Le religieux et le jardinier
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Le religieux et le jardinier
Voici un texte majeur du père Bonaventure Giraudeau, à lire, méditer et partager dans ce siècle dénué d’âme et de charité.
Un jardinier était depuis peu au service d’une communauté de religieux. C’était un homme fort entendu dans tout ce qui concernait son art ; mais du reste, c’était un libertin sans religion et sans mœurs. Le prieur ne tarda pas à s’apercevoir qu’on l’avait trompé en lui donnant un pareil sujet. Il aurait pu le renvoyer : il fit mieux ; il entreprit de le convertir, et Dieu bénit ses efforts. Après s’être arrêté plusieurs fois à le voir travailler, et avoir causé familièrement avec lui de différentes choses, pour gagner sa confiance et connaître la trempe de son esprit, voyant qu’il ne manquait pas d’intelligence, il entra un jour en matière, et voici la conversation intéressante qu’ils eurent ensemble.
Le prieur
Il y a longtemps que je suis et que j’observe avec intérêt toutes vos opérations dans notre jardin : savez-vous pourquoi ?
Le jardinier
C’est apparemment que cela vous amuse.
Le prieur
J’y trouve mieux que de l’amusement ; j’y trouve de l’instruction.
Le jardinier
Est-ce que vous avez envie d’apprendre le jardinage ?
Le prieur
Ce n’est pas cela ; mais il me semble que la culture d’un jardin nous offre une image parfaite de la culture de notre âme.
Le jardinier
Comment cela ?
Le prieur
Je veux dire que tous les soins que prend un bon jardinier, pour mettre et entretenir son jardin en bon état, nous représentent ceux que doit prendre un bon chrétien pour la sanctification de son âme.
Le jardinier
J’entends bien maintenant ce que vous voulez dire ; mais je ne vois pas la ressemblance dont vous parlez.
Le prieur
Vous la verrez bientôt plus clairement. Je suppose qu’on vous donne un terrain en friche pour y former un jardin. Avant que d’y rien semer ou planter, vous commencerez sans doute par en arracher les ronces, les épines et toutes les mauvaises herbes dont il est couvert.
Le jardinier
Assurément. C’est la première chose qu’on fait : sans cela, on sèmerait et on planterait inutilement.
Le prieur
Eh bien ! Mon enfant, c’est ainsi que lorsqu’un homme entreprend de devenir vertueux après avoir croupi dans le vice, il faut qu’il commence par arracher de son âme toutes les mauvaises habitudes qui s’y sont enracinées, et qui empêcheraient les semences de vertu d’y germer et d’y fructifier.
Le jardinier
Je commence à vous comprendre : mais je sais bien ce qu’il faut faire pour défricher un terrain, et je ne sais pas comment il faut s’y prendre pour défricher une âme.
Le prieur
Quand tous défrichez un emplacement donné, vous coupez, vous arrachez, vous retournez la terre, vous brisez les mottes, vous les amollissez en les arrosant. De même il faut couper, arracher ; c’est-à-dire se mortifier, se faire violence. Il faut retourner pour ainsi dire son cœur, le briser par le repentir, l’amollir par les larmes de la componction.
Le jardinier
Voilà un langage qui est tout nouveau pour moi.
Le prieur
Lorsque votre terre est bien préparée, vous y semez, vous y plantez des fleurs, des légumes, des arbres fruitiers. De même, lorsqu’un pécheur a purgé son âme des habitudes vicieuses qui l’infectaient, et qu’il l’a ainsi préparée à recevoir les semences des vertus chrétiennes, Dieu, de qui vient tout don excellent, comme dit saint Jacques, les y répand avec abondance.
Le jardinier
Expliquez-moi, je vous prie, quelles sont ces semences de vertu dont vous parlez.
Le prieur
N’avez-vous pas lu dans l’Évangile que la parole de Dieu est une semence ? C’est cette divine parole, lorsqu’on l’entend ou qu’on la lit avec respect et avec attention, qui est dans nos âmes la semence de toutes les vertus : de l’humilité, de la chasteté, de la tempérance, de la foi, de l’espérance, de la charité, de la soumission à la Providence, etc. Combien de pécheurs ont été convertis ou en entendant un sermon, ou en lisant un livre de piété, et sont devenus ensuite de grands saints !
Le jardinier
J’ai entendu quelquefois des sermons ; mais je ne me suis pas aperçu que cela ait rien produit dans moi.
Le prieur
Dites-moi, mon enfant : lorsque vous semez vos graines, vous contentez-vous de les répandre sur la surface de votre terrain ?
Le jardinier
Non vraiment : j’ai grand soin de les recouvrir de terre. Cela empêche que les oiseaux ne viennent se jeter dessus et les manger ; et cela leur aide à germer et à prendre racine.
Le prieur
C’est l’image de ce que l’on doit faire à l’égard de la parole de Dieu. Si vous vous contentez de l’écouter dans le moment où on la prêche, cette divine semence reste, pour ainsi dire, à découvert sur la surface de votre âme ; et les distractions auxquelles vous vous livrez aussitôt sont comme autant d’oiseaux qui l’enlèvent. Il faut donc recouvrir, en quelque sorte, cette précieuse semence, et l’enfoncer dans votre âme par de sérieuses réflexions. Or parlez-moi franchement, avez- vous quelquefois réfléchi, médité sur ce que vous aviez entendu en chaire ?
Le jardinier
Jamais. Aussitôt entendu, aussitôt oublié ; et, comme on dit, ce qui entrait par une oreille sortait par l’autre.
Le prieur
Voilà précisément pourquoi vous n’en avez tiré aucun profit. Mais continuons notre comparaison. Il ne suffit pas que les semences aient levé, il faut cultiver ces tendres plantes.
Le jardinier
Vous avez raison ; et c’est là la grande peine du jardinier. Il faut sans cesse arracher les mauvaises herbes, qui renaissent malgré qu’on en ait retiré les racines, et qui étoufferaient les bonnes plantes. Il faut faire la guerre aux mulots, aux taupes, aux courtilières ; aux mans, aux chenilles, aux fourmis, aux limaçons, que sais-je ? À mille animaux qui nous mangeraient tout, si on n’avait pas soin de les détruire ou de les écarter. Ce n’est pas tout ; il faut avoir continuellement l’arrosoir à la main.
Le prieur
C’est encore une image sensible des soins que nous devons prendre pour conserver et faire croître dans notre âme les vertus que la grâce y a fait éclore.
1)Notre cœur, infecté de penchants vicieux et d’inclinations perverses, suites funestes du péché originel, produit sans cesse de lui-même une multitude de mauvaises pensées, de mauvais désirs, de mauvaises actions, qui sont comme autant d’herbes nuisibles qu’il faut continuellement arracher pour qu’elles n’étouffent pas nos vertus naissantes ; et c’est par une mortification assidue et par un fréquent usage du sacrement de pénitence qu’on vient à bout de les extirper.
2) Ces insectes et autres animaux voraces qui désolent nos jardins sont la figure des ennemis qui menacent nos vertus ; je veux dire tout ce qui au dehors nous tente et nous porte au péché : mauvais exemples, discours empoisonnés, sociétés dangereuses, maximes erronées, spectacles, danses, festins, objets séduisants, honneurs, plaisirs, richesses, flatteries, etc. La différence qu’il y a, c’est qu’au lieu qu’un jardinier cherche les animaux qui désolent ses plantes pour les attraper et les détruire, nous ne pouvons garantir nos vertus de leurs ennemis que par la fuite.
3) Comme il faut avoir un très-grand soin d’arroser les jeunes plantes d’un jardin, afin de leur fournir les sucs nourriciers qui sont nécessaires pour leur accroissement, ainsi devons-nous arroser avec assiduité les germes précieux que la grâce a déposés dans notre cœur, afin qu’ils se développent chaque jour de plus en plus, et qu’ils parviennent à une heureuse maturité.
Le jardinier
Mais avec quoi voulez -vous que j’arrose ces prétendues plantes que vous supposez nées dans mon cœur ?
Le prieur
Arrosez-les avec cette rosée céleste qu’on obtient par la prière ; arrosez-les avec les eaux qu’il ne tient qu’à vous de puiser dans les sources du Sauveur ; arrosez-les avec le sang adorable de ce divin agneau, en participant souvent à l’auguste sacrement qui le contient.
Le jardinier
Vous m’étonnez, mon Père, par ces idées, qui ne s’étaient jamais présentées à mon esprit.
Le prieur
Il faut vous familiariser avec elles ; et vos occupations journalières doivent sans cesse vous les rappeler. Je pourrais encore vous faire voir d’autres rapports entre les opérations du jardinage et celles de la vie spirituelle. Par exemple, lorsque vous avez besoin d’arbres fruitiers, vous prenez des sauvageons (un sauvageon est un arbre ou un arbuste qui a poussé spontanément dans la nature), sur lesquels vous greffez des espèces choisies, analogues à la nature de chaque sauvageon. C’est ainsi que nous devons en user pour être solidement vertueux. Je m’explique.
Chaque homme a son caractère, son tempérament, sa passion dominante. Voilà le sauvageon, qui, par l’effet de la corruption originelle, ne porterait que de mauvais fruits. Le pécheur converti, répondant fidèlement à la grâce qui l’excite et qui le conduit, greffe, pour ainsi dire, sur ce caractère, sur ce tempérament, sur cette passion dominante, des vertus analogues qui lui font produire des fruits excellents. Cet homme est naturellement ambitieux : sur cette ambition qui l’appliquait tout entier à la recherche des honneurs mondains, il greffe une pieuse émulation d’égaler les plus grands saints, de parvenir à la plus haute perfection, et de mériter une gloire immortelle. Celui-là est actif, laborieux, entreprenant ; sur cette activité, qui n’avait pour objet qu’une fortune temporelle, il greffe un zèle ardent, qui lui fait entreprendre et exécuter les plus grandes choses pour procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes. Cet autre est d’un caractère complaisant, qui le rendait facile à adopter tous les travers et tous les vices de ceux avec qui il vivait : il greffe sur ce dangereux caractère la charité chrétienne, qui le porte à se faire tout à tous, pour gagner tout le monde à Jésus-Christ. Un autre est d’une humeur sombre et sévère, qui a été pour lui la source de bien des péchés, d’envie, de rancune, de médisance, d’emportement, etc. ; sur cette humeur fâcheuse, il greffe un esprit de pénitence, qui lui fait tourner toute sa sévérité contre lui-même, et le rend un modèle de mortification chrétienne.
Pour lire la suite : https://lafrancechretienne.wordpress.com/2017/10/05/le-religieux-et-le-jardinier/#more-3461
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