Vie de Sainte Marguerite-Marie, apôtre du Sacré-Coeur, écrite par elle-même.
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Vie de Sainte Marguerite-Marie, apôtre du Sacré-Coeur, écrite par elle-même.
Elle est née, le 22 juillet 1647, en Bourgogne Elle devient orpheline alors qu'elle a douze ans et ses tantes qui gèrent la famille font d'elle un véritable souffre-douleur. A 24 ans, elle peut enfin réaliser sa vocation: répondre à l'amour intense de Dieu. Les grâces mystiques qui accompagnent ses épreuves culminent en 1673 dans plusieurs visions du Christ: Voici le coeur qui a tant aimé les hommes jusqu'à s'épuiser et se consumer pour leur témoigner son amour. Guidée par le Saint jésuite Claude de la Colombière, elle parviendra à promouvoir le culte du Sacré-Coeur d'abord dans son monastère de la Visitation, puis dans toute l'Église Catholique latine. Elle meurt le 16 octobre 1690.
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VIE DE LA BIENHEUREUSE MARGUERITE-MARIE ALACOQUE
PRÉVENANCES DE JÉSUS POUR MARGUERITE DURANT SES PREMIÈRES ANNÉES.
VIVE JÉSUS !
C'est donc pour l'amour de vous seul, ô mon Dieu, que je me soumets d'écrire ceci, par obéissance, en vous demandant pardon de la résistance que j'y ai faite. Mais comme il n'y a que vous qui connaissiez la grandeur de la répugnance que j'y sens, aussi n'y a-t-il que vous seul qui me puissiez donner la force de la surmonter, ayant reçu cette obéissance comme de votre part, voulant punir par là le trop de joie et de précaution que j'avais prise pour suivre la grande inclination que j'ai toujours eue de m'ensevelir dans un éternel oubli des créatures ; et une fois, après avoir tiré des promesses des personnes que je croyais y pouvoir contribuer, et brûlé les écrits que j'avais faits par obéissance, c'est-à-dire, ceux qu'on m'avait laissés, cette ordonnance m'a été faite. 0 mon souverain Bien ! que je n'écrive rien que pour votre plus grande gloire, et ma plus grande confusion.
0 mon unique Amour ! combien vous suis-je redevable de m'avoir prévenue dès ma plus tendre jeunesse, en vous rendant le maître et le possesseur de mon cœur, quoique vous connussiez bien les résistances qu'il vous ferait! Aussitôt que je me sus connaître, vous fîtes voir à mon âme la laideur du péché, qui en imprima tant d'horreur dans mon cœur que la moindre tache m'était un tourment insupportable ; et pour m'arrêter dans la vivacité de mon enfance l'on n'avait qu'à me dire que c'était offenser Dieu : cela m'arrêtait tout court, et me retirait de ce que j'avais envie de faire.
Et sans savoir ce que c'était, je me sentais continuellement pressée de dire ces paroles ; « 0 mon Dieu, je vous consacre ma pureté et je vous fais vœu de perpétuelle chasteté. » Je les dis, une fois, entre les deux élévations de la Sainte Messe, que, pour l'ordinaire, j'entendais les genoux nus, quelque froid qu'il fît. Je ne comprenais point ce que j'avais fait, ni que voulait dire ce mot de vœu, non plus que celui de chasteté.
Toute mon inclination n'était que de me cacher dans quelque bois, et rien ne m'empêchait, que la crainte de trouver des hommes.
La très Sainte Vierge a toujours pris un très grand soin de moi, qui avais en elle mon recours en tous mes besoins ; et elle m'a retirée de très grands périls. Je n'osais point du tout m'adresser à son divin Fils, mais toujours à elle, à laquelle je présentais la petite couronne du Rosaire, les genoux nus, en terre, ou en faisant autant de génuflexions en baisant la terre, que d'Ave Maria.
Je perdis mon père fort jeune, et comme j'étais unique de fille, et que ma mère s'étant chargée de la tutelle de ses enfants, qui étaient au nombre de cinq, demeurait très peu au logis, par ce moyen j'ai été élevée jusqu'à l'âge d'environ huit ans et demi sans autre éducation que des domestiques et villageois.
On me mit dans une maison religieuse, où on me fit communier que j'avais environ neuf ans, et cette communion répandit tant d'amertume pour moi sur tous les petits plaisirs et divertissements, que je n'en pouvais plus goûter aucun, encore que je les cherchais avec empressement; mais lors même que j'en voulais prendre avec mes compagnes, je sentais toujours quelque chose qui me tirait et m'appelait en quelque petit coin, et ne me donnait point de repos que je ne l'eusse suivi ; et puis, il me faisait mettre en prières, mais presque toujours prosternée, ou les genoux nus, ou faisant des génuflexions, pourvu que je ne fusse pas vue, mais ce m'était un étrange tourment lorsque j'étais rencontrée.
J'avais grande envie de faire tout ce que je voyais faire aux religieuses, les regardant toutes comme des saintes, pensant que, si j'étais religieuse, je le deviendrais comme elles ; cela m'en fit prendre une si grande envie, que je ne respirais que pour cela, quoique je ne les trouvasse pas assez retirées pour moi ; et n'en connaissant point d'autres, je pensais qu'il fallait demeurer là.
Mais je tombai dans un état de maladie si pitoyable que je fus environ quatre ans sans pouvoir marcher. Les os me perçaient la peau de tous côtés ; ce qui fut la cause qu'on ne me laissa que deux ans dans ce couvent, et on ne put jamais trouver aucun remède à mes maux, que de me vouer à la Sainte Vierge, lui promettant que, si elle me guérissait, je serais un jour une de ses filles. Je n'eus pas plutôt fait ce vœu, que je reçus la guérison, avec une nouvelle protection de la très sainte Vierge, laquelle se rendit tellement maîtresse de mon cœur, qu'en me regardant comme sienne, elle me gouvernait comme lui étant dédiée., me reprenant de mes fautes, et m'enseignant à faire la volonté de mon Dieu ; et il m'arriva une fois que m'étant assise en disant notre rosaire, elle se présenta devant moi, et me fit cette réprimande qui ne s'est jamais effacée de mon esprit, quoique je fusse encore bien jeune : « Je m'étonne, ma fille, que tu me serves si négligemment! » Ces paroles laissèrent une telle impression dans mon âme, qu'elles m'ont servi toute ma vie.
Ayant recouvré la santé, je ne pensai plus qu'à chercher du plaisir dans la jouissance de ma liberté, sans me soucier beaucoup d'accomplir ma promesse. Mais, ô mon Dieu ! je ne pensais pas alors, ce que vous m'avez fait connaître et expérimenter depuis, qui est que votre Sacré-Cœur, m'ayant enfantée sur le Calvaire, avec tant de douleur, la vie que vous m'y aviez donnée ne pouvait s'entretenir que par l'aliment de la Croix, laquelle serait mon mets délicieux. Voici comment : sitôt que je commençai à respirer l'air de la santé, je me portai à la vanité et à l'affection des créatures, me flattant que la tendresse que ma mère et mes frères avaient pour moi, me mettait en liberté de prendre mes petits divertissements, en me donnant du bon temps autant que je voudrais. Mais vous me fîtes bien voir, ô mon Dieu, que j'étais bien éloignée de mon compte, lequel javais fait suivant mon inclination, naturellement portée au plaisir, mais non selon vos desseins, qui se trouvèrent bien éloignés des miens.
Ma mère s'était dépouillée de son autorité dans sa maison pour la remettre à quelques autres qui s'en prévalurent de telle manière, que jamais elle, ni moi, ne fûmes en si grande captivité ; non que je veuille blâmer ces personnes en ce que je vais dire, ni croire qu'elles fissent mal en me faisant souffrir (mon Dieu ne me permettait pas cette pensée), mais seulement de les regarder comme instruments dont il se servait pour accomplir sa sainte volonté. Nous n'avions donc plus aucun pouvoir dans la maison et n'osions rien faire sans permission. C'était une continuelle guerre, et tout était fermé sous la clef, en telle sorte, que, souvent je ne me trouvais pas même de quoi m'habiller pour aller à la sainte Messe, à moins que je n'empruntasse coiffe et habits. Ce fut pour lors que je commençai à sentir ma captivité, à laquelle je m'enfonçai si avant, que je ne faisais rien et ne sortais point sans l'agrément de trois personnes.
Ce fut dès lors que toutes mes affections se tournèrent à chercher tout mon plaisir et consolation dans le Très Saint-Sacrement de l'Autel. Mais me trouvant dans un village éloigné de l'église, je n'y pouvais aller, qu'avec l'agrément de ces personnes ; et il se trouvait que quand l'une le voulait, l'autre ne l'agréait pas ; et souvent lorsque j'en témoignais ma douleur par mes larmes, l'on me reprochait que c'était que j'avais donné quelque rendez-vous à quelques garçons et qu'il m'était bien sensible de ne les pouvoir aller trouver, sous le prétexte de vouloir aller à la sainte Messe ou bénédiction du Très Saint Sacrement. Et moi qui me sentais dans mon cœur une si grande horreur de tout cela, que j'aurais plutôt consenti à voir déchirer mon corps en mille pièces que d'avoir telle pensée !
C'était pour lors que, ne sachant où me réfugier, sinon dans quelque coin de jardin, ou d'étable, ou autre lieu secret, où il me fût permis de me mettre à genoux pour répandre mon cœur par mes larmes devant mon Dieu, par.l'entremise de la très Sainte Vierge, ma bonne Mère, à laquelle j'avais mis toute ma confiance, je demeurais là des journées entières, sans boire ni manger. Mais cela était ordinaire, et quelquefois quelques pauvres gens du village me donnaient, par compassion, un peu de lait ou de fruits sur le soir. Et puis, lorsque je retournais au logis, c'était avec une si grande crainte et tremblement, qu'il me semblait être une pauvre criminelle qui venait recevoir sa sentence de condamnation ; et je me serais estimée plus heureuse d'aller mendier mon pain, que de vivre comme cela, car souvent je n'en osais prendre sur la table. Car du moment que j'entrais à la maison, la batterie recommençait plus fort, sur ce que je n'avais pas pris soin du ménage et des enfants de ces chères bienfaitrices de mon âme; et sans qu'il me fût loisible de dire un seul mot, je me mettais à travailler avec les domestiques. Ensuite de quoi, je passais les nuits comme j'avais passé le jour, à verser des larmes, au pied de mon crucifix, lequel me fit voir, sans que j'y comprisse rien, qu'il voulait se rendre le maître absolu de mon cœur, et qu'il voulait me rendre en tout conforme à sa vie souffrante ; que c'était pourquoi il voulait se rendre mon maître, en se rendant présent à mon âme, pour me faire agir comme il agissait parmi ses. cruelles souffrances, qu'il me faisait voir avoir souffert pour mon amour.
Et dès lors mon âme en demeura si pénétrée, que j'aurais désiré que mes peines n'eussent pas cessé d'un moment. Car depuis il m'était toujours présent sous la figure du crucifix ou d'un Ecce homo portant sa croix; ce qui imprimait en moi tant de compassion et d'amour des souffrances, que toutes mes peines me devinrent légères en comparaison du désir que je sentais d'en souffrir pour me conformer à mon Jésus souffrant.
Et je m'affligeais de voir que ces mains qui se levaient quelquefois pour me frapper, étaient retenues, et ne déchargeaient pas sur moi toute leur rigueur. Je me sentais continuellement pressée de rendre toutes sortes de services et bons offices, à ces véritables amis de mon âme, qui se serait sacrifiée de bon cœur pour eux ; n'ayant de plus grand plaisir que de leur faire du bien et en dire tout celui que je pouvais. Mais ce n'était pas moi qui faisais tout ce que j'écris et écrirai bien malgré moi, mais c'est mon souverain Maître, qui s'était emparé de ma volonté et ne me permettait pas même de former aucune plainte, murmure ou ressentiment contre ces personnes ; ni même de souffrir qu'on me plaignit et portât compassion, disant qu'il en avait usé ainsi, et qu'il voulait que, lorsque je ne pourrais empêcher que l'on m'en parlât je leur donnasse tout le bon droit et à moi tout le tort, disant, comme c'est la vérité, que mes péchés en .méritaient bien d'autres.
Mais dans l'extrême violence qu'il me faut faire en écrivant ceci, que j'avais toujours tenu caché avec tant de soin et de précaution pour l'avenir, tâchant même de n'en conserver aucune idée dans ma mémoire, afin de tout laisser dans celle de mon bon Maître, je lui fis mes plaintes dans la grande répugnance que je sens ; mais il m'a fait entendre et dit : « Poursuis, ma fille, poursuis, il n'en sera ni plus ni moins pour toutes tes répugnances ; car il faut que ma volonté s'accomplisse. » — « Mais, hélas! mon Dieu, comment me souvenir de ce qui s'est passé depuis plus d'environ vingt-cinq ans?» - « Ne sais-tu pas » que je suis la mémoire éternelle de mon Père céleste qui ne s'oublie jamais de rien, et dans laquelle le passé et le futur sont comme le présent ? Ecris donc sans crainte tout, suivant que je te dicterai, te promettant d'y répandre l'onction de ma grâce, afin que j'en sois glorifié.»
« Premièrement, je veux cela de toi pour te faire voir que je me joue, en rendant inutiles toutes les précautions que je t'ai laissé prendre pour cacher la profusion des grâces dont j'ai pris plaisir d'enrichir une aussi pauvre et chétive créature que toi, qui n'en dois jamais perdre le souvenir, pour m'en rendre de continuelles actions de grâces.» En second lieu, pour t'apprendre que tu ne te dois point t'approprier ces grâces, ni être chiche de les distribuer aux autres, puisque je me suis voulu servir de ton cœur comme d'un canal pour les répandre selon mes desseins dans les âmes, dont plusieurs seront retirées par ce moyen de l'abîme de perdition, comme je te le ferai voir dans la suite.
Et en troisième lieu, pour faire voir que je suis la Vérité éternelle, qui ne peut mentir, je suis fidèle à mes promesses, et que les grâces que je t'ai faites peuvent souffrir toutes sortes d'examens et d'épreuves » Après ces paroles, je me suis sentie tellement fortifiée, que malgré la grande peine que je sens que cet écrit ne soit vu, je suis résolue de poursuivre, quoi qu'il m'en coûte, pour accomplir la volonté de mon souverain Maître.
La plus rude de mes croix était de ne pouvoir adoucir celles de ma mère, qui m'étaient cent fois plus dures à supporter que les miennes, quoique je ne lui donnais pas la consolation de m'en dire un mot, crainte que nous n'offensassions Dieu en prenant plaisir à parler de nos peines. Mais c'était dans ses maladies où ma souffrance était extrême ; car, étant tout abandonnée à mes petits soins et services, elle souffrait beaucoup ; d'autant que tout se trouvait quelquefois fermé à clef, il me fallait aller mendier jusqu'aux œufs et autres choses nécessaires aux malades. Ce n'était pas un petit tourment à mon nature timide, encore chez des villageois qui m'en disaient souvent plus que je n'aurais voulu. Et dans un mortel érésipèle qu'elle eut à la tête, d'une grosseur, rougeur et dureté épouvantables, où l'on se contenta de lui faire faire une saignée par un petit chirurgien de village qui passait, lequel me dit qu'à moins que d'un miracle elle n'en pouvait revenir ; sans que personne s'en affligeât, ni se mît en peine que moi, qui ne savais où recourir, ni à qui m'adresser, sinon à mon asile ordinaire, la très Sainte Vierge et mon souverain Maître.
Dans les angoisses où j'étais continuellement plongée, ne recevant parmi tout cela que des moqueries, injures et accusations, je ne savais où me réfugier. Etant donc allée à la messe le jour de la Circoncision de Notre-Seigneur, pour lui demander d'être lui-même le médecin, et le remède de ma pauvre mère, et de m'enseigner ce que je devais faire, il le fit avec tant de miséricorde, qu'étant de retour, je trouvai sa joue crevée, avec une plaie large d'environ la paume de la main, qui jetait une puanteur insupportable et personne n'en voulait approcher. Je ne savais point panser les plaies et même ne les pouvais voir, ni toucher auparavant celle-ci, pour laquelle je n'avais autre onguent, que ceux de la divine Providence ; j'y coupai tous les jours beaucoup de chair pourrie. Je me sentais tant de courage et de confiance en la bonté de mon Souverain qui semblait être toujours présent, qu'enfin elle fut guérie dans peu de jours, contre toute apparence humaine.
Et pendant tout le temps de ses maladies, je ne me couchais et ne dormais presque point; et ne prenais presque point de nourriture passant souvent des nuits sans manger. Mais mon divin Maître me consolait et sustentait d'une parfaite conformité à sa très sainte volonté, ne me prenant qu'à lui de tout ce qui m'arrivait, lui disant : « 0 mon souverain Maître ! si vous ne le vouliez, cela n'arriverait pas ; mais je vous rends grâces de quoi vous le permettez pour me rendre conforme à vous.» Parmi tout cela, je me sentais si fortement attirée à l'oraison, que cela me faisait beaucoup souffrir ; de ne savoir, ni pouvoir apprendre comme il la fallait faire, n'ayant aucune conversation des personnes spirituelles ; et je n'en savais autre chose que ce mot d'oraison, qui ravissait mon coeur. Et m'étant adressée à mon Souverain Maître, Il m'apprit comme il voulait que je la fisse ; ce qui m'a servi toute ma vie. Il me faisait prosterner humblement devant lui, pour lui demander pardon de tout ce en quoi je l'avais offensé, et puis après l'avoir adoré, je lui offrais mon oraison, sans savoir comme il m'y fallait prendre. Ensuite il se présentait lui-même à moi dans le mystère où il voulait que je le considérasse ; et il appliquait si fort mon esprit en tenant mon âme et toutes mes puissances englouties dans lui-même, que je ne sentais point de distractions, mais mon cœur se sentait consommé du désir de l'aimer, et cela me donnait un désir insatiable de la sainte communion et de souffrir. Mais je ne savais comme faire. Je n'avais pas de temps que celui de la nuit ; j'en prenais ce que je pouvais et quoique cette occupation me fût plus délicieuse que je ne le peux exprimer, je ne la prenais pas pour une oraison, et me sentais continuellement persécutée de la faire; lui promettant qu'aussitôt qu'il me l'aurait apprise, j'y emploierais tout le temps que je pourrais. Néanmoins, sa bonté me tenait si fort dans l'occupation que je viens de dire, qu'elle me dégoûta des prières vocales ; lesquelles je ne pouvais faire devant le Saint Sacrement, où je me sentais tellement tout appliquée, que jamais je ne m'y ennuyais. Et j'y aurais passé des jours et des nuits entières, sans boire ni manger, sans savoir ce que je faisais, sinon de me consommer en sa présence comme un cierge ardent, pour lui rendre amour pour amour.
Et je ne pouvais demeurer au bas de l'église, et quelque confusion que j'en sentisse dans moi-même, je ne laissais pas de me mettre tout le plus proche que je pouvais du Très Saint Sacrement. Je n'estimais heureuses et ne portais envie qu'à celles qui pouvaient communier souvent, et qui avaient la liberté de pouvoir demeurer devant le Très-Saint Sacrement, bien qu'il soit vrai que j'y employais très mal mon temps, et que je crois que je ne faisais que le déshonorer. Je tâchais de gagner l'amitié des personnes dont j'ai parlé ci-dessus, afin d'obtenir quelques moments pour le Saint Sacrement. Il arrivait en punition de mes péchés, que je ne pouvais point dormir les veilles de Noël, et le curé de la paroisse criant tout haut à son prône que ceux qui n'auraient pas dormi ne devaient point communier qu'ils ne l'eussent fait, et moi ne le pouvant, je n'osais pas communier. Ainsi ce jour de réjouissance m'en était un de larmes, lesquelles me servaient de nourriture et de tout plaisir. Mais aussi avais-je commis de grands crimes ! Car une fois dans un temps .de carnaval, étant avec d'autres filles, je me déguisai par vaine complaisance, ce qui m'a été un sujet de douleur et de larmes pendant toute ma vie ; aussi bien que la faute que je commettais, en prenant des ajustements de vanité, par ce même motif de vaine complaisance aux personnes citées ci-dessus, lesquelles Dieu a fait servir d'instruments à sa divine justice, pour se venger des injures que je lui ai faites par mes péchés ; bien que ce fussent des personnes vertueuses, lesquelles ne pensaient point faire de mal en tout ce qui s'est passé à notre égard ; et je croyais de même qu'elles n'en faisaient point, puisque c'était mon Dieu qui le voulait ainsi, et je ne leur en savais point mauvais gré.
- Mais, hélas ! mon Seigneur, ayez pitié de ma faiblesse, dans l'extrême douleur et confusion que vous imprimez si vivement en moi, en écrivant ceci, de vous avoir si longtemps résisté à le faire. Soutenez-moi., mon Dieu, afin que je ne succombe sous la rigueur de ces justes reproches. Non, je proteste, moyennant votre grâce, de ne jamais résister quand il devrait m'en coûter la vie et m'attirer tous les mépris des créatures et armer contre moi toutes les fureurs de l'enfer pour vous venger de mes résistances, dont je vous demande pardon et la force d'achever ce que vous désirez de moi, quelque répugnance que mon amour-propre m'y fasse sentir.
[A suivre]
Christiane-Thérèse- Contre la Franc Maconnerie
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Re: Vie de Sainte Marguerite-Marie, apôtre du Sacré-Coeur, écrite par elle-même.
II
COMBATS ET TRIOMPHES POUR ENTRER EN RELIGION.
Pour donc poursuivre, à mesure que je croissais, mes croix s'augmentaient. Le diable suscitait plusieurs bons partis pour le monde, à me rechercher, pour me faire manquer au vœu que j'avais fait. Cela attirait beaucoup de compagnie, qu'il me fallait voir, ce qui ne m'était pas un petit supplice. Car d'un côté, mes parents et surtout ma mère, me pressait pour cela, pleurant sans cesse en me disant qu'elle n'avait plus d'espérance qu'en moi pour sortir de sa misère, par la consolation qu'elle aurait de se retirer avec moi sitôt que je serais logée dans le monde. Et d'autre part, Dieu poursuivait si vivement mon cœur, qu'il ne me donnait point de trêve; car j'avais toujours mon vœu devant les yeux, auquel si je venais à manquer, je serais punie de tourments effroyables. Le démon se servait de la tendresse et amitié que j'avais pour ma mère, me représentant sans cesse les larmes qu'elle versait, et que, si je venais à me faire religieuse, je serais cause qu'elle mourrait d'affliction, et que j'en répondrais à Dieu, car elle était toute abandonnée à mes soins et services. Ceci me causait un tourment insupportable; car je l'aimais si tendrement, et elle, moi, que nous ne pouvions vivre sans nous voir. D'autre part, le désir d'être religieuse me persécutait sans cesse, et l'Horreur que j'avais de l'impureté. Tout cela me faisait souffrir un martyre, je n'avais point de repos et je me fondais en larmes. N'ayant personne à qui me découvrir, je ne savais quel parti prendre. Enfin la tendre amitié de ma bonne mère commença à prendre le dessus, pensant que n'étant qu'une enfant quand je fis ce vœu, l'on m'en pourrait bien dispenser, ne comprenant pas, en le faisant, ce que c'était. De plus, je craignais fort d'engager ma liberté, me disant que je ne pourrais plus faire de jeûnes, d'aumônes et de disciplines comme je voudrais ; que la vie religieuse demandait une si grande sainteté de ceux qui s'y engageaient, qu'il me serait impossible d'y atteindre jamais, et que je m'y damnerais. Je commençai donc à voir le monde et à me parer pour lui plaire, cherchant à me divertir le plus que je pouvais. Mais vous, mon Dieu, seul témoin de la grandeur et longueur de cet effroyable combat que je souffrais au dedans de moi-même, et auquel j'aurais mille et mille fois succombé sans un soutien extraordinaire de votre miséricordieuse bonté, qui avait bien d'autres desseins que ceux que je projetais dans mon cœur, vous me fîtes bien connaître en cette rencontre, aussi bien qu'en plusieurs autres, qu'il lui serait bien dur et difficile de regimber contre le puissant aiguillon de votre amour, quoique ma malice et mon infidélité me fît employer toutes mes forces et industries pour lui résister et éteindre en moi tous ses mouvements. Mais en vain ; car au milieu des compagnies et divertissements, il me lançait des flèches si ardentes, qu'elles perçaient et consommaient mon cœur de toutes parts ; et la douleur que je sentais me rendait toute interdite. Et cela n'étant pas encore assez, pour un cœur aussi ingrat que le mien, pour lui faire quitter prise, je me sentais comme liée et tirée à force de cordes, si fortement, qu'enfin j'étais contrainte de suivre celui qui m'appelait en quelque lieu secret, et il me faisait de sévères réprimandes ; car il était jaloux de mon misérable cœur, qui souffrait des persécutions épouvantables. Et après lui avoir demandé pardon, la face prosternée contre terre, il me faisait prendre une rude et longue discipline ; et puis, je retournais, tout comme devant, dans mes résistances et vanités. Et puis le soir, quand je quittais ces maudites livrées de Satan, je veux dire ces vains ajustements, instruments de sa malice, mon souverain Maître se présentait à moi, comme il était en sa flagellation, tout défiguré, me faisant des reproches étranges : que c'était ma vanité qui l'avait réduit en cet état, et que je perdais un temps si précieux et dont il me demanderait un compte rigoureux à l'heure de la mort, que je le trahissais et persécutais, après qu'il m'avait donné tant de preuves de son amour, et du désir qu'il avait que je me rendisse conforme à lui. Tout cela s'imprimait si fortement en moi et faisait de si douloureuses plaies dans mon cœur, que je pleurais amèrement, et il me serait bien difficile d'exprimer tout ce que je souffrais et ce qui se passait en moi.
Ne sachant ce que c'était que la vie spirituelle, pour n'en avoir été instruite, ni ouï parler, je n'en savais que ce que mon Maître m'enseignait et me faisait faire avec son amoureuse violence. Pour me venger, en quelque façon, sur moi des injures que je lui faisais, et reprendre cette ressemblance et conformité avec lui, en soulageant la douleur qui me pressait, je liais ce misérable corps criminel de cordes avec des nœuds et le serrais si fort, qu'à peine pouvait-il respirer et manger. Je laissais si longtemps ces cordes, qu'elles étaient comme tout enfoncées dans la chair, laquelle venant à croître dessus, je ne pouvais les arracher qu'avec de grandes violences et cruelles douleurs ; et de même quant aux petites chaînettes dont je me serrais les bras, lesquelles emportaient la pièce en sortant. Et puis je couchais sur un ais ou sur des bâtons avec des nœuds pointus, dont je faisais mon lit de repos ; et puis je prenais la discipline, tâchant de chercher quelque remède à mes combats et douleurs que je souffrais au-dedans de moi-même, au regard desquelles tout ce que je pouvais souffrir au dehors (bien que toutes les humiliations et contradictions dont j'ai parlé ci-devant, fussent toujours continuelles et s'augmentassent plutôt que de diminuer), tout cela, dis-je, ne me semblait qu'un rafraîchissement auprès de mes peines intérieures, lesquelles je me faisais tant de violence pour les porter en silence et les tenir cachées, comme mon bon Maître me l'enseignait, qu'il n'en paraissait rien au dehors, sinon que l'on me voyait pâlir et dessécher.Les craintes où j'étais d'offenser mon Dieu me tourmentaient encore plus que tout le reste, car il me semblait mes péchés être continuels ; et ils me paraissaient si grands, que je m'étonnais comme l'enfer ne s'ouvrait pas sous mes pieds pour ensevelir une si misérable pécheresse. J'aurais voulu me confesser tous les jours et cependant je ne le pouvais que rarement. J'estimais comme saints ceux qui demeuraient beaucoup en confession, pensant qu'ils n'étaient pas comme moi qui ne savais pas m'accuser de mes fautes. Cela me faisait verser beaucoup de larmes.
Ayant passé plusieurs années parmi toutes ces peines et combats et beaucoup d'autres souffrances, sans autre consolation que mon Seigneur Jésus-Christ, qui s'était rendu mon maître et mon gouverneur, le désir de la vie religieuse se ranima si ardemment dans mon cœur, que je me résolus de l'être à quelque prix que ce fût. Mais, hélas ! cela ne se put encore .accomplir de plus de quatre ou cinq ans après, pendant lequel temps mes peines et combats redoublèrent de toutes parts, et je tâchais de redoubler mes pénitences, selon que mon divin Maître me le permettait.
Car il changea bien de conduite, me faisant voir la beauté des vertus, surtout des trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, me disant qu'en les pratiquant l'on devient saint, et il me disait cela, parce qu'en le priant je lui demandais de me faire sainte.
Et comme je ne lisais guère d'autres livres que la Vie des Saints, je me disais en l'ouvrant : il m'en faut choisir une bien aisée à imiter, afin que je puisse faire comme elle a fait, pour devenir sainte comme elle; mais ce qui me désolait, c'était de voir que j'offensais tant mon Dieu, et je pensais que les saints ne l'avaient pas offensé comme moi, ou que, du moins, si quelques-uns l'avaient fait, ils avaient ensuite toujours été dans la pénitence ; ce qui me donnait de grandes envies d'en faire ; mais mon divin Maître imprimait en moi une si grande crainte de suivre ma propre Volonté, que je pensais dès lors, que, quoique je puisse faire, il ne l'agréerait que lorsque je le ferais par amour et par obéissance. Cela me mit dans de grands désirs de l'aimer et de faire toutes mes actions par obéissance. Je ne savais comme il fallait pratiquer ni l'un ni l'autre ; et je pensais que c'était un crime de dire que j'aimais Dieu, parce que je voyais mes œuvres démentir mes paroles. Je lui demandais de m'apprendre, et de me faire faire ce qu'il voulait que je fisse pour lui plaire et l'aimer, ce qu'il fit en cette manière : Il me donna un si tendre amour pour les pauvres que j'aurais souhaité n'avoir plus d'autres conversations que la leur ; et il imprimait en moi une si tendre compassion de leurs misères, que, s'il avait été en mon pouvoir, je ne me serais rien laissé ; et lorsque j'avais de l'argent, je le donnais à de petits pauvres pour les engager de venir vers moi, pour apprendre leur catéchisme et à prier Dieu. Et cela faisait qu'ils me suivaient et quelquefois il y en avait tant, que je ne savais où les mettre l'hiver, sinon dans une grande chambre d'où l'on nous chassait quelquefois. Cela me causait beaucoup de mortifications, car je ne voulais pas que l'on vît rien de ce que je faisais ; et l'on pensait que je donnais aux pauvres tout ce que je pouvais attraper, mais je ne l'aurais pas osé faire, crainte de dérober, et je ne donnais plus que ce qui était à moi ; encore ne l'osais-je plus faire sans obéissance, ce qui m'obligeait de caresser ma mère, afin qu'elle me permit de donner ce que j'avais ; et comme elle m'aimait beaucoup, elle m'accordait assez facilement. Lorsqu'elle me refusait, je demeurais en paix, et après un peu de temps, je retournais l'importuner ; car je ne pouvais plus rien faire sans permission, et non seulement de ma mère, mais je m'assujettissais à ceux avec lesquels je demeurais, ce qui m'était un continuel supplice. Mais je pensais qu'il me fallait soumettre à tous ceux à qui j'avais plus de répugnance, et leur obéir, pour essayer si je pouvais être religieuse.
Toutes ces permissions que j'allais continuellement demander m'attiraient de grands rebuts et captivité, car cela donna une si grande autorité sur moi, qu'il ne pouvait y avoir de religieuse plus captive ; mais l'ardent désir que je sentais d'aimer Dieu, me faisait surmonter toutes les difficultés, et me rendait attentive à faire tout ce qui contrariait le plus mes inclinations et à quoi je sentais le plus de répugnance et je m'en sentais tellement pressée que je m'en confessais lorsque j'avais manqué de suivre ces mouvements.
Je me sentais une extrême répugnance de voir des plaies, mais il fallut d'abord me mettre à les panser et baiser pour me vaincre, et je ne savais comme il m'y fallait prendre. Mais mon divin Maître savait si bien suppléer à toutes mes ignorances, qu'elles se trouvaient guéries en peu de temps, sans autre onguent que ceux de sa Providence, encore que ces plaies fussent très dangereuses ; mais j'avais plus de confiance en sa bonté qu'aux remèdes extérieurs.
J'étais naturellement portée à l'amour des plaisirs et divertissements. Je n'en pouvais plus goûter aucun, encore que souvent je faisais ce que je pouvais pour en chercher ; mais cette douloureuse figure qui se présentait à moi, comme de mon Sauveur qui venait d'être flagellé, m'empêchait bien d'en prendre ; car il me faisait ce reproche qui me perçait jusqu'au cœur : «Voudrais-tu bien prendre ce plaisir? Et moi qui n'en ai jamais pris aucun et me suis livré à toutes sortes d'amertumes, pour ton amour et pour gagner ton cœur! Et cependant tu voudrais encore me le disputer! » Tout cela faisait de grandes impressions en mon âme, mais j'avoue de bonne foi que je ne comprenais rien à tout cela, tant j'avais l'esprit grossier et peu spirituel, et que je ne faisais aucun bien que parce qu'il m'y pressait si fort, que je n'y pouvais résister ; ce qui m'est un grand sujet de confusion dans tout ce que j'écris ici, où je voudrais pouvoir faire connaître combien je suis digne du plus rigoureux châtiment éternel, par mes continuelles résistances à Dieu et oppositions à ses grâces, et faire voir aussi la grandeur de ses miséricordes : car il semblait qu'il avait entrepris de me poursuivre et d'opposer continuellement sa bonté à ma malice, et son amour à mes ingratitudes, qui ont fait toute ma vie le sujet de ma plus vive douleur ; de quoi je ne savais pas reconnaître mon souverain libérateur, qui avait pris un soin si amoureux de moi, dès le berceau, et me l'a toujours continué.
Et comme une fois j'étais dans un abîme d'étonnement de ce que tant de défauts et d'infidélités que je voyais en moi n'étaient pas capables de le rebuter, il me fit cette réponse: « C'est que j'ai envie de te faire comme un composé de mon amour et de mes miséricordes. »
Et une autre fois il me dit : « Je t'ai choisie pour mon épouse et nous nous sommes promis la fidélité, lorsque tu m'as fait vœu de chasteté. C'est moi qui te pressais de le faire, avant que le monde eût aucune part dans ton cœur ; car je le voulais tout pur et sans être souillé des affections terrestres, et pour me le conserver comme cela, j'ôtais toute la malice de ta volonté, afin qu'elle ne le pût corrompre. Et puis je te mis en dépôt aux soins de ma sainte Mère afin qu'elle te façonnât suivant mes desseins » Aussi m'a-t-elle servi d'une bonne mère et ne m'a jamais refusé son secours. J'y avais tout mon recours, dans mes peines et besoins, et avec tant de confiance qu'il me semblait n'avoir rien à craindre sous sa protection maternelle. Aussi je lui fis vœu en ce temps là de jeûner tous les samedis et de lui dire l'office de son Immaculée Conception quand je saurais lire, et de faire sept génuflexions tous les jours de ma vie, avec sept Ave Maria, pour honorer ses sept douleurs et me mis pour être toujours son esclave, lui demandant de ne pas me refuser cette qualité.
Comme une enfant, je lui parlais simplement, tout comme à ma bonne Mère, pour laquelle je me sentais dès lors un amour vraiment tendre. Mais elle me reprit sévèrement, lorsqu'elle me vit derechef prête à succomber au terrible combat que je sentais dans moi.
Car, ne pouvant plus résister aux persécutions que mes parents me faisaient et aux larmes d'une mère que je chérissais si tendrement, me disant qu'une fille doit prendre un parti à vingt ans, je commençai à donner dans ces sentiments.
Car Satan me disait continuellement : « Pauvre misérable, que penses-tu en voulant être religieuse ? Tu vas te rendre la risée de tout le monde, car jamais tu n'y persévéreras ; et quelle confusion de quitter un habit de religieuse et sortir d'un couvent ! Où pourras-tu te cacher après cela? »
Je me fondais en larmes parmi tout cela, car j'avais une horreur pour les hommes, épouvantable, et ne savais plus à quoi me résoudre ; mais mon divin Maître, qui tenait toujours mon vœu devant ses yeux, eut enfin pitié de moi.
Et une fois, après la communion, si je ne me trompe, il me fit voir qu'il était le plus beau, le plus riche, le plus puissant, le plus parfait et accompli de tous les amants ; et que, lui étant promise depuis tant d'années, d'où venait donc que je voulais tout rompre avec lui pour en prendre un autre : « Oh! Apprends que si tu me fais ce mépris, je t'abandonne pour jamais ; mais si tu m'es fidèle, je ne te quitterai point et me rendrai ta victoire contre tous tes ennemis. J'excuse ton ignorance, parce que tu ne me connais pas encore ; mais si tu m'es fidèle et me suis, je t'apprendrai à me connaître et me manifesterai à toi. » En me disant cela, il imprimait un si grand calme dans mon intérieur, et mon âme se trouva dans une si grande paix, que je me déterminai dès lors de mourir plutôt que de changer. Il me semblait alors que mes liens étaient rompus, et que je n'avais plus rien à craindre, pensant que quand la vie religieuse serait un purgatoire il me serait plus doux de m'y purifier le reste de ma vie, que de me voir précipitée dans l'enfer que j'avais tant de fois mérité par mes grands péchés et résistances.
M'étant donc déterminée pour la vie religieuse, ce divin Epoux de mon âme, crainte que je ne lui échappasse encore, me demanda de consentir qu'il s'emparât et se rendit le maître de ma liberté, parce que j'étais faible.
Je ne fis point de difficultés à son consentement, et dès lors il s'empara si fortement de ma liberté que je n'en ai plus eu de jouissance dans tout le reste de ma vie ; et il s'insinua si avant dans mon cœur, dès ce moment, que je renouvelai mon vœu, commençant à le comprendre. Je lui dis que, quand il devrait m'en coûter mille vies, je ne serais jamais autre que religieuse ; et je m'en déclarai hautement, priant de congédier tous ces partis, quelque avantageux qu'on me les représentât. Ma mère, voyant cela, ne pleurait plus en ma présence, mais elle le faisait continuellement avec tous ceux qui lui en parlaient, qui ne manquaient pas de me venir dire que je serais la cause de sa mort si je la quittais, et que j'en répondrais à Dieu, car elle n'avait personne pour la servir ; et que je serais aussi bien religieuse après sa mort que pendant sa vie. Et un frère qui m'aimait beaucoup, fit tous ses efforts pour me détourner de mon dessein, m'offrant de son bien pour me loger dans le monde. Mais à tout cela mon cœur était devenu insensible comme un rocher, quoiqu'il me fallût encore rester trois ans dans le monde, parmi tous ces combats.
Et l'on me mit chez un de mes oncles qui avait une fille religieuse, laquelle sachant que je le voulais être, n'oublia rien pour m'avoir avec elle, et ne me sentant point de penchant à la vie des Ursules, je lui disais : « Voyez que si j'entre en votre couvent, ce ne sera que pour l'amour de vous, et-je veux aller dans un lieu où je n'aurai ni parents ni connaissances, afin d'être religieuse pour l'amour de Dieu. » Mais comme je ne savais où ce serait, ni quelle religion je devais embrasser, ne les connaissant pas, je pensai encore succomber à ses importunités ; d'autant que j'aimais beaucoup cette cousine, laquelle se servait de l'autorité de mon oncle auquel je n'osais résister, parce qu'il était mon tuteur et qu'il me disait qu'il m'aimait comme un de ses enfants, que c'était pourquoi il me voulait avoir proche de lui ; et il ne voulut jamais permettre à mon frère de me remmener, disant qu'il entendait être le maître de moi. Et mon frère qui n'avait point encore voulu consentir que je fusse religieuse, fut fort fâché contre moi, pensant que j'étais consentante de tout cela, pour me jeter à Sainte-Ursule malgré lui, et sans le consentement de mes parents. Mais j'en étais bien éloignée ; d'autant que, plus l'on m'en pressait, jusqu'à me vouloir faire entrer, plus je me sentais de dégoût. Une secrète voix me disait : « Je ne te veux point là, mais à Sainte Marie.»
Cependant on ne me permettait pas de voir la Visitation, bien que j'y eusse plusieurs parents, et l'on m'en disait des choses capables d'en rebuter les esprits les mieux déterminés ; mais plus l'on tâchait de m'en détourner, et plus je l'aimais et sentais accroître mon désir d'y entrer, à cause de ce nom tout aimable de sainte-Marie, lequel me faisait comprendre que c'était là ce que je cherchais.
Et une fois regardant un tableau du grand saint François de Sales, il sembla me jeter un regard si paternellement amoureux, en m'appelant sa fille, que je ne le regardais plus que comme mon bon père. Mais je n'osais rien dire de tout cela, et ne savais comment me dégager de ma cousine et de toute sa Communauté, laquelle me témoignait tant d'amitié, que je ne m'en pouvais plus défendre.
Et comme on était prêt de m'ouvrir la porte, je reçus la nouvelle que mon frère était fort mal et ma mère à l'extrémité. Ce qui m'obligea de partir tout à la même heure, pour me rendre près d'elle, sans que l'on pût m'en empêcher, quoique je fusse malade plus de regret que d'autre chose, de me voir comme forcée d'entrer dans un couvent où je croyais que Dieu ne m'appelait pas. Je m'en allai toute la nuit, bien qu'il y eût près de dix lieues, et voilà comme je fus délivrée, pour reprendre une très-rude croix, laquelle je ne spécifierai pas, en ayant dit assez sur ce sujet ; suffit de dire que toutes mes peines redoublèrent.
L'on me faisait voir que ma mère ne pouvait vivre sans moi, puisque le peu de temps que je l'avais quittée était la cause de son mal, et que je répondrais à Dieu de sa mort ; et cela m'étant dit par des personnes ecclésiastiques, me causait de rudes peines, par la tendre amitié que j'avais pour elle, dont le démon se servait pour me faire croire que cela serait cause de ma damnation éternelle.
D'autre part, mon divin Maître me pressait si fort de tout quitter pour le suivre, qu'il ne me donnait plus de repos ; et il me donnait un si grand désir de me conformer à sa vie souffrante, que tout ce que je souffrais ne me semblait rien, ce qui me faisait redoubler mes pénitences. Et quelquefois, me jetant aux pieds de mon crucifix, je lui disais : « 0 mon cher Sauveur, que je serais heureuse si vous imprimiez en moi votre image souffrante ! » Et il me répondit : « C'est ce que je prétends, pourvu que tu ne me résistes pas, et que tu y contribues de ton côté. »
Et pour lui donner quelques gouttes de mon sang, je me liais les doigts, et puis j'y plantais des aiguilles; et puis je prenais la discipline tous les jours, tant que je pouvais, en carême pour honorer les coups de fouets de sa flagellation. Mais quelque longtemps que je me la donnasse, je n'en pouvais guère avoir de sang pour l'offrir à mon bon maître, pour celui qu'il avait répandu pour mon amour.
Et comme c'était sur les épaules que je me la donnais, il me fallait bien du temps. Mais les trois jours du carnaval, j'aurais voulu me mettre en pièces, pour réparer les outrages que les pécheurs faisaient subir à sa divine Majesté, je jeûnais, tant que je pouvais, au pain et à l'eau, donnant aux pauvres ce que l'on me donnait pour ma nourriture. Mais ma plus grande joie de quitter le monde, était de penser que je communierais souvent.
Car on ne me le voulait permettre que rarement, et j'aurais cru être la plus heureuse du monde si je l'avais pu faire souvent, et passer des nuits, seule, devant le Saint Sacrement. Je me sentais là une telle assurance, qu'encore que je fusse extrêmement peureuse, je n'y pensais plus dès que j'étais en ce lieu de délices. Les veilles de communion, je me sentais abîmée dans un si profond silence, que je ne pouvais parler qu'avec violence, pour la grandeur de l'action que je devais faire ; et lorsque je l'avais faite, je n'aurais voulu ni boire, ni manger, ni voir, ni parler, tant la consolation et la paix que je sentais étaient grandes. Je me cachais autant que je pouvais pour apprendre à aimer mon souverain Bien qui me pressait si fort de lui rendre amour pour amour. Mais je ne croyais pas de jamais pouvoir l'aimer, quoique je pusse faire, si je n'apprenais à faire l'oraison ; je n'en savais que ce qu'il m'en avait appris, qui était de m'abandonner à tous ses saints mouvements, lorsque je pouvais me renfermer en quelque petit coin avec lui ; mais l'on ne m'en laissait pas assez de loisir. Car il me fallait travailler, tant que le jour durait, avec les domestiques, et puis le soir il se trouvait que je n'avais rien fait qui eût contenté les personnes avec qui j'étais. L'on me criait de telle manière, que je n'avais pas le courage de manger ; et je me retirais où je pouvais, pour avoir quelques moments de paix, de laquelle j'avais un si grand désir.
Mais comme je me plaignais sans cesse à mon divin Maître de ce que je craignais de ne lui pouvoir plaire en tout ce que je faisais, d'autant qu'il y avait trop de ma volonté qui faisait les mortifications à mon gré, et je n'estimais que ce qui était fait par obéissance : - « Hélas ! mon Seigneur, lui disais-je, donnez-moi donc quelqu'un pour me conduire à vous. » — « Ne te suffis-je pas ?» me répondit-il ; que crains-tu ? Un enfant autant aimé que je t'aime peut-il périr entre les bras d'un Père tout Puissant? »
Je ne savais pas ce que c'était que direction ; mais j'avais un grand désir d'obéir, et sa bonté permit que, dans le temps d'un Jubiié, il vint au logis un religieux de saint François, et il y coucha pour nous donner loisir de faire nos confessions générales. Il y avait plus d'environ quinze jours que j'étais après écrire la mienne ; car encore que j'en fisse toutes les fois que j'en trouvais l'occasion, il me semblait toujours que je n'en pouvais assez faire, à cause de mes grands péchés. Je me sentais pénétrée d'une si vive douleur, que non-seulement j'en versais beaucoup de larmes, mais j'aurais de toute mon âme, dans l'excès de ma douleur, voulu les publier à tout le monde. Et mes plus grands gémissements venaient de ce que j'étais si aveugle que je ne les pouvais connaître, ni exprimer aussi énormes qu'ils étaient. Cela était la cause que j'écrivais tout ce que je pouvais trouver dans les livres qui traitent de la confession ; et je mettais quelquefois des choses que j'avais horreur même de prononcer. Mais je disais en moi-même : « Je les ai peut-être faites, et je ne le connais pas, ni ne m'en souviens pas ; mais il est bien juste que j'aie la confusion de le dire, pour satisfaire à la divine justice. » Bien est-il vrai que si j'avais cru d'avoir eu fait la plupart des choses dont je m'accusais, j'aurais été inconsolable. Je l'aurais été depuis, de ces sortes de confessions, si mon souverain Maître ne m'avait assurée qu'il pardonnait tout à une volonté sans malice. Je fis donc celle-ci, où ce bon Père me fit passer plusieurs feuillets, sans me vouloir permettre de les lire. Je le priai de me laisser satisfaire ma conscience, puisque j'étais une plus grande pécheresse qu'il ne pensait.
Cette confession me mit fort en paix. Je lui dis quelque chose de la manière dont je vivais, sur quoi il me donna plusieurs bons avis. Mais je n'osais pas tout dire, car je croyais que c'était une vanité, de laquelle j'avais de grandes craintes, parce que mon naturel y était fort porté, et que je pensais que ce que je faisais était tout par ce motif,
ne sachant pas discerner le sentiment d'avec le consentement. Cela me faisait beaucoup souffrir, car je craignais beaucoup le péché à cause qu'il éloignait Dieu de mon âme. Ce bon Père me promit des instruments de pénitence Je lui dis comme mon frère me retenait toujours dans le monde, depuis quatre ou cinq ans que je poursuivais pour être religieuse ; de quoi il lui donna un si grand scrupule qu'après il me demanda si j'avais toujours le dessein de l'être ; et lui ayant répondu que plutôt mourir que de changer, il me promit de me satisfaire là-dessus. Il alla donc pour faire le marché de ma dot proche de cette bonne cousine qui ne cessait de me poursuivre. Et ma mère et mes autres parents voulaient que je fusse religieuse en ce couvent. Je ne savais donc plus comme m'en défendre, mais pendant qu'il y alla, je m'adressai à la très-Sainte Vierge, ma bonne maîtresse, par l'entremise de Saint Hyacinthe, auquel je fis plusieurs prières. Je fis dire aussi beaucoup de messes à l'honneur de ma Sainte Mère, laquelle me dit amoureusement en me consolant : « Ne crains rien, tu seras ma vraie fille, et je serai toujours ta bonne Mère. » Ces paroles me calmèrent si fort, qu'elles me laissèrent sans aucun doute que cela s'accomplirait malgré les oppositions. Mon frère étant de retour, me dit : « On veut quatre mille livres, c'est à vous de faire ce qu'il vous plaira de votre bien, car la chose n'est pas encore arrêtée. » En même temps, je lui dis résolument : « Jamais elle ne se conclura. Je veux aller aux Saintes-Maries dans un couvent bien éloigné, où je n'aurai ni parent, ni connaissance, car je ne veux être religieuse que pour l'amour de Dieu. Je veux quitter le monde tout à fait, en me cachant dans quelque petit coin, pour l'oublier et en être oubliée, et ne plus le voir. On me proposa plusieurs monastères auxquels je ne pouvais me résoudre ; mais aussitôt qu'on me nomma Paray, mon cœur se dilata de joie, et j'y consentis d'abord. Mais il me fallut encore aller voir ces religieuses où j'avais demeuré à l'âge de huit ans, ce qui me fut encore un rude combat à soutenir. Car elles me firent entrer, en me disant que j'étais leur enfant, et pourquoi je les voudrais quitter, puisqu'elles m'aimaient si tendrement ; qu'elles ne pouvaient me voir entrer à Sainte-Marie, sachant bien que je n'y persévérerais pas. Je dis que je voulais essayer. Elles me firent promettre de retourner chez elles lorsque j'en sortirais ; car elles savaient bien, disaient-elles, que je ne m'y pourrais jamais accoutumer. Et quoiqu'elles m'en purent dire, mon cœur était insensible, et s'affermissait tant plus en sa résolution, disant toujours : « Il faut mourir, ou vaincre ! » Mais je laisse tous les autres combats que j'eus à soutenir, pour venir vitement au lieu de mon bonheur, le cher Paray.
L'intégrale ici : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6568865n/f14.image.texteImage# ]
Christiane-Thérèse- Contre la Franc Maconnerie
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