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Théologie du Purgatoire

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 10:55

Théologie du Purgatoire

1. PURGATOIRE.

- Le présent article a pour but de retracer le développement du dogme du purgatoire, depuis la révélation qui en a été faite dans l'Écriture jusqu'à sa formulation définitive aux trois conciles généraux de Lyon (1274), de Florence (1439) et de Trente (1563). La question théologique du feu du purgatoire a déjà été abordée à l'art. FEU (t. v, col. 1246). Nous nous efforcerons de n'y point revenir; toutefois, dans maints témoignages concernant le purgatoire, il est impossible de séparer la question du purgatoire lui-même de celle-là; de plus, une plus grande facilité d'atteindre les sources elles-mêmes ayant permis de corriger, de modifier, de compléter certains points, on ne devra pas s'étonner si des améliorations ont trouvé place dans la présente étude. Le purgatoire chez les Orientaux, postérieurement au concile de Florence, est réservé pour l'article suivant.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 10:56

Nous exposerons successivement:

I. L'enseignement de l'Écriture.
II. La tradition orientale jusqu'à la fin du III" siècle.
III. La tradition orientale à l'époque classique.
IV. La tradition latine.
V. L'union réalisée à Lyon et à Florence.
VI. La controverse protestante et le concile de Trente.
VII. La théologie posttridentine.
VIII. Conclusion.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 10:57

I. L'ENSEIGNEMENT DE L'ÉCRITURE.

-
Il est d'autant plus nécessaire de relever l'enseignement de l'Écriture que Luther avait osé formuler la proposition suivante, condamnée par Léon X, bulle Exsurge Domine, prop. 37 : Purgatorium non potest probari ex sacra Scriptura quæ sit in canone. Denz.-Bannw., n. 777. La preuve peut être demandée soit à l'Ancien, soit au Nouveau Testament.

I .DANS L' ANCIEN TESTAMENT.

-1° Doctrine générale, imprécise et confuse. - Il ne semble pas que les Hébreux
aient eu une notion très précise de l'état des âmes dans la vie future. Le séjour des morts en général, tant pour les justes que pour les impies, est uniformément appelé le scheôl. Gen., XXXVII, 5; Num., XVI, 30. Avant que le Christ vint ouvrir le paradis aux âmes justes, toutes les âmes des défunts n'étaient-elles pas en quelque sorte placées dans le même lieu, aussi loin du ciel que de la terre? Et ce lieu du scheôl est un lieu redoutable pour tous, sans distinction. Cependant, bien qu'aucune différence explicite ne soit indiquée par les plus anciens livres inspirés (Pentateuque, Josué, Juges, Rois), touchant le sort des justes et des coupables, une discrimination très réelle existe néanmoins à leur endroit. L'enseignement des saints Livres repose en effet sur deux principes: la responsabilité individuelle devant Jahvé et l'espérance messianique appliquée à chaque âme. Ainsi la responsabilité départage dans l'au-delà justes et coupables. La mort des justes est «une réunion, dans la paix et le repos, à leurs pères et à leur peuple.» Gen., xv, 15; Deut., XXXI, 16, etc. Le châtiment suprême réservé aux criminels est «la séparation d'avec leur peuple.» Aux justes renfermés dans le scheôl les promesses messianiques ne sont pas retirées. Dieu reste, pour eux, dans le trépas, le Dieu favorable et bénissant. Gen., XXVI, 24; XXVIII. 13; XLVI, 1, 3; Ex., III, 6; IV, 5. L'espérance d'une vie future est invoquée pour eux. Cf. Num., XVI, 22. Jahvé est le Dieu «qui donne la vie et la mort, conduit au scheôl et en ramène». I Reg., Il, 6; IV Reg., v, 7, Cette délivrance du scheôl, le psalmiste la promet aux justes. PB., xv (Vulg. et ainsi du reste), 9,10; XVI, 15; XLVIII, 15-16; LXXII. Et Job sait que le scheôl est le lieu où l'on attend l'heure de la miséricorde divine. Job, XIV, 13; cf. xv, 18-21.

Néanmoins, ce serait grandement se tromper que de vouloir trouver dans le scheôl la forme primitive de la croyance au purgatoire. Le dogme du purgatoire éveille l'idée d'un état intermédiaire entre celui des élus et celui des réprouvés. Dans le scheôl, justes et réprouvés sont enfermés dans l'attente de l'avènement du Christ. Être délivré du scheôl c'est donc, pour le juste, voir les espérances messianiques se réaliser à son égard; mais ce n'est pas nécessairement être délivré d'une expiation d'outre-tombe, telle que nous la concevons pour les âmes du purgatoire. Il faudrait, pour pouvoir établir un rapprochement sérieux entre les peines du scheôl et le purgatoire, montrer que dans le scheôl même les justes ont encore des peines à expier. Or, un tel rapprochement ne saurait être esquissé que d'une manière très lointaine. Toutefois certaines indications peuvent être relevées. En exposant que, sur cette terre, le juste souffre, le psalmiste rappelle que ce juste, n'est pas tout à fait sans péché: Ps. XXXVIII, 5; XXXIX, 13; CXLII. t, 2. La mort, même pour le juste, est un passage plein d'angoisse et de crainte. Ps., LIV, 5-6; CXIV, 3-5; CXLTI, 2-7. Et Jahvé délivre le juste des douleurs du scheôl. Ps., xxlx,4; CVI, 10-14. Il y a là comme une vague indication que, même dans l'au-delà, le juste aura besoin de la miséricorde divine.

Les livres prophétiques ne font que développer ces données. Peut-être la différence de l'état des justes et de celui des pécheurs s'affirme-t-elle avec plus de précision: les espérances messianiques, en particulier, sont présentées avec plus de force et de relief, et parfois en relation avec la résurrection de la chair. Os., VI, 3; Is., XXVI, 19-21; Ez., XXXVII, 1-14; Dan., XII, 1-3. Mais la mort et le scheôl demeurent toujours et pour tous, justes et impies, un double objet d'effroi. Faut-il voir dans cette crainte que les prophètes inspirent à tous sans exception une indication positive de peines et d'expiations à subir dans l'au-delà avant la complète purification des âmes et la réalisation pour elles des promesses messianiques? Certains auteurs estiment qu'on peut le supposer. L. Atzberger, Die christliche Eschatologie in den Stadien ihrer Oflenbarung, Fribourg-en-B" 1890, p. 93.

Les deutérocanoniques mettent en bien meilleur relief le sort des justes par rapport au sort des pécheurs. Néanmoins, sauf dans le IIe livre des Macchabées., on n'y rencontre encore aucun texte explicitement révélateur du purgatoire.

2° Les textes discutables. - Il faut donc savoir se contenter d'indications imprécises et confuses qui, par elles-mêmes, ne sauraient fournir une base sérieuse au dogme des expiations futures. Ç'a été peut-être le tort, en face de l'assertion luthérienne, des apologistes catholiques de vouloir à tout prix trouver dans l'Écriture de nombreux textes à l'appui de la croyance au purgatoire. Ces apologistes ne se sont pas aperçus qu'ils affaiblissaient ainsi l'argument scripturaire. Des théologiens de la valeur d'Eck et de Bellarmin n'ont pas su résister à cet entraînement. Plusieurs textes ont ainsi été invoqués, qui sont à coup sûr tout au moins fort discutables.

Tel est le texte de Tobie, IV, 18, recommandant «de placer du pain et du vin sur le sépulcre du juste», ce qui, déc1are Bellarmin, ne peut s'entendre que d'un repas offert aux pauvres afin qu'en retour ils prient pour l'âme du défunt. Il s'agit bien plutôt de repas funèbres en usage pour célébrer la mémoire des morts. Cf. Jer., XVI, 7.

Tels les exemples du sacrifices et de jeûnes offerts par les justes de l'ancienne Loi à la nouvelle de la mort de leurs amis. Cf. 1 Reg., XXXI, 13; II Reg., l, 12; JII, 35. Bellarmin reconnaît que ce sont là «simples signes de deuil et de tristesse», tout en insinuant qu'«on peut croire qu'il s'agit d'aider les âmes des défunts».

Telle encore la prière du psalmiste demandant à Dieu «de ne pas l'examiner dans sa colère ni le reprendre dans sa fureur», Ps., XXXVII, 2; cf. VI, 2, ou le remerciant d'avoir introduit son peuple dans un lieu de rafraîchissement, après qu'il a passé par le feu et l'eau. Ps., LXV, 7. Il n'est question, là, que des fautes personnelles de David; ici, que des tribulations et de la délivrance du peuple juif.

Telles encore les descriptions des prophètes où Dieu apparaît «purifiant les souillures des filles de Sion» Is., IV, 4; brûlant l'impiété comme un grand feu, Is., IX, 18; amenant l'âme juste à la lumière après qu'elle aura supporté la colère divine, Mich., VII, 8-9; délivrant les captifs du lac desséché, Zach., IX, 11; purifiant comme au feu et affinant les enfants de Lévi, Mal., III, 2-3. Le sens littéral de tous ces textes ne saurait être rapporté au purgatoire. Bellarmin le reconnaît lui-même, De purgatorio, 1. I, c. III, et est obligé de s'appuyer sur des interprétations patristiques pour en tirer ce dogme. Mais ici les Pères ne sauraient faire autorité comme en matière doctrinale, car le sens qu'ils attribuent à ces passages, en les rapportant au purgatoire, est nettement accommodatrice. Cf. Atzberger, op. cit., p. 93, note.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 10:57

3° Le texte de Il Mac., XlI, 39..46. - Le seul texte de l'Ancien Testament qui implique réellement l'idée d'un état intermédiaire-, apanage dans l'autre vie des âmes justes non encore entièrement purifiées, est celui de II Mac., XII, 41-46..Au lendemain de sa victoire sur Gorgias, Judas Machabée découvrit sous la tunique de ses soldats tombés sur le champ de bataille des objets idolâtriques provenant du pillage de Jamnia. Ces objets étant essentiellement impurs au regard de la Loi, il y avait eu faute à les garder. Judas vit, dans la mort de ses soldats, un châtiment de Dieu:

C'est pourquoi tous bénirent le juste jugement du Seigneur, qui avait rendu manifestes les choses cachées. Et ainsi, s'étant mis en prière, ils demandèrent (au Seigneur) que l'offense qui avait été commise fût livrée à l'oubli. Mais le très vaillant Judas exhortait le peuple à se conserver sans péché, voyant sous leurs yeux ce qui était arrivé à cause des péchés de ceux qui avaient été tués.

Et, une collecte ayant été faite, il envoya à Jérusalem 12000 drachmes d'argent, afin qu'un sacrifice fût offert pour les péchés des morts, pensant bien et religieusement touchant la résurrection [car s'il n'avait pas espéré que ceux qui avaient succombé devaient ressusciter, il (lui) aurait semblé superflu et vain de prier pour les morts]: mais c'est
parce qu'il considérait que ceux qui s'étaient endormis dans la piété recevraient une très grande grâce (à eux) réservée. Elle est donc sainte et salutaire, la pensée de prier pour les morts, afin qu'ils soient délivrés de leurs péchés.

Le texte grec est quelque peu différent de la Vulgate, sur laquelle est faite notre traduction: «Il considérait en outre qu'une très belle récompense est réservée à ceux qui s'endorment dans la piété, et c'est là une pensée sainte et pieuse. Voilà pourquoi il fit ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu'ils fussent délivrés de leur péché.» Dans le fond, l'idée est identique, sauf que l'auteur inspiré n'a en vue ici que le péché commis par les soldats morts.

L'authenticité du texte est indiscutable. Dans sa traduction latine de l'Ancien Testament, Sébastien Munster soupçonne ce passage (t 43-46) d'avoir été ajouté en cet endroit. Or, tous "les exemplaires grecs, latins et syriaques, tant imprimés que manuscrits, le portent uniformément, comme la Vulgate, et les anciens Pères l'ont cité et connu, sans aucune variété ni aucun doute. Cf. Dom de Bruyne, Le texte grec des deux premiers livres des Machabées, dans Rev. biblique, 1932, p. 44.

Le sens du texte est démonstratif en faveur de l'existence du purgatoire. Sans doute, Judas Machabée a en vue, avant tout, la résurrection de ses soldats pécheurs. Mais il subordonne cette résurrection à l'expiation, dans l'autre vie, du péché commis dans le pillage de Jamnia. Ces soldats devaient ressusciter un jour; autrement la prière pour les morts serait vaine. Ressuscités, ils auraient part à la récompense réservée à ceux qui s'endorment dans le Seigneur. Mais auparavant, ils devaient être libérés de leur péché: c'est ce résultat que procurait le sacrifice expiatoire offert à Jérusalem. Cf. Hugo Bévenot, O. S. B., Die beiden Makkabüerbücher, Bonn, 1931, p. 39-40.

Il faut donc admettre que ces âmes n'étaient pas en enfer: ou leur faute n'était pas mortelle, ou elles avaient eu le temps de s'en repentir avant la mort, comme l'avaient fait jadis «beaucoup de ceux qui avaient péri dans le déluge». Cf. 1 Pet., III, 19-20. Mais ces âmes n'étaient pas encore au ciel et elles ne pouvaient y entrer, non seulement parce que le ciel était encore fermé aux justes, mais parce que leur péché les empêchait d'y être reçues. Leur état se trouvait donc être cet état intermédiaire que nous appelons le purgatoire, état où les âmes sont purifiées par l'expiation et aidées à cet effet par les suffrages des vivants.

L'auteur inspiré raconte le fait avec insistance et y ajoute ses réflexions, destinées à inculquer la légitimité de la croyance et des pratiques: «C'est là une pensée sainte et pieuse.»

4° Comment expliquer l'évolution de la pensée juive en cette matière? -On constate que Judas Machabée, qui prend l'initiative de la collecte et du sacrifice, est un homme très attaché à la religion et aux traditions de ses pères; que ses compagnons ne sont nullement surpris de sa proposition, qu'ils y répondent généreusement et que vraisemblablement à Jérusalem la demande n'étonna pas. On peut donc se demander comment cette croyance et cette pratique apparaissent tout d'un coup dans le texte sacré, sans que rien semble les préparer dans les ouvrages antérieurs. La question doit se poser, même en ne considérant les livres des Machabées que sous leur aspect historique.

Il faut observer tout d'abord qu'entre Esdras et Judas Machabée, il s'est écoulé une période d'environ trois siècles, durant laquelle un silence à peu près complet enveloppe l'histoire des Juifs. Au cours de ces longues années, bien des points de doctrine se sont éclaircis, qui auparavant étaient demeurés dans une ombre plus ou moins profonde. Telle, par exemple, la doctrine de la vie future si fortement exposée dans le livre de la Sagesse, .II-V. Il a dû en être de même pour la doctrine du purgatoire et de la prière pour les morts. Peu à peu, à l'heure marquée par la Providence, elle s'est dégagée pour se manifester au grand jour quand l'occasion en devint propice. On voit bien, d'après le texte des Machabées, que cette doctrine est entrée dans la croyance des Juifs pieux, mais qu'elle a encore besoin d'être affirmée. Elle devait, en effet, se heurter à une vive opposition des sectaires sadducéens qui ne croyaient pas à la vie future, et même rencontrer quelques hésitations chez ceux qui n'aimaient pas les innovations et prétendaient s'en tenir à la Loi et aux prophètes. H. Lesêtre, art. Purgatoire, dans Dict. de la Bible, t. v.

C'est le cas de se demander si l'influence de religions étrangères n'aurait pas favorisé l'éclosion de cette doctrine chez les Juifs. L'auteur que nous venons de citer examine les croyances analogues à. notre croyance au purgatoire que l'on peut rencontrer dans les anciennes religions.
1. Les Égyptiens avaient l'idée nette d'un jugement subi après la mort. L'âme n'arrivait à ses juges divins qu'après avoir parcouru des régions semées de difficultés. C'était seulement après ces épreuves subies par elle que l'âme était admise au séjour bienheureux pour y continuer ses occupations de la terre, ou mieux qu'elle revenait dans les lieux habités pour s'y intéresser aux choses qui lui plaisaient. Ces épreuves ne sauraient, en général, être considérées comme l'équivalent de peines purificatrices. Toutefois, il faut reconnaître qu'au moins à un certain temps les Égyptiens admirent une sorte de purification par le feu, pour les péchés légers, après laquelle le défunt était admis parmi les bienheureux. Cette doctrine est explicitement enseignée dans quelques exemplaires du Livre des morts, conservés au musée du Louvre. Une scène représente le pèsement de l'âme et elle «est suivie de la vignette du bassin de feu gardé par quatre cynocéphales; c'étaient les génies chargés d'effacer la souillure des iniquités qui auraient pu échapper à l'âme juste et de compléter sa purification». Em. de Rougé, Description sommaire des salles du musée égyptien, nouvelle édition par P. Pierret, Paris, 1873, p. 102. Cf. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'orient, t. J, 1895, p. 182 sq. En tout cas, le bonheur des justes n'était jamais donné immédiatement après la mort: «Avant d'y arriver, le juste doit passer par une longue série d'épreuves, triompher de nombreux ennemis qui lui barrent la route, traverser un labyrinthe de salles obscures gardées par des monstres horribles. Tout cela est décrit dans le Livre des morts.» A. Mallon, S. J., art. Égypte, dans Dict. apol., t. J.

2. Les Babyloniens avaient une croyance développée à la vie d'outre-tombe. La coutume d'apporter des offrandes au corps des défunts, afin que l'âme eût de quoi subsister sans venir tourmenter les vivants, est une preuve de la croyance à la survie. Le poème de La descente d'Istar, d'ailleurs, décrit longuement l'aralou, montagne septentrionale sous laquelle séjournent les âmes des morts. L'état des âmes est différent selon que ces âmes ont fait preuve ou non de piété envers les dieux et envers la déesse des enfers, Allat. Les impies sont livrés par Allat à des supplices épouvantables; les autres mènent une vie morne et sans joie. Personne n'est libéré de ce séjour que par exception, sur l'ordre des dieux d'en haut. On peut établir un parallèle entre la doctrine chaldéenne et la doctrine juive sur les destinées futures de l'homme. On constatera qu'ici comme là les morts descendent dans un endroit souterrain (l'aralou = le scheôl), qui inspire de l'horreur. Mais le parallélisme ne va pas plus loin: sur la condition des âmes dans l'au-delà, on manque de détails précis. Ce n'est donc pas du côté de la Chaldée qu'il faut chercher une influence doctrinale en faveur de la croyance au purgatoire. Cf. Maspero, op. cit., t. l, p. 684 sq.; Lagrange, Études sur les religions sémitiques, 2e éd, Paris, 1905, p. 337 sq.; P. Dhorme, Le séjour des morts chez les Babyloniens et les Hébreux, dans Rev. biblique, 1907, p. 59 sq.

3. Les Perses, au contraire, professaient des doctrines assez apparentées à la croyance de Judas Machabée. Au IXe siècle avant Jésus-Christ, la théologie des Perses croit à la survivance de l'âme. Après être demeurée trois jours auprès du corps, l'âme, suivant la valeur morale de ses actions, passe à travers des contrées agréables ou horribles pour aller subir son jugement. Au sortir du jugement, l'âme arrive au pont Schinvât, qui, passant au-dessus de l'enfer, mène au paradis. Condamnée, elle culbute dans l'abîme; innocente, elle parvient au bonheur. Cf. Maspero, op. cit., t. III, p. 589-590. Pour certaines âmes, cependant, il y a un état intermédiaire, le Hâmestakân. Toutefois, l'Avesta postérieur ignore l'état intermédiaire. C'est l'enfer qui purifie tous les coupables, de telle sorte qu'à la fin tous doivent être sauvés et participer à la résurrection. «Ainsi, jugement particulier, jugement général, paradis, enfer et purgatoire, résurrection des corps, toute cette eschatologie est assez semblable à celle du christianisme, hormis le pardon de tous, qui n'était pas étranger à la théologie d'Origène.» Lagrange, art. Iran (Religion de l') , dans Dict. apol., t. II; cf. La religion des Perses, dans Rev. biblique, 1904, p. 188. On pourrait donc être tenté d'attribuer à l'influence des idées perses l'introduction en Israël de la croyance au purgatoire et à l'utilité des prières pour les défunts. Mais les doctrines de l'Avesta sont trop indécises et surtout trop différentes des idées exprimées dans le IIe livre des Machabées pour qu'on puisse retenir une influence directe et efficace. D'ailleurs, le judaïsme d'après l'exil était plutôt fermé aux influences étrangères; aussi, malgré les rapprochements qu'établissent les partisans de la méthode comparative, il semble qu'on doive réduire l'influence perse à peu de chose. «Ce qu'on peut croire plus légitimement, c'est qu'au contact de la religion iranienne la doctrine juive s'est développée en vertu de sa force interne et dans le sens voulu par Dieu. L'obscurité qui enveloppe toute une période de l'histoire juive ne permet pas de suivre avec plus de précision le travail religieux accompli durant ce temps.» H. Lesêtre, art. Purgatoire, dans Dict. de la Bible, t. v. Voir ici même, sur des sujets analogues, Judaïsme et Jugement, t. VIII, col. 1659 sq., 1746. Le P. Lagrange rejette expressément l'influence iranienne. Cf. Le judaïsme avant Jésus-Christ, Paris, 1931, p. 362.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 10:58

Pour expliquer l'évolution de la pensée juive, on trouve des raisons suffisantes dans les propres principes religieux d'Israël. L'individualisme des derniers prophètes serait le germe de cette évolution. Voir cette explication dans JUGEMENT, col. 1746-1747. Il s'agit surtout du livre de Daniel, voir DANIEL, t. I-V, col. 74, et JUGEMENT, t. VIII, col. 1744. Cette explication de M. Touzard se trouve corroborée par celle du grand rabbin, M.-A. Weill, pour qui les rémunérations promises par Moise et les premiers prophètes étaient essentiellement collectives et spirituelles, «spirituelles et non pas futures et éternelles», la Loi n'ayant pas pour but direct une telle rétribution. Le but de la Loi n'est que la formation d'un peuple saint, modèle pour les autres nations, dans le culte à rendre à Dieu. La sanction visera donc ce but primordial. Tant que le peuple «saura respecter et honorer son titre en marchant dans la voie qui lui est tracée, il trouvera sa légitime récompense dans l'ascendant que lui assure l'intelligent et pieux exercice du sacerdoce, et surtout dans sa durée... il possédera aussi les biens temporels, mais... comme moyens, en tant qu'ils sont nécessaires à la sauvegarde des intérêts spirituels.» Voilà le premier idéal juif. Mais «nous allons entrer dans une phase nouvelle... De terrestre qu'a été la rémunération, elle va devenir future et immortelle... il importe de déterminer l'heure de la transformation... Elle s'est accomplie indubitablement lors du retour de la captivité, sous l'influence d'Esra et du grand synode... En ce qui concerne le rôle assigné à la rémunération future par le grand synode et ses continuateurs, nous ne croyons pas nous tromper en l'attribuant à un genre de nécessité pareil à celui qui, plus tard, à l'époque de la dispersion, provoqua la conversion de la loi orale en loi écrite. Il y avait urgence à mettre le dogme en harmonie avec la situation politique... (Les) assurances de sécurité et de prospérité matérielle faisaient un étrange contraste avec la réalité et ne pouvaient plus dès lors constituer ce mobile puissant qui remue et entraîne les masses...» Le judaïsme, ses dogmes, sa mission, Paris, 1869, t. IV, p. 264 sq., 298 sq.

C'est par un développement analogue qu'on peut expliquer la croyance exprimée au IIe livre des Machabées: ce livre témoigne que la perspective des rémunérations futures, ouverte par Daniel, avait fini par prendre consistance, au moins dans les meilleures âmes du judaïsme.

D'ailleurs, il n'est pas certain que les doctrines de l'Avesta soient d'origine bien ancienne. Le P. Lagrange les estime plus récentes que le judaïsme, qui aurait au contraire influé sur elles. La religion des Perses, dans Rev. biblique, 1904, p. 203-212.

D'autre part, ces affirmations des religions orientales où l'on croit retrouver quelque chose du dogme du purgatoire doivent-elles nécessairement s'expliquer par l'influence d'une doctrine révélée? Rien n'est moins certain. L'exigence d'une purification d'outre-tombe se présente si spontanément à l'intelligence humaine que l'idée en est pour ainsi dire naturellement conçue. La sanction est inséparable de la loi; l'ordre doit être rétabli dans la mesure où il a été violé. Or, en ce monde le rétablissement de l'ordre par la justice ne peut se faire complètement. Il faut donc, dans l'autre vie, non seulement la sanction qui frappe à jamais le coupable obstiné et impénitent, mais encore celle qui punit la faute légère ou les restes de fautes qui, tout en laissant subsister la vertu dans l'âme, y marquent néanmoins
une dette envers la justice divine. Par les seules lumières de la raison Platon n'était-il pas parvenu à concevoir une purification dans l'au-delà pour les âmes qui en sont capables? Voir plus loin. Quoi d'étonnant que les religions anciennes se soient spontanément élevées à des conceptions de ce genre?

5° Que reste-t-il aux Juifs de la doctrine du IIe livre des Machabées? - Les livres postérieurs rie renferment plus aucune mention d'un état intermédiaire entre le ciel et l'enfer. Sous l'influence de la philosophie grecque, le livre de la Sagesse ouvre des perspectives assez nettes sur la vie future et lés rétributions qu'elle comporte pour les justes et pour les pécheurs, mais il n'y est point question d'une expiation imposée aux justes avant leur entrée dans le bonheur. La littérature extracanonique, plus riche en détails susceptibles de satisfaire la curiosité humaine, ne conçoit pas délibération pour les pécheurs. Voir JUGEMENT, col. 1749-1750. D'après les rabbins, les païens qui ne doivent pas bénéficier de la résurrection sont envoyés à la géhenne dès leur mort. Ils y resteront éternellement. Quant aux justes, ils triomphent dans le scheôl de leurs adversaires et ils y subissent, si c'est nécessaire, l'épreuve du feu purificateur. F. Weber, Jüdische Theologie, 2° éd., Leipzig, 1897, p. 341-342, 391-392. Par la suite, les Juifs assignèrent comme séjour aux âmes ni justes ni impies la «géhenne supérieure», c'est-à-dire les régions les plus élevées de l'enfer. Douze mois de souffrances y purifiaient les âmes avant qu'elles pussent être admises parmi les justes. Les prières des vivants les y aidaient: un fils devait prier pour son père défunt chaque jour pendant onze mois; chaque sabbat, l'assemblée récitait une prière solennelle nommée le «souvenir des âmes». Cf. Iken, Antiquitates hebraicæ, Brême, 1741, p. 614-615; Drach, De l'harmonie entre l'Église et la Synagogue, Paris, 1844, t. l, p. 16, et surtout Bonsirven, S. J., Le judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ, t. l, Paris, 1935, c. VII, p. 322-340. Le P. Lagrange note cependant que la Tosefta (sur cet écrit, voir du même auteur Le judaïsme avant Jésus-Christ, Paris, 1931, p. XVI) attribue à Chammaï une doctrine bien proche de notre purgatoire, celle qui considère une classe intermédiaire entre la classe destinée à la vie éternelle et celle qui est destinée aux opprobres éternels, la classe qui doit passer par le feu et être purifiée comme l'argent, éprouvée comme l'or. Chammaï admettait ainsi un purgatoire, m:lis dont la vertu s'exerçait fort vite. Cf. Lagrange, op. cit., p. 361-362.

L'éternité des peines, affirmée par le Talmud, dans la Halaka comme dans l'Agada, est interprétée par les Juifs modernes avec de singuliers adoucissements. La purification de douze mois est accordée déjà dans la Mischna aux méchants sans distinction. Quant aux grands criminels, l'éternité de leurs peines ne doit être prise à la lettre que s'ils meurent absolument dans l'impénitence finale. D'ailleurs, il suffit d'avoir accompli pendant la vie, consciencieusement et religieusement, au moins une prescription de la loi sacrée, pour être admis au bonheur. L'enfer des Juifs modernes devient en réalité un immense purgatoire. Cf. M.-A. Weill, op. cil., p. 595-596. D'ailleurs, déjà au temps de Jésus-Christ, de nombreux rabbins avaient tendance à supprimer l'éternité de la géhenne. Cf. Bonsirven, op. cit., c. XIII, p. 538.:541.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 10:59

II. DANS LE NOUVEAU TESTAMENT.

-Dans son De purgatorio, Bellarmin invoque neuf textes du Nouveau Testament en faveur de l'existence du purgatoire. Une remarque préalable s'impose. Dans ces textes, il ne saurait être question de trouver un enseignement direct des expiations d'outre-tombe. Ce qu'il faut reconnaître c'est que ces textes supposent l'existence du purgatoire.

1° Matth., XII, 31-32. -«Tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera pas remis. Et quiconque parlera contre le Fils de l'homme, cela lui sera remis; mais celui qui parlera contre l'Esprit-Saint, cela ne lui sera pas remis, ni dans ce siècle, ni dans le (siècle) à venir.» L'expression: ?? ????? ?? ????? signifie à coup sûr la vie présente. Cf. Matth., XIII, 22, 39; XXIV, 3; Marc., IV; 19; Luc., XVI, 8; XX, 34, etc.; tandis que l'expression ???? ??????, identique à ???? ?????????, se rapporte non au temps à venir sur la terre, mais au temps qui suit la mort, celui dans lequel on obtient la vie éternelle. Cf. Marc., x,30; Luc., XVIII, 30. Jésus affirme donc ici qu'il y a des péchés qui, n'étant pas remis en ce monde, le seront dans l'autre. Toutefois, le Sauveur ne parle pas de peines à subir en vue d'obtenir cette rémission. Il pourrait donc rester un léger doute sur la valeur pleinement démonstrative de ce texte en faveur du purgatoire, le péché pouvant être remis dans l'autre vie au moment même du jugement de l'âme, grâce à son repentir et à la miséricorde de Dieu. Toutefois, étant donné le dogme du purgatoire, le sens le plus obvie de ce texte parait être l'expiation dans l'autre vie de certains péchés légers ou incomplètement remis. On peut raisonner ainsi: «Pour que cette formule déclarative s'explique adéquatement, il est juste d'entendre que certains péchés sont rémissibles en l'autre monde, ce qui implique une pénalité encourue, à tout le moins la privation temporaire de la vision de Dieu, et par le fait, une expiation.» Bernard, art. Purgatoire, dans Dict. apol., t. IV, col. 505. D'ailleurs, le fait que la rémission pourrait être conçue comme se réalisant dans le jugement même n'infirmerait pas la valeur de la preuve scripturaire du purgatoire, une des formes primitives de la croyance au purgatoire étant précisément la croyance à une purification d'outre-tombe par le feu du jugement. Voir FEU DU JUGEMENT, t. V, col. 2242-2243; voir aussi ci-dessous.

2° Matth., v, 25-26. -«Sois facile avec ton adversaire au plus tôt, tandis que tu es en chemin avec lui, de peur que ton adversaire ne te livre au juge et le juge à l'appariteur, et que tu ne sois jeté en prison; en vérité, je te le dis, tu ne sortiras pas de là que tu n'aies payé la dernière obole.» Ce texte de Matthieu est éclairé par le texte parallèle de Luc., XII, 58-59. Notre-Seigneur use de paraboles pour enseigner aux Juifs la conduite à tenir en face du jugement futur de Dieu. Les destinataires de la parabole sont encore «en chemin», c'est-à-dire en cette vie. Mais celui à qui s'adresse la recommandation: «Sois facile avec ton adversaire» est un accusé débiteur. Le châtiment divin n'est pas envisagé comme une coercition temporaire: le thème n'est donc pas la réconciliation, mais la nécessité de la pénitence pour éviter le châtiment. Ce qui ressort de la parabole, c'est donc qu'il faut être en paix avec son prochain, en règle avec Dieu, pour éviter un châtiment redoutable. Faut-il pousser plus loin l'allégorie et reconnaître dans la «prison» dont est menacé le débiteur soit l'enfer, comme le pensent les Pères latins en général, soit le purgatoire, comme opinent quelques exégètes à la suite de saint Cyprien, Epist., LV, ad Anton., n. 20, Hartel, p. 6381 Il est difficile de le dire, encore qu'il soit certain que Jésus ne nie pas que la dernière obole puisse être payée. Tout ce qu'il est permis d'affirmer en s'en tenant au texte lui-même, c'est qu'il n'est pas impossible d'y voir une allusion au purgatoire. Mais cette interprétation ne s'impose pas exclusivement et n'a pas de valeur dogmatique absolue. Cf. Knabenbauer, Evang. sec. Matthæum, t. 1. Paris, 1892,p. 220; Lagrange, Evang. selon saint Luc, Paris, 1921, p. 376; Evangile selon saint Matthieu, Paris, 1923, p. 100-101. Bellarmin dépasse donc la portée du sens littéral lorsqu'il voit dans ce texte l'indication claire du purgatoire. Ce texte, dit-il en substance, ne peut s'interpréter de l'enfer, comme le voulait saint Augustin, De sermone Domini in monte, 1. I, c. XI, P. L., t. XXXIV, ni même de l'ensemble des peines de l'enfer et du purgatoire, comme le voulaient Albert le Grand, Opera, éd. Vivès, t. XX, p. 184-195, et Cajétan, In Matthæum, v, 22, puisque le texte «indique clairement» une peine qui doit finir un jour. Bellarmin ajoute que ce texte ne peut s'entendre des jugements et des peines de cette vie, comme le veut saint Jean Chrysostome, P. G., t. LVII. puisque l'expérience de cette vie montre fréquemment que les prisonniers sont graciés avant l'expiration de leur peine. Seul donc le purgatoire répond à cette prison dont on ne sort qu'après avoir entièrement payé sa dette.

3° Luc., XVI, 9. -«Et moi je vous le dis: Faites-vous des amis avec l'argent de l'injustice, afin que, lorsqu'il fera défaut, ils vous reçoivent dans les tentes éternelles.» D'après Bellarmin, le sens de ce texte n'est pas seulement que ceux qui auront fait l'aumône seront sauvés après leur mort à cause de leurs bonnes œuvres, mais qu'après leur mort les prières des saints soulageront leurs âmes. En réalité, une telle interprétation est excessive. Cette conclusion se lit à la fin de la parabole de l'intendant infidèle, qui avait su prendre les débiteurs de son maître par l'intérêt et en avait fait ses complices. De tels procédés, la véritable sagesse ne peut tirer, en les constatant, qu'une intense mélancolie. Mais il y a mieux à faire, et c'est ce qu'indique Jésus-Christ dans la conclusion. La parabole est alors transposée: avec cet argent, le vrai disciple du Christ saura se faire des amis dans l'autre monde. non pas en trafiquant, comme l'économe infidèle, mais en se dépouillant par l'aumône au profit des pauvres. Quand l'argent d'injustice (lisez: qui pourrait facilement devenir occasion d'injustice) fera défaut, en raison de la mort où il faut tout abandonner, l'aumône qu'on aura faite avec lui procurera des amis dans l'autre vie. Cette amitié, sans doute, se traduira d'une façon effective, mais de quelle façon. Sans doute de manière à nous faciliter l'entrée au ciel. Mais l'idée de la délivrance du purgatoire ne saurait être ici que très vague.

4° Matth., v, 22. -«Moi, je vous dis que quiconque se mettra en colère contre son frère sera justiciable du tribunal; et quiconque dira à son frère: Raca! sera justiciable du sanhédrin; et quiconque dira: Fou! sera justiciable envers la géhenne du feu.» Bellarmin construit sur ce texte un argument dialectique en faveur du purgatoire: quand le Christ menace ainsi de sanctions celui qui s'irrite contre son frère, il parle des peines à souffrir dans l'autre vie; or, parmi ces peines, la géhenne du feu est indiquée pour l'injure la plus grave; il existe donc des sanctions moins sévères. Il est incontestable que Jésus oppose ici le jugement divin, dans l'ordre spirituel au jugement terrestre, tel qu'il était prévu par la Loi interprétée par la tradition juive. D'après la justice juive, l'homicide est justiciable du simple tribunal de vingt-deux membres pris dans le sanhédrin; mais, pour une simple colère d'un frère contre son frère (au t. 47, le Christ laissera entendre qu'il ne s'agit pas seulement d'un frère israélite, mais de tout homme, tous devenant frères par le christianisme), déjà un jugement comparable à celui du simple tribunal est promis. Une injure plus forte sera justiciable du sanhédrin tout entier, c'est-à-dire sera jugée par Dieu plus sévèrement encore. Enfin. la géhenne, punition suprême, est réservée à l'injure suprême. La conclusion que Bellarmin veut tirer de ce passage n'apparaît que fort lointaine: elle est légitime cependant, surtout si l'on se souvient que tout ce passage de Matthieu
prépare l'allusion à la prison dont l'accusé ne sortira qu'après avoir payé la dernière obole. Voir ci-dessus, n. 2.

5° Luc., XXIII, 42. -«Il ajoutait: Jésus,souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne.» Il s'agit du bon larron, qui «jamais n'aurait ainsi parlé s'il n'avait cru qu'après cette vie les péchés peuvent être remis, que les âmes ont besoin de secours et peuvent en être réconfortées». Si vague et si lointaine que soit ici l'allusion à une expiation d'outre-tombe, elle n'est cependant pas complètement négligeable. De toute évidence, le bon larron, un Juif assurément, croit au royaume messianique, dans lequel, par sa mort, le Christ va entrer. Il adresse à Jésus une humble prière, se recommandant à lui d'une manière générale. Tandis que le mauvais larron demande insolemment un miracle, le bon larron, avec une foi sans hésitation, entrevoit, après la mort, l'avènement du Messie. II se recommande donc, pour l'état dans lequel il va entrer après la mort, à celui qu'il considère comme le chef du royaume de Dieu. En lui promettant le paradis, Jésus lui accorde bien plus qu'il n'avait demandé.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 10:59

6° Act., Il, 24. - Ici, Bellarmin lit une leçon que la critique accepte difficilement. Dans son discours, saint Pierre parle de Jésus que les Juifs ont fait mourir, «l'ayant élevé à la croix par la main des infidèles». Et l'apôtre ajoute: «Dieu l'a ressuscité, ayant délié les liens de la mort.» Bellarmin lit: les liens de l'enfer. Sur ce texte, voir Jacquier, Les Actes des apôtres, Paris, 1926, p. 66. D'ailleurs, ce n'est. pas au texte lui-même des Actes que Bellarmin se réfère pour trouver un argument en faveur du purgatoire, mais aux commentaires qu'en ont donné les Pères. De nombreux Pères appliquent le texte: «ayant délié les liens de l'enfer» aux âmes délivrées par le Christ de souffrances infernales; et, comme il ne peut être question de damnés, il doit nécessairement s'agir des âmes qui se purifiaient dans le purgatoire. L'argument traditionnel peut avoir de la valeur; mais l'argument scripturaire ne présente aucune base à la croyance au purgatoire. Même en admettant la leçon ??? ?????? ???????, il ne saurait être question d'y trouver une libération par le Christ des âmes du purgatoire. II n'est question que du Christ lui-même, la suite du texte l'indique clairement: «Dieu l'a ressuscité, ayant délié les liens de la mort (ou de l'enfer)», parce qu'il n'était pas possible qu'il restât au pouvoir de celle-ci (ou du scheôl). Et Pierre invoque à l'appui de son assertion le ps. xv, 8-11, certainement messianique.

7° Les autres textes invoqués par Bellarmin sont de saint Paul. Le premier est pris dans I Cor., xv, 29. Saint Paul prêche aux Corinthiens la résurrection future. Et il ajoute à sa prédication un argument indirect: «D'ailleurs (s'il n'en était pas ainsi), que feront ceux qui se font baptiser pour les morts? Si les morts ne doivent pas du tout ressusciter, pourquoi se font-il baptiser pour eux?» Le sens obvie de ce texte est que les Corinthiens se faisaient baptiser à la place, ou, mieux, en faveur de leurs parents ou amis qui étaient morts sans avoir reçu le baptême. Ils pensaient les rendre ainsi dignes de la résurrection glorieuse. Sans approuver ni blâmer cette singulière coutume, saint Paul s'en sert pour démontrer sa thèse et il conclut qu'elle suppose la foi à la résurrection. Ce sens littéral ne suffit pas à ceux qui veulent trouver ici un argument péremptoire en faveur de l'existence du purgatoire. Le «baptême» dont il est question serait un baptême de larmes et de pénitence, qu'on accepte quand on prie, qu'on jeûne, qu'on fait des aumônes, etc.; le sens serait donc: Que feront ceux qui prient, qui jeûnent, qui pleurent, qui se mortifient pour les morts, si les morts ne ressuscitent pas? Nous aurions ici un témoignage explicite de l'utilité des suffrages offerts pour les âmes souffrantes. Mais cette interprétation, loin de s'imposer, parait inadmissible. Bellarmin reconnaît lui-même qu'elle est discutable et admet comme probable l'interprétation littérale que nous avons rappelée. Toutefois, ce «baptême pour les morts» n'atteste-t-il pas, lui aussi, à sa façon, que les vivants peuvent quelque chose en faveur des défunts? Et c'est là un indice non négligeable de la croyance primitive à l'expiation dans l'au-delà. Voir BAPTÊME POUR LES MORTS t. II, et B. Alla, Première épître aux Corinthiens, Paris, 1935, p.413.

8° Phil., II, 10. - «Qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse, au ciel, sur la terre et dans les enfers.» Les «enfers» dont il est question peuvent représenter les âmes du purgatoire, bien qu'il puisse désigner également les damnés. Vraisemblablement les deux. En faveur des âmes du purgatoire, on peut apporter l'appui d'un texte similaire d'Apoc., VI, 13. Mais il est difficile de trouver ici une indication solide en faveur du dogme du purgatoire;

9° Deux textes que n'a pas relevés Bellarmin et qu'il convient cependant de citer, c'est Luc., XII, 48, et II Tim., l, 16-18.

Le texte de Luc est une allégorie: «Le serviteur qui connaît la volonté de son maître et qui n'a pas préparé ou agi selon sa volonté recevra un grand nombre de coups. Mais celui qui ne la connaît pas et qui agit de façon à mériter des coups, en recevra peu». Il s'agit du jugement de Dieu ou du Christ. Ce châtiment léger, pour ceux qui peuvent avoir des excuses, n'est-il pas l'indice que, dans les jugements de Dieu, il y a une punition qui n'est pas la perte éternelle? Cf. Lagrange,. Évangile de saint Luc, Paris, 1921, p; 371; B. Allo, op. cit., p. 67.

II Tim., l, 16-18, est une prière: «Que le Seigneur répande sa miséricorde sur la maison d'Onésiphore, parce que souvent il m'a rafraîchi et n'a pas rougi de nos chaînes; mais, lorsqu'il est venu à Rome, il m'a cherché avec empressement et m'a trouvé. Que le Seigneur lui donne de trouver miséricorde en ce jour!» L'expression «la maison d'Onésiphore» qu'on retrouve plus loin encore (IV, 19), semble indiquer qu'au moment où Paul écrivait sa lettre, Onésiphore était déjà mort. La prière faite au Seigneur en sa faveur indiquerait alors le suffrage des vivants pour les morts.

10° Reste le texte classique sur lequel beaucoup de théologiens se sont fondés pour affirmer l'existence du purgatoire, I Cor., III, 11-15 :

De fondement, nul ne peut en poser d'autre que celui qui est là, qui est Jésus-Christ. Et si quelqu'un, en bâtissant, superpose à ce fondement de l'or, de l'argent, des pierres de prix, des pièces de bois, de l'herbe, de la paille, l'ouvrage de chacun sera mis en évidence, car le «jour» le montrera, parce que c'est au feu que se fait cette révélation; et l'ouvrage de chacun, ce qu'en est la qualité, le feu l'éprouvera. Si l'ouvrage de quelqu'un, qu'il a superposé en bâtissant, subsiste, il recevra une récompense; si l'ouvrage de quelqu'un est consumé, il subira un dommage; lui, il sera bien sauvé, mais ainsi qu'à travers le feu.

1. Exégèse du texte. -Dans cette allégorie, trois termes sont à considérer: la nature de l'édifice, le «jour», le feu qui éprouve la superstructure apportée au fondement.
a) La nature de l'édifice. -«Nous sommes les coopérateurs de Dieu; vous êtes la culture de Dieu, la bâtisse de Dieu», écrit l'Apôtre au t. 9. Quel est cet édifice que les ouvriers apostoliques ont mission de construire et d'achever? Saint Paul parle d'un seul édifice. Il ne s'agit donc pas de l'édifice personnel de la perfection chrétienne, propre à chaque chrétien, dont le fondement est la foi, dont les matériaux sont, d'un côté, les bonnes oeuvres, d'un autre côté, les péchés graves, les affections charnelles ou les péchés véniels. Cette interprétation, qu'on retrouve sous des formes à peine dissemblables, chez Origène, Jean Chrysostome, Jérôme, Augustin et Grégoire le Grand, outre qu'elle se heurte à l'unité de l'édifice va contre le sens général: ce fondement de l'édifice c'est la foi, et des matériaux tels que péchés et affections charnelles ne sauraient reposer sur la foi. Il ne s'agit pas davantage de l'édifice qu'est l'Église (cf. Matth., XVI, 18), dont les fidèles sont les pierres vivantes (cf. I Petr., Il, 4; Eph., II, 20),
édifiées sur la pierre angulaire qu'est le Christ, les matériaux périssables étant les pécheurs et les réprouvés. Mais alors comment ceux qui les auraient fait entrer dans l'Église pourraient-ils eux-mêmes être sauvés? Il s'agit donc clairement de l'Évangile lui-même (cf. Rom., xv, 20), dont Paul a posé le fondement à Corinthe en prêchant Jésus-Christ, abrégé de la foi, et que ses successeurs ont mission de compléter et de parachever par leur enseignement.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:00

Personne n'a le droit de déplacer ce fondement ou de lui en substituer un autre; mais tout prédicateur de l'Évangile a le droit et le devoir de continuer l'édifice. Or, comme la construction est de même ordre et de même nature que le
fondement, les parties surajoutées à l'édifice fondé par Paul seront nécessairement les doctrines du christianisme, non pas des doctrines mortes, purement spéculatives, sans influence aucune sur l'accroissement du corps mystique, mais des doctrines vivantes, agissantes, capables de transformer l'esprit et le coeur de ceux qui en font leur règle de vie. L'or, l'argent, les pierres de prix sont à divers degrés les doctrines utiles et fructueuses; le bois, le foin, le chaume, substances fragiles et peu durables, symbolisent, non pas les erreurs et les hérésies, niais les enseignements frivoles, les récits futiles, bons à repaître la curiosité des auditeurs, mais sans action sérieuse sur leur vie morale. Le souverain Juge parait soudain. Un feu dévorant le précède. L'or, l'argent, les pierres de prix, résistent à l'épreuve; le bois, le foin, le chaume sont consumés et les imprudents ouvriers qui les employaient, voyant périr leur oeuvre, se sauvent à travers les flammes. F. Prat, La théologie de saint Paul, 17' éd., t. l, p. 111.

Cette explication, jadis retenue par l'Ambrosiaster, est aujourd'hui adoptée par l'immense majorité des exégètes. L'interprétation plus large, récemment proposée par le P. Allo, op. cil., p. 59-60, ne contredit pas essentiellement celle qu'on vient de rapporter, Le fondement est le Christ lui-même, que Paul a d'ailleurs comparé à la pierre angulaire, à la tête du corps. La superstructure signifie donc tous les résultats du travail des instructeurs qui prétendent faire l'œuvre du Christ, l'accession des nouvelles recrues, les doctrines qu'elles reçoivent, les œuvres qu'on leur fait produire, etc. L'édifice, en somme, c'est l'Église, mais l'Église avec ses membres, la foi et la charité qui les unissent; ensemble qui doit être homogène, harmonieux et parfaitement adapté au fondement. Cette interprétation extrêmement compréhensive n'est pas à confondre avec celle qu'on a rejetée tout à l'heure. Dans cet édifice, les matériaux, personnes, oeuvres, doctrines, sont de qualité bien diverse. Les matériaux inférieurs peuvent se rencontrer avec ceux de qualité supérieure.

b) Le «jour». - La Vulgate a dies Domini; mais le texte grec porte seulement ? ?????, le «jour» par antonomase, c'est-à-dire le grand jour de la parousie, jour où se fera le discernement des bons et des méchants, la distribution des peines et des récompenses. Ce jour est le plus souvent appelé «le jour du Seigneur» ou «le jour du Christ»; cf, I Cor., 1, 8; v, 5; II Cor., 1, 14; Phil., l, 6-10; II, 6; 1 Thess., v, 2; II Thess., II, 2; 1 Petr., III, 10-12; Apoc., XVI, 14; il est encore désigné par ?????? ? ?????, II Thess., l, 10; II Tim., 1, 12-18; IV, 8, et par ? ????? tout court, Hebr., x, 25; cf. Rom., XIII, 12. C'est le jour du jugement. C'est là l'interprétation commune. On ne saurait donc accepter les interprétations différentes qui se présenteraient avec exclusivité de l'interprétation commune: surtout celles qui se fondent sur un sens accommodatice, la ruine de Jérusalem (Lightfoot), la tribulation (saint Augustin, qui d'ailleurs n'exclut pas d'autres interprétations, voir plus loin), le jour de la mort (Cajétan), un jour indéterminé (Grotius), la claire lumière de l'Évangile (Érasme, Bèze), etc. Toutefois, remarque opportunément le P. Allo, op. cil., p. 61, «ce peut être en réalité presque tout cela à la fois. On voit au chapitre suivant (IV, 3) que Paul pouvait donner à ????? le sens très général de jugement ou de séance judiciaire. Or, le Christ exerce ses jugements et peut avoir son «jour» de bien des manières. La principale, la décisive est évidemment celle de la parousie; mais Jésus (Luc., XVII, 22), a parlé d' «un des jours du Fils de l'homme», comme s'il pouvait y avoir plusieurs de ces «jours» où il manifeste sa puissance suivant tel ou tel mode, dans tel ou tel événement... Aussi pouvons-nous croire, avec saint Thomas, que, dans ce verset, il s'agit du triple jugement de Dieu, le jugement général, le jugement particulier à la mort de chacun, et les jugements durant cette vie mortelle. Il faut toutefois remarquer que ce v. 13 ne vise expressément que le jugement qui sera porté sur l'oeuvre extérieure du ministère.

Quoi qu'il en soit, ce «jour» sera le jour du discernement du bien et du mal, des bons et des mauvais ouvriers, de la distribution des peines et des récompenses. Saint Paul nous représente les ouvriers de l'édifice surpris par ce jour, et ils se divisent en trois catégories. Les uns, auxquels il est fait allusion au v.17, sont les mauvais ouvriers qui, au lieu de bâtir, s'efforcent de détruire le temple de Dieu que sont les fidèles, qu'est l'Église: Dieu les détruira eux-mêmes, comme ils ont détruit. D'autres ont construit un monument solide et n'ont employé que des matériaux excellents: ils recevront la récompense due aux ouvriers fidèles. Enfin, les derniers font usage de matériaux périssables: ils souffriront dommage. Saint Paul ne dit pas expressément en quoi. Mais ils se sauveront comme par le feu, pareils à l'ouvrier qui, employant des matériaux combustibles, voit l'incendie se déclarer dans l'édifice qu'il construit et se trouve obligé de s'enfuir au milieu des flammes pour se sauver.

c) Le «feu», d'après le P. Allo, op. cit., p. 61, serait «toutes les activités destructrices dont l'édifice; spirituel de Corinthe (et l'Église en général) subiront l'assaut, Dieu l'ayant ainsi ordonné pour en faire l'épreuve (?????????????) et la purification. Si cette épreuve est différée, jusqu'aux derniers jours pour certaines «superstructures», la parousie au moins, épreuve suprême, montrera ce qui valait quelque chose ou ce qui ne valait rien pour rétablissement du «règne de Dieu» éternel.» Mais d'autres exégètes veulent un sens moins général.

Il est bien évident, tout d'abord, que le feu dont parle ici saint Paul ne peut être entendu directement du feu du purgatoire: le feu du purgatoire, en effet, purifie, mais n'éprouve pas et, de plus, il n'a rien à faire avec les oeuvres excellentes symbolisées par l'or, l'argent, les pierres précieuses. Ce n'est pas non plus le feu de l'enfer (interprétation de saint Jean Chrysostome), interprétation abandonnée des exégètes. Ce feu de l'enfer punit, mais n'éprouve pas, et l'on ne peut dire, sans violenter le texte, que le damné sera sauvé (?????????), c'est-à-dire conservé vivant, pour souffrir éternellement. Ce sens donné à ????????? est inouï, comme l'ont démontré au concile de Florence les contradicteurs de Marc d'Éphèse. Cf. Mansi, Concil., t. XXXI, col. 489, et FEU DU PURGATOIRE. De plus, on ne comprendrait pas que saint Paul opposât ????????????, detrimentum patietur, à ?????????, salvabitur, si l'un et l'autre terme signifiaient la peine du feu de l'enfer. Cf. Cornely, Commentarius in S. Pauli epistolas, I Cor., Paris, 1890, t. II, p. 91. Il ne s'agit pas non plus du feu métaphorique de la tribulation, interprétation secondaire chez saint Augustin et saint Grégoire le Grand. FEU DU PURGATOIRE. Il suffira de mentionner l'opinion singulière de Bellarmin, qui veut que le premier feu du v. 13 soit le feu de la conflagration générale, le second, même verset, le feu métaphorique du jugement, et que le feu du v. 15 soit le feu réel du purgatoire: opinion insoutenable et sévèrement notée par Estius; cf. art. cité.

Nous avons exposé l'interprétation de nombre de Pères rapportant ce feu au feu réel de la conflagration générale. «La plupart des Pères, des théologiens et des exégètes voient dans le feu dont parle saint Paul le feu de la conflagration qui s'allumera au «jour du Seigneur» (au jugement), c'est-à-dire le feu de la conflagration en tant qu'il se rapporte au jugement qui éprouve les œuvres des hommes et en tant qu'il servira de feu purificateur pour les derniers justes encore non entièrement purifiés... A ces Pères il faut ajouter saint Augustin, qui, expliquant I Cor., III, 13-15, formule nettement l'hypothèse d'un feu réel purificateur qui, après la mort, tourmentera plus ou moins longtemps certains fidèles d'ailleurs sauvés en principe.» Voir les références, FEU DU PURGATOIRE.

L'interprétation de Cajétan, qui entend le feu dont parle I Cor. du feu métaphorique du jugement, parait aujourd'hui plus probable aux meilleurs exégètes, même catholiques. Elle est adoptée par le P. Prat; qui n'hésite pas à affirmer que «le feu de la conflagration est étranger à l'enseignement de saint Paul». Op. cit., p. 113, note 1. On aurait tort de le voir dans II Thess., l, 8, ?? ???? ????ò? ???????? ?????????, car ces paroles sont une citation d'Isaïe, LXVI, 15, où il est question du feu du jugement. D'ailleurs, ajoute le P. Prat, «le feu du jugement est si souvent mentionné dans l'Écriture et le feu de la conflagration l'est si peu qu'il n'est guère probable que saint Paul ait voulu désigner ce dernier. L' Apôtre parle d'un feu qui éprouve les doctrines et les actions des hommes, d'un feu qui accompagne et manifeste le jour du Seigneur. Or ce feu ne peut être que le feu du jugement. Ce feu, qui fait partie obligée des théophanies, escorte le char du Seigneur venant juger le monde. C'est un feu intelligent, qui rendra manifeste le contraste entre les bonnes doctrines, durables comme l'or, l'argent et le marbre, et les doctrines frivoles, aussi corruptibles que le bois, le foin et la paille. Ce même feu sondera les consciences des imprudents architectes, en leur infligeant le châtiment mérité: «Ils seront sauvés comme par le feu». Ici, le mot «feu» a son sens ordinaire; seulement il y a une comparaison qu'on pourrait développer ainsi: ils seront sauvés, mais non sans douleur et sans angoisse, comme se sauvent à travers les flammes les gens surpris par un brusque incendie.» Op. cil., p. 113.

2. L'argument qu'on en tire en laveur du purgatoire.
-Qu'on adopte l'interprétation du feu de la conflagration ou celle du feu du jugement, on ne possède pas d'argument direct en faveur de l'existence du purgatoire; mais l'argument indirect ne laisse pas d'avoir quelque valeur.

Voici l'argument en ce qui concerne le feu de la conflagration: «Le feu de la conflagration dernière, étant placé aux confins de la vie présente et de la vie éternelle, aura, pour ainsi dire, une double action: en tant qu'il termine la vie présente.. il s'attaquera à tous et à tout, brûlera et détruira les bons et les mauvais dans leur vie corporelle et, en ce sens, il ne sera pas le feu qui éprouve; en tant qu'il appartient déjà à la vie future, instrument de la divine justice, il punira et purifiera les âmes des derniers justes dont il aura causé la mort. A pari, on peut donc inférer logiquement qu'après le jugement particulier, qui sera «le jour du Seigneur» pour chacun des hommes, pareille purification sera nécessaire aux âmes non complètement encore dégagées des souillures du péché». FEU DU PURGATOIRE, avec les références aux théologiens ayant usé de cet argument.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:00

Voici l'argument en ce qui concerne le feu métaphorique
du jugement: «Le feu dont parle saint Paul n'est plus probablement que le feu du jugement, par lequel les bonnes oeuvres seront approuvées, les mauvaises rejetées. Or, ce n'est pas au dernier jugement qu'est manifesté tout d'abord ce qui aura été bien ou mal dans les oeuvres des hommes; le jugement dernier ne fera que manifester et confirmer devant l'univers entier ce qui aura été déjà fait au jugement particulier. Donc, d'après l'Apôtre lui-même, il peut arriver qu'au jugement quelqu'un soit condamné à subir les peines pour des oeuvres moins parfaites et que, cependant, il soit ensuite sauvé. Mais c'est précisément là tout le dogme catholique du purgatoire.» Ch. Pesch, Præleclianes theologicæ, t. IX, n. 590. Le P. Prat, op. cit., p. 112, conclut lui aussi, d'après le texte de saint Paul, qu'«il y a des fautes qui ne sont pas assez graves pour fermer le ciel et pour ouvrir l'enfer, et qui sont punies néanmoins d'un châtiment proportionné. Le dogme catholique des péchés véniels et celui du purgatoire trouvent ainsi dans notre texte un très solide appui».

Le P. Allo présente l'argument sous une forme nouvelle: «Nous avons interprété le «feu» au sens le plus étendu, comme l'ensemble des épreuves et des jugements auxquels le Christ, juge invisible d'abord, puis visible au jour du grand avènement, soumettra l'ouvrage de ceux qui ont voulu -ou prétendu- travailler pour Lui. Mais le v. 15, disions-nous, montre que ce n'est pas l'ouvrage tout seul,c'est aussi l'ouvrier qui pourra être atteint par la flamme bien qu'il soit destiné au salut. Comme rien n'indique que ces épreuves du travail de chacun doivent toutes avoir lieu durant la vie présente, il faut reconnaître que Paul envisage, pour les âmes élues qui auront quitté ce monde, la possibilité d'une dette à acquitter encore envers Dieu. Où et quand cette dette leur sera-t-elle réclamée? On ne voit que le moment où elles comparaîtront devant le tribunal du Christ (II Cor., v. 10; Rom., XIV, 10). Ce jugement du Christ ne peut être les assises générales de la parousie. Car, d'après le même chapitre de II Cor., le sort de quelques-unes au moins sera déjà actuellement fixé avant cette consommation; là, et encore dans l'épître aux Philippiens, l'Apôtre exprime l'espoir de jouir déjà, avant la résurrection, de la compagnie du Christ. Est-ce que cette détermination sera exceptionnelle? Et la masse des élus, jusqu'au jour de la consommation, restera-t-elle en suspens, dans une espèce d'incertitude sur le sort final qui l'attend, ou condamnée à une sorte de sommeil? Puisque
certaines âmes au moins y échapperaient, c'est donc que cette attente équivaudrait à une punition pour les déficiences de leur travail à élever le «temple de Dieu» autour d'elles et en elles. De toute façon, nous serions ramenés à l'idée d'un temps ou d'un état d'expiation après la mort corporelle, à un «purgatoire.» Ajoutons néanmoins que, pour ingénieuses qu'elles soient, ces exégèses diverses témoignent d'un «concordisme», dont le moins qu'on puisse dire est qu'il ne s'impose pas.

III CONCLUSION.-Portée exacte du fondement scripturaire du dogme du purgatoire- Il ne s'agit pas ici de discuter l'emploi qui a été fait de l'Écriture sainte pour démontrer l'existence du purgatoire, mais d'expliquer le sens objectif de la condamnation, portée par Léon X, contre la 37e proposition de Luther. Cette condamnation, avons-nous déjà dit, n'oblige pas à trouver dans l'Écriture une révélation explicite du dogme du purgatoire. La finale quæ sit in canone montre bien que Luther avait en vue de rejeter la preuve du purgatoire par le texte des Machabées, dont il contestait précisément la canonicité. C'est ce texte surtout qui manifeste l'existence d'une expiation dans l'au-delà et l'efficacité des suffrages pour les morts. Aussi, ne pouvant nier l'évidence, le réformateur nia la canonicité du livre tout entier, tout comme, refusant aux bonnes œuvres toute valeur méritoire, il nia résolument, impudemment la canonicité de l'épître de Jacques. Ainsi la condamnation portée par Léon X visait non seulement à proclamer le fondement scripturaire du dogme du purgatoire mais encore à restaurer la canonicité du IIe livre des Machabées niée par Luther à l'occasion de ce fondement.

L'analyse des textes du Nouveau Testament invoqués en faveur de l'existence du purgatoire montre qu'ici l'argument démonstratif est moins direct, moins efficace. On doit même convenir que plusieurs de ces textes ne sont pas ad rem ou qu'il faut employer un véritable raisonnement théologique pour en tirer une indication en faveur du purgatoire. Quelques-uns néanmoins, notamment Matth., XII, 31-32, et I Cor., III, 10, d'une façon plus nette, Matth., v, 25, et peut être I Cor., XV, 29, d'une façon plus lointaine, suffisent à contrecarrer les prétentions de Luther. «Sans avoir par eux-mêmes rien de démonstratif, [ces textes] s'opposent néanmoins à son principe fondamental de la justification par la loi, qui soustrait le pécheur à toute pénalité, à toute expiation ultérieure.» Bernard, art. Purgatoire, dans Dict. apol., t. IV.

C'est, semble-t-il, sur cet aspect de l'argument scripturaire qu'il aurait fallu insister davantage dans la polémique contre les protestants. Et c'est peut-être le meilleur point de départ pour défendre, contre des négations radicales, le développement de la croyance à l'expiation d'outre-tombe. D'ailleurs, le théologien catholique sait que l'assertion scripturaire explicite n'est pas nécessaire pour appuyer la révélation: l'enseignement oral d'une tradition divine ou apostolique suffit. De plus, le purgatoire n'étant pas un dogme dont la connaissance explicite est requise pour le salut, on peut concevoir que sa révélation a tout d'abord été plus ou moins implicitement renfermée dans le dogme général de l'expiation personnelle exigée par la justice divine, sous l'économie présente de la rédemption, pour nos fautes personnelles. C'est là, estimons-nous, le meilleur argument dans la polémique antiprotestante. Aussi, sans négliger la valeur implicite des arguments scripturaires rappelés ci-dessus, devons-nous maintenant envisager, dans le dogme général de l'expiation chrétienne, les premières manifestations de la croyance implicite au purgatoire.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:01

II. LA TRADITION ORIENTALE JUSQU'A LA FIN DU IIIe SIÈCLE.

-1. FONDEMENT. -1° L'expiation personnelle dans l'économie de la rédemption. -1. L'héritage de la théologie juive. -L' Ancien Testament, avons-nous dit, tout au moins jusqu'à l'époque d'Esdras, est orienté vers les rétributions collectives de ce monde: la Loi a pour but de rappeler au peuple élu de Dieu le rôle qu'il doit jouer ici-bas, pour y conserver et propager le culte du vrai Dieu. Les fautes contre la Loi ont pour compensation des expiations d'ordre légal, expiations purement rituelles par le sacrifice extérieur, indépendant, semble-t-il, des sentiments de pénitence intérieure qui devraient les commander.

Toutefois, à côté de l'expiation rituelle par le sacrifice extérieur, moyen officiel d'expiation, on devine souvent, on saisit parfois un autre moyen d'expiation, celui-là d'ordre intérieur: l'expiation du péché par la prière et la pénitence et souvent par l'intermédiaire du juste en faveur du pécheur. La Bible offre ainsi des exemples de pardon accordé en considération des mérites des justes: voir l'intercession d'Abraham en faveur des villes coupables, Gen., XVIII, 17; l'épisode d'Abimélech, Gen., XX; la médiation de Moïse en faveur du peuple rebelle Num., XIV, 13-19; Samuel priant pour le peuple d'Israël, 1 Reg., XII, 19 sq. D'autres fois, c'est le coupable lui-même qui expie par la prière et la souffrance sa propre faute: le livre des Juges et les livres des Rois contiennent maints exemples de ces expiations salutaires, soit collectives,
1180
III. PROFESSION PLUS EXPLICITE DU DOGME DANS LES ÉGLISES ORIENTALES À PARTIR DU IVe SIÈCLE.


-Le dogme du purgatoire apparaît dans l'Église orientale sous les deux aspects que nous lui connaissons déjà: une expiation purificatrice dans l'au-delà, la prière des vivants offerte à Dieu pour l'allégement des souffrances des morts. Sous son premier aspect, le dogme conservera toujours plus ou moins les obscurités que nous avons relevées dans ses formules archaïques: projection de l'expiation future dans l'unique perspective du jugement et, par voie de conséquence, lorsque l'imminence de la parousie ne s'impose plus à l'attente religieuse, situation mal définie des âmes déjà séparées du corps mais non encore soumises au jugement final. Ces caractères inconsistants de l'expiation dans l'au-delà provoqueront peu à peu entre l'Église orientale et l'Église occidentale des malentendus qu'il sera difficile de dissiper.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:02

1° L'EXPIATION PURIFICATRICE DANS L'AU-DELA.

-1° Saint Cyrille de Jérusalem ne se contente pas (comme la plupart des Pères que l'on va citer) d'inviter les chrétiens à prier pour les défunts (voir plus loin); il enseigne expressément qu'un fleuve de feu purifiera nos œuvres inconsistantes, conformément à l'enseignement de I Cor., III, 15. L'archange le proclamera et dira à tous: «Levez-vous, au-devant du Seigneur. David l'a dit: Dieu viendra manifestement; notre Dieu (viendra) et il ne gardera pas le silence. Un feu s'allumera en sa présence, et, autour de lui, s'élèvera une tempête violente. » Ps., XLIX, 3. (Dans le psaume, comme dans la pensée de Cyrille, il s'agit du jugement.) Le Fils de l'homme viendra, selon l'Écriture qu'on a lue, vers son Père, dans les nuées du ciel, accompagné du fleuve de feu, dans lequel seront éprouvés les hommes. Si quelqu'un a des œuvres en or, il deviendra plus brillant; mais si quelqu'un ne présente que des œuvres semblables à la paille et sans consistance, il sera brûlé par le feu (??????????? ??ò ??? ?????). Cat., xv, n. 21, P. G., t. XXXIII; col. 900. Il y a ici, de toute évidence, la même conception que chez Origène. Le feu est bien celui de la conflagration générale du dernier jour, mais il servira en même temps à la purification des œuvres que Paul a comparées à la paille, au foin, au bois. Il n'est pas question du feu de l'enfer, qui attend les damnés.

2° Saint Basile fait écho pareillement aux enseignements antérieurs sur le «baptême par le feu», dans son traité De Spiritu sancto. Après avoir établi la différence entre le baptême de Jean dans l'eau, en vue de la pénitence, et le baptême de Jésus-Christ, dans l'Esprit-Saint et le feu, il rapproche ce dernier baptême par le feu de l'épreuve qui se fera au jour du jugement. Invoquant l'autorité de l'Apôtre, I Cor., III, 15, il rappelle que le jour du Seigneur révélera ce qui sera manifesté par le feu. C. xv, n. 36, P. G., t. XXXII, col. 132. Ce que sera la conclusion de cette épreuve par le feu, Basile nous le déclare dans ses homélies sur les psaumes: «Celui qui est à l'article de la mort, sachant qu'il n'existe qu'un sauveur et un libérateur, lui dit : J'ai espéré en toi, sauve-moi de mon infirmité et délivre-moi de la captivité (cf. ps. VII, 1). J'estime que les vaillants athlètes de Dieu, qui, pendant toute leur vie, ont beaucoup lutté contre 1es ennemis invisibles, une fois placés au terme de leur vie, seront jugés par le prince du siècle; s'ils sont trouvés ayant gardé quelques blessures, suite de leurs combats, ou quelques taches ou des vestiges de péché, ils seront enfermés; mais s'ils sont trouvés sans tache et sans blessure, invaincus et libres, ils reposeront sous le Christ.» In ps. VII, n. 2, P. G., t. XXIX, col. 232. On retrouve ce texte dans le De futuro judicio (inséré en appendice des œuvres de saint Basile), recueil de sentences basiliennes par Siméon le Métaphraste, P. G., t. XXXII.

Dans ces textes, l'expiation reste au premier plan; la nature du feu du jugement est incertaine. Mais le Commentaire sur Isaïe est moins réservé: faut-il toutefois y voir une œuvre authentique de Basile ou simplement l'ouvrage d'un contemporain? Voir BASILE (Saint), t. II, et aussi Rev. des sciences rel., t. X, 1930, p. 47sq. On y distingue différents jugements de Dieu sur les pécheurs. Certains qui jusqu'à la mort ont offensé Dieu par malice sont condamnés au feu éternel; mais il existe un feu purificateur pour ceux qui ont péché légèrement ou qui, pendant cette vie, ont fait pénitence de leurs fautes graves. Ainsi, «en attachant notre âme aux plaisirs défendus, nous l'entraînons loin de Dieu et nous la soumettons à la cruelle tyrannie du démon inexorable, lequel, condamné au feu éternel, s'efforce d'avoir des compagnons de son supplice.» In Isaiam, x, 20, P. G., t. XXX, col. 550. Mais Dieu a préparé un feu pour d'autres fautes: «S'il livre des attaches terrestres au feu vengeur, c'est par manière de bienfait pour l'âme... Dieu ne la menace pas de ruine totale, mais il indique la purification selon le mot de l'Apôtre: si l'ouvrage de quelqu'un est consumé... (allusion à I Cor., III, 15). Ce feu purificateur ne saurait cependant consumer les péchés demeurés à l'état d'herbe verte, mais seulement ceux qui, par la pénitence, ont été desséchés à l'instar du foin: «Ainsi, en découvrant le péché par la confession, nous en faisons un grain aride, qui sera dévoré par le feu purificateur (??? ?????????? ?????).» En conséquence, si nous ne desséchons pas ainsi notre péché comme une herbe aride, le feu ne pourra le dévorer et le brûler.» Ibid., IX, 16 sq., col. 519. Enfin, commentant Is., IV, 4, l'auteur s'empare de la double expression du prophète: sanguinem Jerusalem purgabit in media eorum IN SPIRITU JUDICII ET COMBUSTIONIS. Il expose que trois acceptions sont possibles du baptême: la purification des souillures, la régénération par l'Esprit-Saint et cette probation dans le feu du jugement, qui doit être rapportée au temps de la conflagration finale, (? ?? ?? ???? ??? ??????? ???????). Col. 342.

3° Saint Grégoire de Nazianze ne semble-t-il pas faire une allusion à la purification d'outre-tombe, lorsque, faisant l'éloge d'Athanase, il le compare au feu purificateur de la matière vile et perverse, ??? ??????????? ??? ???? ??? ????????? Oral., XXI, in laudem Athanasii,n. 7. P. G., t. XXXV, col. 1089. Le texte suivant, emprunté à l'Oral. XL, in sanctum baptisma, n. 36, le ferait supposer. On a souvent cru trouver, dans ce dernier texte, un écho de l'erreur origéniste. La chose est loin d'être prouvée. Cf. ENFER, t. v, col. 69. Il semble bien que l'orthodoxie {le Grégoire soit indiscutable non seulement ici, mais encore dans tous les textes où il parle d'un feu purificateur devant ouvrir le ciel au pécheur.

D'une part, en effet, saint Grégoire enseigne formellement l'éternité des peines infernales, Oral., XVI, in Patrem tacentem, n. 7, t. XXXV, col. 944; n. 9, col. 946; Carm., II,1, n. 46. t. XXXVII, col. 1380 ; d'autre part, même dans cette Oral. XL, in sanctum baptisma, n. 36, il commence par affirmer, après le jugement terrible, la séparation définitive et le supplice de l'éternelle ignominie. P. G., t. XXXVI, Col 412. Ce n'est qu'ensuite qu'il rappelle ce qu'est «le feu purificateur (du baptême) que le Christ, mystiquement appelé feu lui-même, est venu apporter sur la terre. La propriété de ce feu est de consumer la matière vile et les affections vicieuses de l'âme; aussi le Christ veut-il qu'il soit rapidement allumé... Mais il y a un autre feu, qui ne purifie pas, qui venge les crimes commis: c'est le feu qui a dévoré Sodome et dont Dieu punit tous les pécheurs; c'est aussi le feu qui a été préparé au démon et à ses anges; c'est aussi le feu qui sort de la face de Dieu et qui bn1le autour de Dieu tous ses ennemis; ou bien encore c'est le feu le plus terrible de tous, celui qui est joint au ver sans sommeil, qui ne s'éteint jamais, qui punit éternellement les hommes scélérats. Tous ces feux ont la même force pour perdre et détruire; à moins toutefois qu'on ne veuille comprendre ici un feu plus doux et digne de Dieu, vengeur (du péché).» Ibid., col. 412. L'interprétation suggérée par les éditeurs bénédictins et développée par Billot, De novissimis, Rome, 1903, p. 58, entend séparer complètement la cause du mitior ignis de celle des feux énumérés précédemment. Ce feu plus doux serait soit celui des pénitences acceptées en cette vie, soit celui du purgatoire dans l'autre vie.

Cette interprétation est rendue plus plausible encore par la comparaison des autres textes où vraisemblablement s'affirme là croyance au purgatoire. C'est d'abord, dans l'Oral. III, n. 7, Ad eos, qui ipsum acciverunt ..., une invitation à aimer Dieu, à fuir le vice; à pratiquer la vertu, à suivre les inspirations de l'Esprit-Saint; en un mot, à «édifier sur le fondement de la foi, non du bois, du foin, de la paille, matière légère et facilement combustible, puisque nos actions doivent être jugées ou purifiées par le feu (????? ?? ???? ???????? ?? ??????? ? ??????????), mais de l'or, de l'argent :et des pierres précieuses, matières solides et fermes. P. G., t. XXXV, col. 524. C'est encore la formule archaïque du feu du jugement; mais du moins l'idée de purification morale est incontestable. Ailleurs, Grégoire pleure sur ceux qui se croient absolument purs : au lieu de s'enorgueillir faussement, qu'ils prennent la voie tracée par le Christ: «Dans l'autre monde peut-être seront-ils baptisés dans le feu. Ce feu est le dernier baptême, plus douloureux certes et surtout d'une durée plus considérable, baptême qui dévorera, à l'instar du foin, toute matière vile et qui consumera la vanité de nos vices.» Orat., XXXIX, in sancta lumina, n.19, t. XXXVI, col. 357.

Ces deux derniers textes montrent bien en quel feu purificateur le saint docteur de Nazianze met son espérance dans les Carmina de seipso: I, 523; cf. 340-342; XII, 495; LXXV, P. G., t. XXXVII, col. 1009,995,1202, 1422-1423.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:03

4° Saint Grégoire de Nysse. -S'il est impossible de disculper saint Grégoire de Nysse du reproche d'origénisme (voir ENFER, col. 70-71), on pourrait tout au moins voir en cette erreur même un commencement d'argument en faveur du purgatoire. C'est déjà ce que nous avons indiqué à propos d'Origène. Mais, à côté des textes certainement entachés d'erreur, nous en lisons quelques autres dont le sens obvie se rapporte à une expiation d'outre-tombe, temporaire et destinée à une catégorie bien déterminée de pécheurs. Dans l'opuscule De infantibus qui præmature abripiuntur, Grégoire pose la question de l'état des âmes qui quittent ainsi la terre: «Qu'en devons-nous penser? Une telle âme verra-t-elle le juge? Comparaîtra-t-elle au tribunal avec les autres? Recevra-t-elle la récompense pour ses mérites? Sera-t-elle purifiée dans le feu, selon les paroles de l'Évangile? Sera-t-elle rafraîchie et réconfortée par la rosée de bénédiction?» À ces questions la réponse parait difficile puisque celui qui n'a pas vécu ne peut apporter au jugement divin matière à récompense ou à punition; P. G., t. XLVI, col.168.

Dans le sermon De mortuis – exhortation à ne point se désoler du trépas de ceux qui se sont endormis dans le Seigneur- l'auteur développe sa pensée sur le feu purificateur: Dieu nous a laissé ici-bas notre liberté et, nonobstant les fautes dans lesquelles nous pouvons tomber, le moyen de revenir à la félicité: c'est ou bien de nous purifier, dès la vie présente, par les prières et la recherche de la sagesse, ou, après la mort, d'expier dans l'ardeur du feu purificateur (??? ??? ??? ????? ????????? ???????). Celui qui aura négligé de se préserver du vice en cette vie, pour parvenir au bien après la mort connaîtra la différence qui sépare la vertu du vice et ne pourra devenir participant de la divinité qu'après
avoir laissé toutes ses souillures dans le feu purificateur (??? ????????? ?????). Ainsi, parmi les hommes, les uns, tels les apôtres; les patriarches et les prophètes, ont su garder, malgré leur union au corps et à la matière, une vie vraiment spirituelle et exempte de troubles et de vices, mais d'autres devront, après cette vie, par le feu purificateur, effacer les souillures de la matière et leur propension au mal; et c'est ainsi que, par le désir des vrais biens, ils reviendront à la grâce qui fut concédée au début à la nature humaine. P. G., t. XLVI, col. 524, 525.

Il n'est point nécessaire d'interpréter ces textes en fonction de l'erreur origéniste: la croyance au purgatoire suffit; aussi pensons-nous qu'il convient d'étendre cette exégèse même à certains passages du De anima et resurrectione, où les critiques trouvent avec raison plus d'une trace d'origénisme. Mais certains passages s'apparentent trop visiblement aux textes d'Origène où nous avons trouvé une manifestation de la croyance au purgatoire pour qu'on puisse leur accorder une signification différente. Grégoire reprend la comparaison de l'or mélangé de matière étrangère: «Pour purifier cet or, il faut passer au creuset non seulement la matière étrangère, mais l'or lui-même, de telle sorte que, cette matière une fois consumée par le feu, l'or demeure seul. Ainsi, tandis que notre défectuosité est détruite par le feu purificateur (??? ?????? ?? ???????? ???? ???????????), il est nécessaire que notre âme qui est unie à cette défectuosité, soit elle-même dans le feu (??? ????????? ???? ???? ?? ?? ???? ?????), jusqu'à ce que la matière étrangère qui lui est mêlée soit détruite, consumée par le feu (?? ?????? ???? ???????????). Et notre auteur conclut que la purification sera plus ou moins longue et pénible selon que l'âme sera plus ou moins attachée à une matière plus ou moins viciée. P. G., t. XLVI, col. 97-100, 101.

5° Un mot jeté en passant par saint Isidore de Péluse souligne la même conception. Expliquant comment le bon grain doit être séparé de la paille, celle-ci devant être brûlée, et celui-là conservé, il exhorte son correspondant Lampétius à ne point s'agiter aux vents de la volupté, leur dispersant ses actions, à l'instar de fétus de paille: «Considère que ton inconstance se terminera dans le feu, ou le feu qui purifie et expie, ou le feu qui brûle pour toujours. (??? ?????? ??? ??? ???? ??????? ?? ????????, ? ????????, ???? ????? ???????)». Epist., 1. I, ep. CCCL, P. G., t. LXXVIII, col. 381.

6° Faut-il rapporter à la même époque l'apocryphe Histoire de Joseph le Charpentier? Cet apocryphe, qui à coup sûr n'est pas antérieur au IVe siècle, est d'origine égyptienne, mais il est conservé seulement en arabe et en copte; il contient, sous la forme d'un entretien de Jésus avec les apôtres, la vie de saint Joseph et surtout sa mort. Relevons dans cette dernière partie l'idée «de la traversé que l'âme doit accomplir après avoir quitté le corps; guidée par l'archange Michel, elle pourra franchir sans encombre les flots de la mer de feu que doivent affronter toutes les âmes.» Cf. É. Amann, Les apocryphes du Nouveau Testament, dans le Suppl. du Dict. de la Bible, t. I, col. 484. N'avons-nous pas ici une affirmation implicite des purifications douloureuses réservées aux hommes avant leur entrée dans le bonheur du ciel?

7° Saint Cyrille d'Alexandrie, contemporain d'Isidore de Péluse, a laissé sur Joa., xv, 2, un commentaire que les théologiens ont retenu comme favorable au dogme du purgatoire. Cyrille rappelle les paroles de l'Évangile: «Je suis la vigne véritable, et mon Père est le vigneron. Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il l'ôte, et tout sarment qui porte du fruit, il le nettoie, afin qu'il porte du fruit davantage.» Et il continue:
Le chœur des saints lui-même, loin de repousser cette purification, la subit volontiers. Reprenez-moi, Seigneur, dit-il, mais que ce soit dans votre justice et non dans votre colère. Jer., x, 24. C'est dans la colère que sont détruits les sarments improductifs: Dieu les envoie au supplice. Mais dans le jugement... se fait la purification des sarments qui fructifient: dans une modique épreuve abondance et fécondité leur sont restituées... Petite est la tribulation qui nous purifie, et cependant, nous imposant d'en haut sa discipline, elle nous rend bienheureux. David nous en est témoin, lui qui s'écrie: «Bienheureux l'homme que vous aurez vous-même instruit, Seigneur, et à qui vous aurez enseigné votre foi, afin que vous lui accordiez quelque douceur dans les jours mauvais!» Ps., XCIII, 12. Jours à coup sûr indésirables et mauvais, ceux des (pécheurs) totalement retranchés (de la vie de la grâce) et destinés au supplice du feu; jours, dis-je, de ce jugement sévère et sans compromission. Mais alors Dieu se montrera doux à l'égard de ceux qu'il aura repris et corrigés. Car celui qui est tel ne subira en rien la damnation et la peine, car il aura été trouvé sarment non improductif. In Joannem, xv, 2, P. G., t. LXXIV, col. 352.

Ce passage oppose l'état irrémédiable des impies, voués à la damnation (sarments absolument improductifs) à l'état de ceux que l'épreuve corrige et qui ne sont pas des sarments totalement improductifs. Il y a là une indication très nette d'une purification dans l'au-delà. Avec Cyrille, cependant, nous ne sommes plus à la conception archaïque de la rétribution reportée au jour du jugement dernier. Ce Père admet que la rétribution définitive suit immédiatement la mort. Cf. Tixeront, Hist. des dogmes, t. III, p. 270. C'est donc au moment même du jugement particulier qu'aurait lieu la discrimination des œuvres: il n'apparaît pas cependant que la purification même des œuvres moins bonnes soit faite, comme l'insinue Tixeront, loc. cit., dans le jugement même. Les assertions des Pères doivent être, sur ce point, complétées par leur enseignement touchant l'utilité et l'efficacité des prières pour les défunts.

8° Le nom de Théodoret a été souvent cité comme celui d'un témoin de la croyance au purgatoire dans l'Église grecque. Saint Thomas invoque son autorité dans son opuscule Contra errores Græcorum; Gagnée cite un autre texte dans ses scolies des Pères grecs. Les deux textes sont reproduits par Nicolaï dans ses annotations à la Somme théologique. Mais il semble bien que ces deux textes soient apocryphes. Voir la note dans la P. G., t. LXXXIV, col. 445. Les Grecs ne les ont pas reconnus au concile de Florence.

La vraie pensée de Théodoret se trouve exprimée dans son commentaire sur I Cor., III, 15. Elle mérite d'être rapportée, car elle contient deux interprétations dont la seconde au moins pourrait présenter un sens favorable au dogme de la purification dans l'au-delà. Dans la première interprétation, Théodoret distingue le prédicateur de la foi de son œuvre, qui est l'auditeur agissant à sa guise. Au jour du Seigneur, ceux qui auront bien agi et pourront présenter des œuvres, or et argent, ne recevront de l'épreuve du feu qu'une splendeur plus grande: ceux qui auront mal agi et auront fait l'iniquité seront brl1lés comme foin, bois et paille,
tandis que lui, le prédicateur de la bonne doctrine, ne sera jugé digne d'aucune peine et il obtiendra le salut. Le prédicateur sera sauvé, car il ne saurait être tenu responsable du mauvais usage que ses auditeurs auront fait de la bonne doctrine. Mais, «si l'on veut rapporter l'expression tanquam per ignem non à l'œuvre, mais au prédicateur, on devra la comprendre ainsi: le prédicateur n'aura aucune peine à subir pour ses œuvres, mais il sera lui-même conservé, tout en subissant l'épreuve du feu, puisque sa vie est conforme à sa doctrine.» P. G., t. LXXXII, col. 249-252.

9° Dans la deuxième moitié du Ve siècle, Basile de Séleucie exhorte les pécheurs à détester leurs fautes, à l'exemple de David pénitent, afin de ne pas être laissés pour la purification du feu (?? ???????? ??????????? ????). Orat., XVIII, in Davidem, P. G., t. LXXXV, col. 225. L'expression ??????????? enlève toute probabilité à l'interprétation visant le feu de l'enfer.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:03

10° À la fin du siècle suivant ou au début du VIIe, la question du purgatoire est plus nettement posée par Maxime le Confesseur († 662), dans ses Quæstiones et dubia, interrog. x. Il s'agit d'expliquer l'expression suivante: «Dans le siècle futur, certains devront être jugés et purifiés par le feu.» «Cette purification, répond Maxime, ne concerne pas ceux qui sont parvenus à un amour parfait de Dieu, mais ceux qui ne sont pas arrivés à la complète perfection et qui ont leurs vertus mélangées de péchés. Ceux-ci comparaîtront au tribunal du jugement et, suivant l'examen comparatif de leurs bonnes et de leurs mauvaises actions, seront éprouvés comme par le feu. Si, dans la balance, le plateau des bonnes œuvres l'emporte, les mauvaises seront expiées dans une juste crainte et peine.»P. G., t. XC, col. 792-793. Encore une fois, il n'est pas dit que cette expiation sera dans et par le feu.

11° Dans l'opuscule De iis qui in fide dormierunt, attribué (faussement d'ailleurs) à saint Jean Damascène, l'auteur narre l'histoire d'un disciple très négligent qui, malgré son peu de préparation au moment de la mort, fut pris en pitié par Dieu, touché des larmes et des prières de son vieux maître. Ce dernier vit son malheureux disciple tout d'abord plongé dans le feu jusqu'au cou, puis, une autre fois, émergeant jusqu'à la ceinture, enfin totalement libéré. N. 11, P. G., t. XCV, col. 256. C'est un peu plus loin qu'on trouve l'histoire de Trajan libéré de l'enfer par les prières de saint Grégoire. Quoi qu'il en soit de ces historiettes, le seul fait qu'elles soient rapportées montre bien la croyance de l'Église d'Orient à une expiation ultra-terrestre.

Conclusion. -Nous arrêtons ici cette première partie de notre enquête concernant l'expiation ultra-terrestre. Désormais, la théologie orientale ira s'obscurcissant de plus en plus par l'apport de considérations plus ou moins erronées. Elle était pourtant déjà loin d'être claire! On l'a constaté par tous les textes qui précèdent: l'influence de I Cor., III, 15, sur la purification des fautes dans l'au-delà est prépondérante. L'influence de l'exégèse d'Origène ne l'est peut-être pas moins et, sauf quelques rares indications concernant un feu métaphorique (voir saint Cyrille d'Alexandrie, in Genesim, l. IV, n. 1, p, G., t. LIX, col. 177 BC), la plupart de nos théologiens n'envisagent que le feu réel de la conflagration générale. II ne saurait être question pour eux d'un feu spécial préparé, dans un lieu spécial. Cette interprétation doit être d'autant plus fermement écartée que, jusqu'au Ve siècle, les Pères sont encore la plupart du temps confinés dans la formule archaïque de l'âme vraisemblablement déjà jugée tout aussitôt après la mort, mais placée dans un état d'attente du jugement définitif, lequel ne se produira qu'à la fin du monde. Voir FEU DU PURGATOIRE, t. v, col. 2252. Sans doute, à partir du IVe siècle, bon nombre de Pères entrevoient déjà la rétribution immédiate, au moins pour les récompenses (voir JUGEMENT, t. VIII, col. 1786. sq.); mais beaucoup retiennent encore les formules archaïques de l'état d'attente. Ces formules trahissent l'embarras du théologien qui ne peut encore adapter complètement ses formules explicatives aux données positives de sa foi. Voir art. cit., col. 1787-1788. Elles nous permettent du moins de constater que les Pères des IVe et Ve siècles, et spécialement saint Cyrille d'Alexandrie et Maxime le Confesseur, auraient facilement adapté leur conception d'une purification dans l'au-delà à notre croyance actuelle au purgatoire.

Pour arriver à une conception plus nette, il aurait fallu que la théologie orientale se dégageât complètement des formules archaïques et notamment de celles qui ont trait à la dilation des châtiments. Mais c'est le contraire qui peu à peu se produira et, lors du schisme du IXe siècle, Photius ne contribuera pas peu à faire accepter cette erreur par tous, creusant ainsi entre la théologie orientale et l'enseignement de l'Église romaine un fossé bien difficile à combler. Cf. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. IV, p. 63 sq. Toutefois, en se dégageant des formules accessoires et que le progrès du dogme eût dû rendre caduques, on constate que le fond de la théologie orientale des IVe et Ve siècles admet la doctrine d'une expiation dans l'au-delà, réservée et proportionnée à certaines fautes qui ne séparent pas définitivement l'âme de Dieu; or, c'est là l'essence même du purgatoire.

Il convient -et ceci renforce encore cette dernière constatation- d'y ajouter l'autre élément du dogme: la prière pour les défunts. Sur ce point, les témoignages de l'Église orientale des IVe et Ve siècles sont pleinement concordants.

II. LES SUFFRAGES POUR LES DÉFUNTS. -À partir du IVe siècle, nombreux sont les témoignages qui se rapportent à la prière faite par les vivants pour les défunts en vue de leur soulagement. Nous interrogerons les Pères, les liturgies et l'épigraphie.

1° Les Pères. -Eusèbe de Césarée rapporte qu'en 337 le corps de Constantin le Grand fut déposé devant l'autel où prêtres et fidèles offrirent à Dieu des prières pour l'empereur défunt. Vita Constantini, 1. IV, c; LXXI; P. G., t. XX, col. 1225.

En 348, saint Cyrille de Jérusalem nous montre quelle est la croyance de l'Église touchant l'offrande du saint sacrifice de la messe à la mémoire de ceux qui ne sont plus. Nous faisons mémoire, dit-il, des saints patriarches, apôtres, prophètes, martyrs, afin de faire accepter par Dieu, grâce à leurs prières et supplications, nos propres prières: ensuite, nous faisons mémoire des saints Pères et évêques et généralement de tous les saints qui reposent parmi nous (le mot «saint» est pris ici pour chrétiens .morts dans la communion de la foi; cf. Rom., XII, 13, xv, 16, etc.), persuadés qu'un grand secours sera accordé à leurs âmes, pour lesquelles est présentée notre prière en présence de la très sainte et très redoutable victime du sacrifice. Catech. myst., v, n. 9, P. G., t. XXXIII, col. 1115. Et Cyrille continue en expliquant par un exemple l'efficacité des prières pour les défunts:
Beaucoup posent cette question: Quel profit peut tirer de la prière faite à sa mémoire une âme qui a quitté ce monde dans le péché ou sans péché? Si un roi envoyait en exil des sujets qui l'ont offensé et qu'ensuite les proches parents de ces exilés, tressant une couronne, l'offrissent au roi en réparation pour adoucir la peine infligée à leurs amis exilés le roi ne leur ferait-il pas la gracieuse remise des châtiments? C'est de la même façon que nous offrons à Dieu nos prières pour les défunts, même s'ils sont pécheurs: nous ne tressons pas de couronne, mais nous offrons le Christ immolé pour nos péchés (?????ò? ????????????? ???? ???????? ??????????? ???????????), nous efforçant de rendre la clémence divine propice aux défunts aussi bien qu'à nous-mêmes. Ibid., n. 10, col. 1116-1117.

Saint Jean Chrysostome insiste à plusieurs reprises sur l'utilité des prières et du sacrifice eucharistique pour les défunts: «Portons-leur secours, dit-il, et faisons leur commémoraison. Si les fils de Job ont été purifiés par le sacrifice de leur père, pourquoi douterions-nous que nos offrandes pour les morts leur apportent quelque consolation? N'hésitons pas à porter secours à ceux qui sont partis et à offrir nos prières pour eux.» In I epist. ad Cor., homo XLI, n. 5, P. G., t. LXI, col. 361. Et, quelques lignes auparavant, Chrysostome insistait sur la nature de ce secours: pas de larmes, mais des prières, des supplications, des aumônes, des oraisons. Ailleurs, il fait remonter aux apôtres eux-mêmes l'institution du Memento des morts au sacrifice eucharistique: «Songeons au soulagement que nous pouvons obtenir pour les morts. Ce n'est pas en vain que les apôtres ont établi eux-mêmes qu'il serait fait mémoire des défunts au saint sacrifice. Lorsque tout le peuple est assemblé et qu'il prie, les mains levées vers le ciel, et que la victime trois fois sainte se trouve sur l'autel, comment notre voix ne s'élèverait-elle pas avec confiance vers Dieu en faveur des défunts?» In Act., homo XXI, n. 4, t. LX, col. 170. Voir aussi De sacerdotio, l. VI,n. 4, t. XLVIII, col. 680. Chrysostome insiste tellement sur le secours apporté par nos prières aux défunts qu'il ne paraît exclure de leur efficacité aucune catégorie de disparus, pas même les pécheurs les plus coupables et les infidèles. Un passage de l'homélie III sur l'épître aux Philippiens, n. 4,P. G., t. LXIII, col. 203, accentue tellement la pensée de l'orateur en ce sens que certains critiques s'en sont fait une arme pour attaquer l'orthodoxie de l'évêque de Constantinople relativement à la mitigation des peines de l'enfer. On y veut voir «une dernière trace d'origénisme». Voir notre interprétation, MITIGATION DES PEINES DE LA VIE FUTURE, t. X, col. 2001.

La foi de l'Église au IVe siècle, est déjà si fermement établie que saint Épiphane range parmi les hérésies reconnues et condamnées la doctrine d'Aérius affirmant l'inutilité de la prière pour les morts. Voir, t. l, col, 515 :
Quoi de plus utile que de faire mémoire des morts? Quoi de plus opportun et de plus admirable que cette persuasion où sont les fidèles présents, que les morts vivent et ne sont pas réduits au néant, mais qu'ils existent et vivent près du Seigneur? Quelle prédication plus religieuse que celle qui donne une telle espérance aux vivants priant pour leurs frères, comme s'il s'agissait de voyageurs partis pour l'étranger? .. Nous faisons mémoire des justes et des pécheurs. Pour les pécheurs, nous implorons la miséricorde divine. Des justes nous faisons mention afin de séparer, d'un honneur particulier, Notre-Seigneur Jésus-Christ de l'ordre des humains, et de lui rendre un culte supérieur qui le différencie des mortels, quelle que soit la sainteté pour ainsi dire Infinie dont Ils sont revêtus... Mais, même abstraction faite de ces raisons, je dis que l'Église se doit de faire nécessairement ce qu'elle a reçu comme un rite transmis par les anciens. Et, comme toutes ces choses excellentes et admirables sont établies dans l'Église, rien qu'à ce titre Aérius est convaincu d'imposture. Adv. hær., LXXV, n.8, P. G.,t. XLII, col. 513 B; cf. n. 3, 7, col. 508 C, 513 A.

Une seule phrase pourrait faire difficulté dans ce texte: «Les prières que nous faisons pour les morts leur sont utiles, bien qu'elles ne détruisent pas tous les péchés.» Il n'est pas nécessaire de songer à la mitigation des peines de l'enfer pour trouver à cette formule, même en l'appliquant au purgatoire, un sens acceptable.

Dans le livre ???? ?????? ????? ?????? ??? ?????????, attribué à Macaire d'Alexandrie (IVe siècle), on rencontre plusieurs allusions aux prières liturgiques faites pour les âmes justes des défunts, aux neuvième, trentième et quarantième jours. P. G., t. XXXIV, col. 392.

Au Ve siècle, Théodoret, dans son Histoire ecclésiastique, rapporte que l'empereur Théodose II fit ramener en grande solennité les reliques de saint Jean Chrysostome et qu'à cette occasion il recommanda ses parents défunts à l'intercession de ce saint. Hist. eccl., 1. V, c. XXXVI, P. G., t. LXXXII, col. 1268.

Le pseudo-Denys enseigne également que le prêtre prie pour les défunts afin de les libérer des fautes échappées à la faiblesse humaine, et qu'il soient placés dans le lieu de lumière, dans le sein d'Abraham, loin de la tristesse et de l'affliction. De hier. eccl., VII, (III, § 4), P. G., t. III, col. 560 AB. Toutefois, l'auteur fait observer que les prières des justes ne peuvent, soit en cette vie, soit après la mort, être utiles qu'à ceux qui en sont dignes. Id., ibid., § 6, col. 560 D.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:04

Eustrate, prêtre attaché à l'église Sainte-Sophie, familier du patriarche Eutychius, dont il prononça l'oraison funèbre en 583, a publié un ouvrage intitulé Discours réfutant ceux qui disent que les âmes humaines, après la séparation d'avec leurs corps, n'ont plus aucune activité et qu'elles ne retirent aucun profit des prières et des sacrifices offerts à Dieu pour elles. Certes, elles en profitent et en tirent du soulagement, ainsi qu'on va le voir dans ce volume. Ce discours a été traduit par Aliatius, d'une manière incomplète, dans son De utriusque Ecclesiæ occidentalis atque orientalis perpetua in dogmate de purgatorio consensione, Rome, 1655, p. 319-580 (texte grec et traduction latine). Texte latin dans Migne, Patrologie grecque-latine, t. LXXX, col. 823- 889, et dans Theologiæ cursus completus, t. XVIII, col. 461 sq. C'est d'après le Cursus que nous citons. L'ouvrage est d'autant plus intéressant qu'il réfute la théorie qui devait dans la suite avoir tant de vogue chez les Byzantins, d'un état purement passif pour les âmes entre la mort et le jugement dernier. Bien au contraire, toutes les âmes après la mort, soit les âmes des bons (n. 13 sq., col. 480), soit celles des pécheurs (n. 25, col. 504), manifestent leur activité. L'auteur répond ensuite affirmativement à la question si les prières des vivants sont utiles aux âmes des défunts: la raison en est que l'Église prie pour elles. Et, parce que le peuple d'Israël porta le deuil de Morse pendant quarante Jours, parce que le Christ est ressuscité au troisième jour, parce qu'il est apparu après huit jours à ses apôtres et qu'il est monté aux cieux au bout de quarante jours, l'Église a déterminé que les troisième, neuvième et quarantième jours seraient consacrés à la mémoire de chaque défunt, les solennisant par l'offrande de ses prières et du sacrifice de la messe. Or, elle ne le fait pas en vain puisque déjà le sacrifice offert par Judas Machabée fut agréable à Pieu et que Denys l'Aréopagite, Éphrem le Syrien, Cyrille de Jérusalem, Cyrille d'Alexandrie, promettent tant d'avantages aux défunts par le moyen de la prière et du sacrifice eucharistique. N. 28, col. 508 sq. D'ailleurs, le choix du troisième, neuvième, quarantième jour et du jour anniversaire
était consacré dans l'Église grecque, comme ayant une origine apostolique. Voir Constitutions apostoliques, 1. VIII, c. XLII.

L'auteur du De iis qui in fide dormierunt, rapporte, sous le nom d'Athanase, le texte qu'Eustrate attribue à Cyrille d'Alexandrie. N. 19, P. G., t. XCV, col. 265. Quoi qu'il en soit du véritable auteur qui semble bien n'être ni l'un ni l'autre, ce texte exprime la doctrine courante déjà au VIe siècle.

De ces auteurs de langue grecque, il faut rapprocher le témoignage du Syrien saint Éphrem (IVe siècle), dans son Testament: il demande qu'on se souvienne de lui, une fois mort, dans les prières des vivants. Il le demande surtout au trentième jour, car, dit-il, «les morts sont aidés par l'offrande faite par les vivants.» Testamentum, n. 72, éd. Assemani, Opera græce et latine, t. II, p. 401.

2° Liturgies orientales. -1. Le «Memento» des morts. -«La prière pour les morts, ainsi que leur mémoire pendant les offices sacrés, est une pratique perpétuelle et commune chez tous les chrétiens orientaux, qui la font remonter aux apôtres.» Ainsi parle Renaudot, Liturgiarum orientalium collectio, t. I, p. 193, que nous citons d'après la 2e édition, plus correcte, Francfort-sur-Mein, 1847.

Les Constitutions apostoliques auxquelles se réfèrent les Orientaux sont, on le sait, une compilation qui, tout au moins dans son terminus a quo, remonte au début du Ve siècle. Dans la liturgie du VIIIe livre, on trouve la prescription suivante: «Prions pour le repos de tel (ou; telle), afin que le Dieu bon, recevant son âme, lui remette toutes ses fautes volontaires et involontaires et que, dans sa miséricorde, il la place dans le lieu des âmes saintes.» C'est d'ailleurs, à peu de chose près, la formule qu'on rencontre dans toutes les liturgies orientales et qui correspond à notre Memento des morts: après la lecture des diptyques qui renfermaient les noms des évêques et des fidèles morts dans la paix du Christ, le célébrant récitait l'oraison dite Oratio post nomina par laquelle prêtres et assistants demandaient à Dieu pour ces âmes le repos éternel.

La messe de saint Basile .fait prier le prêtre «pour tous ceux qui se sont endormis dans l'espérance de la résurrection future». Il demande à Dieu «de les faire reposer dans le lieu de lumière, d'où s'enfuit la tristesse». Goar, ?????????? sive rituale Græcorum, éd, de Venise, 1730, p. 145 AB. La messe de saint Jean Chrysostome, si importante dans le rite byzantin, emploie des termes presque identiques. Ibid., p. 63 ?.

Toutes les messes transcrites par Renaudot dans sa collection contiennent des prières analogues et souvent plus développées. Ainsi, parmi les liturgies d'Alexandrie (coptes), celle de saint Basile: «Souvenez-vous aussi, Seigneur, de tous ceux qui se sont endormis et reposent, prêtres ou laïques dans tous les ordres. Daignez, Seigneur, accorder à leurs âmes le repos dans le sein d'Abraham, Isaac et Jacob dans le paradis de volupté», t. I, p. 22; la liturgie de saint Grégoire de Nazianze: «Souvenez-vous, Seigneur, de nos pères et frères qui se sont endormis déjà dans la foi orthodoxe donnez-leur à tous le repos, avec vos saints... », p. 33; la liturgie de saint Cyrille: «Souvenez-vous, Seigneur, de nos Pères, les archevêques orthodoxes, qui déjà sont morts, et de tous ceux... dont la mémoire ne nous est pas présente, mais qui dorment et reposent dans la foi du Christ. Daignez, Seigneur, accorder que leurs âmes reposent toutes dans le sein de nos pères...» p. 41. Voir des prières analogues dans les liturgies coptes, transcrites du ms. grec-arabe, Bibl. nat., ms. 3023; la liturgie de saint Basile, Renaudot, op. cit., t. l, p. 71; celle de saint Grégoire, p. 103-104; la liturgie grecque dite de saint Marc, p. 135-136. La liturgie éthiopienne contient des formules semblables: «Nous vous prions aussi, Seigneur, pour ceux qui déjà se sont endormis, afin que vous leur donniez le repos.» P. 483.

Les liturgies jacobites présentent les mêmes particularités : les deux textes, ordo communis et ordo generalis, traduits par Renaudot, contiennent expressément le souvenir des défunts: «Souvenez-vous, Seigneur, de ceux qui sont morts, et donnez-leur le repos, à eux qui vous ont revêtu dans le baptême et vous ont reçu de l'autel.» Le diacre continue cette prière du célébrant en formant le vœu que ceux qui ont mangé le corps et bu le sang du Sauveur reposent avec Abraham, à la table de Dieu (nous dirions aujourd'hui au banquet éternel). On doit souligner la dépendance ici marquée entre la communion eucharistique et le salut éternel. T. II, p. 10; cf. p. 37. La liturgie de Jacques, frère du Seigneur, contient une prière caractéristique: «Voici l'oblation présentée, et voici que les âmes sont purifiées. Que par elle soit accordé le repos aux défunts pour qui elle a été offerte. Cette oblation, présentée à Dieu par les vivants pour les défunts, expie l'iniquité de l'âme et par elle leur sont remis leurs péchés... Agneau de Dieu et pasteur mort pour vos brebis, donnez, Seigneur, par votre grâce, le repos aux fidèles défunts... Joie dans les sphères supérieures, espérances heureuses dans les inférieures, par les oblations que font les vivants pour leurs défunts.» Ibid., p. 43. Dans la liturgie de saint Xyste, pape romain, laquelle appartient néanmoins aux liturgies orientales, le souvenir des défunts intervient; on demande pour eux à Dieu «une résurrection bénie d'entre les morts et, dans le royaume des cieux, une vie nouvelle et éternelle.» P. 137. La liturgie de saint Pierre, prince des apôtres, fait mémoire de tous les défunts du lieu où l'on prie et de tous lieux, mais principalement de ceux pour qui est offert le sacrifice. P. 150; cf. p. 158. Sous une forme différente, la liturgie de saint Jean l'Évangéliste insiste sur l'aspect universel de cette prière pour les morts: «Souvenez-vous, Seigneur, par votre grâce, de ceux qui sont séparés de nous et ont émigré vers vous, qui ont reçu votre corps et votre sang précieux, et ont été marqués de votre caractère, depuis le temps de la première institution chrétienne jusqu'à nos jours.» P. 167. Voir aussi la liturgie des douze apôtres, dite de saint Luc, p. 173, et celle de saint Marc, p. 181, où l'on rencontre des traits analogues. Celle de saint Clément, p. 195-196, contient un très long memento des morts: elle prie, demandant une. mémoire honorable et la félicité pour tous corps, âmes et esprits de tous nos pères, frères et maîtres, temporels et. spirituels, qui sont morts dans n'importe quelles régions ou cités ou provinces, ou qui ont été étouffés dans la mer ou les fleuves, ou qui sont morts en voyage et dont aucune Église constituée sur la terre ne fait mémoire.» Cette insistance à prier pour tous, en développant sous divers aspects cette universalité, est ici très caractéristique.

D'autres formules analogues et tout aussi touchantes se lisent dans la liturgie de saint Denys, évêque d'Athènes, p. 208-209, de saint Ignace, p. 221, du pape romain, Jules, p.226,230; de saint Jean Chrysostome, p. 247, de Marouta, évêque de Takrit († 649), p. 266; de Dioscore, p. 292, de Philoxène de Mabboug, p. 304, de Sévère d'Antioche, p. 326, de Jacques Bar Adal, p. 338. La liturgie de Jacques de Saroug, évêque de Batnan, est aussi touchante que possible: « Souvenez-vous,Seigneur, de tous ceux qui déjà se sont endormis dans la vraie foi, depuis Adam jusqu'à ce jour... Donnez, Seigneur, le repos aux âmes de ceux dont nous faisons mémoire; inscrivez leurs noms dans votre livre de vie... Que personne d'entre eux, que personne parmi nous ne soit condamné, rejeté, exclu de votre royaume céleste! Seul est apparu sur terre, exempt de péché, votre Fils unique et. Notre Seigneur et Dieu, Jésus-Christ: par lui, et à cause de lui, nous aussi espérons obtenir miséricorde et pardon des péchés, tant pour nous que pour eux.» P. 363-364. Voir également la liturgie de Jacques d'Édesse, p. 376, et de quelques autres jacobites. P. 395, 404, 415.

Les liturgies de Michelle Syrien, p. 443, et de plusieurs autres, qui terminent le recueil de Renaudot (cf. p. 450, 464, 486, 499, 516, 533, 587, 615), bien que moins expressives, renferment toutes explicitement le souvenir des défunts. Mais déjà, avec ces dernières liturgies, nous avons de beaucoup dépassé l'époque où devait se cantonner notre enquête. Une certitude du moins s'en dégage très nettement, c'est que les Églises orientales ont toutes pieusement gardé la pratique Immémoriale de recommander à Dieu, au saint sacrifice de la messe, les fidèles trépassés.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:04

Sur le rapport de ces liturgies orientales entre elles, on consultera les articles du Dict. d'archéol.: Alexandrie (Liturgie), t. I, col. 1182 sq.; Égypte, t. IV, col. 2483; Grecques (Liturgies), t. VI, col. 1591. Voir sur les liturgies orientales, prières pour les morts, F. Probst, Liturgie der drei ersten christlichen Jahrhunderte, Munster-en-W., 1893; F.-J. Mone, Lateinische und Griechische Messen aus den II.-VI. Jahrhunderten, Francfort-s.-M., 1850; E. Freistedt, Altchristliche Totengedächtnistage, Munster-en-W.. 1928.

2. Prières pour tes morts, spécialement aux funérailles. -Le Sacramentaire de Sérapion, découvert en 1894, est une sorte de rituel ou de pontifical, contenant trente prières, dont quelques-unes sont nommément attribuées à Sérapion de Thmuis († après 362). Nous trouvons une formule d'intercession: «Pour tous les défunts dont on fait la mémoire, nous prions ainsi: Sanctifiez ces âmes, car vous les connaissez toutes; sanctifiez toutes celles qui dorment dans le Seigneur et mettez-les au rang de toutes vos saintes puissances et donnez-leur place et séjour dans votre royaume.» Le même Sérapion a conservé une prière pour l'inhumation: « ... Nous vous prions pour le repos de l'âme de votre serviteur (ou de votre servante); donnez le repos à son esprit dans un lieu verdoyant et paisible et ressuscitez son corps au jour que vous aurez marqué.» Journal of theological studies, t. l, p. 106, 275.

L'euchologe de Goar contient les prières pour les funérailles des fidèles défunts, p; 423-438. On y retrouve exprimés les sentiments; que nous avons trouvés dans la liturgie de la messe ordinaire, au Memento des morts. Voici, par exemple, une prière du début : «Prions le Seigneur. O Dieu de tous esprits et de toute chair! qui, en vainquant la mort, avez vaincu le démon et donné au monde la vie, donnez, Seigneur, le repos à l'âme de votre serviteur N...,défunt, dans un lieu de lumière, dans un lieu agréable, dans un lieu de rafraîchissement, d'où sont exclus la douleur, le chagrin et les soupirs. Pardonnez-lui, Dieu clément, tout délit, commis par lui, soit en parole, soit en œuvre, soit en pensée. Il n'est pas un seul homme qui vive sans pécher; vous seul vous êtes manifesté exempt de faute; votre justice est la justice éternelle; vos paroles sont la vérité. Parce que vous êtes la résurrection et la vie et le repos de votre serviteur, nous vous rendons gloire, ô Christ notre Dieu! ... » 424. On insiste aussi pour que soient pardonnés «les péchés commis sciemment ou inconsciemment, volontairement ou involontairement.» 424,426. L'invocation à la sainte Vierge en faveur du défunt revient fréquemment, p. 426, 427, 428, 432, alternant avec les leçons morales que suggère la pensée de la mort et qui, dans l'office oriental, font songer aux leçons de Job de notre Ier nocturne. Et finalement cette prière, qui condense tout le dogme de la communion des saints relativement au soulagement des âmes du purgatoire: «Que, par les intercessions de sa Mère sans tache, des saints apôtres glorieux et célèbres dans tout l'univers, de nos ancêtres bienheureux qui ont porté Dieu sur terre, que le Christ, notre vrai Dieu, qui est ressuscité des morts, place dans les tabernacles des justes l'âme de son serviteur défunt, qu'il la dépose dans le sein d'Abraham, qu'il l'adjoigne aux justes et que, bon et clément, il prenne pitié de nous. Amen!» P. 432-433. Les notes de Goar montrent que ces rites ne sont que l'écho de la doctrine traditionnelle des Pères.

Suivent, dans le même recueil, les prières pour les funérailles des moines, p. 438; des prêtres, p. 451, et, d'après certains euchologes antiques, des textes distincts pour les funérailles des hommes, p. 468, et des femmes, p. 471. Les prières pour les funérailles des enfants apportent ici encore leur valeur dogmatique. Pour les enfants, nulle intercession demandant le pardon de fautes dont ils sont incapables, mais l'expression d'une confiance filiale dans le bonheur concédé immédiatement à leur innocence: «Seigneur, qui dans ce siècle gardez les enfants et, dans le siècle futur, à cause de la simplicité de leur âme et de leur état d'innocence, en remplissez le sein d'Abraham et les faites habiter dans les lieux splendides où séjournent les esprits des justes, recevez aussi dans la paix l'âme de votre serviteur, N... Car vous-même l'avez dit: le royaume des cieux appartient à de telles (âmes).» P. 478. On trouve même, dans les liturgies orientales pour les défunts, des formules qui ressemblent à celles de l'offertoire de nos messes de Requiem: «Délivrez, Seigneur, les serviteurs de votre Église du feu terrible.., des ténèbres denses, des grincements de dents et du ver qui punit toujours.» Office in sabbato animarum, vigile de la Pentecôte. De toute évidence, le contexte exige qu'on interprète ces formules comme nous le faisons nous-mêmes des formules latines. Voir plus loin.

On le voit, dans les liturgies orientales, la prière pour les morts présente exactement les mêmes caractères que les prières des liturgies occidentales. Elles manifestent donc la même croyance relativement aux situations de l'au-delà. On trouvera un bon exposé, en raccourci, de ces prières des liturgies orientales dans Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. IV, p. 89-95.

3º L'épigraphie orientale. -Les documents épigraphiques qu'on a cités dans ce dictionnaire sur les relations de l'Église militante et de l'Église souffrante sont presque tous empruntés aux catacombes romaines ou aux monuments de l'Église latine. Voir COMMUNION DES SAINTS (Monum. de l'antiquité chrétienne), t. III, col. 460. Il est donc utile de rappeler brièvement que de tels documents existent encore dans les Églises orientales et attestent, comme à Rome et en Afrique, la croyance à l'efficacité des suffrages en faveur des âmes des défunts.

Il ne saurait être question de dresser ici un répertoire complet des épigraphes funéraires de l'Orient, ni même de reproduire en fac-similé celles que nous citerons. Le travail a été fait d'une façon abondante par dom Leclercq, dans le Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie. Quelques rappels suffiront ici pour le but théologique que nous poursuivons, et l'on voudra bien se reporter aux articles de dom Leclercq pour retrouver les formules originales.

À Alexandrie même, l'épigraphie funéraire n'offre que rarement des formules intéressantes. En voici cependant deux assez suggestives: «Seigneur, Dieu de nos pères, ayez pitié de l'âme de votre serviteur et faites-la reposer dans le sein de nos pères saints, Abraham, Isaac et Jacob, nourrie du bois de la vie. Le diacre Jean a été enterré au mois de phamenoth ... » G. Botti, Steli cristiane di epoca bizantina esistenli nel museo di Alessandria, dans Bessarione, 1900, p. 438, n. 4. «Que le Seigneur se souvienne de la dormition et du repos de Makara, la très douce; que le lecteur prie (pour elle).» Ibid., p. 277, n.14; Dict. d'archéol., t. la, col. 1157, 1159.

L'épigraphie copte fournit en revanche des spécimens nombreux. En Basse-Égypte, on cité l'inscription suivante (IXe siècle), de dialecte mêlé, mi-bohaïrique et mi-sahidique: «Dieu qui avez fourni le repos de l'âme de nos ancêtres, donnez aussi le repos à l'âme de votre serviteur Abraham, afin qu'il soit nourri dans les verts pâturages, au bord des eaux du rafraîchissement (cf. ps. XXII, 2), dans le paradis de la joie, lieu d'où ont fui la peine et la douleur (cf. Is., LI, 11), dans la lumière de vos saints. Amen!» Bergmann, Inschriftliche Denkmäler, dans Recueil de travaux, 1886, t. VII, p. 195; Dict. d'archéol., t. III b, col. 2835. D'autres, assez nombreuses, demandent à Dieu de «faire miséricorde» au défunt: «Moi, Jean, diacre, j'ai quitté ma mère veuve. Je suis venu dans la ville de Cos, j'y suis mort; on m'a emporté, on m'a placé dans ce tombeau: souvenez-vous de moi, mes bien-aimés, afin que Dieu me pardonne.» E. Revillout, Les prières pour les morts, dans l'épigraphie égyptienne, dans Rev. égyptologique, t. IV. 1885, p. 2, n. 1. . Jeûnez tous pour moi, afin que Dieu (fasse miséricorde) à mon âme. .Ibid., p. 3, n. 2. «Dieu de nos seigneurs les apôtres saints, vous ferez miséricorde avec l'âme du bienheureux Épimaque, le maçon, qui s'est reposée le 14 du mois de pagni de cette année, Xe indiction. Ayez la charité de prier pour moi, vous tous qui me connaissez, afin que Dieu fasse miséricorde à ma malheureuse âme. Amen! Fiat! Jésus-Christ.» Ibid., p. 4, n. 4. C'est par dizaines que l'inscription «Dieu fasse miséricorde» se lit dans les documents épigraphiques publiés jusqu'à ce jour. Voir art. Défunts, dans Dict. d'archéol., t. IV a, col. 450; art. Copte, ibid., t. III b, col. 2836, 2851-2883, passim. Un certain nombre d'épitaphes funéraires invoquent, avec la protection de Dieu ou de la Trinité, celle de la Vierge Marie, des anges et des saints: «Apa Jérémie, apa Énoch, notre mère Sibylle, sainte Marie, tous les saints selon leurs noms, souvenez-vous de notre frère Georges.» Teza, Iscrizioni cristiane d'Egitto, Pise, 1878, p. 5. -Le Père et le Fils et le Saint-Esprit; Sainte-Marie, l'archange Michel et Gabriel, apa Jérémie, apa Énoch, apa Panesneu, ama Sibylle, tous les
saints qui ont fait la volonté de Dieu, implorez le Seigneur pour l'âme de notre défunt frère Callinique, le (notaire), afin qu'il lui fasse grande miséricorde dans les lieux où il se trouve, comme (il fit) à l'âme du larron et de Lazare... » Thompson, n. 84, dans J.-E. Quibel, Excavations at Saqqara (1907-1908), with sections by sir Herbert Thompson and prof. w. Spiegelberg, Le Caire, 1909; les inscriptions coptes publiées par Thompson se trouvent, p. 27-77; Dict. d'archéol., t. III b, col. 2844-2846. Voici la fin d'une longue épitaphe mutilée; c'est le défunt qui parle: «Moi, Victor, le malheureux, j'étais heureux et content au milieu de mes enfants, soudain survinrent les messagers de la mort (cf. Job, XX, 15). Ils se fermèrent les «entendant» et les «percevant» c'est-à-dire le nez qui est défait et n'odore plus, la bouche qui s'est tue et ne parle plus pour toujours. J'ai dit: Il eût été bon pour moi de n'être pas né (Matth., XXVI, 24). Priez donc pour moi afin que Dieu fasse miséricorde à mon âme, car pas un homme n'est exempt de péché, lors même que sa vie serait d'un seul jour sur la terre (cf. Job, XIV, 4-5), pour que je sois digne d'entendre cette parole bienheureuse: Entre dans la joie de ton Seigneur» Biondi, Inscriptions coptes, dans Annales du serv. des antiquités de l'Égypte, t. VIII, 1907, p. 179; Dict. d'archéol., t. III b, col. 2857.

Voici pour terminer cet aperçu sur les inscriptions égyptiennes, un texte qui, pour être du XIIe siècle, n'en reflète pas moins la doctrine traditionnelle de l'Orient sur les suffrages pour les morts. C'est l'inscription du prêtre Marianos, à Assouan (1157). «Dieu des esprits et de toute chair, vous qui avez ennobli la mort, foulé aux pieds l'enfer et dispensé la vie au monde, faites reposer l'âme de votre serviteur Marianos, prêtre, dans le sein d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, où il n'y a ni douleur, ni chagrin, ni soupir; tout acte (répréhensible) qu'il a commis par parole, en fait ou d'intention, oubliez-le, Seigneur, vous qui êtes bon et miséricordieux; pardonnez-lui puisqu'il n'y a pas d'homme qui puisse vivre sans péché; car vous seul, ô mon Dieu! êtes la justice sans défaillance; votre justice est éternelle, Seigneur, et votre parole, qui est la vérité, demeure éternellement; vous êtes la résurrection et le repos... de votre serviteur Marianos, prêtre. Nous rendrons gloire au Père, au Fils, au Saint-Esprit...» Musée du Caire, n. 8396; art. Égypte, dans Dict. d'archéol., t. IV b, col. 2495-2496. On rapprochera le texte de cette stèle de la prière du début des funérailles, citée par Goar dans son Euchologe, voir col. 1209.

Proche de l'Égypte, l'Éthiopie fournit de multiples exemples d'inscriptions funéraires où les vivants demandent à Dieu d'accorder sa miséricorde, un lieu de rafraîchissement et de paix, la lumière et la gloire à ceux qui ne sont plus. Souvent, la sainte Trinité est invoquée; parfois, mais rarement, il est fait mention de la Vierge. Voir les textes art. Éthiopie, dans Dict. d'archéol., t. v a, col. 617-623.

L'épigraphie à Antioche est pauvre. Elle fournit cependant quelques éléments en faveur de l'existence des suffrages pour les défunts. Dom Leclercq reproduit une inscription assez suggestive, publiée par W.-K. Prentice, Fragments of an early christian liturgy in Syrian inscriptions, dans Transactions and proceedings of the American philological Association, t. XXXIII, 1902, p. 96. C'est une prière au Christ: «Toi qui donnes la vie au genre humain et la mort en punition du péché, et qui dans ta bienveillance promets la résurrection et nous en donnes un gage, Christ, daigne visiter par ton salut ton serviteur Antonin, fils de Diogène, Sométia, sa femme, et les autres qui reposent ici, afin qu'ils
puissent voir le bien de tes élus.» Dict. d'archéol., t. l b, col. 2418-2419. Il semble que cette inscription soit la même que celle qui est rapportée, comme provenant des tombeaux de Hass. Voir ce mot dans Dict. d'archéol. t. VI b, col. 2066-2067.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:05

IV. LA TRADITION LATINE.

- La tradition occidentale suit à peu de chose près le même mouvement d'évolution que la tradition orientale. Sur le point des peines purificatrices d'outre-tombe, elle part de conceptions archaïques analogues à celles des Pères grecs; mais assez rapidement elle aboutit, avec saint Augustin, à des positions plus logiques. Quant aux suffrages pour les morts, tout comme l'Orient, l'Occident en proclame l'utilité sans hésitation. Nous étudierons donc d'abord l'enseignement relatif à l'existence d'une peine positive, purificatrice des fautes, dans l'autre vie; ensuite la doctrine des suffrages pour les morts.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:06

1. L'ENSEIGNEMENT DES PÈRES RELATIVEMENT A UNE PEINE POSITIVE, PURIFICATRICE DES FAUTES DANS L'AUTRE VIE.

-1º Avant saint Augustin. -1. La passion des saintes Perpétue et Félicité: -Ces saintes subirent le martyre vraisemblablement le 7 mars 203. Les Actes relatant leur passion datent du début du IIIe siècle. On connaît le curieux épisode relatif au jeune Dinocrate. Sainte Perpétue, en prison et déjà condamnée aux bêtes, eut deux visions. Elle vit d'abord son jeune frère Dinocrate, mort peu de temps auparavant, qui essayait de s'approcher d'une fontaine pour y étancher sa soif. Mais la margelle était trop haute pour l'enfant. Elle comprit qu'il était dans un lieu de souffrances et elle pria pour lui sans arrêt. La nuit suivante, Perpétue revoit encore Dinocrate, mais tout brillant de lumière et tout joyeux. La margelle de la piscine était abaissée, et l'enfant pouvait boire. Vidi Dinocraten ... refrigerantem. «Je m'éveillai, continue-t-elle, et je compris qu'il était sorti de peine» translatum esse de poena. L'expression refrigerantem fait naturellement songer aux expressions analogues recueillies dans les inscriptions funéraires et semble être une allusion au purgatoire. C'est en ce sens que la gracieuse vision a été maintes fois interprétée. Un critique catholique contemporain se demande s'il ne vaudrait pas mieux voir, dans le récit de Perpétue, des traces de croyances populaires plus ou moins apparentées à des idées antiques.. Cf. F .-J. Dölger, Antike und Christentum, t. h, fasc.1; Antikeparallelen zum leidenden Dinocrates in der Passio Perpetuae, Munster-en-W., 1932. On trouvera du moins dans l'étude de Dölger, une diligente recension des opinions qui se sont produites. Tixeront et Mgr Chauvin n'hésitent pas à rapporter au purgatoire le récit concernant Dinocrate. Tixeront, Rist. des dogmes, 8e éd., t. l, p. 457; C. Chauvin, Le purgatoire, coll. Science et religion, Paris, 1908, p. 29-30.

2. Tertullien. -Tertullien admet encore qu'après la mort, les âmes descendent aux enfers, pour y attendre la résurrection. Cette conception est en rapport avec les idées millénaristes dont il se faisait le défenseur et continue l'idée empruntée par la théologie grecque au scheôl des Juifs. Mais, dans ces «enfers», les âmes trouvent des peines et des récompenses et comme des arrhes de l'éternité. L'âme n'est elle pas capable par elle-même, indépendamment du corps, de douleur et de joie; elle peut donc éprouver les effets de la justice divine sans attendre d'être réunie au corps. Elle a eu ses actes propres à elle, dont elle doit rendre compte, et les actes qu'elle a eus en commun avec le corps, elle en est la principale responsable puisque à elle en appartient l'initiative.. En définitive, les enfers, pour l'âme, c'est cette prison dont parle l'Évangile (Matth., v, 25-26), dans laquelle il lui faudra payer jusqu'à la dernière obole, c'est-à-dire racheter, par un retard de la résurrection, même ses moindres péchés, novissimum quadrantem modicum quoque delictum mora
resurrectionis illic luendum interpretamur. De anima, c. LVIII, P. L., t. II, 1866, col. 796 C. En termes à peu près identiques, on retrouve, avec la même exégèse de Matth., v, 26, l'allusion à la dernière obole à payer dans l'autre vie. De anima, c. XXXV; De resurrectione carnis, c. XLII, P. L., t. II, col. 753 C, 901 A.

L'idée millénariste qui préside à cette conception est exprimée dans l'Adversus Marcionem. Après les mille années du règne du Christ, les saints ressusciteront, plus tôt ou plus tardivement selon leurs mérites..., et nous serons transportés dans le royaume céleste. L. III, c. XXIV, P. L., t. II, col. 385 A.

La portée dogmatique de ces textes en faveur du purgatoire a été discutée. J.-A. Mason a soutenu que le De anima, c. LVIII, ne contenait pas d'allusion au purgatoire : il ne serait question, dans ce passage, que de tourments pour les futurs damnés, de joies pour les futurs élus, et, si ces derniers souffrent, c'est de n'avoir point part à la première résurrection. Cf. Journal of theological studies, t. III, 1902, p. 598-601. A. d'Alès reconnaît en ces observations une part de vérité, car:
Les âmes des élus comme celles des damnés, trouvent aux enfers les arrhes de leur éternité; de plus, les élus ressuscitent plus ou moins tôt, selon leurs mérites. Nous reconnaissons que la doctrine des arrhes de la résurrection est distincte de celle du purgatoire, mais nous nions que cette dernière soit absente. Il est vrai qu'elle se teinte de millénarisme: Tertullien admet deux résurrections successives, et son purgatoire est préliminaire à la première des deux résurrections; mais cette transposition du dogme ne doit pas faire prendre le change sur sa pensée qui, sur ce point, nous paraît tout à fait catégorique. Les élus devront expier jusqu'aux moindres fautes, avant d'être admis à la première résurrection, et leur millénium s'en trouvera plus ou moins écourté, si même il n'est pas, pour quelques-uns, totalement supprimé. Qu'est-ce que cette attente douloureuse, sinon un purgatoire? La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p.134.

Citons, en terminant, un bref commentaire de I Cor., xv, 50, où Tertullien laisse entendre que si l'âme, auteur des oeuvres de la chair, purifiée par le feu dont parle l'Apôtre, mérite le royaume de Dieu grâce à l'expiation des fautes qu'elle a commises unie au corps, le corps, qui n'a été que son instrument ne saurait demeurer dans la damnation. Adversus Marcionem, 1. V, c. x, P. L., t. Il, col. 529 B.

3. Saint Cyprien. -L'idée millénariste n'a laissé chez Cyprien aucune trace; mais chez lui comme chez Tertullien nous trouvons du purgatoire la chose sans le mot. L'idée du purgatoire se présente chez lui par voie de déduction et d'antithèse. Dans l'écrit Ad Fortunatum de exhortatione martyrii, praef., n. 4, le martyre est appelé baptisma quod nos de manda recedentes STATIM Deo copulat. Hartel, p. 319. Il est donc naturel de conclure que ceux qui ne meurent pas martyrs ne sont pas tous immédiatement réunis à Dieu. Que deviennent-ils en attendant? Saint Cyprien expose sa pensée à ce sujet dans la lettre à Antonien, où il explique que dans l'autre monde différents traitements sont réservés aux âmes, qui cependant finiront toutes par entrer dans le royaume des cieux: «Autre chose est attendre le pardon, autre chose, parvenir à la gloire; autre chose être envoyé en prison pour n'en sortir qu'après la dernière obole payée, autre chose recevoir immédiatement la récompense de la foi et de la vertu; autre chose être débarrassé et purifié de ses péchés par une longue souffrance dans le feu et autre chose avoir effacé toutes ses fautes par le martyre; autre chose enfin être suspendu au jour du jugement à la sentence du Seigneur et autre chose être immédiatement couronné par lui.» Epist., LV, n. 20, Hartel, p. 638. Cette souffrance purificatrice, ce feu d'outre-tombe, ne peuvent être que le purgatoire. Sans parvenir à la netteté d'expression qu'on trouvera dans les âges suivants, Cyprien est déjà en progrès sur Tertullien. Cf. A. d'Alès, La théologie de saint Cyprien, Paris, 1922, p. 35, note 1.

4. Lactance. - Quelques auteurs en appellent au témoignage de Lactance en faveur de la peine du feu purificateur dans l'autre vie. Cf. Atzberger, Geschichte der christlichen Eschatologie innerhalb der vornicänischen Zeit, p. 605; Fr. Schmid, Das Fegfeuer, Brixen, 1905, p. 85. Mais Lactance est un écho de l'eschatologie archaïque des premiers temps, où tout ce qui concerne le sort des défunts est projeté sûr l'unique perspective du jugement final; c'est ainsi que les justes eux-mêmes seront éprouvés par le feu. Institutiones, 1. VII, c. XXI, P. L., t. VI, col. 802 A, Mais cette épreuve n'aura pas lieu immédiatement après la mort: les âmes sont enfermées en attendant que vienne le jugement. Les âmes que le feu du jugement aura épargnées ou purifiées recommencent sur terre une nouvelle vie. Ibid., col. 803 A. Un tel enseignement, tout imprégné de millénarisme et venant après celui de saint Cyprien, ne saurait être retenu comme marquant une étape de la tradition.

5. Saint Hilaire et Zénon de Vérone. - L'influence d'Origène se fait sentir assez peu sur ces deux auteurs. Voici comment, dans leurs conceptions eschatologiques, peut s'encadrer l'idée d'un purgatoire. Pour eux, immédiatement après la mort, les âmes descendent toutes aux enfers, après avoir été soumises à un jugement préalable. Les justes vont se reposer dans le sein d'Abraham, tandis que les coupables sont châtiés par le feu. Cf. Hilaire, In ps. CXXXVIII, n. 22; LI, n.22; CXXII, n. 11; CXX, n. 16; LVII,n. 5,7; II, 11..48, P. L., t. IX, col.. 804 A, 322 B, 673 B, 660 BC, 372 A et 373 A, 290B; Zénon, Tract., 1. I, C., XVI,n. 2; 1. II, C. XXI, n. 3, P. L.,t. XI, col. 372 A, 461 AB. Nous avons ici comme un écho de l'hypothèse des Grecs, d'une dilation de la récompense et du châtiment jusqu'à la fin du monde. Quand viendra la fin du monde, tous les morts ressusciteront. Tous les hommes ne seront pas jugés: les justes non plus que les infidèles et les impies manifestes n'ont pas besoin de jugement: ils sont jugés pour ainsi dire d'avance et ont déjà été traités selon leurs mérites seuls les pécheurs ordinaires, c'est-à-dire les chrétiens ayant mal vécu, seront jugés. Hilaire, In ps. I, n. 15-18 (cf. n. 1-3); LVII, n. 7, P. L., t. IX, col.. 259-261 (cf. col.. 250-252), 373A; Zénon, Tract., l. II, c. XXI,n.1-3; P. L., t. XI, col. 461. Les pécheurs impénitents seront alors cruellement tourmentés en enfer. Hilaire, In Matth., c. v, n. 12; In ps. LIV, n. 14, t. IX, col. 948 C, 354 C; Zénon, Tract., 1.. Il, c. XXI, n. 3, t. XI, col. 461 B. Tout laisse donc supposer qu'une catégorie de pécheurs sera purifiée par le jugement. C'est l'interprétation de Schwane, Hist. des dogmes, trad. fr., t. III, Paris, 1903, p. 256. Et le théologien allemand appuie son interprétation sur le texte In ps. CXVIII, litt. 3, n. 5, P. L., t. IX, col. 519 A. Il semble qu'ici Hilaire connaisse, outre le baptême d'eau, quatre autres baptêmes: la venue du Saint-Esprit (vraisemblablement la confirmation), la purification put le feu du jugement (emundatio puritatis ... quae judicii igni nos decoquat), la mort qui nous délivrera de notre corps grossier et matériel, enfin le martyre. Le feu du jugement, ici comme chez Origène, est déjà, en tant qu'il purifie les pécheurs, une forme archaïque de la croyance au purgatoire. On pourrait invoquer aussi, du même commentaire, le n. 12, col.. 522 C, où Hilaire rappelle que le jugement ne saurait être désirable pour personne, car personne n'est absolument pur devant Dieu, et la moindre parole inutile devra être expiée dans le feu qui s'imposera à nous.

L'influence d'Origène sera plus sensible dans les conceptions de saint Ambroise, de l'Ambrosiaster et de saint Jérôme; mais la doctrine du purgatoire s'y manifestera déjà plus clairement.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:06

6. Saint Ambroise. - L'autorité de saint Ambroise est déjà plus nette. Sans doute sa doctrine des peines purificatrices d'outre-tombe est encore imprégnée d'idées empruntées à la théologie juive et à Origène, mais il est déjà possible d'y retrouver les grandes lignes du dogme chrétien.

Appuyé sur le IVe livre d'Esdras, saint Ambroise place les âmes, au sortir de leurs corps, dans des habitacles, des promptuaria supérieurs, où elles attendent la fin des temps. Mais déjà un jugement s'est exercé sur elles, et leur sort n'est pas identique: alias manet poena, alias manet gloria; et lumen nec illae interim sine injuria, nec istae sine fructu sunt. Il y a donc déjà un commencement de récompense et de punition, les justes jouissant par avance du bonheur qui leur est réservé, les méchants souffrant de la colère de Dieu qu'ils savent devoir encourir, De bono mortis, n. 45-48; cf. De Caïn et Abel, 1. II, n. 35-37, P. L., 1866, t. XIV, col. 588-589, 377. Cette situation néanmoins ne sera pas commune à toutes les âmes sans exception, car il en est qui déjà sont au paradis et unies au Christ, cf. In ps. CXVIII, serm. XX, n.12; In Lucam,1. VII,n. 5; 1.. X, n.12; De excessu fratris, 1. II, n. 94; De fide, 1. IV, D. 8; Epist., XV, n. 4, 8, t. XV, col. 1564 B, 1787 BC, 1.899 BC; t. XVI, col. 1400 C, 644 AB, 997 A, 998 A. Ces âmes sont celles des patriarches, des prophètes, des apôtres, des martyrs des deux Testaments et même de quelques autres personnages du Nouveau.

À la fin du monde, les morts ressusciteront. Saint Ambroise distingue deux et même quatre ou cinq résurrections, la première marquant pour l'âme la reprise réelle du corps, les autres, métaphoriques, désignant l'entrée des élus au ciel ou leurs diverses purifications avant d'entrer définitivement au ciel. La première résurrection est suivie du jugement. Si, en réalité, tous les hommes doivent être jugés, Ambroise cependant, se conformant au langage de son temps, enseigne que ni les justes ni les impies (entendons par impies, les infidèles et les apostats) ne seront jugés, les premiers
n'ayant pas besoin du jugement, les autres étant déjà jugés. Seuls donc seront examinés les pécheurs, c'est-à-dire les chrétiens dont les oeuvres n'ont pas correspondu à la foi. In ps. l, n. 51,54, 56,P. L., t. XIV, col. 995. Ce jugement comporte ou entraîne immédiatement l'épreuve du feu: «Un feu est devant les ressuscités, que tous absolument doivent traverser. C'est le baptême de feu annoncé par Jean-Baptiste, in Spiritu sancto et igne (Matth., III, 1.1); c'est le glaive ardent du chérubin qui garde le paradis et au travers duquel il faut passer: omnes igne examinabuntur; omnes oportet per ignem probari quicumque ad paradisum redire desiderant. OMNES : Ambroise n'excepte pas Jésus-Christ lui-même ni ses apôtres; les saints qui dès maintenant sont entrés au ciel n'y sont entrés qu'à travers le feu du jugement. In ps. CXVIII, serm. III, n. 14-16; serm. XX, n. 12-14; in ps. XXXVI, n. 26, P. L., t. XV, col. 1292-1293, 1564; t. XIV, col. 1026-1027. Seulement l'effet de ce feu sur ceux qui le traversent est fort différent suivant la condition morale où ils se trouvent; si différent que notre auteur, en un passage, distingue deux sortes de feu, proprement purificateur pour les fautes légères, l'autre vengeur pour les fautes plus lourdes et qui se confond avec le feu préparé au diable et à ses anges. In ps. CXVIII, serm. III, n.15-17,P.L., t. XV, col. 1293. Cette distinction cependant n'est pas partout maintenue; cf. In ps. XXXVI, n. 26, t. XIV, col. 1026 C, et l'on peut croire que le même feu, dans ses hauteurs, purifie les justes et, dans ses profondeurs, torture les méchants. Quoi qu'il en soit, tous, avons-nous dit, traversent le feu du jugement. Les impies et les apostats, sacrilegi qui superbi in Deum jactavere convicia, en sont saisis comme par un feu vengeur qui les retient: alii in igne remanebunt ... ministros autemimpietatis ultor ignis exuret; ils sont précipités dans le lac de feu brûlant. In ps. XXXVI, n. 26, t. XIV, col:1026 C. Aux justes parfaits, au contraire, ce feu parait comme une rosée qui les rafraîchit: argent pur, ils ne contiennent pas de plomb à séparer: tels ont été les apôtres : Joanni (evangelistae) cita versabitur igneus gtadius; quia non invenitur in eo iniquitas quem dilexit aequitas. In ps. CXVIII, serm. XX, n. 12, 13, t. xv, col. 1564; cf. In ps., XXXVI, n. 26, t. XIV, col. 1027 A. Quant aux chrétiens ordinaires, ou bien leurs bonnes oeuvres l'emportent sur leurs fautes et leur souffrance du feu de l'épreuve, proportionnée à ces fautes, sera relativement de peu de durée (Dieu a eu soin de les châtier d'avance) et leur délivrance sera prompte: absolutio enim matura sanctorum est... praesto est venia. In ps. CXVIII, serm. XX, n. 22 sq.; Epist., Il, n. 16, t. XV, col. 1568; t. XVI, col. 921 D; ou bien - et ce sont les plus nombreux (cf. In ps. XI, n. 7, t. XIV, col. 1122 C) - leurs fautes l'emporteront sur leurs bonnes oeuvres, et ils partageront, pour un temps du moins, le sort des impies et des apostats: ils seront brûlés du même feu et épurés comme un vil plomb qui ne contient que peu d'argent. In ps. CXVIII, serm. XX, n. 13; serm., III, n. 15, t. xv, col. 1564 BC, 1293 A.

En quoi consisteront proprement leurs tourments? Ils consisteront tout d'abord dans l'exclusion du royaume de Jésus-Christ, dans l'éloignement de Dieu et des élus. In ps. XXXIX, n. 17; De Nabuthe, n. 16,18; De excessu fratris, 1. II, n. 11, t. XIV, col. 1115 B, 770., 771; t. XVI, col. 1375. Mais ils comporteront aussi des peines positives. Dans son commentaire sur saint Luc, 1. VII, n. 204, 205, t. XIV. col. 1844 AB, saint Ambroise, à la suite d'Origène, a expliqué métaphoriquement le feu, les vers, les grincements de dents, les ténèbres extérieures des remords, du désespoir, des obscurités intérieures des damnés. On ne saurait méconnaître cependant qu'ailleurs il a représenté l'enfer comme un lac de feu, et la peine des damnés comme le tourment du feu. In ps. XXXVI, n. 26; De Nabuthe, n. 52; De fide,. 1. II, n. 119, t. XIV, col. 1026 C, 783 A; t. XVI, col. 608 B. Sa pensée sur ce point, manquait sans doute de consistance.

Mais où elle est très consistante, c'est sur la durée respective de ces peines. Pour les démons et les impies, les infidèles et les apostats, cette durée sera éternelle. Ils ne seront pas anéantis, leur châtiment n'aura pas de fin. In ps. I, n. 47 sq.; De bono mortis, n. 41; In ps. CXVIII, serm. III, n. 17; serm., VIII, n. 58; serm. XXI, n. 8; De fide, 1. Il, c. 119; De paenitentia, 1. 1, n. 22; t. XIV, col. 990 BC, 526 D; t. XV, col. 1293 D, 1388 BC, 1582 C; t. XVI, col. 608 B, 493 BC. Pour les simples pécheurs, il en va autrement: la justice à leur égard est mêlée de miséricorde: ils sont loin du salut, mais ils n'en sont pas complètement séparés: «Leur foi les secourra et leur obtiendra leur pardon, bien qu'il y ait de l'injustice dans leurs oeuvres.» Ils seront sauvés par leur foi, sic lumen suivi quasi per ignem. Et c'est pourquoi ils seront brûlés, mais non consumés (si non exurimur, lumen uremur). Omnes enim qui sacrosanctae Ecclesiae copulati, divini nominis appellatione censentur praerogativam resurrectionis et delectationis aeternae gratiam consequentur. In ps. CXVIII, serm. XX, n. 23, 24, 29; serm. XXII, n. 26; In ps. XXXVI, n 26; De excessu fratris, 1. II, n. 116, t. XV, c61.1568, 1569, 1598 C;t. XIV, col. 1026 C; t. XVI, col. 1408BC. Les peines des pécheurs condamnés seront donc seulement temporaires; elles auront une fin. Ambroise en marque-t-il la durée? Oui, d'une manière générale; il écrit: Qui autem non veniunt ad primam resurrectionem, sed ad secundam reservantur, isti urentur donec impleant tempora inter primam et secundam resurrectionem, aut si non impleverint,diutius in supplicia permanebunt. In ps. I, n. 54, P. L., t. XIV, col. 995 A.

Cet enseignement eschatologique, dont nous empruntons le résumé à J. Tixeront, Hist. des dogmes, t. II, p. 345-348, contient, à côté d'hésitations et même d'erreurs héritées d'Origène, tout le dogme du purgatoire et même un commencement d'explication théologique. Sans doute il y a erreur à vouloir sauver tous les croyants, à cause même de leur foi (saint Jérôme lui-même a adopté cette erreur); mais cette longue purification des pécheurs avant leur entrée définitive dans le paradis, voilà bien le purgatoire. Il n'y manque que le mot. La seconde résurrection, avons-nous dit, serait métaphorique et désignerait l'accession des fidèles à la félicité éternelle. C'est ce que laisse entendre le commentaire In Lucam, 1. V, n. 61, P. L., t. XV, col. 1738 AC. La peine des pécheurs durerait donc au moins jusque-là. Au moins, disons-nous: si non impleverint, DIUTIUS in supplicia permanebunt. En sorte que, pour certains, la résurrection compterait quatre ou cinq moments divers. Cf. In ps. I, n. 56; De excessu fratris, 1. II, n.116, t. XIV, col. 995-996; t. XVI, col. 1408BC. La délivrance du corps constitue un premier royaume de Dieu; être avec le Christ après la résurrection en constitue un second, et même dans ce second royaume, il y aura un processus mansionum parce que l'élu n'arrivera que progressivement et graduellement à la pleine possession de sa félicité: Absolulus igitur per Domini crucem ... consolalionem in ipsa possessione (terrae tuae) reperies: consolalionem sequitur delectatio, delectationem divina miseratio. Quem autem Dominus miseretur et vocat; qui vocatur videt vocantem; qui Deum viderit in jus divinae generationis assumitur, tuncque demum quasi Dei filius, caelestis regni divitiis delectatur. Ille igitur incipit, hic repletur. In Lucam, 1. V, n. 61,t. xv, col. 1738 BC. Non seulement les hypothèses sur la nature des peines purificatrices de l'autre vie sont touchées par Ambroise, mais encore la conception d'une ascension progressive vers la béatitude, dont Catherine de Gênes parlera plus tard avec tant d'amour, se retrouve déjà dans les écrits de l'évêque de Milan.

7. L'Ambrosiaster. -La doctrine de l'Ambrosiaster sur la purification d'outre-tombe a beaucoup de points de similitude avec celle de saint Ambroise.

Comme saint Hilaire et saint Ambroise, l'Ambrosiaster partage les hommes en trois catégories: les saints et les justes, qui ont mis d'accord leurs oeuvres et leur foi; les pécheurs, c'est-à-dire les chrétiens, qui, nonobstant leur foi, ont mal vécu, et enfin les impies, apostats infidèles, athées. Tous ressusciteront, mais seuls les pécheurs seront jugés, le cas des autres étant manifeste. Les pécheurs seront condamnés au feu, mais seulement pour un temps. Ils en sortiront, soluto debito. À la différence des impies que le feu tourmentera éternellement, les pécheurs seront purifiés par le feu, et la raison en est qu'il doit leur être utile d'avoir cru au Christ. Cette doctrine est exprimée dans le commentaire sur I Cor., III, 13-15.

Uniuscujusque opus quale sit, ignis probabit ... Si cujus opus arserit, detrimentum patietur. Opus, quod ardere dicitur, mala doctrina est, quae interibit ... Damnum autem pati, est poenas perpeti. Quis enim in poena positus, jacturam non facit? Ipse autem salvus erit, sic tamen quasi per ignem ... Ideo autem dixit: sic tamen quasi per ignem, ut salus haec non sine poena sit; quia non dixit: salvus erit per ignem; sed cum dicit : sic tamen quasi per ignem, ostendit salvum illum quidem futurum, sed poenas ignis passurum; ut per ignem purgatus fiat salvus, et non sicut perfidi aeterno igue in perpetuum torqueatur; ut ex aliqua parte operae pretium sit, credidisse in Christum. P. L., t. XVII, col. 211; cf. In epist. ad Rom., c. v, 14; In epist. II ad Tim., c. II, 20, P.L., t. XVI, col. 99 C, 518D.

Avec l'erreur miséricordieuse du salut de tous les chrétiens, c'est encore la forme archaïque du feu du jugement, inspirée de I Cor., III, 11-15, qui domine la pensée de l'Ambrosiaster. On se tromperait donc étrangement, en jouant pour ainsi dire sur l'expression «purifiés par le feu», si l'on voulait trouver ici mot pour mot la formule des théologiens latins après saint Grégoire le Grand du «feu du purgatoire».

8. Saint Jérôme. - Si farouche adversaire qu'ait été saint Jérôme à l'égard d'Origène (qu'il avait cependant tant admiré avant 394), il n'en est pas moins vrai que Jérôme continue, comme Ambroise et l'Ambrosiaster, à penser que tous les chrétiens, si pécheurs qu'ils soient, seront finalement sauvés. Et c'est là proprement une conception origéniste. C'est la conclusion de son commentaire sur Isaïe, LXVI, 24. Si le démon et les impies, les apostats et les athées doivent souffrir éternellement, les pécheurs chrétiens seront purifiés, et leur sentence au jugement sera mêlée de miséricorde: Et sicut diaboli et omnium negatorum atque impiorum qui dixerunt in corde suo: Non est Deus, credimus aeterna tormenta; sic peccatorum et tamen christianorum, quorum opera in igne pro banda sunt atque purganda, moderatam arbitramur et mixtam clementiae sententiam judicis. P. L., 1866, t. XXIV, col. 704 B. Plus nettement encore, dans Epist., CXIX, n. 7 (vers 406 ): Qui enim tota mente in Christo confidit, etiamsi ut homo lapsus mortuus fuerit in peccato, fide sua vivit in perpetuum. Alioqui mors ista communis et credentibus et non credentibus debetur aequaliter; et omnes pariter resurrecturi sunt, alii in confusionem aeternam, alii, ex eo quod credunt, in sempiternam vitam. P. L., t. XXII, col. 973; cf. Epist., XXXIX, n. 3; In Danielem, VII, 9; In Lucam, XVI, t. XXII, col. 469; t. XXV, col. 556 BC;
t. XXIX, col. 673 D.

9. Saint Paulin de Noie et Prudence. -Peut-être serait-il possible de trouver chez ces deux auteurs quelques allusions à la peine purificatrice du feu dans le jugement futur. Le premier, en effet, exhorte les fidèles à prier Dieu, afin que leurs oeuvres ne soient pas semblables au bois, au foin, à la paille, mais plutôt à l'argent, à l'or, aux pierres précieuses. Il parle de ce feu savant (ignis ille sapiens) par lequel nous passerons pour être examinés; il importe de n'en être pas enveloppé pour subir la punition de sa brûlure. Epist. XXVIII, n. 1,2, P. L., t. LXI, col. 309 BC; cf. XXXVI,n. 2;- col. 351 D. Même pensée dans un poème, VII, ibid., col. 449 D:
Opus per affine curret ignis arbiter,
Quod non cremarit flamma, sed probaverit,
Illud perenni praemio pensabitur;
Quod coneremanda gesserit, damnum feret,
Sed ipse salvus evolabit ignibus
Tamen subusti corporis signis miser
Vitam tenebit ...

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:06

Le poète Prudence a, lui aussi, des vers où il chante «la peine légère qui doit le briller miséricordieusement.» Hamartigenia, v. 966, P. L., t. LIX, col.1078B. Paulin de Noie admettait, lui aussi, que le pécheur croyant serait sauvé en raison de sa foi. Cf. Poema, VII, P. L., t. LXI, col. 450 A.

Conclusion. -De cette première partie de notre enquête chez les Pères latins, nous conclurons que, malgré les obscurités de pensée et les hésitations d'expression, la foi en des peines purificatrices dans l'au-delà est déjà très nettement formulée par les Pères. Sans doute c'est une croyance répandue communément au IVe siècle que tous les chrétiens, si pécheurs qu'ils soient, seront tôt ou tard, en raison de leur foi, réunis à Dieu. Affirmer que cette foi est, en toute hypothèse, la fides caritate formata, comme l'insinue le P. de Groot, Conspectus historiae dogmatum, t. l, Rome, 1931; p. 498, c'est proposer une exégèse quelque peu facile. Ce serait trop beau et les textes ne fournissent aucune base à cette interprétation.

Aussi bien la croyance miséricordieuse des Pères semblait solidement appuyée par I Cor., III, 15; et c'est pourquoi ce texte de saint Paul revient sans cesse à la base de toutes les affirmations sur le sort futur des âmes. C'est dans la foi chrétienne qu'on plaçait la vertu, capable d'opérer le salut de tous ceux qui la professaient. Par cette foi, le chrétien est fondé sur Jésus-Christ, et, quelles que soient les oeuvres inutiles ou mauvaises édifiées sur ce fondement, si le feu doit dévorer les oeuvres, le fondement étant solide, le chrétien lui-même sera épargné.

Un instant de réflexion suffit à nous convaincre que ce feu purificateur du jugement contient implicitement ou mieux constitue sous sa forme première le dogme du purgatoire, aussi bien chez les Latins que chez les Grecs. Sans doute les Latins, jusqu'à la fin du IVe siècle, exagèrent cette doctrine puisqu'ils regardent comme susceptibles d'être purifiés tous les chrétiens pécheurs sans exception. Sans doute aussi l'expression de la doctrine du purgatoire est encore entourée de bien des hésitations héritées des conceptions plus ou moins archaïques touchant l'état des âmes dans l'autre vie. Il faudra donc, pour que la ligne traditionnelle de la doctrine du purgatoire s'affirme plus ferme et plus nette que le génie de saint Augustin vienne, sur ce point, comme sur tant d'autres, imposer la direction de sa lumineuse théologie.

2° Saint Augustin. -Toute l'enquête qui précède montre la part d'exagération contenue dans l'affirmation de Hofmann, selon qui saint Augustin aurait été le premier Père à formuler d'une manière précise la doctrine du purgatoire, simplement insinuée chez les Pères antérieurs. Voir plus loin. L'exposé qui va suivre en montrera la part de vérité. On y verra aussi ce qu'il y a de tendancieux dans l'assertion de J. Turmel, selon qui Augustin n'affirmerait pas le purgatoire et fut simplement, à la fin de sa vie, sur le point de l'accorder. Eschatologie à la fin du IVe siècle, dans Rev. d'hist. et de litt. relig., 1900 (tiré à part, p. 59-61).

1. Précisions apportées par saint Augustin sur l'état des âmes après la mort. -Le premier bienfait apporté par la théologie augustinienne fut de réagir sensiblement contre la théorie si répandue dans les premiers siècles d'une période d'attente pour les âmes avant l'entrée dans le bonheur ou dans le malheur éternels. Sans doute, même avant Saint Augustin, on pourrait trouver, aussi bien chez les Grecs (voir ici JUGEMENT, t. VIII, col. 1786-1787), que chez les Latins (col. 1796, et ci-dessus, col. 1215 au bas), des textes montrant que les âmes sont en possession du bonheur ou du malheur éternels aussitôt après le jugement particulier. Néanmoins il reste encore un certain flottement dans la pensée de beaucoup de Pères concernant le séjour des âmes et la plénitude de la récompense des élus ou de la punition des damnés. Tout en demeurant encore à bonne distance de nos précisions actuelles, la théologie d'Augustin apporte sur ce sujet difficile des lumières qui orientent la pensée chrétienne vers les solutions définitives. Pour saint Augustin, aussitôt après la mort, le sort éternel est fixé, et les âmes criminelles sont enfermées dans un lieu de tourments, et les âmes justes dans un séjour de repos et de bonheur: les damnés souffrent déjà du feu infernal, et les élus jouissent de la vision de Dieu. Il ne s'agit pas de restreindre cette vision aux seuls martyrs; si Augustin parle spécialement des martyrs, c'est qu'à eux principalement il appartient de régner avec Jésus-Christ. Mais les autres saints sont dans la même paix qu'eux. Paradis et sein d'Abraham ne sont qu'une façon de parler pour désigner une des nombreuses demeures du ciel. Sur tous ces points, voir AUGUSTIN (Saint), t. 1, col. 2444-2447. Là où la théologie d'Augustin est encore en hésitation, c'est sur la question de l'apport réalisé à la résurrection, pl\r le fait de la reprise du corps par l'âme
au bonheur ou au malheur éternels. «À la résurrection supplices et récompenses des âmes recevront, d'après Augustin, un complément bien plus substantiel que la théologie ne l'enseignera plus tard, et c'est là, croyons-nous, la différence essentielle entre sa théorie et l'enseignement commun.» Col. 2447.

Il n'en reste pas moins vrai que la perspective d'un jugement purificateur après la résurrection générale se trouve nettement brisée. C'est après le jugement particulier qu'il conviendra désormais de chercher l'époque des peines purificatrices. Mais encore faudra-t-il dissiper les équivoques fondées sur l'interprétation de I Cor., III, 15. Ce sera le deuxième service rendu à la théologie du purgatoire par l'évêque d'Hippone.

2. L'interprétation miséricordieuse de I Cor., III, 11-15, rejetée par saint Augustin. -Nous avons entendu les partisans du salut de tous les chrétiens invoquer I Cor., III, 11-15, en faveur de leur opinion; pour être sauvé, il suffit de demeurer dans l'unité catholique, car ainsi l'on conserve le Christ comme fondement. Augustin connaît cette opinion. De civ. Dei, 1. XXI, c. XXI, XXVI, P.L., t. XLI, col. 734, 743. D'autres, ajoute Augustin, considèrent que la foi seule procure le salut, quelles que soient les oeuvres. Ibid., 1. XXI, c. XXVI, n. 1, col. 743; De fide et operibus, n. 24, t. XL, col. 213. Sans doute la sentence du jugement dernier concerne les oeuvres; mais le feu éternel qu'elle comporte ne concerne pas les chrétiens. De fide et operibus, n. 25, col. 214. À cette argumentation des miséricordieux, Augustin réplique que le Christ lui-même a voulu dissiper toute équivoque; n'a-t-il pas ajouté, en parlant des méchants, coupables d'oeuvres mauvaises: sic ibunt illi in combustionem aeternam? Matth., XXV, 46. Donc il faut conclure que leur combustion sera éternelle comme le feu, erit ergo aeterna combustio, sicut ignis. De fide et operibus, loc. cit.

D'autres arguments montrent bien l'insuffisance de I Cor., III, 11-15, pour prouver la thèse miséricordieuse. D'autres textes, en nombre impressionnant, indiquent clairement la nécessité des oeuvres pour le salut: insuffisance de la foi sans les oeuvres, proclamée par saint Jacques, II, 14; nécessité d'une conscience pure pour que le baptême produise le salut, I Pet., III, 21; inutilité de la foi en l'absence de la charité, I Cor., XIII, 2-3; exclusion des criminels de toute espèce du royaume de Dieu, 1 Cor., VI, 9,10; Gal., v, 19-21; enfin nécessité, proclamée par Jésus-Christ lui-même d'observer les commandements. Matth., XIX, 17. D'ailleurs, dans la sentence du jugement dernier, Jésus-Christ ne reproche pas aux damnés de n'avoir pas cru en lui, mais de n'avoir pas accompli les bonnes oeuvres. En conséquence, I Cor., III, 15, ne doit pas être interprété dans le sens que lui donnent les miséricordieux. De fide et operibus, n.26, col. 214. Ailleurs saint Augustin fait observer que ce feu doit éprouver tous les hommes sans distinction, bons et méchants; les parfaits eux-mêmes doivent le traverser pour parvenir au salut. Il n'est donc pas possible de l'identifier avec le feu de l'enfer. Enchir., c. LXVIII, t. XL, col. 264; cf. De civ. Dei., 1. XXI, c. XXVI, n. 3, t. XLI, col. 744.

Que sera donc ce feu? C'est ici que commence la partie constructive de la doctrine de saint Augustin. Pour l'exposer objectivement, il faut séparer nettement ce qui est présenté comme certain, ce qui est présenté comme possible ou vraisemblable.

3. L'existence de peines purificatrices dans l'autre vie est, pour Augustin, une vérité absolument certaine. -Dans ses différentes explications sur le feu, instrument du salut annoncé par saint Paul, I Cor., III, 13-15, saint Augustin considère toujours que le bois, le foin, la paille, symbolisent des attachements coupables, sans doute, mais non cependant au point de faire passer Jésus-Christ après les biens terrestres. De fide et operibus, n. 27, 28, t. XL, col. 215, 216; Enchir., c. LXVIII, col. 264; De civ. Dei, 1. XXI, c. XXV, n. 2, t. XLI, col. 744. Il y a donc des fidèles qui, tout en gardant l'essentiel des préceptes de Jésus-Christ, sont trop attachés aux plaisirs des sens et aux affections permises. Id., Ibid.; Enchir., c. LXVIII, col. 264. Ce sont de tels chrétiens qui ont besoin de miséricorde, et ils n'en sont pas indignes. De civ. Dei., 1. XXI, c. XXIV, n. 2; Enchir., c. CX, col. 283.

Ces chrétiens, entachés d'une culpabilité qui cependant n'est pas suffisante pour entraîner leur damnation, devant expier, avant le jugement dernier, soit en ce monde, soit dans l'autre, leur trop grand attachement aux biens terrestres. Voilà ceux qui seront sauvés quasi per ignem, c'est-à-dire après avoir subi différentes peines: temporarias poenas alii in hac vita tantum, alii post mortem, alii et nunc et tunc, verumtamen ante judicium illud severissimum novissimumque patiuntur. De civ. Dei, 1. XXI, c. XIII, t. XLI, col. 728. On le voit, il ne s'agit plus d'une expiation au jugement même, mais antérieure au jugement; assertion très ferme chez Augustin et qu'il renouvelle plus loin sans l'ombre d'hésitation, c. XVI, col. 731. Plus nettement encore, c. XXIV, n. 2, col. 738, il affirme que ces peines, souffertes par les âmes des défunts, leur obtiendront, au jugement,miséricorde ut in ignem non mittantur aeternum.

Ainsi donc, après la mort, l'âme coupable devra subir, selon la nature de sa culpabilité, l'une ou l'autre peine: vel ignem purgationis, vel poenam aeternam. De Genesi contra Man., c. XX, n. 30, P. L., t. XXXIV, col. 212. Aussi Augustin demande-t-il à Dieu pour lui-même de le purifier en cette vie, pour n'avoir pas à souffrir après la mort le feu purificateur, emendatorio igne. In ps., XXXVII, n. 3, P. L., t. XXXVI, col. 397. C'est toujours d'ailleurs I Cor., III, 13-15, qui inspire ainsi sa pensée et lui fait distinguer du feu des damnés le feu qui sert d'expiation pour les justes, emendabit eos qui per ignem salvi erunt. Id., ibid.

4. La nature du feu purificateur est encore, pour Augustin, incertaine. -Jusqu'ici, il est bien acquis, contre les miséricordieux, que le texte de saint Paul, quasi per ignem, ne saurait concerner que les fautes plus ou moins légères. C'est tans conteste, d'un feu purificateur qu'il est ici question. Mais de quelle nature est ce feu? Saint Augustin reste hésitant sur la réponse exacte à donner. Ordinairement, il s'attache au sens métaphorique: Feu des épreuves et des châtiments de cette vie? De civ. Dei, 1. XXI, C. XXVI, P. L., t. XLI, col. 743; De fide et oper., n. 27, t. XL, col. 216. C'est ainsi que, par rapport aux objets symbolisés par le bois la paille, le foin, ce feu est «une douleur purifiante, qui résulte nécessairement de la perte (de ces) objets, non pas certes préférés à Jésus-Christ, mais tout de même aimés avec excès». A. Lehaut, L'éternité des peines de l'enfer dans saint Augustin, Paris, 1912, p. 69. Est-ce la mort avec ses douleurs et ses séparations inévitables? De civ. Dei, 1. XXI, c. XXVI, n. 4, t. XLI, col. 745; Enchir., c. LXVIII, P. L., t. XL, col. 264. Ainsi, «le feu, ce n'est plus la souffrance causée par la perte de biens temporels, mais cette perte elle-même qui effectivement laisse intacts les édifices d'or, d'argent, de pierres précieuses, c'est-à-dire les trésors de pensées divines, tandis qu'elle détruit les édifices de bois, de foin, de paille, c'est-à-dire les affections purement terrestres, mais exemptes d'un caractère criminel qui arracherait l'âme du fondement qu'est le Christ». Lehaut, ibid.

Mais la pensée d'Augustin sur ce point n'est ni ferme ni définitive: d'autres interprétations lui paraissent possibles. De civ. Dei., 1. XXI, c. XXVI, n. 2, P. L., t. XLI, col. 744. Aussi peut-être existe-t-il, entre la mort et le jugement, un feu réel qu'on peut concevoir à la manière du feu de l'enfer. De civ. Dei., lac. cit., n. 4, col. 745. Non redarguo, quia forsitan verum est, déclare saint Augustin. Nous l'avons déjà entendu d'ailleurs désigner les peines d'outre-tombe par les expressions ignis purgationis, ignis emendatorius. L'expression ignis purgatorius, qui va désormais avoir droit de cité dans la théologie catholique, est employée dans l'Enchiridion, c. LXIX, t. XL, col. 265. C'est la dernière explication probable que le grand évêque donne de quasi per ignem. Il vient de parler des purifications possibles en cette vie par l'épreuve de la tribulation, et il ajoute: Tale aliquid etiam post hanc vitam fieri, incredibile non est, et utrum ita sit, quaeri potest et aut inveniri aut latere, nonnullos fideles per ignem quemdam purgatorium, quanta magis minusve bona pereuntia dilexerunt, tanto lardius citiusque salvari, non tamen tales, de quibus dictum est, quod regnum Dei non possidebunt, nisi convenienter paenitentibus eadem crimina remittantur. Et si quelque purification est encore nécessaire au moment du jugement, le «feu du jugement» achèvera cette purification en certaines âmes: igne judicii novissimi mundabuntur. De civ. Dei, 1. XX, c. XXVI, n. 1, t. XLI, col. 701.

Pour être bien comprise, la pensée d'Augustin doit être rétablie dans sa synthèse générale. Il apparaît ainsi, d'une part, qu'Augustin tient comme très certaines les peines purificatrices de l'autre vie; d'autre part, qu'il est très hésitant sur la nature même de ces peines : sa pensée oscille entre le feu métaphorique et le feu réel. Ce sera, somme toute, la position qu'adoptera l'Église elle-même en proposant aux fidèles la croyance au purgatoire.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:07

5. Questions secondaires. -Saint Augustin a exprimé sa pensée sur l'intensité des peines purificatrices de l'autre vie. Il ne faut pas se faire illusion: elles dépasseront toutes les douleurs de la terre. Parce que l'Apôtre a dit: salvus erit ..., on méprise ce feu. Mais prenez garde: ita plane quamvis salvi per ignem, gravior tamen erit ille ignis, quant quidquid potest homo pati in hac vita. Et Augustin ajoute: Et nostis quanta hic passi sunt mali et possunt pati. In ps. XXXVII, n. 3, t. XXXVI, col. 397.

La durée du purgatoire ne peut être conçue au delà du jugement dernier. La sentence finale ne connaît plus que les élus et les réprouvés. De civ. Dei, 1. XXI, c. XIII, t. XLI, col. 728; cf. c. XVI, col. 730. Et nous avons déjà vu que, si certaines âmes ont encore besoin de purification à ce moment, elles seront purifiées complètement par le feu du jugement. Augustin fait appel à ce sujet à l'autorité de Malachie, III, 1-6, et d'Isaïe, IV, 4: videtur evidentius apparere in illo judicio quasdam quorundam purgatorias poenas futuras. De civ. Dei, 1. XX, c. XXV, col. 700.

Enfin, l'état des âmes du purgatoire est suffisamment indiqué par Augustin au cours de toutes ses explications du quasi per ignem. Ce sont des âmes qui ont encore à expier, mais qui néanmoins ont gardé ou recouvré la grâce de Dieu. Dans l'Enchiridion, c. CX, P. L., t. XL, col. 283, il redit que ceux-là seuls sont soulagés par les prières de l'Église, qui ont mérité durant leur vie, d'être aidés par les suffrages des vivants. Cf. De octo Dulc. quaest.,q. II; P. L., t. XL, col. 157-158. Enfin, il signale expressément que les enfants baptisés, morts avant d'avoir commis des fautes personnelles, sont délivrés non seulement de l'enfer, mais de toute peine purificatrice: non solum poenis non praeparetur aeternis, sed ne ulla quidem post mortem purgatoria tormenta patiatur. De civ. Dei, l. XXI, C. XVI, P. L., t. XLI, cel. 730.

3° Après saint Augustin. - 1.Le cadre de l'enseignement. -La grande autorité de saint Augustin a réduit les perspectives eschatologiques à leurs exactes proportions. Désormais l'idée d'une rétribution repoussée jusqu'à l'époque du jugement dernier est bannie de l'enseignement commun des auteurs. Seul Cassien fait encore exception, n'accordant aux âmes, avant le jugement général, qu'un avant-goût de ce qui les attend après. Collationes, 1. I, C. XIV, P. L., t. XLIX, col. 503 B. La doctrine commune est ainsi formulée par saint Césaire d'Arles: «Quand le corps, pour lequel nous avons tant de complaisance, commence à être dévoré par les vers dans le tombeau, l'âme est présentée à Dieu par les anges dans le ciel; et là déjà, si elle est juste, elle sera couronnée, ou, si elle est pécheresse, elle sera projetée dans les ténèbres.» Serm., CCCI, n. 3, P. L., t. XXXVIII, col. 1382. Cf. Gennade, De eccles. dogmat., c. LXXIX, P. L., t. LVIII, col. 998 C; saint Grégoire, Moral., 1. IV, n. 56; 1. XIII, n. 48; In evangel., homo XIX, n. 4; Dialog., 1. IV, c. XXVIII, P. L., t. LXXV, col. 666, 1037, 1156; t. XXXVI, col. 365; saint Isidore, Sentent., 1. I, c. XIV, n. 16, P. L., t. LXXXIII, col. 568; saint Julien de Tolède, Prognosticon, 1. I, C. XIII, P. L., t. XCVI, col. 468; saint Bède le Vénérable, Hist. eccl., 1. V, c. XII, P. L., t. XCV, col. 250.

Tout naturellement la doctrine du purgatoire s'insère entre le moment du jugement particulier et l'entrée au ciel des âmes justes. Il semble que les hésitations de saint Augustin sur la nature du feu disparaissent et que les auteurs envisagent un feu réel, analogue à celui de l'enfer. Nous arrivons ainsi par eux à la conception latine, telle que nous la trouverons systématisée chez les théologiens du Moyen Age.

2. Saint Césaire d'Arles. -L'enseignement de saint Césaire est en corrélation avec sa doctrine sur les péchés. Césaire distingue deux sortes de péchés: les péchés capitaux (capitalia) et les péchés menus (minuta). Des uns et des autres il dresse même une liste détaillée. Voir CÉSAIRE D'ARLES, t. II, col. 2180.

Les péchés capitaux non pardonnés conduisent infailliblement l'âme en enfer. Cf. col. 2182. Mais les péchés menus n'empêchent pas l'entrée de l'âme au ciel: ils doivent simplement être auparavant expiés, soit sur cette terre par les bonnes oeuvres, soit dans l'autre vie par les peines du purgatoire. L'enseignement de Césaire sur ce point est très net et très ferme. Commentant I Cor., III, 15, il écrit:
Ceux qui comprennent mal ce texte se laissent tromper par une fausse sécurité. Ils croient que, édifiant sur le fondement du Christ des crimes capitaux, ces péchés pourront être purifiés en passant à travers le feu et qu'ainsi ils pourront parvenir ensuite à la vie éternelle. Corrigez, mes frères, cette manière de comprendre: se flatter d'une pareille issue, c'est se tromper lourdement. Dans ce feu de passage (transitorio igne), dont l'Apôtre a dit: lui-même sera sauvé, mais comme à travers le feu, ce ne sont pas les péchés capitaux, mais les péchés menus qui seront purifiés... Bien que ces péchés, selon notre croyance, ne tuent pas l'âme, ils la défigurent... et ne lui permettent de s'unir à l'époux céleste qu'au prix d'une extrême confusion... C'est par des prières continuelles et des jeûnes fréquents, que nous parvenons à les racheter..., et ce qui n'a pas été racheté par nous devra être purifié dans ce feu dont l'Apôtre a dit: (l'ouvrage de chacun) sera révélé par le feu; ainsi le feu éprouvera l'oeuvre de chacun. I Cor., III, 13... Ainsi donc, pendant que nous vivons en ce monde, mortifions-nous..., et ainsi ces péchés seront purifiés en cette vie, de telle sorte que, dans l'autre, ce feu du purgatoire ou ne trouve rien ou ne trouve en nous que peu de chose à dévorer. Mais, si nous ne rendons pas grâces à Dieu dans nos afflictions et si nous ne rachetons pas nos fautes par de bonnes oeuvres, il nous faudra demeurer dans le feu du purgatoire aussi longtemps que nos péchés menus l'exigeront pour être consumés, comme du bois, du foin et de la paille.
Que personne ne dise: Que m'importe de demeurer au purgatoire si je dois ensuite parvenir à la vie éternelle! Ah! ne parlez pas ainsi, très chers frères, car ce feu du purgatoire sera plus pénible que toute peine que nous pouvons concevoir, éprouver et sentir en ce monde... Serm. CIV, n. 1 sq., P. L., t. XXXIX, col. 1946-l948.

Le sermon se continue par des exhortations à la pénitence et pour les péchés graves, dont les flammes éternelles ne nous purifieraient jamais (n. 2, col. 1946), et pour les péchés menus, afin de ne pas, demeurer longtemps dans la souffrance avant d'entrer sans tache et sans rouille, dans la vie éternelle. Ibid., n. 5, col. 1947-1948,

Dans un autre sermon (CCLII, n. 3, col. 2212), Césaire applique au feu purificateur de l'autre vie le «fleuve de feu» dont parle Daniel, VII, 10, en rapprochant cette expression de I Cor., III, 15: plus nos péchés fourniront de matière au feu, et plus notre séjour en ce feu sera long. Quanta fuerit peccati materia, tanta et pertranseundi mora; quantum exegerit culpa, tantum sibi ex homine vindicabit quaedam flammae rationabilis disciplina. L'âme non encore purifiée est semblable à la marmite vide, qu'Ézéchiel commande de placer sur des charbons ardents afin qu'elle soit dégagée de sa rouille. Ez., XXIV, 11.

On voit en quel sens réaliste a évolué la tradition latine en ce qui concerne la nature des peines purificatrices de l'autre vie!

3. L'auteur inconnu du De vera et falsa paenitentia (qui est certainement d'une époque bien postérieure, voir PÉNITENCE, col. 911) rappelle à celui qui cherche au moment de la mort une pénitence vraie qu'il doit s'attendre à trouver la miséricorde divine plus grande encore que sa propre iniquité. Mais, même si sa conversion lui rend la vie (de la grâce), on ne peut lui promettre d'échapper à toute peine, car «il lui faudra auparavant être purifié dans le feu du purgatoire, qui reporte dans l'autre vie le fruit de la conversion. Bien que ce feu ne soit pas éternel, il est néanmoins remarquablement douloureux et la souffrance qu'on endure par lui dépasse tout ce qu'on peut souffrir ici-bas.» N. 17, 18, P. L., t. XL, col. 1118.

4. Saint Grégoire le Grand. -Avec lui l'évolution de la théologie du purgatoire est terminée. Ses oeuvres fournissent sur le sujet une abondante littérature.

Les Dialogues posent directement la question: Faut-il croire à un feu du purgatoire après la mort? La réponse est nettement affirmative: il faut admettre un feu purificateur pour effacer les petites fautes. La Vérité a déclaré que celui qui blasphémerait contre l'Esprit-Saint ne verrait son péché remis ni en ce monde ni dans l'autre, Matth., XII, 31-32, nous laissant entendre que certaines fautes peuvent être remises sur terre, d'autres même dans l'autre vie. Mais un tel traitement est réservé aux petits péchés ou aux péchés graves qui comportent une erreur d'ignorance. Cette croyance au purgatoire s'appuie également sur l'affirmation de saint Paul, I Cor., III, 15. Grégoire pense qu'il est difficile d'entendre ce feu du feu de la tribulation présente; il s'agit donc d'un feu purificateur futur. Celui-là sera sauvé par ce feu, qui aura édifié sur le fondement (du Christ) non du fer, de l'airain ou du plomb, c'est-à-dire des péchés plus graves et donc une matière trop dure pour être fondue par le feu, mais du bois, du foin et de la paille, c'est-à-dire des péchés légers que le feu consume facilement. Dial., 1. IV, c. XXXIX, P. L., t. LXXVII, col. 396. Plus loin saint Grégoire confirme son enseignement en rapportant avec une singulière complaisance certaines révélations privées sur. le sort d'âmes tourmentées dans le feu, où visiblement l'imagination se donne libre carrière. Cf. c. LV, col. 420. On trouve également des allusions directes au «feu du purgatoire», ignis purgationis, dans l'Expositio in septem psalmos paenitentiales, 1 (ps. VI, 1) et dans le commentaire sur le Ier livre des Rois, c. II, n. 26, 27, deux oeuvres attribuées à Grégoire le Grand,
mais certainement apocryphes, P. L., t. LXXIX, col. 553, 123.

Il est intéressant d'ailleurs de constater que, pour saint Grégoire, le fait de n'être point réunie à Dieu constitue déjà, pour l'âme séparée du corps, une sorte de châtiment: sunt quorumdam justorum animae quae a caelesti regno quibusdam adhuc mansionibus differuntur; in quo dilationis DAMNO quid aliud innuitur, nisi quod de perfecta justitia aliquid minus habuerunt? Dial., 1. IV, c. XXV, P. L., t. LXXVII, col. 357. C'est déjà, esquissée d'un mot, la distinction appliquée par la théologie postérieure aux peines du purgatoire, peine du dam et peine du sens.

D'autres questions subsidiaires sont agitées par Grégoire; nous n'en retiendrons ici qu'une, qui prélude aux investigations curieuses des théologiens: De quelle nature sera ce feu purificateur? Comment pourra-t-il s'alimenter? Comment brûlera-t-il sans consumer? Pour Grégoire, le feu atteindra l'âme tout en brûlant le corps (il s'agit évidemment du feu de l'enfer, mais celui du purgatoire est de même nature). Ce feu de la géhenne est corporel, sans quoi il ne serait pas un feu véritable. Mais il n'est allumé par aucune industrie humaine et n'a pas besoin d'être alimenté par du bois. Créé une fois pour toutes par Dieu, il dure inextinguible et n'a besoin d'aucun entretien pour conserver toute son ardeur. Moral., 1. XV, c. XXIX; cf. c. LXVI, P. L., t. LXXVI, col. 1094, 1915-1916. Quant à l'âme séparée, «nous disons qu'elle est saisie par le feu, quand elle est dans le tourment du feu et en le voyant et en le sentant». Dial., 1. IV, c. XXIX, P. L., t. LXXVII. col. 365. Ce n'est pas seulement en voyant le feu, mais en expérimentant son ardeur que l'âme souffre, non solum videndo, sed etiam experiendo. D'ailleurs, Grégoire glisse rapidement sur le problème, car il conclut aussitôt: «Si le diable et ses anges, incorporels qu'ils sont, doivent être torturés par un feu corporel, quoi d'étonnant que les âmes avant d'être réunies à leurs corps, puissent sentir les tourments corporels?» Col. 368.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:07

5. Les docteurs espagnols de l'époque font écho à saint Grégoire.

Saint Taïon, évêque de Saragosse, reprend l'interprétation de I Cor., III, 15, favorable au feu du purgatoire, tout en concédant que l'expression ignis désigne ici le feu de la conflagration. Il rappelle l'exégèse apportée par saint Grégoire: les péchés légers seuls sont désignés par le bois, le foin, la paille; car, pour symboliser les péchés graves, il faudrait prendre le fer, l'airain, le plomb. Enfin, dernière précision, qui est un écho de la doctrine de saint Augustin, ne profiteront du feu purificateur que ceux qui l'auront mérité pendant leur vie mortelle. Sent., 1. V, c. XXI, P. L., t. LXXX col. 975 BD.

Saint Isidore de Séville s'étend assez longuement sur la nécessité morale d'un purgatoire. Plusieurs textes scripturaires indiquent que seuls entreront directement dans le royaume des cieux ceux qui auront souffert ici-bas, cf. Matth., v, 3; v, 10, ou auxquels aura été appliqué le pouvoir de lier et de délier. Matth., XVIII, 18. Donc ceux qui, sans se séparer du Christ, se seront quelque peu éloignés de lui (longiuscule) devront avant d'entendre la sentence du juge, venite benedicti, être purifiés. Il y aura donc une purification dans l'au-delà, cf. Marc., III, 29, une sorte de baptême par le feu. Matth., III, 11. Isidore applique la première partie de Luc., III, 17, à l'épreuve du purgatoire, insistant sur la différence du baptême par le feu et de la combustion par le feu: aliud est enim igne baptizari, aliud igne comburi inexstinguibili. Le feu de la géhenne de Matth., V, 22, n'est que le feu du purgatoire, celui dont parle saint Paul, I Cor., III, 15. De ordine craeturarum, c. XIV, P. L., t. LXXXIII, col. 947-948. Interprétant comme Grégoire le bois, le foin, la paille des péchés légers, crimina non principalia, quae non multum nocent, Isidore nous donne de ces péchés un certain nombre d'exemples colères, négligences dans la prière, paroles inutiles, usage immodéré du mariage, gourmandise, levers tardifs, etc. Ibid., n. 11, col 949. Notre auteur se demande si les pénitents qui reçoivent la réconciliation à l'article de la mort, reçoivent alors la pleine rémission de leurs fautes, de telle sorte qu'ils soient dispensés de passer par le feu purificateur. Ipse scit, répond-il, qui, renes et corda conspiciens, paenitentiae dignitatem considerat. Ibid., n. 12, col. 949 C. Enfin, la peine du purgatoire est une peine plus grave, plus acerbe, plus longue que n'importe quelle peine qu'on puisse concevoir sur terre. Ibid., n. 12, col. 950 A.

Julien de Tolède reprend pour son compte cette dernière assertion, mais il se réfère à Augustin. Il invoque l'autorité de saint Grégoire pour affirmer l'existence d'un feu purificateur des fautes légères avant le jugement. À la suite d'Augustin, il distingue donc entre le feu de l'enfer, réservé à ceux à qui le Christ dira: «Retirez-vous de moi, maudits, dans le feu éternel», et le feu du purgatoire, créé pour ceux qu'il doit sauver. L'autorité d'Augustin l'incite aussi à confesser que ce feu du purgatoire existera avant le jugement dernier et précédera cet autre feu dans lequel les impies seront plongés par le jugement du Christ. Il est peut-être encore plus intéressant de souligner la différence dans l'intensité et la durée des peines du purgatoire: puto quod sicut non omnes reprobi, qui in aeternum ignem damnandi sunt, una eademque supplicii qualitate ardebunt, sic omnes, qui per graves purgatorias poenas salvi esse creduntur, non uno eodemque spatio temporis cruciatus spirituum sustinebunt, ut quod in reprobis discretione poenarum, hoc in istis, qui per ignem salvandi sunt, mensura temporis agitetur. Prognostica ..., 1. II, c. XIX-XXIII, P. L., t. XCVI, col. 483-486.

6. Bède le Vénérable. - Dans les oeuvres de ce docteur, deux genres de textes sont à relever. Les uns, empruntés aux oeuvres exégétiques, font écho à l'enseignement doctrinal des Pères précédents. D'autres, tirés de l'Histoire ecclésiastique, s'attachent au récit de certains faits merveilleux, lesquels n'ont vraisemblablement pas de fondement bien sérieux. Ces récits, du moins, témoignent de l'état d'esprit des chroniqueurs concernant la notion du purgatoire. On peut d'ailleurs en dire autant des anecdotes dont saint Grégoire a émaillé ses Dialogues.

Au point de vue doctrinal, Bède est un disciple de Grégoire. Dans le Commentaire sur les psaumes (oeuvre d'authenticité douteuse), au ps. XXXVII, 1, on distingue ceux qui seront repris par Dieu dans sa fureur, c'est-à-dire ceux qui n'auront pas construit l'édifice de leur vie sur le Christ, et ceux qui seront repris par Dieu dans sa colère, c'est-à-dire ceux qui auront bâti leur édifice sur le fondement du Christ, mais auront mêlé à l'or, le bois, la paille, le foin, c'est-à-dire auront commis des péchés véniels, plus ou moins considérables. Ceux-ci seront donc repris par Dieu dans sa colère, c'est-à-dire seront, avant le jugement dernier, placés dans le feu du purgatoire, afin que soit purifié tout ce qui en eux est impur. P.L., t. XCIII, col. 680. Comme les auteurs précédents, Bède pense que les peines du purgatoire sont plus graves que tout ce qu'on peut imaginer. Ibid., col. 681 B. Voir également Hist. eccl., 1. III, c. XIX, P. L., t. XCV, col. 147.

Sur la durée du purgatoire, Bède sait qu'après le jugement dernier il n'y aura plus de purgatoire. Mais il estime que, si leur peine n'est pas abrégée par les prières, les aumônes et les suffrages des vivants, certaines âmes resteront en purgatoire jusqu'à ce jugement; de ce nombre sont en particulier les âmes qui n'ont fait pénitence qu'au moment de la mort. Hom., I, n. 4, P. L., t. XCIV, col. 30; cf. Hist. eccl., 1. V, c. XII, P. L.,t. XCV, col 250.

Dans ce chapitre de son Histoire ecclésiastique, Bède rapporte la vision d'un chrétien mort, puis ressuscité, à qui le purgatoire et l'enfer ont été montrés. Le purgatoire renferme deux lieux différents. Dans l'un, à côté de tourbillons de flammes dévorantes, souillent en ouragans la neige et les frimas: les âmes vont des flammes à la glace, sans trouver jamais de repos. Ces âmes sont «les âmes de ceux qui, différant la confession de leurs fautes et remettant sans cesse leur amendement, se réfugient cependant dans la pénitence au moment même de la mort et quittent leurs corps en cet état. Ceux-là cependant, parce qu'ils se sont confessés ou tout au moins repentis à l'heure de la mort, parviendront tous au royaume des cieux au jour du jugement.» L'autre lieu est un lieu agréable et fleuri. «Là sont rassemblées les âmes de ceux qui meurent ayant accompli de bonnes oeuvres, mais qui cependant ne sont pas assez parfaits pour entrer immédiatement dans le royaume des cieux. Tous cependant, au jour du jugement, entreront dans la joie du royaume céleste et seront admis à la vision du Christ. Et tous ceux qui sont parfaits en toute parole, oeuvre ou pensée, parviennent, aussitôt leur âme séparée du corps, au royaume céleste.» P. L., t. XCV, col. 250.

On trouve là déjà comme un avant-goût des spéculations théologiques postérieures sur l'inégalité des peines du purgatoire, intensité et durée.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:08

7. Du VIIIe au XIIe siècle. -Nous avons déjà indiqué les auteurs qui durant ce laps de temps, ont continué, sur les peines du purgatoire, l'enseignement traditionnel de l'Église latine. Voir FEU DU PURGATOIRE, t. v, col. 2259. Il n'en est peut-être aucun qui ne s'appuie sur I Cor., III, 15, pour y trouver, soit directement, soit indirectement, mais le plus souvent directement, l'enseignement d'un feu purificateur dans l'autre vie. Pour un certain nombre même, c'est là tout leur enseignement: citons Remi d'Auxerre, Rathier de Vérone, Burchard de Worms, Rupert de Deutz, Hildebert du Mans. Saint Bruno invoque également II Pet., III, 10-12, et Bruno de Segni, Matth., XII, 31-32. Hildebert du Mans est vraisemblablement le premier qui ait employé l'expression: «le purgatoire». Serm., LXXXV, P. L., t. CLXXI, col. 741. Plusieurs ajoutent à cette idée centrale l'affirmation du soulagement des âmes souffrantes par les suffrages: ainsi saint Boniface de Mayence, Gérard de Cambrai.

Si les autres auteurs sont un peu plus explicites, ils manquent en général d'originalité.

Alcuin reconnaît que I Cor., III, 15, se rapporte au feu du jugement; mais il pense qu'on peut y voir le feu du purgatoire. C'est ce feu qui séparera les justes des impies, les justes encore entachés de menus péchés. De plus les mérites divers des justes (auxquels répondent les multae mansiones de l'Évangile) appellent divers degrés de purification. De fide SS. Trinitatis, 1. III, c. XXI, P. L., t. CI, col. 53.

Raban Maur, après avoir invoqué en faveur du purgatoire le texte de Matth., III, 11, donne de I Cor., III, 13-15, une interprétation plus complète. Bien qu'on puisse entendre ce feu du feu de la tribulation, on peut l'appliquer au feu du purgatoire qui fera la séparation des justes, comme l'insinue Luc., III, 17. In Matth., 1. I, C. III, P. L., t. CVII, col. 773. Toutefois, dans son commentaire sur I Cor., III, 15, l'auteur observe que le feu doit éprouver même les justes complètement innocents. Il y aura donc comme un double feu, le feu spirituel qui touchera les parfaits dès cette vie, le feu de l'épreuve judiciaire dans l'autre: quos ignis spiritalis in praesenti temporum examinai, in futuro judicio per ignem probabit. In I Cor., P. L., t. CXII, col. 36. Mais il ne faut pas s'abuser et croire que tout péché sera purifié: il ne saurait être question ici que des péchés moindres. Ibid., col. 38 A. Et, plus complet qu'Isidore de Séville (auquel il semble avoir emprunté plus d'un trait), l'archevêque de Mayence énumère un certain nombre de péchés pour lesquels aucune purification n'est à envisager en dehors de la pénitence de cette vie. Enfin le purgatoire sera de longue durée, longo tempore cruciandi. Col. 39 D. Tandis que les pécheurs non per purgatorium ignem transire merebuntur ad vitam, sed aeterno incendio praecipitabuntur ad mortem. Id., ibid.

Haymond d'Halberstadt est sur le purgatoire un des auteurs les plus complets du haut Moyen Age. Dans le De varietale librorum, il établit, par I Cor., III, 15, l'existence du purgatoire, réservant aux péchés légers les expressions bois, foin, paille, qu'il oppose au fer, plomb, airain des péchés graves. C. I, P, L., t. CXVIII, col. 933. L'or, l'argent, les pierres précieuses représentent les pensées que les justes ont pour Dieu (cogitare quae sunt Dei); tandis que le bois, le foin, la paille, représentent les pensées qui s'attachent aux choses du monde. Le feu séparera les unes des autres. Mais, plus les justes auront donné d'affection aux biens périssables, plus tard aussi seront-ils sauvés; quanto magis minusve bona pereuntia dilexerunt, tanto lardius citiusque salvari ... Mais les criminels ne doivent pas attendre le salut dans l'autre vie, à moins de s'être repentis ici-bas de leurs crimes et d'en avoir obtenu rémission. Col. 934. Plus loin (c. V), traitant de la différence des peines, il insistera sur une idée analogue: tanto illis minus vel majus ignis purgatorii extendetur supplicium, quanta hic minus vel amplius bona transitoria dilexerunt. Col. 935.

Donc inégalité des peines. Le c. V oppose les peines purificatrices de la vie présente aux peines purificatrices de la vie future. Les uns expient dès maintenant, les autres expieront après la mort. Col. 935. Haymond réfute ensuite l'opinion, si courante au IVe siècle, qu'il suffit d'avoir le fondement de la foi pour être purifié par le feu: contra eos qui per fidem solam absque bonis operibus per ignem purgatorium suivi esse creduntur. La foi seule ne suffit pas: ce serait faire mentir saint Jacques, et saint Paul lui-même, qui énumère les oeuvres qui méritent l'enfer (cf. I Cor., VI, 9-10), y contredirait. Col. 935-936. Parmi les justes, certains iront immédiatement au ciel à leur mort, d'autres passeront par le purgatoire. Col. 936 C. Les c. VII-IX, font valoir la puissance de l'intercession de l'Église en faveur des âmes souffrantes, par la prière, les aumônes, l'offrande du saint sacrifice de la messe: l'auteur s'appuie sur saint Grégoire. Col. 937. Enfin, après avoir rappelé que la crainte à l'heure de la mort pouvait, pour certaines âmes peu coupables, être un moyen de purification, Haymond conclut que le purgatoire aura lieu avant le jugement. Col. 943. Du même écrivain on trouve encore quelques lignes sur le purgatoire dans son Commentaire sur Isaïe, 1. III, c. LXVI, P. L., t. CXVI, col. 1081.

On pourrait citer également divers ouvrages d'imagination où les auteurs font du purgatoire et de l'efficacité des suffrages en faveur des âmes souffrantes un tableau qui a du moins la valeur de témoignage historique par rapport à la croyance fondamentale de l'Église. Ainsi le Liber de visione et obitu Wetini monachi, d'Hetton, ancien évêque de Bâle, P. L., t. CV, col. 774 sq.; et plus tard, le curieux Tractatus de Purgatorio sancti Patricii, Hibernorum apostoli, P. L., t. CLXXX, col. 977 sq.

Paschase Radbert appuie le dogme du purgatoire sur Matth., III, 11. Bien que le Saint-Esprit soit feu, on dit ici que le baptême se fera dans l'Esprit-Saint et par le feu. Mais de quel feu s'agit-il? S'il faut l'entendre du purgatoire, la purification apportée par ce baptême ne pourra se produire que sur les péchés légers, comme l'exige I Cor., III, 15. Mais Paschase Radbert admet un autre feu, le feu du divin amour, qui est allumé au saint autel par l'eucharistie et doit dévorer tous les fidèles. In Matth., 1. II, c. III, P. L., t. CXX, col. 165-166.

Pierre Damien à deux siècles de distance, parle incidemment du purgatoire dans deux sermons (LVIII et LIX). La seule note spéciale qu'il donne à son enseignement, c'est -et tant d'autres l'avaient déjà fait avant lui- d'insister sur la nécessité de n'admettre à la purification du feu que les péchés légers. Les crimes sont destinés à l'enfer. P. L., t. CXLIV, col. 831 A, 837-838.

La nature des peinés du purgatoire inspire à Honorius d'Autun des suggestions assez hasardées: post mortem vera purgatio erit aut nimius calor ignis, aut magnus rigor frigoris, aut aliud quodlibet genus poenarum. Elucidarium, 1. III, n. 3, P. L., t. CLXXII, col. 1158 D. L'auteur veut de toute évidence établir un parallélisme entre les pénalités du purgatoire et celles que certains auteurs contemporains et lui même (col. 1159 D) entrevoyaient en enfer, interprétant de l'enfer Job, XXIV, 19. Voir ENFER, t. v, col. 108. Honorius reste davantage dans la note traditionnelle en affirmant que la plus petite peine du purgatoire est supérieure au plus grand mal qu'on puisse concevoir sur terre. Ibid., col. 1158 D.

Les derniers textes patristiques à signaler sont de saint Bernard. Nous en avons relevé cinq. Sermo in obitu Domni Humberti, n. 8, P. L., t. CLXXXIII, col. 518 BC; Serm., XVI, De diversis, n. 5, col. 571 D; XXXVIII, De diversis, n. 6, col. 619 B. Ce sont de simples allusions au feu par lequel il faudra passer afin que soit éprouvée l'oeuvre de chacun. Le serm. XLII, De quinque regionibus, ajoute à la notion du purgatoire, crucifiant les âmes qui y attendent la résurrection, l'idée de peines diverses, prius cruciandi aut calore ignis, aut rigore frigoris, aut alicujus gravitate doloris. L'hypothèse très hasardée du froid, juxtaposée à la conception de la peine du feu, montre bien que la peine au feu n'est pas considérée encore comme une vérité absolument certaine. Bernard ajoute que nous pouvons et devons soulager les âmes souffrantes: les damnés ne méritent pas d'être rachetés, les élus du ciel n'ont pas besoin de rédemption; restat ut ad medios transeamus per compassionem, qui bus juncti fuimus per humanitatem. Col. 663 D. Et il conclut: Surgam in adjutorium illis, interpellabo gemitibus, implorabo suspiriis, orationibus intercedam, satisfaciam sacrificio singulari. Col. 664 A. Enfin, dans le In Cantica, serm. LXVJ, n. 11, saint Bernard réfute «ceux qui n'admettent pas le purgatoire», et contre eux il en appelle à Matth., XII, 32. Col. 1100. «Ceux-là» sont les «albanais» et les «apostoliques», voir ces mots, t. I, col. 658; 1631.

Conclusion. -Partie des mêmes perspectives que la tradition orientale, la tradition latine s'est engagée, sous l'influence du génie de saint Augustin, dans une voie nouvelle, plus précise et plus logique que la position adoptée par les Pères grecs. Tandis que ceux-ci, en ce qui concerne la peine positive, purificatrice des péchés, dans l'autre vie, s'en tiennent plus ou moins à la conception archaïque du feu du jugement, les Pères latins se sont aperçus des difficultés théologiques inhérentes à cette conception. Reléguer la peine purificatrice au moment de la parousie, c'est s'obliger pour ainsi dire à maintenir, pour les âmes séparées de leurs corps, cet état d'attente mal défini qui, dans la logique du système, ne peut prendre fin qu'au jour du jugement général. Situation difficilement conciliable avec le sentiment de l'Église touchant la rétribution immédiate réservée aux martyrs et aux grands saints. Augustin en est donc arrivé à concevoir la peine purificatrice comme infligée entre la mort et le jugement dernier, mais il hésitait encore à considérer cette peine comme infligée par l'instrument du feu. Au jugement dernier le feu de la conflagration générale se présentait naturellement à l'esprit comme instrument de purification. Avant le jugement on pouvait se demander quel feu serait cet instrument. Les hésitations d'Augustin ne se retrouvent plus chez ses successeurs et disciples: une transposition fut bien vite faite, et le «feu du purgatoire» proposé comme instrument de purification, au lieu et place du feu de la fin du monde. Et c'est toujours à I Cor., III, 15, que les auteurs se réfèrent pour justifier leur théorie par l'Écriture sainte.

On ne saurait voir dans cette référence commune une interprétation dogmatique du texte. Les Pères ont trop varié entre eux sur ce point au cours des siècles; ils ont même trop hésité sur le sens à donner à ce passage, et surtout ils n'ont jamais laissé entendre qu'ils prétendaient donner la pensée du magistère. D'où il suit qu'autant leur doctrine sur l'existence d'une peine ultra-terrestre, purificatrice des fautes légères ou des restes du péché, doit être tenue comme l'expression authentique d'une croyance officielle de l'Église, autant leurs explications sur la nature de cette peine -le feu- devra être considérée comme une simple opinion n'engageant pas l'enseignement de l'Église elle-même. C'est ce que plus tard, conscient des exigences de la vérité, le concile de Florence saura reconnaître

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:09

II. LA DOCTRINE DES SUFFRAGES POUR LES MORTS DANS L'ÉGLISE LATINE.

-Dans l'Église latine, comme dans les Églises orientales, aucune hésitation sur l'utilité des suffrages des vivants offerts pour le soulagement des âmes des défunts. Pour ne pas multiplier sans nécessité les textes -aucune controverse n'étant ici possible- nous nous contenterons de l'essentiel, en interrogeant successivement les Pères, les conciles, la liturgie, l'épigraphie.

1° Les Pères. -1. Avant saint Augustin. -Nous avons signalé la célèbre Passion de Perpétue, qui nous montre la martyre implorant Dieu en faveur de l'âme de son petit frère Dinocrate et lui obtenant de passer du lieu de misère où il était retenu dans un lieu de rafraîchissement, de rassasiement et de joie. Passio S. Perpetuae, VII-VIII, éd. Arm. Robinson, dans Texts and studies, t. I, fasc. 2, p. 72; cf. P. L., t. III, col. 34.

Ce texte nous reporte à Carthage et c'est aussi dans l'Église d'Afrique que l'on trouve les premiers témoignages explicites sur l'efficacité des suffrages pour les défunts. Tertullien écrit, à propos d'un défunt, que, dans l'intervalle écoulé entre sa mort et sa sépulture, il fut accompagné de la prière du prêtre: cum in pace dormisset et morante adhuc sepultura, interim oratione presbyteri componeretur. De anima, c. LI, p, L., 1866, t. II, col. 782 B. On ne sait si cette prière du prêtre est déjà un acte liturgique, mais du moins on sait que déjà l'on priait pour les morts. Dans le De exhortatione castitatis, Tertullien tire argument, contre les secondes noces, de l'embarras où se trouverait un veuf remarié et tenu par l'usage à faire les prières et les oblations annuelles pour l'âme de sa femme défunte. C. XI, P.L., t. II, col. 975 C. Même embarras pour la veuve remariée, qui «pour l'âme de son mari (défunt) prie et demande pour lui le rafraîchissement et la réunion dans la première résurrection, et fait des offrandes au jour anniversaire de sa mort». De monogamia, c. x, P. L., t. II, col. 992 C. C'est encore à Tertullien qu'on doit le renseignement relatif à la coutume d'offrir l'eucharistie pour les défunts le jour de leur enterrement et le jour anniversaire de leur mort. De corona, c. III, P. L., t. II, col. 99 A.

Saint Cyprien relate que les évêques ses prédécesseurs ont porté une loi interdisant à un mourant de constituer un. clerc son exécuteur testamentaire, ac si quis hoc fecisset, non offerretur pro eo, nec sacrificium pro dormitione ejus celebraretur; neque enim apud altare Dei meretur nominari in sacerdotum prece, qui ab altari sacerdotes et ministros voluit avocare, Epist., I, n. 2, Hartel, p. 466. Ce texte nous apprend deux faits intéressants. Tout d'abord que l'habitude d'offrir le sacrifice eucharistique pour les défunts était une tradition reçue à l'époque de Cyprien dans l'Église de Carthage; ensuite qu'être nommé au Memento de la liturgie était un privilège hautement apprécié. La discipline qui privait de cette faveur certains coupables était déjà une arme redoutable entre les mains des évêques.. Les anniversaires des martyrs étaient également commémorés par l'offrande du sacrifice eucharistique, mais avec une intention toute différente, comme il ressort des. expressions différentes de Cyprien, qui ne donne pas à entendre que les martyrs puissent avoir besoin des prières des vivants. Epist., XII, n. 2, Hartel, p. 503; XXXIX, n. 3, p. 583. Au contraire, les vivants peuvent avec raison se recommander aux prières des trépassés. De habitu virginum, n. 24; Epist. LX, n. 5, Hartel, p. 205 et 695.

Arnobe, aux environs de 300, présente un curieux témoignage. Il proteste contre la destruction des églises parce qu'on y prie pour les vivants et pour les morts: Cur immaniter conventicula dirui? in quibus summus oratur Deus, pax cunctis et venia postulalur ..., adhuc vitam degentibus et resolutis corporum vinctione. Adv. Nationes, 1. IV; c. XXXVI, P. L., t. V, col. 1076.

Au IVe siècle les témoignages de saint Ambroise et de saint Jérôme sont à recueillir. Le premier, écrivant à un ami qui pleure la mort de sa soeur, fait cette recommandation: «Il ne faut pas tant la pleurer que l'assister de vos prières; ne l'attristez pas par vos larmes, mais recommandez plutôt son âme à Dieu par des oblations.» Epist., XXXIX, n. 4; voir aussi, dans le même sens, De obitu Valentiniani, n. 56, 78, P. L., t. XVI, col. 1146 B, 1436, 1442 C. Dans l'oraison funèbre de l'empereur Théodose, saint Ambroise rappelle la coutume des Églises de consacrer certains jours à la prière pour les morts, en certaines Églises, le troisième et le trentième; en d'autres, le septième et le quarantième. N. 3, col. 1448 B. Plus loin il s'adresse il Dieu en ces termes: «Accorde, Seigneur, le repos à ton serviteur Théodose, ce repos que tu as préparé à tes saints... Je l'aimais, c'est pourquoi je veux l'accompagner au séjour de la vie; je ne le quitterai pas tant que, par mes prières et mes lamentations, il ne sera pas reçu là-haut, sur la montagne sainte du Seigneur, où ceux qu'il a perdus l'appellent.» De obitu Theodosii, n. 36, 37, P. L., t. XVI, col. 1460 AB.

Jérôme, lui, dans sa lettre à Pammachius pour le consoler de la mort de sa femme, fait l'éloge de sa conduite. «D'autres, dit-il, répandent sur les tombeaux de leurs épouses des bouquets de violettes, de roses, de lis, de fleurs empourprées! et c'est là toute leur consolation. Notre cher Pammachius verse le parfum de l'aumône sur une cendre sanctifiée, sur des ossements vénérables. Oui, voilà les aromates qu'il répand en leur honneur, se souvenant qu'il est écrit: «Comme l'eau «éteint le feu, ainsi l'aumône efface le péché.» (Eccli., III; 33).» Epist., LXVI, n. 5, P. L., t. XXII, col. 642.

2. Saint Augustin. -Ce maître si ferme dans son enseignement sur l'existence de peines purificatrices dans l'autre vie, est tout aussi affirmatif sur le secours apporté aux défunts par nos prières, nos aumônes, nos offrandes du saint sacrifice. «Nul doute, dit-il, que les prières de la sainte Église et le sacrifice salutaire et les aumônes des fidèles n'aident les défunts à être traités plus doucement que leurs péchés ne mériteraient. En effet, ce que nous avons appris de nos Pères (c'est-à-dire de la primitive Église) et ce qu'observe l'Église universelle, c'est de faire mémoire, dans le sacrifice, de ceux qui sont morts dans la communion du corps et du sang de Jésus-Christ et, en même temps, de prier et d'offrir pour eux ce sacrifice. Par ailleurs, qui doute que les oeuvres de miséricorde soient profitables aux morts, si toutefois ils ont vécu comme il convenait?» Serm., CLXXII, n. 2, P.. L., t. XXXVIII, col. 936. Même doctrine dans l'Enchiridion, avec la remarque finale plus accentuée: «On doit affirmer que les âmes des défunts sont soulagées par la piété de leurs (amis) vivants, quand pour elles sont offerts dans l'Église le sacrifice du divin Médiateur ou des aumônes. Mais ces suffrages profitent à ceux qui, pendant leur vie, ont mérité d'en tirer profit après leur mort. Car on peut avoir eu un genre de vie éloigné aussi bien de la perfection, qui après la mort se passe de tels secours, que de l'impiété, qui les rend inutiles...» Loc. cit., c. CX, t. XL, col: 283; Cf. De octo Dulcitii quaestionibus, q. II, n. 3, col. 158.

Saint Augustin est revenu sur cette doctrine dans le petit traité De cura gerenda pro mortuis, écrit vers 421 en réponse à une question de Paulin de Nole sur l'avantage qu'il y a d'être enseveli près des tombeaux des martyrs. Saint Paulin ne pouvait mettre d'accord la dévotion à ce genre de sépulture dans le voisinage d'un corps saint et la parole de saint Paul: Tous les hommes seront jugés suivant ce qu'ils auront tait pendant leur vie. Cf. Rom., II, 6. Augustin lui répond que les bonnes oeuvres des vivants peuvent être utiles aux défunts dont la vie fut édifiante. La sépulture dans le voisinage des corps saints a ce bénéfice indirect de provoquer des prières plus ferventes dont les défunts retirent profit. Qu'importe si les défunts ignorent le soin que nous prenons de leurs tombeaux. L'important est de prier pour eux. Et Augustin d'invoquer l'autorité de II Mach., XII, 32. Mais la tradition seule suffirait à nous inciter à ce devoir, car, «même si la prière pour les morts ne se trouvait pas indiquée dans les Écritures, l'autorité de l'Église est ici souveraine, puisqu'elle consacre la coutume de réserver une place, dans les prières du prêtre à l'autel, pour le memento des morts». N. 3, t. XL, col. 593. Aussi Augustin conclut-il: «N'omettons pas les supplications pour les âmes des défunts; l'Église prie et ordonne de prier pour tous ceux qui sont morts dans la famille chrétienne, même sans les nommer tous et dans un memento général, afin que la mère commune supplée ainsi aux pères et mères, aux fils, parents et amis qui ne sont pas là pour remplir ce devoir.» Ibid., n. 6, col. 596.

C'est de mille manières différentes que le grand évêque exprime sa pensée sur ce point. Dans ses Confessions il relate la coutume d'offrir le saint sacrifice pour le défunt devant la tombe même, avant la déposition du corps. Conf., 1. IX, c. XII, P. L., t. XXXII, col. 777; cf. Cont. Faustum, 1. XX, c. XXI, t. XLII, col. 384. Contre l'hérésiarque Aérius il affirme l'utilité des suffrages pour les défunts. De haer., CLIII, t._XLII, col. 593. Quoi de plus touchant que les paroles d'Augustin sur sa mère défunte? De toute son âme, il prie pour elle: «Dieu de mon coeur ..., je ne songe pas aux vertus de ma mère, pour laquelle je vous rends grâces avec bonheur. C'est pour ses péchés que je vous prie. Pardonnez-lui, Seigneur, ses dettes. N'entrez pas en jugement avec elle. Souvenez-vous qu'étant près de finir sa vie elle ne pensa pas à son corps et qu'elle s'abstint de demander la pompe des funérailles; tout ce qu'elle souhaita ce fut qu'on fît mémoire d'elle à votre autel, où elle savait que l'on offre la victime sainte qui efface l'arrêt de notre condamnation.» Conf., 1. IX, c. XIII, n. 35 sq, t. XXXII, col. 778. Et le fils et ses amis «prièrent pour elle avec ferveur pendant qu'on offrait le sacrifice de notre rédemption à Son intention». Ibid., n. 32, col. 777. Et tout n'est pas fini avec ces prières immédiates, car elles peuvent se succéder indéfiniment. Ibid., n. 37, col. 779.

Un texte de l'Enchiridion mérite une attention particulière, car il a donné lieu à une interprétation défectueuse, que nous avons relevée ici même. Voir MITIGATION DES PEINÉS, t. X, col. 1998: «Lorsqu'on offre, dit Augustin, pour tous les défunts baptisés le sacrifice de l'autel ou celui de l'aumône, tous n'en profitent pas également. Pour ceux qui ont été très bons, ce sont des actions de grâces. Pour ceux qui n'étaient pas très mauvais, ce sont des propitiations. Pour les très mauvais, si elles ne sont d'aucun secours aux morts, elles sont une consolation pour les vivants; à ceux à qui elles sont utiles, elles le sont pour leur obtenir une pleine rémission de leurs fautes ou du moins pour que leur damnation devienne plus tolérable.» C. XXIX, P. L., t. XL, col. 246. La « damnation» n'est ici pas autre chose que la peine du purgatoire.

En revanche, saint Augustin enseigne que les suffrages des vivants ne peuvent profiter aux damnés. C'est la meilleure preuve de l'exactitude de notre précédente interprétation. Voir De cura pro mortuis gerenda n. 2, 22, P. L., t. XL, col. 593, 609.

3. Après saint Augustin. -L'enseignement de la tradition est si nettement établi qu'il devient inutile d'insister. Rappelons simplement pour mémoire deux passages de saint Grégoire le Grand où ce pape relate des apparitions de défunts demandant des prières pour le soulagement de leurs âmes et confirmant ce soulagement: pour l'âme du diacre Paschase, Dial., l. IV, c. XL, P. L., t. LXXVII, col. 397; pour l'âme du moine Justus, délivrée par la célébration de trente messes (origine du trentain grégorien), c. LV, col. 421. On peut historiquement, faire remonter jusqu'au IXe ou au VIIIe siècle la pratique des trente messes grégoriennes; on la retrouverait même antérieurement; surtout dans l'ordre bénédictin. Cf. Béringer, Les indulgences, trad. fr., t. l, Paris, 1925, p. 547, note 5.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 11:09

Saint Isidore de Séville rapporte à l'institution apostolique l'usage universel de prier pour les morts et d'offrir pour eux le sacrifice eucharistique: Sacrificium pro defunctorum fidelium animabus offerre vel pro eis orare, quia per lotum hoc orbem cusloditur, credimus quod ab ipsis apostolis traditum sit. Hoc enim ubique catholica tenet Ecclesia, quae nisi crederet fidelibus defunctis dimitti peccata, non pro eorum spiritibus, vel eleemosynam faceret vel sacrificium Deo offerret. De ecclesiast. officiis, 1. I, c. XVIII, n. 11, P. L., t. LXXXIII, col. 757 A. C'est même en partant de ce fait de la prière pour les défunts qu'Isidore conclut à l'existence dans l'autre vie d'un purgatoire où sont remis certains péchés. N: 12, col. 757 AB. Il se demande ensuite pourquoi la rémission n'est pas accordée à tous, et il n'a pas d'autre réponse que le texte de saint Augustin, Enchir., c. XXIX; voir ci-dessus, col. 1233. Id., ibid.

2° Conciles. -Les anciens conciles de l'Église latine renferment fréquemment des décisions qui sont d'explicites confirmations de la doctrine catholique touchant l'efficacité de la prière et du sacrifice eucharistique pour les défunts.

1. Certains conciles règlent l'application du sacrifice eucharistique à l'âme de pénitents décédés avant leur complète réconciliation. - Les Statuta Ecclesiae antiqua (qu'on donnait jadis comme canons du IVe concile de Carthage) donnent l'indication suivante: «Lorsque les pénitents qui se montrent zélés meurent par hasard pendant un voyage ou une traversée, alors qu'on ne peut leur porter secours, on doit prier et offrir le saint sacrifice pour eux.» Can. 79, Hefele-Leclercq, Hist. des conc., t. II, p. 119.

Le Ier concile de Vaison (442) est plus explicite encore: «Si les fidèles, après avoir reçu la pénitence, mènent une vie correcte en accomplissant les exercices de la satisfaction et viennent à mourir subitement dans les champs ou en voyage sans avoir été admis à la communion, on doit offrir pour eux le saint sacrifice (oblationem recipiendam); ils doivent aussi être ensevelis comme les fidèles, car il serait injuste d'exclure des saints sacrifices ceux qui aspiraient avec ferveur aux saints mystères et qui, après s'être regardés pendant longtemps comme indignes à cause de leurs péchés, désiraient vivement y être admis, s'ils sont venus à mourir, sans le secours des sacrements, et alors qu'un prêtre ne leur aurait pas refusé la réconciliation.» Can. 2, Hefele-Leclercq, op. cit., t. II, p. 455;

Plus brièvement le IIe concile d'Arles (443 ou 4521) (que certains-auteurs dénomment IIIe), s'exprime ainsi: «Quant à ceux qui meurent encore dans l'état de pénitence, on décide qu'on ne doit abandonner aucun d'eux sans la communion; mais, puisqu'il a honorablement pratiqué la pénitence, on doit accepter pour lui l'offrande (du sacrifice) Hefele-Leclercq, op. cit., t. II, p. 466.

Le IIe concile d'Orléans (533) prescrit de recevoir les oblations des défunts pour ceux qui auront été exécutés à cause de quelque crime, à condition qu'ils ne se soient pas donné la mort de leurs propres mains. Can. 15, Hefele-Leclercq, op. cit., t. II, p. 1135.

Le XIe concile de Tolède (675) est tout aussi condescendant: «Au sujet de ceux qui, ayant reçu la pénitence, meurent avant d'être réconciliés..., on décrète que leur mémoire soit rappelée dans les églises et que l'offrande soit reçue par les prêtres pour leur délit.» (Autre texte: et que l'offrande destinée à leurs âmes, soit reçue.) On trouve ici, en effet, deux leçons. Soit: oblatio pro eorum delicto, Hardouin, t. III, p. 1029, et oblatio pro eorum dedicata spiritibus, Mansi, Concil., t. VI, col. 4511.

2. D'autres conciles interdisent l'application du sacrifice eucharistique à certaines catégories de criminels. -Nous avons déjà trouvé cette restriction dans le concile d'Orléans, de 533.

Le IIe (?) concile de Braga, en 563, interdit de faire mémoire au sacrifice de la messe de tous ceux qui, de quelque façon que ce soit, se sont donné à eux-mêmes la mort; leurs corps ne seront pas ensevelis au chant des psaumes. Can. 16, Hefele-Leclercq, op. cit., t. III, p.180.

Le concile d'Auxerre (578), interdit d'accepter les offrandes pour les suicidés. Can. 17, Hefele-Leclercq, op. cit. t. III, p. 219.

3. Enfin l'on trouve, dans nombre de conciles anciens, certaines réglementations concernant la célébration des messes pour les défunts. -Voici d'abord un canon d'un concile de Carthage, vers la fin du IVe siècle: interdiction de célébrer la messe sans être à jeun, sauf à l'anniversaire de la Cène. Si l'on doit faire mémoire de personnes mortes l'après-midi, on se contentera de réciter de simples oraisons, s'il ne se trouve personne à jeun pour célébrer. Mansi, Concil., t. III, col. 885 A.

Le IIe concile de Braga (563) nous fait connaître une coutume priscillianiste qu'il réprouve: «Quiconque, le jeudi saint, n'assiste pas à la messe, à jeun, dans l'église à une heure déterminée après none, mais, suivant l'usage de la secte des priscillianistes, célèbre, à partir de tierce, la solennité de ce jour, en interrompant le jeûne après avoir assisté à une messe des morts, qu'il soit anathème.» Hefele-Leclercq, op. cit., t. III, p. 178. Quelques années après (572), le IIIe (IIe) concile du même nom réprouve un autre usage priscillianiste, qui est de consacrer aux messes des morts après avoir bu
du vin. Can. 10, Hefele-Leclercq, op. cit., t. III, p.195.

Le IIe concile de Vaison (529) fait mention des messes pour les défunts à propos du Kyrie eleison et du Sanctus. «Aux messes du matin ainsi qu'à celles du carême et aux messes des morts, on doit dire trois fois Sanctus, ainsi que cela se pratique pour les messes solennelles. » Hefele-Leclercq, op. cit., t. II, p. 1114.

Le synode romain de 502 considère comme une impiété et un sacrilège de détourner de leur destination les biens laissés pour les pauvres aux églises, en vue d'obtenir de Dieu le salut et le repos éternel pour l'âme du donateur. Hardouin, t II, p. 978.

Voici une curieuse interdiction portée par le XVIIe concile de Tolède (694): «Quelques prêtres disent des messes des morts pour des vivants afin que ceux-ci meurent bientôt. Le clerc qui dira une pareille messe et celui qui la lui aura demandée seront l'un et l'autre déposés, bannis et à tout jamais excommuniés.» Can. 5; Hefele-Leclercq, op. cit., t. III, p. 586.

On pourrait également citer les conciles d'une époque plus tardive, de Chalon-sur-Saône (813), can. 39, Hefele-Leclercq, op. cit., t, III, p. 1145, et de Worms (868), can. 80, Hefele-Leclercq, op. cit., t. IV, p. 465.

Un certain nombre de textes patristiques et conciliaires sont entrés dans le Décret, Ie part., dist. XXV, c.4 Qualis (S. Grégoire), c. 5 Qui in aliud (Ps.-Augustin), Friedberg, col. 94; IIe part., caus. XIII, q. II, c. 21-24, col. 728-729; caus. XXVI, q. VI, c. 11 (Conc. d'Épaone), col. 1039; IIIe part., dist. V, c. 35 Nullus, col. 1422.

3° La liturgie. - Les textes rapportés plus haut de Tertullien et de saint Cyprien indiquent assez nettement que déjà au IIIe siècle la liturgie comportait le Memento des morts. Au fur et à mesure de notre enquête, nous avons relevé des allusions au Memento des morts à la messe. Saint Augustin en témoigne au Ve siècle, Les anciennes liturgies en fournissent d'ailleurs maintes preuves par les prières intitulées Post nomina, super diptycha. Voir Muratori, Liturgia romana vetus, Venise, 1748, t. l, p. 761; t. II, p. 223; Mabillon, Liturgia gallicana vetus, 2e éd., Paris, 1729, p. 278, 289. Le canon de la messe romaine est décisif: Memento, Domine, famulorum famularumque tuarum qui nos praecesserunt cum signo fidei et dormiunt in somno pacis. Ipsis, Domine, et omnibus in Christo quiescentibus, locum refrigerii, lucis et pacis, ut indulgeas, deprecamur.

Le Memento des morts est très certainement «une portion authentique du canon romain dans les deux recensions A et B». Bishop, On the early texts of the Roman Canon, dans The Journal of theol. studies, t. IV, p. 577. II ne figure pas cependant dans le sacramentaire gélasien, ni dans le ms. 164 de Cambrai, ni dans le ms. Vat. Regin. 337. Mais on le trouve dans le ms. Vat. Ottob. 313, aussi bien que dans le missel de Bobbio, Paris, Bibl. nat., lat. 13246, dans le Missale de Stowe, Bibl. de l'Académie royale d'Irlande, et dans le Missale Francorum, ms. Vat. Regin., 257. S'il manque dans ces quelques exemplaires, c'est, dit Mgr Duchesne, parce que «cette formule servait de cadre aux diptyques des morts, que l'on récitait sur un texte spécial, un rouleau, un tableau ou autre chose de ce genre.» Origines du culte chrétien, Paris, 1908, p. 185, note. Ordinairement, en effet, après la lecture des diptyques qui renfermaient les noms des évêques et des fidèles morts dans la paix du Christ; le célébrant récitait l'oraison dite Oratio post nomina, par laquelle prêtre et assistants, demandaient à Dieu pour ces âmes le repos éternel. Duchesne, op. cit., p. 124. Sur le Memento des morts dans le canon romain, voir dom Cabrol, art. Canon, dans Dict. d'archéol., t. n, col. 1868.

Dans le rite ambrosien nous retrouvons le texte romain à un mot près: Memento etiam, Domine, etc., lucis AC pacis ut indulgeas, deprecamur, Cf. Paul Lejay, Ambrosien (Rite), dans Dict. d'archéol., t. I, col. 1411.

La liturgie mozarabe offre de nombreux exemples du souvenir des morts, Dom Férotin a publié un certain nombre de textes dans le Liber sacramentorum mozarabicus, 1912. Voir dom Cabrol, Diptyques, dans Dict. d'archéol., t. IV, col. 1069-1071. Sur la lecture des noms des morts à la messe, voir ici MOZARABE (Messe), t. X, col. 2529.

Dans la messe gallicane, les noms des morts étaient lus même en temps que ceux des vivants, à l'offertoire, avant la préface. Voir dom Cabrol, art. Diptyques, loc. cit., col. 1074, et ici MESSE DANS LA LITURGIE, t. X, col. 1375. On trouvera, empruntés aux différents textes d'anciennes messes gallicanes, de nombreuses formules où revient le souvenir des morts. Voir l'art. Diptyques, loc. cit., col. 1071-1073. Pour le Memento dans la messe celtique, voir ici t. X, col. 1382.

Sur les sacramentaires qui n'ont pas le Memento des morts après la consécration, voir Diptyques, loc. cit., col. 1077 sq.
Dans le sacramentaire grégorien on trouve une série de messes pro defunctis: pro episcopo defuncto; pro sacerdote defuncto; unius defuncti; in die depositionis, sive tertio, septimo trigesimoque; in anniversario; plurimorum defunctorum. P. L., t. LXXVIII, col. 214-218. Ces dernières indications nous remémorent que, dès les premiers siècles, l'usage s'est introduit de célébrer la mémoire des défunts à des jours déterminés. D'après les Constitutions apostoliques, 1. VIII, c. XLII, c'est. le troisième, le neuvième, le quarantième jour et le jour anniversaire. Ces dates sont conservées dans l'Église grecque. Voir ci-dessus, col. 1207. Le quarantième jour est attesté également par saint Ambroise. Voir col. 1232. En fixant le neuvième jour, les Constitutions semblent se référer aux usages civils du novemdiale. Le septième jour, dit saint Augustin, auctoritatem habet in scripturis ... septenarius numerus propter sabbati sacramentum praecipue quietis indicium est. Quaest. in Heptateuchum, 1. I, q. CLXXII, P. L., t. XXXIV, col. 596.

4° L'épigraphie. -L'épigraphie, en Occident comme en Orient, atteste la prière et l'offrande du saint sacrifice pour les morts. Mais cette question historique a déjà été abondamment traitée ici, à COMMUNION DES SAINTS (Monuments de l'antiquité chrétienne), t. III, col. 460-467. Il est néanmoins utile de dégager une synthèse doctrinale de tous ces documents. Dom Leclercq l'a fort heureusement tracée en un paragraphe que nous citons:
Il existe une série considérable de témoignages explicites de la prière pour les morts. Ce sont les acclamations et les voeux que les fidèles formulent pour les défunts. Parfois, c'est un simple souhait de félicité, de paix, car, pour les
fidèles, ces mots in pace ne signifient pas seulement que le mort vivait en paix avec l'Église, dans l'orthodoxie des formules, mais encore qu'il jouit de la paix éternelle. C'est pourquoi on rencontre IN PACE VIXIT, IN PACE BENE DORMIT, qui rappellent la vie passée sur la terre et ces autres formules qui se rapportent à la vie future: QUIESCIT IN PACE AETERNA et ses variantes: REQUIESCIT IN PACE; VIVAS IN PACE; VALE IN PACE; IN PACE DOMINI DORMIAS; IN PACE... ET IN DOMO ETERNA DEI; IN PACE ET REFRIGERIUM. Il faut donc se garder de croire que la formule «dors en paix» veuille exprimer une pensée analogue à celle des gentils qui ne croient ni à la vie future ni à la résurrection, et pour lesquels ces mots auraient le sens de «repose ici à jamais». Le repos est une allusion à la posture du cadavre étendu et immobile comme on l'est pour dormir, de même que «cimetière» évoque l'idée du dortoir, mais simplement jusqu'à la résurrection...; c'est une paix qui n'est pas la mort: SEMPER VIVE IN PACE; LETARIS IN PACE, puisque c'est la vie dans le Christ: VIVIS IN GLORIA DEO ET IN PACE DOMINI NOSTRI >PP

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 12:46

V. L'UNION RÉALISÉE AUX CONCILES DE LYON ET DE FLORENCE.

-L'étude de la tradition dans l'Église orientale et dans l'Église latine devrait nous faire conclure au rapprochement facile de ces deux Églises dans l'enseignement relatif aux peines purificatrices de l'autre vie. Peut-être si cet effort de conciliation avait été tenté au VIe siècle, l'union eût-elle été réalisée. Malheureusement les premiers essais théologiques, en Orient surtout, ne favorisèrent pas ce rapprochement; tout au contraire, ils aboutirent à créer un malentendu que les deux conciles de Lyon et de Florence dissiperont à peine. Aussi semble-t-illogique de rappeler, en guise de préface à l'étude des textes conciliaires, les divergences créées par l'enseignement des théologiens. Nous examinerons donc successivement: 1° L'enseignement des théologiens latins de la fin de l'époque patristique au XIVe siècle; 2° l'enseignement des théologiens byzantins de la fin de l'âge patristique au lie concile de Lyon; 3° la doctrine du purgatoire au IIe concile de Lyon (1274); 4° la doctrine du purgatoire au concile de Florence (1439).

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 12:47

1. L'ENSEIGNEMENT DES THÉOLOGIENS LATINS DE LA FIN DE L'ÉPOQUE PATRISTIQUE AU XIVe SIÉCLE.

- 1° Avant les sententiaires. -C'est l'influence de saint Augustin et surtout de saint Grégoire le Grand qui inspire tous les auteurs.

1. Hugues de Saint-Victor. - C'est dans son De sacramentis, 1. II, part. XVI, P. L., t. CLXXVI, consacrée aux tins dernières de l'homme, qu'Hugues expose ses idées sur le purgatoire. Le dogme lui-même est supposé acquis. Après avoir traité du départ de l'âme, c. II, col. 580, Hugues étudie les peines elles-mêmes, dont la principale est le feu, feu évidemment matériel comme celui que nous connaissons: autrement que serait-il? Comment ce feu atteindrait-il les âmes? In eo ardent, quod se ardentes vident? Col. 585 A. N'est-ce pas là préluder à l'explication que donneront Richard de Médiavilla, Scot et Ockam? Voir FEU DE L'ENFER, t. VII, col. 1230. Le c. IV étudie la question de lacis pœnarum. Col. 586. En réalité, pour Hugues, le lieu du purgatoire est une question accessoire, à laquelle l'auteur ne sait répondre que par une timide hypothèse: les âmes souffrent là où elles ont péché. Col. 586 D. De plus le purgatoire attend tous ceux qui ne sont pas parvenus à une complète purification de leurs âmes. Ce sont les non valde boni. Mais, parmi les mali, il y a les valde mali et les non valde mali. Les premiers sont sûrement damnés. Mais des non valde mali ou des minus mali quel sera le sort? Hugues les estime damnés, sans cependant rien vouloir définir. Le c. V, De qualitate tormentorum, expose, par rapport aux peines du purgatoire, le sens de I Cor., III, 14-15. Ce sont les âmes coupables de moindres péchés qui pourront être ainsi sauvées comme par le feu. Col. 590. Les derniers chapitres, VI-X, traitent des suffrages pour les défunts; tout particulièrement le c. VII rappelle, avec saint Augustin, quelles âmes profitent davantage de ces prières. Les deux derniers chapitres sur le sacrifice de la messe sont particulièrement touchants: Quis enim, écrit-il, fidelium habere dubium possit in ipsa immolationis hora ad sacerdotis vocem cælum aperiri. Col. 595-596.

2. Robert Pulleyn. -Dans ses Sentences, 1. IV, c. XXI, XXII, P. L., t. CLXXXVI, Pulleyn étudie l'existence du purgatoire, séjour préparatoire pour les justes de l'Ancien Testament, à l'entrée dans le sein d'Abraham, pour les justes après Jésus-Christ, à l'entrée au paradis. C. XXI. La peine du purgatoire est le feu. Une comparaison montre bien la gravité de cette peine: ignis quippe purgatorius, inter nostras et inferorum pœnus medius, tantum superat has, quantum superatur ab illis. L'existence de ces peines est suggérée par le ps. VI, 2: Domine, ne in furoretuo arguas me, neque in ira tua corripias me: la fureur divine se manifeste par les peines de l'enfer; la simple colère, par les peines du purgatoire. C. XXI, col. 826 BC. C'était déjà l'interprétation de Bède; voir col. 1227.

Quelques autres idées sont jetées comme en passant. Où se trouve le lieu du purgatoire? Nondum scio. C. XXII, col. 826 D. Combien de temps les âmes demeureront-elles en purgatoire? Usque ad satisfactionem. Id., ibid. Après la purification, elles iront sans aucun doute dans le ciel; mais, selon la gravité ou la quantité de leurs péchés, elles devront demeurer plus ou moins longtemps au purgatoire. Col. 827. A sa descente aux «enfers» le Christ a probablement délivré toutes les âmes du purgatoire. Col. 828.

3. Nous ne trouvons qu'une allusion en passant chez Richard de Saint-Victor, Pierre le Chantre, Alain de Lille. Voir FEU DU PURGATOIRE, col. 2259. Mais, chez maître Bandin (qui résume Pierre Lombard), nous retrouvons la formule de la quadruple division des âmes après la mort (formule qui s'inspire de saint Augustin, Enchir., c. CX): les valde boni, les mediocriter boni, les mediocriter mali, les valde mali. Les suffrages ne sauraient profiter aux valde mali et peut-être pas aux mediocriter mali. C'est la position d'Hugues de Saint-Victor, P. L., t. CXCII, col. 1110-1111.

4. Avec Pierre Lombard nous arrivons aux formules qui ont servi de thème aux variations des théologiens sur le purgatoire. Dist. XXI. Le Maître des Sentences se demande tout d'abord si certains péchés sont remis après cette vie. Et, invoquant Matth., XII, 32, et I Cor., III, 15, il rappelle l'interprétation encore hésitante de saint Augustin sur ce dernier texte (De civ. Dei, 1. XXI, c. XXVI, n. 4;) et conclut que le texte de l'épître aux Corinthiens «insinue ouvertement que ceux qui édifient le bois, etc., emportent avec eux des constructions combustibles, c'est-à-dire des péchés véniels, lesquels devront être consumés dans le feu purificateur». Il y a donc des péchés remis après cette vie.

La peine du purgatoire ne sera pas égale pour tous. Le texte de saint Paul l'indique également. Les péchés véniels sont représentés par le bois, le foin, la paille. Mais le bois, ce sont des péchés plus sérieux; le foin, des péchés moins importants; enfin la paille, des fautes minimes. D'où il suit que, selon l'importance des fautes, les âmes seront délivrées les unes plus vite, les autres moins rapidement. Parallèlement, l'or, l'argent, les pierres précieuses, ont des significations différentes: l'or, c'est la contemplation divine; l'argent, c'est l'amour du prochain; les pierres précieuses, ce sont les bonnes œuvres en général. C'est là l'interprétation de la Glose ordinaire, qui s'inspire de saint Augustin, Enchir., c. LXVIII.

Une dernière question se pose à Pierre Lombard: le «bois» qui sera consumé par le feu doit-il être entendu du péché lui-même ou de la peine due au péché? Pierre opine que c'est du péché lui-même qu'il faut l'entendre, car on peut être surpris par la mort sans avoir eu le temps de se repentir du péché véniel. La question du purgatoire appelle nécessairement celle des suffrages pour les défunts. Pierre Lombard l'aborde dans la dist. XLV. Après l'énumération des réceptacles dans lesquels sont accueillies les âmes avant le jugement, le Maître des Sentences expose, c. II, le problème théologique des suffrages. Le texte de l'Enchiridion sur les différentes catégories de défunts lui sert de thème. Et il en tire une leçon touchant quatre catégories de défunts: les valde boni, les mediocriter boni, les mediocriter mali, les valde mali. Mediocriter malis suffragantur ad pœnæ mitigationem; mediocriter bonis ad plenum absolutionem. On sait qu'au Moyen Age nombre de théologiens ont admis une certaine mitigation des peines pour des damnés moins coupables. Voir MITIGATION, t. X, col. 2000. Mais, à coup sûr, les mediocriter boni sont les âmes du purgatoire auxquelles nos suffrages apportent soulagement et entière délivrance. Dans quelle mesure nos suffrages sont-ils appliqués? Les prières des obsèques sont-elles utiles? Autant de questions proposées par Pierre Lombard et auxquelles les commentateurs apporteront leurs solutions.

2° Les sententiaires. -Les sententiaires étudient à la suite de Pierre Lombard la question de la purification des péchés dans l'autre vie et celle des suffrages.

1. La purification des péchés dans l'autre vie. - Conformément à l'ordre observé par Pierre Lombard, la question de la rémission des péchés véniels vient en premier lieu. Alexandre de Halès se demande si les péchés véniels sont remis au purgatoire quant à la coulpe. Summa, part. IV, q. XIV, membr. III, a. 3, § 5. La réponse est négative, le libre arbitre, après la mort, étant immobile, et le mérite impossible. C'est donc simplement la peine qui est remise au purgatoire. La coulpe est remise à l'instant même de la mort, par la grâce de la persévérance finale. Même opinion chez Albert le Grand, In IVum Sent., dist. XXI, a. l, et, plus tard; chez Major, ibid., q. III. Chez saint Thomas, une évolution s'accuse dans la pensée. Au début, en conformité avec Pierre Lombard, il enseigne que «dans l'autre vie, le péché véniel est remis (quant à la coulpe même) par le feu du purgatoire à celui qui meurt en état de grâce, parce que cette peine, étant d'une certaine manière volontaire, a la vertu d'expier toute faute compatible avec la grâce sanctifiante». In IVum Sent., dist. XXI, q. I, a, 1, quo 1. Mais plus tard saint Thomas modifie sa pensée: le péché véniel n'existe plus au purgatoire quant à la coulpe; sitôt l'âme juste affranchie des liens du corps, un acte de charité parfaite
efface sa faute; dont il ne restera que la peine à expier, l'âme étant dans un état où il lui est impossible de mériter une diminution ou une remise de cette peine. De malo, q. VII, a. 11. L'opinion de saint Thomas a conquis de nombreux suffrages chez les sententiaires: Richard de Médiavilla, Pierre de la Palu, Durand de Saint-Pourçain et même des nominalistes comme Almain l'ont accueillie dans leurs commentaires sur la dist. XXI.

Avec saint Bonaventure, nous trouvons une opinion moyenne. L'art. l, q. I, de la dist. XXI pose comme base de raisonnement que «le péché véniel ne saurait être remis sans la grâce sanctifiante». Dans l'art. 2, q. I, Bonaventure reprend l'opinion de Pierre Lombard; après cette vie, le feu purifie l'âme non seulement de la peine, mais de la coulpe du péché véniel: les âmes souffrantes sont en état de grâce, et, pour produire son effet de purification, la charité est aidée, au purgatoire, par la souffrance. Denys le Chartreux a repris cette solution, ibid., q. I, ainsi que plus tard Dominique Soto, dist. XV, q. II, a. 2. Sur la doctrine en général de saint Bonaventure, on consultera avec profit Thomas Gerster de Zeil, Purgatorium juxta doctrinam seraphici doctoris S. Bonaventuræ, Turin, 1932.

Contrairement à l'opinion émise en dernier lieu par saint Thomas, Duns Scot revient à l'idée d'une faute remise postérieurement à l'accomplissement de la peine. In IVum Sent., dist. XXI; q. 1; Toutefois; dans les Reportata Paris., il semble beaucoup se rapprocher du Docteur angélique. Voir DUNS SCOT, t. IV, col. 1932.

Quel sentiment animera donc l'âme souffrante relativement à ses péchés? Pas de contrition véritable, telle qu'on la trouve dans la pénitence sacramentelle ou dans l'acte méritoire de pénitence; le regret du péché équivaut chez l'âme du purgatoire au désir d'être délivrée: animæ purgatorii sacramentaliter vel meritorie conteri nequeunt, sed tantum solutorie, ideoque ob repugnantiam sui statua. Alexandre de Halès, op. cit., q. XVII, membr. II, a. 2, § 3. Albert le Grand rappelle, lui aussi, cette incapacité des âmes souffrantes. Leurs peines ne sont volontaires que secundum quid. La peine volontaire, en effet, est celle que la volonté librement recherche et s'impose. Or les âmes subissent leur peine parce que cette peine leur permet d'arriver au ciel. C'est la différence qui existe entre la satisfaction de la vie présente et la satispassion du purgatoire. A. 7. Saint Thomas dira pareillement que les âmes souffrent d'une volonté conditionnée, en tant qu'elles savent que leurs souffrances les conduiront au ciel. Loc. cit., qu. 4. Bonaventure admet pareillement que la peine du purgatoire n'est qu'à demi volontaire: la volonté la subit, la tolère, mais tout en désirant sa cessation; elle n'est pas méritoire. Ibid., q. IV.

Cette constatation amène les deux grand, théologiens à déclarer, eux aussi, que la moindre peine du purgatoire est supérieure à la plus grande souffrance d'ici-bas; Mais, alors que saint Thomas se contente de reproduire l'assertion telle que nous l'avons déjà rencontrée chez maint auteur, Bonaventure lui adjoint une explication opportune: «Dans l'autre vie, en raison de l'état des âmes, la peine purificatrice sera, EN SON GENRE, plus grave que la plus forte épreuve d'ici-bas. En ajoutant «dans son genre», Bonaventure établit une proportion qui dissipe les malentendus possibles: pour le même péché, la plus petite peine du purgatoire sera supérieure à la plus grave punition terrestre correspondante. S. Thomas, loc. cit., a. 1, qu. 3; S. Bonaventure, loc. cit., q. IV; cf. dist. XX, part. I, a. 1, q. II. La plupart des autres auteurs suivent saint Thomas: voir surtout Richard de Médiavilla, dist. XX, a. 2, q. II; Pierre de la Palu, dist. XXI, q. I, a. 1, concl. IV. Mais, si grande que soit leur peine, les âmes ne se croient pas damnées et elles n'ignorent pas qu'elles sont en purgatoire. Saint Thomas, id., qu. 4. Leur état est tel qu'elles possèdent une certitude de leur salut, plus grande que celle qu'elles avaient sur terre, moins grande que celle qu'elles auront au ciel. Cette doctrine est commune à tous les docteurs dans leur commentaire soit à la dist. XXI, soit à la dist. XLV.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 12:47

Ce sont ces peines qu'on appelle d'un nom qui les englobe toutes: le «purgatoire». L'existence de ces peines purificatrices est démontrée par un double argument. Tout d'abord, la raison théologique: À la mort, certaines âmes sont assez parfaites pour aller directement au ciel; les damnés iront en enfer; mais certains pécheurs, qui ne méritent pas l'enfer et ne peuvent cependant pas entrer immédiatement au ciel, passeront par l'épreuve du purgatoire. S. Thomas, dist. XXI, q. I, a. 1, quo 1; Cant. gent., l. IV, C. XCI; cf. Opusc. Declaratio quorumdam articulorum, c. IX;
Contra Armenos, Græcos et Saracenos; S. Bonaventure, dist. XX, a. 1, q. II. Ensuite, la révélation. Sans s'attarder à Sap., v, 25; Is., XXXV, 8; Apoc., XXI, 27 (Declaratio ...), tous nos théologiens sans exception font état de I Cor., III, 11-15.

L'exégèse de I Cor., III, 11-15, reflète chez tous l'influence de Césaire d'Arles. Tous interprètent unanimement des péchés véniels le «bois», la «paille», le «foin». Certains, comme Albert le Grand et saint Thomas, donnent même un sens différent à chacun de ces symboles: le bois, ce sont les péchés véniels plus importants; le foin, ce sont les péchés véniels moindres; la paille, les péchés véniels minimes. L'or, l'argent, les pierres précieuses, ce sont les œuvres qui reflètent les pensées de Dieu; le bois, le foin, la paille, les œuvres qui reflètent les pensées du monde. Alexandre de Halès, op. cit., q. XV, membr. III, art. 1-3; S. Albert le Grand, loc. cit., a. 2; S. Thomas, Cant. gent., loc. cit.; dist. XXI, q. I, a. 2, quo 2; In epist. I ad Cor., III, lect. 2. Pour Alexandre de Halès, le fondement est l~ foi seule, bien qu'il faille considérer que cette foi doit entraîner la charité. Ibid., a. 2. Albert le Grand fait observer qu'on n'édifie pas des péchés, même véniels, sur la foi; ils sont donc commis concomitamment avec la présence de la foi dans l'âme. A. 3.

D'après le texte de saint Paul, ces péchés véniels seront donc purifiés quasi per ignem. D'où nos théologiens enseignent unanimement que la peine positive du sens sera, au purgatoire, par le feu: feu matériel et corporel. Ceux qui ne professent pas cet enseignement à leur commentaire de la dist. XXI, ainsi que le font saint Thomas et saint Bonaventure, s'y rallient dans leur commentaire de la dist. XLIV (Scot, Gabriel Biel, Durand de Saint-Pourçain, Richard, Pierre de Tarentaise, etc.), où l'on étudie plus spécialement l'action du feu sur les âmes. Voir ici FEU DE L'ENFER, col. 2230-2231. Alexandre de Halès va même jusqu'à écrire: Quidquid in hoc opinando dixerit beatus Augustinus, omnes reliqui Ecclesiæ doctores ignem purgatorium materialem esse aperte conclamant. Q. XV, membr. III, a. 4, q. 1-11. Assertion qui, si l'on s'en tient à la considération superficielle des conceptions archaïques du feu du jugement, pourrait être à la rigueur considérée comme matériellement exacte. Mais le mérite de saint Augustin a été précisément de dégager les différents aspects des perspectives eschatologiques, ce qui logiquement devait l'amener à émettre quelques doutes sur la matérialité du feu purificateur. Les éditeurs de Quaracchi ont même cru pouvoir ajouter au texte de saint Bonaventure la remarque suivante: Purgationem animarum post hanc vitam fieri per ignem, quintamen excludantur aliæ pœnæ, negant Græci, affirmant nunc Latini, quorum sententia gravissimis auctorilatibus confirmatur, NONDUM autem ab Ecclesia definita est; nec constat quod omnes purgandi illam pœnam sensus patientur. Ad dist. XXI, a. 1, q. II. Il est difficile, après le concile de Florence (voir plus loin), de présenter sous ce jour la doctrine du feu matériel. Voir FEU DU PURGATOIRE, col. 2260.

Tous les sententiaires admettent qu'à l'instar des châtiments de l'enfer, les peines du purgatoire comprendront, outre la peine du feu, la peine du dam. Être empêché d'entrer dans le bonheur du ciel, voilà, certes, pour les âmes du purgatoire une véritable peine, qu'on peut comparer à celle du dam. Voir les commentateurs des dist. XX et XXI, parmi lesquels, outre saint Thomas et saint Bonaventure, il faut citer Pierre de la Palu, Richard de Médiavilla et, au l. III, dist. XXII, q. IV, Durand de Saint-Pourçain. La plupart de ces auteurs admettent même que cette peine du «dam» est la principale peine du purgatoire; qu'en toute hypothèse elle se fait sentir d'une façon cruelle aux plus saintes âmes, qui, mieux que les autres, comprennent de quel bien elles demeurent privées. Saint Bonaventure toutefois fait remarquer qu'en raison des certitudes et des espérances du salut cette peine chez les saintes âmes ne saurait être considérable. In IVum Sent., dist. XX, a. 1, q. II.

Enfin, alors que tous les théologiens entendent du jugement le dies Domini, saint Thomas en étend la signification à tout jugement de Dieu, et Duns Scot enseigne que ce «jour du Seigneur» est la tribulation de la vie présente, mais qu'on peut le rapporter au jugement particulier. Saint Thomas, In epist. I ad Cor., c. III, lect. 2, éd. de Parme, t. XIII, po 179; Scot, In IVum Sent., dist. XXI, q. I.

Deux points dogmatiques très importants complètent cet enseignement sur le purgatoire.

Tout d'abord, le purgatoire sera plus ou moins sévère et long selon le nombre et la gravité des péchés à expier. Alexandre de Halès, op. cit., a. 4, § 3; S. Thomas. In IVum Sent., dist. XXI, q. 1. a. 3, qu. 3. Mais saint Thomas ajoute une considération spéciale: il est certain que l'un sera délivré plutôt que l'autre du purgatoire, selon le degré d'affection qu'il a eu au péché véniel. Mais précisément, si le péché véniel est moindre et l'affection plus accentuée, il est possible qu'une âme demeure plus longtemps au purgatoire, tout en souffrant moins.

Ensuite tous nos théologiens sont unanimes à déclarer qu'aussitôt purifiée l'âme entrera en possession du bonheur céleste. Albert le Grand en conclut que c'est une erreur d'enseigner, comme le font les Grecs, que personne n'entrera au ciel qu'après le jugement dernier. Loc. cit., a. l0. Saint Thomas n'hésite pas à qualifier d'hérésie la doctrine de la dilation des récompenses. Suppl. cf. LXIX, a. 2. On sait que, sur ce point, le dogme ne fut défini qu'en 1336 par Benoit XII. Voir t. II, col. 657.

À cette synthèse, il convient d'ajouter quelques traits accessoires. Le lieu du purgatoire semble inquiéter beaucoup les théologiens sententiaires. Dans sa doctrine des réceptacles des âmes après la mort, Pierre Lombard avait posé les bases de la discussion. Tous situent le purgatoire vers le centre de la terre, à proximité de l'enfer, soit après, soit avant les limbes. S. Thomas, In IVum Sent., dist. XXI, q. I, a. 1, qu. 2; S. Bonaventure, q. VI; Richard de Médiavilla, a. 1, q. III; Pierre de la Palu, q. III; dist. XLV, q. I, a. 1; Durand de Saint-Pourçain, In IIIum Sent, dist. XXII, q. IV, etc. Est-ce un compartiment de l'enfer? Rien de certain à cet égard. Mais, d'après les révélations faites à certains personnages, surtout celles que rapporte Bède, il est probable qu'il y a deux lieux du purgatoire: l'un, selon la loi commune, est contigu à l'enfer; l'autre, pour les cas exceptionnels, est réservé aux âmes dont Dieu permet les apparitions pour donner des leçons aux vivants ou demander des prières. Il est improbable toutefois que les âmes soient là où elles ont commis le péché: sur ce point saint Thomas et les sententiaires contredisent Hugues de Saint-Victor. À quelle distance de l'enfer seront ces lieux exceptionnels? Saint Bonaventure affirme que ce peut être en des lieux moyens, jamais en des lieux supérieurs. La théologie sera longue à se dégager de ces spéculations assez puériles.

Sans doute le feu sera l'instrument de la purification, mais Dieu se servira-t-il également des démons pour faire souffrir les âmes? Saint Thomas et saint Bonaventure répondent négativement. S. Thomas, ibid., a. 2, quo 3; S. Bonaventure, ibid., q. V. Pour ce dernier, les âmes sont conduites au purgatoire et au ciel par leurs bons anges. Id., ibid. Albert le Grand avait été hésitant sur ce point, tout en penchant pour la négative. Dist. XXI, a. 9. Les théologiens postérieurs suivent l'opinion de saint Thomas.

Il est assez difficile de dégager d'une manière bien nette ce que les théologiens du XIIIe et du XIVe siècle considèrent comme relevant de la foi catholique, et ce qu'ils proposent comme simple opinion expliquant le dogme. L'existence du purgatoire, c'est-à-dire de peines purificatrices après cette vie, parait bien, dans leur esprit, appartenir au dogme lui-même, puisqu'ils appuient cette doctrine sur la nécessité d'une satisfaction donnée à Dieu pour le péché véniel ou pour la peine due au péché pardonné. Le caractère temporaire du purgatoire, la libération des âmes, aussitôt leur expiation terminée, voilà deux autres vérités sur lesquelles il ne parait pas y avoir la moindre hésitation. L'existence d'un feu réel au purgatoire est proclamée, par Alexandre de Halès, une vérité certaine appuyée sur le témoignage de tous les docteurs, sauf Augustin. La restriction que le théologien franciscain est obligé d'apporter à son affirmation est déjà par elle-même significative. Les autres théologiens se contentent d'affirmer le feu réel ou corporel, mais il semble bien que leur conviction intime soit celle d'Alexandre. Pour tout le reste, il apparaît nettement que ce soient simples opinions plus ou moins probables.

2. Les suffrages pour les morts. -La meilleure synthèse, la plus représentative de la pensée des théologiens au XIIIe siècle, est celle de saint Thomas. Nous nous y appliquerons presque exclusivement. Le Docteur angélique livre son enseignement sur ce sujet dans les Sentences, dist. XLV, reproduite dans la Somme, Suppl., q. LXXI. Nous citons d'après le Supplément.

L'art. 1 rappelle le fondement théologique de l'efficacité des suffrages pour les défunts: en raison de la charité qui unit les membres de l'Église et de l'intention qui permet au chrétien d'offrir ses œuvres pour autrui, les suffrages faits par l'un peuvent profiter aux autres, quant à leur valeur impétratoire et quant à leur valeur méritoire ou satisfactoire. Saint Thomas rapporte expressément au dogme de la communion des saints cette vérité fondamentale.

En conséquence les morts peuvent être aidés par les vivants. A. 2. Saint Thomas s'appuie sur II Mac., XII, 46, et sur l'autorité de l'Église universelle déjà invoquée par saint Augustin dans le traité De cura pro mortuis gerenda. La tradition est ici représentée par le pseudo-Damascène et le pseudo-Denys, Enfin la raison théologique invoque les liens de charité qui unissent les vivants non seulement aux vivants, mais aux morts en état de grâce. Même les suffrages offerts par des pécheurs ont une certaine valeur, au moins ex opere operato. A. 2; cf. Sum. theol., IIIa, q. LXXXII, a. 6, et ici MESSE, col. 1061; IIa-IIæ, q. LXXXIII, a. 16; q. CLXXVIII, a. 2, et. ici PRIÈRE, col. 238. Damnés et habitants des limbes sont exclus du bénéfice de ces suffrages. A. 5 et 7. Mais «il n'est pas douteux que les suffrages faits par les vivants ne soient utiles à ceux qui sont dans le purgatoire». A. 6. Avec Augustin saint Thomas énumère les principaux moyens de secourir les âmes du purgatoire: prières de l'Église, sacrifice de l'autel, aumônes. A. 9. Les indulgences ne servent qu'indirectement et secondairement, si leur forme est telle qu'elles puissent leur être appliquées. Un certain nombre de questions accessoires sont abordées par saint Thomas, qui fait d'ailleurs écho à Pierre Lombard, sur l'utilité des obsèques, a. 11, la valeur respective des suffrages particuliers et des suffrages communs. A. 12-14.

On retrouve la même disposition et les mêmes enseignements chez la plupart des autres sententiaires, notamment saint Bonaventure, dist. XLV, a. 2, q. I-III. Dans son commentaire sur la dist. XX, saint Bonaventure, a. 1, q. V, envisage la manière dont la remise des dettes peut être faite aux âmes du purgatoire en raison des suffrages des vivants. Il formule la réponse qui deviendra traditionnelle dans la théologie catholique; la remise des dettes au purgatoire ne peut se produire per modum judiciariæ absolutionis; elle est toujours per modum suffragii. Cette doctrine laisse intact l'enseignement commun des théologiens sur la possibilité qu'ont les justes encore en vie d'offrir à Dieu en justice des satisfactions véritables les uns pour les autres. Elle s'est compliquée dans la suite de plusieurs controverses accessoires. Voir plus loin, col. 1308 sq.

Enfin, les sententiaires se sont demandé si les saints du ciel pouvaient intervenir en faveur des âmes du purgatoire. La réponse affirmative est commune; voir les commentaires In IVum Sent., dist. XLV. Des controverses se produiront sur la manière dont les saints peuvent intercéder. Mais le fait lui-même est admis sans discussion par tous, sauf peut-être par Durand de Saint-Pourçain, dist. XLV, a. 1.

Quoi qu'il en soit des discussions sur les modalités des suffrages pour les défunts, il y a une unanimité telle parmi les théologiens sur le fait même de l'efficacité de ces suffrages et sur l'enseignement et la pratique de l'Église à cet égard, que leur doctrine nous apparaît bien comme le «lieu théologique» transmetteur de la foi elle-même. Aussi bien, les docteurs sont-ils sur ce point le fidèle écho des Pères, comme ceux-ci le sont du magistère lui-même.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 12:48

II. L'ENSEIGNEMENT DES THÉOLOGIENS BYZANTINS DE LA FIN DE L'AGE PATRISTIQUE AU IIe CONCILE DE LYON.

-1° La doctrine des peines positives. -Cette doctrine passe pour ainsi dire au second plan. On a exposé ici (voir t. VIII, col. 1793) comment les perspectives eschatologiques sont devenues confuses avec la théologie byzantine, qui accuse un véritable recul sur l'enseignement des Pères des époques antérieures. Dans cette obscurité presque totale on ne peut que glaner quelques allusions aux peines purificatrices d'outre-tombe.

Faut-il voir une allusion à ces peines dans l'opinion de saint André de Crète († 720), qui place certains pécheurs en enfer, mais avec la possibilité d'en sortir grâce aux suffrages des vivants? C'est bien, semble-t-il, la forme que, de plus en plus, la doctrine des peines temporaires de l'au-delà prendra chez les Orientaux.

C'est bien la solution qui s'impose si l'on s'arrête à un fragment de Théodore Graptus (IXe siècle). Oratio de dormientibus, interprétant I Cor., III, 15. Illud «salvabitur» aut intelligitur de condemnatis qui salvantur, hoc est, remanent salvi et integri inter flammas illas æternas; aut intelligitur de illis qui spem salutis possident, quemadmodum et Gregorius Nyssenus dictum illud interpretatus est; licet nonnulli illum calumniati sunt tanquam Origeniani dogmatis asseclam. Ce court fragment -que Grégoire, hiéromoine de Chios (XVIe siècle), a sauvé de l'oubli en l'intercalant dans sa Synopsis dogmatum, Bibl. Vatic., n. 837, est surtout connu parce qu'il est rapporté par Allatius, De utriusque Ecclesiæ occidentalis atque orientalis perpetua in dogmate de purgatorio consensione, dans Migne, Theologiæ cursus completus, t. XVIII, col. 425. Il témoigne de la distinction très nette que faisaient, au IXe siècle, certains théologiens grecs entre le feu, peine du purgatoire temporaire, et le feu éternel, peine de l'enfer. Voir FEU DU PURGATOIRE, col. 2255.

Au Xe siècle, Œcumenius se rapproché davantage encore de notre conception catholique du purgatoire, dans son commentaire sur I Cor., III, 15. Pour lui, aucun homme n'est complètement juste: il faudra passer par ce feu, qui purifiera les légères souillures contractées. P. G., t. CXVIII, col. 676.

Théophylacte, archevêque d'Achrida, en Bulgarie, vers la fin du XIe siècle, interprète Luc., XII, 5: «Craignez celui qui, après avoir ôté la vie, a le pouvoir d'envoyer dans la géhenne.» Ceux qui meurent pécheurs, dit l'exégète, ne sont pas toujours envoyés dans la géhenne, mais ils sont au pouvoir de Dieu, qui peut aussi leur pardonner. Je dis cela à cause des oblations et des aumônes qui sont faites en faveur des défunts: elles ne sont pas de peu d'utilité même à ceux qui sont morts coupables de graves péchés. Aussi (le texte dit-il) non pas qu'après la mort (Dieu) les envoie, mais qu'il a le pouvoir de les envoyer dans la géhenne.» P. G., t. CXXIII, col. 880. Le même exégète, interprétant I Cor., III, 15, reprend l'explication de Jean Chrysostome: le pécheur sera sauvé, c'est-à-dire conservé dans le feu pour les supplices éternels ???? ???????? ????? ???????? ??????, t. CXXIV, col. 605 A.

2° Les suffrages pour les défunts. - En revanche, en ce qui concerne les suffrages pour les défunts, la théologie byzantine reste fidèle à la tradition séculaire de l'Église.

1. Le traité anonyme De iis qui in fide dormierunt, attribué jadis à saint Jean Damascène, remonte à coup sûr au moins au IXe siècle. L'auteur se propose d'y réfuter ceux qui affirment que les prières et les œuvres pies ne sont d'aucune utilité pour les défunts. Il invoque l'autorité du IIe livre des Machabées, et cite des passages du pseudo-Denys, de Grégoire de Nazianze, de Chrysostome, de Grégoire de Nysse, et enfin, pour des faits historiques, s'efforce de démontrer l'efficacité des suffrages. Nous y trouvons les légendes concernant la libération de l'enfer, grâce aux prières des vivants, de la païenne Falconille et de l'empereur Trajan. De tout l'ensemble de l'écrit se dégagent un certain nombre de points qui paraissent bien résumer la doctrine de l'auteur anonyme. Il admet: a) qu'exceptionnellement Dieu peut délivrer, eu égard aux prières des vivants, certains pécheurs de l'enfer; b) que les damnés reçoivent toujours quelque adoucissement de leurs peines en suite de ces prières; c) que, selon la loi commune de la divine justice, les âmes des impies ne peuvent pas être délivrées de l'enfer par les suffrages des vivants; d) que ces suffrages sont utiles aux âmes qui pendant leur existence terrestre se sont adonnées fort négligemment aux œuvres vertueuses ou bien n'ont pas pu achever d'accomplir le bien qu'elles s'étaient proposé; e) qu'enfin ces âmes souffrent et expient dans le feu. Si nous laissons de côté les libérations exceptionnelles de l'enfer (sur la possibilité de telles libérations, voir ENFER, t. v, col. 99-100) et la mitigation des peines (voir MITIGATION, t. x, col. 2002), tout le reste peut assez facilement cadrer avec notre doctrine du purgatoire. Sans doute le pseudo-Damascène parait étendre au-delà des limites qu'imposerait la stricte théologie la catégorie de ceux que les prières des vivants peuvent secourir dans l'autre monde; néanmoins il affirme le principe de l'efficacité de ces
prières à l'égard des pécheurs pour lesquels il y a quelque raison d'agir avec miséricorde. N'excluant que les pécheurs absolument impies et endurcis, il sacrifie peut-être la justice à la miséricorde. Il admet du moins deux vérités qui se complètent l'une l'autre: d'une part, une catégorie de pécheurs susceptibles de recevoir encore leur pardon dans l'autre vie; d'autre part, l'efficacité de nos prières en faveur de cette catégorie. C'est là tout l'essentiel du purgatoire. P. G., t. XCV, col. 247 sq.

2. Une doctrine plus nettement orthodoxe ressort du récit de la Continuation de Théophane touchant le sort éternel de l'empereur iconoclaste Théophile. Après la mort de Théophile, son épouse Théodora voulut restaurer le culte des images, mais auparavant obtenir les prières de l'Église pour son époux. La réponse du patriarche Méthode fut très nette: impossible d'obtenir par les prières de l'Église le pardon aux âmes qui ont quitté le monde des vivants sans bon espoir de salut et sont de toute évidence frappées d'une sentence de damnation. L'impératrice ayant affirmé sous la foi du serment qu'avant de mourir Théophile avait rétracté son erreur et baisé dévotement les saintes images, les prélats rassemblés n'hésitèrent plus à se faire fort d'obtenir le pardon du défunt par leurs prières. Theophanes continuatus, 1. IV, c. V, P. G., t. CXIX, col. 168 BD.

3. La doctrine des suffrages pour les morts transpire des nombreuses biographies écrites par Syméon Métaphraste. Dans la Vie de Jean l'Aumônier, n. 48, nous lisons cette phrase significative: «Il ordonnait qu'on célébrât des sacrifices pour ceux qui étaient morts, affirmant et répétant qu'aux défunts sont grandement utiles les prières et saints ministères faits à leur intention.» P. G., t. CXIV, col. 937 B; cf. Vita S. Theodori cœnobiarchæ, c. XIV, n. 17, ibid., col. 484, 485.

4. Le schisme de Photius qui devait survenir peu après ne changea rien à la question des suffrages pour les morts. Personnellement Photius était très certainement acquis à la doctrine traditionnelle de l'Orient. Comme Chrysostome, comme Théophylacte, il interprète O Cor., III, 15, de la conservation du pécheur dans le feu éternel, qui brûle et détruit son œuvre, sans le consumer lui-même. Cf. Hergenröther, Photius, t. III, p. 648-649, 651.

5. Terminons par un passage de Michel Glycas, qui, mieux que le pseudo-Damascène, définit quels défunts peuvent profiter des suffrages des vivants:
Il ne faut pas douter de l'efficacité des bonnes œuvres, que certains offrent pour des défunts pieux certes, mais pécheurs (????? ??? ??????? ????????? ??). Notre confiance se fonde avant tout, sur les disciples du Christ et les apôtres qui ont établi que la mémoire des morts serait faite publiquement aux troisième, neuvième et quarantième jour et à l'anniversaire... Et ne me dites pas: Puisque les sacrifices sont offerts universellement à Dieu pour les défunts, donc tous aussi parviendront au salut. Pour dissiper cette objection, voici, avant toute autre, l'opinion du grand Denys, qui enseigne parfaitement lesquels, parmi les péchés, peuvent être pardonnés, lesquels ne reçoivent pas de rémission. Car, de ceux qui quittèrent la vie encore souillés de péchés, voici ce qu'il dit: «S'ils ne sont souillés que de péchés légers, les défunts recevront utilité des bonnes œuvres faites à leur intention; mais, si leurs péchés sont graves, Dieu les repoussera loin d'eux.» (Cf. De eccles. hierarch., c. VII, 7, P. G., t. III,col. 561.) Et le grand Épiphane ajoute, dans son Panarion: «Les prières sont utiles pour les défunts, bien qu'elles n'effacent pas les grands délits.» (Hær., LXXV, 7, P. G., t. XLII, col. 513.)

Cette citation de Glycas est tirée de l'ouvrage In divinæ Scripturæ dubia, epist. XIX, P. G., t. CLVIII, col. 921-928. De plus, Glycas place ces pieux pécheurs dans l'enfer (?? ????) et éloigne d'eux, comme d'ailleurs des démons et des damnés, la peine du feu avant le jugement universel. Ibid., epist. XXII, col. 929. Enfin, tout comme le pseudo-Damascène, Glycas admet que même certains impies damnés pourraient être, très exceptionnellement, délivrés de l'enfer par les prières de certains saints personnages. Epist. XX, col. 929. Ces textes sont intéressants; ils présentent bien la doctrine des Orientaux sous la forme qu'elle va adopter désormais d'une façon presque générale.

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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 12:49

III. LA DOCTRINE DU PURGATOIRE AU IIe CONCILE DE LYON (1274).

- 1° Les «travaux d'approche» au point de vue doctrinal. -Sur l'histoire même du concile et des raisons, plutôt politiques que doctrinales, qui incitèrent Michel Paléologue à accepter l'union avec l'Église romaine, on se reportera à Hefele-Leclercq, Histoire des Conciles, t. VI, p. 153 sq. Mais déjà bien avant Grégoire X la pensée des papes avait été de travailler à la réconciliation des deux Églises. De là, entre Occidentaux et Orientaux, certaines discussions doctrinales que nous pouvons légitimement, par rapport au IIe concile de Lyon, qualifier de travaux d'approche.

1. Sous Grégoire IX.-Nous possédons, au moins en partie, la relation d'une controverse sur le feu du purgatoire qui se produisit, à la fin de l'année 1231 ou au début de 1232, au monastère grec de Cazoles, près d'Otrante, entre frère Barthélemy, un des légats du pape pour instaurer l'union des Églises, et Georges Bardane, évêque dissident de Corcyre, que Manuel Comnène avait envoyé comme ambassadeur à l'empereur Frédéric II. Sur le premier voir G. Golubovitch, Biblioteca bio-bibliografica della Terra santa, t. I, Quaracchi, 1906, p. 170-175. Sur le second, voir E. Kurtz, Georgios III Bardanes, Metropolit von Kerkyra, dans Byzantinische Zeitschrift, t. XV, 1896; p. 603-613. Traversant l'Italie, Georges Bardane était tombé malade et avait dû séjourner dans le monastère. Frère Barthélemy vint le visiter pour l'entretenir de l'union et l'interrogea sur le sort de ceux qui meurent sans avoir pu accomplir sur terre toute la pénitence (?? ????????) imposée par le confesseur. Le franciscain exposa au prélat grec la doctrine catholique sur le purgatoire et la purification par le feu des âmes qui se trouvent en un état intermédiaire entre les élus et les damnés, invoquant l'autorité des Dialogues de saint Grégoire. Le prélat grec remarqua que le Latin enseignait non seulement le feu du purgatoire, mais la rétribution immédiate après la mort, et il répliqua aussitôt en enseignant ouvertement la dilation des rétributions jusqu'au jugement général, rejetant le feu du purgatoire comme une doctrine entachée d'origénisme. Le colloque des deux interlocuteurs est partiellement conservé, sous forme de dialogue, dans deux mss., le Barber. græc. 297 et le Laur. græc. 36, n. 3. La doctrine des Latins ne semble pas avoir été comprise par l'auteur de la relation.

Toujours est-il que ce fut là le point de départ de la controverse générale. Car bientôt non seulement Georges Bardane consigna par écrit son entretien contradictoire avec frère Barthélemy, mais le patriarche Germain II lui-même (qui demeurait alors à Nicée avec l'empereur grec), sans doute averti par l'évêque de Corcyre, écrivit un traité contre le purgatoire, traité aujourd'hui perdu. Du côté des Latins, la rumeur se répandit que les Grecs niaient le purgatoire et retardaient la rémunération des âmes jusqu'au jugement dernier. Des écrits furent composés pour réfuter cette double erreur.

2. Sous Innocent IV. -Un de ces écrits eut pour auteurs les dominicains de Péra. Il est intitulé Contra errores Græcorum, titre qui vraisemblablement inspirera environ dix ans plus tard saint Thomas d'Aquin. (Dans l'opuscule Contra errores Græcorum de saint Thomas, la question du purgatoire vient au c. LXIX, cf. FEU DU PURGATOIRE, col. 2254.) Ce traité, des dominicains de Péra, paru en 1252, rappelle, dès le début, que le deuxième article sur lequel les Grecs diffèrent des Latins est le purgatoire parce qu'ils affirment: defunctorum animas nec paradisi gaudiis perfrui, nec infernorum suppliciis vel igne purgatorio citra diem judicii, aut ante latam sententiam extremam judicis posse subjacere. P. G., t. CXL, col. 487. Après avoir attribué la paternité de cette double erreur à André, archevêque de Césarée (attribution d'ailleurs inexacte), les auteurs en entreprennent la réfutation. Pour prouver la rétribution immédiate soit des bons, soit des méchants, ils invoquent les autorités de Jean Chrysostome et d'Athanase. Col. 511-513. Puis ils abordent directement la question du purgatoire, nettement enseignée dans I Cor., III, 11-15. Ce feu est celui du purgatoire. Pour le démontrer, ils s'appuient sur l'histoire de sainte Macrine, sœur de saint Basile, sur les textes de Basile lui-même et du pseudo-Damascène, col. 515-516, et Enfin ils rejettent l'interprétation de Chrysostome sur le salvabitur per ignem. Col. 515-517.

Mais, ailleurs, déjà sous le pontificat d'Innocent on put se rendre compte que la croyance des Grecs n'était peut-être pas si éloignée qu'on pouvait le croire de la doctrine catholique. Une lettre d'Innocent à Odon, cardinal de Tusculum, son légat dans l'île de Chypre, en fournit un témoignage irrécusable. Cette lettre constitue la meilleure préface qu'on puisse donner aux conciles de Lyon et de Florence:

Cum Veritas in Evangelio asserat quod si quis in Spiritum sanctum blasphemiam dixerit, neque in hoc sæculo, neque in futuro dimittetur ei: per quod datur intelligi quasdam culpas in præsenti, quasdam vero in futuro sæculo relaxari; et Apostolus dicat quod uniuscujusque opus, quale sit, ignis probabit, et cujus opus arserit detrimentum patietur, ipse autem salvus erit, sic tamen per ignem (I Cor., III, 15) : et ipsi Græci vere ac indubitanter credere et affirmare dicantur animas illorum, qui suscepta pænitentia. ea non peracta, vel qui sine mortali peccato, cum venialibus tamen et minutis decedunt, purgari post mortem et posse suffragiis Ecclesiæ adjuvari: nos, quia locum purgationis hujusmodi dicunt non fuisse sibi ab eorum doctoribus certo et proprio nomine indicatum, ilIum quidem juxta traditiones et auctoritates sanctorum Patrum purgatorium nominantes, volumus quod de cætero apud illos isto nomine appellelur. Illo enim transitorio igne peccata utique, non tamen criminalia seu capitalia, quæ prius per pænitentiam non fuere remissa, sed parva et minuta purgantur; quæ post mortem etiam gravant, si in vita non fuerint relaxata. Mansi, Concil., t. XXII, col. 581-582. Puisque la Vérité affirme dans l'Évangile que, si quelqu'un blasphème contre l'Esprit-Saint, ce péché ne lui sera remis ni en ce siècle ni dans l'autre: par quoi il nous est donné de comprendre que certaines fautes sont pardonnées dans le temps présent, et d'autres dans l'autre vie; puisque aussi l'Apôtre déclare que l'œuvre de chacun, quelle qu'elle soit sera éprouvée par le feu et que, si elle brûle, l'ouvrier en souffrira la perte, mais lui-même sera sauvé, comme par le feu; puisque les Grecs eux-mêmes, dit-on, croient et professent vraiment et sans hésitation que les âmes de ceux qui meurent ayant reçu la pénitence sans avoir eu le temps de l'accomplir ou qui décèdent sans péché mortel, mais coupables de véniels ou de fautes minimes, sont purifiées après la mort et peuvent être aidées par les suffrages de l'Église, nous, considérant que les Grecs affirment ne trouver chez leurs docteurs aucun nom propre et certain pour désigner le lieu de cette purification, et que, d'autre part, d'après les traditions et les autorités des saints Pères, ce nom est le purgatoire, nous voulons qu'à: l'avenir cette expression soit reçue également par eux. Car, dans ce feu temporaire, les péchés, non certes les crimes et fautes capitales, qui n'auraient pas été auparavant remis par la pénitence, mais les péchés légers et minimes sont purifiés; s'ils n'ont pas été remis au cours de l'existence, ils chargent l'âme après la mort.

Il ne s'agit pas ici sans doute d'un document pontifical ex cathedra. Mais il était intéressant de citer intégralement ce texte d'Innocent IV parce qu'il montre clairement que le pape ne voyait, entre l'affirmation des Latins et la position des Grecs, qu'une différence verbale.

3. Sous Clément IV. -Les pourparlers étaient engagés entre l'autorité romaine et l'empereur Michel Paléologue et déjà la profession de foi qui devait être sanctionnée à Lyon était préparée et proposée à l'empereur. Voir LYON (IIe concile œcuménique), col. 1382. Mais la mort du pape empêcha la réalisation immédiate de l'union. Pendant le long interrègne pontifical, les cardinaux chargèrent leur collègue Rodolphe Grosparmi, évêque d'Albano, de régler l'affaire de l'union si la chose était possible, mais toujours avec le texte préparé par Clément IV (1270).

2° La profession de foi des Grecs au concile de Lyon. -La profession de foi préparée par Clément IV fut admise sans discussion. Nous n'en reproduisons ici que la partie concernant les «erreurs» des Grecs sur l'eschatologie. Voir le texte latin, t. IX, col. 1385.

Mais, à cause de diverses erreurs que certains ont introduites par ignorance et d'autres par malice, elle (l'Église romaine) dit et proclame que ceux qui tombent dans le péché après le baptême ne doivent pas être rebaptisés, mais que, par une vraie pénitence, ils obtiennent le pardon de leurs péchés. Que si, vraiment pénitents, ils meurent dans la charité avant d'avoir, par de dignes fruits de pénitence, satisfait pour ce qu'ils ont commis ou omis, leurs âmes, comme nous l'a expliqué frère Jean, sont purifiées après leur mort, par des peines purificatrices ou expiatrices et, pour l'allégement de ces peines, leur servent les suffrages des fidèles vivants, à savoir les sacrifices des messes, les prières, les aumônes et les autres œuvres de piété que les fidèles ont coutume d'offrir pour les autres fidèles selon les institutions de l'Église. Les âmes de ceux qui, après avoir reçu le baptême, n'ont contracté absolument aucune souillure du péché, celles aussi qui, après avoir contracté la souillure du péché, en ont été purifiées ou pendant qu'elles restaient dans leur corps ou après avoir été dépouillées de leur corps, comme il a été dit plus haut, sont aussitôt reçues dans le ciel.

Sur ce texte, quelques remarques littéraires sont nécessaires.

Le frère Jean dont il est question est le franciscain Jean Parastron (de Balastri), «Grec d'origine, habile dans la langue grecque et zélé pour l'union.» Cf. Georges Pachymère, ?????? ???????????, 1. V, c. XI, P. G., t. CXLVIII, col. 823.

Le texte latin correspondant aux deux mots que nous avons soulignés est bien: pœnis purgatoriis seu catharteriis. C'est là le texte vulgarisé. Denz.-Bannw., n. 464; Cavallera, n. 1455. L'expression est sage et prudente, car elle évite les controverses sur le lieu du purgatoire ou sur le feu. Dans le texte latin des professions de foi envoyées par Michel Paléologue, en 1277 au pape Jean XXI, en 1277 au pape Nicolas III, on lit: pœnis purgatorii seu catharterii. A. Theiner et Miklosich, Monumenta spectantia ad unionem Ecclesiarum, Vienne, 1872, p. 9. Dans le texte grec de la profession de foi d'Andronic Paléologue, 1277, on lit: ??????? ???????????? ???? ???????????, Ibid., p. 17. Dans celui de la profession de foi du patriarche Jean Veccos, on lit: ??? ????? ???? ?????????? ... Ibid., p. 26. Si ces leçons devaient être tenues pour vraies, il s'ensuivrait que la volonté exprimée par Innocent IV concernant l'appellation elle-même de purgatoire aurait été sanctionnée par le concile. Mais la chose reste aussi douteuse que le texte rapporté par Theiner, et comme la question du lieu des souffrances purificatrices a été nettement écartée par le concile de Florence, nous sommes en droit de négliger, au point de vue théologique, les textes divergents cités par Theiner-Miklosich.

Charles-Edouard
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Message par Charles-Edouard Mar 13 Nov 2007 - 12:49

Au point de vue dogmatique, le texte imposé aux Grecs représente à coup sûr la doctrine catholique. II est l'équivalent d'une définition ex cathedra. C'est la foi de l'Église catholique qui est ici proclamée. Toutefois, en ce qui concerne l'admission immédiate au ciel des âmes complètement purifiées, la formule mox in cœlum recipi trouvera dans la définition de Benoît XII de nouvelles et nécessaires précisions.

La foi de l'Église, en ce qui concerne strictement le purgatoire, s'attache uniquement à deux points: dans l'autre vie, les âmes justes, mais non encore complètement purifiées, devront subir des peines purificatrices. L'allègement de leurs peines est obtenu par les suffrages des vivants, sacrifices de la messe, prières, aumônes et autres œuvres de piété, d'ailleurs consacrées par l'usage et la pratique universelle de l'Église. Du caractère temporaire des peines purificatrices il n'est rien défini directement, mais ce caractère temporaire ressort avec évidence du fait qu'aussitôt après leur purification les âmes sont reçues immédiatement dans le ciel.

Désormais l'Église s'en tiendra à ces formules générales: ni le lieu ni le feu du purgatoire ne seront envisagés dans ses définitions.

3° Après le concile de Lyon. -1. Une intervention pontificale à l'égard de l'Église arménienne..-Le pape Benoît XII, sollicité par les Arméniens de leur envoyer du secours contre les Sarrasins, répondit en exigeant tout d'abord leur renonciation à certaines erreurs, dont la liste avait été dressée d'après des dépositions assermentées d'Arméniens et de Latins ayant vécu en Arménie et d'après quelques livres arméniens. Cf. F. Tournebize. Les cent dix-sept accusations présentées à Benoît XII contre les Arméniens, dans Rev. de l'Orient chrétien., t. XI, 1906, p. 163-181, 274-300, 352-370, et ici BENOIT XII, t. II, col. 696.

En ce qui concerne l'état des âmes après la mort et le purgatoire, voici les erreurs reprochées aux Arméniens. Avant le jugement général, les âmes n'entrent pas au ciel et ne vont pas en enfer; elles restent sur cette terre ou dans l'air, comme les démons. A. 7, 15, 23,31. En conséquence, pas de purgatoire: Item quod Armeni communiter tenent, quod in alio sæculo non est purgatorium animarum, quia, ut dicunt, si christianus confiteatur peccata sua, omnia peccata ejus et pœnæ peccatorum ei dimittuntur. Nec etiam ipsi orant pro defunctis, ut eis in alio sæculo peccata eis dimittantur, sed generaliter orant pro omnibus mortuis., sicut pro beata Maria, apostolis ... Denz.-Bannw., n. 535.

La réponse des Arméniens fut donnée au concile de Sis, en 1342. Voir Hefele-Leclercq, op. cit., t. VI, p. 861. La réponse montre la doctrine arménienne assez ferme sur l'état des âmes justes et des âmes pécheresses après la mort: les âmes pécheresses descendent en enfer, les âmes justes vont toutes à la vie éternelle, comme il est dit souvent dans la liturgie. Quant au purgatoire, la doctrine est bien ce qu'elle pouvait être après le concile de Lyon. Les Arméniens n'admettent que depuis quelque temps le mot purgatoire, mais, en revanche, ils ont professé de tout temps la doctrine correspondant à ce mot. Et le synode de Sis apporte des preuves à l'appui de son affirmation. Ils prient pour les défunts pécheurs, mais il est faux qu'ils prient pour Marie et pour les saints du ciel afin qu'ils soient rendus participants du repos éternel. Cette prière demande seulement que les saints ne conçoivent pas, à cause de nous, de la tristesse et du trouble, c'est-à-dire que nous restions libres de tout péché. Voir le texte des articles incriminés et des réponses dans Mansi, Concil., t. XXV, col. 1188.

L'affaire devait traîner en longueur: l'union ne fut scellée qu'au concile de Florence. Le même pape avait d'ailleurs fait une allusion très claire au purgatoire, dans sa bulle Benedictus Deus, en parlant des âmes qui, après leur mort, auraient achevé [de se purifier]. Voir ici, t. II, col. 658.

2. Continuation des controverses théologiques. -Les adversaires de l'union ne manquèrent pas après le concile. En ce qui concerne la croyance au purgatoire, les principaux adversaires sont Matthieu Koïestor Ange Panarétos, théologien de la seconde moitié du XIVe siècle, et Siméon de Thessalonique († 1429).

Le premier a écrit un traité sur le feu du purgatoire, réfutation du c. IX de l'opuscule de saint Thomas, Declaratio ... Malheureusement il est encore inédit. Son titre est ????? ????????? ???? ?????? ????? ????? ??????????? ?????? ??????? ?????????? ???????? ??????????? ???? ?????????. Sur les manuscrits voir P. Risso, dans Roma e l'Oriente, t. VIII, 1914, p. 178. Cf. PANARETOS, t. XI, col. 1844.

La diatribe de Siméon de Thessalonique contre le feu du purgatoire se lit dans son Dialogus contra hæreses, c. XXIII, P. G., t. CLV, col. 116 D. C'est, dit-il, en substance, l'enseignement de tous les saints: aucun d'entre eux ne reconnaît pour les âmes pécheresses d'autre peine que celle d'être enfermées, comme en une prison, en des lieux de désolation, dans la tristesse, en attendant leurs peines; les âmes des justes, au contraire, sont dans des lieux de lumière et de réjouissance attendant le bonheur espéré, avec la réunion à leur corps. Dieu accorde un certain soulagement dans leur tristesse et leur crainte à ceux qui ont quitté cette vie dans des sentiments de pénitence véritable mais imparfaite. Il n'y a pas de feu qui les purifie, comme l'affirment les Latins, mais simplement les prières sacrées et les sacrifices offerts par l'Église à Dieu à leur intention...

En revanche, l'affirmation de l'efficacité des suffrages subsiste toujours. On vient de la trouver même dans l'attaque de Siméon de Thessalonique. Cette utilité des prières pour les défunts se retrouve affirmée par Georges Pachymère dans ses annotations au De eccles. hierarch. du pseudo-Denys, c. VII, § 6 et 7, P. G., t. III, col. 576-577, 580, et par Nicolas Cabasilas, Liturgiæ expositio, c. XXXIII, P. G., t. CL, col. 441 sq.

Un seul théologien expose pleinement la doctrine catholique parce que, catholique de sentiments, il a reçu des dominicains une forte empreinte doctrinale et qu'il s'est fait dominicain lui-même; c'est Manuel Calécas († 1410). Dans son Adversus Græcos libri, dont nous ne possédons au complet que le texte latin (P. G., t. CLII), un chapitre du 1. IV, est consacré au feu du purgatoire, col. 228 sq. L'auteur établit d'abord que le dogme du purgatoire est pour ainsi dire postulé par le fait des pénitences imparfaitement accomplies sur la terre, col. 229 BC, et qu'il est impliqué dans la pratique des prières pour les défunts. Col. 229 C. On ne prie, en effet, ni pour les élus ni pour les damnés. Col. 229 C. À supposer même qu'il n'y ait que des péchés légers à expier, le purgatoire répond à la nécessité d'effacer tout ce qui peut nous empêcher de nous unir à Dieu, col. 232 BC; il faut donc conclure à l'existence du «feu du purgatoire». Col. 232 C. Si ce feu n'existait pas, ce serait équivalemment admettre qu'un mal reste impuni, ce serait aller contre Dieu et le détruire. Col. 233 AB. Les prières faites par l'Église à l'intention des défunts, demandant pour eux le repos et la paix, démontrent l'existence de ce lieu de souffrances et d'expiation. Col. 233 D, 236 AB. Jusqu'ici,
par une heureuse fortune, nous avons, parallèlement au texte latin, l'original grec. Mais du dernier paragraphe, Migne ne donne que le texte latin. Il s'agit de I Cor., III, 13-15, sur la signification du mot «feu». L'auteur rapporte l'interprétation de Chrysostome, qu'il repousse, et s'attache à démontrer que Grégoire de Nysse a fourni la véritable explication, un feu temporaire, dans ses effets, et qui n'est pas le feu de l'enfer. Col. 235-236 CD.

Si tous les Orientaux avaient eu la mentalité de Manuel Calécas, l'union eût été facile, elle eût été d'avance réalisée. Malheureusement telle n'était pas la réalité. On va le voir en étudiant les actes du concile de Florence.

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