Rajeunie de trente ans - St Jean Bosco
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Rajeunie de trente ans - St Jean Bosco
Le douzième chapitre du livre « Telle mère, tels fils », issu de la vie de saint Jean Bosco, dont les pages sont consacrées à Mamma Margherita, s’intitule « rajeunie de trente ans ».
« Telle mère, tels fils ». Chapitre XII. Rajeunie de trente ans. Page 87 à 94
« Pour asseoir solidement son œuvre naissante, l’abbé Jean trouva en sa mère la plus active et la plus intelligente des aides. Non seulement, elle le déchargea de la plus grande partie des soucis matériels et cela était déjà considérable ; mais de plus, comme la fin du précédent chapitre l’a déjà fait comprendre, elle rajeunit de trente ans, si l’on peut dire, et devint, auprès de ses enfants adoptifs, la maman des Becchi, qui s’ingéniait de mille façons à corriger, transformer, pousser au bien les cœurs de ces terribles gamins.
Elle nourrissait un faible particulier pour ceux de ces petits qui donnaient du fil à retordre à son fils. Rencontrait-elle une de ces têtes brûlées, dont personne ne pouvait venir à bout :
« Eh bien, lui jetait-elle à brûle-pourpoint, quand donc te mettras-tu à obéir ? Presque tous tes camarades s’efforcent ici de se rendre meilleurs ; toi pas. Guère joli, tout cela ! Essaie donc, au moins un jour, d’être sage. Si tu savais comme c’est bon de se sentir estimé de ses compagnons, de voir le visage satisfait de ses maîtres, d’entendre le bon témoignage de sa conscience ! »
Tombait-elle sur un paresseux, elle lui glissait en douce :
« Sais-tu que ton vice est l’un des plus vilains ? Il témoigne que tu n’as pas de cœur. Don Bosco se tue à trouver de quoi te nourrir et te loger ; ses journées n’y suffisent pas. Et toi, pendant ce temps-là, tu te tournes les pouces. Que feras-tu demain dans la vie ? Comment gagneras-tu ton pain ? Tu prends la meilleure route, sais-tu, pour finir en prison. »
« Tu es pire que les bêtes, soufflait-elle à un de ces enfants qui ne rêvent que coups et horions. As-tu vu des chevaux, des brebis, des vaches se sauter dessus, comme tu sautes sur tes camarades ? Ces animaux sont plus sages que toi. N’oublie pas que qui veut se venger sera un jour châtié par le Seigneur. »
« Quel glouton tu fais ! s’exclamait-elle devant un de ces enfants qui dévorent à se rendre malade. Les bêtes mangent à leur appétit et s’arrêtent après. Toi, tu vas au-delà. Tu manges sans avoir faim. C’est le meilleur moyen de te ruiner la santé. Veux-tu donc mourir jeune ? Veux-tu aller finir tes jours à l’hôpital ? Le vilain défaut ! Tâche de t’en corriger bien vite, pour devenir un homme. »
La verdeur et la franchise de ces admonestations prenaient parfois sur les lèvres de cette paysanne un coloris tout spécial, car elle les soulignait d’un de ces mots, d’une de ces expressions du terroir, d’un de ces proverbes du pays, qui les enveloppaient comme d’un sourire et les gravaient fortement dans ces têtes légères.
Scène gracieuse que celle-ci ! Entre deux montagnes d’habits à rapiécer entassés sur deux chaises, Maman Marguerite tire l’aiguille. Devant elle, un garçon qu’elle a arrêté au passage sur le balcon : quinze ans, l’air plutôt gêné, hier encore bon enfant, docile et pieux, aujourd’hui noté parmi les mauvaises têtes.
« Qui t’a retourné comme ça, mon fils, gémit la pauvre maman ? Tu te classes maintenant parmi les indisciplinés. Aussi bien pourquoi lâches-tu la prière ? Sans l’aide de Dieu, vois-tu, on n’arrive à rien. Tout ça finira mal, j’en ai grand peur, à moins que tu ne t’amendes. Tu sais ce qu’on dit chez nous : rien de plus facile que de descendre, mais remonter, oh comme c’est dur ! »
« Oui, je te le donnerai ce morceau de chocolat, répond-elle à un autre qui a lorgné cette gourmandise et tend déjà la main ; mais avant, il faut me répondre. Depuis combien de temps es-tu allé te confesser ?
– Je voulais y aller : je n’ai pas eu le temps.
– Et samedi dernier ?
– Il y avait trop de monde.
– Et dimanche ?
– Je n’étais pas préparé.
– Oui, je vois ce que c’est. Tu me rappelles le proverbe piémontais : au lavoir, une mauvaise lavandière n’arrive jamais à trouver la place qu’elle veut. »
« Maman, cousez-moi ce bouton à ma veste, implore un autre.
– Tiens, voilà du fil et une aiguille, couds-le toi-même. Il faut savoir se tirer tout seul d’affaire dans cette vie. Qui n’arrive pas à se tailler les ongles des deux mains n’arrive pas à gagner son pain, disaient nos pères. Écoute leur conseil. »
Sous ses yeux, dans la cour, un écervelé déchire en lanières son lamentable mouchoir pour ficeler une balle de sa confection.
« N’as-tu pas honte d’agir ainsi ? gronde Maman Marguerite, qui l’a pincé sur le fait.
– Mais c’est une loque que mon mouchoir.
– Rappelle-toi notre proverbe : pour éplucher, à défaut de couteau, on a ses ongles. D’une loque on peut encore faire quelque chose. »
Ce dicton, elle le répétait fréquemment, soit pour souligner la valeur du temps, l’or des minutes, soit pour marquer l’utilité des plus petites choses, soit pour enseigner l’art de mener de front, quand on le pouvait, plusieurs occasions.
D’autres fois, un de ces marmots, après lui avoir subtilisé une gousse d’ail ou un oignon pour assaisonner son pain sec, le montrait, l’air réjoui, au creux de sa main à un compagnon, sans soupçonner que, depuis quelques minutes, la bonne maman suivait son jeu du coin de l’œil.
« Bravo ! s’exclamait-elle alors. Parfait, mon fils ! Voilà qui justifie ce que l’on dit toujours : la conscience, c’est comme le chatouillement. Il y en a qui le sentent, et il y en a pour qui elle demeure insensible. Tu es de ceux-ci, je vois. Mes félicitations ! »
Et sur ce trait d’ironie elle tournait les talons.
Prompte à corriger de cette ingénieuse façon, elle était aussi prompte à pardonner. C’était d’ailleurs une de ses maximes : que la blessure faite il faut de suite apporter la charpie. Elle pensait, avec tous les éducateurs chrétiens, qu’il est mauvais de laisser l’enfant, l’adolescent, le jeune homme ruminer son humiliation. Dès le début de son œuvre, l’abbé Bosco avait élu comme collaboratrice principale la conscience de ses enfants. Il lui faisait appel en toute occasion, et rien ne lui était plus cher que de voir ses fils accepter de plein gré, voire s’infliger eux-mêmes, une punition méritée. Par exemple, c’était un axiome courant à l’Oratoire, que, qui ne travaille pas n’a pas le droit de manger. Les apprentis avaient même écorché le latin de saint Paul qui disait cela : Qui non laborat non mangiorat, allaient-ils disant. Il n’était donc pas rare de voir, de temps à autre, un de ces grands garçons, à qui Don Bosco, quelques minutes avant, avait fait honte de sa paresse ou de son indolence, se refuser d’entrer au réfectoire et se réduire spontanément au pain sec. Maman Marguerite devinait vite le motif de cet isolement et, s’approchant du coupable :
« Je vois, disait-elle, que tu en as encore fait une. Toujours paresseux, indiscipliné, n’est-ce pas ? Où iras-tu finir, mon pauvre enfant ? Regarde Don Bosco qui, du matin au soir, se tue de travail pour vous autres. N’as-tu pas honte de croupir ainsi dans la paresse en mangeant son pain ? À la première occasion, va donc lui demander pardon, et corrige-toi. Promis, n’est-ce pas ? En attendant prends cela. »
Et elle lui glissait une façon de sandwich, une bonne pagnote au milieu de laquelle elle avait introduit un morceau de fromage ou de saucisson.
« Et surtout n’en parle à personne, suppliait-elle ! Tu me ferais faire une jolie figure. On dirait que j’encourage les méchants garçons. »
Ému aux larmes, le coupable acceptait le don, et son cœur, remué de tant de bonté, promettait de s’amender : souvent il le faisait.
La bonté de cette femme était sans limites. Que de fois il lui arriva, le soir, tout épuisée qu’elle fût par ses rudes journées de fatigue, d’attendre jusqu’à des onze heures et minuit des apprentis retenus au travail par des heures supplémentaires. Quand ils arrivaient, ils trouvaient la soupe chaude et, en plus, une portion de légumes avec du pain à volonté. Ils n’y avaient pas droit, car les cinq sous du matin, remis par Don Bosco, étaient censés couvrir les frais de leur miche de pain et de leur portion de légumes ; mais la bonne vieille maman ne savait pas compter aussi rigidement.
De même, elle résistait difficilement aux demandes réitérées des petits, qui lui mendiaient un supplément de nourriture.
« Maman, donnez-moi une pagnote, suppliait un de ces marmots.
– Mais tu as déjà mangé ton goûter.
– Oui, mais j’ai faim !
– Alors tiens, prends ; et ne la montre à personne. Sinon les camarades viendront m’en demander une ; je ne pourrai la refuser, et demain matin, dans la cour, on ramassera des croûtes.
– N’ayez pas peur, maman, je ne le dirai à personne. »
Deux minutes après tout le monde le savait : alors c’était une ruée vers la cuisine de Maman Marguerite, qui, à la première occasion, tançait son petit obligé.
« Eh bien, tu m’avais promis de ne pas parler de la pagnote que je t’avais donnée. C’est comme ça que tu tiens parole ?
– Que voulez-vous, maman, ils m’ont demandé où je l’avais eue. Devais-je dire un mensonge ?
– Non : il ne faut jamais mentir. Seulement, une autre fois…
– Oh ! Une autre fois, vous me la donnerez encore, j’en suis sûr. »
Et c’était bien vrai, elle ne savait rien refuser à ces petits, pour peu qu’ils en appelassent à son cœur.
Lorsque, vers 1852, fut fondée la section des étudiants en latin, qui allaient suivre les cours en ville, ces garçons, en rentrant le soir, avaient l’estomac dans les talons. Alors ils se présentaient à leur bonne maman, recevaient leur goûter traditionnel, et restaient là, plantés devant elle, dans une attitude éloquente.
« Eh bien, filez maintenant, puisque vous voilà servis, ordonnait-elle.
– Mais ça ne peut pas passer, maman.
– Pourquoi ?
– Trop sec. Un petit bout de fromage ou de saucisson pousserait très bien le tout.
– Gourmand ! N’as-tu pas honte ? Remercie le Seigneur de ce beau pain blanc qu’il te donne.
– Maman, insistait le petit latiniste d’un air lamentable, maman, je vous assure que ça ne passe pas. »
Et Marguerite finissait par tailler la rondelle de saucisson.
Petits faits que ceux-ci, tout petits faits ! Mais, en dépit de leur insignifiance, comme ils proclament hautement la maternelle bonté de cette femme qui était vraiment l’ange gardien, la Providence de cette ruche bourdonnante de travail et de prière, fondée, rayon par rayon, par l’âme d’apôtre de son fils. »
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