Contre-propagande (Israël)

«... bien que le grand mufti de Jérusalem n'ait pris aucune part significative dans l'Holocauste, il joue un rôle vedette dans les volumes de l'Encyclopédie de l'Holocauste publiés par Israël Gutman. le Mufti occupe une place prépondérante à Yad Vashem, si bien que - comme le souligne Tom Segev - «On laisse au visiteur le soin de conclure qu'il existe bien des points communs entre les plans des nazis pour exterminer les Juifs et l'hostilité des Arabes envers Israël». 

 S'exprimant à propos d'une commémoration d'Auschwitz ou officiaient des représentants de toutes les confessions, Wiesel n'éleva d'objections qu'à la présence d'un cadi musulman : «N'avons-nous pas oublié le Mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini, l'ami de Heinrich Himmler ?»

Soit dit en passant, si le Mufti a été un personnage si important dans la Solution finale, pourquoi Israël ne l'a-t-il pas traîné devant un tribunal, comme Eichmann ? Après la guerre, il vivait au su de tous, aux portes d'Israël, au Liban.»

- Norman Finkelstein, L'industrie de l'Holocauste, p. 63

 Le Hamas, Israël et le judaïsme 

Le Hamas est-il un mouvement antisémite ?

Avant toute chose, l'emploi du terme «antisémite» pose un vrai problème quand il s'agit de définir la perception des juifs et du judaïsme par les Palestiniens et les Arabes - ces derniers étant eux-mêmes sémites. Dans un contexte arabe, cet mot est tout de même contradictoire, et il vaut mieux qualifier d'anti-juif un certain type d'état d'esprit palestinien ou arabe vis à vis des Juifs. 

[...]

La tolérance à l'égard des Juifs et des chrétiens observée dans la tradition et les sociétés islamiques est inscrite dans le Coran  : la communauté de racines entre l'islam, le judaïsme et le christianisme dans l'Ancien Testament y est en effet reconnue, et il y est dit que les musulmans doivent respecter juifs et chrétiens. Il n'existe donc en principe aucun fondement religieux à une discrimination religieuse ou ethnique ou raciale susceptible de mener à l'antisémitisme de type européen et à ses manifestations. 

Non sans ironie, le vent violent d'antisémitisme qui s'est mis à souffler sur le Moyen-Orient au début du XXe siècle était d'origine européenne, tant dans ses fondements idéologiques que dans les actions qui l'ont nourri. Dès les premières années du XXe siècle, le sionisme européen a exploité le désir croissant des européens de régler la «question juive» - lequel a culminé avec la Deuxième Guerre mondiale et l'occupation nazie. In fine, il s'agissait de combiner le départ des populations juives hors d'Europe avec l'aspiration de ces dernières à l'établissement d'un État juif en Palestine. 

[si on abrège]

La moitié du peuple palestinien fut chassée de ses foyers et de ses terres à la fondation d'Israël en 1948, tandis que des Juifs venus d'Occident prenaient sa place de force, sous l'oeil approbateur de l'Europe et des États-Unis. C'est ainsi que les juifs/sionistes en vinrent à être perçus par les Palestiniens comme une force d'occupation militaire coloniale, et que furent balayés plusieurs siècles de coexistence pacifique entre musulmans et juifs dans cette région. 

Le Protocole des sages de Sion, ouvrage antisémite apocryphe (d'origine européenne lui aussi), présente les Juifs comme les instigateurs d'une gigantesque conspiration visant à établir leur domination sur le monde. Avec la création d'Israël sur les terres ancestrales palestiniennes en 1948, ce livre a soudain trouvé un terrain favorable en Palestine. Ainsi s'acheva la longue période de cohabitation harmonieuse entre juifs et musulmans, tandis que s'ouvrait un nouveau chapitre tout de sang et de haine. Si l'on ne prend pas en compte ce contexte, il est vain d'espérer comprendre quoi que ce soit à l'attitude du Hamas vis à vis des Juifs. 

En vertu des enseignements de la religion musulmane, le Hamas, comme d'ailleurs n'importe quel groupe ou individu se réclamant de l'islam, n'est pas autorisé à s'en prendre à des Juifs au motif qu'ils sont juifs. Donc, pour être exact : le Hamas est délibérément anti-sioniste. Il n'est pas anti-juif. Et par sioniste il faut entendre «toute personne ou tout groupe dont le but premier est la création d'un État juif en Palestine». 

La charte du Hamas 

Il est vrai qu'on trouve des déclarations anti-juives dans la charte du Hamas de 1988. Mais elles ne correspondent plus à ce qu'est devenu le parti après toutes ces années. Rédigée début 1988 par un individu isolé, elle a été publiée sans consultation, révision ou consensus du parti. Toutes sortes de confusions entre judaïsme et sionisme se sont glissées dans cette charte, ce qui a desservi le Hamas qui fut dès lors considéré comme un parti antisémite à la vision du monde bien naïve. 

Leaders et porte-parole du Hamas se sont rarement référés à la charte et ils l'ont peu citée - preuve que celle-ci a fini par devenir un boulet plutôt qu'un étendard intellectuel portant les grands principes du mouvement. Si l'on compare au langage de la charte en 1988 le discours sophistiqué du Hamas à la veille des élections de 2006, il semble que l'on ait affaire à deux mouvements différents. 

De fait, deux ans à peine après la parution de cette charte à la rhétorique lourdement anti-juive, le Hamas publiait des textes dans lesquels il prenait ses distances avec tout ce contenu. Soulignant que son combat ne visait en aucun cas les Juifs et le judaïsme, mais le sionisme et ses partisans, il en profitait pour établir une distinction clair entre les deux notions :

«Le juif non sioniste est celui qui, tout en appartenant à la culture juive par sa foi religieuse ou le hasard de sa naissance ne prend part à aucun acte d'agression à l'encontre de notre pays et de notre nation. Le Hamas ne témoignera aucune agressivité envers quiconque pour ses idées ou ses croyances, à moins que ces dernières ne se traduisent par des actions hostiles ou nuisibles contre notre peuple.»

Alors que nous discutions de cette distinction, un des leaders du Hamas est allé jusqu'à m'affirmer que «juif, sioniste ou israélien, là n'est pas la question. Seule importe à mes yeux la notion d'occupation, d'agression. L'occupation fût-elle imposée par un État arabe ou islamique servi par des soldats arabes ou musulmans, je résisterais et me battrais tout autant». 

Il n'empêche que sur le terrain, dans les villes palestiniennes et les camps de réfugiés de Cisjordanie et de la bande de Gaza, on utilise couramment les mots «juifs», «sionistes», «israélien» de façon indistincte - y compris au sein du Hamas. Mélanger tous ces termes brouille les différences, car incontestablement, tout juif n'est pas sioniste, et tout israélien n'est pas sioniste. 

Même s'il faut tenir compte de tout cela, reste qu'un sentiment indéniablement anti-juif s'est implanté dans les sociétés palestinienne et arabe. Mais contrairement à l'antisémitisme occidental, il n'est pas fait de haine religieuse, raciale ou culturelle. Les actions militaires entreprises contre des cibles «juives» visent ces dernières en tant que représentantes d'une occupation agressive et illégale.

Pour le Hamas, Israël est un État colonial crée par la force. Il représente l'aboutissement de l'attitude impérialiste et colonialiste des Occidentaux envers les Arabes et les musulmans au tournant du XXe siècle. 

A ses débuts, le regard que portait le Hamas sur Israël était chargé de rancoeur religieuse, Israël représentait à ses yeux l'aboutissement d'une offensive juive contre les musulmans et leurs lieux saints à Jérusalem. La création d'Israël, avec le fort soutien des nations occidentales, était perçue comme une résurgence des croisades médiévales. Mais le discours du Hamas s'est peu à peu étoffé et s'est adapté aux réalités modernes. C'est ainsi qu'il s'est recentré sur l'idée d'occupation et d'occupants, et sur celle d'une résistance contre Israël désormais dirigée contre l'agresseur, non contre sa religion. Mais d'une façon générale, le discours politique des dirigeants du Hamas, celui des textes et des déclarations officiels relatifs à Israël, se fonde pour l'essentiel sur le droit international, et il y est question de politique, non de religion.

Le Hamas projette-t-il la destruction d'Israël ?

Destruction d'Israël : cette expression couramment employée par les médias pour définir l'objectif ultime du Hamas n'est jamais employée par le Hamas, même dans ses déclarations les plus radicales. Le grand slogan du mouvement est la «libération de la Palestine», ce qui ne dit rien du sort réservé à Israël dans l'hypothèse ou ce but serait atteint.

[...] 

Si l'on veut être réaliste, affirmer que le Hamas se serait tacitement fixé comme fin ultime la destruction d'Israël ne rime à rien. Sur le terrain, les actions et les prises de position parlent d'elles-mêmes : c'est le contraire qui est vrai. Ni le Hamas ni n'importe quel autre groupe palestinien ou arabe - pas même un État - me caresse le rêve de détruire Israël.  Israël jouit de moyens militaires conventionnels et non conventionnels qui lui permettraient de détruire toutes les contrées avoisinantes du Moyen-Orient en quelques minutes, C'est un fait incontesté : rien ne menace l'existence d'Israël à moyen ou long terme. En revanche, l'existence des Palestiniens est, elle, de toute évidence menacée par Israël. Présenter le Hamas et les palestiniens comme un menace mortelle pour Israël relève de la propagande politique et du sensationnalisme bon marché.

Pour que le mouvement soit en mesure d'atteindre un tel but, il lui faudrait rester au pouvoir pendant des décennies et éliminer tous les groupes palestiniens qui ne partagent pas le même objectif. Il lui faudrait aussi constituer au fil des années, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, une armée palestinienne considérable - sans qu'Israêl songe jamais à s'en inquiéter. Il lui faudrait enfin importer des chars et des avions de chasse ... de puissances complices qui n'existent pas, et entraîner des milliers de soldats sur les territoires qui sont sous son contrôle : d'étroite bandes de terre non contigües ... Comment le Hamas pourrait-il vaincre, mieux encore, détruire Israël, quand tous les autres pays arabes ont collectivement échoué depuis un demi-siècle ? 

Même si le Hamas a pu sembler porté par un vrai élan - sur le plan militaire, avec le succès des vagues d'attentats suicides au coeur des villes israéliennes , et sur le plan politique avec la victoire aux élections de 2006 - il n'en est pas moins un mouvement défensif  plutôt qu'offensif. Les limites structurelles auxquelles se heurtent les Palestiniens en général valent pour le Hamas. peut-être même davantage pour lui que pour les autres, compte tenu de sa spécificité - pensons par exemple à l'absence totale de soutien international, contrairement à l'OLP. Conscient de la difficulté de sa position, le Hamas obéit essentiellement à des mécanismes défensifs dans  sa conduite de la politique et des affaires. Dans les années à venir, son objectif ultime sera simplement de se maintenir en vie en échappant à la destruction.  

 Khaled Hroub, Le Hamas, Paris, 2008, p. 76