Patrick Buisson : « La volonté de l’Eglise de s’ouvrir au monde a eu des effets pervers »
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Patrick Buisson : « La volonté de l’Eglise de s’ouvrir au monde a eu des effets pervers »
Patrick Buisson : « La volonté de l’Eglise de s’ouvrir au monde a eu des effets pervers »
Dans son dernier essai La fin d'un monde, le politologue analyse les raisons de la rupture anthropologique majeure qu’a connue la France au tournant des années 60. Une crise dont une partie des clercs, dans leur souhait de bannir les rites, ne seraient pas innocents selon le polémiste.
Dans un la Fin d'un monde (Albin Michel), Patrick Buisson retrace les profondes mutations de la société française dans les années 1960-1970, dont celles qui traversèrent aussi l'Eglise catholique.
- MIGUEL MEDINA / AFP
Dans son dernier essai La fin d'un monde, le politologue analyse les raisons de la rupture anthropologique majeure qu’a connue la France au tournant des années 60. Une crise dont une partie des clercs, dans leur souhait de bannir les rites, ne seraient pas innocents selon le polémiste.
Dans un la Fin d'un monde (Albin Michel), Patrick Buisson retrace les profondes mutations de la société française dans les années 1960-1970, dont celles qui traversèrent aussi l'Eglise catholique.
- MIGUEL MEDINA / AFP
Dans votre livre, vous écrivez que, depuis les années 50, la France a connu une révolution anthropologique majeure. Nous sommes passés de l’homo religiosus - au sens de religare, l’homme relié au passé et à la terre - à l’homo economicus. Expliquez-vous ?
L’homo economicus, c’est l’homme délié. C’est l’homme qui a quitté, à la fois, le monde de l’appartenance et de la croyance. J’ai écrit ce livre en admirateur de l’être historique de l’Eglise, c’est-à-dire de toute l’œuvre qui avait été celle de la Chrétienté et j’ai voulu comprendre comment cette chrétienté s’est décomposée. On a parlé de déchristianisation selon que l’on met l’accent sur les facteurs exogènes, c’est-à-dire extérieurs à l’Eglise ou d’exchristianisation selon que l’on met l’accent sur les facteurs intérieurs de l’Eglise. Ce qui fait le lien, c’est que cette période, que l'on appelle les 15 piteuses 1960-75, fut marquée par une profonde crise de la spiritualité qui n’affecta pas simplement les fidèles mais aussi une partie du clergé. C’est ce que j’appelle le grand remplacement, celui qui conditionne et explique les autres. On passe de l’homme au posthumain. De l’homme relié à celui qui n’est plus habité par la transcendance. A celui qui est réduit à ce qu’il consomme, à ce qu’il possède… qui est réduit, au final, à sa peau.
Mai 68 est-il le déclencheur de cette révolution anthropologique ?
Non. Cette crise remonte à beaucoup plus loin. Ma thèse concerne la révolution petite-bourgeoise qu’il faut relier à la révolution bourgeoise. Cette révolution des mentalités qui remonte à la Renaissance, à la Réforme et aux Lumières. C’est un mouvement qui vient de loin mais qui trouve une accélération extraordinaire durant cette période 60-75 et ce qui se passe en 68 est la conjonction de plusieurs évènements. Tout d’abord, un élément qui recoupe à la fois la démographie et l’économie. Nous sommes au beau milieu des Trente Glorieuses, le grand développement économique de la France. Ma génération, celle des boomers, va vivre avec un sentiment de surpuissance, de domination de la vie et ce pour trois raisons : le progrès scientifique, la croissance économique et une augmentation sensible de l’espérance de vie. Ce recul de la mort, pour paraphraser le sociologue Paul Yonnet, va donner à cette génération un sentiment prométhéen de surpuissance qui débouchera sur cette mutation anthropologique.
Vous écrivez que cette révolution petite bourgeoise de Mai 68 n’avait pour but que de détruire les repères ancestraux : la place du père, le monde paysan, les bistrots… Avant de parler de déracinement spirituel, il y a tout d’abord un déracinement géographique selon vous…
Oui. C’est fondamental. La fin de la France rurale est pour beaucoup dans le recul historique du catholicisme. Vous le savez bien, toutes les paraboles du Christ sont celles qui renvoient au cycle de la nature. Dans la liturgie, le cycle que l’on appelait des quatre temps célébrait les changements de saisons, avant les réformes liturgiques. Le catholicisme a eu le génie de récupérer et christianiser tout ce qui était le fond religieux de l’humanité. L’Homme est un animal rituel. Soit il reçoit des rites, soit il les crée. Le catholicisme récupère, embellit, magnifie tout cela et, effectivement il est lié au monde rural dans la mesure où le cycle liturgique correspond parfaitement au cycle des saisons et des travaux agricoles. Le paysan est prédestiné culturellement à recevoir le catholicisme, à la comprendre intimement et à le transmettre. Tout le problème est là. Toute cette intelligence symbolique liée au monde rural va se trouver dissipée parce que le monde technique et urbain en est dépourvu. Aucune invention technique, disait Gustave Thibon, n’est poétisable. Cette rupture géographique est fondamentale et ce changement d’économie va jouer contre le catholicisme. Autrefois, on disait que la religion bornait les individus mais elle leur dissimulait l’abîme. Aujourd’hui, il n’y a plus rien entre l’abîme et nous. Or, la première demande de l’Homme, n’est ni l’ordre ni la justice mais la demande de signification.
Dans votre livre, vous abordez le rôle de l’Eglise catholique, celui de l’Eglise conciliaire. Faut-il voir votre livre comme une violente charge contre Vatican II ?
Non, pas du tout. Le débat porte sur l’herméneutique, c’est-à-dire l’interprétation du concile. Joseph Ratzinger explique très bien ce qui s’est imposé dans l’opinion : une interprétation du concile qui a malheureusement eu des effets délétères, notamment via les médias. Mais aussi, il faut le dire, avec le concours d’une minorité de jeunes prêtres appartenant à la petite bourgeoisie, qui s’est empressé de mettre sous le boisseau les dogmes fondamentaux de l’Eglise catholique. J’ai consulté une étude réalisée à partir des bulletins des paroisses parisiennes. A partir de 1965, on ne parle plus des Fins dernières. On ne prêche plus le péché originel. Le diable a même disparu !
Les catholiques en avaient certainement assez que l’on évoque toujours le péché, le diable, l’enfer et la repentance. N’était-il pas plus souhaitable d’annoncer l’avènement d’un Dieu d’amour et miséricordieux plutôt que châtiment et colère divine ?
L’Eglise a reçu un dépôt sacré qui s’appelle les Evangiles. Résurrection des corps et rédemption sont-elles dans les Evangiles ou non ? J’accepte que l’on ait une interprétation et que l’exégèse fasse des progrès mais je ne vois pas comment il peut y avoir un catholicisme sans parler de péché originel et de rédemption. Brusquement, on en parle plus. Brusquement la branche verticale de la croix s’est inclinée vers la branche horizontale. C’est-à-dire que l’Eglise souhaitait aller vers le monde et je pense que les pères conciliaires ont surestimé l’influence du marxisme. Surestimer, parce que si le marxisme était totalement dominant sur le plan intellectuel à l’époque, on sait que les militants communistes ne rejetaient pas du tout le catholicisme, contrairement à ce que l’on a pu croire. En 1967, le philosophe et sociologue Edgar Morin et son équipe du CNRS nous montraient que même à Plozévet, commune rouge du Finistère, il n’existait pas un enfant qui ne soit baptisé jusqu’en 1967 ! Même chose lorsque l’on regarde les chiffres de la banlieue rouge : 75% d’enterrements religieux à Aubervilliers, Gennevilliers ou Stains. S’il y avait un athéisme au niveau de la pensée marxiste, les militants communistes étaient encore réceptifs, au moins, au fond culturel chrétien. La volonté de l’Eglise de s’ouvrir au monde, donc au marxisme qui était dominant, a eu des effets pervers. Malheureusement, on a plus mis en avant cette herméneutique de la rupture plutôt que celle de continuité. Il y a eu la volonté de la part de certains clercs de vouloir rendre la religion catholique accessible ou intelligible à la raison raisonnante.
Vous critiquez fortement le passage du catholicisme rituel au catholicisme intellectuel. Mais n’est-il pas préférable de savoir et comprendre pourquoi nous avons la foi plutôt que de suivre les habitudes et la tradition populaire d’antan ?
Mettre l’accent sur la conversion personnelle, j’entends bien que ce fut le discours dominant de cette époque mais le génie du christianisme, comme le disait Blaise Pascal, c’est de donner à manger à tous les râteliers. A l’intellectuel comme au toucheur de bœufs. Pourquoi ces derniers seraient-ils exclus ? Ils ont besoin de la ritualité, de la sacralité pour accéder à la foi. Si votre conception de « beaucoup d’appelés et peu d’élus » signifie pour vous que le Royaume des cieux sera réservé aux intellectuels, aux petits riches, aux parvenus du savoir et du pouvoir, et bien non ! Je ne suis pas de ce catholicisme-là !
Cette crise des vocations et de la pratique religieuse ne serait-elle pas arrivée, même si l’Eglise n’avait rien changé ?
Personne ne peut conjecturer sur cette question. Faire l’Eglise des purs a toujours été une tentation au cours de son histoire. L’hérésie cathare est née de cela. Mais j’oserais faire une analyse marxiste en disant que ce clergé, issu des classes populaires avant de rejoindre la classe moyenne, n’avait qu’une obsession : effacer le milieu dont il était issu. Victor Hugo parlait de ces « petits bourgeois parvenus du savoir qui tirent l’échelle après eux et ne veulent pas laisser monter le peuple ». Tout ce qui leur rappelait leur condition originelle les horripilait. Cette pratique religieuse très ritualiste n’a suscité chez eux que mépris et volonté de détruire. C’était un mépris de classe. Que sont les Béatitudes sinon le primat donné aux pauvres en esprit ? Ces pauvres en esprit étaient dépositaires d’une forme de la foi pouvant paraitre, certes, primaire ou dictée par les forces du sensoriel et le besoin de merveilleux mais je le répète, l’homme est un animal rituel. Certes, l’Eglise a pour mission de prêcher la conversion personnelle et d’obtenir des hommes le meilleur de ce qu’ils peuvent donner, mais si vous la réduisez à cette religion sèche et désincarnée, on en oublie l’essentiel.
Une chronique désenchantée de notre monde écrite par un pessimiste. Où se niche la vertu d’espérance chrétienne chez Patrick Buisson ?
Contrairement à ce que vous pensez, je ne suis pas pessimiste. Je fais confiance à la Providence et n’y voyez pas là une pirouette facile en guise de réponse. Je pense que l’Histoire est cyclique mais que l’Histoire de l’humanité obéit à un temps vectoriel qui aboutit à la Parousie. Bossuet, loin d’être adepte de la cancel culture, disait : « Quand Dieu efface, c’est qu’il veut écrire ». O il se trouve que Dieu a effacé un monde qui avait, certes, ses insuffisances et ses bassesses mais qui avait aussi une grandeur inouïe. Le pacte qu’avait noué l’Eglise entre le Beau et le Vrai s’est maintenu durant 15 siècles. 15 ans ont suffi à l’éliminer ou du moins à le réduire. La Chrétienté était un prodige de civilisation ! Cela n’existe plus ou du moins, plus avec la même intensité, et je reprendrai les mots de Bossuet « si Dieu efface, c’est qu’il veut écrire ». Attendons donc la prochaine écriture.
La fin d’un monde. Patrick Buisson. Editions Albin Michel. 22,90 euros.
Thomas Cauchebrais
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