle serait si forte et constante, par la grâce de Dieu présente en elle, qu’elle ne consentirait jamais à tomber dans le péché pour ne pas offenser cette divine Majesté. Je compris encore qu’une seule âme recevant cette grâce en viendrait, si c’était possible, à procurer à Dieu plus de contentement parce qu’en cela s’accomplirait sa volonté de donner, autant qu’il dépend de lui, sa grâce à toute créature. Et en cela les saints aussi puisaient grande satisfaction et allégresse, voyant que la volonté de Dieu s’accomplissait.

De même, les âmes du Purgatoire trouvaient un grand contentement à voir celles qui recevaient la liqueur de la grâce ne pas lui opposer d’obstacle, comme durant leur vie en ce monde, ce qui fait qu’elles sont au purgatoire, et telle était leur joie que leur peine en était presque allégée. Par ailleurs, je voyais que tous les saints avaient un nom nouveau, inscrit au Livre de la vie; ce livre me semblait être la sainte humanité de Jésus, et ces noms étaient imprimés avec le sang de Jésus qui est l’Agneau. Ce nom, après celui de Dieu, était d’une telle grandeur que jamais, jamais on ne le pourrait expliquer. « Grâce du Verbe », ainsi appelons-nous les vierges selon leur pureté virginale, ne sachant expliquer autrement cette vertu. Elles possèdent, après celui de Dieu, un nom nouveau d’une valeur plus élevée et plus précieuse, que seul Dieu connaît et voit, et il en est de même pour les martyrs, les docteurs, et tous les autres saints du Paradis.

10

Mardi 5 juin. Après la communion, je contemplai ces paroles du Psalmiste : Tu as fait du bien à ton serviteur, Seigneur, selon ta Parole (Ps 119,65). Je voyais les effets de la grande bonté de Dieu, et il me semblait que Dieu avait montré cette grande bonté par le moyen de son Verbe, que je voyais exister de deux manières : comme Verbe au sens de parole, et comme Fils unique de Dieu, également désigné par ce nom de Verbe. Par ce Verbe donc et par ces paroles et promesses que Dieu avait faites aux patriarches et aux saints de l’Ancien Testament, se voyait et se manifestait sa grande bonté ; mais elle se révéla surtout quand il envoya s’incarner le Verbe éternel pour racheter la créature. Il me semblait comprendre que le Père éternel avait aimé d’une certaine manière la créature plus que son propre Fils, l’ayant livré pour elle à tant de peines et de tourments, pour le seul but de nous élever à une telle gloire, et que par grâce nous puissions devenir d’autres dieux. Je veux dire par mode de participation, personne ne pouvait l’être par nature que Lui seul.

Et ici je plongeai et m’enfonçai tellement dans la considération de sa grande bonté et de son amour pour nous que j’en restai absorbée. Mais ensuite, faisant un grand saut de l’amour à la justice, je crus voir ce que dit Jésus dans l’Évangile : Il viendra avec grande puissance et Majesté (Mt 24,30). Cette puissance était si grande en sa sainte humanité, que jamais ma parole ne saurait l'expliquer. Il en était de même de la Majesté avec laquelle il venait pour juger le monde, si bien que non seulement les saints déjà dans la gloire du Paradis, mais aussi la Vierge sa Mère, elle-même, se tenaient devant Lui dans une crainte respectueuse. Et voyant cette juste justice s’exercer sur les pécheurs, par respect de cette terrible Majesté, elle n’osait prier pour eux son propre Fils.

Je voyais que pour les saints tout coopérait à leur bien (Rm 8,28) et se changeait en gloire pour eux, mais eux aussi demeuraient dans cette crainte révérencielle jusqu’à ce que le Seigneur leur dise : Venez les bénis de mon Père (Mt 25,34). De même je vis ensuite que tout coopérait au mal pour les méchants, que tout était pour eux peine et tourment ; mais ils n’étaient pas remplis de confusion comme lorsque Jésus avait dit : Allez maudits, dans le feu éternel (Mt 25,41).

Je voyais encore que le Père éternel s’était, pour ainsi dire, privé de sa divinité, donnant à la sainte humanité de Jésus toute aptitude et tout pouvoir en vue du jugement. Lui-même, au temps de la Passion, perdit le sentiment de sa divinité — celle-ci ne pouvant souffrir en elle-même — et toute la peine demeurant en cette sainte humanité. Jésus, par la Passion et la mort subies en son humanité, a racheté la créature et payé notre faute par de grandes souffrances : c’est pourquoi le Père éternel lui accordera le pouvoir de sauver et de condamner qui bon lui semble.

Alors, en voyant tant d’ignorance de la part des créatures, et tant d’aveuglement, car elles ne pensaient pas à leur fin, j’éprouvai une très grande peine. Et je commençai à prier Jésus, si toutefois c’était sa volonté, de me faire souffrir pour les péchés de toutes les créatures ; même si tout l’enfer devait tomber sur moi, je ne m’en serais pas souciée car, comme je l’ai dit, sa volonté est que par sa grâce tous soient sauvés. Et il me semblait que Jésus souriait de moi et me disait : « Tu sais bien que tu ne peux avoir ni désir ni volonté sinon de m’aimer pour moi ; je veux qu’en dehors de moi tu ne puisses rien vouloir ni pouvoir sinon ce que je veux et qui est ma volonté. Mais prends garde à ta vie et sois préparée à tout ce que j’ai ordonné, et qui est ma volonté ». Toutefois je ne cessais pas de le prier qu’il voulût sauver toutes les créatures, mais je comprenais que ce n’était pas possible, à cause de tant d’aveuglement et d’ingratitude.

11

Le mercredi 6 juin, après avoir communié, il me sembla voir Jésus, tout amoureux, qui me disait : « Ô mon épouse, pourquoi penses-tu que je veuille si souvent m’unir à toi ? » Et aussitôt, je le sentis m’unir à Lui, et il me parut comprendre que Jésus unissait mon âme à Lui pour trois raisons. La première, c’est que l’âme unie à Jésus éprouve plus de sécurité en elle-même et plus de familiarité avec lui. La seconde, que cette union fortifie l’âme contre toutes sortes de tentations. La troisième, qu’elle devient ainsi plus agréable au Père éternel et capable de Lui plaire davantage, Jésus ayant dit dans l’Évangile : « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, vous l’obtiendrez »(Jn 14,14). C’est pourquoi l'âme unie à Jésus, non seulement obtient les grâces du Père éternel, mais lui est encore toute reconnaissante et agréable. Voilà, à ce qu’il me semble, pourquoi Jésus m’unissait si souvent à Lui dans le très Saint-Sacrement.

Puis j’entrai dans un très vaste jardin, attrayant et d’une grande beauté, que je voyais à l’intérieur du côté de Jésus, et dans ce très noble jardin je vis les anges de toutes les moniales de ce monastère, ainsi que celui du Père confesseur. Tous me semblaient très beaux, mais, sauf celui du Père et le mien, je ne savais quelles moniales ils assistaient en particulier. Je les voyais tous tresser des guirlandes de fleurs, chacun pour sa moniale ; quelques-unes de ces guirlandes étaient toutes blanches, d’autres rouges, chacune ayant une couleur différente, quelques-unes même des teintes variées, suivant les vertus de la moniale à qui appartenait la guirlande. Les anges liaient celles-ci d’un fil d’or, que je compris être la charité des moniales. Mais je vis bien que huit ou dix de ces anges attendaient ; ils ne liaient pas leurs guirlandes, bien qu’ils eussent les fleurs, et semblaient attendre un peu de fil pour les lier. Alors Jésus me dit : « Vois, si ces moniales n’ont pas de charité, jamais leurs anges ne lieront leurs guirlandes, étant dépourvus de fil, c’est-à-dire de charité. Ces fleurs, je les réserverai pour les en fleurir et les en parer, mais elles ne pourront recevoir de guirlande ».

Puis je vis quelques-uns de ces anges tenir à la main une baguette sur laquelle ils attachaient les fleurs : les unes d’or, d’autres blanches, ou vertes, ou d’autres couleurs. Et cette baguette, je compris que c’était le travail de fond que ces Sœurs avaient accompli, dès l’origine, dans les vertus représentées chacune par des fleurs. Parmi ces anges, quelques-uns avaient à peine commencé à tresser et procédaient très lentement et soigneusement : c’était pour celles qui devaient vivre longtemps. D’autres se hâtaient davantage et leur travail était à demi achevé : je compris que leur vie serait courte. Il y en avait aussi qui, après avoir lié une fleur, la détachaient et revenaient en arrière, et cela, à cause du défaut des moniales qui ne persévéraient pas dans les vertus comme elles avaient commencé.

Je voyais aussi que mon petit ange allait très vite, et avait lié la mienne plus qu’à moitié : je compris ainsi qu’il me restait peu de temps à vivre ; cependant je ne désire ni mort, ni vie, mais seulement que soit faite en moi et sur moi la volonté de Dieu. Je vis encore celle du Père confesseur, qui n’était point une guirlande de fleurs comme les autres, mais une très belle couronne d’or, à cause de sa charité pour nos âmes, car il se fatiguait beaucoup pour notre salut; elle était tout ornée de magnifiques joyaux et je vis qu’elle était terminée. Mais Jésus me dit : « Cette couronne n’est pas encore ornée comme je veux qu’elle le soit ». C’est pourquoi je voyais son petit ange y ajouter quelques joyaux pour l’embellir, d’autres pour l'enrichir, les faisant briller, par moments, d’un éclat magnifique.

Je vis ensuite quatre allées dans ce jardin. La première aboutissait au cœur de Jésus. À son extrémité, je veux dire dans le cœur de Jésus, se trouvait une très belle fontaine dont l’eau, ainsi que je le compris, exerçait deux effets sur les créatures : elle rafraîchissait et réchauffait. Elle rafraîchissait ceux qui brûlent du feu de l’orgueil, tandis qu’elle réchauffait les tièdes et les rendait tout fervents pour l’amour de Dieu et son service. La seconde allée partait du cœur de Jésus ; je la voyais aboutir à la main droite, où l'âme parvenait par la foi. La troisième allée partait, elle aussi, du cœur de Jésus et aboutissait à sa main gauche, où l'âme arrivait par la justice, c’est-à-dire que la créature désirait que s’accomplisse la justice de dieu et que justice soit faite de tous ses péchés, défauts et imperfections. La quatrième allée du cœur de Jésus allait à sa sainte bouche et je compris qu’il s’agissait là de la vision de Dieu, où l'âme ne peut accéder tant qu’elle est en ce monde.

Et toutes ces allées m’apparaissaient recouvertes au-dessus et sur les côtés par la très sainte humanité de Jésus. La première était couverte par sa sainte poitrine, et les deux du centre par ses saints bras. La quatrième par la gorge de Jésus. Ensuite je vis sa tête sacrée toute parsemée de trous, comme de petites pièces, qui reluisaient tellement qu’ils semblaient des miroirs ; c’étaient les trous que Lui avait faits la couronne d’épines. Je compris par-là que les créatures doivent se regarder dans leur chef, le Christ, car elles en sont les membres. Je commençai tout de suite à les recommander à Jésus, en particulier cette personne dont j’ai parlé déjà, pour laquelle je n’éprouvai pas de douleur comme l’autre fois, car je compris qu’elle commençait à reconnaître son erreur et son péché et qu’elle s’en repentait. Je recommandai encore le Père, ainsi que l’archevêque et les Sœurs à Jésus comme j’en ai l’habitude en particulier chaque matin.

12

Le jeudi 7 juin 1584, après avoir communié, je m’arrêtai pour méditer sur ces paroles de Jésus : J’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous (Lc 22,15). Il me semblait voir que Jésus nous avait laissé sa présence afin que nous puissions nous unir plus étroitement à Lui tant que nous sommes encore en ce monde, et que le même amour qui l’avait poussé à s’incarner l’avait décidé à nous laisser sa présence dans le très Saint-Sacrement. Ainsi je comprenais qu’avant son Incarnation Il avait regardé notre âme, la voyant pour ainsi dire en lui-même, car elle était faite à son image et à sa ressemblance, même si personne d’autre que Lui ne le savait, ni ne pouvait connaître combien elle était précieuse et belle ; comme elle se trouvait en grand danger, une fois le péché commis, et qu’Il l’aimait d’un amour infini, à cause de cet amour qu’Il nous a montré plus tard en mourant sur la croix.

De même, je compris que Jésus-Amour vivait avec nous en ce monde en se regardant Lui-même, je veux dire son humanité, et connaissant surtout par Lui-même et en Lui la fragilité de notre nature humaine qu’Il avait assumée ; et comme Il nous aimait du même amour qu’auparavant, Il voulut offrir un remède non seulement à l’âme mais au corps aussi, se donnant en nourriture d’une manière corporelle, pour nourrir l’un et l’autre et les fortifier en Lui-même. Ô quel Amour ! Il me semblait voir que Jésus s’unissait à l'âme de son épouse par une union très étroite, posant la tête sur celle de l’épouse, les yeux sur ses yeux, la bouche sur sa bouche, et ainsi des mains et des pieds, enfin de tous les autres membres, si bien que l’épouse devenait une seule chose avec Lui, voulant tout ce que voulait son époux, voyant tout ce qui était en Lui, goûtant tout ce qu’Il goûtait, faisant les œuvres de l'époux, désirant tout ce qu’Il désirait, et rien en dehors de Lui. Dieu veut que l'âme s’unisse à Lui de cette manière, et Lui veut s’unir à elle. Celle-ci, la tête posée sur celle de Jésus, ne peut rien vouloir d’autre que de s’unir à Dieu et que Dieu s’unisse à elle. Elle en arrive ainsi à vouloir toujours ce que Dieu veut.

Dieu se voit tout entier en Lui-même, Lui seul est apte à se connaître. Il se voit Lui-même en toute créature, même en celles qui n’ont pas de sentiment, car Il est en elles par sa puissance, qui les fait agir et fructifier. Et l’âme, les yeux dans ceux de Jésus, se voit en Dieu, et voit Dieu en toutes choses. Elle voit encore son incapacité, et par elle, connaît et voit que Dieu seul peut se comprendre; de cette manière l’âme arrive à voir ce que Dieu voit. Elle goûte Dieu, savoure toutes choses en vue du bien, et même des défauts elle sait tirer le bien. Ainsi l'âme, sa bouche sur la bouche de Jésus, goûte et savoure toutes choses en leur bonté; des défauts même elle tire du bien : voyant une créature commettre une faute, elle ne sait l’interpréter qu’en bien, et de cette manière elle goûte ce que Dieu goûte.

Dieu fait tout avec sagesse et puissance; plus encore, Il donne sagesse et puissance à toutes les créatures. L'âme qui est unie à Dieu, et dont les mains reposent sur les mains de Jésus, accomplit ses œuvres elle aussi avec sagesse et puissance ; avec sagesse, en s’écartant de toutes choses nocives et qui ne plaisent pas à Dieu; avec puissance, parce que l'âme amoureuse de Dieu pense tout pouvoir, même les choses impossibles, et s’il le fallait se jetterait au milieu des épées et dans les flammes, car il lui semble tout pouvoir, et c’est ainsi qu’elle en vient à agir comme Dieu.

Dieu désire que toutes les créatures soient sauvées, non qu’Il en éprouve le désir, car il n’y a pas de désir en Lui, mais je parle ainsi pour me faire comprendre. L'âme dont les pieds sont unis avec ceux de Jésus, désire que toutes les créatures aiment Dieu et soient sauvées. Si bien que l'âme, selon sa participation à Dieu et sa conformité à Lui, devenait elle-même un autre Dieu par grâce, car par nature Dieu seul peut l’être absolument. Je commençai à recommander à Dieu toutes les créatures, et en particulier ces quatre pécheurs, comme d’habitude ; je compris que Jésus voulait sauver telle personne au moyen des oraisons que ses créatures feraient pour elle : c’est ce qu’Il sembla me dire. Ensuite je Lui recommandai plus particulièrement le Père.

13

Le vendredi 8 juin, après avoir communié, me trouvant en extase, il me sembla entendre Jésus me dire : « Viens ma chère petite fille, vois le roi Salomon couronné » (Ct 3,11). Et tout de suite, je le vis auprès de moi couronné d’épines, et mal en point. Les serviteurs des Juifs Lui mettaient la croix sur les épaules pour le conduire au mont Calvaire, et moi, je le suivais. Durant le chemin, je considérais l’œuvre infâme de Judas, qui par son inique trahison, donnait la mort à celui qui donne à tous la vie. Et dans ma grande douleur devant cette injustice, je ne pouvais m’empêcher de crier avec force : « Traître, traître ! »

Entre-temps, Jésus arriva au mont Calvaire; je vis qu’on voulait le clouer sur la croix, et je commençai à crier : « Ignobles traîtres, c’est vous qui méritez d’être crucifiés ! » et quand ils commencèrent à Lui clouer les pieds, je compris que Jésus était cloué sur la croix, non seulement par les Juifs au temps de sa Passion, mais encore aujourd’hui par la malice des chrétiens qui vivent dans la ruse et la feinte. Je vis ensuite que tous les superbes clouaient la main droite de Jésus, avec leur orgueil, tandis que les avares Lui clouaient la main gauche avec leur avarice. Par contre, les pieds de Jésus étaient libérés de la croix par ceux qui servent Dieu avec simplicité et sincérité. La main droite était détachée par ceux qui sont vraiment humbles, et la main gauche par les hommes généreux qui, dépourvus de biens temporels, exercent la charité en biens spirituels.

Quand Jésus fut cloué sur la croix par les serviteurs, comme ses mains n’arrivaient pas aux trous que les Juifs avaient préparés sur la croix, il fallut Lui tirer avec violence les bras et les mains pour l’y fixer avec les clous, et les os de sa sainte poitrine en furent disloqués. Je compris que Jésus voulait cela pour s’unir à sa créature, comme Il s’était arraché aux délices où Il demeurait dans le sein de son Père éternel, je veux dire par mode de présence et non par essence, quand Il prit chair.

Alors Jésus me recommanda de dire au Père qu’il conseillât aux moniales de demeurer unies entre elles; que si elles ne le faisaient pas, Il se séparerait d’elles dans l'avenir, mais les moniales d’aujourd'hui seraient plus sévèrement punies parce qu’elles ont plus de commodité à faire le bien ; Il demande encore qu’elles aient compassion les unes des autres, et considèrent leurs propres défauts plutôt que ceux d’autrui, de peur qu’Il ne soit obligé de se séparer d’elles. Il me semblait que les novices aussi avaient besoin de cette union, mais je compris surtout qu’elles étaient peu considérées et il me parut que nous agissions au hasard, surtout quand on recevait le très Saint-Sacrement.

Ensuite, je vis toutes les plaies de Jésus formant comme des miroirs, afin de permettre aux créatures de se regarder en Lui. Et j’entendis Jésus crier sur la croix : Celui qui a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive (Jn 7,37). L’eau que l’on devait boire sortait des membres de Jésus, de tout son corps, et, comme une pluie, elle tombait dans le cœur des créatures, et je compris que cette eau était sa grâce. De même que la terre reçoit l’eau de la pluie, et qu’ensuite, le soleil la réchauffait de ses rayons, elle germe et donne des fruits, ainsi faisait Jésus, me semblait-il, en ceux qui recevaient cette eau. Ouvrant ensuite sa poitrine, comme un soleil, Il envoyait les rayons de son saint amour à ses créatures, celles qui avaient reçu cette eau dans les cœurs, et les réchauffant, les faisait germer et produire les fruits très doux des bonnes œuvres.

Ceux qui s’approchaient de la croix, et recevaient cette eau, étaient ceux qui désiraient faire le bien, et l’accomplissaient selon leurs forces. Je vis encore ceux qui se tenaient au pied de la montagne, et qui en recevaient peu, et, je le compris, ceux-là désirent faire le bien, mais ils ne bougent pas, et restent sans rien faire. De même je vis ceux qui se tenaient à distance, et n’en recevaient point : ceux-là ne font pas le bien, et n’en ressentent pas même l’attrait ou le désir qu’ils devraient éprouver. Voyant cela je les recommandai à Jésus, ainsi que toutes les autres créatures, le Père, et ceux que j’ai coutume de recommander chaque matin.

14

Le samedi 9 juin, ayant communié, je vis Jésus tout plein d’amour me dire : Viens ma colombe, au creux des rochers, dans les fentes des murs (Ct 2,14). Et je Lui répondis : « Jésus, mon amour, de moi-même je ne sais y entrer ». et Jésus me dit : « Courage, j’expirerai et aspirerai, j’expirerai pour t’envoyer mon souffle, ensuite en aspirant je le ramènerai à moi, et t’attirerai en moi avec lui ». et ainsi, inspirant en moi son souffle, doux et amoureux, puis l’aspirant et le ramenant à Lui, Il m’attira en Lui, et m’enferma en Lui avec la porte de son côté.

Et prenant la parole, Il me dit : « J’ai attiré à moi la Vierge Marie, elle aussi, comme je l’ai fait pour toi, insufflant en elle ma divinité, lorsque moi, le Verbe, je m’incarnai en elle ; plus tard, quand je fus remonté au ciel, c’est d’une aspiration que je la ramenai à moi ». Quand Il eut dit cela, je vis un très beau temple; il me semblait être celui qu’on nomme « Temple de Salomon », et la Vierge Marie était ce temple, je veux dire celui du vrai Salomon, Jésus.

Et je crus comprendre que le sol de ce temple était l’humilité de la Vierge, notamment quand elle dit : Voici la servante du Seigneur (Lc 1,38). Les quatre murs étaient ses quatre vertus cardinales, c’est-à-dire la justice, la force, la tempérance et la prudence, qu’elle pratiqua surtout au temps de la Passion de son fils Jésus.

La justice d’abord, car elle permit à son Fils, si pur et innocent qu’Il fût, de prendre sur Lui nos péchés : voilà le premier mur. Elle pratiqua donc la vertu de force, supportant toutes les injures adressées non seulement à son Fils mais à elle aussi, et demeurant forte dans la foi, qu’elle garda entièrement et de manière constante : voilà le second mur de ce temple. Le troisième figurait la vertu de tempérance, car bien qu’elle souffrît extrêmement pour son Fils, et qu’elle pleurât et soupirât amèrement, elle le fit avec grande modestie et gravité, la certitude de la Résurrection tempérant son immense douleur. Quant au quatrième mur, il me semblait représenter la vertu de prudence, que la Vierge pratiqua non seulement au temps de la Passion, mais tout au long de sa vie, accomplissant toutes ses œuvres avec une grande mesure et sagesse.

L’estrade de ce temple évoquait son esprit noble et son intelligence illuminée, j’entends celle de la Vierge Marie. Quant à l'autel, je le compris, c’était la volonté de la Vierge. Et la nappe de l'autel sa très pure virginité, et le ciboire où demeure Jésus, le cœur de la Vierge. Je voyais devant cet autel sept lampes allumées, où je reconnus les sept dons de l’Esprit Saint, qui tous se trouvaient en elle de manière parfaite. Sur cet autel se dressaient douze très beaux chandeliers : je compris qu’ils figuraient les douze fruits de l’Esprit qui demeuraient en elle.

Il me sembla ensuite voir la Vierge au Paradis, habillée d’une couleur céleste, comme celle que nous appelons « di Matti » mais bien plus belle. Elle tenait ouvert son petit manteau sous lequel je voyais entrer toutes les moniales ; pourtant quelques-unes en sortaient, mais y revenaient aussitôt. J’y voyais encore le Père confesseur, assis sur les genoux de la Vierge, un peu en dehors du petit manteau. Je me tenais devant lui, de sorte que nous voyions tous deux le visage de la Vierge Marie, mais celles que recouvrait le petit manteau n’apercevaient pas comme nous son visage.

Je vis encore des moniales d’autres monastères, mais très peu entraient sous le petit manteau de la Vierge, et si elles restaient en dehors, je compris que c’était surtout pour deux raisons. D’abord parce qu’elles n’observaient pas le vœu de chasteté qu’elles avaient prononcé devant Dieu ; ensuite à cause du péché de propriété, contraire à leur vœu de pauvreté. En voyant cela, avec grande véhémence et un ardent amour, je me mis à recommander à la Vierge tous les religieux et toutes les religieuses infidèles à leurs vœux. Ensuite, comme d’habitude, je recommandai à Dieu toutes les créatures et en particulier le Père confesseur.



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A suivre...
   



   

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Message par M1234 Ven 16 Sep 2016 - 11:17

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MARIE MADELEINE DE PAZZI
Carmélite et auteur mystique, Sainte
(1566-1607)

LES QUARANTE JOURS D'EXTASES
3

15

Le dimanche 10 juin, après avoir reçu la très Sainte Communion, je vis Jésus plein d’amour qui, doucement me disait : Ma fille, donne-moi ton cœur (Pt 23,26). Aussitôt, Il prit mon cœur et le mit dans le sien, et, me parlant avec un très grand amour, Il me dit : « Ma petite fille, je ne veux point te rendre ce cœur avant qu’il ne soit tout pur, pur et plein d’amour pur, afin qu’au jour de ton jugement particulier, lorsque je le présenterai à mon Père éternel, Il l’accepte et le reçoive, et qu’il Lui soit spécialement agréable en raison du lieu où je le garde.

Tous les saints aussi seront en grande fête et allégresse, comme tu le sais, ma bien-aimée, selon ce qu’on lit aujourd'hui dans l’Évangile : que moi, Dieu, ainsi que les saints et les anges, festoyons et nous réjouissons pour une seule âme de pécheur qui se convertit et revient à la vraie pénitence. Et sais-tu, ma petite fille, à quel point je fête cette âme et m’en réjouis ? Mon amour pour une seule âme est si ardent que pour la faire revenir à moi, je priverais tous mes élus du bonheur qu’ils éprouvent en moi, sans toutefois leur ôter la grâce. S’il était possible, j’en priverais même les saints, pour la donner tout entière à une seule âme. Mais ce n’est ni possible ni nécessaire.

Et sais-tu encore, ma petite colombe, comment j’aime ces âmes qui reviennent à moi et me réjouis en elles ? Comme tu le ferais si l’un de tes membres, atteint d’une infirmité, à force de soins se trouvait guéri. Tu t’en réjouirais, en mènerais grande fête et l’aimerais plus que les autres membres, parce qu’ayant été malade il serait redevenu sain. Tu ne laisserais point cependant d’aimer beaucoup les membres qui n’auraient jamais eu de mal, mais pour cet autre tu serais plus joyeuse fête et manifesterais plus de joie. C’est ainsi que j’agis lorsque l’âme malade du péché en vient au repentir et guérit ».

Et Jésus ajouta : « Sais-tu encore de quelle façon ma petite épouse ? Comme agirait un homme qui ayant deux vêtements blancs, dont l’un taché, ferait disparaître complètement la tache en la lavant. Ne crois-tu pas qu’il éprouverait satisfaction et allégresse en voyant qu’il peut le porter et s’en servir ? Ceci ne veut pas dire qu’il n’aime et ne mette plus volontiers le vêtement qui n’eut jamais de taches. Certes oui, il en est plus heureux et s’en réjouit davantage. Je n’agis pas autrement, car si je célèbre et fête l’âme d’un pécheur qui vient à se repentir, cette âme salie par la tache affreuse du péché, il n’est pas moins vrai que je recours plus volontiers à celles qui jamais n’ont eu souillure de péché. Ces âmes qui lavent les taches de leurs péchés dans les eaux de la pénitence, je les aime et les reçois avec plus d’allégresse, mais crois bien que les autres, qui sont demeurées pures, me sont plus chères, que j’en ai plus d’estime et les aime beaucoup plus.

Écoute, ma petite fille, ce que je vais te dire pour que tu le comprennes mieux. J’agis comme ferait un père qui aurait deux fils dont l’un, pour un méfait, serait mis en prison. Comme il veut en sortir à l’insu des gardiens, il faut qu’on lui procure une échelle de cordes, munies de crochets aux deux bouts, afin qu’elle reste bien tendue. Et ainsi, l’appliquant au mur, il y monte, il échappe au danger de la prison et trompe ses gardiens. C’est exactement ce que je fais à cette âme prisonnière du péché : je lui tends l’échelle afin qu’elle puisse sortir de péril et échapper au mal. Tu sais que l’échelle a deux montants où s’appuie celui qui la gravit. Le premier représente la connaissance de la grandeur de Dieu ; l’autre, la connaissance de sa bonté; je les donne à l’âme pécheresse afin que, connaissant ma grandeur et ma bonté sans mesure, elle espère que je la recevrai quand elle viendra à moi. Les degrés de cette échelle sont mes vertus : l’âme qui les gravit n’a point à douter de son salut. Les deux crochets aux deux bouts par où s’attache l’échelle sont : celui du bas, l’humilité intérieure et extérieure ; celui du haut, l’amour et la crainte filiale, et la paroi où s’appuie cette échelle est la sainte croix.

L'âme, en montant par cette échelle, trompe finalement les gardes de la prison, qui sont les démons de l’enfer. Ma petite colombe, ma chère petite épouse, pour te montrer de combien de manières je tire à moi la créature, dans mon grand amour, je te dirai encore ceci. Je me comporte comme un père dont le fils devait aller en pèlerinage, loin de sa patrie. Le Père, qui a déjà fait autrefois ce voyage, sait que sur la route se cachent de grandes fosses couvertes d’herbe verte, et bien d’autres dangers, dans lesquels le Fils, qui les ignore, peut tomber et mourir. Le Père ne pouvant quitter sa patrie et l’accompagner, que fait-il ? Il envoie avec lui un de ses serviteurs, et le prévient exactement de tous les dangers qu’on rencontre en ce voyage. Le serviteur, qui ne l’a jamais fait, ne connaît pas les dangers comme son maître ; toutefois, à cause de l’amour qu’il lui porte, il suffit que le maître les lui signale pour qu’il parte en toute confiance avec le Fils.

Le Père envoie encore avec son Fils un frère ou un ami qui a déjà fait ce voyage, de sorte que le Fils à moins de se jeter de lui-même dans la fosse étant si bien gardé et prévenu, ne peut en aucune manière y tomber. Mais si, comme je l’ai dit, il s’y jette volontairement, le malheureux s’en trouve très triste et affligé, n’ayant aucun moyen de s’en tirer. Or le bon serviteur, quand il voit la chute du malheureux, ne peut s’empêcher de l’aider en raison de son amour pour son maître, et déplie tous ses efforts pour le tirer de la fosse et l’arracher à ce péril.

Telle est ma façon d’agir, ma petite fille, avec l’âme qui sans cesse doit poursuivre sa route et ce monde misérable, loin de sa patrie qui est le Paradis. Ignorant les dangers de ce monde et les grands trous couverts par l’herbe verte de l’apparence des choses, l'âme, si elle n’en est pas prévenue, y tombe facilement. Moi qui ai fait ce voyage, qui ai marché durant trente ans sur ces chemins, je connais bien les dangers qui s’y cachent, mais comme il ne convient pas que je quitte encore ma patrie pour l'accompagner en personne, en Père très aimant j’envoie avec elle un serviteur fidèle et bon, en l’avertissant des dangers de ce monde. Il s’agit de l’ange gardien que j’ai donné à toutes les créatures ; grâce à l’amour, à l’obéissance et au respect qu’il me porte, il comprend en un instant ma volonté et ce que je veux lui commander, et s’emploie très joyeusement à la garde de cette âme chérie.

Afin qu’elle marche plus sûrement, je lui donne encore pour compagnon un de mes frères ou amis, qui ayant fait comme moi ce voyage, en connaît très bien les dangers. Ce frère ou cet ami, ce sont mes saints qui ont bien cheminé en ce monde, au milieu de très grands dangers, et les ont tous dépassés avec l’aide de ma grâce. C’est pourquoi j’en envoie souvent un au secours d’une âme, sans qu’elle l’ait choisi elle-même, car beaucoup choisissent un saint protecteur qu’elles vénèrent particulièrement. L'âme, bien protégée par ces gardiens et prévenue des dangers, ne peut tomber dans les fosses et les abîmes des péchés, si ce n’est de sa propre volonté. Et si elle y tombe, la malheureuse se voit très misérable en ce gouffre dont elle ne sait ni ne peut trouver l’issue. Mais le serviteur qui l'accompagne, l’ange gardien que je lui ai donné, à cause de l'amour qu’il me porte, cherche tous les moyens, toutes les manières possibles de tirer cette âme du péché, de cette profondeur dangereuse qui conduit à la mort éternelle, en l'aidant de ses continuelles inspirations ».

Alors, voyant à quel point le Seigneur aime ses créatures, et de combien de manières Il cherche à les attirer à Lui, je commençai à les recommander, en disant : « De grâce, mon Jésus, donnez-la-moi, mon Amour, elle aussi est une de vos créatures ». Alors Jésus me la donna, mais grâce à la prière des moniales.

16

Le lundi 11 juin, après avoir communié, considérant les paroles du psalmiste : Ta Parole est la lampe de mes pas, la lumière de ma route (Ps 109,105), il me sembla comprendre que Jésus était cette lumière qui vient à nous, ses élus ; ainsi, grâce à la lumière qu’Il est lui-même, nous pouvons chercher cette perle précieuse (Mt 13,45) dont on lit dans l’Évangile qu’elle est perdue (Lc 15,8-10), et qui est l'âme pécheresse ; Jésus veut que nous la cherchions et la retrouvions de deux manières : tout d’abord par la lumière qui est en nous, ensuite par la prière que nous devons faire pour elle, en l’exhortant aussi par la sainte charité à sortir du péché.

De cette manière, en l'aidant de nos prières et de nos saintes exhortations, nous parvenons à la retrouver comme cette perle qui était perdue. Je voyais encore que Jésus, comme vrai pasteur, était venu de lui-même en ce monde rechercher la brebis perdue (Lc 15,4-7), c’est-à-dire l'âme pécheresse, laissant au ciel les quatre-vingt-dix-neuf qui sont les neuf chœurs des anges. Et l’ayant retrouvée, je voyais qu’Il la mettait sur ses épaules, et la portait joyeusement ; si bien que je restai un moment absorbée par l’amour infini avec lequel Il était venu chercher cette petite brebis perdue.

Ensuite, je priai Jésus de me donner quelque signe que je n’étais pas victime d’une tromperie, car j’en avais grande peur. Et Jésus me dit : « Oh, si je te montre l’amour que je porte aux créatures, ce que je fais, ce que j’ai fait pour elles, comment peut-tu penser que ce soit une tromperie ? Mais afin de t’éviter une telle crainte, je te donne ceci pour signe : chaque fois que tu trouves en toi le désir de ne pas m’offenser, tiens pour certain que tu n’es pas trompée. De plus, quand tu serais trompée, je le ferai savoir au Père ». Or, par la grâce de Dieu, je sens en moi ce désir de ne pas offenser Dieu, ni en ceci ni en rien d’autre. Je voudrais l’aimer seulement et m’unir à Lui.

Deux fois en ce même jour, elle subit un assaut d’amour si grand qu’elle semblait sur le point de défaillir. Elle eut alors une vision admirable du pur amour. Elle voyait Dieu, en lui-même pureté parfaite, s’aimer d’amour pur et infini, et aimer la créature aussi d’un amour pur et infini. Elle vit en un instant tout ce que Dieu a fait pour la créature indigne et misérable, si bien qu’elle ne put s’empêcher de crier d’une voix forte, que son entourage entendait, disant :

« Amour, amour, ô Dieu, qui aimes la créature d’amour pur, ô Dieu d’amour, ô Dieu d’amour ».

Et voyant les créatures si ingrates devant un tel amour, elle laissait éclater sa douleur et criait :

« Seigneur, assez d’amour, assez d’amour, il est trop grand, ton amour pour les créatures ! Trop, non certes pour ta grandeur : trop, pour une créature si vile et si basse. Seigneur, pourquoi me donnes-tu à moi, si indigne et si vile, tout cet amour ? Tu as bien d’autres créatures, ne dirait-on que je suis la seule ? Communique, ô mon Seigneur, cet amour à tes autres créatures. Tu le donnes, mon Amour, oui tu le donnes, mais tu vois que les traîtres n’en veulent pas ; ô mon Jésus, qui vous a conduit sur cette croix sinon l’Amour ? »

Elle avait en main un Crucifix et Lui parlait, voyant des yeux de l’esprit autre chose que ce qu’elle regardait de l'extérieur en celui qu’elle tenait à la main. Ce jour-là elle tint les yeux fixés sur ses saints pieds, voyant sculptée en eux la grande malice des créatures, et elle disait :

« Mon Amour, qui a cloué ainsi vos pieds, sinon la méchanceté des créatures ? Vendredi dernier, tu m’as bien montré, mon Jésus, ce dont je souffre maintenant en un vrai martyre : ceux qui vivent dans la malice enfoncent les clous en tes saints pieds. Hélas ! Que ne suis-je sur la croix, mon Jésus, telle que je te vois maintenant ? Si du moins tu n’étais pas nu, mon Jésus, sur cette croix, dans un tel opprobre, pour une plus grande dérision ! Allons, Amour, tu l’as voulu ainsi. L’Amour, l’amour t’a rendu fou, fou pour ta créature ingrate ; ô aveuglement, ô malice de l’homme, devant un tel amour ! Personne, personne, il n’est personne qui aime mon Amour. Ô mon Amour, quand te posséderai-je ? Quand m’unirai-je parfaitement à toi ? Quand t’aimerai-je infiniment ? Je me rassasierai, je me rassiérai, quand paraîtra ta gloire (Ps 17,15). Mon Jésus, assez d’amour, car je n’en peux plus, mais si tu veux m’en donner davantage, soit ; et autant que tu le veux. Mais donne-moi la force de le supporter.

Ô Sainte Vierge, comment pouvais-tu y tenir ? Tu le voyais, Il était ton Fils et Il était ton Dieu ! et tu savais qu’Il agissait ainsi par amour de la créature. Comment y tenais-tu, sans laisser éclater ta douleur, si moi, sans même le voir, j’éclate et je défaille sous l’excès de ma peine ?

Il est vrai, mon Jésus — comme tu me l'as montré samedi dernier — qu’elle était modérée en toutes choses ».

Et se tournant vers les moniales présentes, leur présentant le Crucifix qu’elle avait à la main, elle leur disait :

« Aimez-le, aimez-le, mon Jésus, aimez-le, vous, car personne ne l'aime ».

Ce qu’elle répéta plusieurs fois, disant des paroles amoureuses et pleines de compassion, que je ne saurais exprimer, ni expliquer. En cela elle supporta une très grande peine, tant intérieure qu’extérieure, pleurant et se plaignant beaucoup de voir que l'amour, à cause de la malice des créatures, n’était ni aimé ni connu.

17

Le mardi 12 juin, après avoir communié, je considérai ces paroles : Mes délices sont parmi les enfants des hommes (Pr 8,31). Et je compris que les délices de Dieu consistaient à être avec les fils des hommes, c’est-à-dire que Dieu prend grand plaisir à demeurer dans les âmes pures et qui l’aiment d’un amour pur ; c’est pourquoi Il les appelle ses délices. Je m’arrêtai un peu pour voir et considérer le grand plaisir que Dieu trouvait dans les âmes, mais surtout pour goûter le grand amour qu’Il leur porte, et que je ne pourrai jamais, jamais vous dire ni exprimer d’aucune manière.

Ce jour là, elle subit un assaut d’amour si grand qu’elle semblait être devenue folle, et cela dura trois heures de suite, de 18 heures jusqu’à 21 heures. Cet assaut fut si violent qu’elle dut se lever, et, sortant du lit elle prit en main le Crucifix qu’elle garde sur son petit autel, et commença à courir dans sa chambre en criant d’une voix forte : « Amour, amour, amour », avec un charmant petit sourire, plein de joie et de douceur. Il était consolant de l’entendre, et son cri : « Amour, amour » effrayait quelque peu mais ne causait pas d’épouvante. Elle se reposait un peu, les yeux fixés sur ce Crucifix, apparemment dans une grande exaltation d’esprit, puis, se levant à nouveau, l’embrassait et l'étreignait fortement sur sa poitrine, avec un élan passionné, et répétait :

« Amour, amour, amour, jamais je ne cesserai de t’appeler Amour : Amour qui n’est aimé ni connu de personne, ô mon Amour, jubilation de mon cœur, tu es l’Amour ».

Et se tournant vers les personnes présentes, elle disait :

« Amour, amour, tu ris, tu pleures, tu cries et tu te tais, Amour ! »

Elle leur disait aussi :

« Ne le savez-vous pas ? Ô Jésus, mon Amour, je dis que tu es fou d’amour, fou d’amour, ô mon Jésus! Ô Amour, tu es tout aimable et joyeux ! Ancienne et nouvelle vérité. Amour, amour, tu récrées, tu réconfortes, Amour! Amour, amour, tu es un amoureux et unifiant amour ! Amour, tu es souffrance et soulagement, Amour, tu es fatigue et repos, mort et vie, Amour ! Ô Amour, qu’y a-t-il qui ne se trouve en toi ? Quel bien n’est pas en toi, Amour ? Amour, amour, tu es sage et joyeux. Haut et profond amour. Amour, amour, tu es admirable, inexpugnable, impensable, incompréhensible, Amour ! »

Ce jour-là elle garda les yeux fixés sur le côté du Crucifix qu’elle tenait dans sa main, son regard intérieur s’attachant davantage au côté de Jésus, vrai lieu de repos et de délices, voyant en Lui toutes les créatures comme dans un miroir, mais surtout les épouses de Jésus qui sont les moniales, et il lui semblait que cette chambre nuptiale avait été faite uniquement pour ces vierges épouses de Jésus, comme elle l'avait vu le mercredi après la très Sainte-Trinité. Elle disait qu’à ce moment elle voyait toutes les moniales de ce couvent, certaines même d’autres monastères, mais très peu, et que beaucoup en sortaient. Elle voyait encore des anges qui se tenaient dans ce côté comme en un très beau jardin, y ramassant des fleurs, comme elle l’avait vu le mercredi précédent. Ils en cueillaient beaucoup à cet endroit et elle disait :

« Malheur à ces religieuses qui enfreignent les trois vœux, par lesquels elles se sont liées à Dieu, surtout celui d’obéissance, car si l’on manque seulement aux deux autres, c’est-à-dire la chasteté et la pauvreté, cet amour dont les bras sont tendus et si étirés sur la croix peut reprendre ces liens et le réunir ensemble aisément. Mais si le vœu d’obéissance est rompu avec les deux autres, il n’est personne qui puisse les relier, sinon l’amour qui se meut de lui-même. Elle peut bien, Marie, elle peut bien, Marie notre Mère, nous couvrir sous son manteau, mais elle ne peut les relier. L’Amour, l’amour seul en est capable.

Amour, amour, tu es aussi ce lien qui lie l'âme à Dieu très étroitement ; mais malheur, malheur aux créatures qui défont ce lien, car il n’est pas, non, il n’est pas d’amour qui puisse le renouer si ce n’est toi, Amour. Le Père avec toi, l’Esprit Saint avec toi. Mais c’est toi, toi l’Amour qui as souffert la peine, qui as renoué ce lien. Marie, notre Mère, peut te montrer le sein qui t’allaita, et faire pression sur toi pour que tu veuilles le relier.

Ô Amour pur. Pur Amour. Ô unité de la très Sainte-Trinité. Ô sagesse du Père, ô bienveillance de l’Esprit Saint. Ô mon Amour, mon Jésus, tu es fou d’amour, mon Jésus. Quand, mon Amour, m’unirai-je à toi ? Amour. Ancienne et nouvelle vérité, Amour, amour, je le sais, tu veux que l'âme revienne à toi pure, comme elle est sortie de toi. Amour, lorsque tu vois, Amour, que plus elle vit, plus son péché la salit, tu lui barres la route et l'envoies se purifier par amour. Amour, amour, je te vois blessé par amour. Enlève par amour de ta plaie cette lance qui t’a blessé par amour, que je vienne à toi, et que pleuve l’eau qui s’y trouve, l’eau de ta grâce et de ton amour. Amour, amour, fais-la descendre au cœur de tes créatures, créées par amour.

Amour, amour, hier, ces pieds m’ont donné bien de la peine et du martyre, parce que je ne te voyais pas aimé des créatures, mais aujourd'hui, loin de moi, loin de moi la douleur et la peine, que tout soit comme l’amour, plein de délice et de joie, Amour ! Ô Amour, tu fais jubiler mon cœur, Amour ! »

Une de ses compagnes, Sœur Véronique, lui ayant demandé combien de temps elle serait restée ainsi, elle répondit :

« Amour se plaît à me tenir en cet état jusqu’à l’heure où lui, l’Amour, acheva sur la croix de montrer son amour de la créature, elle-même créée par amour. Et demain — c’est la volonté de mon Amour — de 15 heures jusqu’à l'heure où, par amour, Il fut élevé sur la croix, tout ce temps, dis-je, il plaît à mon Amour que moi, sa créature créée par amour, je me languisse d’amour. Et Il veut encore, mon Amour, que le lendemain qui sera jeudi, moi sa créature, créée par amour, je commence à languir d’amour autour de deux heures de la nuit, et que j’y reste jusqu’à l’heure du vendredi où cet Amour fut élevé sur la croix. Ce sera, je crois, une peine et une douleur extrêmes, ni toujours extérieures, ni toujours intérieures, mais l’une et l’autre tour à tour ».

Nous avons prêté grande attention à cela, et constaté que tout se passait comme elle l’avait dit. Elle continua :

« Comme sa Passion fut de courte durée — concernant la peine extérieure — mon Amour veut que cesse bientôt cette véhémence d’amour qui m’assaille maintenant de l'extérieur, mais Il ne veut pas qu’elle cesse à l'intérieur, car Il veut y rester toujours, toujours : mon Amour ne me quittera jamais.

Quand il fut 21 heures, moment où elle avait prédit la fin de son épreuve, avant que nous ne sonnions, elle mit sa bouche sur le côté de Jésus, je veux dire de ce Crucifix qu’elle avait toujours gardé à la main, en disant :

« Allons, voici qu’Il entre tout entier dans mon âme, son corps n’apparaît plus désormais ».

Et elle se calma, s’arrêtant de sorte qu’elle semblait absorbée et tout à fait privée de ses sens corporels : elle demeura ainsi un certain temps, puis elle se ressaisit et redevint telle que si rien ne lui fût arrivé, ce qui nous parut une merveille.

18

Le mercredi 13 juin, après avoir communié, je considérais ces paroles du psalmiste : Mon cœur et ma chair ont crié de joie dans le Dieu vivant, au porche de Salomon (Ps 84,3). Tout d’abord il me sembla voir Jésus à la droite du père, tout amoureux ; ses yeux étaient si beaux que jamais je ne saurais les décrire ni vous dire leur beauté. Et je voyais que par son regard Il attirait à Lui toutes les créatures, je veux dire celles qui le regardaient de leurs yeux intérieurs, et qui coopéraient à la grâce de ce regard.

Alors se présenta devant moi saint Pierre quand il renia Jésus, et qu’ensuite sous le regard de ces yeux divins si beaux et si pénétrants, il reconnut aussitôt son péché et s’en repentit (Lc 22,61-62). Au contraire, ceux qui dans sa Passion crucifièrent Jésus, qui le tournaient en dérision et se moquaient de lui, ceux-là durant ce temps ne le regardèrent jamais, si ce n’est d’un œil malveillant, selon la grande haine qu’ils Lui portaient, car s’ils avaient levé sur Lui un bon regard, jamais, jamais ils n’auraient résisté à l'attraction de sa beauté et au doux regard de ses yeux divins.

Ensuite revenant à ce vers déjà cité, où l’âme s’écrie : Mon cœur et ma chair ont exulté sous le porche de Salomon, il me sembla voir que notre chair et notre cœur se réjouissaient et jubilaient dans l’humanité de Jésus, que je voyais comme une loggia ou un portique — je la décris ainsi, non que ce fût réellement un portique ou une loggia, mais pour vous aider à comprendre — enfin c’était un lieu de promenade et de récréation — et je voyais notre chair exulter et se réjouir dans l’humanité de Jésus pour deux raisons : la première parce qu’elle se trouvait élevée, sublimée et grandie par la médiation de l’humanité de Jésus, car le Verbe éternel ayant pris notre chair humaine l’avait exaltée et grandie en la plaçant à la droite de son Père éternel. La seconde raison de sa joie était l’incorruptibilité qu’elle recevra au paradis, car alors elle sera immortelle, incorruptible, éternelle, égale à l’humanité de Jésus.

Notre cœur, me semblait-il, exultait et se réjouissait encore pour deux raisons : d’abord pour le repos qu’il offrait en lui à Jésus, ensuite pour l’influence de la grâce qu’il recevait lui-même de Dieu. Par ailleurs, Jésus lui-même semblait adresser ce vers à nos âmes : Mon cœur et ma chair ont exulté en toi (Pr 84,3), c’est-à-dire que l'humanité de Jésus exultait en nous, d’un côté parce que notre âme est faite à son image et à sa ressemblance, de l’autre parce que son cœur trouvait en nous son repos. Ensuite, comme d’habitude, je recommandai à Jésus toutes les créatures, le Père en particulier, et vous, Sœur Véronique.

Ce jour-là, tandis qu’elle parlait à cette même Sœur Véronique, sa compagne, peu avant 15 heures, elle lui dit :

« Je commence à devenir folle, je ne peux plus rester en ce lit. De grâce laissez-moi me lever ».

Sœur Véronique la retenait, de peur qu’elle ne se levât, car les infirmières étaient absentes. Elle commença alors à se retourner dans son lit, sans pouvoir s’arrêter, à cause de la forte emprise que l’Amour exerçait sur elle, et quand les infirmières arrivèrent, elle les pria avec tant d’insistance de la laisser se lever qu’elles le lui permirent. Aussitôt elle bondit hors du lit, courut vers un petit autel qui était là, et, prenant son Crucifix, le décloua de la croix, et l'embrassant étroitement, elle commença à courir tout au long de la chambre en disant :

« Amour, amour, amour, personne ne t’aime ni ne te connaît ».

Et prenant ses compagnes par la main elle leur disait :

« Venez, venez courir avec moi, aidez-moi à appeler l’amour. Criez fort, fort, bien fort, ajoutait-elle, car vous parlez trop bas et vous n’êtes pas entendues ».

Et commençant à crier avec force elle disait :

« Amour, amour, amour, je ne me rassasierai jamais de t’appeler ainsi. Ô Amour. Mon cœur et ma chair ont exulté en toi (Pr 84,3), mon Amour ».

Et courant à nouveau par la chambre, étreignant sur sa poitrine son Jésus qu’elle avait à la main, elle criait « Amour, amour » et souvent elle arborait le plus beau sourire, avec une telle joie qu’il était consolant de l’entendre; ensuite s’arrêtant un peu, elle répétait :

« Amour, amour. Ô Amour, fortifie ma voix, afin qu’en t’appelant amour, je sois entendue de l’Orient à l’Occident, et dans toutes les parties du monde, jusqu’à l’enfer, afin que tout le monde te connaisse et t’aime, Amour.

Amour, amour, tu es fort et puissant. Amour, amour, toi seul sondes et traverses, toi seul brises et domines toutes choses. Amour, amour. Tu es ciel et terre, air et feu, sang et eau. Ô Amour, tu es Dieu et homme, haine et amour, joie et noblesse divine, ancienne et nouvelle vérité. Ô Amour, ni aimé ni connu. J’en vois une, pourtant, qui connut cet amour ».

On lui demanda de qui elle parlait et elle répondit :

« La Mère Sœur Marie; c’est elle qui connut mon Amour. Ô Amour, fais que toutes les créatures t’aiment, Amour. Mais, mon Amour, je le dis tout de suite, je préfère que tu ne sois aimé de personne plutôt que d’être aimé aussi peu qu’à présent. Ce peu même est mêlé au poison pestiféré de l'amour propre, car lui et ton amour ne peuvent demeurer ensemble. Ils sont contraires, ils sont contraires. Non, non, toi seul, toi seul, Amour. Et rien d’autre. Ô amour, amour, qui pourrait jamais concevoir ou dire ta grandeur ? Tu es infini, éternel, tu ne changes pas, tu es incompréhensible, Amour, tu es insondable. Que veut dire insondable ? Qui le sait, qui le sait, qui le sait ? je te prie de me le dire, car je suis ignorante en cela ».

Le Père confesseur était présent, elle s’adressa donc à lui, disant :

« Vous, vous peut-être saurez me le dire ».

Il lui répondit que c’était chose si grande qu’on ne pouvait la comprendre. Alors en souriant elle déclara :

« Je crois qu’il en est ainsi, Amour, je le crois ».

Elle demeura un moment tranquille, les yeux toujours fixés sur le Crucifix qu’elle tenait à la main, puis elle dit encore :

« Ô Amour, tu es très fort, mais je te vois très faible aussi. Très fort car personne ne peut te résister, et très faible car une créature aussi vile que moi, te domine, te dépasse en t’appelant amour. Ô Amour, amour. Tu as bien dit : J’ai ardemment désiré (Lc 22,15).

Le Père confesseur continuant à dire en latin : « Manger cette pâque avec vous avant ma Passion ». Elle déclara :

L’Amour l’a fait mourir pour moi. Ô Amour, pourquoi voulais-tu cette dernière Cène ? Parce que tu voulais montrer l’amour que tu portais à ta créature. Ô Amour, amour, combien est grande la dignité des prêtres de pouvoir te toucher, Amour, et de te donner aux autres; mais, ô Amour, peu nombreux sont les prêtres qui se montrent tels qu’ils devraient être ! Ô Amour, j’aimerais bien, oui, j’aimerais bien, Amour, que ce ne soit pas vrai, car tu le vois, Amour, je me réjouirais de mentir en cela. Mais hélas, Amour, ce que j’ai dit est bien vrai ».

Comme on lui demandait s’il y avait ici de tels prêtres, elle répondit :

« Il n’y en a qu’un ici, mais je ne peux dire qui il est, l’Amour ne me le permets pas maintenant. Amour, amour, qui pourrait comprendre la grande dignité de ces prêtres ? Mais hélas! Amour, amour, Catherine, elle, savait en parler. Et qui encore, Amour, pourrait entendre et comprendre à fond quelle est la valeur de cette digne offrande qu’ils font de toi, Amour, au Père éternel en une si grande action ? Ô Amour, ce n’est pas une, mais mille fois, s'il était possible, qu’ils présenteraient cette offrande de bien vouloir t’offrir pour moi aussi, Amour quelquefois ».

À une moniale qui lui demandait : « Sœur Marie Madeleine, ne pouvons-nous présenter nous aussi Jésus, en offrande au Père éternel ? » Elle répondit en souriant :

Ô Amour, que dit-elle! Vous le pouvez bien. Mais non pas de cette manière là, car il existe une grande différence entre l'offrande que font les prêtres, ministres de l’amour à l’autel, ancienne et nouvelle vérité ; tu es l’amour, Amour. Qui a écrit à ton sujet de manière plus élevée : Jean qui dit : Au commencement était le Verbe (Jn 1,1) ou Augustin qui commenta ces paroles ? Amour, qui est arrivé le plus haut ? Augustin, Amour ! Ô Amour, amour, est-il possible que tu n’aies pas d’autre nom que celui d’Amour ? Tu es bien pauvre de noms, Amour ! Tu en as, tu en as beaucoup, Amour, mais tu te plais davantage à être appelé de celui-ci, ô Amour, parce que c’est en ce nom surtout que tu t’es fait connaître des créatures. Les saints du Ciel aussi t’appellent de ce nom d’Amour ; ils disent toujours : Amour, amour, ce nom d’Amour contient en lui tout autre nom. Sans cesser jamais de proclamer Saint, saint, ils disent aussi Amour, car c’est la même chose. Mais ce Saint contient tout en lui, Saint, saint, saint, disent-ils ( 4,Cool. Tu es Dieu, tu es Père, tu es Esprit, tu es Amour encore. Jamais, jamais, Amour, je ne me rassasierai de t’appeler de ce nom d’Amour ».

Tout ce jour, elle garda les yeux fixés sur la main droite du Crucifix qu’elle tenait dans sa main, et se tournant parfois vers les Sœurs en indiquant la plaie de la main droite, elle disait :

« Voyez, voyez combien d’amour ! »

Une Sœur déclara : pour moi je ne vois que cette main toute blême. Et, souriant elle répondit :

« Ô Amour, elles ne voient rien d’autre, mais si je ne voyais que cela, je n’y fixerais pas ainsi mon attention, et si en levant cette image de bois je ne voyais rien d’autre, je m’en débarrasserais à l’instant. Mais comme cet Amour se montrerait à moi de toute façon, je tiens cet objet dans ma main pour la satisfaction de mes yeux corporels. Ô Amour, amour, bienheureuse l'âme qui te possède, Amour, amour, amour, peu de gens t’aiment et te connaissent; ô Amour, malheur, aux religieux qui n’observent pas ce qu’on garde si peu aujourd'hui ».

On lui demanda si c’était le vœu d’obéissance, elle dit :

« Non, non, je parle de l’observance ».

Et comme nous demandions si elle doutait de notre couvent, elle répondit :

« Je ne doute pas de celles qui sont ici, mais prenez garde à celles qui vont venir ; n’accueillez pas celles qui risqueraient de ruiner l’observance, car si les secours que nous recevons maintenant venaient à manquer, elle pourrait bien s’éteindre parmi nous; je ne dis pas que cela arrivera, mais cela pourrait se produire si les secours que vous recevez de l’Amour venaient à vous manquer. Ô Amour, amour, malheur, malheur à ceux qui la ruinent, et brisent les liens qui unissent à toi, je veux dire les trois vœux, et le lien de la charité ; ces vœux, Amour, sont comme une chaîne : qui rompt le premier chaînon fait que tous se disjoignent. Amour, amour, déjà ces chaînons sont rompus, tu sais où, tu sais où, là où j’ai demeuré presque une année entière. Celui de l’obéissance est brisé, et celui de la pauvreté. Et l'autre aussi, Amour, est rompu ».

Et comme une Sœur demandait si c’était celui de la chasteté, elle répondit :

« Non, non, je ne parle pas de celui-là; mais de la charité, car vous savez bien ce qui est arrivé par manque de charité ».

Alors, dans sa douleur elle pleura un peu, s’arrêtant ainsi un moment, comme elle le fait d’habitude. C’est pourquoi on laisse ici un espace, quand elle dit Amour, amour ; en effet elle reste un moment en silence, et reprend la parole en ces termes : Amour, amour. On met ici l’A majuscule pour indiquer cette reprise. Elle poursuivit :

« Ô Amour, comme il vaudrait mieux, ainsi que tu l'as dit du traître, comme il vaudrait mieux pour les mauvais religieux qu’ils ne fussent jamais nés, parce qu’ils n’observent pas ce qu’ils ont promis. Ô Amour, amour, à qui croient-ils promettre? Peut-être à un sourd, à un aveugle ? Ô Amour, ce sont eux qui deviendront aveugles et sourds. Amour, l’amour et la justice sont égaux en toi, mais il ne me semble pas, à moi, que la justice soit aussi grande que l’amour, car l’Amour a montré plus d’amour que de justice aux créatures. Mais, ô Amour, le temps viendra, il viendra oui, Amour, le temps de montrer aussi la justice. Amour, ancienne et nouvelle vérité, sagesse du Père, bonté suprême, Amour infini, Amour ni connu ni aimé. Mais, Amour, en voici deux qui t’ont connu et aimé ».

On lui demanda : « Qui, la Mère Sœur Marie ? » et elle répondit :

« Oui, la Mère Sœur Marie a aimé mon Amour ; et elles craignent qu’elle ne soit pas connue ! La tiédeur et le peu de foi sont causes de cette crainte que ta bien-aimée ne soit pas connue ; ô Amour, tu sauras bien la faire connaître, oui, quand le temps viendra. Ô amour, amour, l’autre est la séraphique Catherine : voilà celles qui t’ont aimé d’amour pur ! Ô Amour, amour, si les créatures pouvaient savoir combien elles t’offensent, elles se choisiraient non pas un mais mille enfers, avec mille fois plus de démons qu’il n’en est en enfer. (Cf. saint Ignace de Loyola, « Exercices spirituels », 60). Amour, amour, tu es incompréhensible, tu es immense, digne de toute louange ; mais qui, Amour, qui pourrait te louer d’une manière suffisante, toi l’Amour ? Si toutes les langues des hommes avec celles des anges, et toutes les étoiles du ciel, le sable de la mer, les plantes de la terre, les gouttes d’eau, les oiseaux de l’air, devenaient des langues pour te louer elles ne suffiraient jamais, Amour, pour ta louange ».

Comme on lui disait : « Sœur Marie Madeleine, ne vous souvenez-vous pas du Père confesseur ? » Elle répondit :

« Si je m’en souviens ! Si je pouvais me reconnaître des obligations envers quelque créature, c’est bien envers lui que j’en aurais, mais je ne peux, je ne peux me reconnaître d’obligations envers quiconque, si ce n’est l’Amour. Amour, amour, ô Amour, vois, vois comme ils se fatiguent : on dirait qu’ils n’ont qu’une seule âme à gagner, tant ils se démènent. Et ils sont si nombreux ! Amour, amour, vois comme ils rôdent pour s’emparer d’une seule ! Comme toi, Amour, qui aimes si passionnément les âmes qu’il semble que tu n’en aies qu’une à aimer, ainsi ceux-là se donnent tant de peine autour de toutes les âmes, qu’il semble qu’il n’y en ait qu’une à prendre. Amour, amour, renvoie-les, renvoie-les, Amour. Ou bien qu’ils restent tant qu’il te plaira. Mais, Amour, ne leur laisse pas la victoire ! »

Et se tournant vers les moniales présentes, elle dit :

« Oui, oui, vous êtes là, oui! Je vous dis qu’il faut prendre des marteaux et casser les murs, je veux dire les obstacles que les démons ennemis cherchent à poser pour vous empêcher de recevoir la grâce de mon amour. Oh, comme ils se fatiguent, Amour ! Oh, Amour, je l’ai bien dit : il suffisait que tu étendes ta main puissante, pour les mettre en fuite et les disperser. Maintenant, Amour, tu vois comme ils se sont vite, si vite enfuis. Oh Amour, ton pouvoir seul est au-dessus de tous ».

On lui demanda si le Réveilleur était déjà venu, et elle déclara :

« Oh, s'Il est venu! Je m’étonne que vous ne l’ayez pas entendu sonner, car Il a fait grand bruit. N’avez-vous pas entendu mon Amour ? Quand celui-ci, que j’appellerai comme vous le faites avec réalisme “Le Réveilleur”, fit entendre de là-haut une voix retentissante, quand Il dit : J’ai soif (Jn 19,28), comment se fait-il que toutes, sans exception, n’ayez pas entendu mon Amour ? Elle résonna si fort, cette voix, que vous toutes auriez pu l’entendre. Ô Amour, il est sourd, vraiment sourd celui qui n’entend pas ce Réveilleur. Ô Amour, si je pouvais et s'il était possible, je te prendrais tout l’amour que tu as pour le donner aux créatures, afin qu’elles t’aiment, toi, Amour.

Ô Amour, tu es vraiment un amoureux amour, et tu fais toute chose par amour. Tu donnes tout aussi par amour. Le Paradis, par amour, le purgatoire par amour, tu donnes toute chose par amour. Tu donnes l’enfer même par amour, car si grand est l’amour que tu portes à la créature que tu ne peux voir en elle d’offense envers toi, et que tu lui donnes l’enfer par amour. Mais, ô Amour, combien descendent en cette mer, en cet océan de ténèbres ! Car vois-tu, comme l’eau tombe du ciel sur nous ici-bas, ainsi en est-il d’eux, Amour. Ô Amour, que dis-je, c'est beaucoup plus, c'est infiniment plus que je ne dis, car je les vois tomber comme l’eau ne peut pleuvoir, je les entends sombrer là-bas dans le gouffre, dans l’abîme infernal. Et cette femme, cette peste, cette misérable qui te persécute si durement, je la vois tomber comme une flèche et s’abîmer dans le lieu le plus horrible, le plus ténébreux, le plus profond qui soit. Ô Amour, amour.

On comprit qu’il s’agissait de la Reine Élisabeth, hérétique d’Angleterre. Ici elle s’arrêta, car nous voulions lui donner un peu à boire ; en effet il nous semblait qu’elle devait souffrir d’avoir beaucoup parlé, et avec une telle force, et nous lui disions : « Sœur Marie Madeleine, il nous semble que vous souffrez nous voudrions que vous buviez un peu » ; elle dit alors :

« Comment voulez-vous que je souffre, étant avec l’Amour ? Ne savez-vous pas que l’Amour ne peut souffrir de peines ? Comment voulez-vous donc que je souffre ? »

Les moniales insistèrent : « Sœur Marie Madeleine, voyez-vous, le Père veut que vous buviez », elle dit alors :

« Je le crois bien, le Père veut que je boive, mon Père des lumières ; Il veut me donner à boire ».

Et plaçant sa bouche sur la main droite du Crucifix qu’elle avait à la main, elle continua :

« Je bois, je bois, et elles ne le croient pas ».

Et, comme nous insistions pour qu’elle prît cette boisson, elle ajouta :

« Ô Amour, tu n’es que bonté, comment serais-je autrement, si je demeure en toi ? Cependant, pour satisfaire les créatures, et restaurer ce corps, je vais prendre ce qu’elles me donnent ».

Elle but donc un peu. Et reprenant la parole, recommandant à Dieu les hérétiques, les Juifs et tous les infidèles, elle s’écria :

« Ô Amour, amour, tu es tout plein d’amour; Amour, donne à toutes, Amour, à toutes de t’aimer, de te désirer, de te chercher toi seul ; ceux qui t’attendent encore, Amour, permets qu’ils ne t’attendent plus, car une fois déjà, tu es venu. Mais fais enfin qu’ils te connaissent, Amour, et cessent de t’attendre, puisque leur attente est vaine. Et ceux qui t’ont quitté, Amour, je veux parler des hérétiques, fais qu’eux aussi reviennent à toi comme de petites brebis perdues ; qu’ils reviennent à toi, Amour, qu’ils te révèrent et t’aiment comme leur bon pasteur. Et tous ces hommes, tous ceux qui ne croient pas en toi, Amour, fais qu’ils reviennent à toi car ils sont, eux aussi, Amour, tes créatures.

Ô Amour, amour, si une âme pouvait voir ce qu’elle est sans toi, j’affirme qu’elle mourait, non une fois, Amour, mais mille et mille fois. Et si elle pouvait comprendre, Amour, qu’elle est avec toi ! Amour, toi seul le sais. Tu ne me permets pas de tout dire, Amour, il suffit, il suffit, Amour, que tu saches ce qu’elle est ».

L’heure des Vêpres approchait, et le Père confesseur, qui voulait s’en aller pour confesser les moniales lui demanda si elle n’attendait rien de lui ; elle répondit :

« Je ne vous demanderais rien d’autre que l’amour, je ne sais rien demander que l’amour, car si j’ai l’amour, j’ai tout, et si je ne l’ai pas, tout me manque.

Et il lui dit alors : « Sœur Madeleine, à Dieu » ; elle répondit :

« Dieu avec Dieu, et vous avec Dieu lui-même ».

Les moniales lui dirent qu’il allait confesser; elle ajouta :

« Oui, il va faire de vous des vases plus aptes à recevoir l’Amour. Amour, amour, pureté incorruptible, Amour incompréhensible. Ô Amour, amour, je ne cesserai jamais de t’appeler Amour, sagesse du Père, bonté de l’Esprit Saint, unité, unité de la très Sainte-Trinité, Amour ; Amour, qui n’es ni aimé ni connu, ô Amour, ancienne et nouvelle vérité, Amour, amour ».

« Quand elle eut dit cela, les moniales devant aller à Vêpres, l’une d’elles l’avertit : « Sœur Marie Madeleine, les moniales vont à Vêpres » ; elle répondit :

« Qu’elles aillent enfanter l’Amour. Autant elle diront de paroles, autant de fois elles enfanteront l’amour. Amour, amour, qui te goûte, est toujours assoiffé de toi ».

Et disant :

« Entre, entre en moi, Amour, car le corps lui, ne pourrait plus le supporter ».

Elle posa sa bouche sur la main droite du Crucifix qu’elle avait à la main ; et aussitôt elle s’arrêta, sans plus rien dire, et demeura ainsi tranquille un long moment; il était juste 18 heures, moment prévu par elle pour la fin de son extase.

Durant les trois heures qu’elle demeura en cet état, ce jour et les deux précédents, elle dit beaucoup de choses, desquelles nous n’avons pu nous souvenir. Quant à celles que nous avons notées nous n’avons pu les rapporter précisément de la manière dont elle les disait, car elle parlait admirablement, de sorte qu’on ne peut l’exprimer ni le faire comprendre, sinon à ceux qui l’ont vue et entendue. Et nous avons observé que tout ce qu’elle avait dit à Sœur Véronique le mardi précédent, tout cela se réalisa du commencement à la fin, précisément au moment et à l’heure qu’elle avait annoncée, comme l’on peut voir plus haut, ce qui nous étonna beaucoup.

À la même Sœur Véronique, désignée au nom de l’obéissance par le Père confesseur, elle confia ses extases et tout ce qui lui arrivait d’intérieur et d’extérieur ; elle lui dit également comment le Seigneur, durant ces trois jours, lui avait fait goûter et même éprouver extérieurement tout ce qu’Il lui avait révélé le vendredi précédent, c’est-à-dire que c’est la méchanceté des hommes qui enfonce les clous aux pieds de Jésus, ce qu’elle expérimenta le lundi avec grande souffrance. Mais parce que le corps ne peut supporter tout cela, elle expliqua :

« Jésus ne veut pas qu’en ces deux jours du milieu, c’est-à-dire le mardi et le mercredi, je souffre trop; toutefois Il m’a donné de demeurer dans son côté et dans sa main droite, voulant ensuite le vendredi me garder dans sa main gauche, à considérer sa Passion comme vous me verrez le faire de deux heures de la nuit jusqu’à 18 heures de ce jour là. Il veut et se contente que je languisse d’un amour allègre et joyeux, en ces deux jours, pour mon soulagement ».

Durant ces jours, comme on l’a dit, elle demeura le mardi dans le côté, le lendemain dans la main droite du Crucifix qu’elle avait à la main.

 



   

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Message par M1234 Sam 17 Sep 2016 - 10:24

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MARIE MADELEINE DE PAZZI
Carmélite et auteur mystique, Sainte
(1566-1607)

LES QUARANTE JOURS D'EXTASES
4

19

Jeudi 14 juin 1584. ayant communié, je considérais ces paroles de Saint Jean : Au commencement était de Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu (Jn 1,1). Il me sembla comprendre ce “Commencement” sans commencement et sans fin. Ce principe, et cette fin, est le Verbe éternel engendré du Père. Il dit : Le Verbe était, et ce Verbe était Dieu lui-même. Le Verbe était auprès de Dieu. Il me semblait que ce Verbe, Dieu en personne, était auprès de Dieu, c’est-à-dire de lui-même. Et le Verbe était Dieu. Comme j’ai dit plus haut que le Verbe était Dieu, je dis maintenant que Dieu est le Verbe, ce qui est la même chose, mais inversée, parce que le Fils est Verbe pour avoir été engendré par le Père, et Dieu parce qu’il est un avec le Père.

Puis il me sembla voir la grande union de la Sainte-Trinité, cet amour pur et infini qui respire sans cesse et va du Père au Fils et du Fils au Père ; du Père et du Fils à l’Esprit Saint et de l’Esprit Saint au Père et au Fils. Puis de la Trinité tout entière, il est insufflé d’abord en la Vierge Marie, et après elle, dans le Paradis tout entier, et de la Vierge et du Paradis tout entier ce souffle retourne à la Sainte-Trinité. Mais c’est une chose de goûter, et une autre de parler de ce qui est goûté; et je le reconnais, de ce que j’ai goûté, je ne puis dire une seule parole, ni ne trouverai de termes par lesquels je sache ou puisse vous l’expli-quer.

Puis étant demeurée un moment sur cette consi-dération, sans savoir comment, je fis un grand saut, car je me trouvai devant les paroles du Notre Père : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Notre pain quotidien (Mt 6,9-11). Je crus voir que la volonté de Dieu au Ciel était réalisée par le Paradis tout entier de deux manières : d’abord par conformité de la volonté, c’est-à-dire que les saints se conforment à la volonté de Dieu, et s’y conformant, l’accomplissent. D’autre part ils la réalisent ainsi parce qu’ils voient la volonté de Dieu avant que Dieu lui-même la mette en œuvre, bien qu’en Dieu la volonté et l'action se confondent. Et comme ils voient que la volonté de Dieu est d’insuffler dans ses créatures son amour et sa grâce, ils sont si empressés à cela, conformément à la volonté de Dieu, que s’il se pouvait que Dieu lui-même ait besoin de leur aide pour le faire, ils la lui offriraient aussitôt. Mais cela ne peut être parce que Dieu, dans sa puissance infinie, n’a besoin d’aucune aide et peut tout faire par lui-même.

Je voyais aussi que la volonté de Dieu sur terre s’accomplissait de deux façons : d’abord en ce que les créatures qui reçoivent en elles l’influx divin — je veux dire de son amour et de sa grâce — et donnent repos à Dieu en elles-mêmes, en viennent de cette façon à faire sa volonté. Ensuite, les créatures font la volonté de Dieu en découvrant qu’elle seule est digne d’être accomplie.

Puis il me sembla voir que Jésus était ce pain que nous appelons Notre pain quotidien, et je vis en Jésus les états successifs du pain. D’abord le pain, ou plutôt le blé, sort de terre ; de même Jésus est issu de la terre, je veux dire du sein de la Vierge Marie. Ensuite le grain est broyé; Jésus, tout le temps qu’il vécut en ce monde, fut broyé par les persécutions, injures et grossièretés qui lui furent infligées. Puis la farine est mise en pâte pour faire le pain ; elle forme une masse unique, et il me semble qu’il en fut ainsi quand Jésus fut battu à la colonne ; c’est par ce premier acte, en effet, qu’il entreprit d’effacer le péché, enlevant ce qui séparait Dieu et les créatures, et commença à les unir à Dieu, les faisant ses cohéritières. Ensuite on cuit le pain : sur le bois de la sainte croix, Jésus brûla au feu de son amour. Quand le pain est cuit, aussitôt on le goûte, et on le mange. Je compris ainsi que Jésus se donnerait à nous pour que nous le goûtions quand il ressusciterait et monterait au ciel, et qu’il nous enverrait le Saint-Esprit. Au Paradis il se donnera pour toujours à nous pour que nous le goûtions éternellement.

20

Le jeudi soir, étant couchée, entre une et deux heures de la nuit, elle se sentit intérieurement appelée par l’Amour à le suivre dans sa passion. Elle dit à l'infirmière :

« Je voudrais sortir de ce lit, de grâce laissez-moi me lever car j’entends mon Amour, il me semble avoir déjà fait plusieurs fois le tour de cette chambre, et pourtant je me vois au lit, laissez-moi me lever ».

Elle sauta hors du lit avec un grand élan, dans la véhémence de son amour, disant les paroles du psalmiste : « Sur mon dos, ont labouré les pécheurs » (Ps 129,3), et prenant comme d’habitude son Crucifix en main, et l’embrassant avec force, elle commença à courir dans la chambre et se mit à crier très fort :

« Amour, amour, amour »

Elle s’arrêta un peu et dit :

« Maintenant il lui donne la communion ».

Elle s’assit un moment, puis se releva et tout en courant elle criait très fort :

« Amour, amour, amour ».

Elle poursuivit :

« Traître, traître, ô traître, il se donne à toi et tu le trahis, ô traître ».

Elle répéta plusieurs fois ces paroles, s’arrêta un peu, et reprit :

« Amour, amour, que tu es peu connu! Il est un des tiens, et il te trahit, Amour ; traître, traître, tu l’as si peu connu, tu lui montres de l'amitié, et tu le trahis, lui, mon amour, ô traître ; Amour, amour, ô amour. Le voilà, c’est lui ».

Et elle dit à l’infirmière :

« Le voyez-vous ? Le voyez-vous ? »

« Qui ? Jésus ? demanda l'infirmière, et celle-ci :

« Non, non, je parle du traître qui s’en va trahir mon amour. Ô iniquité ! Je te donnerais mille, mille enfers si cela dépendait de moi ; Amour, amour, amour ».

Elle continua à courir et à crier très fort, de sorte qu’on l’entendait de loin, au grand émoi des personnes présentes, et il semblait que toute la chambre tremblait, à un point difficile à imaginer ; sans les effrayer toutefois. Au bout d’un certain temps, l’infirmière lui dit : « Sœur Marie Madeleine vous devez regagner votre lit, voyez c’est Jésus qui le veut ». Elle obéit aussitôt. Et assise sur le lit avec son Crucifix à la main, les bras et les mains appuyés sur l’oreiller, elle tenait les yeux fixés sur la main gauche de son Crucifix, et voyant se dérouler en celui-ci, scène par scène, toute la Passion de Jésus, d’une voix basse et d’un ton pitoyable elle disait :

« Voilà qu’il trahit mon Amour. Ils tiennent conseil, ne le voyez-vous pas ? Ils tiennent deux conseils. L’un au Ciel, autour du Père éternel, pour sauver la créature ; l’autre, sur terre, avec les traîtres, pour tuer mon Amour. Amour, amour, tu avais bien raison de dire : J’ai désiré ardemment (Lc 22,15), car tu désirais sauver ta créature ».

Après un moment de silence, elle reprit :

« Ce que je vous commande c'est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimé (Jn 15,17) ».

Elle s’arrêta encore un long moment, l’air accablé, puis avec un visage bouleversé :

« Tu es triste (Mt 26,38), Amour, c’en est fait de ta puissance : te voilà sans défense et affligé. Toi qui de ton visage réjouis les anges et donnes gloire à tout le Paradis, te voilà tout troublé. Ô Amour, tu n’es donc plus la vérité ? Je suis Dieu et ne change pas (Ml 3,6), as-tu dit par la bouche du prophète, et voilà que tu es troublé ! »

Après un temps de silence, elle poursuivit :

« Il les quitte à présent ; quant à moi, ô Amour, tu ne m’aurais pas quittée ».

Au bout d’un instant elle ajouta :

« Ô beau visage, que tu es affligé, altéré. Maintenant, Amour, je ne peux citer le prophète : Tu es beau comme aucun des fils d’homme (Ps 45,3), car je vois ton visage tout ensanglanté. Ô Amour, qui viendra maintenant te consoler ? Serait-ce le Père éternel ? Non, Amour. Et qui viendra donc ? Un serviteur ? »

Elle dit avec un grand soupir :

« C’est un de ceux que tu créas pour qu’ils te louent, un ange, qui vient te consoler. Amour, un seul, bien qu’ils soient si nombreux. Daniel a dit : Mille milliers le servaient, myriades de myriades, debout devant lui (Dn 7,10), et pourtant je n’en vois venir qu’un seul ».

Alors elle s’arrêta un certain temps, dans une profonde extase, avec une expression de tristesse et de stupeur, et elle poursuivit :

« Tu t’en vas à l’écart : si tu t’éloignais, tu ne pourrais souffrir ».

Nous avions compris qu’elle voyait Jésus prier pour la première fois son Père éternel dans le jardin. À ce moment elle ajouta d’autres paroles pleines de compassion et d’admiration, que nous n’avons pas gardées en mémoire. Vers trois heures, voyant Jésus qui allait réveiller ses disciples, elle dit :

« Ô Amour, les voilà endormis ! Et toi, Pierre, toi qui montrais un tel courage, tu n’as pas pu veiller une heure : tu ne montres guère cet amour que tu semblais avoir pour Jésus. Ô Pierre, Pierre, que fais-tu ? Tu dors ? Jean dort, lui aussi. Ô Jean, toi qui étais le préféré, toi aussi, tu dors ? Pierre ne m’étonne pas, mais toi, qui avais goûté sur sa poitrine aux secrets célestes, toi oui, car tu manques maintenant à l’amour. Et l’autre dort aussi. Ô Amour, ils dorment tous, je m’étonne qu’ils n’aperçoivent pas ce visage tout ensanglanté ; qu’y a-t-il de plus affreux qu’un visage couvert de sang ? C’est terrible, vraiment terrible ! »

Quand trois heures eurent sonné, elle laissa entendre qu’elle voyait Jésus en prière pour la seconde fois, et quittant des yeux la main gauche du Crucifix, elle porta son regard sur son visage, et le regarda intensément. Elle semblait voir les gouttes de sang tomber à terre, car son regard descendait lentement de la tête du Crucifix jusqu’à ses pieds, avec grande stupeur, et elle disait :

« Sa face se couvre d’une sueur de sang ».

Peu après elle ajouta :

« Il ne suffit donc pas, ô Amour, que tout ton corps se couvre d’une sueur de sang, car de tes yeux aussi voilà que tu répands au lieu de larmes, des gouttes de sang ? »

Après un temps de silence, elle reprit :

« Ô Amour, j’aurais aimé être la terre qui recevait ton sang! Amour, fais au moins que les cœurs des créatures le reçoivent. Cette terre fut vraiment un jardin, oui parce qu’il devait fructifier dans le cœur de tes élus ».

Vers quatre heures elle déclara :

« Plus tu leur montres d’amour, plus ils se préparent à la haine, et tout le sang que tu verses maintenant, ô Amour, ne leur suffira pas ».

Elle resta un moment tranquille, et reprit :

« Mon Amour, dans ton cœur et dans tout ton être, tu voyais tout ce qui devait arriver dans la Passion ».

Puis elle ajouta :

« Amour, le prophète a bien dit : C’est lui qui nous a fait, et non pas nous (Ps 100,3), il l’a répété si souvent que je peux moi aussi le redire, ô Amour ».

Quatre heures ayant sonné, on comprit que Jésus était revenu auprès de ses Apôtres, et elle dit :

« Amour, amour, ils dorment encore. Et toi Pierre tu as dit : Nous avons tout quitté (Mt 19,27), car tu as dit cela, mais — à ce qu’il me semble — vous ne vous êtes pas quittés vous-mêmes. Si l’on converse habituellement avec quelque personne, on comprendra ce qu’elle dit : mais toi Jean, qui es resté si longtemps avec Lui, je vois bien que tu ne le comprends pas, car tu ne fais pas ce que tu dis. Mon Amour, tu supportes leur faiblesse, car tu sais que Pierre sera fondateur de ton Église ; tu leur pardonnes, mon Amour, car lorsque Pierre te demanda combien de fois il devait pardonner à qui l’offensait, tu lui dis de pardonner non sept fois, mais soixante-dix fois sept fois (Mt 18,22). Et Jean parlera de toi de façon si élevée ! Toi, la sagesse éternelle, tu voyais d’avance toute chose. Je peux à l'avenir me tromper et être trompée, mais non pas toi, ô Amour. Amour, Tu as fait toutes choses avec Sagesse (Ps 104,24) ».

Elle demeura ensuite un bon moment complètement privée de ses sens, et selon ce que nous comprîmes, elle voyait Jésus allant prier pour la troisième fois, elle voyait aussi Judas et les Juifs se préparer à venir l’arrêter, car elle dit :

« L’heure approche, ils vont venir à toi; ils parlent, questionnent, cherchent et cherchent encore. Le traître s’interroge sur les moyens de t’adresser ce salut si hostile; mon Amour, je défaille de douleur ».

Elle s’arrêta un moment encore et reprit :

« Amour, Que ta volonté soit faite et non la mienne (Lc 22,42), ta volonté, mon Amour, la tienne. Mon amour, fais en sorte que chacun prononce ces paroles ».

Au bout d’un moment, elle reprit :

« Si Gabriel fut heureux de porter à Marie la grande annonce de ton Incarnation en elle, il souffrirait d’autant plus — en admettant qu’un ange puisse souffrir — à te présenter le calice. Non qu’il t’apporte visiblement le calice, mais c'est pour nous aider à comprendre ».

Peu après elle poursuivit :

« Tends l’oreille et écoute-moi (Ps 86,1), ô mon Dieu, ô Dieu Amour. Amour, fais que nous te soyons toujours unies, afin de pouvoir dire en vérité ce verset : Voyez ! Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensemble (Ps 133,1). Non pas tous ensemble, mon Amour, en toi, d’abord en toi, et puis tous ensemble ; que personne ne dise aimer Dieu s'il n’aime ce qui vient de Dieu (I Jn 5,1) ».

S’arrêtant un peu elle reprit ainsi :

« Il s’est anéanti lui-même, prenant la forme d’un esclave . Et bien plus qu’un esclave, mon Amour ».

Peu avant cinq heures, après être restée un long moment à regarder le Crucifix avec admiration, elle le reprit soudain et d’une voix plus forte que d’habitude, elle s’écria :

« Que puis-je faire à présent ? Je ne peux rien si l’amour veut souffrir ! Ô Amour, c’en est fait, le voilà, je vois le traître ! »

Et peu après elle ajouta :

« Il le salue par le baiser de paix. Salut de paix, sans intention de paix ni d’amitié, mais pour te trahir, mon Amour ».

À ce moment cinq heures sonnèrent, et elle continua :

« Ô Amour, tu l’as appelé “ami” (Mt 26,50), mais s’il l’avait été, il ne t’eût pas trahi. Un ami, il l’était pour toi, mais il s’est fait lui-même ton ennemi ».

Se tournant vers Judas elle ajouta :

« Rassasie-toi, maintenant ! Amour, si tu te laisses embrasser par lui, fais que ton épouse, et les autres, en fassent autant, non pour te trahir, Amour, mais pour t’aimer et pour s’unir à toi ; le traître lui-même semblait lié à toi : il s’était uni en fait à celui qui est séparé de toi. Ô mon Amour, tu es passé ! Tu ne t’es pas arrêté !

Après une pause on comprit que Jésus demandait aux gens qui ils cherchaient ; et comme ils répondaient « Jésus le Nazaréen », elle dit :

« Ils prononcent le saint nom, devant lequel se prosternent les habitants du ciel et de la terre, et s’inclinent même ceux de l’enfer  ».

Puis Jésus sembla dire : « C’est moi » , car elle ajouta :

« C'est moi ! Ô Amour, il est vrai : toi seul tu es ; sans toi les autres créatures ne sont rien; elles ne sont quelque chose qu’unies à toi ».

Nous comprîmes qu’elle voyait les soldats tomber à terre et y demeurer un bon moment; elle dit alors :

« Amour, tu manifestes maintenant plus de puissance en les faisant tomber que tu n’en avais montré dans le temple : tu t’es défendu alors en te rendant invisible (Jn 8, 59) ; ici tu ne te défends pas, et tu montres visiblement ta puissance ».

Voyant que les soldats s’étaient relevés, et Jésus leur demandant à nouveau qui ils cherchaient, ils répondirent pour la seconde fois : Jésus le Nazaréen. Elle dit alors :

« Ils prononcent à nouveau ce nom béni, de leurs langues malveillantes et pestiférées, ô Amour, tu leur dis à nouveau : C’est moi. Ils n’auront plus d’excuse désormais pour dire qu’ils ne t’ont pas connu, car tu le leur as dit, toi, Amour, de ta propre bouche ».

Elle vit les soldats tomber pour la seconde fois, et, après qu’ils se furent relevés, Jésus leur demander encore qui ils cherchaient. Ils répondirent : « Jésus le Nazaréen », et Jésus dit : « C’est moi », pour la troisième fois ils tombèrent à nouveau à terre selon ce que nous avons pu comprendre, mais elle exprima cela plutôt par le geste que par la parole ; et demeurant un long temps silencieuse et comme étonnée, elle reprit :

« Amour, enlève leurs forces à ceux qui veulent faire le mal ».

Vers six heures, elle fit comprendre qu’elle voyait arrêter Jésus et fuir les Apôtres :

« Ô Amour, ils t’abandonnent ! Si je possédais ta puissance, ils ne t’auraient pas arrêté. Tout à l’heure j’affirmais ta puissance, mais je dis maintenant le contraire : tu es très faible. Ô Amour, tu t’es fait impuissant pour nous rendre puissants, afin que nous puissions vaincre par ta faiblesse. Ô Amour, je le sais, si tu avais voulu, mais tu n’as pas voulu, non seulement douze légions d’anges mais tout le Paradis serait venu pour te défendre ».

Il dit encore : « Laissez aller ceux-ci » il parlait des Apôtres. Elle poursuivit :

« Ô Amour, tu as voulu être arrêté seul ; tu ne veux pas que l'âme en prenne d’autres que toi : tu veux que l'âme te saisisse toi seul, car tu ne veux pas qu'elle en aime d’autres avec toi ».

Au bout d’un certain temps elle reprit :

« Ô Amour, ils te lient avec une chaîne de fer! Amour, combien de ceux qui t’aiment te lient, au contraire, avec une chaîne d’amour! Ils lient ces mains qui ont tout fait pour eux, ces mains qui les ont créés. Amour, lie-moi à toi, et ces autres aussi; fais, Amour, que nous te liions en nous et toi lie-nous en toi. Eux, c'est par haine qu’ils t’ont lié, pour te tourmenter, te déshonorer, et te donner la mort ; nous c’est pour te louer, t’honorer et pour que tu nous donnes la vie, et tu veux nous lier à toi par amour. Amour, ceux qui se sont rebellés et séparés de toi, réunis-les et lis-les à nouveau à toi. À ceux qui n’ont pas la foi, donne la lumière afin qu’ils te connaissent, toi leur Créateur. Et tous ceux qui t’attendent, Amour! Fais qu’ils t’aiment, tous ».

Ensuite elle demeura un bon moment paisible, montrant qu’elle souffrait grandement et manifestant sa compassion par les changements de son visage et les mouvements de toute sa personne. Elle semblait se consumer intérieurement, elle soupirait, pleurait et transpirait, frémissant en elle-même avec un tremblement visible, au point que l’on voyait ses cheveux se dresser sur sa tête. On devina Jésus arrêté par les Juifs, et les tourments qu’on lui infligeait en le conduisant à la maison d’Anne et des autres pontifes. Elle dit alors :

« Que de tourments, mon Amour! Ô Marie, ô Madeleine, si vous le voyiez maintenant, vous seriez comme deux lionnes féroces : quand on leur enlève leurs petits, elles courent enragées et déchirent quiconque se trouve sur leur passage ».

Cela se passa vers sept heures, et jusqu’à huit heures elle n’ajouta rien d’autre que ces paroles :

« Amour, combien tu souffres ! Ô Amour, cela n’est rien encore, cela commence à peine ! Ô Amour, pourrais-je supporter de te voir dans une si grande souffrance ? Amour, amour, que ne puis-je dire : Roi des rois, Dieu des dieux, Seigneur des seigneurs ! (Ap 19,16) »

À huit heures on comprit que Jésus était arrivé à la maison d’Anne, car elle dit :

« Il t’interroge ».

Ensuite, elle s’apaisa un peu, et reprenant, dit à saint Pierre :

« Ô Pierre, tu n’as pas été fort, tu n’as pas tenu tes promesses ! L’amour avait bien dit que tu n’étais pas aussi prompt en actes qu’en paroles (Jn 13,37-38) ».

Et se tournant vers Jésus, elle reprit :

« Mais il s’est repenti ensuite. Il fallait bien, Amour, que celui qui allait être le chef de l’Église éprouvât sa fragilité pour devenir capable de compassion envers les autres ».

Alors elle s’arrêta un peu, et nous comprîmes qu’à ce moment Jésus était conduit à la maison de Caïphe, car elle dit :

« Amour, Amour, ils te bousculent, ils te tirent qui d’un côté, qui de l'autre. Ils montrent ainsi, même s’ils ne l’ont pas compris, que tu voulais être à tous, que tu voulais nous sauver tous ».

Puis, dans la maison de Caïphe, elle dit à Pierre :

« Ô Pierre, tu te chauffes, tu laisses voir ainsi que le froid qui a saisi ton âme est plus intense que celui dont souffre ton corps ».

À nouveau elle s'arrêta. Puis elle reprit :

« Beaucoup de choses se passent à présent : Amour, tu parles, tu te tais, tu interroges, tu réponds et agis. Pour moi, je n’y comprends rien ».

À partir de ce moment, jusqu’à l’arrivée de Jésus chez Pilate, elle parla peu, et à voix si basse que nous ne pouvions entendre ce qu’elle disait. Elle tenait son regard attaché au Crucifix, dans lequel, à ce que nous pouvions comprendre, elle voyait comme en un miroir tout ce qui se déroulait dans la Passion de Jésus, exactement comme au moment où elle eut lieu ; c’est de cette manière qu’elle lui fut montrée, selon ce qu’elle en dit plus tard à Sœur Véronique. On comprit ensuite que Jésus se trouvait devant Pilate, aux paroles qu’elle prononça :

« Mon Amour ne mérite aucune accusation ».

Au bout d’un certain temps elle déclara :

« Tu es le roi des Juifs (Lc 23,3) ».

Elle s'arrêta un peu et poursuivit :

« Mon royaume n’est pas de ce monde (Jn 18,36). Ô Amour, tu as dit vrai : ton royaume n’est pas de ce monde, car ton royaume, ce sont nos âmes. Amour, fais que mon âme soit ton royaume, et les autres aussi ».

Elle dit ensuite :

« Dieu, donne au roi ton jugement (Ps 72,1) ».

« Après un peu de temps, elle dit à Pilate :

« Tu as bien fait de partir; tu n’étais pas digne d’écouter ce qu’est la vérité, car la vérité, c’est Dieu lui-même; tu n’étais pas capable d’entendre ni de connaître Dieu, car tu t’en es rendu indigne ».

Elle cessa alors de parler, et demeura un long moment à regarder comme toujours le Crucifix qu’elle avait à la main; elle montra ensuite que Jésus se tenait devant Hérode car elle s’écria :

« Ta curiosité, Hérode, n’a mérité aucune réponse ».

Puis elle dit :

« Ô Amour, ils te mettent un vêtement blanc; ils le font pour t’outrager et te déshonorer ! Mais ils se sont trompés, ils ne savaient ce qu’ils faisaient. Ils ont révélé ainsi, contre leur gré, ton innocence et ta pureté, et aussi que tu étais vierge, ayant pris chair du sang pur de la Vierge Marie. Amour, fais que nous aussi te soyons semblables : habille-nous de cet habit d’innocence et de pureté ».

Elle dit ensuite :

« L’homme comblé ne comprend pas, il ressemble au bétail sans raison, il est rendu semblable à eux (Ps 49,13). Il est bien vrai que l’homme est comparable au bétail, qu’il est un animal vil et stupide. Quand l’homme perd la raison, il se laisse conduire comme une bête insensée. Amour, ils t’ont considéré comme fou, ils t’ont mis un vêtement blanc pour t’humilier et te déshonorer, mais ils n’ont fait que t’honorer davantage ! »

On comprit qu’elle parlait d’Hérode et de ses soldats. Alors elle se calma un peu, montrant que Jésus était revenu chez Pilate. Elle dit en effet :

« Amour, prends-moi avec toi, emmène-moi avec toi, car si l’époux souffre, s’il est considéré comme fou, l’épouse doit lui être semblable ».

Elle dit encore :

« Amour, à cause de toi Hérode et Pilate deviennent amis! (Lc 23,12) Sur toi pèsent la haine et la douleur, tandis qu’eux se lient d’amitié ! »

Elle se calma durant plus d’une heure, montrant par signes et par gestes qu’elle souffrait d’une vive compassion pour les souffrances qu’endurait Jésus : parfois elle poussait de profonds soupirs, et vers la fin de cette heure on vit un grand changement sur son visage, comme transfiguré. Elle dit :

« Amour, amour, je ne peux plus te voir tant souffrir et pourtant ce n’est pas fini ! »

Et montrant que Jésus était flagellé à la colonne elle parla ainsi :

« Amour, je ne peux dire maintenant comme le Prophète : Le malheur ne peut fondre sur toi, ni la plaie approcher de ta tente (Ps 91,10). Amour, pourquoi te frappent-ils ainsi ? Qu’as-tu fait ? Que manque-t-il en toi, amour ? La sagesse ? La bonté ? La miséricorde ? La pitié ? L’amour te manquerait peut-être ? »

Après un moment de silence, elle poursuivit :

« Oh ! On le frappe à la tête ! »

Peu après elle ajouta :

« Amour, ton amour ne me permets pas d’entrer pleinement dans la grande peine que tu souffres, car je ne pourrais pas le supporter. Ô Amour, les flèches que tu envoies au cœur des créatures sont bien plus nombreuses que les coups qu’elles te donnent maintenant ».

On comprit qu’elle voyait Jésus couronné d’épines, car elle dit :

« Amour, tu as voulu être couronné d’épines pour couronner tes épouses de gloire au Paradis. Amour, qui mérite davantage cette couronne si piquante, l’aimé ou l’amant? Amour, c’est moi, c'est moi qui la mérite, donne-la-moi, Amour ».

Elle demeura un moment en repos, et reprit :

« Amour, on ne peut dire de toi ce qu’on a dit de moi (ce qui se passa lors de sa Profession) : Le Seigneur m’a revêtue d’une tunique tissée d’or (rituel monastique). La tienne ne fut pas d’or, Amour, mais d’épines. Que pourrais-je faire, Amour, pour alléger ta peine ? Te montrer une grande pureté de cœur et une profonde humilité ».

Comme d’habitude elle s'arrêta alors un certain temps, puis elle dit :

« Oh ! Il ne leur suffit pas de frapper ce saint visage, que les anges désirent contempler ; que de tourments ils lui infligent encore ! Ô Amour, tu ne peux dire maintenant que ton plaisir se trouve au milieu des enfants des hommes (Pr 8,31), mais plutôt les tourments et les offenses. Ô Amour, l’âme, ton épouse, t’appelle “gloire du Paradis” et “joie des anges”, mais je t’entends dire à présent : Risée des gens, mépris du peuple (Ps 22,7) ».

Elle nous fit ensuite comprendre que Pilate montrait Jésus au peuple car elle dit :

« Voici l’homme (Jn 19,5). Voici l’homme Dieu. Le montrant aux Juifs, Pilate déclara : Voici l’homme, et Jésus, montrant la créature au Père, lui dit avec grand amour : Voici l’homme pécheur. Voici l’homme sauvé. Voici l’homme racheté ! Ô Amour, fais que ta créature, rachetée à si grand prix, ne se perde pas elle-même ».

Comme d’habitude elle s’arrêta un peu, s’adressant à Pilate elle commença ainsi :

« Tu t’es approprié du pouvoir, en enlevant ce qui était à Dieu : mais en cherchant l’honneur, tu l’as perdu ».

Après quoi elle ajouta :

« Je ne sais comment l’appeler, mais je dirai : maudit soit le respect humain qui conduit l'homme à de tels actes! À quoi te mena-t-il, Pilate ? Par respect humain, tu as condamné à mort un innocent, mais laissons cela car cette faute est déjà passée, parlons de ce qui se passe aujourd'hui, de ceux qui offensent gravement Dieu par ce vice corrupteur. Oh combien, combien font pire que Pilate, notamment certains supérieurs qui devraient servir d’exemple aux autres. Ô Amour, je t’en prie, fais disparaître le respect humain parmi les créatures, afin qu’elles cessent de t’offenser. Beaucoup t’ont trouvé excusable, Pilate, mais ce n’est pas mon avis, parce que l’Amour t’a manifesté plus de bienveillance qu’aux autres, il t’a parlé plus longuement, et t’a donné maintes occasions de le connaître, mais tu n’as pas su les saisir ».

Après cela elle dit encore :

« À mort ! À mort ! Crucifie-le ! (Jn 19-15) Amour, ils crient : Supprime-le ! Crucifie-le! Ils crient : “Supprime-le”, ils auraient dû crier : “Donne-le nous”, mais ils ne savaient pas ce qu’ils disaient ; ils n’étaient pas dignes de te posséder, mon Amour. Ils disent : “Crucifie-le”. Oh ! pourquoi pas : “Crucifie cet homme qui s’appelle Jésus”, mais “Crucifie-le” ? Parce qu’ils n’avaient pas à crucifier la divinité, mais notre péché, ce “le” qu’il avait pris sur sa personne en se faisant homme : c’est ce “le” qui devait être crucifié ».

Elle resta paisible un bon moment, puis elle poursuivit :

« Il s’était passé peu de temps depuis que ces mêmes bouches avaient proclamé : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (Mt 21,9). Il est vrai que tu as reçu alors ces marques d’honneur comme tu reçois maintenant celles de l'opprobre et de l’humiliation. Mon Amour, fais que je ne me réjouisse dans les circonstances favorables ni ne m’attriste dans l’adversité, et qu’il en soit de même pour les autres ».

Elle s'arrêta un certain temps, puis elle dit :

« Hélas ! Ces cheveux qui par leur beauté attiraient à lui le cœur des créatures, cette belle barbe qui ornait sa bouche, porte-parole de l’Esprit Saint, ces oreilles habituées aux nobles mélodies des anges au Paradis, et aux douces paroles de Marie, qui maintenant écoutent des blasphèmes ! »

Et peu après elle ajouta :

« Si j’avais mille enfers, je les y jetterais tous, tous ».

Et puis ce verset :

« Non, personne n’agit bien, non, pas un seul (Ps 14,3). Ô Amour, il n’y a personne, personne ! »

À 15 heures, elle déclara :

« Ils demandent Barabbas ».

Alors il parut qu’elle était blessée au cœur, à la grande douleur que manifestaient son visage et ses gestes. Frémissant de tout son être, elle laissa déborder ces paroles :

« Oh ! Je ne puis supporter qu’à mon époux on préfère un être si vil, qu’on réclame l’esclave à la place du Seigneur ».

Elle demeura tranquille un quart d’heure environ, puis elle dit :

« Ô Amour, je sais que l’orgueil t’a toujours déplu, mais cette fois je veux être orgueilleuse, car je ne puis supporter que tu sois comparée à un si vil personnage. Je dirai ce que dit Caïphe : Il est nécessaire qu’un homme meure pour le peuple (Jn 11,50) ».

Elle montra ensuite qu’elle voyait Pilate se laver les mains, en disant :

« Il se lave les mains ».

Puis elle ajouta :

« Vraiment, ce que tu as fait est digne de toi. Tu t’es lavé les mains parce que tu n’étais pas digne de recevoir ni le bienfait de sa Passion, ni le mérite de son sang. Tu t’en es lavé les mains, car tu n’en devais rien recevoir du tout ».

Et peu après :

« Comment pourrai-je supporter d’entendre cette dernière parole ? Je ne voudrais jamais y arriver. Puissé-je, comme l’aspic, me rendre sourde pour ne pas l’entendre! Je voudrais que cette heure n’arrive jamais ».

Elle fit une pause. Ensuite, d’une voix pleine de compassion, tout effrayée et pleurant beaucoup, elle s’écria :

« Oh ! M’y voilà pourtant. Il a prononcé contre lui cette condamnation injuste. Il supporte d’être jugé, celui qui doit le juger, lui et toutes les créatures.

Et se tournant vers les Juifs, elle dit :

« Vous serez contents désormais ! Soyez donc satisfaits ! Rassasiez-vous car vous ne vous rassasierez jamais plus ».

À 16 heures elle demanda :

« Où donc est mon Amour ? Car je ne le vois pas ».

Peu après, elle poursuivit :

« Amour, amour, je n’aurais jamais pensé te trouver ici, je pouvais bien chercher, Amour ».

Nous pensons qu’elle faisait allusion au lieu où on lui mit la croix sur les épaules. Elle demeura un moment tranquille et reprit :

« C'est à juste titre que l’on t’a mis entre deux voleurs : toi aussi, Amour, tu as commis un vol, en dérobant au démon la proie de nos âmes. Dès lors, on peut le dire en vérité : tu as laissé les quatre-vingt-dix-neuf brebis, tu es venu chercher la centième et tu l’as prise sur tes épaules, laissant celles qui te louaient fidèlement, pour arracher celle-ci à la gueule du loup. Je ne m’étonne pas qu’on fasse une telle fête pour un pécheur, car mon amour est descendu du ciel, et autant il a souffert, autant il souffrirait encore pour une seule âme ».

Peu après elle dit :

« Le Seigneur me conduit (Ps 23,1). Puisque tu m’as conduit, Amour, à ce premier pâturage, conduis-moi encore à celui de la vie éternelle, et les autres avec moi ».

Après un long silence, elle reprit :

« Le voici, le mât que dressa Moïse au désert, sur lequel était le serpent destiné à guérir et à réconcilier le peuple (Nb 21,9). Ils étaient vraiment au désert, Amour ».

Elle fit une pause et déclara :

« Maintenant on peut dire en vérité : Comme un oiseau solitaire sur le toit , car ils t’ont tous abandonné. Amour, ils ne te connaissent pas, et c’est pourquoi ils t’abandonnent. Fais, Amour, que moi aussi, comme toi, je demeure solitaire, mais que je ne t’abandonne jamais ».

Puis elle ajouta :

« L’heure approche où vous serez rassasiés ».

Se tournant vers les prophètes, elle dit :

« Ô prophètes, vous allez être satisfaits, non parce que vous désiriez sa mort, mais parce que vous voyez s’accomplir vos prophéties et les Écritures ».

Vers 17 heures, elle déclara :

« Je vois que mon époux s’est mis en route. Qui veut le suivre, qu’il prenne son chemin, mais sans regarder aux obstacles ».

Elle garda un instant le silence, et reprit :

« Amour, amour, amour ».

Et peu après :

« Ô Marie, quand tu le verras! Tu le savais d’avance, mais l’heure n’était pas encore venue! Tu ne pourras l’embrasser comme tu le désires, car tu défaillirais de douleur ! »

Puis elle dit :

« Si l’on trouvait une créature pour lui adresser un seul mot, j’en serais heureuse ».

Quelque temps après, elle s’écria :

« Amour, si je pouvais t’aider un peu à porter cette croix, je t’aiderais volontiers, non pas comme Simon de Cyrène, mais pour souffrir avec toi. Ceux-là t’aident, non par amour, mais pour te conduire plus rapidement à la mort ».

Elle demeura un peu en silence et poursuivit :

« Allez ! Vous vous rassasierez malgré vous, car l’amour et la haine marchent ensemble ».

Peu après, elle dit :

« Le Christ s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix.Amour, fais que moi aussi, je sois crucifiée avec Toi ».

Elle se tut un moment, et reprit :

« La vie meurt, je mourrai avec Toi. Amour, amour, nous y sommes ».

Alors elle fondit en larmes, et se mit à crier avec force, en disant :

« Ô Dieu, ô Dieu, mon amour ôte ses vêtements; oh! quelle douleur, il s’étend sur la croix, à terre, et se dévêt seul, de lui-même, mon Amour. C’est ce qui advient d’une âme quand elle se dévêt de son innocence ».

Alors ses sanglots redoublèrent, elle élevait la voix plus que d’habitude, avec des gestes de compassion et de douleur qui arrachaient des larmes à celles qui étaient là. Elle tremblait très fort, frémissant en elle-même, et semblait se consumer au-dedans tout entière en disant :

« Oh ! Si du moins il frappait moins fort! Je vois tuer l’innocent. Ah ! Je n’en peux plus. Assez, Amour, cela suffit, car je n’en peux plus ! Si au moins ils avaient fait ces trous un peu plus près ! oh, Amour, oh ! Ne le tirez pas si fort, mon Amour. Ô Amour. Il déploie ses ailes (Dt 32,11). Hélas ! Amour, je n’en peux plus et il reste trois heures encore! Amour, communique cela à quelque autre âme, s’il te plaît, car moi je n’en peux plus. Si au contraire tu veux continuer ainsi, je l’accepte volontiers, mais donne-moi la force de le supporter. Amour, cloue-moi en Toi. Je ne te quitterai jamais, Amour ; si tu ne me cloues en Toi, alors cloue-Toi en moi. Allons, Amour, je veux te clouer en moi avec les trois clous de la foi, de l’espérance et de la charité, et quand l’heure viendra, Amour, quand tu seras déposé de la croix, choisis mon cœur pour sépulcre, et, avec lui, ceux de mes Sœurs ».

Ici elle s'arrêta. Elle regardait fixement le Crucifix, en baisait les mains, le côté, les pieds, avec grand amour. Le présentant à la Mère Prieure, aussitôt, elle sortit de l'extase. Il était juste 18 heures, selon ce qu’elle avait annoncé le mardi précédent, et comme on peut le voir ci-dessus. Elle semblait une morte, tant elle était meurtrie, humiliée et transfigurée par la grande souffrance qu’elle avait endurée en cette extase, et à cause de sa longue maladie. La peine qu’elle souffrit à ce moment fut telle que personne ne pourrait l’imaginer si on ne l’avait vue. Son abondante sueur avait atteint jusqu’à la couverture, si bien que l’on dut tout changer et faire sécher.

Elle demeura 16 heures et demie sans jamais lever les yeux du Crucifix qu'elle tenait à la main, le regardant avec une attention si ferme qu’il semblait — comme nous le croyons avec certitude — qu'elle voyait tout ce qui se passait au moment de la Passion et de la mort de Jésus. Mais pour elle tout semblait présent, car elle voyait tout se dérouler de la même manière qu’alors, bien qu'elle comprît que Jésus ne souffrait pas à ce moment sa Passion comme elle la voyait de ses yeux. Elle savait par la foi qu’il se tient désormais à la droite du Père au Paradis, mais qu’il avait voulu se montrer à elle de cette manière à cause du grand désir qu’elle avait toujours eu de l’accompagner dans sa Passion et de souffrir avec lui.

Parfois, elle regardait le visage du Crucifix avec une profonde stupeur, immobile pendant des heures ; d’autres fois elle tournait les yeux vers la main gauche, ou la droite, et puis elle regardait tout le corps de Jésus comme si elle voyait tout ce que les Juifs lui infligeaient, et ce qu’il souffrait. D’autres fois, elle semblait le voir marcher, et s’arrêtait alors étonnée. Sa bouche remuait, elle serrait les dents, et toute sa personne se tordait si fort qu’elle semblait prête à se briser. Ou encore elle poussait de profonds soupirs, on aurait cru alors que ses os et tout l'intérieur de son corps se disloquaient. Parfois elle demeurait silencieuse plus d’une heure, parfois moins, et semblait considérer avec grande stupeur tout ce qu’elle observait.

Parfois, dans l’élan de son amour, elle laissait déborder des paroles pleines de compassion et d’émerveillement ; bien que nous en ayons noté beaucoup, elles n’y sont pas toutes, il en manque sans doute quelques-unes, car parfois elle parlait si faiblement que nous n’avons pu les entendre, parfois elle commençait à parler et puis se taisait, ou continuait comme pour elle-même, à voix basse. Plus d’une fois elle montra les signes d’une compassion plus profonde, notamment lors des principaux mystères de la Passion de Jésus, ainsi quand il pria dans le jardin, quand il fut arrêté, flagellé à la colonne, couronné d’épines, montré au peuple, et, quand Pilate prononça la condamnation à mort, elle en eut le cœur transpercé. Mais elle montra une douleur plus grande et supérieure à toute autre quand elle vit Jésus fixé à la croix, car elle se mit alors à pleurer, à crier d’une voix forte, frémissant en elle-même bien plus que les autres fois. Elle serrait fort le Crucifix entre ses mains, et par d’autres gestes, et les mouvements de son corps, elle révélait la grande souffrance qu’elle supportait ; car elle souffrait intérieurement dans son âme autant qu’extérieurement dans son corps.

Jamais langue ne pourra exprimer ses attitudes, ses gestes, ses paroles, ses soupirs de compassion durant cette épreuve qui se prolongea, comme on l’a dit, du jeudi soir à 1 heure et demie, jusqu’au vendredi à 18 heures. Et bien que nous nous soyons efforcées de recueillir de notre mieux ses paroles et ses gestes, nous en avons manqué une bonne part en comparaison de ce que nous avons vu et entendu. Mais si nous nous efforçons d’agir et de mettre en œuvre ce que nous avons écrit, ce ne sera pas négligeable. Que le Seigneur miséricordieux nous le concède, dans son infinie bonté et miséricorde. Amen.


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A suivre...

   



   

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Message par M1234 Dim 18 Sep 2016 - 10:30

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MARIE MADELEINE DE PAZZI
Carmélite et auteur mystique, Sainte
(1566-1607)

DOUZE MÉDITATIONS

INTRODUCTION

« Douze méditations » petit texte publié dans le dernier volume de l’édition italienne des Oeuvres complètes.  Ces petites notes trouvent leur origine dans une coutume du monastère de Sainte Marie des Anges, relative à la tradition monastique carmélitaine, qui avait pour fonction de favoriser la pratique communautaire de la pauvreté et d’éviter l’oisiveté. Les Constitutions du monastère déterminaient l’ordre à suivre qui s’inspirait largement de l’Office divin.

En 1579, le chapitre du monastère adopta un décret établissant que chaque jour, après le silence en salle, les jeunes novices devaient se charger à tour de rôle d’une méditation.

Une compagne de noviciat, Sœur Maria-Grazia Gondi, prit en note les méditations de sainte Marie Madeleine de Pazzi. C’est grâce à elle que nous possédons le premier témoignage de la doctrine spirituelle de la jeune carmélite.

Malgré la formulation impersonnelle, nous pouvons déjà reconnaître en ces méditations de la jeune novice — données probablement durant l’année 1583 (elle avait alors 17 ans) —, des thèmes et des images que nous rencontrerons dans les "Quarante jours", on peut même dire que l’essentiel y est déjà annoncé : importance de l'approche trinitaire de Dieu et du lien avec l’âme notamment par les vœux religieux, médiation du Verbe et de Marie dans l'œuvre du salut, appelant les âmes à y prendre leur part par l’imitation de leurs vertus et la participation à leurs souffrances; soif des âmes. La croix du Christ et sa Passion occupent une place centrale : l’âme est invitée à imiter son Maître dans ce chemin d’anéantissement, en insistant sur l’importance de la vertu d’humilité, par laquelle l'âme s’unit à Dieu. Cette seule vertu lui suffit pour acquérir la vie éternelle, et elle peut ainsi gagner le ciel, où, participant de la nature divine, l’âme est enivrée de Dieu.

Nous y trouvons déjà plusieurs images comme celles du lait, du sang, de la vigne, du jardin, de l’eau. Les méditations reflètent l’effort ascétique de la novice, consciente déjà que Dieu se « complaît dans une âme nue et dépouillée de tout vouloir propre, non seulement dans les choses extérieures, mais encore dans sa volonté de servir Dieu, non selon son goût, mais comme Dieu le veut ».

COMMENCEMENT DES 12 MÉDITATIONS

1

Nous pourrions considérer que lorsque le Père éternel voulut envoyer le Verbe prendre chair, les trois divines Personnes tinrent d’abord conseil entre elles.

L’âme aussi, quand elle veut mettre en œuvre un projet, doit d’abord tenir conseil en elle-même, c’est-à-dire préméditer et bien considérer quelle intention l’y porte et ce qu’elle en attend.

Dans l’éternel conseil, la justice et la miséricorde n’étaient pas d’accord entre elles. Ainsi dans l’âme, la crainte de Dieu d’un côté, la crainte du monde et le respect humain de l’autre ne peuvent jamais s’accorder si l’âme dans son activité ne veille, avec une droite justice selon Dieu, à satisfaire à chacune de ces craintes et affections; c’est ainsi qu’a fait le Verbe en satisfaisant en lui-même à la justice et à la miséricorde.

Dans son conseil, pour mener à bien l’œuvre de l’Incarnation du Verbe, la très Sainte-Trinité a choisi la plus pure et la plus humble créature qui fut au monde.

De même l’âme en tout son agir doit toujours choisir ce qui est le plus pur, Jésus, en ne voulant que Lui et Sa très aimable volonté.

2

Nous pourrions considérer que Jésus, dans sa Nativité, nous a montré les mêmes vertus que sur la croix : pauvreté et humilité.

À la Nativité, il s’humilia tellement qu’il voulut être placé entre deux animaux, et fut si démuni qu’il naquit dans une pauvre étable, sans aucune aide humaine. Sur la croix, il n’eut pas d’endroit où reposer sa sainte tête, et s’humilia jusqu’à se faire crucifier entre deux voleurs.

Quand Jésus naquit, il se nourrit de lait ; plus tard, sur la croix il nous donna son sang, nous montrant ainsi que lorsque l'âme naît à la vie de Dieu, elle reçoit de lui le lait de la consolation, mais qu’elle doit ensuite abandonner cette douce nourriture et en échange donner du sang, c’est-à-dire l’exemple d’une vertu authentique et d’une véritable souffrance par amour de Dieu.

3

Nous considérerons qu’à sa naissance Jésus était nu et voulut être couché sur du foin dur, entre deux vils animaux, pour montrer qu’il se plaît et se repose dans l’âme qui est humble et mortifiée dans toutes ses puissances et sentiments, et qui maîtrise si bien sa convoitise et son irascibilité que par l'une elle ne désire quoi que ce soit contre la volonté de Dieu et par l’autre ne se meut ni n’éprouve de ressentiment, si ce n’est pour l'honneur de Dieu et le salut du prochain.

Il naquit nu pour montrer aussi combien il se complaît dans une âme nue et dépouillée de tout vouloir propre, non seulement dans les choses extérieures, mais encore dans sa volonté de servir Dieu, non selon son goût, mais comme Dieu le veut.


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4

Nous allons considérer le grand amour que Jésus nous montra sur la croix, et surtout dans les trois paroles qu’il prononça pour nous témoigner aussi sa profonde miséricorde et son infinie sagesse.

Dans cette parole : Père, pardonne-leur (Lc 23,34), il montra sa miséricorde en priant pour ceux qui le crucifiaient.

En s’écriant : J’ai soif (Jn 19,28), il montra son amour, parce que la soif qu’il avait de nos âmes était plus ardente que l'autre soif dont il souffrait pourtant beaucoup. Si nous voulons désaltérer Jésus, nous devons avoir une grande soif de son honneur et du salut des âmes, sans être altérés des choses du monde ni les désirer, car alors nous donnerions à boire à Jésus du fiel et du vinaigre. Et puisque le fiel et le vinaigre sont amers au goût mais également nocifs, de même, nous nuisons à notre âme en nous désaltérant avec les choses du monde.

Dans ces mots : Tout est achevé (Jn 19,30), il nous montra la sagesse infinie où il puisa le moyen de rétablir ses créatures dans l’état d’innocence où il les avait créées, achevant par sa Passion l’œuvre que le Père éternel lui avait confiée.

5

Nous considérerons ces paroles de Jésus dans l’Évangile : Je suis la vraie vigne et vous êtes les sarments (Jn 15,5). Cette vigne fut plantée dans la terre fertile du sein de la Vierge Marie. Et comme la vigne fleurit et produit le fruit presque en même temps, de même Jésus enseignait par sa parole et présentait des exemples vivants de vertu.

Quand les sarments sont séparés de la vigne, ils ne peuvent donner de fruits ; ainsi en est-il de nous; si nous sommes séparés de Jésus, jamais nous ne porterons de fruits, mais si nous demeurons unies à lui par la transformation de la volonté et de l'amour, alors nous donnerons le même fruit que lui, comme les sarments unis à la vigne donnent le fruit de la vigne. Parce que l’âme unie à Dieu devient, par participation, un autre Dieu, elle tire du Verbe incarné, par imitation, la pratique des vertus qu’il exerça sur terre, et surtout une profonde humilité, qui la fait s’humilier et s’abaisser en toutes ses actions, un ardent amour de Dieu et une véritable charité pour le prochain : pour le sauver et lui être utile, elle ne tient compte ni d’elle-même ni des commodités de son corps. Il nous enseigne surtout à demeurer toujours unies à Jésus.

6

Nous considérerons que dans le jardin de la sainte Église se trouvent bien des choses qui recréent l’âme, et en particulier la mémoire de la Passion de Jésus, qui non seulement la recrée, mais lui offre aussi une douce nourriture.

Ainsi pourrons-nous considérer Jésus sur le mont Calvaire, pendu sur la croix, et nous donnant, comme une vigne, son sang précieux. Comme la vigne nous donne le vin qui nourrit et enivre, de même le sang de Jésus et la méditation de sa Passion nourrissent et enivrent l'âme d’amour divin. Mais il nous faut approcher de Jésus dans l’oraison et la méditation de sa Passion avec un cœur pur et vide de nous-mêmes et de notre amour propre, si nous voulons en tirer cette douce nourriture et cette divine ivresse, car, si nous voulons que le vin nourrisse et enivre, il faut de même qu’il soit pur et non mêlé avec beaucoup d’eau.

7

Nous allons considérer la grande humilité que nous montra Jésus en voulant être baptisé par saint Jean, qui était tellement inférieur à Lui. Combien son Père éternel se complut dans la profonde humilité de son Unique, il nous le montra par ses paroles: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon plaisir (Mt 3,17).

Jésus aussi se complaît tellement dans l'âme qui est humble et se soumet par humilité à ses inférieurs, que cette seule vertu — au cas où elle n’en posséderait aucune autre — lui suffirait pour acquérir la vie éternelle.

8

Mes Sœurs, si nous voulons monter au ciel avec Jésus, nous devons nous alléger et délester de ce qui pèse en nous afin d’être légères et aptes à voler.

Rien ne nous rend plus lourdes et inaptes à nous élever et à suivre notre époux, que le péché. Donc, avec grand soin, nous devons garder notre cœur non seulement du péché mais de toute minime imperfection, et nous procurer les ailes de la haine de nous-même et de l’amour pour Dieu.

9

Nous devrons penser à célébrer toutes les solennités avec une grande dévotion, et en particulier celle de la très Sainte Trinité, parce que toutes les autres sont ou de Jésus, ou de l’Esprit Saint, ou de la Vierge, mais celle-ci célèbre également le Père éternel.

Et si toutes les créatures doivent honorer cette solennité, nous religieuses, nous le devons tout spécialement ; nous pouvons honorer la très Sainte Trinité notamment par l’observance des saints vœux. Nous honorerons le Père éternel par une observance véritable du vœu d’obéissance : en effet, quand ils obéissent à leur père, ses fils l’honorent infiniment. Nous honorerons le Verbe en l’imitant par la vertu de la sainte pauvreté, qu’il aima tant, car il se fit pauvre pour nous, lui qui n’eut sur la croix, nulle place où reposer sa tête si sainte. Par l'observance du vœu de pureté et de chasteté nous honorerons l’Esprit Saint, parce qu’étant pur Esprit, il agrée les âmes pures et chastes et se réjouit en elles.

10

Nous pourrions considérer que la Vierge Marie est comme ce livre, scellé de sept sceaux, que vit saint Jean l’évangéliste dans l’Apocalypse, et qui ne pouvait être ouvert que par l’Agneau (Ap. 5,5).

Les sept sceaux sont les sept dons de l’Esprit Saint que la Vierge Marie possédait en plénitude, plus que toute autre créature ; nous pouvons aussi les comprendre comme les sept privilèges dont elle jouit. Par le premier, elle fut depuis l’éternité choisie par Dieu comme première-née de toutes les créatures. Par le second, elle conçut en son sein et en sa chair le Verbe et son humanité, qu’il reçut de son sang très pur. Par le troisième, de sa parole, elle sanctifia saint Jean, en vertu du Verbe incarné dans son sein très pur. Par le quatrième, après avoir enfanté Jésus, elle demeura Vierge. Par le cinquième, le Fils de Dieu lui-même lui fut soumis, humble et obéissant. Par le sixième, son corps après la mort ne se corrompit point. Par le septième, elle fut placée à la droite de son Fils.

Si, à notre mort, nous voulons entrer dans le bienheureux Royaume du Paradis, nous devons dès à présent nous exercer à la perfection, pratiquer l’humilité, la patience, la charité et toutes les autres vertus. Efforçons-nous d’agir ainsi.

11

Nous allons considérer les paroles de Saint Paul et essayer de les dire nous aussi : Pour moi le monde a été crucifié et moi pour le monde (Ga 6,14).

Nous pourrons les prononcer en vérité quand nous serons contraires au monde. Les gens du monde aiment et poursuivent les honneurs, ils sont pleins d’avarice, d’impureté, de mille hypocrisies et simulations. Si nous voulons être contraires au monde, nous devons agir avec vérité, sincérité et pureté d’intention, nous devons aimer d’une véritable et intime dilection, et surtout aimer et pratiquer en nous-mêmes l’humilité, la simplicité et les autres vertus qui nous rendent agréables et justes aux yeux très purs de notre Époux.

12

Pour l’âme qui veut parvenir à la perfection, une des conditions à remplir est la connaissance des nombreux obstacles qui l’empêchent d’y réussir. Nous en retiendrons surtout trois :

Le premier est l’amour des créatures et d’elle-même. Jésus nous le montra dans l’évangile quand il dit : Celui qui ne renonce pas à tout ce qu’il possède n’est pas digne de moi (Mt 10, 37-38), qui aime ses biens plus que Lui n’est pas digne de Lui.

Le second est la simulation, qui consiste à garder une pensée dans son cœur tandis que la bouche en affirme une autre. Il nous montra cela quand il dit dans l’Évangile : « Je suis la Vérité » (Jn 14,6).

Le troisième, la désobéissance aux commandements de Dieu, et, pour nous religieuses, aux conseils, à la Règle, aux Constitutions, et encore à nos prélats et supérieurs. Jésus aime tellement la vertu d’obéissance, que par elle il s’unit à l’âme. Et comme un aliment s’unit à la créature et la créature à cet aliment, ainsi l'âme obéissante s’unit à Jésus, et Jésus à elle.


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