Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
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Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 34
Persuade les soeurs d’éveiller à l’oraison les personnes qu’elles traiteront.
1 Maintenant, voyons un peu comment, pour entreprendre le chemin dont j’ai parlé et ne pas s’égarer dès le début, il faut commencer ce chemin, car c’est là ce qui importe le plus : tout dépend de là. Je ne dis pas que celui qui n’aura pas la détermination dont je vais parler renonce à se mettre en route, car Dieu le fortifiera peu à peu et, ne ferait-il qu’un pas, le chemin lui-même renferme en soi une telle vertu que, loin de lui la crainte d’avoir fait ce pas en vain ou de rester sans récompense ! Ce chemin porte en soi de grandes indulgences, et on en gagne plus ou moins. Imaginez quelqu’un qui aurait un chapelet indulgencié, s’il le récite une fois, il gagne une fois les indulgences, et plus il le récite, plus il gagne d’indulgences ; mais s’il ne le touche jamais et le garde dans son coffre, mieux vaudrait pour lui ne pas l’avoir. Ainsi, celui qui ne poursuivrait pas ce chemin de la contemplation recevra, pour le peu qu’il y aura marché, la lumière pour bien suivre les autres ; et plus il y aura marché, plus il aura de lumière. Enfin, il doit être assuré qu’aucun préjudice ne lui viendra d’avoir commencé ce chemin, même s’il vient à l’abandonner, car jamais le bien n’engendre de mal. C’est pourquoi, mes soeurs, efforcez-vous d’enlever à toutes les personnes qui s’entretiendront avec vous la crainte de se mettre à la recherche d’un si grand bien 150, si toutefois leurs dispositions ou l’amitié vous le permettent ; et pour l’amour de Dieu, je vous demande que vos entretiens aient toujours pour but le profit de ceux à qui vous parlez ; l’objet de vos prières n’est-il pas en effet le progrès des âmes ? dès lors que vous devez sans cesse le demander au Seigneur, il semblerait mal, mes soeurs, de ne pas le rechercher par tous les moyens possibles.
2 Voulez-vous être une bonne parente ? voici la manière d’aimer les vôtres ; voulez-vous être une bonne amie ? comprenez que vous ne pouvez l’être que par cette voie. Que la vérité règne en vos coeurs comme la méditation doit l’y faire régner, et vous verrez clairement quel amour nous devons avoir pour le prochain. Ce n’est plus le temps, mes soeurs, des jeux d’enfants, et ces amitiés du monde, pour bonnes qu’elles soient, ne me semblent pas être autre chose ; je veux dire : “ M’aimez-vous ? ” - “ Ne m’aimez-vous pas ? ” que de telles phrases ne soient jamais échangées parmi vous, ni avec vos frères et soeurs, ni avec personne à moins que vous ne visiez un noble dessein et ne travailliez au profit de cette âme. Il peut arriver en effet que, pour faire entendre et accepter une vérité à un parent, à un frère ou à une personne semblable, vous deviez l’y disposer par des phrases de ce genre et des démonstrations d’affection - ce qui flatte toujours notre nature ; peut-être estimera-t-il plus une bonne parole, comme on les appelle, que beaucoup de paroles de Dieu ; peut-être, aussi, celle-ci le disposera-t-il à bien recevoir celle-là ? Si donc vous recherchez le bien d’autrui, je ne les interdis pas ; mais en dehors de là, elles ne peuvent être d’aucun profit et pourraient vous nuire à votre insu. Les gens savent que vous êtes religieuses et que votre commerce est l’oraison. N’allez pas dire : “ Je ne veux pas que l’on me croie bonne ”, car le bien ou le mal que l’on verra en vous rejaillira sur la communauté. Il serait très regrettable que des personnes comme vous, tellement tenues à ne parler que de Dieu, croient bon de dissimuler dans ce cas, à moins que ce ne soit en vue d’un plus grand bien. Telle est la conversation, tel est le langage que vous devez avoir ; que ceux qui désirent parler avec vous l’apprennent ; et sinon, gardez-vous d’apprendre le leur ; ce serait l’enfer.
3 Vient-on alors à vous regarder comme des personnes grossières ? peu importe ; comme des hypocrites ? cela importe encore moins : vous y gagnerez de ne recevoir la visite que de ceux qui comprennent votre langue ; celui qui ne sait pas l’arabe ne peut s’entretenir souvent avec quelqu’un qui ne connaît que ce langage, ce serait absurde ! Ainsi, nul ne viendra vous fatiguer ni vous porter préjudice, car ce ne serait pas un petit dommage pour vous, de commencer à parler et à étudier une nouvelle langue ; vous passeriez tout votre temps à l’apprendre. Vous ne pouvez savoir - comme moi qui en ai fait l’expérience - le grand tourment qui en découle pour l’âme : en voulant apprendre une langue, on oublie l’autre, d’où une inquiétude perpétuelle ; or c’est ce que vous devez fuir à tout prix, car ce qu’il faut avant tout pour entreprendre le chemin dont nous commençons à parler, c’est la paix et le calme de l’âme.
4 Si ceux qui viendront vous voir voulaient apprendre votre langue, vous devez leur dire, bien qu’il ne vous appartienne pas d’enseigner, les richesses que l’on gagne à essayer de l’apprendre ; ne vous lassez pas de le leur répéter, et faites-le avec piété, avec charité et en y joignant vos prières, afin qu’ils en tirent profit, comprennent les grands bienfaits qu’elle entraîne, et aillent chercher un maître qui la leur enseigne ; ce ne serait pas une petite grâce que vous accorderait le Seigneur, si vous éveilliez une âme à poursuivre un si grand bien. Mais que de choses se présentent à l’esprit lorsqu’on commence à parler de ce chemin ! Oh ! comme je voudrais pouvoir écrire avec les deux mains afin de ne pas oublier une chose quand je suis en train d’en dire une autre.
Persuade les soeurs d’éveiller à l’oraison les personnes qu’elles traiteront.
1 Maintenant, voyons un peu comment, pour entreprendre le chemin dont j’ai parlé et ne pas s’égarer dès le début, il faut commencer ce chemin, car c’est là ce qui importe le plus : tout dépend de là. Je ne dis pas que celui qui n’aura pas la détermination dont je vais parler renonce à se mettre en route, car Dieu le fortifiera peu à peu et, ne ferait-il qu’un pas, le chemin lui-même renferme en soi une telle vertu que, loin de lui la crainte d’avoir fait ce pas en vain ou de rester sans récompense ! Ce chemin porte en soi de grandes indulgences, et on en gagne plus ou moins. Imaginez quelqu’un qui aurait un chapelet indulgencié, s’il le récite une fois, il gagne une fois les indulgences, et plus il le récite, plus il gagne d’indulgences ; mais s’il ne le touche jamais et le garde dans son coffre, mieux vaudrait pour lui ne pas l’avoir. Ainsi, celui qui ne poursuivrait pas ce chemin de la contemplation recevra, pour le peu qu’il y aura marché, la lumière pour bien suivre les autres ; et plus il y aura marché, plus il aura de lumière. Enfin, il doit être assuré qu’aucun préjudice ne lui viendra d’avoir commencé ce chemin, même s’il vient à l’abandonner, car jamais le bien n’engendre de mal. C’est pourquoi, mes soeurs, efforcez-vous d’enlever à toutes les personnes qui s’entretiendront avec vous la crainte de se mettre à la recherche d’un si grand bien 150, si toutefois leurs dispositions ou l’amitié vous le permettent ; et pour l’amour de Dieu, je vous demande que vos entretiens aient toujours pour but le profit de ceux à qui vous parlez ; l’objet de vos prières n’est-il pas en effet le progrès des âmes ? dès lors que vous devez sans cesse le demander au Seigneur, il semblerait mal, mes soeurs, de ne pas le rechercher par tous les moyens possibles.
2 Voulez-vous être une bonne parente ? voici la manière d’aimer les vôtres ; voulez-vous être une bonne amie ? comprenez que vous ne pouvez l’être que par cette voie. Que la vérité règne en vos coeurs comme la méditation doit l’y faire régner, et vous verrez clairement quel amour nous devons avoir pour le prochain. Ce n’est plus le temps, mes soeurs, des jeux d’enfants, et ces amitiés du monde, pour bonnes qu’elles soient, ne me semblent pas être autre chose ; je veux dire : “ M’aimez-vous ? ” - “ Ne m’aimez-vous pas ? ” que de telles phrases ne soient jamais échangées parmi vous, ni avec vos frères et soeurs, ni avec personne à moins que vous ne visiez un noble dessein et ne travailliez au profit de cette âme. Il peut arriver en effet que, pour faire entendre et accepter une vérité à un parent, à un frère ou à une personne semblable, vous deviez l’y disposer par des phrases de ce genre et des démonstrations d’affection - ce qui flatte toujours notre nature ; peut-être estimera-t-il plus une bonne parole, comme on les appelle, que beaucoup de paroles de Dieu ; peut-être, aussi, celle-ci le disposera-t-il à bien recevoir celle-là ? Si donc vous recherchez le bien d’autrui, je ne les interdis pas ; mais en dehors de là, elles ne peuvent être d’aucun profit et pourraient vous nuire à votre insu. Les gens savent que vous êtes religieuses et que votre commerce est l’oraison. N’allez pas dire : “ Je ne veux pas que l’on me croie bonne ”, car le bien ou le mal que l’on verra en vous rejaillira sur la communauté. Il serait très regrettable que des personnes comme vous, tellement tenues à ne parler que de Dieu, croient bon de dissimuler dans ce cas, à moins que ce ne soit en vue d’un plus grand bien. Telle est la conversation, tel est le langage que vous devez avoir ; que ceux qui désirent parler avec vous l’apprennent ; et sinon, gardez-vous d’apprendre le leur ; ce serait l’enfer.
3 Vient-on alors à vous regarder comme des personnes grossières ? peu importe ; comme des hypocrites ? cela importe encore moins : vous y gagnerez de ne recevoir la visite que de ceux qui comprennent votre langue ; celui qui ne sait pas l’arabe ne peut s’entretenir souvent avec quelqu’un qui ne connaît que ce langage, ce serait absurde ! Ainsi, nul ne viendra vous fatiguer ni vous porter préjudice, car ce ne serait pas un petit dommage pour vous, de commencer à parler et à étudier une nouvelle langue ; vous passeriez tout votre temps à l’apprendre. Vous ne pouvez savoir - comme moi qui en ai fait l’expérience - le grand tourment qui en découle pour l’âme : en voulant apprendre une langue, on oublie l’autre, d’où une inquiétude perpétuelle ; or c’est ce que vous devez fuir à tout prix, car ce qu’il faut avant tout pour entreprendre le chemin dont nous commençons à parler, c’est la paix et le calme de l’âme.
4 Si ceux qui viendront vous voir voulaient apprendre votre langue, vous devez leur dire, bien qu’il ne vous appartienne pas d’enseigner, les richesses que l’on gagne à essayer de l’apprendre ; ne vous lassez pas de le leur répéter, et faites-le avec piété, avec charité et en y joignant vos prières, afin qu’ils en tirent profit, comprennent les grands bienfaits qu’elle entraîne, et aillent chercher un maître qui la leur enseigne ; ce ne serait pas une petite grâce que vous accorderait le Seigneur, si vous éveilliez une âme à poursuivre un si grand bien. Mais que de choses se présentent à l’esprit lorsqu’on commence à parler de ce chemin ! Oh ! comme je voudrais pouvoir écrire avec les deux mains afin de ne pas oublier une chose quand je suis en train d’en dire une autre.
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CHAPITRE 35
Combien il importe d’entrer dans la voie de l’oraison avec une ferme détermination et en ne faisant aucun cas des difficultés que suscite le démon.
1 Ne vous étonnez pas, mes filles, car c’est le chemin royal qui conduit au ciel. En le suivant, on gagne un grand trésor, rien d’étonnant donc qu’il semble nous coûter cher. Un temps viendra où vous comprendrez combien tout n’est que néant comparé au prix inestimable de ce que vous aurez acquis.
2 Revenons maintenant à ceux qui désirent boire de cette eau de vie et veulent cheminer jusqu’à parvenir à la source même ; comment doivent-ils commencer ? Je le répète : il est très important, il est capital (et bien que j’aie lu dans un livre, et même dans plusieurs, que c’était une chose excellente de commencer de la sorte, rien ne se perdra, je pense, si je le redis ici) qu’ils prennent la détermination absolue de ne pas s’arrêter qu’ils ne soient arrivés à cette source ; ceci, quoi qu’il arrive ou puisse survenir, quelles que soient les difficultés ou les médisances, que nous devions arriver au terme ou mourir en chemin, que nous manquions de courage pour supporter les épreuves de la route ou que le monde s’écroule ! On nous dit très souvent : “ ce chemin est plein de dangers ”, “ une telle s’y est perdue ”, “ celui-ci s’est égaré ”, “ tel autre qui priait est tombé ”, “ c’est faire tort à la vertu ”, “ cela ne convient pas aux femmes si sujettes aux illusions ”, “ mieux vaudrait qu’elles filent ”, “ elles n’ont pas besoin de ces subtilités ”, “ le Paternoster et l’Avemaria leur suffisent ”.
3 Assurément, mes soeurs, j’en dis tout autant ; bien sûr que cela suffit ! et ce sera toujours un grand bien de fonder votre oraison sur des prières prononcées par de telles lèvres. En cela on a raison, car si notre faiblesse n’était pas si grande et notre dévotion si tiède, nous n’aurions pas besoin d’autres méthodes d’oraison ni d’autres livres ; nous ne ressentirions pas non plus la nécessité d’autres prières.
4 J’ai donc pensé (puisque, je l’ai déjà dit, je m’adresse à des âmes qui ne peuvent se recueillir pour méditer les mystères - elles n’y voient qu’une attitude feinte - et à des esprits si subtils que rien ne les contente) établir sur le Pater des règles pour commencer, poursuivre et conclure l’oraison, en ne faisant toutefois qu’effleurer les degrés les plus hauts puisque, je le répète, j’en ai déjà traité par écrit ; et on ne pourra vous ôter tous les livres que vous ne puissiez garder un si bon livre ; si vous l’étudiez avec soin et humilité, vous n’aurez pas besoin d’autre chose. Pour moi, j’ai toujours beaucoup aimé les paroles de l’Évangile, paroles qui sont sorties des lèvres très sacrées du Seigneur, et elles m’ont toujours plus recueillie que les livres très bien composés ; quant à ceux dont les auteurs n’étaient pas très approuvés, je n’avais nulle envie de les lire.
Je n’expliquerai pas, toutefois, ces divines prières - je n’aurais pas cette audace, et d’ailleurs maintes explications écrites abondent à leur sujet ; m’y risquer serait folie de ma part -, je me bornerai à soumettre quelques considérations sur certaines paroles. Parfois le grand nombre de livres nous fait perdre la dévotion là où il nous faudrait tant l’avoir, tandis que le maître, c’est évident, lorsqu’il enseigne une chose, s’affectionne à son élève, il est content que son enseignement lui plaise et il l’aide beaucoup à l’apprendre ; voilà ce que fera pour nous notre Maître céleste.
Combien il importe d’entrer dans la voie de l’oraison avec une ferme détermination et en ne faisant aucun cas des difficultés que suscite le démon.
1 Ne vous étonnez pas, mes filles, car c’est le chemin royal qui conduit au ciel. En le suivant, on gagne un grand trésor, rien d’étonnant donc qu’il semble nous coûter cher. Un temps viendra où vous comprendrez combien tout n’est que néant comparé au prix inestimable de ce que vous aurez acquis.
2 Revenons maintenant à ceux qui désirent boire de cette eau de vie et veulent cheminer jusqu’à parvenir à la source même ; comment doivent-ils commencer ? Je le répète : il est très important, il est capital (et bien que j’aie lu dans un livre, et même dans plusieurs, que c’était une chose excellente de commencer de la sorte, rien ne se perdra, je pense, si je le redis ici) qu’ils prennent la détermination absolue de ne pas s’arrêter qu’ils ne soient arrivés à cette source ; ceci, quoi qu’il arrive ou puisse survenir, quelles que soient les difficultés ou les médisances, que nous devions arriver au terme ou mourir en chemin, que nous manquions de courage pour supporter les épreuves de la route ou que le monde s’écroule ! On nous dit très souvent : “ ce chemin est plein de dangers ”, “ une telle s’y est perdue ”, “ celui-ci s’est égaré ”, “ tel autre qui priait est tombé ”, “ c’est faire tort à la vertu ”, “ cela ne convient pas aux femmes si sujettes aux illusions ”, “ mieux vaudrait qu’elles filent ”, “ elles n’ont pas besoin de ces subtilités ”, “ le Paternoster et l’Avemaria leur suffisent ”.
3 Assurément, mes soeurs, j’en dis tout autant ; bien sûr que cela suffit ! et ce sera toujours un grand bien de fonder votre oraison sur des prières prononcées par de telles lèvres. En cela on a raison, car si notre faiblesse n’était pas si grande et notre dévotion si tiède, nous n’aurions pas besoin d’autres méthodes d’oraison ni d’autres livres ; nous ne ressentirions pas non plus la nécessité d’autres prières.
4 J’ai donc pensé (puisque, je l’ai déjà dit, je m’adresse à des âmes qui ne peuvent se recueillir pour méditer les mystères - elles n’y voient qu’une attitude feinte - et à des esprits si subtils que rien ne les contente) établir sur le Pater des règles pour commencer, poursuivre et conclure l’oraison, en ne faisant toutefois qu’effleurer les degrés les plus hauts puisque, je le répète, j’en ai déjà traité par écrit ; et on ne pourra vous ôter tous les livres que vous ne puissiez garder un si bon livre ; si vous l’étudiez avec soin et humilité, vous n’aurez pas besoin d’autre chose. Pour moi, j’ai toujours beaucoup aimé les paroles de l’Évangile, paroles qui sont sorties des lèvres très sacrées du Seigneur, et elles m’ont toujours plus recueillie que les livres très bien composés ; quant à ceux dont les auteurs n’étaient pas très approuvés, je n’avais nulle envie de les lire.
Je n’expliquerai pas, toutefois, ces divines prières - je n’aurais pas cette audace, et d’ailleurs maintes explications écrites abondent à leur sujet ; m’y risquer serait folie de ma part -, je me bornerai à soumettre quelques considérations sur certaines paroles. Parfois le grand nombre de livres nous fait perdre la dévotion là où il nous faudrait tant l’avoir, tandis que le maître, c’est évident, lorsqu’il enseigne une chose, s’affectionne à son élève, il est content que son enseignement lui plaise et il l’aide beaucoup à l’apprendre ; voilà ce que fera pour nous notre Maître céleste.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 36
Suite du même sujet, exposition d’une duperie et mise en garde contre une foi aveugle en tous.
1 Pour revenir à ce que je disais, ne faites aucun cas des craintes que l’on cherchera à vous inspirer ni des périls que l’on vous représentera. Ce serait chose plaisante de vouloir, sans courir de danger, aller par un chemin où il y a tant de voleurs s’emparer d’un grand trésor ! Croyez-vous donc que les gens du monde soient disposés à vous le laisser prendre en paix, alors que pour un maravédis d’intérêt ils vont passer de nombreuses nuits sans dormir et vous feront perdre le repos de l’âme et du corps ? Et c’est lorsque vous vous mettez en route pour conquérir ce trésor, ou plutôt pour le voler - puisque Notre Seigneur dit que c’est ainsi que les braves s’en emparent par un chemin royal, par un chemin sûr, par celui que prit le Christ, notre Empereur, tous ses élus et ses saints, que l’on vous dit qu’il s’y trouve mille périls, et que l’on éveille en vous des craintes sans nombre ? A quels dangers, alors, s’exposeront ceux qui s’imaginent gagner ce trésor sans suivre de route ? O mes filles ! ceux qu’ils courent sont infiniment plus nombreux, sans comparaison possible, seulement ils ne s’en rendent compte que lorsqu’ils sont tombés dans le vrai danger (et, peut-être, quand il n’y a plus personne pour leur tendre la main) ; ils perdent alors complètement l’eau vive, ils ne peuvent boire ni peu ni beaucoup, ils n’ont plus ni flaque d’eau ni ruisseau.
2 Ainsi, vous le voyez, sans une goutte de cette eau, comment pourront-ils parcourir un chemin où il y a tant d’ennemis à combattre ? Il est clair qu’ils mourront de soif au moment où ils s’y attendront le moins car, que nous le voulions ou non, mes filles, nous marchons tous, bien qu’en différentes manières, vers cette fontaine. Donc, croyez-moi, il n’y a qu’un seul chemin pour y parvenir : l’oraison, et que personne ne vous induise en erreur en vous en montrant un autre.
3 Je n’examine pas maintenant si elle doit être mentale ou vocale pour tous ; je dis que, pour vous, il faut l’une et l’autre ; c’est là le devoir des religieux. Si quelqu’un vient vous dire qu’il y a là danger, regardez-le comme étant le danger personnifié et fuyez-le (n’oubliez pas ce conseil, dont peut-être vous aurez besoin) ; le danger, c’est le manque d’humilité et des autres vertus ; mais que le chemin de l’oraison soit un chemin dangereux, à Dieu ne plaise ! Le démon, semble-t-il, a inventé ces frayeurs et a déployé sa ruse de telle sorte qu’il en a fait tomber quelques-uns qui suivaient ce chemin.
4 Voyez un peu, quel grand aveuglement ! on ne regarde pas les milliers et milliers de gens, comme on dit, qui sont tombés dans l’hérésie et dans de grands maux sans pratiquer l’oraison ni même savoir ce que c’était (état qu’il faut craindre à tout prix) ; mais si, parmi ce nombre incalculable de personnes, le démon, pour mieux arriver à ses fins, en fait tomber quelques-uns - fort peu - qui s’adonnaient à l’oraison, immédiatement certains sont saisis d’effroi à la pensée de pratiquer la vertu. Que ceux qui ont ces remèdes, ou en usent pour se protéger, soient sur leurs gardes, car fuir le bien pour se préserver du mal est la plus funeste invention que j’aie jamais vue ; il est clair que le démon en est l’auteur. O mon Seigneur ! prenez la défense de votre propre cause ; voyez comme l’on comprend vos paroles à l’envers ; ne permettez pas de semblables faiblesses chez vos serviteurs. Quant à vous, mes filles, on ne pourra vous enlever ni le Paternoster ni l’Avemaria.
5 Il y aura toujours de nombreuses personnes pour vous aider, car le vrai serviteur de Dieu, celui que Sa Majesté éclaire et mène dans le vrai chemin sent, au milieu des terreurs qu’on lui représente, croître son désir de ne pas s’arrêter. Il voit clairement par où le démon va frapper ; il l’esquive et il lui brise la tête. Le démon est plus sensible à cet échec qu’à tous les plaisirs que d’autres peuvent lui procurer. Dans les temps de trouble, quand l’ennemi a semé la zizanie et semble entraîner à sa suite les hommes à demi aveuglés, nombreux sont ceux qui perdent le chemin sous prétexte d’être de parfaits chrétiens ; Dieu suscite alors un homme qui ouvre leurs yeux et dit : “ Prenez garde, l’ennemi a obscurci votre Chemin avec du brouillard ” (O grandeur de Dieu ! Un homme seul, ou dix, qui disent la vérité sont parfois plus puissants qu’une foule d’autres réunis) ; peu à peu il leur montre à nouveau le chemin et Dieu lui donne du courage. Affirme-t-on qu’il ne faut pas faire oraison il essaiera de faire comprendre, sinon par des paroles, du moins par ses oeuvres, combien l’oraison est excellente ; dit-on qu’il ne convient pas de communier si souvent ? il s’approchera plus souvent du Très Saint Sacrement. Il en suffit d’un qui ait du courage pour qu’un second se présente aussitôt, et que le Seigneur regagne ce qu’il avait perdu.
6 Donc, mes filles, laissez toutes ces frayeurs ; ne faites jamais cas, en semblable matière, de l’opinion du vulgaire. Dites-vous bien que ce n’est pas le temps de croire tout le monde, mais seulement ceux que vous verrez imiter la vie du Christ. Veillez à cultiver la pureté de conscience, l’humilité, le mépris de toutes les choses du monde, croyez fermement ce qu’enseigne notre Mère la Sainte Église, et soyez assurées de suivre le bon chemin. Abandonnez les craintes là où il n’y a pas à craindre ; si quelqu’un cherche à vous en inspirer, montrez-lui humblement le chemin. Dites-lui que votre Règle vous ordonne de prier sans cesse - et c’est la vérité - et que vous devez l’observer. S’il vous objecte qu’il s’agit de prier vocalement, demandez-lui avec insistance si votre esprit et votre coeur ne doivent pas être attentifs à ce que vous dites ; et s’il vous répond : oui (il ne pourra vous répondre autre chose), ce sera vous avouer que vous devez nécessairement pratiquer l’oraison mentale, et arriver jusqu’à la contemplation si Dieu vous l’accorde.
Suite du même sujet, exposition d’une duperie et mise en garde contre une foi aveugle en tous.
1 Pour revenir à ce que je disais, ne faites aucun cas des craintes que l’on cherchera à vous inspirer ni des périls que l’on vous représentera. Ce serait chose plaisante de vouloir, sans courir de danger, aller par un chemin où il y a tant de voleurs s’emparer d’un grand trésor ! Croyez-vous donc que les gens du monde soient disposés à vous le laisser prendre en paix, alors que pour un maravédis d’intérêt ils vont passer de nombreuses nuits sans dormir et vous feront perdre le repos de l’âme et du corps ? Et c’est lorsque vous vous mettez en route pour conquérir ce trésor, ou plutôt pour le voler - puisque Notre Seigneur dit que c’est ainsi que les braves s’en emparent par un chemin royal, par un chemin sûr, par celui que prit le Christ, notre Empereur, tous ses élus et ses saints, que l’on vous dit qu’il s’y trouve mille périls, et que l’on éveille en vous des craintes sans nombre ? A quels dangers, alors, s’exposeront ceux qui s’imaginent gagner ce trésor sans suivre de route ? O mes filles ! ceux qu’ils courent sont infiniment plus nombreux, sans comparaison possible, seulement ils ne s’en rendent compte que lorsqu’ils sont tombés dans le vrai danger (et, peut-être, quand il n’y a plus personne pour leur tendre la main) ; ils perdent alors complètement l’eau vive, ils ne peuvent boire ni peu ni beaucoup, ils n’ont plus ni flaque d’eau ni ruisseau.
2 Ainsi, vous le voyez, sans une goutte de cette eau, comment pourront-ils parcourir un chemin où il y a tant d’ennemis à combattre ? Il est clair qu’ils mourront de soif au moment où ils s’y attendront le moins car, que nous le voulions ou non, mes filles, nous marchons tous, bien qu’en différentes manières, vers cette fontaine. Donc, croyez-moi, il n’y a qu’un seul chemin pour y parvenir : l’oraison, et que personne ne vous induise en erreur en vous en montrant un autre.
3 Je n’examine pas maintenant si elle doit être mentale ou vocale pour tous ; je dis que, pour vous, il faut l’une et l’autre ; c’est là le devoir des religieux. Si quelqu’un vient vous dire qu’il y a là danger, regardez-le comme étant le danger personnifié et fuyez-le (n’oubliez pas ce conseil, dont peut-être vous aurez besoin) ; le danger, c’est le manque d’humilité et des autres vertus ; mais que le chemin de l’oraison soit un chemin dangereux, à Dieu ne plaise ! Le démon, semble-t-il, a inventé ces frayeurs et a déployé sa ruse de telle sorte qu’il en a fait tomber quelques-uns qui suivaient ce chemin.
4 Voyez un peu, quel grand aveuglement ! on ne regarde pas les milliers et milliers de gens, comme on dit, qui sont tombés dans l’hérésie et dans de grands maux sans pratiquer l’oraison ni même savoir ce que c’était (état qu’il faut craindre à tout prix) ; mais si, parmi ce nombre incalculable de personnes, le démon, pour mieux arriver à ses fins, en fait tomber quelques-uns - fort peu - qui s’adonnaient à l’oraison, immédiatement certains sont saisis d’effroi à la pensée de pratiquer la vertu. Que ceux qui ont ces remèdes, ou en usent pour se protéger, soient sur leurs gardes, car fuir le bien pour se préserver du mal est la plus funeste invention que j’aie jamais vue ; il est clair que le démon en est l’auteur. O mon Seigneur ! prenez la défense de votre propre cause ; voyez comme l’on comprend vos paroles à l’envers ; ne permettez pas de semblables faiblesses chez vos serviteurs. Quant à vous, mes filles, on ne pourra vous enlever ni le Paternoster ni l’Avemaria.
5 Il y aura toujours de nombreuses personnes pour vous aider, car le vrai serviteur de Dieu, celui que Sa Majesté éclaire et mène dans le vrai chemin sent, au milieu des terreurs qu’on lui représente, croître son désir de ne pas s’arrêter. Il voit clairement par où le démon va frapper ; il l’esquive et il lui brise la tête. Le démon est plus sensible à cet échec qu’à tous les plaisirs que d’autres peuvent lui procurer. Dans les temps de trouble, quand l’ennemi a semé la zizanie et semble entraîner à sa suite les hommes à demi aveuglés, nombreux sont ceux qui perdent le chemin sous prétexte d’être de parfaits chrétiens ; Dieu suscite alors un homme qui ouvre leurs yeux et dit : “ Prenez garde, l’ennemi a obscurci votre Chemin avec du brouillard ” (O grandeur de Dieu ! Un homme seul, ou dix, qui disent la vérité sont parfois plus puissants qu’une foule d’autres réunis) ; peu à peu il leur montre à nouveau le chemin et Dieu lui donne du courage. Affirme-t-on qu’il ne faut pas faire oraison il essaiera de faire comprendre, sinon par des paroles, du moins par ses oeuvres, combien l’oraison est excellente ; dit-on qu’il ne convient pas de communier si souvent ? il s’approchera plus souvent du Très Saint Sacrement. Il en suffit d’un qui ait du courage pour qu’un second se présente aussitôt, et que le Seigneur regagne ce qu’il avait perdu.
6 Donc, mes filles, laissez toutes ces frayeurs ; ne faites jamais cas, en semblable matière, de l’opinion du vulgaire. Dites-vous bien que ce n’est pas le temps de croire tout le monde, mais seulement ceux que vous verrez imiter la vie du Christ. Veillez à cultiver la pureté de conscience, l’humilité, le mépris de toutes les choses du monde, croyez fermement ce qu’enseigne notre Mère la Sainte Église, et soyez assurées de suivre le bon chemin. Abandonnez les craintes là où il n’y a pas à craindre ; si quelqu’un cherche à vous en inspirer, montrez-lui humblement le chemin. Dites-lui que votre Règle vous ordonne de prier sans cesse - et c’est la vérité - et que vous devez l’observer. S’il vous objecte qu’il s’agit de prier vocalement, demandez-lui avec insistance si votre esprit et votre coeur ne doivent pas être attentifs à ce que vous dites ; et s’il vous répond : oui (il ne pourra vous répondre autre chose), ce sera vous avouer que vous devez nécessairement pratiquer l’oraison mentale, et arriver jusqu’à la contemplation si Dieu vous l’accorde.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 37
Ce qu’est l’oraison mentale.
1 Assurément, pratiquer ou non l’oraison mentale ne consiste pas à garder la bouche ouverte ou fermée ; si, lorsque je prie vocalement, je réalise pleinement que je parle avec Dieu, et si mon attention est plus tournée vers lui que vers les paroles que je prononce, j’unis l’oraison mentale et l’oraison vocale. Mais si l’on vient vous dire que vous parlez à Dieu quand, en récitant l’Avemaria 164, vous pensez au monde, je n’ai plus qu’à me taire. Quand vous parlez à un si grand Seigneur, il est juste que vous considériez quel est celui à qui vous vous adressez et qui vous êtes, ne serait-ce que pour parler avec civilité. Car comment pourrez-vous appeler un prince “ Altesse ”, et connaître le cérémonial qui s’impose pour parler à un grand, si vous ignorez la différence qu’il y a entre son état et le vôtre ? Car c’est là ce qui règle l’attitude que vous devez adopter, de même que vous devez vous conformer à l’usage - vous devez aussi connaître l’usage -, vous ne devez rien négliger de ces choses, sinon on vous enverra promener et vous n’obtiendrez rien de ce que vous désirez. Si vous n’êtes pas instruites de tout cela, vous devrez vous en informer et, pour ainsi dire, épeler ce que vous aurez à dire. Voici ce qui m’est arrivé une fois : je n’étais pas habituée à parler aux grands de ce monde et je devais, pour une affaire particulière, entrer en relation avec une personne qu’il fallait appeler : “ Seigneurie ” ; on me montra donc ce mot par écrit. Comme je suis malhabile et manque d’habitude, en arrivant sur place je ne sus pas me tirer d’affaire ; je décidai de dire à cette personne ce qu’il en était, et d’en rire, en la priant de trouver bon que je l’appelle : “ Votre Grâce ”, ce que je fis 165, Mais qu’est ceci, mon cher Seigneur ? qu’est ceci, mon Empereur ? comment peut-on le souffrir, Prince de toute la création ? Vous êtes Roi, Seigneur, pour l’éternité ; votre royaume n’est pas un royaume d’emprunt, il vous appartient en propre ; il ne finira jamais. Soyez béni, Seigneur ! Quand on récite dans le Credo que “ votre royaume n’aura pas de fin ”, j’en éprouve presque toujours une joie spéciale. Je vous loue, Seigneur, et je vous bénis, et que toutes les choses vous louent pour toujours, car votre royaume durera éternellement. Ne permettez jamais, Seigneur, que ceux qui vous loueront et parleront avec vous, ne le fassent que du bout des lèvres.
2 Qu’est-ce que cela, chrétiens ? vous comprenez-vous vous-mêmes ? Je voudrais crier et pouvoir controverser - bien que je ne sois que peu de chose - avec ceux qui disent que l’oraison mentale n’est pas nécessaire. Assurément, je vois que vous ne vous comprenez pas et ne savez pas ce qu’est l’oraison mentale, ni comment il faut faire la prière vocale, ni ce qu’on entend par contemplation, parce que si vous le saviez, vous ne condamneriez pas d’un côté ce que vous approuvez de l’autre.
3 Pour moi, mes filles, autant que je m’en souviendrai, j’ai l’intention d’unir toujours l’oraison mentale et l’oraison vocale afin de chasser de vous toute frayeur ; je sais où ces choses peuvent mener, et je ne voudrais pas que l’on vînt à vous leurrer, car il est préjudiciable de marcher avec crainte dans ce chemin de l’oraison. Il est très important pour vous de comprendre que vous êtes en bonne voie ; en effet, si l’on dit à quelqu’un qu’il s’est égaré, qu’il a perdu son chemin, on le fait aller de côté et d’autre, et pendant qu’il cherche à retrouver sa route, il se fatigue, perd du temps et arrive plus tard. Qui pourrait trouver mal qu’en commençant à réciter les heures ou le rosaire, vous vous demandiez tout d’abord à Qui vous allez vous adresser, et qui vous êtes, afin de voir comment vous traiterez avec Lui ? Eh bien je vous l’assure, mes filles, si vous faites tout ce qu’il faut pour creuser ces deux points, avant de commencer l’oraison vocale, soit : la récitation des heures et du rosaire, vous avez consacré de nombreuses heures à d’oraison mentale. Il est clair qu’on ne s’approche pas d’un prince, pour lui parler, de la même façon qu’on aborde un simple laboureur ou de pauvres religieuses comme nous ; peu nous importe d’être tutoyées ou vouvoyées !
4 Il est vrai, l’humilité de ce Roi est telle que malgré mon ignorance des règles pour lui parler, il ne me méprise pas, ne m’empêche pas de m’approcher de lui, et ses gardes ne me chassent pas. Les anges qui l’entourent n’ignorent pas que leur Roi préfère la simplicité d’un humble petit berger (qui lui en dirait davantage, le Roi le sait bien, s’il était plus savant), à un système théologique bien organisé, mais non empreint, peut-être, d’une grande humilité. Toutefois, ce n’est pas parce qu’il est bon que nous devons nous montrer impolies. Ne serait-ce que pour lui témoigner notre gratitude d’endurer la mauvaise odeur de notre présence, et de nous supporter, il est juste que nous voyions Qui il est. En vérité, on le comprend dès qu’on s’approche de Lui. Comment connaît-on les seigneurs de ce monde ? en s’informant du nom de leurs ancêtres, de leurs revenus, de leurs titres de noblesse, et tout est dit ! Ici- bas, on ne tient pas compte du mérite personnel, si grand soit-il, mais des richesses.
5 O malheureux monde ! Bénissez Dieu, mes filles, d’avoir laissé un endroit si misérable où l’on estime les gens non pour ce qu’ils ont en eux, mais pour ce que possèdent leurs fermiers et leurs vasseaux. Plaisant sujet que voici pour vous divertir à l’heure de la récréation ! Ce sera un excellent passe-temps que celui de chercher à comprendre dans quel aveuglement les gens du monde passent leur temps !
6 O Roi de gloire, Seigneur des seigneurs, Empereur de tous les empereurs du monde, Saint des saints, Pouvoir au-dessus de tous les pouvoirs, Savoir au-dessus de tous les savoirs, la Sagesse même ! Vous êtes, Seigneur, la vérité même, la richesse même : votre règne n’aura pas de fin.
Ce qu’est l’oraison mentale.
1 Assurément, pratiquer ou non l’oraison mentale ne consiste pas à garder la bouche ouverte ou fermée ; si, lorsque je prie vocalement, je réalise pleinement que je parle avec Dieu, et si mon attention est plus tournée vers lui que vers les paroles que je prononce, j’unis l’oraison mentale et l’oraison vocale. Mais si l’on vient vous dire que vous parlez à Dieu quand, en récitant l’Avemaria 164, vous pensez au monde, je n’ai plus qu’à me taire. Quand vous parlez à un si grand Seigneur, il est juste que vous considériez quel est celui à qui vous vous adressez et qui vous êtes, ne serait-ce que pour parler avec civilité. Car comment pourrez-vous appeler un prince “ Altesse ”, et connaître le cérémonial qui s’impose pour parler à un grand, si vous ignorez la différence qu’il y a entre son état et le vôtre ? Car c’est là ce qui règle l’attitude que vous devez adopter, de même que vous devez vous conformer à l’usage - vous devez aussi connaître l’usage -, vous ne devez rien négliger de ces choses, sinon on vous enverra promener et vous n’obtiendrez rien de ce que vous désirez. Si vous n’êtes pas instruites de tout cela, vous devrez vous en informer et, pour ainsi dire, épeler ce que vous aurez à dire. Voici ce qui m’est arrivé une fois : je n’étais pas habituée à parler aux grands de ce monde et je devais, pour une affaire particulière, entrer en relation avec une personne qu’il fallait appeler : “ Seigneurie ” ; on me montra donc ce mot par écrit. Comme je suis malhabile et manque d’habitude, en arrivant sur place je ne sus pas me tirer d’affaire ; je décidai de dire à cette personne ce qu’il en était, et d’en rire, en la priant de trouver bon que je l’appelle : “ Votre Grâce ”, ce que je fis 165, Mais qu’est ceci, mon cher Seigneur ? qu’est ceci, mon Empereur ? comment peut-on le souffrir, Prince de toute la création ? Vous êtes Roi, Seigneur, pour l’éternité ; votre royaume n’est pas un royaume d’emprunt, il vous appartient en propre ; il ne finira jamais. Soyez béni, Seigneur ! Quand on récite dans le Credo que “ votre royaume n’aura pas de fin ”, j’en éprouve presque toujours une joie spéciale. Je vous loue, Seigneur, et je vous bénis, et que toutes les choses vous louent pour toujours, car votre royaume durera éternellement. Ne permettez jamais, Seigneur, que ceux qui vous loueront et parleront avec vous, ne le fassent que du bout des lèvres.
2 Qu’est-ce que cela, chrétiens ? vous comprenez-vous vous-mêmes ? Je voudrais crier et pouvoir controverser - bien que je ne sois que peu de chose - avec ceux qui disent que l’oraison mentale n’est pas nécessaire. Assurément, je vois que vous ne vous comprenez pas et ne savez pas ce qu’est l’oraison mentale, ni comment il faut faire la prière vocale, ni ce qu’on entend par contemplation, parce que si vous le saviez, vous ne condamneriez pas d’un côté ce que vous approuvez de l’autre.
3 Pour moi, mes filles, autant que je m’en souviendrai, j’ai l’intention d’unir toujours l’oraison mentale et l’oraison vocale afin de chasser de vous toute frayeur ; je sais où ces choses peuvent mener, et je ne voudrais pas que l’on vînt à vous leurrer, car il est préjudiciable de marcher avec crainte dans ce chemin de l’oraison. Il est très important pour vous de comprendre que vous êtes en bonne voie ; en effet, si l’on dit à quelqu’un qu’il s’est égaré, qu’il a perdu son chemin, on le fait aller de côté et d’autre, et pendant qu’il cherche à retrouver sa route, il se fatigue, perd du temps et arrive plus tard. Qui pourrait trouver mal qu’en commençant à réciter les heures ou le rosaire, vous vous demandiez tout d’abord à Qui vous allez vous adresser, et qui vous êtes, afin de voir comment vous traiterez avec Lui ? Eh bien je vous l’assure, mes filles, si vous faites tout ce qu’il faut pour creuser ces deux points, avant de commencer l’oraison vocale, soit : la récitation des heures et du rosaire, vous avez consacré de nombreuses heures à d’oraison mentale. Il est clair qu’on ne s’approche pas d’un prince, pour lui parler, de la même façon qu’on aborde un simple laboureur ou de pauvres religieuses comme nous ; peu nous importe d’être tutoyées ou vouvoyées !
4 Il est vrai, l’humilité de ce Roi est telle que malgré mon ignorance des règles pour lui parler, il ne me méprise pas, ne m’empêche pas de m’approcher de lui, et ses gardes ne me chassent pas. Les anges qui l’entourent n’ignorent pas que leur Roi préfère la simplicité d’un humble petit berger (qui lui en dirait davantage, le Roi le sait bien, s’il était plus savant), à un système théologique bien organisé, mais non empreint, peut-être, d’une grande humilité. Toutefois, ce n’est pas parce qu’il est bon que nous devons nous montrer impolies. Ne serait-ce que pour lui témoigner notre gratitude d’endurer la mauvaise odeur de notre présence, et de nous supporter, il est juste que nous voyions Qui il est. En vérité, on le comprend dès qu’on s’approche de Lui. Comment connaît-on les seigneurs de ce monde ? en s’informant du nom de leurs ancêtres, de leurs revenus, de leurs titres de noblesse, et tout est dit ! Ici- bas, on ne tient pas compte du mérite personnel, si grand soit-il, mais des richesses.
5 O malheureux monde ! Bénissez Dieu, mes filles, d’avoir laissé un endroit si misérable où l’on estime les gens non pour ce qu’ils ont en eux, mais pour ce que possèdent leurs fermiers et leurs vasseaux. Plaisant sujet que voici pour vous divertir à l’heure de la récréation ! Ce sera un excellent passe-temps que celui de chercher à comprendre dans quel aveuglement les gens du monde passent leur temps !
6 O Roi de gloire, Seigneur des seigneurs, Empereur de tous les empereurs du monde, Saint des saints, Pouvoir au-dessus de tous les pouvoirs, Savoir au-dessus de tous les savoirs, la Sagesse même ! Vous êtes, Seigneur, la vérité même, la richesse même : votre règne n’aura pas de fin.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 38
Ce qu’est l’oraison mentale (suite).
1 Oui, réfléchissez, quand vous vous approchez de lui, à qui vous allez parler et à qui vous parlez déjà. Mille vies comme la vôtre ne suffiraient pas pour comprendre comment mérite d’être traité ce Seigneur devant qui tremblent les anges, Il commande à tout ; pour lui, vouloir, c’est faire. N’est-il pas juste, mes filles, que nous essayions au moins de comprendre tant soit peu les grandeurs de notre Époux, de voir avec qui nous sommes mariées, et quelle vie doit être la nôtre ? Eh quoi, mon Dieu ! si quelqu’un se marie ici-bas, ne sait-il pas, avant toutes choses, avec qui, dans quelles conditions, et ce que possède le futur époux ? Nous qui sommes fiancées - toutes les âmes le sont d’ailleurs par le baptême - ne pourrons-nous songer à notre fiancé avant qu’il nous introduise dans sa maison ? Puisqu’on n’interdit pas aux fiancés de la terre de réfléchir à ces choses, pourquoi nous serait-il défendu de chercher à comprendre quel est cet homme, qui est son père et quels sont ses biens ? quel est ce pays où il doit me conduire une fois mariée, quel est son caractère, comment je pourrai le contenter davantage et m’exercer à conformer mon caractère au sien ? Si l’on veut qu’une femme soit heureuse en ménage, ce sont là les conseils qu’on lui donne, même si son mari est de très basse condition. Faut-il donc, O mon époux, que l’on fasse en toutes choses moins de cas de vous que des hommes ? Si le monde n’approuve pas ce que je dis, qu’il vous laisse vos épouses puisqu’elles doivent vivre avec vous. En vérité, quelle heureuse vie ! quand un mari est si jaloux qu’il s’oppose à ce que son épouse sorte de chez elle et parle à qui que ce soit ! Il serait plaisant qu’on ne la laissât pas songer aux moyens de lui plaire, et examiner le motif pour lequel elle doit lui obéir et ne plus parler à personne ; son époux n’a-t-il pas tout ce qu’elle peut désirer ?
2 C’est faire oraison mentale, mes filles, que de comprendre ces vérités ; si à vos réflexions, vous voulez joindre la prière vocale, à la bonne heure. Mais quand vous parlez à Dieu, n’allez pas penser à autre chose, car ce serait ne pas comprendre ce qu’est l’oraison mentale. Je crois m’être expliquée. Que personne ne vous effraie avec ces craintes. Louez plutôt Dieu qui est plus puissant que tous les hommes ; ceux-ci ne peuvent vous l’enlevez. Et si l’une d’entre vous ne peut pas prier vocalement avec l’attention désirée, qu’elle sache qu’elle ne tient pas son engagement, car elle a l’obligation, si elle veut prier avec perfection, de s’appliquer de toutes ses forces à l’oraison mentale, sous peine de ne pas accomplir son devoir comme épouse d’un si grand Roi. Suppliez-le, mes filles, de m’accorder la grâce de la faire comme je vous le conseille, car j’en suis loin. Que Sa Majesté m’y aide pour son propre bénéfice.
Ce qu’est l’oraison mentale (suite).
1 Oui, réfléchissez, quand vous vous approchez de lui, à qui vous allez parler et à qui vous parlez déjà. Mille vies comme la vôtre ne suffiraient pas pour comprendre comment mérite d’être traité ce Seigneur devant qui tremblent les anges, Il commande à tout ; pour lui, vouloir, c’est faire. N’est-il pas juste, mes filles, que nous essayions au moins de comprendre tant soit peu les grandeurs de notre Époux, de voir avec qui nous sommes mariées, et quelle vie doit être la nôtre ? Eh quoi, mon Dieu ! si quelqu’un se marie ici-bas, ne sait-il pas, avant toutes choses, avec qui, dans quelles conditions, et ce que possède le futur époux ? Nous qui sommes fiancées - toutes les âmes le sont d’ailleurs par le baptême - ne pourrons-nous songer à notre fiancé avant qu’il nous introduise dans sa maison ? Puisqu’on n’interdit pas aux fiancés de la terre de réfléchir à ces choses, pourquoi nous serait-il défendu de chercher à comprendre quel est cet homme, qui est son père et quels sont ses biens ? quel est ce pays où il doit me conduire une fois mariée, quel est son caractère, comment je pourrai le contenter davantage et m’exercer à conformer mon caractère au sien ? Si l’on veut qu’une femme soit heureuse en ménage, ce sont là les conseils qu’on lui donne, même si son mari est de très basse condition. Faut-il donc, O mon époux, que l’on fasse en toutes choses moins de cas de vous que des hommes ? Si le monde n’approuve pas ce que je dis, qu’il vous laisse vos épouses puisqu’elles doivent vivre avec vous. En vérité, quelle heureuse vie ! quand un mari est si jaloux qu’il s’oppose à ce que son épouse sorte de chez elle et parle à qui que ce soit ! Il serait plaisant qu’on ne la laissât pas songer aux moyens de lui plaire, et examiner le motif pour lequel elle doit lui obéir et ne plus parler à personne ; son époux n’a-t-il pas tout ce qu’elle peut désirer ?
2 C’est faire oraison mentale, mes filles, que de comprendre ces vérités ; si à vos réflexions, vous voulez joindre la prière vocale, à la bonne heure. Mais quand vous parlez à Dieu, n’allez pas penser à autre chose, car ce serait ne pas comprendre ce qu’est l’oraison mentale. Je crois m’être expliquée. Que personne ne vous effraie avec ces craintes. Louez plutôt Dieu qui est plus puissant que tous les hommes ; ceux-ci ne peuvent vous l’enlevez. Et si l’une d’entre vous ne peut pas prier vocalement avec l’attention désirée, qu’elle sache qu’elle ne tient pas son engagement, car elle a l’obligation, si elle veut prier avec perfection, de s’appliquer de toutes ses forces à l’oraison mentale, sous peine de ne pas accomplir son devoir comme épouse d’un si grand Roi. Suppliez-le, mes filles, de m’accorder la grâce de la faire comme je vous le conseille, car j’en suis loin. Que Sa Majesté m’y aide pour son propre bénéfice.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 39
Il est très important pour celui qui est entré dans le chemin de l’oraison de ne pas retourner en arrière ; parle à nouveau de l’importance qu’il y a à s’y engager avec détermination.
1 Comme je m’écarte du sujet ! Je répète qu’il est très important de commencer ce chemin avec une ferme résolution, et les motifs en sont si nombreux qu’il serait trop long de vous les énumérer ; certains d’entre eux, d’ailleurs, sont indiqués dans d’autres livres. Je ne vous parlerai que de deux ou trois. Le premier, c’est qu’il n’est pas raisonnable, lorsque nous nous déterminons à servir celui qui nous a tant donné et qui nous donne sans cesse, lorsque nous voulons lui donner quelque chose (c’est-à-dire : ce léger effort d’attention, et non, certes, sans intérêt, mais au contraire pour en retirer de très grands avantages), de ne pas le lui donner résolument, mais comme un prêt qu’on peut lui redemander. Je n’appelle pas cela : “ donner ” ;- sans compter que celui à qui l’on a prêté une chose est toujours un peu chagriné quand on la lui reprend, surtout s’il s’agit d’un ami qui vous a lui-même prêté de nombreuses fois, et sans aucun intérêt ; il est évident qu’il regardera comme une mesquinerie et une pauvre preuve d’amour le refus de laisser en son pouvoir une petite chose, ne serait-ce qu’en signe d’amitié.
2 Quelle est l’épouse qui, recevant de son époux beaucoup de bijoux précieux ne lui donne au moins une pauvre petite bague, non à cause de sa valeur - puisque tout appartient à l’époux - mais comme marque d’amour, comme gage qu’elle sera sienne jusqu’à la mort ? Le Seigneur mériterait-il moins pour que nous nous moquions ainsi de lui ? ne lui reprenons-nous pas aussitôt ce rien que nous venons de lui donner ? Donnons-lui ces instants que nous avons décidé de lui consacrer ; ils sont bien peu de chose en comparaison du temps que nous dépensons pour nous ou pour des personnes qui ne nous en saurons pas gré ; l’esprit libre et dégagé de tout le reste, offrons-les-lui avec une ferme résolution de ne jamais les lui reprendre, quelles que soient les épreuves qui pourront arriver, les contradictions et les sécheresses ; considérons que ce temps ne nous appartient plus et que nous pourrions être appelés à en rendre compte si nous ne voulions pas le donner totalement.
3 Quand je dis “ totalement ”, n’allez pas imaginer que vous reprendriez ce que vous avez donné si un, ou plusieurs jours, vous ne faisiez pas oraison à cause d’occupations légitimes ; il suffit que l’intention reste ferme, et mon Dieu n’est nullement pointilleux ; il ne s’arrête pas à des bagatelles ; il vous saura gré de votre bonne volonté car, en définitive, vous lui aurez donné quelque chose. L’autre manière est bonne pour ceux qui ne sont pas généreux, et sont si parcimonieux qu’ils n’ont pas le courage de donner ; c’est déjà beaucoup qu’ils prêtent. Enfin, qu’ils fassent quelque chose, notre Empereur prend tout en compte ; il se conforme à notre façon de procéder. Quand il reçoit nos comptes, il ne se montre nullement chiche, mais généreux ; quelle que soit la portée de nos dettes, il lui en coûte peu de pardonner. Pour nous payer il est si exact qu’il ne laissera pas sans récompense, soyez-en sûrs, le simple fait de lever les yeux au ciel en nous souvenant de lui.
4 Le second motif pour lequel nous devons être fermement résolues, c’est que le démon n’a pas autant de prise pour nous induire en tentation. Il redoute beaucoup les âmes fortes ; il sait par expérience le grand préjudice qu’elles lui causent, et que tout ce qu’il invente pour leur nuire tourne à leur avantage et à celui du prochain : c’est lui le perdant. Néanmoins, nous ne devons pas nous montrer négligents ni nous fier à ceci, parce que nous avons affaire à une race de traîtres ; si nous sommes vigilants, ils n’oseront pas nous attaquer car ils sont très lâches ; mais s’ils voient que nous ne sommes plus sur nos gardes, ils nous feront beaucoup de mal. Si l’ennemi s’aperçoit que quelqu’un est hésitant, sans constance dans le bien qu’il fait et sans grande résolution d’y persévérer, il ne lui laisse de repos ni jour ni nuit ; il ne cesse de l’effrayer et suscite des difficultés à n’en plus finir. Je le sais par expérience - c’est pourquoi j’ai pu en parler - et j’ajoute que personne n’en réalise la grande importance.
5 Le troisième motif (et il est d’un grand poids) c’est que l’on combat avec plus de courage : on sait que, coûte que coûte, il ne faut pas reculer. Imaginez un soldat sur un champ de bataille ; il sait que s’il est vaincu, il n’aura pas la vie sauve, et que s’il ne meurt pas sur le champ de bataille, il mourra après. Il est prouvé, je crois, qu’un tel homme luttera avec beaucoup plus de courage, et redoutera moins les coups, car il comprend l’importance de la victoire. Il est tout à fait nécessaire, en outre, que vous commenciez avec la ferme assurance que, si vous combattez avec courage et êtes décidées à ne pas vous laisser vaincre, vous viendrez à bout de l’entreprise ; cela ne fait aucun doute : si petit que soit votre gain, il vous rendra très riches ; ne craignez pas que le Seigneur, qui vous invite à boire à cette fontaine, vous laisse mourir de soif. Je l’ai déjà dit, et je voudrais le répéter mille fois, car cette crainte fait perdre grandement courage à ceux qui ne connaissent pas encore parfaitement par expérience personnelle la bonté du Seigneur, bien qu’ils la connaissent par la foi ; en vérité, c’est un grand avantage d’avoir expérimenté avec quelle amitié et quelle tendresse il traite ceux qui vont par ce chemin.
6 Je ne m’étonne pas que ceux qui ne l’ont pas éprouvé veuillent avoir l’assurance d’y trouver quelque intérêt ; or vous savez déjà que vous aurez le cent pour un dés cette vie, et que le Seigneur dit : “ Demandez et l’on vous donnera. ” Si vous ne croyez pas Sa Majesté qui nous donne cette assurance en plusieurs endroits de son Évangile, il ne sert pas à grand-chose que je me casse la tête à vous le répéter. J’ajouterai cependant, pour le cas où vous auriez encore quelque doute : faites-en l’essai ! qu’y perdrez-vous ? Ce voyage a aussi ceci d’excellent, c’est que nous recevons beaucoup beaucoup plus que nous ne demandons ou ne saurions demander. C’est absolument certain, je sais qu’il en est ainsi ; si vous trouviez que ce n’est pas vrai, ne me croyez plus en rien. Mais vous, mes soeurs, vous le savez par expérience, et je peux vous présenter comme témoins, par la bonté de Dieu. Ce qui a été dit est bon pour celles qui viendront après nous.
7 J’ai déjà dit que je m’adresse aux âmes qui ne peuvent ni se recueillir, ni fixer leur esprit dans l’oraison mentale, ni pratiquer la méditation. Mais ne prononçons pas ces noms puisqu’ils recouvrent des choses qu’elles ne peuvent pas faire ; et en vérité beaucoup de personnes sont effrayées par leur seul nom.
8 Et comme il peut se faire que l’une d’elles entre dans cette maison (car, je le répète, toutes ne sont pas conduites par le même chemin), ce que je veux vous conseiller et même, pourrais je dire, vous enseigner (puisque j’en ai le devoir, étant votre Mère), c’est la manière de prier vocalement, car il est juste que vous compreniez ce que vous dites. Et comme celles qui sont incapables de fixer leur pensée en Dieu peuvent aussi se fatiguer à faire de longues prières, je ne veux pas m’y arrêter, et ne mentionnerai que celles que nous sommes obligées de réciter si nous sommes bonnes chrétiennes : le Paternoster et l’Avemaria.
Il est très important pour celui qui est entré dans le chemin de l’oraison de ne pas retourner en arrière ; parle à nouveau de l’importance qu’il y a à s’y engager avec détermination.
1 Comme je m’écarte du sujet ! Je répète qu’il est très important de commencer ce chemin avec une ferme résolution, et les motifs en sont si nombreux qu’il serait trop long de vous les énumérer ; certains d’entre eux, d’ailleurs, sont indiqués dans d’autres livres. Je ne vous parlerai que de deux ou trois. Le premier, c’est qu’il n’est pas raisonnable, lorsque nous nous déterminons à servir celui qui nous a tant donné et qui nous donne sans cesse, lorsque nous voulons lui donner quelque chose (c’est-à-dire : ce léger effort d’attention, et non, certes, sans intérêt, mais au contraire pour en retirer de très grands avantages), de ne pas le lui donner résolument, mais comme un prêt qu’on peut lui redemander. Je n’appelle pas cela : “ donner ” ;- sans compter que celui à qui l’on a prêté une chose est toujours un peu chagriné quand on la lui reprend, surtout s’il s’agit d’un ami qui vous a lui-même prêté de nombreuses fois, et sans aucun intérêt ; il est évident qu’il regardera comme une mesquinerie et une pauvre preuve d’amour le refus de laisser en son pouvoir une petite chose, ne serait-ce qu’en signe d’amitié.
2 Quelle est l’épouse qui, recevant de son époux beaucoup de bijoux précieux ne lui donne au moins une pauvre petite bague, non à cause de sa valeur - puisque tout appartient à l’époux - mais comme marque d’amour, comme gage qu’elle sera sienne jusqu’à la mort ? Le Seigneur mériterait-il moins pour que nous nous moquions ainsi de lui ? ne lui reprenons-nous pas aussitôt ce rien que nous venons de lui donner ? Donnons-lui ces instants que nous avons décidé de lui consacrer ; ils sont bien peu de chose en comparaison du temps que nous dépensons pour nous ou pour des personnes qui ne nous en saurons pas gré ; l’esprit libre et dégagé de tout le reste, offrons-les-lui avec une ferme résolution de ne jamais les lui reprendre, quelles que soient les épreuves qui pourront arriver, les contradictions et les sécheresses ; considérons que ce temps ne nous appartient plus et que nous pourrions être appelés à en rendre compte si nous ne voulions pas le donner totalement.
3 Quand je dis “ totalement ”, n’allez pas imaginer que vous reprendriez ce que vous avez donné si un, ou plusieurs jours, vous ne faisiez pas oraison à cause d’occupations légitimes ; il suffit que l’intention reste ferme, et mon Dieu n’est nullement pointilleux ; il ne s’arrête pas à des bagatelles ; il vous saura gré de votre bonne volonté car, en définitive, vous lui aurez donné quelque chose. L’autre manière est bonne pour ceux qui ne sont pas généreux, et sont si parcimonieux qu’ils n’ont pas le courage de donner ; c’est déjà beaucoup qu’ils prêtent. Enfin, qu’ils fassent quelque chose, notre Empereur prend tout en compte ; il se conforme à notre façon de procéder. Quand il reçoit nos comptes, il ne se montre nullement chiche, mais généreux ; quelle que soit la portée de nos dettes, il lui en coûte peu de pardonner. Pour nous payer il est si exact qu’il ne laissera pas sans récompense, soyez-en sûrs, le simple fait de lever les yeux au ciel en nous souvenant de lui.
4 Le second motif pour lequel nous devons être fermement résolues, c’est que le démon n’a pas autant de prise pour nous induire en tentation. Il redoute beaucoup les âmes fortes ; il sait par expérience le grand préjudice qu’elles lui causent, et que tout ce qu’il invente pour leur nuire tourne à leur avantage et à celui du prochain : c’est lui le perdant. Néanmoins, nous ne devons pas nous montrer négligents ni nous fier à ceci, parce que nous avons affaire à une race de traîtres ; si nous sommes vigilants, ils n’oseront pas nous attaquer car ils sont très lâches ; mais s’ils voient que nous ne sommes plus sur nos gardes, ils nous feront beaucoup de mal. Si l’ennemi s’aperçoit que quelqu’un est hésitant, sans constance dans le bien qu’il fait et sans grande résolution d’y persévérer, il ne lui laisse de repos ni jour ni nuit ; il ne cesse de l’effrayer et suscite des difficultés à n’en plus finir. Je le sais par expérience - c’est pourquoi j’ai pu en parler - et j’ajoute que personne n’en réalise la grande importance.
5 Le troisième motif (et il est d’un grand poids) c’est que l’on combat avec plus de courage : on sait que, coûte que coûte, il ne faut pas reculer. Imaginez un soldat sur un champ de bataille ; il sait que s’il est vaincu, il n’aura pas la vie sauve, et que s’il ne meurt pas sur le champ de bataille, il mourra après. Il est prouvé, je crois, qu’un tel homme luttera avec beaucoup plus de courage, et redoutera moins les coups, car il comprend l’importance de la victoire. Il est tout à fait nécessaire, en outre, que vous commenciez avec la ferme assurance que, si vous combattez avec courage et êtes décidées à ne pas vous laisser vaincre, vous viendrez à bout de l’entreprise ; cela ne fait aucun doute : si petit que soit votre gain, il vous rendra très riches ; ne craignez pas que le Seigneur, qui vous invite à boire à cette fontaine, vous laisse mourir de soif. Je l’ai déjà dit, et je voudrais le répéter mille fois, car cette crainte fait perdre grandement courage à ceux qui ne connaissent pas encore parfaitement par expérience personnelle la bonté du Seigneur, bien qu’ils la connaissent par la foi ; en vérité, c’est un grand avantage d’avoir expérimenté avec quelle amitié et quelle tendresse il traite ceux qui vont par ce chemin.
6 Je ne m’étonne pas que ceux qui ne l’ont pas éprouvé veuillent avoir l’assurance d’y trouver quelque intérêt ; or vous savez déjà que vous aurez le cent pour un dés cette vie, et que le Seigneur dit : “ Demandez et l’on vous donnera. ” Si vous ne croyez pas Sa Majesté qui nous donne cette assurance en plusieurs endroits de son Évangile, il ne sert pas à grand-chose que je me casse la tête à vous le répéter. J’ajouterai cependant, pour le cas où vous auriez encore quelque doute : faites-en l’essai ! qu’y perdrez-vous ? Ce voyage a aussi ceci d’excellent, c’est que nous recevons beaucoup beaucoup plus que nous ne demandons ou ne saurions demander. C’est absolument certain, je sais qu’il en est ainsi ; si vous trouviez que ce n’est pas vrai, ne me croyez plus en rien. Mais vous, mes soeurs, vous le savez par expérience, et je peux vous présenter comme témoins, par la bonté de Dieu. Ce qui a été dit est bon pour celles qui viendront après nous.
7 J’ai déjà dit que je m’adresse aux âmes qui ne peuvent ni se recueillir, ni fixer leur esprit dans l’oraison mentale, ni pratiquer la méditation. Mais ne prononçons pas ces noms puisqu’ils recouvrent des choses qu’elles ne peuvent pas faire ; et en vérité beaucoup de personnes sont effrayées par leur seul nom.
8 Et comme il peut se faire que l’une d’elles entre dans cette maison (car, je le répète, toutes ne sont pas conduites par le même chemin), ce que je veux vous conseiller et même, pourrais je dire, vous enseigner (puisque j’en ai le devoir, étant votre Mère), c’est la manière de prier vocalement, car il est juste que vous compreniez ce que vous dites. Et comme celles qui sont incapables de fixer leur pensée en Dieu peuvent aussi se fatiguer à faire de longues prières, je ne veux pas m’y arrêter, et ne mentionnerai que celles que nous sommes obligées de réciter si nous sommes bonnes chrétiennes : le Paternoster et l’Avemaria.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 40
Comment il faut faire la prière vocale avec perfection et combien elle est liée à l’oraison mentale.
1 Il est clair, encore une fois, que nous devons prêter attention à ce que nous récitons. Il ne faut pas que l’on puisse nous reprocher de parler sans comprendre ce que nous prononçons, à moins que vous ne disiez qu’il n’est pas nécessaire de comprendre, que vous agissez désormais par coutume et qu’il suffit de prononcer les mots. Si cela suffit ou non, je ne me mêle pas de le savoir ; c’est l’affaire des théologiens ; ils répondront aux personnes à qui Dieu inspirera le désir d’aller les consulter ; quant à moi, je ne veux pas discuter la position de ceux qui n’ont pas embrassé notre état. Pour nous, ce que je voudrais, mes filles, c’est que nous ne nous contentions pas de cela ; quand je dis “ je crois ”, il me semble raisonnable, et même obligatoire, de savoir ce que je crois ; quand je dis “ Notre Père ”, l’amour voudra, ce me semble, que je comprenne qui est ce Père. Il serait donc bien que nous voyions aussi qui est le Maître qui nous a enseigné cette prière.
2 Si nous voulons dire qu’il suffit de savoir une bonne fois pour toutes qui est le Maître, sans que nous ayions plus jamais à penser à lui, vous pouvez également dire qu’il suffit de réciter cette prière une fois dans sa vie. Certes ! il y a, comme on dit, une grande différence entre maître et maître (c’est déjà, semble-t-il, un grand malheur de ne pas nous souvenir de ceux qui nous instruisent ici-bas), et s’il est maître de notre âme et que nous sommes de bons élèves, il est impossible de ne pas éprouver pour lui beaucoup d’amour, d’être fiers de lui-même et de ne pas parler très souvent de lui. Mais lorsqu’il s’agit d’un maître tel que celui qui nous a enseigné cette prière, et nous l’a apprise avec tant d’amour et un si vif désir qu’elle nous fût profitable, à Dieu ne plaise que nous ne nous souvenions pas très souvent de lui en la récitant, même si dans notre faiblesse nous n’y pensons pas à chaque fois.
3 Tout d’abord, vous savez que ce Maître céleste nous enseigne à prier dans la solitude ; c’est ainsi qu’il faisait toujours quand il priait (non que cela lui fût nécessaire, mais parce qu’il voulait nous enseigner).
4 Nous avons déjà dit qu’on ne saurait parler en même temps à Dieu et au monde ; c’est pourtant ce que nous faisons quand nous récitons des prières en écoutant ce qui se dit autour de nous, ou laissons errer nos pensées sans essayer de les maîtriser ; nous savons bien que cela n’est pas bon, et que nous devons essayer d’être seules, mais plaise à Dieu que nous réalisions en présence de qui nous sommes, et quelle réponse le Seigneur fait à nos demandes ! Pensez-vous qu’il se taise, bien que nous ne l’entendions pas ? Il parle au coeur quand nous le prions de tout notre coeur ! Une fois que nous avons compris qu’il faut le prier dans la solitude, il est bon de considérer que c’est à chacune d’entre nous que le Seigneur a enseigné cette prière, et qu’il nous l’enseigne encore en ce moment, car jamais le Maître n’est si éloigné de son disciple qu’il doive élever la voix ; il est au contraire tout prés de lui. Voilà ce que je veux que vous saisissiez : pour bien réciter le Paternoster, il vous convient de rester près du Maître qui vous l’a enseigné.
5 Vous allez dire : cela, c’est méditer, et objecter que vous ne pouvez ni ne voulez pratiquer cet exercice, que vous désirez seulement prier vocalement et, dans un sens, vous avez raison. Mais je vous déclare que je ne sais pas comment vous pouvez séparer ces deux choses (si notre prière vocale est faite en songeant à qui nous parlons ; et il est raisonnable et même obligatoire pour nous d’essayer de prier en comprenant à qui nous nous adressons) ; et plaise à Dieu que, même avec ces moyens, nous récitions convenablement le Paternoster et ne l’achevions pas au milieu de mille distractions. Pour moi, je m’y suis exercée plusieurs fois, et je n’ai pas trouvé de meilleur remède que celui de fixer ma pensée sur celui à qui j’adresse mes paroles. Ayez donc de la patience, c’est nécessaire pour être religieuses et même, à mon avis, pour prier comme de bons chrétiens.
Comment il faut faire la prière vocale avec perfection et combien elle est liée à l’oraison mentale.
1 Il est clair, encore une fois, que nous devons prêter attention à ce que nous récitons. Il ne faut pas que l’on puisse nous reprocher de parler sans comprendre ce que nous prononçons, à moins que vous ne disiez qu’il n’est pas nécessaire de comprendre, que vous agissez désormais par coutume et qu’il suffit de prononcer les mots. Si cela suffit ou non, je ne me mêle pas de le savoir ; c’est l’affaire des théologiens ; ils répondront aux personnes à qui Dieu inspirera le désir d’aller les consulter ; quant à moi, je ne veux pas discuter la position de ceux qui n’ont pas embrassé notre état. Pour nous, ce que je voudrais, mes filles, c’est que nous ne nous contentions pas de cela ; quand je dis “ je crois ”, il me semble raisonnable, et même obligatoire, de savoir ce que je crois ; quand je dis “ Notre Père ”, l’amour voudra, ce me semble, que je comprenne qui est ce Père. Il serait donc bien que nous voyions aussi qui est le Maître qui nous a enseigné cette prière.
2 Si nous voulons dire qu’il suffit de savoir une bonne fois pour toutes qui est le Maître, sans que nous ayions plus jamais à penser à lui, vous pouvez également dire qu’il suffit de réciter cette prière une fois dans sa vie. Certes ! il y a, comme on dit, une grande différence entre maître et maître (c’est déjà, semble-t-il, un grand malheur de ne pas nous souvenir de ceux qui nous instruisent ici-bas), et s’il est maître de notre âme et que nous sommes de bons élèves, il est impossible de ne pas éprouver pour lui beaucoup d’amour, d’être fiers de lui-même et de ne pas parler très souvent de lui. Mais lorsqu’il s’agit d’un maître tel que celui qui nous a enseigné cette prière, et nous l’a apprise avec tant d’amour et un si vif désir qu’elle nous fût profitable, à Dieu ne plaise que nous ne nous souvenions pas très souvent de lui en la récitant, même si dans notre faiblesse nous n’y pensons pas à chaque fois.
3 Tout d’abord, vous savez que ce Maître céleste nous enseigne à prier dans la solitude ; c’est ainsi qu’il faisait toujours quand il priait (non que cela lui fût nécessaire, mais parce qu’il voulait nous enseigner).
4 Nous avons déjà dit qu’on ne saurait parler en même temps à Dieu et au monde ; c’est pourtant ce que nous faisons quand nous récitons des prières en écoutant ce qui se dit autour de nous, ou laissons errer nos pensées sans essayer de les maîtriser ; nous savons bien que cela n’est pas bon, et que nous devons essayer d’être seules, mais plaise à Dieu que nous réalisions en présence de qui nous sommes, et quelle réponse le Seigneur fait à nos demandes ! Pensez-vous qu’il se taise, bien que nous ne l’entendions pas ? Il parle au coeur quand nous le prions de tout notre coeur ! Une fois que nous avons compris qu’il faut le prier dans la solitude, il est bon de considérer que c’est à chacune d’entre nous que le Seigneur a enseigné cette prière, et qu’il nous l’enseigne encore en ce moment, car jamais le Maître n’est si éloigné de son disciple qu’il doive élever la voix ; il est au contraire tout prés de lui. Voilà ce que je veux que vous saisissiez : pour bien réciter le Paternoster, il vous convient de rester près du Maître qui vous l’a enseigné.
5 Vous allez dire : cela, c’est méditer, et objecter que vous ne pouvez ni ne voulez pratiquer cet exercice, que vous désirez seulement prier vocalement et, dans un sens, vous avez raison. Mais je vous déclare que je ne sais pas comment vous pouvez séparer ces deux choses (si notre prière vocale est faite en songeant à qui nous parlons ; et il est raisonnable et même obligatoire pour nous d’essayer de prier en comprenant à qui nous nous adressons) ; et plaise à Dieu que, même avec ces moyens, nous récitions convenablement le Paternoster et ne l’achevions pas au milieu de mille distractions. Pour moi, je m’y suis exercée plusieurs fois, et je n’ai pas trouvé de meilleur remède que celui de fixer ma pensée sur celui à qui j’adresse mes paroles. Ayez donc de la patience, c’est nécessaire pour être religieuses et même, à mon avis, pour prier comme de bons chrétiens.
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CHAPITRE 41
Du grand gain qu’une âme retire à prier vocalement avec perfection, et comment Dieu l’élève à des choses surnaturelles.
1 Il est possible, tandis que vous récitez le Paternoster, que Dieu vous élève à la contemplation parfaite, si vous le récitez bien ; le Seigneur montre ainsi qu’il entend celui qui lui parle, et Sa Majesté suspend son entendement, arrête ses pensées et, comme on dit, lui coupe la parole, de sorte que même si l’on veut parler, c’est au prix d’un très grand effort.
2 L’âme comprend que, sans bruit de paroles, le Maître opère en elles et que les puissances sont au repos, tout au moins dans la mesure où il est possible de le percevoir. Ceci est la contemplation parfaite.
3 Vous saurez maintenant en quoi elle diffère de l’oraison mentale ; celle-ci, je le répète, consiste à penser à ce que nous disons et à le comprendre, comme aussi à considérer à qui nous parlons, et ce que nous sommes pour oser nous adresser à un si grand Seigneur. S’entretenir de ces pensées et d’autres semblables, comme songer, par exemple, au peu que nous l’avons servi et à la grande obligation où nous sommes de le servir, c’est pratiquer l’oraison mentale ; ne vous imaginez pas qu’elle soit quelque autre chose inintelligible et, par conséquent, que ce mot ne vous effraie pas. Réciter le Paternoster - ou une autre prière de votre choix - c’est pratiquer l’oraison vocale. Mais voyez combien l’oraison vocale serait discordante si vous vous y adonniez sans attention ; même les paroles ne seraient pas toujours dites en bon ordre. Dans ces deux formes d’oraison nous pouvons quelque chose par nous- mêmes, avec la grâce de Dieu. Dans la contemplation dont je viens de parler, nous ne pouvons rien ; c’est Dieu qui fait tout, c’est son oeuvre, et elle surpasse notre nature.
4 Comme j’ai expliqué toute la substance de la contemplation dans le livre que je dis avoir écrit, il est inutile que j’en parle ici en détail (dans ce récit, j’ai relaté tout ce que je savais à ce sujet). Celles qui parviendront à être élevées par Dieu à l’état de contemplation où vous êtes arrivées - car, comme je l’ai dit, plusieurs d’entre vous y sont parvenues - doivent se le procurer ; il aura pour elles la plus grande importance quand je serai morte 191. Quant aux autres, elles n’en ont pas besoin ; qu’elles s’efforcent seulement d’appliquer ce que je dis dans ce livre : progresser par tous les moyens possibles et veiller, en suppliant le Seigneur et en faisant ce qui dépend d’elles, à ce qu’il leur accorde ce don. Le reste, c’est au Seigneur lui-même de le donner, et il ne le refuse pas à celui qui, comme il a été dit, ne cesse de combattre jusqu’à ce qu’il soit arrivé à la fin du chemin.
Du grand gain qu’une âme retire à prier vocalement avec perfection, et comment Dieu l’élève à des choses surnaturelles.
1 Il est possible, tandis que vous récitez le Paternoster, que Dieu vous élève à la contemplation parfaite, si vous le récitez bien ; le Seigneur montre ainsi qu’il entend celui qui lui parle, et Sa Majesté suspend son entendement, arrête ses pensées et, comme on dit, lui coupe la parole, de sorte que même si l’on veut parler, c’est au prix d’un très grand effort.
2 L’âme comprend que, sans bruit de paroles, le Maître opère en elles et que les puissances sont au repos, tout au moins dans la mesure où il est possible de le percevoir. Ceci est la contemplation parfaite.
3 Vous saurez maintenant en quoi elle diffère de l’oraison mentale ; celle-ci, je le répète, consiste à penser à ce que nous disons et à le comprendre, comme aussi à considérer à qui nous parlons, et ce que nous sommes pour oser nous adresser à un si grand Seigneur. S’entretenir de ces pensées et d’autres semblables, comme songer, par exemple, au peu que nous l’avons servi et à la grande obligation où nous sommes de le servir, c’est pratiquer l’oraison mentale ; ne vous imaginez pas qu’elle soit quelque autre chose inintelligible et, par conséquent, que ce mot ne vous effraie pas. Réciter le Paternoster - ou une autre prière de votre choix - c’est pratiquer l’oraison vocale. Mais voyez combien l’oraison vocale serait discordante si vous vous y adonniez sans attention ; même les paroles ne seraient pas toujours dites en bon ordre. Dans ces deux formes d’oraison nous pouvons quelque chose par nous- mêmes, avec la grâce de Dieu. Dans la contemplation dont je viens de parler, nous ne pouvons rien ; c’est Dieu qui fait tout, c’est son oeuvre, et elle surpasse notre nature.
4 Comme j’ai expliqué toute la substance de la contemplation dans le livre que je dis avoir écrit, il est inutile que j’en parle ici en détail (dans ce récit, j’ai relaté tout ce que je savais à ce sujet). Celles qui parviendront à être élevées par Dieu à l’état de contemplation où vous êtes arrivées - car, comme je l’ai dit, plusieurs d’entre vous y sont parvenues - doivent se le procurer ; il aura pour elles la plus grande importance quand je serai morte 191. Quant aux autres, elles n’en ont pas besoin ; qu’elles s’efforcent seulement d’appliquer ce que je dis dans ce livre : progresser par tous les moyens possibles et veiller, en suppliant le Seigneur et en faisant ce qui dépend d’elles, à ce qu’il leur accorde ce don. Le reste, c’est au Seigneur lui-même de le donner, et il ne le refuse pas à celui qui, comme il a été dit, ne cesse de combattre jusqu’à ce qu’il soit arrivé à la fin du chemin.
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CHAPITRE 42
Comment il faut recueillir son esprit, et les moyens qu’il y a pour y parvenir. Ce chapitre est très utile pour ceux qui commencent à faire oraison.
1 Revenons maintenant à notre prière vocale, et apprenons à si bien la réciter que, sans nous en rendre compte, nous recevions de Dieu les deux sortes d’oraison à la fois. Je vous le répète, pour prier comme il faut, vous devez, vous le savez, commencer par examiner votre conscience, récitez le Confiteor et faire le signe de la croix. Ensuite, et puisque vous êtes seules, essayez, mes filles, de trouver une compagnie. Mais quelle meilleure compagnie que celle du Maître lui-même qui vous a enseigné la prière que vous allez réciter ? Imaginez que le Seigneur est tout prés de vous, et regardez avec quel amour et avec quelle humilité il vous instruit. Croyez-moi, faites tout votre possible pour ne jamais vous séparer d’un si bon ami. Si vous vous habituez à le garder près de vous 194, et s’il voit que vous le faites avec amour et que vous vous efforcez de le contenter, vous ne pourrez plus, comme on dit, vous en débarrasser ; il ne vous manquera jamais, il vous aidera dans toutes vos difficultés, il sera partout avec vous. Pensez-vous que ce soit peu de chose que d’avoir un tel ami à vos côtés ?
2 O âmes qui ne pouvez discourir beaucoup avec 1’entendement ni fixer votre pensée sur Dieu sans être aussitôt distraites, prenez, prenez cette habitude ! n’oubliez pas que je sais que vous le pouvez, car j’ai moi-même, pendant de longues années, endurées cette épreuve de ne pouvoir arrêter mon esprit sur une chose - et c’est une rude épreuve - ; mais je sais aussi que le Seigneur ne nous laisse pas dans un tel abandon qu’il ne nous tienne compagnie si nous nous approchons humblement de lui ; et si nous n’y parvenons pas en un an, que ce soit en plusieurs ! Je veux dire qu’il est possible de s’accoutumer à marcher aux côtés de ce véritable Maître.
3 Je ne vous demande pas de penser à lui, ni de forger quantité de concepts ou de tirer de votre esprit de hautes et subtiles considérations ; je ne vous demande que de fixer sur lui votre regard 196. Qui peut vous empêcher de tourner les yeux de l’âme - ne serait- ce qu’un instant si vous ne pouvez davantage - vers lui ? Puisque vous pouvez regarder des choses très laides et répugnantes, ne pourrez-vous regarder la chose la plus belle qu’on puisse imaginer ? S’il vous déplaît, je vous donne la permission de ne plus le regarder 197. Mes filles, votre Époux ne vous quitte jamais des yeux ; il a supporté de votre part mille choses laides et abominables, et ces offenses contre lui n’ont pas suffi pour qu’il détournât de vous ses regards. Est-ce donc beaucoup que vous détourniez les yeux de l’âme des choses extérieures pour les porter quelquefois sur lui ? Songez, comme il le dit à l’Épouse, qu’il n’attend de vous qu’un regard ; vous le trouverez tel que vous le désirerez. Il estime tant ce regard que, de son côté, il ne négligera rien pour l’avoir.
4 Voici, dit-on, ce que doit faire la femme qui veut vivre en bonne harmonie avec son mari ; s’il est triste, elle doit se montrer triste, et s’il est joyeux, elle doit apparaître joyeuse même si elle ne sent en elle aucune gaîté ; c’est là, en toute vérité et sans aucune feinte, la conduite du Seigneur à notre égard. Il se fait votre sujet, et il veut que vous soyez les souveraines ; il se soumet à votre volonté. Si vous êtes joyeuse, contemplez-le ressuscité : rien qu’à l’imaginer sortir du sépulcre, vous serez remplies d’allégresse. Quelle clarté, quelle beauté, quelle majesté ! quel air de victoire et de jubilation ! Il est sorti glorieux du champ de bataille où il a gagné un immense royaume qu’il veut tout entier vous offrir, en même temps qu’il se donne lui-même à vous. Est-ce donc beaucoup que vous éleviez parfois les yeux vers celui qui vous fait un tel don ?
5 Si vous êtes dans l’épreuve ou la tristesse, regardez-le attaché à la colonne, accablé de douleurs, toutes ses chairs mises en lambeaux tant est grand l’amour qu’il a pour vous, persécuté par les uns, couvert de crachats par les autres, renié par d’autres encore, sans amis, sans personne qui prenne sa défense, transi de froid, si totalement abandonné que vous pouvez vous consoler l’un l’autre. Regardez-le encore, au jardin des Oliviers, ou sur la croix, ou bien quand il fléchissait sous son poids et ne pouvait pas même reprendre haleine ; il tournera vers vous ses yeux si beaux, si compatissants, tout remplis de larmes, et il oubliera ses souffrances pour vous consoler des vôtres, uniquement parce que vous allez chercher consolation près de lui et que vous tournez la tête pour le regarder.
6 O Seigneur du monde et mon véritable Époux ! (Pouvez-vous lui dire si votre coeur s’attendrit en le voyant dans un tel état, et que non seulement vous voulez le regarder mais vous vous réjouissez de parler avec lui, non certes, pour lui adresser des prières toutes faites, mais pour lui dire la peine de votre coeur, ce qu’il apprécie au plus haut point.) Êtes-vous, mon Seigneur et mon Bien, réduit à une telle extrémité que vous trouviez bon d’accepter ma pauvre compagnie ? et je vois, à l’expression de votre visage, que vous avez oublié vos peines en me voyant près de vous. Mais comment, Seigneur, est-il possible que les Anges vous laissent seul, et que votre Père ne vous console pas ? S’il en est ainsi, Seigneur, et si vous voulez souffrir tout cela pour moi, puis-je appeler souffrance ce que je supporte ? de quoi ai-je à me plaindre ? je me sens toute honteuse de vous avoir vu dans cet état, et je suis préparée, mon Bien, à endurer toutes les épreuves qui pourront m’arriver, et à les considérer comme une grande richesse puisqu’elles me permettent de vous ressembler en quelque chose. Marchons ensemble, Seigneur, je veux aller par où vous êtes allé ; je veux passer par où vous êtes passé.
7 Prenez, mes filles, votre part de cette croix, et ne vous préoccupez pas si vous êtes foulées aux pieds par les juifs ; ne faites aucun cas de ce que l’on vous dira ; soyez sourdes aux médisances trébuchant, tombant avec votre Époux, ne vous éloignez pas de la croix ; considérez souvent avec quelle lassitude il va son chemin, et combien ses souffrances surpassent les vôtres. Si grandes que vous vouliez les imaginer, et si intensément sensibles qu’elles vous paraissent, vous serez consolées en voyant qu’elles ne sont que fiction en comparaison de celles du Christ.
8 Vous allez me dire, mes soeurs : comment cela se peut-il ? et vous ajouterez que si vous voyiez Sa Majesté des yeux du corps, comme au temps où Elle était sur la terre, vous le feriez de bon coeur et auriez vos yeux sans cesse tournés vers Elle. N’en croyez rien. Celle qui aujourd’hui ne veut pas faire le moindre effort pour recueillir, ne serait- ce que le regard, afin de regarder avec les yeux intérieurs ce Seigneur qui est au-dedans d’elle - ce qui peut se faire sans danger et ne requiert qu’un peu d’attention -, comment aurait-elle pu rester au pied de la Croix avec Madeleine qui, comme on dit, voyait la mort de tout près ? Oh ! comme la glorieuse Vierge et cette bienheureuse sainte ont dû souffrir ! Que de menaces, que de paroles injurieuses et grossières ! Voyez à quels courtisans elles avaient affaire ! à ceux de l’enfer assurément, tous n’étaient autres que des ministres du démon. En vérité, leurs souffrances ont dû être quelque chose de terrible, mais elles devaient y être insensibles, car elles étaient en présence d’une douleur infiniment plus grande.
Comment il faut recueillir son esprit, et les moyens qu’il y a pour y parvenir. Ce chapitre est très utile pour ceux qui commencent à faire oraison.
1 Revenons maintenant à notre prière vocale, et apprenons à si bien la réciter que, sans nous en rendre compte, nous recevions de Dieu les deux sortes d’oraison à la fois. Je vous le répète, pour prier comme il faut, vous devez, vous le savez, commencer par examiner votre conscience, récitez le Confiteor et faire le signe de la croix. Ensuite, et puisque vous êtes seules, essayez, mes filles, de trouver une compagnie. Mais quelle meilleure compagnie que celle du Maître lui-même qui vous a enseigné la prière que vous allez réciter ? Imaginez que le Seigneur est tout prés de vous, et regardez avec quel amour et avec quelle humilité il vous instruit. Croyez-moi, faites tout votre possible pour ne jamais vous séparer d’un si bon ami. Si vous vous habituez à le garder près de vous 194, et s’il voit que vous le faites avec amour et que vous vous efforcez de le contenter, vous ne pourrez plus, comme on dit, vous en débarrasser ; il ne vous manquera jamais, il vous aidera dans toutes vos difficultés, il sera partout avec vous. Pensez-vous que ce soit peu de chose que d’avoir un tel ami à vos côtés ?
2 O âmes qui ne pouvez discourir beaucoup avec 1’entendement ni fixer votre pensée sur Dieu sans être aussitôt distraites, prenez, prenez cette habitude ! n’oubliez pas que je sais que vous le pouvez, car j’ai moi-même, pendant de longues années, endurées cette épreuve de ne pouvoir arrêter mon esprit sur une chose - et c’est une rude épreuve - ; mais je sais aussi que le Seigneur ne nous laisse pas dans un tel abandon qu’il ne nous tienne compagnie si nous nous approchons humblement de lui ; et si nous n’y parvenons pas en un an, que ce soit en plusieurs ! Je veux dire qu’il est possible de s’accoutumer à marcher aux côtés de ce véritable Maître.
3 Je ne vous demande pas de penser à lui, ni de forger quantité de concepts ou de tirer de votre esprit de hautes et subtiles considérations ; je ne vous demande que de fixer sur lui votre regard 196. Qui peut vous empêcher de tourner les yeux de l’âme - ne serait- ce qu’un instant si vous ne pouvez davantage - vers lui ? Puisque vous pouvez regarder des choses très laides et répugnantes, ne pourrez-vous regarder la chose la plus belle qu’on puisse imaginer ? S’il vous déplaît, je vous donne la permission de ne plus le regarder 197. Mes filles, votre Époux ne vous quitte jamais des yeux ; il a supporté de votre part mille choses laides et abominables, et ces offenses contre lui n’ont pas suffi pour qu’il détournât de vous ses regards. Est-ce donc beaucoup que vous détourniez les yeux de l’âme des choses extérieures pour les porter quelquefois sur lui ? Songez, comme il le dit à l’Épouse, qu’il n’attend de vous qu’un regard ; vous le trouverez tel que vous le désirerez. Il estime tant ce regard que, de son côté, il ne négligera rien pour l’avoir.
4 Voici, dit-on, ce que doit faire la femme qui veut vivre en bonne harmonie avec son mari ; s’il est triste, elle doit se montrer triste, et s’il est joyeux, elle doit apparaître joyeuse même si elle ne sent en elle aucune gaîté ; c’est là, en toute vérité et sans aucune feinte, la conduite du Seigneur à notre égard. Il se fait votre sujet, et il veut que vous soyez les souveraines ; il se soumet à votre volonté. Si vous êtes joyeuse, contemplez-le ressuscité : rien qu’à l’imaginer sortir du sépulcre, vous serez remplies d’allégresse. Quelle clarté, quelle beauté, quelle majesté ! quel air de victoire et de jubilation ! Il est sorti glorieux du champ de bataille où il a gagné un immense royaume qu’il veut tout entier vous offrir, en même temps qu’il se donne lui-même à vous. Est-ce donc beaucoup que vous éleviez parfois les yeux vers celui qui vous fait un tel don ?
5 Si vous êtes dans l’épreuve ou la tristesse, regardez-le attaché à la colonne, accablé de douleurs, toutes ses chairs mises en lambeaux tant est grand l’amour qu’il a pour vous, persécuté par les uns, couvert de crachats par les autres, renié par d’autres encore, sans amis, sans personne qui prenne sa défense, transi de froid, si totalement abandonné que vous pouvez vous consoler l’un l’autre. Regardez-le encore, au jardin des Oliviers, ou sur la croix, ou bien quand il fléchissait sous son poids et ne pouvait pas même reprendre haleine ; il tournera vers vous ses yeux si beaux, si compatissants, tout remplis de larmes, et il oubliera ses souffrances pour vous consoler des vôtres, uniquement parce que vous allez chercher consolation près de lui et que vous tournez la tête pour le regarder.
6 O Seigneur du monde et mon véritable Époux ! (Pouvez-vous lui dire si votre coeur s’attendrit en le voyant dans un tel état, et que non seulement vous voulez le regarder mais vous vous réjouissez de parler avec lui, non certes, pour lui adresser des prières toutes faites, mais pour lui dire la peine de votre coeur, ce qu’il apprécie au plus haut point.) Êtes-vous, mon Seigneur et mon Bien, réduit à une telle extrémité que vous trouviez bon d’accepter ma pauvre compagnie ? et je vois, à l’expression de votre visage, que vous avez oublié vos peines en me voyant près de vous. Mais comment, Seigneur, est-il possible que les Anges vous laissent seul, et que votre Père ne vous console pas ? S’il en est ainsi, Seigneur, et si vous voulez souffrir tout cela pour moi, puis-je appeler souffrance ce que je supporte ? de quoi ai-je à me plaindre ? je me sens toute honteuse de vous avoir vu dans cet état, et je suis préparée, mon Bien, à endurer toutes les épreuves qui pourront m’arriver, et à les considérer comme une grande richesse puisqu’elles me permettent de vous ressembler en quelque chose. Marchons ensemble, Seigneur, je veux aller par où vous êtes allé ; je veux passer par où vous êtes passé.
7 Prenez, mes filles, votre part de cette croix, et ne vous préoccupez pas si vous êtes foulées aux pieds par les juifs ; ne faites aucun cas de ce que l’on vous dira ; soyez sourdes aux médisances trébuchant, tombant avec votre Époux, ne vous éloignez pas de la croix ; considérez souvent avec quelle lassitude il va son chemin, et combien ses souffrances surpassent les vôtres. Si grandes que vous vouliez les imaginer, et si intensément sensibles qu’elles vous paraissent, vous serez consolées en voyant qu’elles ne sont que fiction en comparaison de celles du Christ.
8 Vous allez me dire, mes soeurs : comment cela se peut-il ? et vous ajouterez que si vous voyiez Sa Majesté des yeux du corps, comme au temps où Elle était sur la terre, vous le feriez de bon coeur et auriez vos yeux sans cesse tournés vers Elle. N’en croyez rien. Celle qui aujourd’hui ne veut pas faire le moindre effort pour recueillir, ne serait- ce que le regard, afin de regarder avec les yeux intérieurs ce Seigneur qui est au-dedans d’elle - ce qui peut se faire sans danger et ne requiert qu’un peu d’attention -, comment aurait-elle pu rester au pied de la Croix avec Madeleine qui, comme on dit, voyait la mort de tout près ? Oh ! comme la glorieuse Vierge et cette bienheureuse sainte ont dû souffrir ! Que de menaces, que de paroles injurieuses et grossières ! Voyez à quels courtisans elles avaient affaire ! à ceux de l’enfer assurément, tous n’étaient autres que des ministres du démon. En vérité, leurs souffrances ont dû être quelque chose de terrible, mais elles devaient y être insensibles, car elles étaient en présence d’une douleur infiniment plus grande.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 43
Suite du même sujet. On commence à indiquer une façon dévote et tendre de réciter le Paternoster. 201
1 Ainsi donc, mes soeurs, n’imaginez pas que vous auriez été capables d’une chose quand vous n’êtes pas prêtes pour l’autre, et croyez que je dis la vérité quand j’affirme que vous pouvez faire ce que je vous indique, car je le sais par expérience 202.
2 Pour vous y aider, tâchez d’avoir une image ou un portrait de ce Seigneur, non pour le porter dans votre sein et ne jamais le regarder, mais pour parler souvent avec lui. Lui-même vous soufflera les paroles - tout comme vous parlez ici-bas avec d’autres personnes. Pourquoi les mots vous manqueraient-ils pour parler avec Dieu ? N’allez pas le croire ; du moins, moi, ne vous croirai-je pas.
3 Un autre moyen excellent est de prendre un bon livre en langue vulgaire, ne serait-ce que pour vous recueillir en vue de bien dire vos prières vocales (je veux dire : comme elles doivent être dites), et, petit à petit, par séduction et artifice, habituer l’âme à méditer sans l’effrayer. N’oubliez pas qu’elle a quitté son Époux depuis de nombreuses années, qu’elle s’est enfuie, et qu’il faut savoir manoeuvrer avec beaucoup d’adresse pour l’amener à retourner à sa demeure. Ainsi sommes-nous, nous autres pécheurs : notre âme et nos pensées sont tellement habituées à ne rechercher que leur plaisir - ou plutôt : eur malheur : que la pauvre âme ne se comprend pas elle-même ; pour qu’elle conçoive un nouvel amour pour son mari, et s’accoutume à rester à la maison, il faut user de beaucoup d’artifices, l’entourer d’amour et agir tout doucement ; sinon, nous n’obtiendrons jamais rien. Et croyez fermement que si vous avez soin de vous accoutumer à l’idée que vous portez ce Seigneur avec vous, et si vous lui parlez fréquemment, vous en retirerez un si grand profit que, voudrais-je vous le décrire, vous ne me croiriez vraisemblablement pas.
4 Restez donc aux côtés de votre Maître, bien résolues à apprendre ce qu’il vous enseigne, et Sa Majesté fera en sorte que vous deveniez de bonnes élèves ; Elle ne vous quittera pas, si vous ne la quittez pas vous-mêmes. Considérez les paroles que prononce cette bouche divine, et dès la première, vous comprendrez l’amour qu’Elle a pour nous ; or, pour un disciple, ce n’est pas un faible bien et une mince joie que de se savoir aimé de son maître.
Suite du même sujet. On commence à indiquer une façon dévote et tendre de réciter le Paternoster. 201
1 Ainsi donc, mes soeurs, n’imaginez pas que vous auriez été capables d’une chose quand vous n’êtes pas prêtes pour l’autre, et croyez que je dis la vérité quand j’affirme que vous pouvez faire ce que je vous indique, car je le sais par expérience 202.
2 Pour vous y aider, tâchez d’avoir une image ou un portrait de ce Seigneur, non pour le porter dans votre sein et ne jamais le regarder, mais pour parler souvent avec lui. Lui-même vous soufflera les paroles - tout comme vous parlez ici-bas avec d’autres personnes. Pourquoi les mots vous manqueraient-ils pour parler avec Dieu ? N’allez pas le croire ; du moins, moi, ne vous croirai-je pas.
3 Un autre moyen excellent est de prendre un bon livre en langue vulgaire, ne serait-ce que pour vous recueillir en vue de bien dire vos prières vocales (je veux dire : comme elles doivent être dites), et, petit à petit, par séduction et artifice, habituer l’âme à méditer sans l’effrayer. N’oubliez pas qu’elle a quitté son Époux depuis de nombreuses années, qu’elle s’est enfuie, et qu’il faut savoir manoeuvrer avec beaucoup d’adresse pour l’amener à retourner à sa demeure. Ainsi sommes-nous, nous autres pécheurs : notre âme et nos pensées sont tellement habituées à ne rechercher que leur plaisir - ou plutôt : eur malheur : que la pauvre âme ne se comprend pas elle-même ; pour qu’elle conçoive un nouvel amour pour son mari, et s’accoutume à rester à la maison, il faut user de beaucoup d’artifices, l’entourer d’amour et agir tout doucement ; sinon, nous n’obtiendrons jamais rien. Et croyez fermement que si vous avez soin de vous accoutumer à l’idée que vous portez ce Seigneur avec vous, et si vous lui parlez fréquemment, vous en retirerez un si grand profit que, voudrais-je vous le décrire, vous ne me croiriez vraisemblablement pas.
4 Restez donc aux côtés de votre Maître, bien résolues à apprendre ce qu’il vous enseigne, et Sa Majesté fera en sorte que vous deveniez de bonnes élèves ; Elle ne vous quittera pas, si vous ne la quittez pas vous-mêmes. Considérez les paroles que prononce cette bouche divine, et dès la première, vous comprendrez l’amour qu’Elle a pour nous ; or, pour un disciple, ce n’est pas un faible bien et une mince joie que de se savoir aimé de son maître.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 44
De l’amour que le Seigneur nous a montré dès ces premières paroles : “ Notre Père qui êtes aux Cieux ”
1 “ Notre Père qui êtes aux Cieux ! ” O Seigneur, comme vous vous révélez Père d’un tel Fils, et comme votre Fils se révèle fils d’un tel Père ! Soyez à jamais béni ! Une faveur aussi haute, Seigneur, ne serait- elle pas mieux à sa place à la fin de l’oraison ? Dès le début vous emplissez nos mains, et nous accordez une si grande faveur qu’il serait bon que notre entendement en fût si rempli et notre volonté tellement pénétrée qu’il nous devint impossible de proférer une parole. O mes filles, que la contemplation parfaite viendrait ici à propos ! Oh ! comme il serait juste que l’âme rentrât au-dedans d’elle-même, afin de pouvoir s’élever au-dessus d’elle-même, et être apte à comprendre quel est ce lieu où le Fils dit que se trouve le Père, soit : le Ciel ! Quittons la terre, mes filles, car après avoir compris toute la grandeur d’une telle faveur, nous ne devons pas la déprécier en restant sur la terre.
2 O Fils de Dieu et mon Seigneur ! Comment, dès le premier mot, donnez-vous tant à la fois ? Vous vous humiliez à un degré si extrême que vous vous unissez à nous dans votre demande, et vous faites le frère de créatures aussi basses et misérables ; comment nous donnez-vous encore, au nom de votre Père, tout ce qui peut être donné en lui demandant qu’il nous regarde comme ses enfants ? Car votre parole ne peut se trouver en défaut, elle doit être accomplie. Vous l’obligez à l’accomplir, et ce n’est pas une petite charge ; dès lors qu’il est notre Père, il doit nous supporter pour graves que soient nos offenses. Si nous nous tournons vers lui comme l’enfant prodigue, il doit nous pardonner, il doit nous consoler dans nos épreuves comme il convient à un tel Père, car il est forcément meilleur que tous les pères qui sont ici- bas, puisqu’en lui réside tout bien parfait. Il doit nous chérir, il doit nous nourrir - il a de quoi - nous rendre participants et nous faire co-héritiers avec vous.
3 Faites attention, ô mon Seigneur, car l’amour que vous avez pour nous, uni à votre humilité, fait que rien ne vous arrête (enfin, Seigneur, vous êtes sur la terre, revêtu d’humaine matière puisque vous avez notre nature, et la part que vous y tenez semble vous obliger à nous faire du bien) ; mais songez que votre Père est dans les cieux, c’est vous-même qui le dites ; il est juste, Seigneur, que vous veilliez à son honneur. Puisque vous vous êtes offerts au déshonneur par amour pour nous, laissez votre Père libre, ne l’obligez pas à répandre des biens pour une créature aussi vile que moi, et qui ne saura pas le remercier ; sans compter qu’il y en a d’autres qui ne le remercient pas comme il se doit.
4 O bon Jésus ! comme vous avez montré clairement que vous ne faites qu’un avec lui, que votre volonté est la sienne, et la sienne la vôtre ! Quelle clarté dans votre confession, ô mon Seigneur ! Qu’il est grand l’amour que vous avez pour nous ! Vous avez fait en sorte d’abuser le démon et lui avez caché que vous étiez le Fils de Dieu, et le désir que vous avez de notre bien est tel que vous avez tout surmonté pour nous offrir la plus grande des grâces. Qui, Seigneur, le pouvait si ne n’est vous ? Je ne sais comment, à cette parole, le démon n’a pas compris qui vous étiez sans aucun doute possible ; mais du moins vois-je, mon Jésus, que vous avez parlé comme un Fils bien-aimé et pour vous et pour tous, et que vous êtes tout puissant pour accomplir au ciel ce que vous dites sur la terre. Soyez béni à jamais, ô mon Seigneur, vous qui aimez tant donner que rien ne peut vous arrêter !
De l’amour que le Seigneur nous a montré dès ces premières paroles : “ Notre Père qui êtes aux Cieux ”
1 “ Notre Père qui êtes aux Cieux ! ” O Seigneur, comme vous vous révélez Père d’un tel Fils, et comme votre Fils se révèle fils d’un tel Père ! Soyez à jamais béni ! Une faveur aussi haute, Seigneur, ne serait- elle pas mieux à sa place à la fin de l’oraison ? Dès le début vous emplissez nos mains, et nous accordez une si grande faveur qu’il serait bon que notre entendement en fût si rempli et notre volonté tellement pénétrée qu’il nous devint impossible de proférer une parole. O mes filles, que la contemplation parfaite viendrait ici à propos ! Oh ! comme il serait juste que l’âme rentrât au-dedans d’elle-même, afin de pouvoir s’élever au-dessus d’elle-même, et être apte à comprendre quel est ce lieu où le Fils dit que se trouve le Père, soit : le Ciel ! Quittons la terre, mes filles, car après avoir compris toute la grandeur d’une telle faveur, nous ne devons pas la déprécier en restant sur la terre.
2 O Fils de Dieu et mon Seigneur ! Comment, dès le premier mot, donnez-vous tant à la fois ? Vous vous humiliez à un degré si extrême que vous vous unissez à nous dans votre demande, et vous faites le frère de créatures aussi basses et misérables ; comment nous donnez-vous encore, au nom de votre Père, tout ce qui peut être donné en lui demandant qu’il nous regarde comme ses enfants ? Car votre parole ne peut se trouver en défaut, elle doit être accomplie. Vous l’obligez à l’accomplir, et ce n’est pas une petite charge ; dès lors qu’il est notre Père, il doit nous supporter pour graves que soient nos offenses. Si nous nous tournons vers lui comme l’enfant prodigue, il doit nous pardonner, il doit nous consoler dans nos épreuves comme il convient à un tel Père, car il est forcément meilleur que tous les pères qui sont ici- bas, puisqu’en lui réside tout bien parfait. Il doit nous chérir, il doit nous nourrir - il a de quoi - nous rendre participants et nous faire co-héritiers avec vous.
3 Faites attention, ô mon Seigneur, car l’amour que vous avez pour nous, uni à votre humilité, fait que rien ne vous arrête (enfin, Seigneur, vous êtes sur la terre, revêtu d’humaine matière puisque vous avez notre nature, et la part que vous y tenez semble vous obliger à nous faire du bien) ; mais songez que votre Père est dans les cieux, c’est vous-même qui le dites ; il est juste, Seigneur, que vous veilliez à son honneur. Puisque vous vous êtes offerts au déshonneur par amour pour nous, laissez votre Père libre, ne l’obligez pas à répandre des biens pour une créature aussi vile que moi, et qui ne saura pas le remercier ; sans compter qu’il y en a d’autres qui ne le remercient pas comme il se doit.
4 O bon Jésus ! comme vous avez montré clairement que vous ne faites qu’un avec lui, que votre volonté est la sienne, et la sienne la vôtre ! Quelle clarté dans votre confession, ô mon Seigneur ! Qu’il est grand l’amour que vous avez pour nous ! Vous avez fait en sorte d’abuser le démon et lui avez caché que vous étiez le Fils de Dieu, et le désir que vous avez de notre bien est tel que vous avez tout surmonté pour nous offrir la plus grande des grâces. Qui, Seigneur, le pouvait si ne n’est vous ? Je ne sais comment, à cette parole, le démon n’a pas compris qui vous étiez sans aucun doute possible ; mais du moins vois-je, mon Jésus, que vous avez parlé comme un Fils bien-aimé et pour vous et pour tous, et que vous êtes tout puissant pour accomplir au ciel ce que vous dites sur la terre. Soyez béni à jamais, ô mon Seigneur, vous qui aimez tant donner que rien ne peut vous arrêter !
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 45
De la grande importance, pour celles qui veulent être de vraies filles de Dieu, de ne faire aucun cas de leur noblesse.
1 Eh bien, mes filles, ne vous semble-t-il pas un bon maître celui qui, pour nous amener à apprendre ce qu’il nous enseigne, nous accorde une telle faveur dès la première parole ? Serait-il juste qu’en prononçant du bout des lèvres les mots “ Notre Père ”, nous ne nous appliquions pas à les comprendre, afin que notre coeur se brise à la vue d’une si haute grâce ? Pas un de ceux qui réalisent combien cette grâce est immense ne pourra répondre par l’affirmative. Est-il un fils au monde qui n’essaie de savoir qui est son père, quand ce père est bon, plein de bienveillance, de majesté et de puissance ? Si ce père n’avait ces qualités, je ne m’étonnerais pas que vous ne vouliez pas être reconnues pour ses filles car, le monde est tel, que si le père est d’un rang inférieur à celui du fils, en deux mots : celui-ci ne le reconnaîtra pas pour père.
2 Ceci n’est pas notre cas, et plaise à Dieu qu’il n’y ait jamais rien de semblable dans cette maison - ce serait l’enfer - ; au contraire, que celle d’entre vous qui sera d’un rang plus élevé, parle moins souvent de son père ; vous devez être toutes égales. O collège du Christ ! Le Seigneur voulut que saint Pierre, qui était un pêcheur, eut plus d’autorité que saint Barthélémy qui était fils de roi. Sa Majesté savait que le monde ne cesserait de discuter sur les avantages d’une origine par rapport à une autre, ce qui revient à débattre si telle argile sera meilleure que telle autre pour être transformée en boue ou en briques. O mon Dieu, quel grand aveuglement ! Dieu vous garde, mes soeurs, de pareilles conversations, même pour plaisanter ; oui, j’espère que Sa Majesté vous en préservera. Et si quelqu’une d’entre vous venait à se relâcher un peu sur ce point, ne la gardez pas au monastère, car elle est comme Judas au milieu des apôtres. Faites tout ce que vous pourrez pour vous débarrasser d’une si mauvaise compagnie. Et si vous ne le pouvez pas, imposez-lui des pénitences plus grandes que pour n’importe quelle autre chose, jusqu’à ce qu’elle comprenne qu’elle ne méritait même pas d’être la terre la plus vile. Quel bon Père vous donne le bon Jésus ! qu’on ne connaisse ici d’autre père, pour en parler, que celui que vous donne votre Époux ; et essayez, mes filles, d’être telles que vous méritiez de vous réjouir auprès de lui, et de vous jeter dans ses bras. Vous savez bien qu’il ne vous éloignera pas de lui si vous êtes de bonnes filles ; alors, qui ne s’efforcerait de ne pas perdre un tel Père
3 O mon Dieu ! que de motifs de consolation il y a là pour vous ! et afin de ne pas m’étendre plus longuement, je préfère les laisser à vos réflexions, car quel que soit le vagabondage de votre esprit, entre un tel Fils et un tel Père il y aura forcément le Saint-Esprit, et il travaillera dans votre volonté et vous enchaînera par un immense amour, pour le cas où le grand intérêt que vous y gagnez ne vous enchaînerait pas.
CHAPITRE 46
Commence à exposer comment on recueille l’entendement.
1 Considérez maintenant ce que dit votre Maître : “ qui êtes aux cieux. ” Pensez-vous qu’il vous importe peu de savoir ce que c’est que le ciel, et où vous devez chercher votre Père infiniment saint ? Eh bien moi je vous dis que pour des esprits distraits, non seulement il importe beaucoup de croire cette vérité, mais encore d’y réfléchir beaucoup ; car c’est là une des choses les plus propres à fixer les pensées, et à aider l’âme à se recueillir.
2 Vous aurez entendu dire que Dieu est partout, et rien n’est plus vrai. Or il est évident que là où se trouve le Roi, on dit aussi que là est la cour ; par conséquent, là où est Dieu, là aussi est le ciel. Vous pouvez donc croire que là où est Sa Majesté, là aussi est toute la gloire. Songez alors à ce que dit saint Augustin (dans le livre de ses méditations, je crois) ; il cherchait le Seigneur partout, et il finit par le trouver au-dedans de lui-même. Pensez-vous qu’il importe peu à une âme qui a tendance à se distraire, de comprendre cette vérité et de savoir qu’elle n’a pas besoin d’aller au ciel pour parler à son Père Éternel, et se délecter avec lui ? qu’elle n’a pas besoin non plus de prier en criant très fort ? Si bas qu’elle parle, il l’entendra ; elle n’a pas besoin d’ailes pour aller le chercher, elle n’a qu’à se mettre dans la solitude, regarder au- dedans d’elle-même, et ne pas s’étonner d’y trouver un si bon hôte ; qu’en toute humilité elle lui parle comme à un père, qu’elle lui adresse ses demandes comme à un père, qu’elle se réconforte auprès de lui comme auprès d’un père, mais qu’elle comprenne qu’elle n’est pas digne qu’il soit son père.
3 Laissez de côté ces pusillanimités que montrent certaines personnes croyant ainsi faire preuve d’humilité. Non ! L’humilité ne consiste pas à refuser une faveur que vous fait le roi, mais à l’accepter, et à vous en réjouir tout en comprenant à quel point vous en êtes indignes. Etrange humilité ! L’Empereur du ciel et de la terre viendrait dans ma maison pour m’accorder une faveur et se réjouir avec moi et, par humilité, je ne voudrais ni lui répondre ni rester avec lui ? et je le laisserais tout seul, alors qu’il me prie de lui présenter mes requêtes ? je croirais me montrer humble en restant dans ma pauvreté ! qui plus est, voyant que je ne parviens pas à sortir de ma réserve, je l’obligerais à repartir ! Ne faites aucun cas, mes filles, de ces sortes d’humilités ; traitez avec lui comme avec un père, un frère, un maître choisissez tantôt une manière, tantôt une autre - ; lui-même vous enseignera ce que vous devez faire pour le contenter. Cessez d’être stupides ; exigez qu’il tienne sa parole ; n’est-il pas votre Époux ? Qu’il vous traite donc en épouses. Rappelez-vous qu’il est très important pour vous d’avoir compris cette vérité : le Seigneur est au-dedans de nous, au plus profond de nous-mêmes, restons avec lui.
CHAPITRE 47
Commence à traiter de l’oraison de recueillement.
1 C’est un mode de prière - même si celle-ci est vocale qui recueille l’esprit beaucoup plus rapidement, et c’est une oraison qui renferme mille bienfaits ; on l’appelle “ oraison de recueillement ” parce que l’âme y recueille toutes ses puissances, et rentre au-dedans d’elle- même avec son Dieu ; son divin Maître vient l’instruire plus rapidement que par tout autre moyen 227, et lui donne l’oraison de quiétude. Là, repliée sur elle-même, elle peut penser à toute la Passion, se représenter le Fils, et l’offrir au Père sans se fatiguer l’esprit à aller le chercher sur la montagne du Calvaire, au Jardin ou à la Colonne.
2 Celles d’entre vous qui pourront s’enfermer ainsi dans ce petit ciel de notre âme - où habite celui qui a créé le ciel et la terre -, et s’accoutumer à ne pas regarder à l’extérieur, ni à rester là où elles puissent entendre quoi que ce soit susceptible de les distraire, peuvent croire qu’elles suivent une voie excellente ; elles parviendront sûrement à boire à la source d’eau vive, car elles font beaucoup de chemin en peu de temps. Elles sont comme celui qui est monté sur un navire ; pour peu que le vent lui soit favorable, il arrive en quelques jours au terme de son voyage, tandis que ceux qui vont par voie de terre mettent beaucoup plus de temps.
3 C’est le chemin du ciel - “ du ciel ”, dis-je, car elles sont cachées dans le palais du Roi -, elles ne sont plus sur la terre et sont davantage à l’abri de nombreuses tentations.
4 Le feu de l’amour divin les embrase plus promptement, car il suffit du moindre souffle de leur entendement pour qu’elles soient tout prés du feu lui-même. Qu’une petite étincelle les touche, et tout s’embrasera puisque rien d’extérieur ne s’interpose. L’âme est seule avec son Dieu ; l’opportunité ne saurait être meilleure pour se comprendre.
5 Je voudrais que vous compreniez très bien cette manière de prier qui, comme je l’ai dit, s’appelle recueillement.
De la grande importance, pour celles qui veulent être de vraies filles de Dieu, de ne faire aucun cas de leur noblesse.
1 Eh bien, mes filles, ne vous semble-t-il pas un bon maître celui qui, pour nous amener à apprendre ce qu’il nous enseigne, nous accorde une telle faveur dès la première parole ? Serait-il juste qu’en prononçant du bout des lèvres les mots “ Notre Père ”, nous ne nous appliquions pas à les comprendre, afin que notre coeur se brise à la vue d’une si haute grâce ? Pas un de ceux qui réalisent combien cette grâce est immense ne pourra répondre par l’affirmative. Est-il un fils au monde qui n’essaie de savoir qui est son père, quand ce père est bon, plein de bienveillance, de majesté et de puissance ? Si ce père n’avait ces qualités, je ne m’étonnerais pas que vous ne vouliez pas être reconnues pour ses filles car, le monde est tel, que si le père est d’un rang inférieur à celui du fils, en deux mots : celui-ci ne le reconnaîtra pas pour père.
2 Ceci n’est pas notre cas, et plaise à Dieu qu’il n’y ait jamais rien de semblable dans cette maison - ce serait l’enfer - ; au contraire, que celle d’entre vous qui sera d’un rang plus élevé, parle moins souvent de son père ; vous devez être toutes égales. O collège du Christ ! Le Seigneur voulut que saint Pierre, qui était un pêcheur, eut plus d’autorité que saint Barthélémy qui était fils de roi. Sa Majesté savait que le monde ne cesserait de discuter sur les avantages d’une origine par rapport à une autre, ce qui revient à débattre si telle argile sera meilleure que telle autre pour être transformée en boue ou en briques. O mon Dieu, quel grand aveuglement ! Dieu vous garde, mes soeurs, de pareilles conversations, même pour plaisanter ; oui, j’espère que Sa Majesté vous en préservera. Et si quelqu’une d’entre vous venait à se relâcher un peu sur ce point, ne la gardez pas au monastère, car elle est comme Judas au milieu des apôtres. Faites tout ce que vous pourrez pour vous débarrasser d’une si mauvaise compagnie. Et si vous ne le pouvez pas, imposez-lui des pénitences plus grandes que pour n’importe quelle autre chose, jusqu’à ce qu’elle comprenne qu’elle ne méritait même pas d’être la terre la plus vile. Quel bon Père vous donne le bon Jésus ! qu’on ne connaisse ici d’autre père, pour en parler, que celui que vous donne votre Époux ; et essayez, mes filles, d’être telles que vous méritiez de vous réjouir auprès de lui, et de vous jeter dans ses bras. Vous savez bien qu’il ne vous éloignera pas de lui si vous êtes de bonnes filles ; alors, qui ne s’efforcerait de ne pas perdre un tel Père
3 O mon Dieu ! que de motifs de consolation il y a là pour vous ! et afin de ne pas m’étendre plus longuement, je préfère les laisser à vos réflexions, car quel que soit le vagabondage de votre esprit, entre un tel Fils et un tel Père il y aura forcément le Saint-Esprit, et il travaillera dans votre volonté et vous enchaînera par un immense amour, pour le cas où le grand intérêt que vous y gagnez ne vous enchaînerait pas.
CHAPITRE 46
Commence à exposer comment on recueille l’entendement.
1 Considérez maintenant ce que dit votre Maître : “ qui êtes aux cieux. ” Pensez-vous qu’il vous importe peu de savoir ce que c’est que le ciel, et où vous devez chercher votre Père infiniment saint ? Eh bien moi je vous dis que pour des esprits distraits, non seulement il importe beaucoup de croire cette vérité, mais encore d’y réfléchir beaucoup ; car c’est là une des choses les plus propres à fixer les pensées, et à aider l’âme à se recueillir.
2 Vous aurez entendu dire que Dieu est partout, et rien n’est plus vrai. Or il est évident que là où se trouve le Roi, on dit aussi que là est la cour ; par conséquent, là où est Dieu, là aussi est le ciel. Vous pouvez donc croire que là où est Sa Majesté, là aussi est toute la gloire. Songez alors à ce que dit saint Augustin (dans le livre de ses méditations, je crois) ; il cherchait le Seigneur partout, et il finit par le trouver au-dedans de lui-même. Pensez-vous qu’il importe peu à une âme qui a tendance à se distraire, de comprendre cette vérité et de savoir qu’elle n’a pas besoin d’aller au ciel pour parler à son Père Éternel, et se délecter avec lui ? qu’elle n’a pas besoin non plus de prier en criant très fort ? Si bas qu’elle parle, il l’entendra ; elle n’a pas besoin d’ailes pour aller le chercher, elle n’a qu’à se mettre dans la solitude, regarder au- dedans d’elle-même, et ne pas s’étonner d’y trouver un si bon hôte ; qu’en toute humilité elle lui parle comme à un père, qu’elle lui adresse ses demandes comme à un père, qu’elle se réconforte auprès de lui comme auprès d’un père, mais qu’elle comprenne qu’elle n’est pas digne qu’il soit son père.
3 Laissez de côté ces pusillanimités que montrent certaines personnes croyant ainsi faire preuve d’humilité. Non ! L’humilité ne consiste pas à refuser une faveur que vous fait le roi, mais à l’accepter, et à vous en réjouir tout en comprenant à quel point vous en êtes indignes. Etrange humilité ! L’Empereur du ciel et de la terre viendrait dans ma maison pour m’accorder une faveur et se réjouir avec moi et, par humilité, je ne voudrais ni lui répondre ni rester avec lui ? et je le laisserais tout seul, alors qu’il me prie de lui présenter mes requêtes ? je croirais me montrer humble en restant dans ma pauvreté ! qui plus est, voyant que je ne parviens pas à sortir de ma réserve, je l’obligerais à repartir ! Ne faites aucun cas, mes filles, de ces sortes d’humilités ; traitez avec lui comme avec un père, un frère, un maître choisissez tantôt une manière, tantôt une autre - ; lui-même vous enseignera ce que vous devez faire pour le contenter. Cessez d’être stupides ; exigez qu’il tienne sa parole ; n’est-il pas votre Époux ? Qu’il vous traite donc en épouses. Rappelez-vous qu’il est très important pour vous d’avoir compris cette vérité : le Seigneur est au-dedans de nous, au plus profond de nous-mêmes, restons avec lui.
CHAPITRE 47
Commence à traiter de l’oraison de recueillement.
1 C’est un mode de prière - même si celle-ci est vocale qui recueille l’esprit beaucoup plus rapidement, et c’est une oraison qui renferme mille bienfaits ; on l’appelle “ oraison de recueillement ” parce que l’âme y recueille toutes ses puissances, et rentre au-dedans d’elle- même avec son Dieu ; son divin Maître vient l’instruire plus rapidement que par tout autre moyen 227, et lui donne l’oraison de quiétude. Là, repliée sur elle-même, elle peut penser à toute la Passion, se représenter le Fils, et l’offrir au Père sans se fatiguer l’esprit à aller le chercher sur la montagne du Calvaire, au Jardin ou à la Colonne.
2 Celles d’entre vous qui pourront s’enfermer ainsi dans ce petit ciel de notre âme - où habite celui qui a créé le ciel et la terre -, et s’accoutumer à ne pas regarder à l’extérieur, ni à rester là où elles puissent entendre quoi que ce soit susceptible de les distraire, peuvent croire qu’elles suivent une voie excellente ; elles parviendront sûrement à boire à la source d’eau vive, car elles font beaucoup de chemin en peu de temps. Elles sont comme celui qui est monté sur un navire ; pour peu que le vent lui soit favorable, il arrive en quelques jours au terme de son voyage, tandis que ceux qui vont par voie de terre mettent beaucoup plus de temps.
3 C’est le chemin du ciel - “ du ciel ”, dis-je, car elles sont cachées dans le palais du Roi -, elles ne sont plus sur la terre et sont davantage à l’abri de nombreuses tentations.
4 Le feu de l’amour divin les embrase plus promptement, car il suffit du moindre souffle de leur entendement pour qu’elles soient tout prés du feu lui-même. Qu’une petite étincelle les touche, et tout s’embrasera puisque rien d’extérieur ne s’interpose. L’âme est seule avec son Dieu ; l’opportunité ne saurait être meilleure pour se comprendre.
5 Je voudrais que vous compreniez très bien cette manière de prier qui, comme je l’ai dit, s’appelle recueillement.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 48
Une comparaison, et un moyen pour que l’âme s’accoutume à se recueillir.
1 Essayez de réaliser qu’il y a au-dedans de vous un palais d’un prix infini, tout bâti d’or et de pierres précieuses - digne, enfin, d’un si grand Seigneur -, et croyez, car c’est la vérité, que vous pouvez beaucoup pour que l’édifice soit d’un prix très élevé (y a-t-il plus bel édifice qu’une âme pure et pleine de vertus ? et plus celles-ci sont grandes, plus les pierres resplendissent). Enfin, songez que dans ce palais habite ce grand Roi qui a daigné être votre Père, et qu’il se tient sur un trône du plus haut prix : votre coeur.
2 Ceci, au premier abord, vous semblera impertinent - je fais allusion à cette comparaison pour vous faire comprendre ma pensée mais, précisément, il se peut que vous en tiriez grand profit, car nous autres, femmes, ne sommes pas savantes, et n’avons pas l’esprit subtil ; nous avons donc besoin de ces moyens pour bien comprendre qu’au-dedans de nous, il y a quelque chose d’incomparablement plus précieux que ce que nous voyons dehors. Il est très important que nous ne nous imaginions pas vides intérieurement (et plût à Dieu qu’il n’y eût que les femmes pour tomber dans cette erreur), car il me semble impossible, si nous avions soin de nous rappeler que nous portons en nous un tel hôte, que nous nous adonnions tellement aux vanités et choses de ce monde, parce que nous verrions combien elles sont basses, en comparaison de celles que nous possédons en nous. Ne sommes-nous pas comme une bête nuisible qui, à la vue de ce qui lui plaît, se précipite sur sa proie pour assouvir sa faim ? Et pourtant, quelle différence ne doit-il pas y avoir entre les bêtes et nous, puisque nous possédons un tel père
3 Sans doute rirez-vous de moi, et direz-vous que c’est là chose très claire, et vous aurez raison d’en rire car, pour moi, elle fut obscure pendant un certain temps. Je comprenais bien que j’avais une âme, mais ce que méritait cette âme, et qui y demeurait, je ne le comprenais pas car les vanités de la vie recouvraient mes yeux d’un bandeau. Si j’avais compris, comme je le fais pleinement maintenant, que dans ce petit palais de mon âme habitait un si grand Roi, il me semble que je ne l’aurais pas laissé seul si souvent, mais que de temps en temps je serais restée en sa compagnie, et aurais essayé que son palais ne soit pas si sale. Mais quoi de plus merveilleux que de voir celui qui remplirait mille mondes de sa grandeur s’enfermer dans une si petite chose ! C’est ainsi qu’il a voulu demeurer dans le ventre de sa Très Sainte Mère, Comme il est le Seigneur, il porte en lui la liberté, et comme il nous aime, il se fait à notre mesure. Quand une âme commence dans cette voie, il ne se fait pas connaître, de peur qu’elle ne se trouble en se voyant si petite pour contenir quelque chose de si grand, mais, petit à petit, tout doucement, il élargit cette âme à la mesure de ce qu’il met en elle. C’est pourquoi je dis qu’il porte en lui la liberté, car il a le pouvoir d’agrandir ce palais,
4 Le point capital est que nous soyons absolument décidées à le lui donner, et que nous le débarrassions afin qu’il puisse mettre et ôter comme dans une demeure qui lui appartient. C’est la condition qu’il nous pose, et Sa Majesté a raison ; ne nous y refusons pas. Même ici-bas nous sommes chagrinés quand nous avons des hôtes à la maison, et ne pouvons leur dire de s’en aller, comme il ne veut pas forcer notre volonté, il prend ce que nous lui donnons ; mais il ne se donne entièrement à nous que lorsqu’il voit que nous nous donnons entièrement à lui (cela est sûr, et c’est pourquoi je vous le répète si souvent) ; sans cette condition, il ne peut agir dans l’âme comme il le ferait si elle était sienne sans réserve aucune ; je ne sais d’ailleurs pas comment il le pourrait, étant donné qu’il est ami de l’ordre même ; si nous remplissons ce palais de gens vulgaires et de bagatelles, comment pourrait-il y trouver place avec sa cour ? C’est déjà beaucoup qu’il reste un petit moment au milieu de tant d’embarras.
5 Pensez-vous, mes filles, qu’il vienne seul ? Ne voyez-vous pas que son très saint Fils dit : “ qui êtes aux cieux ” ? Un tel Roi, c’est bien évident, n’est pas abandonné par ses courtisans ; au contraire, ils sont auprès de lui, et ils le supplient de vous combler toutes de biens, car ils sont tous pleins de charité. Ne vous imaginez pas qu’au ciel ce soit comme sur la terre, où un Seigneur ou un supérieur ne peut accorder une faveur à quelqu’un pour des motifs particuliers, ou parce que tel est son bon plaisir, sans exciter immédiatement des jalousies ou sans faire en sorte que le pauvre homme soit si mal vu, bien qu’il n’ait fait de tort à personne, que les faveurs lui coûtent cher.
6 Pour l’amour de Dieu, ne vous souciez pas de choses de ce genre ; que chacune d’entre vous s’efforce de faire son devoir, et si le Supérieur ne vous en témoigne pas de satisfaction, soyez certaines que le Seigneur vous en témoignera et vous paiera de retour. Assurément, nous ne sommes pas venues ici chercher une récompense en cette vie, mais en l’autre ; fixez sans cesse vos pensées sur ce qui dure, et ne faites aucun cas des choses d’ici bas (elles ne durent même pas le temps de notre vie) ; aujourd’hui, le Supérieur est bien avec l’une d’entre vous ; demain, s’il voit en vous une vertu de plus, il sera mieux encore avec vous ; et sinon, peu importe. Ne laissez pas ces premiers mouvements avoir prise sur vous, coupez-y court en vous souvenant que votre royaume n’est pas de ce monde, que tout passe très vite, et que même en cette vie il n’y a rien d’immuable.
Une comparaison, et un moyen pour que l’âme s’accoutume à se recueillir.
1 Essayez de réaliser qu’il y a au-dedans de vous un palais d’un prix infini, tout bâti d’or et de pierres précieuses - digne, enfin, d’un si grand Seigneur -, et croyez, car c’est la vérité, que vous pouvez beaucoup pour que l’édifice soit d’un prix très élevé (y a-t-il plus bel édifice qu’une âme pure et pleine de vertus ? et plus celles-ci sont grandes, plus les pierres resplendissent). Enfin, songez que dans ce palais habite ce grand Roi qui a daigné être votre Père, et qu’il se tient sur un trône du plus haut prix : votre coeur.
2 Ceci, au premier abord, vous semblera impertinent - je fais allusion à cette comparaison pour vous faire comprendre ma pensée mais, précisément, il se peut que vous en tiriez grand profit, car nous autres, femmes, ne sommes pas savantes, et n’avons pas l’esprit subtil ; nous avons donc besoin de ces moyens pour bien comprendre qu’au-dedans de nous, il y a quelque chose d’incomparablement plus précieux que ce que nous voyons dehors. Il est très important que nous ne nous imaginions pas vides intérieurement (et plût à Dieu qu’il n’y eût que les femmes pour tomber dans cette erreur), car il me semble impossible, si nous avions soin de nous rappeler que nous portons en nous un tel hôte, que nous nous adonnions tellement aux vanités et choses de ce monde, parce que nous verrions combien elles sont basses, en comparaison de celles que nous possédons en nous. Ne sommes-nous pas comme une bête nuisible qui, à la vue de ce qui lui plaît, se précipite sur sa proie pour assouvir sa faim ? Et pourtant, quelle différence ne doit-il pas y avoir entre les bêtes et nous, puisque nous possédons un tel père
3 Sans doute rirez-vous de moi, et direz-vous que c’est là chose très claire, et vous aurez raison d’en rire car, pour moi, elle fut obscure pendant un certain temps. Je comprenais bien que j’avais une âme, mais ce que méritait cette âme, et qui y demeurait, je ne le comprenais pas car les vanités de la vie recouvraient mes yeux d’un bandeau. Si j’avais compris, comme je le fais pleinement maintenant, que dans ce petit palais de mon âme habitait un si grand Roi, il me semble que je ne l’aurais pas laissé seul si souvent, mais que de temps en temps je serais restée en sa compagnie, et aurais essayé que son palais ne soit pas si sale. Mais quoi de plus merveilleux que de voir celui qui remplirait mille mondes de sa grandeur s’enfermer dans une si petite chose ! C’est ainsi qu’il a voulu demeurer dans le ventre de sa Très Sainte Mère, Comme il est le Seigneur, il porte en lui la liberté, et comme il nous aime, il se fait à notre mesure. Quand une âme commence dans cette voie, il ne se fait pas connaître, de peur qu’elle ne se trouble en se voyant si petite pour contenir quelque chose de si grand, mais, petit à petit, tout doucement, il élargit cette âme à la mesure de ce qu’il met en elle. C’est pourquoi je dis qu’il porte en lui la liberté, car il a le pouvoir d’agrandir ce palais,
4 Le point capital est que nous soyons absolument décidées à le lui donner, et que nous le débarrassions afin qu’il puisse mettre et ôter comme dans une demeure qui lui appartient. C’est la condition qu’il nous pose, et Sa Majesté a raison ; ne nous y refusons pas. Même ici-bas nous sommes chagrinés quand nous avons des hôtes à la maison, et ne pouvons leur dire de s’en aller, comme il ne veut pas forcer notre volonté, il prend ce que nous lui donnons ; mais il ne se donne entièrement à nous que lorsqu’il voit que nous nous donnons entièrement à lui (cela est sûr, et c’est pourquoi je vous le répète si souvent) ; sans cette condition, il ne peut agir dans l’âme comme il le ferait si elle était sienne sans réserve aucune ; je ne sais d’ailleurs pas comment il le pourrait, étant donné qu’il est ami de l’ordre même ; si nous remplissons ce palais de gens vulgaires et de bagatelles, comment pourrait-il y trouver place avec sa cour ? C’est déjà beaucoup qu’il reste un petit moment au milieu de tant d’embarras.
5 Pensez-vous, mes filles, qu’il vienne seul ? Ne voyez-vous pas que son très saint Fils dit : “ qui êtes aux cieux ” ? Un tel Roi, c’est bien évident, n’est pas abandonné par ses courtisans ; au contraire, ils sont auprès de lui, et ils le supplient de vous combler toutes de biens, car ils sont tous pleins de charité. Ne vous imaginez pas qu’au ciel ce soit comme sur la terre, où un Seigneur ou un supérieur ne peut accorder une faveur à quelqu’un pour des motifs particuliers, ou parce que tel est son bon plaisir, sans exciter immédiatement des jalousies ou sans faire en sorte que le pauvre homme soit si mal vu, bien qu’il n’ait fait de tort à personne, que les faveurs lui coûtent cher.
6 Pour l’amour de Dieu, ne vous souciez pas de choses de ce genre ; que chacune d’entre vous s’efforce de faire son devoir, et si le Supérieur ne vous en témoigne pas de satisfaction, soyez certaines que le Seigneur vous en témoignera et vous paiera de retour. Assurément, nous ne sommes pas venues ici chercher une récompense en cette vie, mais en l’autre ; fixez sans cesse vos pensées sur ce qui dure, et ne faites aucun cas des choses d’ici bas (elles ne durent même pas le temps de notre vie) ; aujourd’hui, le Supérieur est bien avec l’une d’entre vous ; demain, s’il voit en vous une vertu de plus, il sera mieux encore avec vous ; et sinon, peu importe. Ne laissez pas ces premiers mouvements avoir prise sur vous, coupez-y court en vous souvenant que votre royaume n’est pas de ce monde, que tout passe très vite, et que même en cette vie il n’y a rien d’immuable.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 49
Suite du même sujet. C’est un chapitre très utile.
1 Mais c’est là encore un moyen peu élevé et qui ne révèle pas beaucoup de perfection ; mieux vaut donc que cette situation se prolonge, que l’on continue à vous laisser à l’écart et à vous humilier, et que vous souhaitiez y rester par amour pour celui qui est avec vous. Tournez vos regards sur vous-même, et regardez-vous intérieurement : vous trouverez votre Époux qui ne vous fera jamais défaut ; qui plus est, moins vous aurez de consolations extérieures, plus il vous montrera d’amour. Il est plein de compassion, et il ne délaisse jamais ceux qui sont dans l’affliction s’ils mettent en lui seul leur confiance. C’est ainsi que David nous dit “ qu’il n’a jamais vu le juste abandonné ”, ou encore que “ le Seigneur est avec les affligés ” 236. Ou vous le croyez ou vous ne le croyez pas. Mais si vous le croyez comme vous devez le croire, pourquoi vous tourmentez-vous ?
2 O mon Seigneur ! si nous vous connaissions vraiment, rien ni personne ne nous affecterait. Vous donnez beaucoup à ceux qui veulent se donner pleinement à vous. Croyez-moi, mes amies, c’est une grande chose que de comprendre cette vérité ; on voit alors que toutes les choses et faveurs d’ici-bas ne sont que mensonges quand elles nous écartent tant soit peu de cette vérité. O mon Dieu ! si seulement quelqu’un pouvait faire comprendre cela aux mortels ! Assurément, ce n’est pas moi, Seigneur, car bien que je vous sois redevable plus que personne, je ne parviens pas encore à le comprendre comme je le devrais.
3 Oh, si seulement quelqu’un savait expliquer la nature de cette sainte compagnie avec le compagnon des âmes, Saint des saints, compagnie où rien n’entrave la solitude de l’âme avec son Époux, lorsque cette âme veut rentrer au-dedans d’elle-même dans ce paradis avec son Dieu, et ferme la porte à toutes les choses du monde ! Comprenez bien qu’il ne s’agit pas ici d’une chose surnaturelle, mais d’une chose que nous pouvons réaliser, avec la grâce de Dieu (je sous-entends cette dernière à chaque fois que, dans ce livre, je dirai “ nous pouvons ”, puisque sans lui, on ne peut rien, rien) ; en effet, il s’agit pas ici d’un silence des puissances, mais d’une retraite de ces puissances au-dedans de l’âme.
4 Il y a bien des manières d’y parvenir ; comme de nombreux livres, écrits par ceux qui parlent d’oraison mentale, nous le disent : nous devons nous détacher de tout, afin de nous approcher intérieurement de Dieu.
Suite du même sujet. C’est un chapitre très utile.
1 Mais c’est là encore un moyen peu élevé et qui ne révèle pas beaucoup de perfection ; mieux vaut donc que cette situation se prolonge, que l’on continue à vous laisser à l’écart et à vous humilier, et que vous souhaitiez y rester par amour pour celui qui est avec vous. Tournez vos regards sur vous-même, et regardez-vous intérieurement : vous trouverez votre Époux qui ne vous fera jamais défaut ; qui plus est, moins vous aurez de consolations extérieures, plus il vous montrera d’amour. Il est plein de compassion, et il ne délaisse jamais ceux qui sont dans l’affliction s’ils mettent en lui seul leur confiance. C’est ainsi que David nous dit “ qu’il n’a jamais vu le juste abandonné ”, ou encore que “ le Seigneur est avec les affligés ” 236. Ou vous le croyez ou vous ne le croyez pas. Mais si vous le croyez comme vous devez le croire, pourquoi vous tourmentez-vous ?
2 O mon Seigneur ! si nous vous connaissions vraiment, rien ni personne ne nous affecterait. Vous donnez beaucoup à ceux qui veulent se donner pleinement à vous. Croyez-moi, mes amies, c’est une grande chose que de comprendre cette vérité ; on voit alors que toutes les choses et faveurs d’ici-bas ne sont que mensonges quand elles nous écartent tant soit peu de cette vérité. O mon Dieu ! si seulement quelqu’un pouvait faire comprendre cela aux mortels ! Assurément, ce n’est pas moi, Seigneur, car bien que je vous sois redevable plus que personne, je ne parviens pas encore à le comprendre comme je le devrais.
3 Oh, si seulement quelqu’un savait expliquer la nature de cette sainte compagnie avec le compagnon des âmes, Saint des saints, compagnie où rien n’entrave la solitude de l’âme avec son Époux, lorsque cette âme veut rentrer au-dedans d’elle-même dans ce paradis avec son Dieu, et ferme la porte à toutes les choses du monde ! Comprenez bien qu’il ne s’agit pas ici d’une chose surnaturelle, mais d’une chose que nous pouvons réaliser, avec la grâce de Dieu (je sous-entends cette dernière à chaque fois que, dans ce livre, je dirai “ nous pouvons ”, puisque sans lui, on ne peut rien, rien) ; en effet, il s’agit pas ici d’un silence des puissances, mais d’une retraite de ces puissances au-dedans de l’âme.
4 Il y a bien des manières d’y parvenir ; comme de nombreux livres, écrits par ceux qui parlent d’oraison mentale, nous le disent : nous devons nous détacher de tout, afin de nous approcher intérieurement de Dieu.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 50
Traite du grand profit que l’on tire de ce mode d’oraison.
1 Comme je ne parle que de la manière de réciter convenablement la prière vocale, point n’est besoin de tant en dire. Tout ce que je prétends est que nous voyions qui est celui à qui nous parlons, et que nous demeurions avec lui sans lui tourner le dos (nous ne faisons pas autre chose quand nous parlons à Dieu et avons l’esprit fixé sur toutes sortes de vanités). Tout le mal vient du fait que nous ne comprenons pas vraiment qu’il est près de nous, et que nous l’imaginons loin ; et combien loin, si nous allons le chercher au ciel ! Comment se fait-il donc, Seigneur, que nous ne regardions pas votre visage alors qu’il est si près de nous ? Il nous semble, quand nous parlons aux hommes, que ceux-ci ne nous entendent pas si nous ne voyons pas qu’ils nous regardent. Et nous fermons les yeux pour ne pas voir que vous nous regardez ? Comment pouvons-nous alors savoir si vous avez entendu ce que nous disons ? Tout ce que je voudrais vous faire comprendre, c’est que pour nous accoutumer petit à petit à assurer peu à peu et facilement notre esprit, afin que nous puissions comprendre ce que nous disons et réaliser avec qui nous parlons, nous devons recueillir nos sens extérieurs au-dedans de nous-mêmes, et leur donner un sujet d’occupation ; le ciel n’est-il pas à l’intérieur de nous-mêmes, puisque le Seigneur est en nous ?
2 Et une fois que nous avons commencé à goûter qu’il n’est pas nécessaire d’élever la voix pour lui parler - parce que Sa Majesté fera sentir sa présence -, nous réciterons le Paternoster et toute autre prière de notre choix avec un grand repos de l’esprit, et le Seigneur lui-même veillera à ce que nous ne nous fatiguions pas ; en effet, à peine aurons-nous commencé à faire des efforts pour rester près de lui, qu’il nous entendra par signes ; et si nous devions réciter plusieurs fois le Paternoster pour être entendues, il nous entendra maintenant dés la première fois. Il aime beaucoup à nous épargner de la fatigue, et même si dans l’espace d’une heure nous ne disons qu’une fois le Paternoster, cela suffit pourvu que nous comprenions que nous sommes avec lui, que nous sachions ce que nous lui demandons (quel désir il a de nous exaucer - enfin, comme un père -, quel plaisir il a de se trouver avec nous), et que nous nous réjouissions avec lui ; il n’aime pas que nous nous rompions la tête. C’est pourquoi, mes soeurs, pour l’amour de Dieu, accoutumez-vous à réciter le Paternoster avec le recueillement dont je parle ; vous verrez bien vite le bénéfice que vous en tirerez. C’est une méthode de prière qui habitue rapidement l’âme à ne pas divaguer, et les puissances à ne pas s’inquiéter ; le temps vous le fera découvrir (je vous supplie seulement de vous y essayer, même si cela vous coûte un peu, comme il arrive pour tout ce dont nous n’avons pas l’habitude) ; je vous assure cependant que vous serez bien vite consolées en voyant que, sans avoir à vous fatiguer pour chercher le saint Père que vous priez, vous le trouvez en vous.
3 Que Sa Majesté l’enseigne à celles d’entre vous qui l’ignorent ; pour moi, je vous avoue que je n’ai jamais su ce que c’était de réciter avec satisfaction et consolation, jusqu’au jour où le Seigneur me l’a enseignée ; et les grands avantages que j’ai toujours retirés de ce recueillement intime m’ont poussée à écrire longuement sur ce sujet. Peut-être savez-vous toutes cela, mais une soeur qui l’ignore pourrait venir chez vous ; ainsi ne regrettez pas que je vous en aie parlé. Considérons maintenant comment notre bon Maître poursuit sa prière, et commence à supplier son saint Père pour nous ; voyons ce qu’il demande, car il est bien que nous le comprenions.
Traite du grand profit que l’on tire de ce mode d’oraison.
1 Comme je ne parle que de la manière de réciter convenablement la prière vocale, point n’est besoin de tant en dire. Tout ce que je prétends est que nous voyions qui est celui à qui nous parlons, et que nous demeurions avec lui sans lui tourner le dos (nous ne faisons pas autre chose quand nous parlons à Dieu et avons l’esprit fixé sur toutes sortes de vanités). Tout le mal vient du fait que nous ne comprenons pas vraiment qu’il est près de nous, et que nous l’imaginons loin ; et combien loin, si nous allons le chercher au ciel ! Comment se fait-il donc, Seigneur, que nous ne regardions pas votre visage alors qu’il est si près de nous ? Il nous semble, quand nous parlons aux hommes, que ceux-ci ne nous entendent pas si nous ne voyons pas qu’ils nous regardent. Et nous fermons les yeux pour ne pas voir que vous nous regardez ? Comment pouvons-nous alors savoir si vous avez entendu ce que nous disons ? Tout ce que je voudrais vous faire comprendre, c’est que pour nous accoutumer petit à petit à assurer peu à peu et facilement notre esprit, afin que nous puissions comprendre ce que nous disons et réaliser avec qui nous parlons, nous devons recueillir nos sens extérieurs au-dedans de nous-mêmes, et leur donner un sujet d’occupation ; le ciel n’est-il pas à l’intérieur de nous-mêmes, puisque le Seigneur est en nous ?
2 Et une fois que nous avons commencé à goûter qu’il n’est pas nécessaire d’élever la voix pour lui parler - parce que Sa Majesté fera sentir sa présence -, nous réciterons le Paternoster et toute autre prière de notre choix avec un grand repos de l’esprit, et le Seigneur lui-même veillera à ce que nous ne nous fatiguions pas ; en effet, à peine aurons-nous commencé à faire des efforts pour rester près de lui, qu’il nous entendra par signes ; et si nous devions réciter plusieurs fois le Paternoster pour être entendues, il nous entendra maintenant dés la première fois. Il aime beaucoup à nous épargner de la fatigue, et même si dans l’espace d’une heure nous ne disons qu’une fois le Paternoster, cela suffit pourvu que nous comprenions que nous sommes avec lui, que nous sachions ce que nous lui demandons (quel désir il a de nous exaucer - enfin, comme un père -, quel plaisir il a de se trouver avec nous), et que nous nous réjouissions avec lui ; il n’aime pas que nous nous rompions la tête. C’est pourquoi, mes soeurs, pour l’amour de Dieu, accoutumez-vous à réciter le Paternoster avec le recueillement dont je parle ; vous verrez bien vite le bénéfice que vous en tirerez. C’est une méthode de prière qui habitue rapidement l’âme à ne pas divaguer, et les puissances à ne pas s’inquiéter ; le temps vous le fera découvrir (je vous supplie seulement de vous y essayer, même si cela vous coûte un peu, comme il arrive pour tout ce dont nous n’avons pas l’habitude) ; je vous assure cependant que vous serez bien vite consolées en voyant que, sans avoir à vous fatiguer pour chercher le saint Père que vous priez, vous le trouvez en vous.
3 Que Sa Majesté l’enseigne à celles d’entre vous qui l’ignorent ; pour moi, je vous avoue que je n’ai jamais su ce que c’était de réciter avec satisfaction et consolation, jusqu’au jour où le Seigneur me l’a enseignée ; et les grands avantages que j’ai toujours retirés de ce recueillement intime m’ont poussée à écrire longuement sur ce sujet. Peut-être savez-vous toutes cela, mais une soeur qui l’ignore pourrait venir chez vous ; ainsi ne regrettez pas que je vous en aie parlé. Considérons maintenant comment notre bon Maître poursuit sa prière, et commence à supplier son saint Père pour nous ; voyons ce qu’il demande, car il est bien que nous le comprenions.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 51
Combien il importe de comprendre ce que l’on demande dans l’oraison.
1 Est-il une personne, pour étourdie qu’elle soit, qui, lorsqu’elle sollicite quelqu’un d’important, ne songe d’abord à la manière de présenter sa demande afin de lui être agréable et de ne pas paraître importune ? Ne doit-elle pas connaître l’objet de sa demande, et le besoin qu’elle en a, surtout s’il s’agit d’une chose extraordinaire comme celle que nous enseigne à demander notre bon Jésus ? Ce point, à mon avis, est à prendre en grande considération. Ne pouviez-vous pas, ô mon Seigneur, conclure cette prière par un mot et dire : “ Donnez-nous, Père, ce qui nous convient ? ” A l’égard de celui qui comprend si bien toutes choses, cela, semble-t-il, était suffisant.
2 O Sagesse des anges ! Pour vous et votre Père cette phrase suffisait (c’est ainsi que vous vous êtes adressé à lui au Jardin des oliviers, vous lui avez exprimé votre amour et votre crainte, mais vous vous êtes abandonné entre ses mains) ; mais vous nous connaissez, mon Seigneur, vous saviez que nous ne sommes pas aussi soumis que vous à la volonté de votre Père, et qu’il nous était nécessaire de demander des choses très précises afin que nous nous arrêtions, tout au moins un instant, à considérer si ce que nous demandons nous convient et, dans le cas contraire, à ne pas le demander. Car nous sommes faits de telle sorte que si l’on ne nous donne pas ce que nous voulons - vu ce libre arbitre qui est le nôtre -, nous n’acceptons pas ce que le Seigneur veut nous donner, alors même que ce serait meilleur pour nous ; si nous ne voyons pas immédiatement l’argent dans notre main, jamais nous ne penserons que nous sommes riches.
3 O mon Dieu ! Notre foi est-elle endormie au point que nous ne puissions parvenir à comprendre combien est sur le châtiment et combien est sûre la récompense ? Voilà pourquoi, mes filles, il est bon que vous compreniez ce que vous demandez dans le Paternoster, afin que si le Père Éternel vous l’accorde, vous ne le lui refusiez pas de façon grossière ; et examinez soigneusement si ce que vous demandez vous est profitable. Si ce ne l’est pas, ne le demandez pas, mais priez Sa Majesté de vous donner la lumière parce que vous êtes aveugles, éprouvez de la répugnance pour les mets qui vous donneraient la vie, et préférez ceux qui vous mèneront à la mort. Et quelle mort redoutable que celle-là ! une mort éternelle !
CHAPITRE 52
Traite de ces paroles du Pater : “ Sanctificetur Nomen tuum, adveniat Regnum tuum ”. Commence à exposer ce qu’est l’oraison de quiétude.
1 Voici ce que dit le bon Jésus : “ que votre Nom soit sanctifié, que votre Règne arrive. ” Considérez maintenant, mes filles, si la sagesse de notre Époux est grande ! Je réfléchis ici à ce que nous demandons quand nous demandons ce royaume, car il est bon que nous nous en rendions compte. Sa Majesté, connaissant notre faiblesse, a vu que nous ne pouvions ni sanctifier, ni louer, ni célébrer, ni glorifier, ni exalter ce saint nom du Père Éternel comme il se devait, si Sa Majesté n’y pourvoyait en nous donnant dès ici-bas son royaume, c’est pourquoi le bon Jésus a placé ces deux demandes à côté l’une de l’autre. Et afin que vous compreniez, mes filles, ce que nous demandons, et combien il nous importe de le demander et de faire tout ce que nous pouvons pour contenter celui qui doit nous le donner, je vous dirai ici ma pensée. Si elle ne vous semble pas convenable, cherchez d’autres considérations ; Notre-Seigneur nous le permet, pourvu que nous nous soumettions en tout aux enseignements de l’Église (c’est ce que je fais toujours ; et même ce livre, je ne vous le donnerai à lire que lorsque des personnes qui s’entendent en la matière l’auront vu ; donc, s’il s’y trouve quelque erreur, la malice n’en sera pas la cause ; il s’agira d’une défaillance de ces connaissances).
2 Le grand bonheur qu’il y a dans le royaume du ciel, entre beaucoup d’autres, c’est de ne plus avoir à faire cas des choses de la terre ; on y trouve le repos, la gloire au-dedans de soi-même, on se réjouit de la joie de tous, on éprouve une paix perpétuelle, une immense satisfaction intérieure en voyant que tous sanctifient et louent le Seigneur, bénissent son nom et que nul ne l’offense ; tous l’aiment, et l’âme elle-même n’a d’autre occupation que de l’aimer, et elle ne peut cesser de l’aimer parce qu’elle le connaît. Et c’est ainsi que nous l’aimerions sur la terre, si nous le connaissions ; sans doute avec moins de perfection et de continuité, mais nous l’aimerions tout autrement que nous le faisons.
3 J’ai l’air de dire que nous devons être des anges pour adresser cette demande et prier vocalement. Notre divin Maître le voudrait bien, dès lors qu’il nous ordonne de présenter une si haute demande ; et, en vérité, il ne nous dit pas de demander des choses impossibles ; une âme encore en cet exil peut donc l’obtenir, avec la grâce de Dieu (sans doute, non avec la perfection des âmes qui sont déjà sorties de la prison du corps, car nous naviguons sur la mer et notre voyage continue toujours) ; mais il y a des moments où, nous voyant fatigués de la route, le Seigneur met nos puissances dans le repos et notre âme dans la quiétude ; il nous fait alors comprendre clairement, par certains signes, quelle est la nature des dons qu’il réserve il ceux qu’il introduit dans son royaume. Ceux dont il exauce ici-bas la demande reçoivent de tels gages d’amour qu’ils nourrissent la ferme espérance d’aller jouir toute l’éternité de ce qu’ils ne peuvent goûter ici-bas que rarement.
4 Si vous ne deviez m’accuser de traiter de la contemplation, cette demande du Pater me donnerait ici une belle occasion de vous parler un peu des commencements de la pure contemplation appelée par ceux qui en ont l’expérience : oraison de quiétude ; mais comme il est entendu que je parle de la prière vocale, ceux qui ne connaissent pas le sujet pourraient penser que les deux choses ne vont pas l’une avec l’autre ; or moi, je sais que c’est tout le contraire. Pardonnez-moi, mais je veux vous en parler ici parce que je connais nombre de personnes qui prient vocalement, et que Dieu élève à une haute contemplation sans qu’elles fassent quoi que ce soit pour cela, ni même sachent comment ; c’est pourquoi, mes filles, j’insiste tant pour que vous disiez parfaitement vos prières vocales. Je connais une religieuse qui n’a jamais pu pratiquer d’autre oraison que la vocale, et en s’y tenant fidèlement, elle avait tout ; mais si elle ne récitait pas, son esprit s’égarait tellement qu’elle en était torturée. Oh ! puissiez-vous toutes pratiquer l’oraison mentale comme elle pratiquait la vocale ! Pour réciter quelques Paternoster correspondant au nombre de mystères où Notre-Seigneur a répandu son sang - et quelque autre prière -, elle passait deux ou trois heures ; elle vint me voir tout affligée et me dit qu’elle ne savait pas faire oraison, ni ne pouvait s’adonner à la contemplation, qu’elle ne savait que réciter des prières vocales. Elle était âgée à l’époque, et avait mené une vie exemplaire et pieuse. Je lui demandai ce qu’elle récitait, et je compris, d’après sa réponse, que le Seigneur l’élevait à la grâce d’union alors qu’elle s’attachait à dire le Pater. C’est ainsi que je louai le Seigneur, et enviai sa prière vocale. Ne pensez donc pas, vous qui êtes ennemis des contemplatifs, que vous pourrez éviter de le devenir si vous récitez les prières vocales comme il faut, et gardez une conscience pure, Ainsi, je vais devoir aborder ce sujet. Que ceux qui ne veulent pas l’entendre passent plus loin.
CHAPITRE 53
Continue à traiter de l’oraison de quiétude. Chapitre très important.
1 Cette oraison de quiétude est celle où, selon moi, le Seigneur entreprend, je le répète, de nous montrer qu’il entend notre demande, et commence déjà à nous donner son royaume ici-bas pour que nous puissions véritablement louer son nom, et pour que nous essayions que les autres le louent. Et bien que je n’aie pas l’intention de m’étendre longuement sur ce point puisque, je le répète, j’ai écrit ailleurs à ce sujet, j’en parlerai néanmoins quelque peu.
2 C’est quelque chose de surnaturel et, quels que soient nos efforts, nous ne pouvons l’acquérir par nous-mêmes car, dans cet état, l’âme rentre dans la paix, ou plutôt : le Seigneur l’y met par sa présence, comme il fit pour le juste Siméon ; toutes les puissances sont dans le repos. L’âme comprend - d’une façon qui n’a rien à voir avec les sens extérieurs - qu’elle est déjà tout près de son Dieu et que, pour peu qu’elle s’en approchât encore un petit peu, elle ne ferait qu’un avec lui par la grâce de l’union. Ce n’est pas qu’elle le voie des yeux du corps ni de ceux de l’âme. Le juste Siméon, en regardant le glorieux Enfant, ne voyait qu’un petit pauvre ; à en juger par les langes qui l’enveloppaient et le nombre restreint de personnes formant la procession, il aurait pu le prendre pour un petit pèlerin, enfant de parents pauvres, plutôt que pour le Fils du Père Céleste ; mais l’Enfant lui-même lui fit connaître qui il était. C’est de cette manière qu’il se révèle à l’âme, bien que ce ne soit pas avec cette clarté, car elle ne comprend pas encore ; elle voit seulement qu’elle est dans le royaume (tout au moins près du roi qui doit le lui donner) et, semble-t-il, elle éprouve un tel respect qu’elle n’ose rien demander.
3 C’est comme un assoupissement intérieur et extérieur, de sorte que l’homme extérieur (c’est-à-dire “ le corps ”, car il pourrait se trouver quelque simplette qui ne sache pas ce que signifient “ intérieur ” et “ extérieur ”), ne voudrait pas bouger ; tout comme celui qui est arrivé au terme du voyage se repose et éprouve dans son corps une très grande délectation, et une paix profonde ; l’âme est si heureuse de seulement se voir près de la fontaine qu’avant même d’avoir bu elle est déjà rassasiée ; il semble qu’elle n’ait plus rien à désirer : les puissances sont totalement apaisées et ne voudraient pas se remuer ; toutefois, elles ne sont pas suspendues 261, car elles peuvent penser à celui auprès de qui elles se trouvent ; c’est une pensée paisible. Les personnes qui sont dans cet état voudraient que le corps ne bougeât pas, afin de n’être pas troublées ; elles pensent une chose, et non plusieurs ; elles ne parlent qu’avec peine ; elles vont passer une heure à dire un seul “ Notre Père ”. Dieu et l’âme sont si près l’un de l’autre qu’ils peuvent se comprendre par signes. Elles sont dans le palais, près du Roi ; elles sont dans son royaume car le Seigneur commence déjà à le leur donner ici-bas. Parfois des larmes viennent à leurs yeux, mais elles les versent sans peine et avec grande douceur ; tout leur désir est que soit sanctifié ce nom-là. Il semble qu’elles ne soient plus dans le monde, elles ne voudraient ni le voir ni l’entendre, et ne voir et n’entendre que leur Dieu. Rien ne leur fait de la peine, et rien, semble-t-il, ne peut leur en donner.
4 Quand j’ai parlé de l’oraison de quiétude, j’ai omis de dire ceci : il arrive souvent que l’âme soit dans une quiétude profonde, et l’entendement 264 si élevé, que ce qui se passe ne semble pas avoir lieu dans sa maison. Et, en vérité, c’est bien à mon avis ce qui arrive ; on dirait qu’il est l’hôte d’une maison étrangère et cherche d’autres demeures où rester. Celle-ci ne le contente pas parce que, pour ainsi dire, il ne sait pas se fixer (les autres personnes ne sont sans doute pas ainsi ; c’est de moi que je parle, et parfois je désire mourir parce que je ne peux remédier à ceci) ; d’autres fois, l’entendement semble s’installer dans sa maison et est avec la volonté ; si tous deux s’accordent : c’est divin. Il en est comme de deux époux ; s’ils sont heureux et s’aiment l’un l’autre, l’un veut ce que l’autre veut ; mais supposez que le mari soit peu traitable, et vous verrez l’inquiétude qu’il cause à sa femme. Ainsi, lorsque la volonté est dans cette quiétude (et faites très attention à ce conseil, il est important), elle ne doit pas plus faire cas de l’entendement que d’un fou, car si elle veut l’attirer à elle, il lui arrivera forcément d’être distraite et quelque peu inquiète. Or, à ce degré d’oraison, tout cela se soldera par de la fatigue et aucun gain pour l’âme : elle perdra ce que le Seigneur lui a donné sans aucune fatigue de sa part.
5 Remarquez bien cette comparaison que le Seigneur m’a suggérée quand j’étais dans cet état d’oraison, et qui est très appropriée. L’âme est comme un enfant qui tête encore, et sa mère, dans sa tendresse, fait couler le lait dans sa bouche sans qu’il ait besoin de remuer les lèvres. De même ici, sans effort de l’entendement, le Seigneur met tout dans l’âme, et il veut qu’elle comprenne qu’il est là, et qu’elle avale le lait qu’il lui donne sans cesser de réaliser qu’il le lui donne, et sans cesser d’aimer. Si elle veut entrer en lutte pour que l’entendement participe à son bonheur et le ramener à elle, elle ne pourra y parvenir ; elle laissera forcément tomber le lait de sa bouche, et perdra cette divine subsistance.
6 C’est en ceci et en d’autres choses que cette oraison est différente de celle où l’âme est unie à Dieu ; dans cette dernière, l’âme n’a pas même à avaler. Elle trouve la nourriture au-dedans d’elle-même sans comprendre comment le Seigneur l’y a mise. Dans l’oraison de quiétude, il semble que le Seigneur veuille encore que l’âme travaille un petit peu, mais ce travail s’effectue dans une telle paix que l’âme ne s’en rend pour ainsi dire pas compte. Quiconque a eu l’expérience de ce genre d’oraison comprendra clairement ce que je dis - s’il y apporte l’attention désirée - après avoir lu cela ; qu’il réfléchisse à son importance ; sinon, cela semble inintelligible. Quand l’âme, donc, est élevée à ce degré d’oraison, elle éprouve un contentement paisible et profond dans la volonté, un grand apaisement. (Elle ne saurait dire ce que c’est d’une manière précise, mais elle peut du moins affirmer qu’il est très différent des contentements d’ici-bas ; la possession du monde et de tous ses plaisirs ne saurait lui procurer cette satisfaction qu’elle trouve dans l’intime de sa volonté.) Ces plaisirs de la vie, me semble-t-il, n’atteignent que l’extérieur de la volonté : l’écorce, pour ainsi dire. Ce que je veux dire est ceci : une fois que l’âme est élevée à ce degré si haut d’oraison (qui, encore une fois, est évidemment surnaturel), si l’entendement se livre aux plus grandes extravagances du monde, moquez-vous de lui, regardez-le comme un insensé et restez dans votre quiétude ; il ira et viendra, mais la volonté est désormais souveraine et toute-puissante ; elle le ramènera sans que vous vous en préoccupiez le moins du monde. Mais si vous voulez le ramener par la force, vous perdrez le pouvoir que vous avez sur lui - pouvoir qui vous vient de la divine nourriture que vous venez de manger et de recevoir - et ni l’un ni l’autre n’y gagnerez rien ; qui trop embrasse mal étreint, dit-on. L’expérience vous le fera comprendre ; car il faut beaucoup d’expérience pour le comprendre sans avoir eu la moindre explication, et pour le faire et le comprendre après avoir été avertis par des lectures, il en faut peu.
7 Enfin, tant que durent la satisfaction et la jouissance expérimentées par l’âme, on peut affirmer à juste titre que nous sommes dans le royaume, et que le Père Éternel a entendu notre demande puisqu’il est venu à nous. O heureuse requête que celle où nous demandons un si grand bien sans le comprendre ! Heureuse manière de demander ! Voilà pourquoi je veux, mes soeurs, que nous considérions comment réciter cette céleste prière et ce que nous y demandons car, c’est clair, si Dieu nous accorde cette faveur, nous devons oublier les affaires du monde, même si cela ne nous plaît pas ; le Seigneur du monde, quand il arrive, met tout dehors. Je ne dis pas que tous ceux qui feront cette demande seront, par ce fait même, complètement détachés de tout, mais je voudrais qu’ils comprennent ce qui leur manque, qu’ils s’humilient, et qu’ils ne présentent pas une si grande requête comme s’ils ne demandaient rien, et si le Seigneur leur accorde ce qu’ils demandent, qu’ils ne le lui refusent pas.
8 Il y a de nombreuses personnes - et j’ai été l’une d’elles - à qui le Seigneur donne de tendres sentiments de dévotion et de saintes inspirations, qu’il éclaire sur la vraie valeur de toutes choses et à qui, enfin, il donne ce royaume en les mettant dans cette oraison de quiétude ; or, elles font les sourdes. Et il y a des âmes si passionnées de paroles et si désireuses de dire précipitamment de nombreuses prières vocales pour finir leur tâche, car elles s’imposent de les réciter chaque jour, que le Seigneur a beau mettre son royaume entre leurs mains, et leur donner cette oraison de quiétude et cette paix intime, elles ne le reçoivent pas ; elles s’imaginent qu’il est mieux de réciter des prières vocales et elles se laissent distraire.
9 N’agissez pas ainsi, mes soeurs, quand le Seigneur vous accordera cette grâce ; considérez que vous perdriez un grand trésor, et que vous faites beaucoup plus en disant de temps en temps une parole du Paternoster qu’en le récitant souvent à la hâte et sans penser à ce que vous dites. Celui que vous priez est tout près de vous ; il ne peut manquer de vous entendre. C’est ainsi, croyez-moi, que vous bénirez véritablement son nom et le sanctifierez car, comme membre de sa maison, vous glorifiez le Seigneur et le louez avec plus d’ardeur et de désir, et vous ne pourrez plus, semble-t-il, cesser de le servir. Ainsi, je vous conseille d’être très vigilantes sur ce point, parce que c’est très important.
CHAPITRE 54
Traite de ces paroles : “ Fiat voluntas tua, sicut in coelo et in terra. ” Combien il importe de prononcer ces paroles avec résolution.
1 Maintenant que notre bon Maître a demandé pour nous, et nous a enseigné à demander un bien d’une si haute valeur qu’il renferme tout ce que nous pouvons désirer ici-bas, et qu’il nous a fait l’immense faveur de nous appeler ses frères, voyons ce qu’il veut que nous donnions à son Père, ce qu’il lui offre pour nous, et ce qu’il demande ; n’est-il pas juste, en effet, que nous fassions quelque chose en retour de si grandes grâces ? O bon Jésus ! qui donnez si peu de notre part, comment pouvez-vous demander tant pour nous ? Sans compter qu’en soi, ce peu n’est que néant en comparaison de ce que nous devons à un si grand Roi ; mais il est certain, ô mon Seigneur, que vous ne nous laissez pas sans rien, et que nous donnons tout ce que nous pouvons si nous le donnons, je le répète, dans l’esprit des mots que nous prononçons :
2 “ Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. ” Vous avez bien fait, ô bon Maître et Seigneur, de présenter la demande précédente afin que nous soyons capables d’accomplir ce que vous promettez en notre nom ; autrement, Seigneur, il semble vraiment impossible que nous puissions l’accomplir. Mais puisque votre Père nous donne son royaume ici bas comme vous l’en suppliez, je sais que nous honorerons votre parole et donnerons ce que vous avez promis pour nous. La terre étant devenue le ciel, votre volonté pourra s’accomplir en moi. Sans cela, et en une terre aussi vile et stérile que la mienne, je ne sais, Seigneur, comment ce serait possible ; c’est une grande chose que vous offrez en notre nom ! C’est pour cela, mes filles, que je voudrais que vous le compreniez.
3 Quand je pense à cela, je ris des personnes qui disent qu’il n’est pas bien de demander des épreuves au Seigneur, parce que c’est une preuve de peu d’humilité. Et j’ai rencontré des âmes si pusillanimes qu’elles manquent de courage - même sans ce prétexte d’humilité - pour les lui demander, s’imaginant que Notre-Seigneur va les leur envoyer aussitôt. Je voudrais leur poser une question : quand elles supplient le Seigneur que Sa Majesté accomplisse en elles sa volonté, prononcent- elles ces paroles parce que tout le monde les prononce et sans avoir l’intention de conformer leurs actes à leurs paroles ? Voilà qui serait très mal, mes soeurs. Considérez que le bon Jésus se présente ici comme notre ambassadeur, qu’il a voulu s’interposer entre son Père et nous, et qu’il ne lui en a pas peu coûté ! ce ne serait donc pas juste que nous refusions de `donner ce qu’il promet ou offre en notre nom, ou bien alors, ne faisons pas cette demande.
4 Je veux maintenant vous l’exposer autrement. Considérez, mes soeurs (que vous le vouliez ou non) que cela se fera, que sa volonté s’accomplira au ciel et sur la terre ; croyez-moi, suivez mon conseil et faites de nécessité vertu. O mon Seigneur, quel immense réconfort pour moi que vous n’ayez pas laissé l’accomplissement de votre volonté à un vouloir aussi faible que le mien ! Soyez-en béni à jamais, et que toutes les choses chantent vos louanges ! que votre nom en soit glorifié éternellement ! Je serais dans une piètre situation, Seigneur, s’il avait dépendu de moi que votre volonté s’accomplisse ou non ! Maintenant je vous donne librement la mienne 273, bien qu’elle ne soit pas désintéressée, car une longue expérience m’a montré le gain que je retire à remettre librement ma volonté dans la vôtre. O mes filles, quel grand avantage il y a à cela ! ou bien : quelle grande perte, si nous n’accomplissons pas ce que nous disons au Seigneur dans le Paternoster et ne lui donnons pas ce que nous lui offrons !
5 Avant de vous parler de ce que vous y gagnerez, je peux vous faire remarquer la grandeur de ce que vous offrez, afin que vous ne puissiez pas dire qu’il y a eu méprise, et que vous n’avez pas bien compris. Ne faites pas comme certaines moniales qui se contentent de promettre ; comme elles ne tiennent pas leur parole, elles s’excusent en disant qu’au moment de leur profession, elles n’ont pas compris ce qu’elles promettaient. Je le crois aisément, car parler est facile, mais mettre en pratique est difficile, et si elles ont pensé que promettre et tenir n’étaient qu’une même chose, il est bien certain qu’elles n’ont pas su ce qu’elles faisaient. Faites bien comprendre ces choses à celles que vous recevrez ici à la profession, en les soumettant à de longues années de probation. Qu’elles ne s’imaginent pas que les paroles suffisent ; qu’elles sachent qu’il faut aussi des oeuvres.
6 Je veux donc que vous réalisiez à qui, comme on dit, vous avez affaire, et ce que le bon Jésus offre pour vous au Père, et ce que vous lui donnez quand vous dites que sa volonté s’accomplisse en vous, car c’est cela et rien d’autre que vous lui demandez. Ne craignez pas que sa volonté soit de vous donner des richesses, des plaisirs, de grands honneurs ou tout autre bien de cette terre ; il vous aime trop pour cela, il estime trop ce que vous lui donnez et il désire vous en récompenser puisque, même de votre vivant, comme on dit, il vous donne son royaume. Voulez-vous savoir comment il se comporte envers ceux qui lui demandent du fond du coeur d’accomplir en eux sa volonté ? Demandez-le à son glorieux Fils qui lui adressa cette prière au Jardin des oliviers. Comme elle fut dite avec vérité et un ardent désir d’être exaucée, voyez comment le Père a parfaitement accompli sa volonté dans le Fils en lui envoyant souffrances, douleurs, injures et persécutions ; enfin, jusqu’à le laisser mourir sur une croix.
Combien il importe de comprendre ce que l’on demande dans l’oraison.
1 Est-il une personne, pour étourdie qu’elle soit, qui, lorsqu’elle sollicite quelqu’un d’important, ne songe d’abord à la manière de présenter sa demande afin de lui être agréable et de ne pas paraître importune ? Ne doit-elle pas connaître l’objet de sa demande, et le besoin qu’elle en a, surtout s’il s’agit d’une chose extraordinaire comme celle que nous enseigne à demander notre bon Jésus ? Ce point, à mon avis, est à prendre en grande considération. Ne pouviez-vous pas, ô mon Seigneur, conclure cette prière par un mot et dire : “ Donnez-nous, Père, ce qui nous convient ? ” A l’égard de celui qui comprend si bien toutes choses, cela, semble-t-il, était suffisant.
2 O Sagesse des anges ! Pour vous et votre Père cette phrase suffisait (c’est ainsi que vous vous êtes adressé à lui au Jardin des oliviers, vous lui avez exprimé votre amour et votre crainte, mais vous vous êtes abandonné entre ses mains) ; mais vous nous connaissez, mon Seigneur, vous saviez que nous ne sommes pas aussi soumis que vous à la volonté de votre Père, et qu’il nous était nécessaire de demander des choses très précises afin que nous nous arrêtions, tout au moins un instant, à considérer si ce que nous demandons nous convient et, dans le cas contraire, à ne pas le demander. Car nous sommes faits de telle sorte que si l’on ne nous donne pas ce que nous voulons - vu ce libre arbitre qui est le nôtre -, nous n’acceptons pas ce que le Seigneur veut nous donner, alors même que ce serait meilleur pour nous ; si nous ne voyons pas immédiatement l’argent dans notre main, jamais nous ne penserons que nous sommes riches.
3 O mon Dieu ! Notre foi est-elle endormie au point que nous ne puissions parvenir à comprendre combien est sur le châtiment et combien est sûre la récompense ? Voilà pourquoi, mes filles, il est bon que vous compreniez ce que vous demandez dans le Paternoster, afin que si le Père Éternel vous l’accorde, vous ne le lui refusiez pas de façon grossière ; et examinez soigneusement si ce que vous demandez vous est profitable. Si ce ne l’est pas, ne le demandez pas, mais priez Sa Majesté de vous donner la lumière parce que vous êtes aveugles, éprouvez de la répugnance pour les mets qui vous donneraient la vie, et préférez ceux qui vous mèneront à la mort. Et quelle mort redoutable que celle-là ! une mort éternelle !
CHAPITRE 52
Traite de ces paroles du Pater : “ Sanctificetur Nomen tuum, adveniat Regnum tuum ”. Commence à exposer ce qu’est l’oraison de quiétude.
1 Voici ce que dit le bon Jésus : “ que votre Nom soit sanctifié, que votre Règne arrive. ” Considérez maintenant, mes filles, si la sagesse de notre Époux est grande ! Je réfléchis ici à ce que nous demandons quand nous demandons ce royaume, car il est bon que nous nous en rendions compte. Sa Majesté, connaissant notre faiblesse, a vu que nous ne pouvions ni sanctifier, ni louer, ni célébrer, ni glorifier, ni exalter ce saint nom du Père Éternel comme il se devait, si Sa Majesté n’y pourvoyait en nous donnant dès ici-bas son royaume, c’est pourquoi le bon Jésus a placé ces deux demandes à côté l’une de l’autre. Et afin que vous compreniez, mes filles, ce que nous demandons, et combien il nous importe de le demander et de faire tout ce que nous pouvons pour contenter celui qui doit nous le donner, je vous dirai ici ma pensée. Si elle ne vous semble pas convenable, cherchez d’autres considérations ; Notre-Seigneur nous le permet, pourvu que nous nous soumettions en tout aux enseignements de l’Église (c’est ce que je fais toujours ; et même ce livre, je ne vous le donnerai à lire que lorsque des personnes qui s’entendent en la matière l’auront vu ; donc, s’il s’y trouve quelque erreur, la malice n’en sera pas la cause ; il s’agira d’une défaillance de ces connaissances).
2 Le grand bonheur qu’il y a dans le royaume du ciel, entre beaucoup d’autres, c’est de ne plus avoir à faire cas des choses de la terre ; on y trouve le repos, la gloire au-dedans de soi-même, on se réjouit de la joie de tous, on éprouve une paix perpétuelle, une immense satisfaction intérieure en voyant que tous sanctifient et louent le Seigneur, bénissent son nom et que nul ne l’offense ; tous l’aiment, et l’âme elle-même n’a d’autre occupation que de l’aimer, et elle ne peut cesser de l’aimer parce qu’elle le connaît. Et c’est ainsi que nous l’aimerions sur la terre, si nous le connaissions ; sans doute avec moins de perfection et de continuité, mais nous l’aimerions tout autrement que nous le faisons.
3 J’ai l’air de dire que nous devons être des anges pour adresser cette demande et prier vocalement. Notre divin Maître le voudrait bien, dès lors qu’il nous ordonne de présenter une si haute demande ; et, en vérité, il ne nous dit pas de demander des choses impossibles ; une âme encore en cet exil peut donc l’obtenir, avec la grâce de Dieu (sans doute, non avec la perfection des âmes qui sont déjà sorties de la prison du corps, car nous naviguons sur la mer et notre voyage continue toujours) ; mais il y a des moments où, nous voyant fatigués de la route, le Seigneur met nos puissances dans le repos et notre âme dans la quiétude ; il nous fait alors comprendre clairement, par certains signes, quelle est la nature des dons qu’il réserve il ceux qu’il introduit dans son royaume. Ceux dont il exauce ici-bas la demande reçoivent de tels gages d’amour qu’ils nourrissent la ferme espérance d’aller jouir toute l’éternité de ce qu’ils ne peuvent goûter ici-bas que rarement.
4 Si vous ne deviez m’accuser de traiter de la contemplation, cette demande du Pater me donnerait ici une belle occasion de vous parler un peu des commencements de la pure contemplation appelée par ceux qui en ont l’expérience : oraison de quiétude ; mais comme il est entendu que je parle de la prière vocale, ceux qui ne connaissent pas le sujet pourraient penser que les deux choses ne vont pas l’une avec l’autre ; or moi, je sais que c’est tout le contraire. Pardonnez-moi, mais je veux vous en parler ici parce que je connais nombre de personnes qui prient vocalement, et que Dieu élève à une haute contemplation sans qu’elles fassent quoi que ce soit pour cela, ni même sachent comment ; c’est pourquoi, mes filles, j’insiste tant pour que vous disiez parfaitement vos prières vocales. Je connais une religieuse qui n’a jamais pu pratiquer d’autre oraison que la vocale, et en s’y tenant fidèlement, elle avait tout ; mais si elle ne récitait pas, son esprit s’égarait tellement qu’elle en était torturée. Oh ! puissiez-vous toutes pratiquer l’oraison mentale comme elle pratiquait la vocale ! Pour réciter quelques Paternoster correspondant au nombre de mystères où Notre-Seigneur a répandu son sang - et quelque autre prière -, elle passait deux ou trois heures ; elle vint me voir tout affligée et me dit qu’elle ne savait pas faire oraison, ni ne pouvait s’adonner à la contemplation, qu’elle ne savait que réciter des prières vocales. Elle était âgée à l’époque, et avait mené une vie exemplaire et pieuse. Je lui demandai ce qu’elle récitait, et je compris, d’après sa réponse, que le Seigneur l’élevait à la grâce d’union alors qu’elle s’attachait à dire le Pater. C’est ainsi que je louai le Seigneur, et enviai sa prière vocale. Ne pensez donc pas, vous qui êtes ennemis des contemplatifs, que vous pourrez éviter de le devenir si vous récitez les prières vocales comme il faut, et gardez une conscience pure, Ainsi, je vais devoir aborder ce sujet. Que ceux qui ne veulent pas l’entendre passent plus loin.
CHAPITRE 53
Continue à traiter de l’oraison de quiétude. Chapitre très important.
1 Cette oraison de quiétude est celle où, selon moi, le Seigneur entreprend, je le répète, de nous montrer qu’il entend notre demande, et commence déjà à nous donner son royaume ici-bas pour que nous puissions véritablement louer son nom, et pour que nous essayions que les autres le louent. Et bien que je n’aie pas l’intention de m’étendre longuement sur ce point puisque, je le répète, j’ai écrit ailleurs à ce sujet, j’en parlerai néanmoins quelque peu.
2 C’est quelque chose de surnaturel et, quels que soient nos efforts, nous ne pouvons l’acquérir par nous-mêmes car, dans cet état, l’âme rentre dans la paix, ou plutôt : le Seigneur l’y met par sa présence, comme il fit pour le juste Siméon ; toutes les puissances sont dans le repos. L’âme comprend - d’une façon qui n’a rien à voir avec les sens extérieurs - qu’elle est déjà tout près de son Dieu et que, pour peu qu’elle s’en approchât encore un petit peu, elle ne ferait qu’un avec lui par la grâce de l’union. Ce n’est pas qu’elle le voie des yeux du corps ni de ceux de l’âme. Le juste Siméon, en regardant le glorieux Enfant, ne voyait qu’un petit pauvre ; à en juger par les langes qui l’enveloppaient et le nombre restreint de personnes formant la procession, il aurait pu le prendre pour un petit pèlerin, enfant de parents pauvres, plutôt que pour le Fils du Père Céleste ; mais l’Enfant lui-même lui fit connaître qui il était. C’est de cette manière qu’il se révèle à l’âme, bien que ce ne soit pas avec cette clarté, car elle ne comprend pas encore ; elle voit seulement qu’elle est dans le royaume (tout au moins près du roi qui doit le lui donner) et, semble-t-il, elle éprouve un tel respect qu’elle n’ose rien demander.
3 C’est comme un assoupissement intérieur et extérieur, de sorte que l’homme extérieur (c’est-à-dire “ le corps ”, car il pourrait se trouver quelque simplette qui ne sache pas ce que signifient “ intérieur ” et “ extérieur ”), ne voudrait pas bouger ; tout comme celui qui est arrivé au terme du voyage se repose et éprouve dans son corps une très grande délectation, et une paix profonde ; l’âme est si heureuse de seulement se voir près de la fontaine qu’avant même d’avoir bu elle est déjà rassasiée ; il semble qu’elle n’ait plus rien à désirer : les puissances sont totalement apaisées et ne voudraient pas se remuer ; toutefois, elles ne sont pas suspendues 261, car elles peuvent penser à celui auprès de qui elles se trouvent ; c’est une pensée paisible. Les personnes qui sont dans cet état voudraient que le corps ne bougeât pas, afin de n’être pas troublées ; elles pensent une chose, et non plusieurs ; elles ne parlent qu’avec peine ; elles vont passer une heure à dire un seul “ Notre Père ”. Dieu et l’âme sont si près l’un de l’autre qu’ils peuvent se comprendre par signes. Elles sont dans le palais, près du Roi ; elles sont dans son royaume car le Seigneur commence déjà à le leur donner ici-bas. Parfois des larmes viennent à leurs yeux, mais elles les versent sans peine et avec grande douceur ; tout leur désir est que soit sanctifié ce nom-là. Il semble qu’elles ne soient plus dans le monde, elles ne voudraient ni le voir ni l’entendre, et ne voir et n’entendre que leur Dieu. Rien ne leur fait de la peine, et rien, semble-t-il, ne peut leur en donner.
4 Quand j’ai parlé de l’oraison de quiétude, j’ai omis de dire ceci : il arrive souvent que l’âme soit dans une quiétude profonde, et l’entendement 264 si élevé, que ce qui se passe ne semble pas avoir lieu dans sa maison. Et, en vérité, c’est bien à mon avis ce qui arrive ; on dirait qu’il est l’hôte d’une maison étrangère et cherche d’autres demeures où rester. Celle-ci ne le contente pas parce que, pour ainsi dire, il ne sait pas se fixer (les autres personnes ne sont sans doute pas ainsi ; c’est de moi que je parle, et parfois je désire mourir parce que je ne peux remédier à ceci) ; d’autres fois, l’entendement semble s’installer dans sa maison et est avec la volonté ; si tous deux s’accordent : c’est divin. Il en est comme de deux époux ; s’ils sont heureux et s’aiment l’un l’autre, l’un veut ce que l’autre veut ; mais supposez que le mari soit peu traitable, et vous verrez l’inquiétude qu’il cause à sa femme. Ainsi, lorsque la volonté est dans cette quiétude (et faites très attention à ce conseil, il est important), elle ne doit pas plus faire cas de l’entendement que d’un fou, car si elle veut l’attirer à elle, il lui arrivera forcément d’être distraite et quelque peu inquiète. Or, à ce degré d’oraison, tout cela se soldera par de la fatigue et aucun gain pour l’âme : elle perdra ce que le Seigneur lui a donné sans aucune fatigue de sa part.
5 Remarquez bien cette comparaison que le Seigneur m’a suggérée quand j’étais dans cet état d’oraison, et qui est très appropriée. L’âme est comme un enfant qui tête encore, et sa mère, dans sa tendresse, fait couler le lait dans sa bouche sans qu’il ait besoin de remuer les lèvres. De même ici, sans effort de l’entendement, le Seigneur met tout dans l’âme, et il veut qu’elle comprenne qu’il est là, et qu’elle avale le lait qu’il lui donne sans cesser de réaliser qu’il le lui donne, et sans cesser d’aimer. Si elle veut entrer en lutte pour que l’entendement participe à son bonheur et le ramener à elle, elle ne pourra y parvenir ; elle laissera forcément tomber le lait de sa bouche, et perdra cette divine subsistance.
6 C’est en ceci et en d’autres choses que cette oraison est différente de celle où l’âme est unie à Dieu ; dans cette dernière, l’âme n’a pas même à avaler. Elle trouve la nourriture au-dedans d’elle-même sans comprendre comment le Seigneur l’y a mise. Dans l’oraison de quiétude, il semble que le Seigneur veuille encore que l’âme travaille un petit peu, mais ce travail s’effectue dans une telle paix que l’âme ne s’en rend pour ainsi dire pas compte. Quiconque a eu l’expérience de ce genre d’oraison comprendra clairement ce que je dis - s’il y apporte l’attention désirée - après avoir lu cela ; qu’il réfléchisse à son importance ; sinon, cela semble inintelligible. Quand l’âme, donc, est élevée à ce degré d’oraison, elle éprouve un contentement paisible et profond dans la volonté, un grand apaisement. (Elle ne saurait dire ce que c’est d’une manière précise, mais elle peut du moins affirmer qu’il est très différent des contentements d’ici-bas ; la possession du monde et de tous ses plaisirs ne saurait lui procurer cette satisfaction qu’elle trouve dans l’intime de sa volonté.) Ces plaisirs de la vie, me semble-t-il, n’atteignent que l’extérieur de la volonté : l’écorce, pour ainsi dire. Ce que je veux dire est ceci : une fois que l’âme est élevée à ce degré si haut d’oraison (qui, encore une fois, est évidemment surnaturel), si l’entendement se livre aux plus grandes extravagances du monde, moquez-vous de lui, regardez-le comme un insensé et restez dans votre quiétude ; il ira et viendra, mais la volonté est désormais souveraine et toute-puissante ; elle le ramènera sans que vous vous en préoccupiez le moins du monde. Mais si vous voulez le ramener par la force, vous perdrez le pouvoir que vous avez sur lui - pouvoir qui vous vient de la divine nourriture que vous venez de manger et de recevoir - et ni l’un ni l’autre n’y gagnerez rien ; qui trop embrasse mal étreint, dit-on. L’expérience vous le fera comprendre ; car il faut beaucoup d’expérience pour le comprendre sans avoir eu la moindre explication, et pour le faire et le comprendre après avoir été avertis par des lectures, il en faut peu.
7 Enfin, tant que durent la satisfaction et la jouissance expérimentées par l’âme, on peut affirmer à juste titre que nous sommes dans le royaume, et que le Père Éternel a entendu notre demande puisqu’il est venu à nous. O heureuse requête que celle où nous demandons un si grand bien sans le comprendre ! Heureuse manière de demander ! Voilà pourquoi je veux, mes soeurs, que nous considérions comment réciter cette céleste prière et ce que nous y demandons car, c’est clair, si Dieu nous accorde cette faveur, nous devons oublier les affaires du monde, même si cela ne nous plaît pas ; le Seigneur du monde, quand il arrive, met tout dehors. Je ne dis pas que tous ceux qui feront cette demande seront, par ce fait même, complètement détachés de tout, mais je voudrais qu’ils comprennent ce qui leur manque, qu’ils s’humilient, et qu’ils ne présentent pas une si grande requête comme s’ils ne demandaient rien, et si le Seigneur leur accorde ce qu’ils demandent, qu’ils ne le lui refusent pas.
8 Il y a de nombreuses personnes - et j’ai été l’une d’elles - à qui le Seigneur donne de tendres sentiments de dévotion et de saintes inspirations, qu’il éclaire sur la vraie valeur de toutes choses et à qui, enfin, il donne ce royaume en les mettant dans cette oraison de quiétude ; or, elles font les sourdes. Et il y a des âmes si passionnées de paroles et si désireuses de dire précipitamment de nombreuses prières vocales pour finir leur tâche, car elles s’imposent de les réciter chaque jour, que le Seigneur a beau mettre son royaume entre leurs mains, et leur donner cette oraison de quiétude et cette paix intime, elles ne le reçoivent pas ; elles s’imaginent qu’il est mieux de réciter des prières vocales et elles se laissent distraire.
9 N’agissez pas ainsi, mes soeurs, quand le Seigneur vous accordera cette grâce ; considérez que vous perdriez un grand trésor, et que vous faites beaucoup plus en disant de temps en temps une parole du Paternoster qu’en le récitant souvent à la hâte et sans penser à ce que vous dites. Celui que vous priez est tout près de vous ; il ne peut manquer de vous entendre. C’est ainsi, croyez-moi, que vous bénirez véritablement son nom et le sanctifierez car, comme membre de sa maison, vous glorifiez le Seigneur et le louez avec plus d’ardeur et de désir, et vous ne pourrez plus, semble-t-il, cesser de le servir. Ainsi, je vous conseille d’être très vigilantes sur ce point, parce que c’est très important.
CHAPITRE 54
Traite de ces paroles : “ Fiat voluntas tua, sicut in coelo et in terra. ” Combien il importe de prononcer ces paroles avec résolution.
1 Maintenant que notre bon Maître a demandé pour nous, et nous a enseigné à demander un bien d’une si haute valeur qu’il renferme tout ce que nous pouvons désirer ici-bas, et qu’il nous a fait l’immense faveur de nous appeler ses frères, voyons ce qu’il veut que nous donnions à son Père, ce qu’il lui offre pour nous, et ce qu’il demande ; n’est-il pas juste, en effet, que nous fassions quelque chose en retour de si grandes grâces ? O bon Jésus ! qui donnez si peu de notre part, comment pouvez-vous demander tant pour nous ? Sans compter qu’en soi, ce peu n’est que néant en comparaison de ce que nous devons à un si grand Roi ; mais il est certain, ô mon Seigneur, que vous ne nous laissez pas sans rien, et que nous donnons tout ce que nous pouvons si nous le donnons, je le répète, dans l’esprit des mots que nous prononçons :
2 “ Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. ” Vous avez bien fait, ô bon Maître et Seigneur, de présenter la demande précédente afin que nous soyons capables d’accomplir ce que vous promettez en notre nom ; autrement, Seigneur, il semble vraiment impossible que nous puissions l’accomplir. Mais puisque votre Père nous donne son royaume ici bas comme vous l’en suppliez, je sais que nous honorerons votre parole et donnerons ce que vous avez promis pour nous. La terre étant devenue le ciel, votre volonté pourra s’accomplir en moi. Sans cela, et en une terre aussi vile et stérile que la mienne, je ne sais, Seigneur, comment ce serait possible ; c’est une grande chose que vous offrez en notre nom ! C’est pour cela, mes filles, que je voudrais que vous le compreniez.
3 Quand je pense à cela, je ris des personnes qui disent qu’il n’est pas bien de demander des épreuves au Seigneur, parce que c’est une preuve de peu d’humilité. Et j’ai rencontré des âmes si pusillanimes qu’elles manquent de courage - même sans ce prétexte d’humilité - pour les lui demander, s’imaginant que Notre-Seigneur va les leur envoyer aussitôt. Je voudrais leur poser une question : quand elles supplient le Seigneur que Sa Majesté accomplisse en elles sa volonté, prononcent- elles ces paroles parce que tout le monde les prononce et sans avoir l’intention de conformer leurs actes à leurs paroles ? Voilà qui serait très mal, mes soeurs. Considérez que le bon Jésus se présente ici comme notre ambassadeur, qu’il a voulu s’interposer entre son Père et nous, et qu’il ne lui en a pas peu coûté ! ce ne serait donc pas juste que nous refusions de `donner ce qu’il promet ou offre en notre nom, ou bien alors, ne faisons pas cette demande.
4 Je veux maintenant vous l’exposer autrement. Considérez, mes soeurs (que vous le vouliez ou non) que cela se fera, que sa volonté s’accomplira au ciel et sur la terre ; croyez-moi, suivez mon conseil et faites de nécessité vertu. O mon Seigneur, quel immense réconfort pour moi que vous n’ayez pas laissé l’accomplissement de votre volonté à un vouloir aussi faible que le mien ! Soyez-en béni à jamais, et que toutes les choses chantent vos louanges ! que votre nom en soit glorifié éternellement ! Je serais dans une piètre situation, Seigneur, s’il avait dépendu de moi que votre volonté s’accomplisse ou non ! Maintenant je vous donne librement la mienne 273, bien qu’elle ne soit pas désintéressée, car une longue expérience m’a montré le gain que je retire à remettre librement ma volonté dans la vôtre. O mes filles, quel grand avantage il y a à cela ! ou bien : quelle grande perte, si nous n’accomplissons pas ce que nous disons au Seigneur dans le Paternoster et ne lui donnons pas ce que nous lui offrons !
5 Avant de vous parler de ce que vous y gagnerez, je peux vous faire remarquer la grandeur de ce que vous offrez, afin que vous ne puissiez pas dire qu’il y a eu méprise, et que vous n’avez pas bien compris. Ne faites pas comme certaines moniales qui se contentent de promettre ; comme elles ne tiennent pas leur parole, elles s’excusent en disant qu’au moment de leur profession, elles n’ont pas compris ce qu’elles promettaient. Je le crois aisément, car parler est facile, mais mettre en pratique est difficile, et si elles ont pensé que promettre et tenir n’étaient qu’une même chose, il est bien certain qu’elles n’ont pas su ce qu’elles faisaient. Faites bien comprendre ces choses à celles que vous recevrez ici à la profession, en les soumettant à de longues années de probation. Qu’elles ne s’imaginent pas que les paroles suffisent ; qu’elles sachent qu’il faut aussi des oeuvres.
6 Je veux donc que vous réalisiez à qui, comme on dit, vous avez affaire, et ce que le bon Jésus offre pour vous au Père, et ce que vous lui donnez quand vous dites que sa volonté s’accomplisse en vous, car c’est cela et rien d’autre que vous lui demandez. Ne craignez pas que sa volonté soit de vous donner des richesses, des plaisirs, de grands honneurs ou tout autre bien de cette terre ; il vous aime trop pour cela, il estime trop ce que vous lui donnez et il désire vous en récompenser puisque, même de votre vivant, comme on dit, il vous donne son royaume. Voulez-vous savoir comment il se comporte envers ceux qui lui demandent du fond du coeur d’accomplir en eux sa volonté ? Demandez-le à son glorieux Fils qui lui adressa cette prière au Jardin des oliviers. Comme elle fut dite avec vérité et un ardent désir d’être exaucée, voyez comment le Père a parfaitement accompli sa volonté dans le Fils en lui envoyant souffrances, douleurs, injures et persécutions ; enfin, jusqu’à le laisser mourir sur une croix.
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CHAPITRE 55
Comment les religieux ont l’obligation de mettre leurs paroles en pratique.
1 Vous voyez ici, mes filles, ce que Dieu a donné à celui qu’il aimait le plus ; vous comprendrez par là quelle est sa volonté, Considérez ce que vous faites ; veillez à ce que les paroles que vous adressez à un si grand Seigneur ne soient pas des paroles de pure politesse ; montrez-vous courageuses pour supporter ce qu’il plaira à Sa Majesté de vous envoyer, car si vous ne lui remettez pas entièrement votre volonté, vous ressemblerez à celui qui montre un bijou à quelqu’un et le prie de l’accepter, mais dès que ce dernier étend la main pour le prendre, le garde bel et bien.
2 Ce ne sont pas des moqueries à faire à celui qui en a déjà tant endurées pour nous. N’y aurait-il d’autre motif que celui-là, il suffirait pour que nous ne nous moquions pas de lui si souvent, car c’est très fréquemment que nous lui adressons cette demande dans le Paternoster. Donnons-lui donc une bonne fois pour toutes ce bijou que si souvent nous décidons de lui donner. Il est vrai qu’il ne nous le donne pas le premier. Oh, mon Dieu ! comme mon bon Jésus nous connaît ! Il n’a pas dit au début que nous remettions notre volonté au Seigneur ; il ne le dit que lorsque nous sommes bien payés de ce petit service, on verra par là le grand bénéfice que le Seigneur veut que nous gagnions en nous abandonnant à lui : dès cette vie même, il commence à nous en récompenser comme je vais maintenant le dire. Quand ceux qui vivent dans le monde sont sincèrement résolus de tenir leur promesse, c’est beaucoup. Pour vous, mes filles, vous devez dire et faire à la fois, parler et agir ; à la vérité, voilà, semble-t-il, ce que nous, religieux, devons faire. Parfois, cependant, nous mettons le bijou dans la main du Seigneur, puis nous le lui reprenons. Nous sommes si généreux au premier abord, et ensuite nous devenons si chiches, qu’il aurait presque mieux valu nous montrer moins empressés de donner.
3 Comme tous les conseils que je vous ai donnés dans ce livre n’ont qu’un but : celui de nous donner totalement au Créateur, de lui remettre notre volonté, de nous détacher des créatures, et comme vous en aurez compris la grande importance, je n’insiste pas davantage. Je veux seulement vous dire pourquoi notre bon Maître place ici ces paroles. Il sait qu’il n’y a pas de plus grand gain pour nous que de rendre ce service à son Père éternel, car par là nous nous disposons promptement à arriver au terme de notre voyage, et à boire l’eau vive de la source dont nous avons parlé. Si nous ne nous donnons pas complètement au Seigneur, et ne nous mettons pas entre ses mains pour qu’il prenne lui-même soin de tout qui nous concerne, jamais il ne nous laissera boire à cette source. Voilà en quoi consiste la contemplation parfaite dont vous m’avez priée de vous parler.
4 Ici, nous n’intervenons d’aucune façon, ni efforts, ni déploiement d’habileté, rien de plus n’est nécessaire, car tout ce que nous voudrions faire nous gênerait et nous empêcherait de dire : “ Fiat voluntas tua. ” Que votre volonté, Seigneur, s’accomplisse en moi de toutes les façons et de toutes les manières qu’il vous plaira, ô mon Seigneur ! Si vous voulez que ce soit au milieu des épreuves, donnez-moi la force de les supporter, et qu’elles viennent, si vous voulez que ce soit au milieu des persécutions, des maladies, des affronts et de l’indigence, me voici, je ne les refuserai pas, ô mon Père, et je n’ai pas le droit de les fuir. Dès lors que votre Fils vous a remis ma volonté en vous offrant celle de tous les hommes, je ne saurais, pour ma part, manquer d’honorer la promesse qu’il vous a faite en mon nom. Mais faites-moi la grâce de m’accorder votre royaume, afin que je puisse accomplir votre volonté - puisqu’il me l’a demandé - et disposez de moi à votre gré, comme d’une chose qui est vôtre.
5 O mes soeurs, quelle force il y a dans ce don ! S’il est fait avec la résolution voulue, il ne peut manquer d’attirer le Tout-Puissant à ne faire qu’un avec notre bassesse, à nous transformer en lui, et à unir le Créateur et la créature. Voyez comme vous serez bien payées et quel bon Maître vous avez ! Sachant comment on gagne la volonté de son Père, il nous enseigne de quelle manière et par quels moyens nous devons le servir.
Comment les religieux ont l’obligation de mettre leurs paroles en pratique.
1 Vous voyez ici, mes filles, ce que Dieu a donné à celui qu’il aimait le plus ; vous comprendrez par là quelle est sa volonté, Considérez ce que vous faites ; veillez à ce que les paroles que vous adressez à un si grand Seigneur ne soient pas des paroles de pure politesse ; montrez-vous courageuses pour supporter ce qu’il plaira à Sa Majesté de vous envoyer, car si vous ne lui remettez pas entièrement votre volonté, vous ressemblerez à celui qui montre un bijou à quelqu’un et le prie de l’accepter, mais dès que ce dernier étend la main pour le prendre, le garde bel et bien.
2 Ce ne sont pas des moqueries à faire à celui qui en a déjà tant endurées pour nous. N’y aurait-il d’autre motif que celui-là, il suffirait pour que nous ne nous moquions pas de lui si souvent, car c’est très fréquemment que nous lui adressons cette demande dans le Paternoster. Donnons-lui donc une bonne fois pour toutes ce bijou que si souvent nous décidons de lui donner. Il est vrai qu’il ne nous le donne pas le premier. Oh, mon Dieu ! comme mon bon Jésus nous connaît ! Il n’a pas dit au début que nous remettions notre volonté au Seigneur ; il ne le dit que lorsque nous sommes bien payés de ce petit service, on verra par là le grand bénéfice que le Seigneur veut que nous gagnions en nous abandonnant à lui : dès cette vie même, il commence à nous en récompenser comme je vais maintenant le dire. Quand ceux qui vivent dans le monde sont sincèrement résolus de tenir leur promesse, c’est beaucoup. Pour vous, mes filles, vous devez dire et faire à la fois, parler et agir ; à la vérité, voilà, semble-t-il, ce que nous, religieux, devons faire. Parfois, cependant, nous mettons le bijou dans la main du Seigneur, puis nous le lui reprenons. Nous sommes si généreux au premier abord, et ensuite nous devenons si chiches, qu’il aurait presque mieux valu nous montrer moins empressés de donner.
3 Comme tous les conseils que je vous ai donnés dans ce livre n’ont qu’un but : celui de nous donner totalement au Créateur, de lui remettre notre volonté, de nous détacher des créatures, et comme vous en aurez compris la grande importance, je n’insiste pas davantage. Je veux seulement vous dire pourquoi notre bon Maître place ici ces paroles. Il sait qu’il n’y a pas de plus grand gain pour nous que de rendre ce service à son Père éternel, car par là nous nous disposons promptement à arriver au terme de notre voyage, et à boire l’eau vive de la source dont nous avons parlé. Si nous ne nous donnons pas complètement au Seigneur, et ne nous mettons pas entre ses mains pour qu’il prenne lui-même soin de tout qui nous concerne, jamais il ne nous laissera boire à cette source. Voilà en quoi consiste la contemplation parfaite dont vous m’avez priée de vous parler.
4 Ici, nous n’intervenons d’aucune façon, ni efforts, ni déploiement d’habileté, rien de plus n’est nécessaire, car tout ce que nous voudrions faire nous gênerait et nous empêcherait de dire : “ Fiat voluntas tua. ” Que votre volonté, Seigneur, s’accomplisse en moi de toutes les façons et de toutes les manières qu’il vous plaira, ô mon Seigneur ! Si vous voulez que ce soit au milieu des épreuves, donnez-moi la force de les supporter, et qu’elles viennent, si vous voulez que ce soit au milieu des persécutions, des maladies, des affronts et de l’indigence, me voici, je ne les refuserai pas, ô mon Père, et je n’ai pas le droit de les fuir. Dès lors que votre Fils vous a remis ma volonté en vous offrant celle de tous les hommes, je ne saurais, pour ma part, manquer d’honorer la promesse qu’il vous a faite en mon nom. Mais faites-moi la grâce de m’accorder votre royaume, afin que je puisse accomplir votre volonté - puisqu’il me l’a demandé - et disposez de moi à votre gré, comme d’une chose qui est vôtre.
5 O mes soeurs, quelle force il y a dans ce don ! S’il est fait avec la résolution voulue, il ne peut manquer d’attirer le Tout-Puissant à ne faire qu’un avec notre bassesse, à nous transformer en lui, et à unir le Créateur et la créature. Voyez comme vous serez bien payées et quel bon Maître vous avez ! Sachant comment on gagne la volonté de son Père, il nous enseigne de quelle manière et par quels moyens nous devons le servir.
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CHAPITRE 56
Ce que donne le Seigneur une fois que nous lui avons remis notre volonté.
1 Plus notre âme est résolue, et plus nous prouvons par nos actes que les paroles que nous lui adressons ne sont pas des formules de pure politesse, plus le Seigneur nous approche de lui, et élève notre âme au-dessus de toutes les choses de ce monde et d’elle-même, afin de la rendre apte à recevoir de hautes faveurs divines ; puisqu’il ne cesse de la récompenser de ce don en cette vie. Il estime tant ce service que nous ne savons plus quoi demander, et Sa Majesté ne se lasse jamais de donner. Non content d’avoir fait de cette âme une même chose avec lui - puisqu’il l’a transmuée en sa propre substance - il commence à mettre en elle ses délices, à lui découvrir des secrets, à se réjouir de ce qu’elle comprend les richesses qu’elle a gagnées, et de ce qu’elle entrevoit quelque peu les biens qu’il lui réserve encore. Il lui fait perdre peu à peu l’usage de ses sens extérieurs afin que rien ne puisse la distraire. Cet état s’appelle le ravissement. Et il commence à montrer à l’âme tant d’amitié que non seulement il lui rend sa volonté, mais lui donne en même temps la sienne propre ; dès lors qu’il la traite avec tant d’intimité, le Seigneur aime à voir les deux volontés commander à tour de rôle, comme on dit, et il accomplit ce qu’elle lui demande, du moment qu’elle fait ce qu’il lui ordonne ; mais il le fait beaucoup mieux qu’elle, parce qu’il est tout-puissant, qu’il peut tout ce qu’il veut, et qu’il ne cesse de vouloir.
2 La pauvre âme a beau vouloir, elle est souvent incapable de réaliser ce qu’elle voudrait ; elle ne peut rien, à moins qu’on ne lui en donne le pouvoir ; elle est de plus en plus endettée, et comme elle voudrait payer une partie de ce qu’elle doit, elle ne cesse de se tourmenter en se voyant sujette aux inconvénients résultant de son emprisonnement dans le corps. Mais elle est bien sotte de se tourmenter ! Alors même qu’elle ferait tout ce qui dépend d’elle, que peut-elle payer puisqu’elle ne peut rien donner si elle n’a tout d’abord reçu ? Elle ne peut que se connaître elle-même, et accomplir parfaitement ce qui est en son pouvoir, c’est-à-dire : faire don de sa volonté. Étant donné que la nature de cette oraison, et ce que l’âme doit faire quand elle y est élevée a déjà - comme je l’ai dit - été mentionné ailleurs, et que j’ai longuement décrit ce que l’âme ressent dans cet état d’oraison, et la connaissance qu’elle a de l’oeuvre de Dieu en elle, je ne fais ici qu’effleurer ces choses sur l’oraison, à seule fin de vous montrer comment vous devez réciter cette prière du Paternoster.
3 Je vous donne un conseil 283 : ne pensez pas arriver à cet état par vos efforts ou votre habileté, ce serait vain ; au contraire, si vous aviez de la dévotion, vous tomberiez dans la froideur ; dites plutôt avec simplicité et humilité, car c’est l’humilité qui vient à bout de tout : “ Fiat voluntas tua. ”
CHAPITRE 57
Du grand besoin que nous avons de faire cette demande du “ panem nostrum ”.
1 Le bon Jésus, ai-je dit, comprenait combien il nous était difficile de faire ce qu’il promettait en notre nom ; il connaissait notre faiblesse, et savait que nous feignons souvent de ne pas comprendre quelle est la volonté du Seigneur. Comme il est si compatissant, en nous voyant si faibles, il voulut trouver un moyen de nous aider (car ne pas réaliser ce qu’il avait promis ne nous convenait nullement), puisque tout ce que nous gagnons vient de ce que nous donnons ; mais il reconnut que ce serait pour nous très difficile. Allez dire à un homme riche que la volonté de Dieu lui enjoint de limiter ses mets afin que ceux qui meurent de faim aient au moins du pain à manger, et il trouvera mille raisons pour ne pas l’entendre ainsi et agir à sa guise. Dites à un médisant que la volonté de Dieu est qu’il aime son prochain comme lui- même, et il ne pourra le supporter ; aucune raison ne saura le convaincre. Dites à un religieux - ou religieuse - habitué à la liberté et à ses aises, qu’il est tenu de donner le bon exemple et ne doit pas se contenter de répéter les paroles du Paternoster, qu’il a promis et juré de les accomplir, que la volonté de Dieu est qu’il observe ses voeux, et que s’il est un sujet de scandale il les enfreint (même s’il ne les viole pas entièrement), qu’il a fait voeu de pauvreté et doit le garder sans détour, que telle est la volonté du Seigneur ; dites tout cela et vous ne pourrez, aujourd’hui encore, les empêcher d’agir à leur gré. Que serait-ce, Seigneur, si vous ne nous aviez grandement aidés par le remède que vous nous avez donné ? Bien peu accompliraient la parole du Seigneur et répondraient à ce qu’il a offert au Père ! Et plaise à Sa Majesté que, même aujourd’hui, nous en ayons beaucoup ! Voyant donc combien nous avions besoin de lui, le Seigneur inventa un moyen admirable par lequel il nous montra l’excès de son amour, et en son nom et au nom de ses frères, il fit cette demande : “ Donnez-nous aujourd’hui, : Seigneur, notre pain de chaque jour. ”
Ce que donne le Seigneur une fois que nous lui avons remis notre volonté.
1 Plus notre âme est résolue, et plus nous prouvons par nos actes que les paroles que nous lui adressons ne sont pas des formules de pure politesse, plus le Seigneur nous approche de lui, et élève notre âme au-dessus de toutes les choses de ce monde et d’elle-même, afin de la rendre apte à recevoir de hautes faveurs divines ; puisqu’il ne cesse de la récompenser de ce don en cette vie. Il estime tant ce service que nous ne savons plus quoi demander, et Sa Majesté ne se lasse jamais de donner. Non content d’avoir fait de cette âme une même chose avec lui - puisqu’il l’a transmuée en sa propre substance - il commence à mettre en elle ses délices, à lui découvrir des secrets, à se réjouir de ce qu’elle comprend les richesses qu’elle a gagnées, et de ce qu’elle entrevoit quelque peu les biens qu’il lui réserve encore. Il lui fait perdre peu à peu l’usage de ses sens extérieurs afin que rien ne puisse la distraire. Cet état s’appelle le ravissement. Et il commence à montrer à l’âme tant d’amitié que non seulement il lui rend sa volonté, mais lui donne en même temps la sienne propre ; dès lors qu’il la traite avec tant d’intimité, le Seigneur aime à voir les deux volontés commander à tour de rôle, comme on dit, et il accomplit ce qu’elle lui demande, du moment qu’elle fait ce qu’il lui ordonne ; mais il le fait beaucoup mieux qu’elle, parce qu’il est tout-puissant, qu’il peut tout ce qu’il veut, et qu’il ne cesse de vouloir.
2 La pauvre âme a beau vouloir, elle est souvent incapable de réaliser ce qu’elle voudrait ; elle ne peut rien, à moins qu’on ne lui en donne le pouvoir ; elle est de plus en plus endettée, et comme elle voudrait payer une partie de ce qu’elle doit, elle ne cesse de se tourmenter en se voyant sujette aux inconvénients résultant de son emprisonnement dans le corps. Mais elle est bien sotte de se tourmenter ! Alors même qu’elle ferait tout ce qui dépend d’elle, que peut-elle payer puisqu’elle ne peut rien donner si elle n’a tout d’abord reçu ? Elle ne peut que se connaître elle-même, et accomplir parfaitement ce qui est en son pouvoir, c’est-à-dire : faire don de sa volonté. Étant donné que la nature de cette oraison, et ce que l’âme doit faire quand elle y est élevée a déjà - comme je l’ai dit - été mentionné ailleurs, et que j’ai longuement décrit ce que l’âme ressent dans cet état d’oraison, et la connaissance qu’elle a de l’oeuvre de Dieu en elle, je ne fais ici qu’effleurer ces choses sur l’oraison, à seule fin de vous montrer comment vous devez réciter cette prière du Paternoster.
3 Je vous donne un conseil 283 : ne pensez pas arriver à cet état par vos efforts ou votre habileté, ce serait vain ; au contraire, si vous aviez de la dévotion, vous tomberiez dans la froideur ; dites plutôt avec simplicité et humilité, car c’est l’humilité qui vient à bout de tout : “ Fiat voluntas tua. ”
CHAPITRE 57
Du grand besoin que nous avons de faire cette demande du “ panem nostrum ”.
1 Le bon Jésus, ai-je dit, comprenait combien il nous était difficile de faire ce qu’il promettait en notre nom ; il connaissait notre faiblesse, et savait que nous feignons souvent de ne pas comprendre quelle est la volonté du Seigneur. Comme il est si compatissant, en nous voyant si faibles, il voulut trouver un moyen de nous aider (car ne pas réaliser ce qu’il avait promis ne nous convenait nullement), puisque tout ce que nous gagnons vient de ce que nous donnons ; mais il reconnut que ce serait pour nous très difficile. Allez dire à un homme riche que la volonté de Dieu lui enjoint de limiter ses mets afin que ceux qui meurent de faim aient au moins du pain à manger, et il trouvera mille raisons pour ne pas l’entendre ainsi et agir à sa guise. Dites à un médisant que la volonté de Dieu est qu’il aime son prochain comme lui- même, et il ne pourra le supporter ; aucune raison ne saura le convaincre. Dites à un religieux - ou religieuse - habitué à la liberté et à ses aises, qu’il est tenu de donner le bon exemple et ne doit pas se contenter de répéter les paroles du Paternoster, qu’il a promis et juré de les accomplir, que la volonté de Dieu est qu’il observe ses voeux, et que s’il est un sujet de scandale il les enfreint (même s’il ne les viole pas entièrement), qu’il a fait voeu de pauvreté et doit le garder sans détour, que telle est la volonté du Seigneur ; dites tout cela et vous ne pourrez, aujourd’hui encore, les empêcher d’agir à leur gré. Que serait-ce, Seigneur, si vous ne nous aviez grandement aidés par le remède que vous nous avez donné ? Bien peu accompliraient la parole du Seigneur et répondraient à ce qu’il a offert au Père ! Et plaise à Sa Majesté que, même aujourd’hui, nous en ayons beaucoup ! Voyant donc combien nous avions besoin de lui, le Seigneur inventa un moyen admirable par lequel il nous montra l’excès de son amour, et en son nom et au nom de ses frères, il fit cette demande : “ Donnez-nous aujourd’hui, : Seigneur, notre pain de chaque jour. ”
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CHAPITRE 58
Expose tout ce que fit pour nous le Père Éternel en acceptant - que son fils restât avec nous dans le Très Saint Sacrement.
1 Pour l’amour de Dieu, mes soeurs, comprenez ce que demande le bon Jésus (ne passez pas à la légère sur cette requête, car il y va de notre vie) et n’attachez que peu d’importance à ce que vous avez donné, puisque vous devez tant recevoir. Il me semble maintenant, sauf meilleur avis, que le bon Jésus - voyant ce qu’il avait promis en notre nom, et combien il nous importait de le donner, et à quel point cela nous était difficile de par notre nature, notre penchant pour les choses superficielles et notre manque d’amour et de courage - comprit que pour réveiller notre amour nos yeux avaient besoin de voir le sien, et non une fois, mais tous les jours ; alors, il se détermina à rester parmi nous. Mais comme il s’agissait d’une chose si grave et si importante, il voulut qu’elle vînt de la main du Père Éternel. Sans doute, lui et son Père ne sont qu’un, et il savait que ce qu’il ferait sur la terre, son Père le ferait dans le ciel, et que sa volonté et celle de son Père n’étaient qu’une pour une si grande chose, mais l’humilité du bon Jésus 286 était telle qu’il voulut, pour ainsi dire, demander permission à son Père, car il savait qu’il était son Fils bien-aimé et que le Père avait mis en lui ses complaisances. Il comprit parfaitement que la supplique qu’il lui adressait dépassait toutes les demandes précédentes, puisqu’il voyait déjà quelle sorte de mort on allait lui infliger, ainsi que les opprobres et les affronts qu’il devait subir.
2 Quel père, Seigneur, nous ayant donné son fils, et un tel fils, pourrait, après l’avoir vu si outragé, consentir à le voir demeurer tous les jours au milieu de nous pour y souffrir encore ? Assurément, Seigneur, aucun si ce n’est le vôtre ; vous saviez bien à qui vous vous adressiez ! O mon Dieu, comme il est grand l’amour du Fils, et comme il est grand l’amour du Père ! Toutefois, je m’étonne moins du bon Jésus, car comme il avait dit : “ fiat voluntas tua ”, en Fils de Dieu il devait l’accomplir ! Certes ! il n’est pas comme nous ; il savait qu’il accomplissait la volonté de son Père en nous aimant comme lui-même, aussi chercha-t-il le moyen d’accomplir ce commandement le plus parfaitement possible et quoi qu’il puisse lui en coûter. Mais vous, Père Éternel, comment avez-vous consenti ? Pourquoi voulez vous voir chaque jour votre Fils livré à des mains aussi viles que les nôtres ? Vous nous l’avez envoyé une fois, vous l’avez permis, et vous avez vu en quel état nous l’avons mis. Comment votre tendresse peut-elle supporter de le voir chaque jour, oui, chaque jour en butte aux injures ? Et que d’outrages ne doit-on pas faire aujourd’hui à ce Très Saint Sacrement ? En combien de mains ennemies son Père ne doit-il pas le voir ? Que de profanations de la part de ces hérétiques !
CHAPITRE 59
Lance une exclamation au Père.
1 O Seigneur éternel ! comment acceptez-vous une telle demande, comment l’exaucez-vous ? Ne vous laissez pas influencer par son amour, car pour accomplir parfaitement votre volonté et contribuer à notre salut il se laisserait mettre en pièces jour après jour. C’est à vous, ô mon Seigneur, de veiller sur votre Fils puisque rien n’arrête son amour. Pourquoi faut-il que tout le bien que nous recevons nous soit accordé à ses dépens ? pourquoi garde-t-il le silence sur tout, et ne sait-il pas parler en sa faveur mais seulement en la nôtre ? N’y aura-t-il personne pour prendre la défense de ce très doux Agneau ? Donnez-moi la permission, Seigneur, de parler et de vous supplier en sa faveur, puisque vous avez accepté de le laisser en notre pouvoir, et qu’il vous a obéi si parfaitement et s’est donné à nous avec tant d’amour ; je constate aussi que cette requête est la seule où il répète les mêmes paroles ; il demande d’abord qu’on nous donne ce pain chaque jour, puis il ajoute : “ Donne-le nous aujourd’hui, Seigneur. ” Il vous place devant le fait qu’il est nôtre (ce qui revient à vous dire que vous ne pouvez, en droit, nous refuser cette grâce), et que vous ne devez pas nous le reprendre puisque vous nous l’avez donné une fois pour notre remède. Voyez donc, mes soeurs - et que cela attendrisse votre coeur et vous fasse aimer votre Époux : il n’y a pas un esclave qui avoue de bon coeur sa condition, et le bon Jésus, lui, paraît s’en glorifier.
2 O Père éternel, quel n’est pas le mérite d’une telle humilité ! avec quel trésor achetons-nous votre Fils ! Pour le vendre, nous connaissons le prix : trente deniers ! mais pour l’acheter, quel prix peut suffire ? En tant qu’il possède notre nature, le Seigneur se fait ici un avec nous, et en tant qu’il est maître de sa volonté, il rappelle à son Père que, puisqu’elle est à lui, il peut nous la donner ; ainsi s’appelle-t-il “ nôtre ”. Il ne fait pas de différence entre lui et nous, c’est nous qui la faisons en ne nous donnant pas chaque jour à lui.
Expose tout ce que fit pour nous le Père Éternel en acceptant - que son fils restât avec nous dans le Très Saint Sacrement.
1 Pour l’amour de Dieu, mes soeurs, comprenez ce que demande le bon Jésus (ne passez pas à la légère sur cette requête, car il y va de notre vie) et n’attachez que peu d’importance à ce que vous avez donné, puisque vous devez tant recevoir. Il me semble maintenant, sauf meilleur avis, que le bon Jésus - voyant ce qu’il avait promis en notre nom, et combien il nous importait de le donner, et à quel point cela nous était difficile de par notre nature, notre penchant pour les choses superficielles et notre manque d’amour et de courage - comprit que pour réveiller notre amour nos yeux avaient besoin de voir le sien, et non une fois, mais tous les jours ; alors, il se détermina à rester parmi nous. Mais comme il s’agissait d’une chose si grave et si importante, il voulut qu’elle vînt de la main du Père Éternel. Sans doute, lui et son Père ne sont qu’un, et il savait que ce qu’il ferait sur la terre, son Père le ferait dans le ciel, et que sa volonté et celle de son Père n’étaient qu’une pour une si grande chose, mais l’humilité du bon Jésus 286 était telle qu’il voulut, pour ainsi dire, demander permission à son Père, car il savait qu’il était son Fils bien-aimé et que le Père avait mis en lui ses complaisances. Il comprit parfaitement que la supplique qu’il lui adressait dépassait toutes les demandes précédentes, puisqu’il voyait déjà quelle sorte de mort on allait lui infliger, ainsi que les opprobres et les affronts qu’il devait subir.
2 Quel père, Seigneur, nous ayant donné son fils, et un tel fils, pourrait, après l’avoir vu si outragé, consentir à le voir demeurer tous les jours au milieu de nous pour y souffrir encore ? Assurément, Seigneur, aucun si ce n’est le vôtre ; vous saviez bien à qui vous vous adressiez ! O mon Dieu, comme il est grand l’amour du Fils, et comme il est grand l’amour du Père ! Toutefois, je m’étonne moins du bon Jésus, car comme il avait dit : “ fiat voluntas tua ”, en Fils de Dieu il devait l’accomplir ! Certes ! il n’est pas comme nous ; il savait qu’il accomplissait la volonté de son Père en nous aimant comme lui-même, aussi chercha-t-il le moyen d’accomplir ce commandement le plus parfaitement possible et quoi qu’il puisse lui en coûter. Mais vous, Père Éternel, comment avez-vous consenti ? Pourquoi voulez vous voir chaque jour votre Fils livré à des mains aussi viles que les nôtres ? Vous nous l’avez envoyé une fois, vous l’avez permis, et vous avez vu en quel état nous l’avons mis. Comment votre tendresse peut-elle supporter de le voir chaque jour, oui, chaque jour en butte aux injures ? Et que d’outrages ne doit-on pas faire aujourd’hui à ce Très Saint Sacrement ? En combien de mains ennemies son Père ne doit-il pas le voir ? Que de profanations de la part de ces hérétiques !
CHAPITRE 59
Lance une exclamation au Père.
1 O Seigneur éternel ! comment acceptez-vous une telle demande, comment l’exaucez-vous ? Ne vous laissez pas influencer par son amour, car pour accomplir parfaitement votre volonté et contribuer à notre salut il se laisserait mettre en pièces jour après jour. C’est à vous, ô mon Seigneur, de veiller sur votre Fils puisque rien n’arrête son amour. Pourquoi faut-il que tout le bien que nous recevons nous soit accordé à ses dépens ? pourquoi garde-t-il le silence sur tout, et ne sait-il pas parler en sa faveur mais seulement en la nôtre ? N’y aura-t-il personne pour prendre la défense de ce très doux Agneau ? Donnez-moi la permission, Seigneur, de parler et de vous supplier en sa faveur, puisque vous avez accepté de le laisser en notre pouvoir, et qu’il vous a obéi si parfaitement et s’est donné à nous avec tant d’amour ; je constate aussi que cette requête est la seule où il répète les mêmes paroles ; il demande d’abord qu’on nous donne ce pain chaque jour, puis il ajoute : “ Donne-le nous aujourd’hui, Seigneur. ” Il vous place devant le fait qu’il est nôtre (ce qui revient à vous dire que vous ne pouvez, en droit, nous refuser cette grâce), et que vous ne devez pas nous le reprendre puisque vous nous l’avez donné une fois pour notre remède. Voyez donc, mes soeurs - et que cela attendrisse votre coeur et vous fasse aimer votre Époux : il n’y a pas un esclave qui avoue de bon coeur sa condition, et le bon Jésus, lui, paraît s’en glorifier.
2 O Père éternel, quel n’est pas le mérite d’une telle humilité ! avec quel trésor achetons-nous votre Fils ! Pour le vendre, nous connaissons le prix : trente deniers ! mais pour l’acheter, quel prix peut suffire ? En tant qu’il possède notre nature, le Seigneur se fait ici un avec nous, et en tant qu’il est maître de sa volonté, il rappelle à son Père que, puisqu’elle est à lui, il peut nous la donner ; ainsi s’appelle-t-il “ nôtre ”. Il ne fait pas de différence entre lui et nous, c’est nous qui la faisons en ne nous donnant pas chaque jour à lui.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 60
Traite de ce mot : “ quotidianum ”.
1 Nous en sommes donc arrivées à la conclusion que le bon Jésus, étant nôtre, demande à son Père de nous le laisser chaque jour, ce qui veut dire, semble-t-il, “ pour toujours ”. En écrivant ceci, je me demande pourquoi, après avoir dit “ chaque jour ”, il ajoute encore “ aujourd’hui ”. Je vais vous conter les folles idées qui ont traversé mon esprit ; si elles le sont vraiment, qu’on les considère comme telles ! c’est déjà assez fou de ma part de me mêler de tout cela ; mais comme nous essayons de comprendre ce que nous demandons, examinons bien le sens de ce que nous disons afin - je le répète - que nous puissions prier comme il faut, et remercier celui qui prend tant de soin à nous enseigner. S’il dit être nôtre “ chaque jour ” c’est, me semble-t-il, non seulement parce que nous le possédons sur la terre - puisqu’il reste avec nous ici-bas et que nous le recevons - mais parce que nous le posséderons aussi au ciel si nous savons profiter de sa compagnie ; car s’il reste avec nous, c’est uniquement pour nous aider, nous encourager, nous soutenir afin que nous fassions cette divine volonté dont nous avons demandé en nous l’accomplissement.
2 Quand il dit “ aujourd’hui ”, il entend, ce me semble : un jour, c’est-à-dire la durée de cette vie. Car elle ne dure vraiment qu’un jour ! Quant à ces infortunés qui vont se damner, qui ne jouiront pas de lui dans l’autre vie, ce sont ses propres créatures, et il fait tout ce qu’il peut pour les aider, les encourager et rester avec eux pendant l’ ”aujourd’hui ” de cette vie ; s’ils se laissent vaincre, ce n’est pas de sa faute. Afin donc que le Père exauce sa requête, il lui rappelle que ce monde ne dure qu’un jour et, par suite, le prie de le lui laisser passer dans la servitude ; le Père nous a donné le Fils, il n’est donc pas possible que le Père nous prenne le Fils au moment où nous avons le plus besoin de lui ; car tous ces mauvais traitements qu’on lui inflige en s’approchant de lui indignement ne dureront qu’un jour ; que le Père considère l’obligation où le Fils se trouve de nous aider de toutes les façons possibles, puisqu’en notre nom il a offert au Père cette chose si grande qu’est l’abandon de notre volonté dans la sienne. Il ne fait cette nouvelle demande que pour “ aujourd’hui ” ; le Père nous a déjà donné ce pain très saint pour toujours, il est à nous ; il nous l’a donné sans que nous le lui demandions, et nous trouvons, semble-t-il, cette Subsistance, cette manne de l’humanité comme nous voulons ; s’il n’y a pas faute de notre part, nous ne mourrons pas de faim car, de quelque manière que l’âme veuille se nourrir, elle trouvera en lui joie, consolation et subsistance. Il n’y a pas de privations, d’épreuves ou de persécutions qui ne soient faciles à supporter si nous commençons à avoir part aux siennes, à les partager et à en faire le sujet de nos méditations. Quant à cet autre pain, celui qui soutient et nourrit notre corps, je me refuse à penser que le Seigneur s’en soit souvenu, et je voudrais que vous ne vous en souveniez pas non plus. Nous sommes ici à un très haut degré de contemplation, et celui qui l’a atteint n’a pas plus souvenance d’être dans le monde que s’il n’y était pas, à plus forte raison ne songe-t-il pas à manger. Comment penser que le Seigneur aurait pu tant insister pour demander - pour lui et pour nous - la nourriture corporelle ? Cela ne convient pas à ma manière de voir. Il nous apprend à mettre nos désirs dans les choses célestes, et à prier pour que nous commencions à en jouir dès cette terre ; comment aurait-il pu nous exhorter à nous mêler d’une chose aussi vile que celle de demander à manger ? Comme s’il ne nous connaissait pas, et ne savait pas qu’une fois que nous aurions commencé à nous soucier des besoins de notre corps, nous oublierions ceux de notre âme ! Car nous sommes des personnes de si faible envergure que nous nous contenterons de peu, et demanderons peu ! au contraire, plus on nous donnera de nourriture, et plus nous aurons l’impression que même l’eau va nous manquer.
3 Que ceux qui veulent plus que le nécessaire en cette vie demandent cela, mes filles ! Quant à vous, demandez au Père Éternel de vous laisser votre Époux aujourd’hui, et de n’en être pas privées aussi longtemps que vous vivrez. C’est assez qu’il reste caché sous les apparences du pain ; c’est un grand tourment pour qui n’a pas d’autre amour ni d’autre consolation que lui. Suppliez-le qu’il ne vous manque pas, et qu’il vous donne les dispositions voulues pour le recevoir dignement.
4 Quant à l’autre pain, ne vous en préoccupez pas, puisque vous êtes abandonnées complètement à la volonté de Dieu (je veux dire : quand vous êtes en oraison et vous occupez alors de choses plus importantes) ; il y a d’autres moments où la personne chargée de cette tâche veillera à ce que vous ayez de quoi manger (je veux dire qu’elle vous donnera ce qu’il y aura) ; ne craignez pas d’être dans le besoin si vous ne manquez pas à votre promesse, et si vous vous abandonnez à la volonté de Dieu. Je vous assure, mes filles, que si je devais maintenant manquer à ceci à cause de mon peu de vertu, comme je l’ai souvent fait dans le passé, je ne le supplierais pas de me donner ce pain ou quoi que ce soit d’autre à manger. Qu’il me laisse mourir de faim ! Pourquoi voudrais-je la vie si, en vivant, je dois gagner chaque jour davantage - la mort éternelle ?
Traite de ce mot : “ quotidianum ”.
1 Nous en sommes donc arrivées à la conclusion que le bon Jésus, étant nôtre, demande à son Père de nous le laisser chaque jour, ce qui veut dire, semble-t-il, “ pour toujours ”. En écrivant ceci, je me demande pourquoi, après avoir dit “ chaque jour ”, il ajoute encore “ aujourd’hui ”. Je vais vous conter les folles idées qui ont traversé mon esprit ; si elles le sont vraiment, qu’on les considère comme telles ! c’est déjà assez fou de ma part de me mêler de tout cela ; mais comme nous essayons de comprendre ce que nous demandons, examinons bien le sens de ce que nous disons afin - je le répète - que nous puissions prier comme il faut, et remercier celui qui prend tant de soin à nous enseigner. S’il dit être nôtre “ chaque jour ” c’est, me semble-t-il, non seulement parce que nous le possédons sur la terre - puisqu’il reste avec nous ici-bas et que nous le recevons - mais parce que nous le posséderons aussi au ciel si nous savons profiter de sa compagnie ; car s’il reste avec nous, c’est uniquement pour nous aider, nous encourager, nous soutenir afin que nous fassions cette divine volonté dont nous avons demandé en nous l’accomplissement.
2 Quand il dit “ aujourd’hui ”, il entend, ce me semble : un jour, c’est-à-dire la durée de cette vie. Car elle ne dure vraiment qu’un jour ! Quant à ces infortunés qui vont se damner, qui ne jouiront pas de lui dans l’autre vie, ce sont ses propres créatures, et il fait tout ce qu’il peut pour les aider, les encourager et rester avec eux pendant l’ ”aujourd’hui ” de cette vie ; s’ils se laissent vaincre, ce n’est pas de sa faute. Afin donc que le Père exauce sa requête, il lui rappelle que ce monde ne dure qu’un jour et, par suite, le prie de le lui laisser passer dans la servitude ; le Père nous a donné le Fils, il n’est donc pas possible que le Père nous prenne le Fils au moment où nous avons le plus besoin de lui ; car tous ces mauvais traitements qu’on lui inflige en s’approchant de lui indignement ne dureront qu’un jour ; que le Père considère l’obligation où le Fils se trouve de nous aider de toutes les façons possibles, puisqu’en notre nom il a offert au Père cette chose si grande qu’est l’abandon de notre volonté dans la sienne. Il ne fait cette nouvelle demande que pour “ aujourd’hui ” ; le Père nous a déjà donné ce pain très saint pour toujours, il est à nous ; il nous l’a donné sans que nous le lui demandions, et nous trouvons, semble-t-il, cette Subsistance, cette manne de l’humanité comme nous voulons ; s’il n’y a pas faute de notre part, nous ne mourrons pas de faim car, de quelque manière que l’âme veuille se nourrir, elle trouvera en lui joie, consolation et subsistance. Il n’y a pas de privations, d’épreuves ou de persécutions qui ne soient faciles à supporter si nous commençons à avoir part aux siennes, à les partager et à en faire le sujet de nos méditations. Quant à cet autre pain, celui qui soutient et nourrit notre corps, je me refuse à penser que le Seigneur s’en soit souvenu, et je voudrais que vous ne vous en souveniez pas non plus. Nous sommes ici à un très haut degré de contemplation, et celui qui l’a atteint n’a pas plus souvenance d’être dans le monde que s’il n’y était pas, à plus forte raison ne songe-t-il pas à manger. Comment penser que le Seigneur aurait pu tant insister pour demander - pour lui et pour nous - la nourriture corporelle ? Cela ne convient pas à ma manière de voir. Il nous apprend à mettre nos désirs dans les choses célestes, et à prier pour que nous commencions à en jouir dès cette terre ; comment aurait-il pu nous exhorter à nous mêler d’une chose aussi vile que celle de demander à manger ? Comme s’il ne nous connaissait pas, et ne savait pas qu’une fois que nous aurions commencé à nous soucier des besoins de notre corps, nous oublierions ceux de notre âme ! Car nous sommes des personnes de si faible envergure que nous nous contenterons de peu, et demanderons peu ! au contraire, plus on nous donnera de nourriture, et plus nous aurons l’impression que même l’eau va nous manquer.
3 Que ceux qui veulent plus que le nécessaire en cette vie demandent cela, mes filles ! Quant à vous, demandez au Père Éternel de vous laisser votre Époux aujourd’hui, et de n’en être pas privées aussi longtemps que vous vivrez. C’est assez qu’il reste caché sous les apparences du pain ; c’est un grand tourment pour qui n’a pas d’autre amour ni d’autre consolation que lui. Suppliez-le qu’il ne vous manque pas, et qu’il vous donne les dispositions voulues pour le recevoir dignement.
4 Quant à l’autre pain, ne vous en préoccupez pas, puisque vous êtes abandonnées complètement à la volonté de Dieu (je veux dire : quand vous êtes en oraison et vous occupez alors de choses plus importantes) ; il y a d’autres moments où la personne chargée de cette tâche veillera à ce que vous ayez de quoi manger (je veux dire qu’elle vous donnera ce qu’il y aura) ; ne craignez pas d’être dans le besoin si vous ne manquez pas à votre promesse, et si vous vous abandonnez à la volonté de Dieu. Je vous assure, mes filles, que si je devais maintenant manquer à ceci à cause de mon peu de vertu, comme je l’ai souvent fait dans le passé, je ne le supplierais pas de me donner ce pain ou quoi que ce soit d’autre à manger. Qu’il me laisse mourir de faim ! Pourquoi voudrais-je la vie si, en vivant, je dois gagner chaque jour davantage - la mort éternelle ?
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 61
Suite du même sujet. L’auteur fait une comparaison. Chapitre très profitable après avoir reçu la Très Sainte Communion.
1 Donc, si, comme vous le dites, vous vous donnez véritablement à Dieu, ne vous inquiétez pas au sujet de votre subsistance ; c’est lui qui s’en inquiète, et il s’en inquiétera toujours. Vous êtes comme un serviteur qui entre au service d’un maître : le serviteur veille à le contenter en tout ; mais le maître doit lui donner à manger tant qu’il l’aura à son service dans sa maison ; à moins qu’il ne soit tellement pauvre qu’il n’ait rien, ni pour lui-même ni pour son serviteur. Ici ma comparaison cesse d’être vraie, car notre Maître est et sera toujours tout-puissant. Ne serait-il donc pas mal venu que le serviteur aille demander chaque jour de quoi manger, quand il sait que son maître veille à ce qu’on lui donne le nécessaire et y veillera toujours ? Ce serait parler pour ne rien dire, et le maître ne manquerait pas de lui signifier de prendre soin de le servir au lieu de s’occuper du reste car, en dehors de sa tâche, il ne fait rien de bien.
2 Ainsi donc, mes soeurs, demande qui voudra de ce pain matériel ; quant à nous, demandons celui qui nous importe, et supplions le Père de nous donner sa grâce, pour que nous puissions recevoir un si grand don et une si céleste nourriture avec des dispositions telles qu’il se dévoile aux yeux de l’âme (les yeux du corps ne pouvant se délecter à le regarder puisqu’il est caché), et se manifeste à elle ; c’est là une tout autre nourriture, pleine de joies et de délices. Quant au pain matériel qui soutient notre existence, nous en arriverons à le désirer et à le demander plus souvent que nous ne le voudrions, même sans nous en apercevoir. Nul besoin qu’on nous y fasse penser car, je le répète, notre fâcheux penchant pour les choses ordinaires nous en fera souvenir plus souvent que nous ne le voudrions ; mais délibérément, ne nous soucions de rien, si ce n’est de supplier le Seigneur de nous accorder ce dont je vous ai parlé car, si nous l’avons, nous aurons tout.
3 Pensez-vous que ce Très Saint Sacrement ne soit pas aussi un très bon aliment pour le corps, et une puissante médecine même pour les maux physiques ? Pour moi, j’en suis sûre ; et je connais une personne affligée de graves maladies qui, éprouvant très souvent de vives douleurs, pouvait constater qu’on les lui enlevait comme avec la main, et se trouvait ensuite complètement guérie. Cela lui arrivait souvent, et pourtant il s’agissait de maladies évidentes et qui ne pouvaient être simulées ; quant aux nombreux autres effets produits dans cette âme, il est inutile de les mentionner - je suis bien placée pour les connaître, et je sais que cette personne ne ment pas ; sa piété était si grande et sa foi si vive que, quand elle entendait certaines personnes dire, lors de la célébration de la fête d’un saint, qu’elles auraient voulu vivre au temps où le Christ était en ce monde, elle riait en elle-même et se disait : puisque nous le possédons dans le Très Saint Sacrement d’une façon si réelle, que veulent-elles de plus ?
4 Je sais aussi que durant plusieurs années cette personne, qui n’était pourtant pas très parfaite, voyait aussi clairement que si elle l’avait vu avec les yeux du corps, le Christ entrer dans l’hôtellerie de son âme ; sa foi la poussait à croire que c’était la même chose, et qu’elle le possédait dans sa maison, pourtant bien pauvre ; elle se détachait alors de toutes les choses extérieures, et se mettait dans un coin en essayant de recueillir ses sens pour être seule avec son Seigneur ; elle se considérait à ses pieds 300, et restait là - même si elle ne sentait pas de dévotion - à parler avec lui.
5 Car, à moins de vouloir être insensés et aveugles, si nous avons la foi, il est bien évident qu’il est en nous ; alors, pourquoi (comme il a déjà été dit) irions-nous le chercher plus loin ? Nous le savons, tant que la chaleur naturelle n’a pas consumé les accidents du pain, le bon Jésus est avec nous. Lorsqu’il était dans ce monde, le simple contact de ses vêtements guérissait les malades ; comment douter alors, si j’ai la foi, qu’il ne fasse des miracles quand il est en moi si intimement, et qu’il ne me donne tout ce que je lui demanderai ? n’est-il pas dans ma maison ?
6 Si vous êtes affligées de ne pas le voir avec les yeux du corps, dites-vous que cela nous convient, car une chose est de le voir tel qu’il est dans la gloire, autre chose de le voir tel qu’il était en ce monde. Notre nature est si faible que personne ne pourrait soutenir la vue de sa gloire, le monde cesserait d’exister et personne ne voudrait plus demeurer ; car, en face de cette Vérité éternelle, nous comprendrions que toutes les choses dont nous faisons cas ici-bas ne sont que mensonges.
7 Ne craignez pas, même si vous ne le voyez pas avec les yeux du corps, qu’il soit caché pour ses amis ; restez avec lui de bon coeur ; souvenez-vous que c’est une heure très bénéfique pour l’âme, et dont - puisque vous lui tenez compagnie - le bon Jésus tire grand profit ; faites très attention, mes filles, de ne pas la perdre. Si l’obéissance vous commande autre chose, essayez de laisser votre âme avec le Seigneur. Il est votre Maître et il ne manquera pas de vous instruire, même si vous ne vous en apercevez pas. Mais si vous portez votre pensée ailleurs et ne vous souciez pas plus de sa présence en vous que si vous ne l’aviez pas accueilli, ne vous plaignez pas de lui, mais de vous. Je ne vous dis pas de ne réciter aucune prière, car si je vous le disais vous me prendriez au mot et diriez que je parle de contemplation, alors que vous ne pouvez la pratiquer que si le Seigneur vous y amène ; non, je vous dis que si vous récitez le Paternoster, vous devez réaliser que vous êtes vraiment et effectivement avec celui qui vous l’a enseigné, lui baiser les pieds, lui demander de vous aider à prier, et le supplier de ne pas s’éloigner de vous.
8 Si vous devez faire cette requête en portant vos yeux vers une image du Christ devant laquelle vous vous trouvez, ne voyez vous pas qu’il serait insensé, à un pareil moment, de laisser l’image vivante et la personne elle-même pour regarder le portrait ? Ne serait-ce pas déraison si, ayant le portrait d’une personne que nous aimons beaucoup, et recevant la visite de cette même personne, nous négligions de lui parler et conversions avec le portrait ? Savez-vous à quel moment recourir à un tableau est une bonne sainte chose, et quand cela est pour moi une source de joie ? quand la personne elle-même est absente, car c’est alors un grand réconfort de regarder une image de Notre-Dame ou d’un saint pour qui nous éprouvons de la dévotion - et mille fois plus encore s’il s’agit d’une image du Christ ; c’est une chose qui éveille l’amour, et de quelque côté que je tourne les yeux je voudrais la voir. Que pourrions- nous offrir de meilleur et de plus attrayant à notre regard ? Infortunés hérétiques qui, entre autres choses, manquent de cette consolation et de ce bienfait !
9 Mais lorsque vous venez de recevoir le Seigneur et avez en vous la personne elle-même, essayez de fermer les yeux du corps, d’ouvrir ceux de l’âme et de regarder dans votre coeur. Je vous le dis - et vous le répète et vous le répéterai encore et encore -, si vous prenez cette habitude de rester avec lui (pas une ou deux fois mais toutes les fois que vous communierez), et vous efforcez de garder une pureté de conscience telle qu’il vous soit permis de jouir souvent de ce bonheur, il ne se dissimulera pas tellement qu’il ne se manifeste à vous de bien des manières, dans la mesure où vous désirez le voir ; votre désir peut même être si grand, qu’il se manifestera complètement à vous.
10 Mais si, quand vous le recevez, vous ne faites aucun cas de lui alors qu’il est si près de vous, et allez le chercher ailleurs ou courez après de vils objets, que voulez-vous qu’il fasse ? Doit-il vous forcer à le regarder et à rester avec lui parce qu’il veut se faire connaître à vous ? Certes pas ! on ne le traita pas bien lorsqu’il se montra à tous découvert et dit clairement qui il était ; qu’il fut petit le nombre de ceux qui crurent en lui ! Il nous fait donc à tous une très grande miséricorde en voulant que nous sachions que c’est lui qui est dans le Très Saint Sacrement. Quant à se montrer à découvert, à communiquer ses magnificences, à faire part de ses trésors, c’est une faveur réservée à ceux dont il connaît l’ardeur des désirs ; ceux-là sont ses véritables amis. Je vous le dis, celui qui l’offense et ne fait pas tout ce qui dépend de lui pour le recevoir, ne doit jamais l’importuner pour qu’il se révèle à lui. A peine a-t-il accompli ce que l’Église prescrit, qu’il court chez lui et le chasse de sa maison de sorte que, s’il rentre en lui-même, ce sera pour penser maintes choses vaines en sa présence.
Suite du même sujet. L’auteur fait une comparaison. Chapitre très profitable après avoir reçu la Très Sainte Communion.
1 Donc, si, comme vous le dites, vous vous donnez véritablement à Dieu, ne vous inquiétez pas au sujet de votre subsistance ; c’est lui qui s’en inquiète, et il s’en inquiétera toujours. Vous êtes comme un serviteur qui entre au service d’un maître : le serviteur veille à le contenter en tout ; mais le maître doit lui donner à manger tant qu’il l’aura à son service dans sa maison ; à moins qu’il ne soit tellement pauvre qu’il n’ait rien, ni pour lui-même ni pour son serviteur. Ici ma comparaison cesse d’être vraie, car notre Maître est et sera toujours tout-puissant. Ne serait-il donc pas mal venu que le serviteur aille demander chaque jour de quoi manger, quand il sait que son maître veille à ce qu’on lui donne le nécessaire et y veillera toujours ? Ce serait parler pour ne rien dire, et le maître ne manquerait pas de lui signifier de prendre soin de le servir au lieu de s’occuper du reste car, en dehors de sa tâche, il ne fait rien de bien.
2 Ainsi donc, mes soeurs, demande qui voudra de ce pain matériel ; quant à nous, demandons celui qui nous importe, et supplions le Père de nous donner sa grâce, pour que nous puissions recevoir un si grand don et une si céleste nourriture avec des dispositions telles qu’il se dévoile aux yeux de l’âme (les yeux du corps ne pouvant se délecter à le regarder puisqu’il est caché), et se manifeste à elle ; c’est là une tout autre nourriture, pleine de joies et de délices. Quant au pain matériel qui soutient notre existence, nous en arriverons à le désirer et à le demander plus souvent que nous ne le voudrions, même sans nous en apercevoir. Nul besoin qu’on nous y fasse penser car, je le répète, notre fâcheux penchant pour les choses ordinaires nous en fera souvenir plus souvent que nous ne le voudrions ; mais délibérément, ne nous soucions de rien, si ce n’est de supplier le Seigneur de nous accorder ce dont je vous ai parlé car, si nous l’avons, nous aurons tout.
3 Pensez-vous que ce Très Saint Sacrement ne soit pas aussi un très bon aliment pour le corps, et une puissante médecine même pour les maux physiques ? Pour moi, j’en suis sûre ; et je connais une personne affligée de graves maladies qui, éprouvant très souvent de vives douleurs, pouvait constater qu’on les lui enlevait comme avec la main, et se trouvait ensuite complètement guérie. Cela lui arrivait souvent, et pourtant il s’agissait de maladies évidentes et qui ne pouvaient être simulées ; quant aux nombreux autres effets produits dans cette âme, il est inutile de les mentionner - je suis bien placée pour les connaître, et je sais que cette personne ne ment pas ; sa piété était si grande et sa foi si vive que, quand elle entendait certaines personnes dire, lors de la célébration de la fête d’un saint, qu’elles auraient voulu vivre au temps où le Christ était en ce monde, elle riait en elle-même et se disait : puisque nous le possédons dans le Très Saint Sacrement d’une façon si réelle, que veulent-elles de plus ?
4 Je sais aussi que durant plusieurs années cette personne, qui n’était pourtant pas très parfaite, voyait aussi clairement que si elle l’avait vu avec les yeux du corps, le Christ entrer dans l’hôtellerie de son âme ; sa foi la poussait à croire que c’était la même chose, et qu’elle le possédait dans sa maison, pourtant bien pauvre ; elle se détachait alors de toutes les choses extérieures, et se mettait dans un coin en essayant de recueillir ses sens pour être seule avec son Seigneur ; elle se considérait à ses pieds 300, et restait là - même si elle ne sentait pas de dévotion - à parler avec lui.
5 Car, à moins de vouloir être insensés et aveugles, si nous avons la foi, il est bien évident qu’il est en nous ; alors, pourquoi (comme il a déjà été dit) irions-nous le chercher plus loin ? Nous le savons, tant que la chaleur naturelle n’a pas consumé les accidents du pain, le bon Jésus est avec nous. Lorsqu’il était dans ce monde, le simple contact de ses vêtements guérissait les malades ; comment douter alors, si j’ai la foi, qu’il ne fasse des miracles quand il est en moi si intimement, et qu’il ne me donne tout ce que je lui demanderai ? n’est-il pas dans ma maison ?
6 Si vous êtes affligées de ne pas le voir avec les yeux du corps, dites-vous que cela nous convient, car une chose est de le voir tel qu’il est dans la gloire, autre chose de le voir tel qu’il était en ce monde. Notre nature est si faible que personne ne pourrait soutenir la vue de sa gloire, le monde cesserait d’exister et personne ne voudrait plus demeurer ; car, en face de cette Vérité éternelle, nous comprendrions que toutes les choses dont nous faisons cas ici-bas ne sont que mensonges.
7 Ne craignez pas, même si vous ne le voyez pas avec les yeux du corps, qu’il soit caché pour ses amis ; restez avec lui de bon coeur ; souvenez-vous que c’est une heure très bénéfique pour l’âme, et dont - puisque vous lui tenez compagnie - le bon Jésus tire grand profit ; faites très attention, mes filles, de ne pas la perdre. Si l’obéissance vous commande autre chose, essayez de laisser votre âme avec le Seigneur. Il est votre Maître et il ne manquera pas de vous instruire, même si vous ne vous en apercevez pas. Mais si vous portez votre pensée ailleurs et ne vous souciez pas plus de sa présence en vous que si vous ne l’aviez pas accueilli, ne vous plaignez pas de lui, mais de vous. Je ne vous dis pas de ne réciter aucune prière, car si je vous le disais vous me prendriez au mot et diriez que je parle de contemplation, alors que vous ne pouvez la pratiquer que si le Seigneur vous y amène ; non, je vous dis que si vous récitez le Paternoster, vous devez réaliser que vous êtes vraiment et effectivement avec celui qui vous l’a enseigné, lui baiser les pieds, lui demander de vous aider à prier, et le supplier de ne pas s’éloigner de vous.
8 Si vous devez faire cette requête en portant vos yeux vers une image du Christ devant laquelle vous vous trouvez, ne voyez vous pas qu’il serait insensé, à un pareil moment, de laisser l’image vivante et la personne elle-même pour regarder le portrait ? Ne serait-ce pas déraison si, ayant le portrait d’une personne que nous aimons beaucoup, et recevant la visite de cette même personne, nous négligions de lui parler et conversions avec le portrait ? Savez-vous à quel moment recourir à un tableau est une bonne sainte chose, et quand cela est pour moi une source de joie ? quand la personne elle-même est absente, car c’est alors un grand réconfort de regarder une image de Notre-Dame ou d’un saint pour qui nous éprouvons de la dévotion - et mille fois plus encore s’il s’agit d’une image du Christ ; c’est une chose qui éveille l’amour, et de quelque côté que je tourne les yeux je voudrais la voir. Que pourrions- nous offrir de meilleur et de plus attrayant à notre regard ? Infortunés hérétiques qui, entre autres choses, manquent de cette consolation et de ce bienfait !
9 Mais lorsque vous venez de recevoir le Seigneur et avez en vous la personne elle-même, essayez de fermer les yeux du corps, d’ouvrir ceux de l’âme et de regarder dans votre coeur. Je vous le dis - et vous le répète et vous le répéterai encore et encore -, si vous prenez cette habitude de rester avec lui (pas une ou deux fois mais toutes les fois que vous communierez), et vous efforcez de garder une pureté de conscience telle qu’il vous soit permis de jouir souvent de ce bonheur, il ne se dissimulera pas tellement qu’il ne se manifeste à vous de bien des manières, dans la mesure où vous désirez le voir ; votre désir peut même être si grand, qu’il se manifestera complètement à vous.
10 Mais si, quand vous le recevez, vous ne faites aucun cas de lui alors qu’il est si près de vous, et allez le chercher ailleurs ou courez après de vils objets, que voulez-vous qu’il fasse ? Doit-il vous forcer à le regarder et à rester avec lui parce qu’il veut se faire connaître à vous ? Certes pas ! on ne le traita pas bien lorsqu’il se montra à tous découvert et dit clairement qui il était ; qu’il fut petit le nombre de ceux qui crurent en lui ! Il nous fait donc à tous une très grande miséricorde en voulant que nous sachions que c’est lui qui est dans le Très Saint Sacrement. Quant à se montrer à découvert, à communiquer ses magnificences, à faire part de ses trésors, c’est une faveur réservée à ceux dont il connaît l’ardeur des désirs ; ceux-là sont ses véritables amis. Je vous le dis, celui qui l’offense et ne fait pas tout ce qui dépend de lui pour le recevoir, ne doit jamais l’importuner pour qu’il se révèle à lui. A peine a-t-il accompli ce que l’Église prescrit, qu’il court chez lui et le chasse de sa maison de sorte que, s’il rentre en lui-même, ce sera pour penser maintes choses vaines en sa présence.
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CHAPITRE 62
Du recueillement qu’il faut avoir après avoir communié.
1 Je me suis beaucoup étendue sur ce point - et pourtant j’en avais déjà parlé longuement à propos de l’oraison de recueillement - parce qu’il est extrêmement important que nous nous retirions en nous- mêmes pour y être seules avec Dieu ; et lorsque vous entendrez la messe sans communier, communiez spirituellement, et c’est d’un très grand profit, et faites la même chose. Vous imprimerez alors en vous un amour profond pour ce Seigneur, car si nous nous disposons à le recevoir, il ne manque jamais de se donner, et il donne de mille façons qui échappent à notre entendement. C’est comme si nous nous approchions du feu ; il a beau être très ardent, si vous cachez vos mains, vous ne vous réchaufferez guère : vous continuerez à avoir froid ; et pourtant, c’est encore mieux que de ne pas voir le feu du tout, car si vous en êtes près, vous finissez par sentir la chaleur. Mais vouloir vous approcher du Seigneur est une chose toute différente, car si l’âme est bien disposée, la moindre étincelle qui se détachera l’embrasera tout entière. Et il nous importe tant, mes filles, de nous y préparer, que vous ne devez pas vous étonner si je vous le répète si souvent.
2 Et si au début il ne se révèle pas à vous, si vous ne vous trouvez pas bien de cette pratique (vraisemblablement le démon, sachant quel dommage en résulte pour lui, emplira votre coeur de crainte et vous donnera des angoisses), et si vous sentez plus de dévotion envers d’autres méthodes et en éprouvez moins pour celle-ci, ne l’abandonnez pourtant pas ; elle servira au Seigneur pour éprouver l’amour que vous avez pour lui. Souvenez-vous qu’il y a peu d’âmes qui l’accompagnent et le suivent dans les épreuves, souffrez quelque chose pour lui, Sa Majesté vous le rendra ; songez aussi au nombre de personnes qui, non seulement ne veulent pas rester avec lui, mais le chassent de leur demeure tout à fait irrévérencieusement et grossièrement. Nous devons donc souffrir quelque chose pour lui montrer que nous avons le désir de le voir. Et puisqu’en de nombreux endroits on le laisse seul, on lui inflige de mauvais traitements, puisqu’il supporte tout, est prêt à tout supporter pour trouver une seule âme qui le reçoive avec amour et lui tienne compagnie, soyez cette âme-là !
S’il n’y en avait aucune, le Père Éternel aurait raison de ne pas lui permettre de rester parmi nous ; mais il est un si bon Ami pour ses amis et un si bon Maître pour ses serviteurs que, voyant la volonté de son Fils bien-aimé, il ne veut pas entraver une oeuvre si excellente - où brille si parfaitement l’amour du Fils pour le Père - et réalisée dans l’admirable invention qu’il a découverte pour nous montrer combien il nous aime, et pour nous aider à supporter nos épreuves.
3 Eh bien, ô Père saint qui êtes dans les cieux, puisque vous le voulez et que vous l’acceptez - il était clair que vous ne pouviez pas refuser une chose qui nous était si profitable - il faut que quelqu’un, comme je l’ai dit au début, parle en faveur de votre Fils car, quant à Lui, il n’a jamais su se défendre. Ainsi donc, mes filles, je vous supplie de m’aider et de vous adresser avec moi et en son nom, à notre Père saint : “ Votre Fils a déployé pour nous toutes les ressources de l’Amour en nous accordant, à nous pécheurs, un si grand bienfait ; que Votre Majesté accepte de faire en sorte qu’il ne soit pas maltraité à ce point ; et puisque votre saint Fils nous a fourni un moyen si excellent de s’offrir pour nous très souvent en sacrifice, qu’un don si précieux arrête le cours des maux et des outrages terribles commis aux endroits où se trouve le Très Saint Sacrement. ” Ne dirait-on pas en effet qu’ils veulent à nouveau le jeter hors du monde ? Ils l’enlèvent des temples, causent la perte d’innombrables prêtres, profanent maintes et maintes églises ; et ceci arrive même parmi les chrétiens qui, parfois, vont plus à l’Église pour l’offenser que pour l’adorer.
4 Qu’est-ce cela, Seigneur ? Ou mettez fin au monde, ou remédiez à de si grands maux, car il n’y a pas de coeur qui puisse le supporter, pas même celui de personnes aussi misérables que nous. Je vous en supplie, Père Éternel, ne le supportez pas plus longtemps vous- même ; arrêtez ce feu, Seigneur. Considérez que votre Fils est encore en ce monde ; par respect pour lui, que cessent des choses si horribles et si abominables, car sa beauté et sa pureté ne méritent pas qu’il demeure là où il y a tant de mauvaises odeurs. Faites-le, Seigneur, non pour nous qui ne le méritons pas, mais pour votre Fils. Nous n’osons pas vous demander de ne pas le laisser ici-bas, puisqu’il a obtenu de vous que vous le laissiez “ aujourd’hui ”, c’est-à-dire jusqu’à la fin du monde et que toute chose cesserait d’exister s’il n’était plus parmi nous ; car si quelque chose peut apaiser votre colère, c’est de voir ici-bas un gage si précieux. Mais, Seigneur, il doit y avoir un remède à tant de maux ; que Votre Majesté l’applique ! Si vous le voulez, vous pouvez.
5 O Seigneur, que ne puis-je vous importuner à l’extrême, et que ne vous ai-je au moins un peu servi, pour avoir le droit de vous demander une si grande faveur pour prix de mes services, puisque vous n’en laissez aucun sans récompense ! Mais je n’ai rien fait pour vous, Seigneur ; au contraire, c’est peut-être moi qui vous ai courroucé de telle sorte que mes péchés ont attiré tant de maux. Alors, que puis-je faire, Seigneur, si ce n’est vous présenter ce pain béni ? bien que ce soit vous qui nous l’ayez donné, je ne puis que vous le rendre et vous supplier, par les mérites de votre Fils, de m’accorder cette grâce qu’il a méritée de tant de manières. Allons, Seigneur, allons, faites que le calme revienne sur cette mer, et que le vaisseau de l’Église ne soit pas toujours secoué par des tempêtes ; sauvez-nous, ô mon Dieu, car nous périssons.
Du recueillement qu’il faut avoir après avoir communié.
1 Je me suis beaucoup étendue sur ce point - et pourtant j’en avais déjà parlé longuement à propos de l’oraison de recueillement - parce qu’il est extrêmement important que nous nous retirions en nous- mêmes pour y être seules avec Dieu ; et lorsque vous entendrez la messe sans communier, communiez spirituellement, et c’est d’un très grand profit, et faites la même chose. Vous imprimerez alors en vous un amour profond pour ce Seigneur, car si nous nous disposons à le recevoir, il ne manque jamais de se donner, et il donne de mille façons qui échappent à notre entendement. C’est comme si nous nous approchions du feu ; il a beau être très ardent, si vous cachez vos mains, vous ne vous réchaufferez guère : vous continuerez à avoir froid ; et pourtant, c’est encore mieux que de ne pas voir le feu du tout, car si vous en êtes près, vous finissez par sentir la chaleur. Mais vouloir vous approcher du Seigneur est une chose toute différente, car si l’âme est bien disposée, la moindre étincelle qui se détachera l’embrasera tout entière. Et il nous importe tant, mes filles, de nous y préparer, que vous ne devez pas vous étonner si je vous le répète si souvent.
2 Et si au début il ne se révèle pas à vous, si vous ne vous trouvez pas bien de cette pratique (vraisemblablement le démon, sachant quel dommage en résulte pour lui, emplira votre coeur de crainte et vous donnera des angoisses), et si vous sentez plus de dévotion envers d’autres méthodes et en éprouvez moins pour celle-ci, ne l’abandonnez pourtant pas ; elle servira au Seigneur pour éprouver l’amour que vous avez pour lui. Souvenez-vous qu’il y a peu d’âmes qui l’accompagnent et le suivent dans les épreuves, souffrez quelque chose pour lui, Sa Majesté vous le rendra ; songez aussi au nombre de personnes qui, non seulement ne veulent pas rester avec lui, mais le chassent de leur demeure tout à fait irrévérencieusement et grossièrement. Nous devons donc souffrir quelque chose pour lui montrer que nous avons le désir de le voir. Et puisqu’en de nombreux endroits on le laisse seul, on lui inflige de mauvais traitements, puisqu’il supporte tout, est prêt à tout supporter pour trouver une seule âme qui le reçoive avec amour et lui tienne compagnie, soyez cette âme-là !
S’il n’y en avait aucune, le Père Éternel aurait raison de ne pas lui permettre de rester parmi nous ; mais il est un si bon Ami pour ses amis et un si bon Maître pour ses serviteurs que, voyant la volonté de son Fils bien-aimé, il ne veut pas entraver une oeuvre si excellente - où brille si parfaitement l’amour du Fils pour le Père - et réalisée dans l’admirable invention qu’il a découverte pour nous montrer combien il nous aime, et pour nous aider à supporter nos épreuves.
3 Eh bien, ô Père saint qui êtes dans les cieux, puisque vous le voulez et que vous l’acceptez - il était clair que vous ne pouviez pas refuser une chose qui nous était si profitable - il faut que quelqu’un, comme je l’ai dit au début, parle en faveur de votre Fils car, quant à Lui, il n’a jamais su se défendre. Ainsi donc, mes filles, je vous supplie de m’aider et de vous adresser avec moi et en son nom, à notre Père saint : “ Votre Fils a déployé pour nous toutes les ressources de l’Amour en nous accordant, à nous pécheurs, un si grand bienfait ; que Votre Majesté accepte de faire en sorte qu’il ne soit pas maltraité à ce point ; et puisque votre saint Fils nous a fourni un moyen si excellent de s’offrir pour nous très souvent en sacrifice, qu’un don si précieux arrête le cours des maux et des outrages terribles commis aux endroits où se trouve le Très Saint Sacrement. ” Ne dirait-on pas en effet qu’ils veulent à nouveau le jeter hors du monde ? Ils l’enlèvent des temples, causent la perte d’innombrables prêtres, profanent maintes et maintes églises ; et ceci arrive même parmi les chrétiens qui, parfois, vont plus à l’Église pour l’offenser que pour l’adorer.
4 Qu’est-ce cela, Seigneur ? Ou mettez fin au monde, ou remédiez à de si grands maux, car il n’y a pas de coeur qui puisse le supporter, pas même celui de personnes aussi misérables que nous. Je vous en supplie, Père Éternel, ne le supportez pas plus longtemps vous- même ; arrêtez ce feu, Seigneur. Considérez que votre Fils est encore en ce monde ; par respect pour lui, que cessent des choses si horribles et si abominables, car sa beauté et sa pureté ne méritent pas qu’il demeure là où il y a tant de mauvaises odeurs. Faites-le, Seigneur, non pour nous qui ne le méritons pas, mais pour votre Fils. Nous n’osons pas vous demander de ne pas le laisser ici-bas, puisqu’il a obtenu de vous que vous le laissiez “ aujourd’hui ”, c’est-à-dire jusqu’à la fin du monde et que toute chose cesserait d’exister s’il n’était plus parmi nous ; car si quelque chose peut apaiser votre colère, c’est de voir ici-bas un gage si précieux. Mais, Seigneur, il doit y avoir un remède à tant de maux ; que Votre Majesté l’applique ! Si vous le voulez, vous pouvez.
5 O Seigneur, que ne puis-je vous importuner à l’extrême, et que ne vous ai-je au moins un peu servi, pour avoir le droit de vous demander une si grande faveur pour prix de mes services, puisque vous n’en laissez aucun sans récompense ! Mais je n’ai rien fait pour vous, Seigneur ; au contraire, c’est peut-être moi qui vous ai courroucé de telle sorte que mes péchés ont attiré tant de maux. Alors, que puis-je faire, Seigneur, si ce n’est vous présenter ce pain béni ? bien que ce soit vous qui nous l’ayez donné, je ne puis que vous le rendre et vous supplier, par les mérites de votre Fils, de m’accorder cette grâce qu’il a méritée de tant de manières. Allons, Seigneur, allons, faites que le calme revienne sur cette mer, et que le vaisseau de l’Église ne soit pas toujours secoué par des tempêtes ; sauvez-nous, ô mon Dieu, car nous périssons.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 63
Explication de ces paroles du Paternoster : “ Dimitte nobis debita nostra ”.
1 Notre précieux Maître, voyant que cet aliment nous rend tout facile pourvu qu’il n’y ait pas de notre faute, et que nous pouvons très bien accomplir ce que nous avons dit au Père : “ que votre volonté se fasse en nous ”, demande maintenant à son Père de nous pardonner, puisque nous pardonnons : “ Seigneur, pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. ”
2 Remarquez, mes soeurs, qu’il ne dit pas “ comme nous pardonnerons ” ; et cela, pour que vous compreniez que celui qui demande un don aussi grand que le précédent, et a déjà remis à Dieu sa volonté, doit avoir pardonné ; c’est pourquoi il dit : “ comme nous pardonnons ”. Ainsi, quiconque aura dit sincèrement au Seigneur : “ Fiat voluntas tua ”, doit avoir déjà tout pardonné, ou du moins en avoir l’intention. Vous voyez ici pourquoi les saints se réjouissaient dans les injures et les persécutions : elles leur donnaient quelque chose à offrir au Seigneur quand ils lui adressaient une prière. Que fera une pécheresse comme moi qui a tant à se faire pardonner ? Voilà assurément, mes soeurs, de quoi nous donner beaucoup à réfléchir, car c’est une affaire très grave et d’une grande importance, que le Seigneur nous pardonne nos fautes - fautes qui auraient mérité le feu éternel - en échange de quelque chose d’aussi insignifiant que le pardon que nous accordons pour des choses qui ne sont ni des offenses, ni rien du tout. Mais comment pourrait-on offenser en paroles ou en actes quelqu’un qui, comme moi, mériterait d’être malmenée par les démons pour l’éternité ? Il n’est que juste que je sois maltraitée en ce monde ! C’est pourquoi, mon Seigneur, je n’ai rien à vous offrir quand je vous demande de pardonner mes offenses. Que votre Fils me pardonne, car personne ne m’a fait tort, et ainsi je n’ai rien à pardonner pour votre amour ; mais prenez mon désir, Seigneur, car il me semble que je pardonnerais n’importe quoi pour que vous, vous me pardonniez, ou pour accomplir votre volonté sans condition aucune. Mais si l’occasion s’en présentait, et si j’étais condamnée sans raison, je ne sais pas ce que je ferais ; pour le moment, je me vois si coupable à vos yeux que tout ce que je pourrais souffrir me semble peu de chose en comparaison de ce que je mérite, bien que ceux qui ne savent pas, comme vous, qui je suis, pensent que j’ai été outragée. Ainsi, ô mon Père, c’est gratuitement que vous devez me pardonner ; votre miséricorde a ici une belle occasion de s’exercer. Soyez béni, vous qui me supportez malgré ma pauvreté ; votre Fils Très Saint a demandé au nom de tous ; quant à moi, je suis si dépourvue que je ne puis me compter dans le nombre.
3 Mais, Seigneur, s’il y avait des personnes dans mon cas, et qui n’aient pas mieux compris ce point que moi ? S’il y en a, je les supplie en votre nom d’y penser et de ne faire aucun cas de ces soi-disant affronts, car en s’arrêtant à ces points d’honneur, elles ressemblent à des enfants qui bâtissent des maisons avec des brins de paille. O mon Dieu ! que ne comprenons-nous, mes soeurs, ce que c’est que l’honneur, et en quoi consiste sa perte ? Ce n’est pas à vous que je fais allusion pour l’instant - ce serait fort malheureux si vous n’aviez pas encore compris cette vérité mais à moi, au temps où je me flattais d’avoir le sens de l’honneur sans savoir ce que c’était, ni où je me laissais mener par la routine et par les oui-dire. Comme tout m’offensait alors facilement, et comme j’en ai honte aujourd’hui ! Pourtant, je n’étais pas parmi les plus susceptibles en cette matière mais, comme les autres, je me trompais quant au point principal, car je ne me souciais pas et ne faisais aucun cas de l’honneur qui a quelque utilité, et qui est profitable pour l’âme. Oh ! qu’il a dit vrai celui qui a déclaré qu’honneur et profit ne peuvent aller de pair 312 ; je ne sais s’il l’a dit à ce sujet ; mais cela est vrai au pied de la lettre, car le profit de l’âme et ce que le monde appelle honneur ne peuvent jamais aller ensemble. O mon Dieu ! comme le monde marche à l’envers ! Béni soit le Seigneur qui nous en a retirées ! Plaise à Sa Majesté que ce mal soit toujours aussi loin de cette maison qu’il l’est maintenant ! Dieu nous préserve des monastères où il existe des points d’honneur ! Jamais Dieu n’y est très honoré.
Explication de ces paroles du Paternoster : “ Dimitte nobis debita nostra ”.
1 Notre précieux Maître, voyant que cet aliment nous rend tout facile pourvu qu’il n’y ait pas de notre faute, et que nous pouvons très bien accomplir ce que nous avons dit au Père : “ que votre volonté se fasse en nous ”, demande maintenant à son Père de nous pardonner, puisque nous pardonnons : “ Seigneur, pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. ”
2 Remarquez, mes soeurs, qu’il ne dit pas “ comme nous pardonnerons ” ; et cela, pour que vous compreniez que celui qui demande un don aussi grand que le précédent, et a déjà remis à Dieu sa volonté, doit avoir pardonné ; c’est pourquoi il dit : “ comme nous pardonnons ”. Ainsi, quiconque aura dit sincèrement au Seigneur : “ Fiat voluntas tua ”, doit avoir déjà tout pardonné, ou du moins en avoir l’intention. Vous voyez ici pourquoi les saints se réjouissaient dans les injures et les persécutions : elles leur donnaient quelque chose à offrir au Seigneur quand ils lui adressaient une prière. Que fera une pécheresse comme moi qui a tant à se faire pardonner ? Voilà assurément, mes soeurs, de quoi nous donner beaucoup à réfléchir, car c’est une affaire très grave et d’une grande importance, que le Seigneur nous pardonne nos fautes - fautes qui auraient mérité le feu éternel - en échange de quelque chose d’aussi insignifiant que le pardon que nous accordons pour des choses qui ne sont ni des offenses, ni rien du tout. Mais comment pourrait-on offenser en paroles ou en actes quelqu’un qui, comme moi, mériterait d’être malmenée par les démons pour l’éternité ? Il n’est que juste que je sois maltraitée en ce monde ! C’est pourquoi, mon Seigneur, je n’ai rien à vous offrir quand je vous demande de pardonner mes offenses. Que votre Fils me pardonne, car personne ne m’a fait tort, et ainsi je n’ai rien à pardonner pour votre amour ; mais prenez mon désir, Seigneur, car il me semble que je pardonnerais n’importe quoi pour que vous, vous me pardonniez, ou pour accomplir votre volonté sans condition aucune. Mais si l’occasion s’en présentait, et si j’étais condamnée sans raison, je ne sais pas ce que je ferais ; pour le moment, je me vois si coupable à vos yeux que tout ce que je pourrais souffrir me semble peu de chose en comparaison de ce que je mérite, bien que ceux qui ne savent pas, comme vous, qui je suis, pensent que j’ai été outragée. Ainsi, ô mon Père, c’est gratuitement que vous devez me pardonner ; votre miséricorde a ici une belle occasion de s’exercer. Soyez béni, vous qui me supportez malgré ma pauvreté ; votre Fils Très Saint a demandé au nom de tous ; quant à moi, je suis si dépourvue que je ne puis me compter dans le nombre.
3 Mais, Seigneur, s’il y avait des personnes dans mon cas, et qui n’aient pas mieux compris ce point que moi ? S’il y en a, je les supplie en votre nom d’y penser et de ne faire aucun cas de ces soi-disant affronts, car en s’arrêtant à ces points d’honneur, elles ressemblent à des enfants qui bâtissent des maisons avec des brins de paille. O mon Dieu ! que ne comprenons-nous, mes soeurs, ce que c’est que l’honneur, et en quoi consiste sa perte ? Ce n’est pas à vous que je fais allusion pour l’instant - ce serait fort malheureux si vous n’aviez pas encore compris cette vérité mais à moi, au temps où je me flattais d’avoir le sens de l’honneur sans savoir ce que c’était, ni où je me laissais mener par la routine et par les oui-dire. Comme tout m’offensait alors facilement, et comme j’en ai honte aujourd’hui ! Pourtant, je n’étais pas parmi les plus susceptibles en cette matière mais, comme les autres, je me trompais quant au point principal, car je ne me souciais pas et ne faisais aucun cas de l’honneur qui a quelque utilité, et qui est profitable pour l’âme. Oh ! qu’il a dit vrai celui qui a déclaré qu’honneur et profit ne peuvent aller de pair 312 ; je ne sais s’il l’a dit à ce sujet ; mais cela est vrai au pied de la lettre, car le profit de l’âme et ce que le monde appelle honneur ne peuvent jamais aller ensemble. O mon Dieu ! comme le monde marche à l’envers ! Béni soit le Seigneur qui nous en a retirées ! Plaise à Sa Majesté que ce mal soit toujours aussi loin de cette maison qu’il l’est maintenant ! Dieu nous préserve des monastères où il existe des points d’honneur ! Jamais Dieu n’y est très honoré.
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CHAPITRE 64
Parle contre l’excès des honneurs.
1 O mon Dieu ! Y a-t-il absurdité plus grande ? Les religieux attachent un point d’honneur à des choses si futiles que j’en suis effarée ! Cela, vous ne le savez pas, mes soeurs, mais je tiens à vous le dire afin que vous soyez sur vos gardes. Sachez que les monastères ont aussi leurs lois quant à l’honneur : on y monte ou on y descend en dignité comme dans le monde ; les savants doivent monter selon le degré de leur savoir - je ne veux pas trancher là-dessus -, et celui qui est parvenu à enseigner la théologie ne doit pas s’abaisser à enseigner la philosophie, car le point d’honneur veut que l’on monte, mais non que l’on descende ; et même si l’obéissance le lui commandait, dans son esprit il se jugerait offensé, et beaucoup d’autres prendraient son parti, voyant là un affront ; immédiatement le démon découvrira des motifs pour prouver que la loi même de Dieu leur donne raison. Eh bien, chez les religieuses c’est la même chose : celle qui a été Prieure n’est plus apte, jusqu’à la fin de ses jours, à un autre emploi que celui-ci ; ne craignez pas non plus que chacune oublie de faire valoir son degré d’ancienneté, et il semble même qu’elle s’en fasse un mérite, parce que les usagers de l’Ordre commandent ces marques de déférence.
2 Voilà la chose la plus drôle que l’on puisse penser ! il y aurait de quoi en rire, ou plutôt en pleurer, et tout à fait à juste titre. Est-ce que, par hasard, l’Ordre me commande de ne pas garder l’humilité ? Non ! il commande de faire chaque chose en due forme ; mais en ce qui concerne le respect envers moi, est-ce à moi à me montrer si empressée à examiner ce point de la Règle ? et, si l’on y regarde de près, j’observe tous les autres imparfaitement, et mon honneur n’en souffre en rien ; que d’autres veillent à mes intérêts quant à ce point, et que je ne m’en soucie pas ! Le fait est que, notre nature nous portant à monter (nous ne monterons pourtant pas au ciel de cette façon) nous ne voulons pas descendre. O Seigneur, Seigneur ! n’êtes-vous pas notre modèle et notre Maître ? Oui, vous l’êtes ! Eh bien, où avez-vous mis votre honneur, mon Roi ? l’avez-vous perdu, par hasard, en vous humiliant jusqu’à la mort ? Certainement pas, Seigneur, au contraire vous l’avez conquis, et tous peuvent en tirer profit.
3 Oh, pour l’amour de Dieu ! nous avons perdu le chemin nous avons fait fausse route dès le départ ; et plaise à Dieu qu’aucune âme ne se perde pour vouloir garder ces misérables points d’honneur, faute de comprendre en quoi consiste le véritable honneur ! Et nous en viendrons ensuite à penser que nous avons fait beaucoup si nous pardonnons un de ces petits riens qui ne nous a pas même offensées, et n’avait d’ailleurs rien à voir avec une offense. Et comme si nous avions fait quelque chose, nous viendrons demander au Père de nous pardonner, puisque nous avons pardonné. Faites-leur comprendre, Seigneur, qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent et que, comme moi, ils se présentent devant vous les mains vides. Faites-le, Seigneur, au nom de votre miséricorde, et pour l’amour de vous ; car en vérité, Seigneur (puisque tout a une fin et que le châtiment est éternel), je ne vois rien à vous présenter qui soit digne d’obtenir une si grande faveur, si ce n’est le mérite de celui qui vous le demande ; et il a raison de le faire, car c’est toujours lui qui reçoit les affronts et les offenses.
4 Mais comme le Seigneur doit apprécier que nous nous aimions les unes les autres ! Car en lui donnant notre volonté, nous lui avons tout donné - et à juste titre -, et cela ne peut se faire sans amour. Voyez, mes soeurs, combien il est important que nous nous aimions les unes les autres et que nous soyons en paix, car de toutes les choses que nous avons données, ou qu’en notre nom il a données à son Père, le Seigneur a mis celle-là à la première place ; il aurait pu dire : “ Parce que nous vous aimons, et supportons des épreuves, et voulons les supporter pour vous, ou parce que nous jeûnons, ou parce que nous faisons telle ou telle bonne action ” (car nous aimons Dieu et avons remis notre volonté dans la sienne), et pourtant il n’a mentionné que celle-là. Peut-être est-ce parce qu’il nous sait si attachées à ce misérable point d’honneur, si incapables de supporter quoi que ce soit pour l’Amour de lui, qu’il la signale avant toute autre comme étant la plus difficile à obtenir de nous. Et elle est si difficile, qu’après avoir demandé pour nous tant de faveurs, il l’offre à son Père de notre part.
Parle contre l’excès des honneurs.
1 O mon Dieu ! Y a-t-il absurdité plus grande ? Les religieux attachent un point d’honneur à des choses si futiles que j’en suis effarée ! Cela, vous ne le savez pas, mes soeurs, mais je tiens à vous le dire afin que vous soyez sur vos gardes. Sachez que les monastères ont aussi leurs lois quant à l’honneur : on y monte ou on y descend en dignité comme dans le monde ; les savants doivent monter selon le degré de leur savoir - je ne veux pas trancher là-dessus -, et celui qui est parvenu à enseigner la théologie ne doit pas s’abaisser à enseigner la philosophie, car le point d’honneur veut que l’on monte, mais non que l’on descende ; et même si l’obéissance le lui commandait, dans son esprit il se jugerait offensé, et beaucoup d’autres prendraient son parti, voyant là un affront ; immédiatement le démon découvrira des motifs pour prouver que la loi même de Dieu leur donne raison. Eh bien, chez les religieuses c’est la même chose : celle qui a été Prieure n’est plus apte, jusqu’à la fin de ses jours, à un autre emploi que celui-ci ; ne craignez pas non plus que chacune oublie de faire valoir son degré d’ancienneté, et il semble même qu’elle s’en fasse un mérite, parce que les usagers de l’Ordre commandent ces marques de déférence.
2 Voilà la chose la plus drôle que l’on puisse penser ! il y aurait de quoi en rire, ou plutôt en pleurer, et tout à fait à juste titre. Est-ce que, par hasard, l’Ordre me commande de ne pas garder l’humilité ? Non ! il commande de faire chaque chose en due forme ; mais en ce qui concerne le respect envers moi, est-ce à moi à me montrer si empressée à examiner ce point de la Règle ? et, si l’on y regarde de près, j’observe tous les autres imparfaitement, et mon honneur n’en souffre en rien ; que d’autres veillent à mes intérêts quant à ce point, et que je ne m’en soucie pas ! Le fait est que, notre nature nous portant à monter (nous ne monterons pourtant pas au ciel de cette façon) nous ne voulons pas descendre. O Seigneur, Seigneur ! n’êtes-vous pas notre modèle et notre Maître ? Oui, vous l’êtes ! Eh bien, où avez-vous mis votre honneur, mon Roi ? l’avez-vous perdu, par hasard, en vous humiliant jusqu’à la mort ? Certainement pas, Seigneur, au contraire vous l’avez conquis, et tous peuvent en tirer profit.
3 Oh, pour l’amour de Dieu ! nous avons perdu le chemin nous avons fait fausse route dès le départ ; et plaise à Dieu qu’aucune âme ne se perde pour vouloir garder ces misérables points d’honneur, faute de comprendre en quoi consiste le véritable honneur ! Et nous en viendrons ensuite à penser que nous avons fait beaucoup si nous pardonnons un de ces petits riens qui ne nous a pas même offensées, et n’avait d’ailleurs rien à voir avec une offense. Et comme si nous avions fait quelque chose, nous viendrons demander au Père de nous pardonner, puisque nous avons pardonné. Faites-leur comprendre, Seigneur, qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent et que, comme moi, ils se présentent devant vous les mains vides. Faites-le, Seigneur, au nom de votre miséricorde, et pour l’amour de vous ; car en vérité, Seigneur (puisque tout a une fin et que le châtiment est éternel), je ne vois rien à vous présenter qui soit digne d’obtenir une si grande faveur, si ce n’est le mérite de celui qui vous le demande ; et il a raison de le faire, car c’est toujours lui qui reçoit les affronts et les offenses.
4 Mais comme le Seigneur doit apprécier que nous nous aimions les unes les autres ! Car en lui donnant notre volonté, nous lui avons tout donné - et à juste titre -, et cela ne peut se faire sans amour. Voyez, mes soeurs, combien il est important que nous nous aimions les unes les autres et que nous soyons en paix, car de toutes les choses que nous avons données, ou qu’en notre nom il a données à son Père, le Seigneur a mis celle-là à la première place ; il aurait pu dire : “ Parce que nous vous aimons, et supportons des épreuves, et voulons les supporter pour vous, ou parce que nous jeûnons, ou parce que nous faisons telle ou telle bonne action ” (car nous aimons Dieu et avons remis notre volonté dans la sienne), et pourtant il n’a mentionné que celle-là. Peut-être est-ce parce qu’il nous sait si attachées à ce misérable point d’honneur, si incapables de supporter quoi que ce soit pour l’Amour de lui, qu’il la signale avant toute autre comme étant la plus difficile à obtenir de nous. Et elle est si difficile, qu’après avoir demandé pour nous tant de faveurs, il l’offre à son Père de notre part.
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CHAPITRE 65
Des effets de l’oraison quand elle est parfaite.
1 Remarquez bien, mes soeurs, qu’il dit : “ comme nous pardonnons ” ; c’est chose faite - je le répète - ; voyez si après avoir reçu les grâces que Dieu accorde à l’âme dans la prière que j’ai appelée contemplation parfaite, votre âme est fermement résolue à pardonner, et si, quand l’occasion s’en présente, elle pardonne effectivement n’importe quelle injure grave ; je ne parle pas de ces petits riens qui n’atteignent pas l’âme que Dieu amène à un si haut état car, à ce stade, elle ne se soucie pas plus d’être estimée que d’être méprisée ; au contraire, l’honneur la peine plus que le déshonneur.
2 Ainsi donc, si les grâces ne produisent pas ces effets, vous pouvez être sûres qu’elles ne venaient pas de Dieu mais du démon : s’agissait de quelque illusion, d’un sentiment de douceur que le démon vous présentait comme excellent, afin que vous attachiez davantage d’importance à votre honneur. Mais comme le bon Jésus sait que là où il passe, il laisse les effets susdits, il dit résolument à son Père que nous pardonnons à ceux qui nous ont offensées.
3 C’est une chose tout à fait étonnante que la perfection de cette prière évangélique ; elle est aussi parfaite que le maître qui nous l’enseigne ; il est donc juste, mes filles’ que chacune de nous s’en serve à son gré. Je me suis émerveillée aujourd’hui en découvrant que toute la contemplation et la perfection étaient enfermées dans si peu de paroles. Il semble que nous n’ayons pas besoin d’étudier d’autre livre que celui-là. En effet, jusqu’ici le Seigneur nous a enseigné toute la méthode la plus haute de contemplation, depuis les débuts de l’oraison mentale jusqu’aux plus hauts sommets de la contemplation parfaite ; si je n’avais écrit ailleurs à ce sujet, et si je ne craignais de m’étendre encore - ce qui serait fâcheux - je pourrais, sur un fondement aussi vrai, écrire un grand livre sur l’oraison. Maintenant le Seigneur commence à nous montrer les effets qui résultent de l’oraison et de la contemplation, quand elles viennent de Dieu.
4 Et c’est ainsi que m’étant demandé pourquoi Sa Majesté ne s’était pas expliquée davantage sur des choses si hautes afin de nous en donner l’intelligence, il m’a semblé que cette prière étant générale et destinée à tous, il fallait que chacun de nous, s’imaginant la bien comprendre, puisse demander selon sa convenance, et y trouver un motif de consolation ; c’est pourquoi il nous la laissa sous une apparence confuse. Que son nom soit béni pour toujours et toujours, amen. Et pour l’amour de lui, je supplie le Père Éternel de me pardonner mes offenses et mes graves péchés (car moi je n’ai rien à pardonner à personne, et chaque jour j’ai besoin qu’on me pardonne), et de me donner sa grâce pour qu’un jour j’ai quelque chose à offrir, et qu’ainsi je puisse demander.
5 Donc, le bon Jésus a enseigné une sublime méthode d’oraison ; il a demandé que nous soyons comme des anges dès cet exil (si de toutes nos forces nous faisons ce que nous pouvons pour conformer nos actes à nos paroles), et que nous ressemblions à des fils d’un tel Père et à des frères d’un tel Frère. Sa Majesté sait que si nos actes et nos paroles ne font qu’un, le Seigneur ne manquera pas d’accomplir ce que nous lui demandons, nous donnera son royaume, et nous aidera au moyen de faveurs surnaturelles telles que l’oraison de quiétude, la contemplation parfaite et toutes les autres grâces dont le Seigneur gratifie nos pauvres efforts, puisque ce que nous pouvons tenter et obtenir par nous-mêmes est fort peu. Mais si nous faisons ce que nous pouvons, soyons tout à fait sûres que le Seigneur nous aidera, puisque son Fils demande pour nous cette faveur, et semble avoir fait en notre nom une sorte de pacte avec Sa Majesté, et lui avoir dit : faites cela, ô mon Père, et ils feront ceci. Or il est bien certain que ce n’est pas lui qui manquera à sa parole. Oh ! oh ! il est très bon payeur et il paie très largement !
6 Il pourra même, mes filles, vous arriver un jour de dire cette prière de telle façon que le Seigneur ne voyant chez vous aucune duplicité, mais au contraire une résolution de mettre en pratique ce que vous dites, vous comble d’un coup de richesses. Soyez loyales avec lui, car il aime beaucoup qu’on n’essaie pas de le tromper - d’autant qu’on ne peut y réussir puisqu’il sait tout -, et si vous vous adressez à lui avec vérité et simplicité il vous donnera toujours plus que vous ne demandez. Notre bon Maître, je le répète, sait cela, il sait que ceux qui arrivent à formuler cette demande d’une façon parfaite atteindront un degré élevé de perfection, grâce aux faveurs que son Père leur fera ; il comprend que ceux qui y sont parvenus ne craignent pas, et n’ont pas de raison de craindre, car ils ont, comme on dit, le monde sous leurs pieds ; le Seigneur est content, et par les effets qu’Il opère dans leur âme, ils peuvent avoir l’immense espérance qu’Il l’est effectivement. Transportés par ces délices, ils voudraient ne plus songer qu’il y a un autre monde, et oublier qu’ils ont des ennemis.
7 O Sagesse éternelle ! O bon Pédagogue ! quelle bénédiction, mes filles, qu’un maître sage, prudent, qui prévoit les dangers ! C’est le plus grand bien qu’une âme spirituelle puisse avoir en ce monde, c’est une complète sécurité ; je ne saurais trouver de mots pour en exprimer l’importance. Et c’est ainsi que le Seigneur vit qu’il était nécessaire de réveiller ces âmes, et de leur rappeler qu’elles avaient des ennemis ; il vit qu’il serait plus dangereux pour elles que pour d’autres de ne pas être sur leurs gardes, et qu’elles avaient d’autant plus besoin d’un secours du Père Éternel pour ne pas tomber ou vivre dans l’illusion sans s’en rendre compte. Aussi fait-il ces demandes.
Des effets de l’oraison quand elle est parfaite.
1 Remarquez bien, mes soeurs, qu’il dit : “ comme nous pardonnons ” ; c’est chose faite - je le répète - ; voyez si après avoir reçu les grâces que Dieu accorde à l’âme dans la prière que j’ai appelée contemplation parfaite, votre âme est fermement résolue à pardonner, et si, quand l’occasion s’en présente, elle pardonne effectivement n’importe quelle injure grave ; je ne parle pas de ces petits riens qui n’atteignent pas l’âme que Dieu amène à un si haut état car, à ce stade, elle ne se soucie pas plus d’être estimée que d’être méprisée ; au contraire, l’honneur la peine plus que le déshonneur.
2 Ainsi donc, si les grâces ne produisent pas ces effets, vous pouvez être sûres qu’elles ne venaient pas de Dieu mais du démon : s’agissait de quelque illusion, d’un sentiment de douceur que le démon vous présentait comme excellent, afin que vous attachiez davantage d’importance à votre honneur. Mais comme le bon Jésus sait que là où il passe, il laisse les effets susdits, il dit résolument à son Père que nous pardonnons à ceux qui nous ont offensées.
3 C’est une chose tout à fait étonnante que la perfection de cette prière évangélique ; elle est aussi parfaite que le maître qui nous l’enseigne ; il est donc juste, mes filles’ que chacune de nous s’en serve à son gré. Je me suis émerveillée aujourd’hui en découvrant que toute la contemplation et la perfection étaient enfermées dans si peu de paroles. Il semble que nous n’ayons pas besoin d’étudier d’autre livre que celui-là. En effet, jusqu’ici le Seigneur nous a enseigné toute la méthode la plus haute de contemplation, depuis les débuts de l’oraison mentale jusqu’aux plus hauts sommets de la contemplation parfaite ; si je n’avais écrit ailleurs à ce sujet, et si je ne craignais de m’étendre encore - ce qui serait fâcheux - je pourrais, sur un fondement aussi vrai, écrire un grand livre sur l’oraison. Maintenant le Seigneur commence à nous montrer les effets qui résultent de l’oraison et de la contemplation, quand elles viennent de Dieu.
4 Et c’est ainsi que m’étant demandé pourquoi Sa Majesté ne s’était pas expliquée davantage sur des choses si hautes afin de nous en donner l’intelligence, il m’a semblé que cette prière étant générale et destinée à tous, il fallait que chacun de nous, s’imaginant la bien comprendre, puisse demander selon sa convenance, et y trouver un motif de consolation ; c’est pourquoi il nous la laissa sous une apparence confuse. Que son nom soit béni pour toujours et toujours, amen. Et pour l’amour de lui, je supplie le Père Éternel de me pardonner mes offenses et mes graves péchés (car moi je n’ai rien à pardonner à personne, et chaque jour j’ai besoin qu’on me pardonne), et de me donner sa grâce pour qu’un jour j’ai quelque chose à offrir, et qu’ainsi je puisse demander.
5 Donc, le bon Jésus a enseigné une sublime méthode d’oraison ; il a demandé que nous soyons comme des anges dès cet exil (si de toutes nos forces nous faisons ce que nous pouvons pour conformer nos actes à nos paroles), et que nous ressemblions à des fils d’un tel Père et à des frères d’un tel Frère. Sa Majesté sait que si nos actes et nos paroles ne font qu’un, le Seigneur ne manquera pas d’accomplir ce que nous lui demandons, nous donnera son royaume, et nous aidera au moyen de faveurs surnaturelles telles que l’oraison de quiétude, la contemplation parfaite et toutes les autres grâces dont le Seigneur gratifie nos pauvres efforts, puisque ce que nous pouvons tenter et obtenir par nous-mêmes est fort peu. Mais si nous faisons ce que nous pouvons, soyons tout à fait sûres que le Seigneur nous aidera, puisque son Fils demande pour nous cette faveur, et semble avoir fait en notre nom une sorte de pacte avec Sa Majesté, et lui avoir dit : faites cela, ô mon Père, et ils feront ceci. Or il est bien certain que ce n’est pas lui qui manquera à sa parole. Oh ! oh ! il est très bon payeur et il paie très largement !
6 Il pourra même, mes filles, vous arriver un jour de dire cette prière de telle façon que le Seigneur ne voyant chez vous aucune duplicité, mais au contraire une résolution de mettre en pratique ce que vous dites, vous comble d’un coup de richesses. Soyez loyales avec lui, car il aime beaucoup qu’on n’essaie pas de le tromper - d’autant qu’on ne peut y réussir puisqu’il sait tout -, et si vous vous adressez à lui avec vérité et simplicité il vous donnera toujours plus que vous ne demandez. Notre bon Maître, je le répète, sait cela, il sait que ceux qui arrivent à formuler cette demande d’une façon parfaite atteindront un degré élevé de perfection, grâce aux faveurs que son Père leur fera ; il comprend que ceux qui y sont parvenus ne craignent pas, et n’ont pas de raison de craindre, car ils ont, comme on dit, le monde sous leurs pieds ; le Seigneur est content, et par les effets qu’Il opère dans leur âme, ils peuvent avoir l’immense espérance qu’Il l’est effectivement. Transportés par ces délices, ils voudraient ne plus songer qu’il y a un autre monde, et oublier qu’ils ont des ennemis.
7 O Sagesse éternelle ! O bon Pédagogue ! quelle bénédiction, mes filles, qu’un maître sage, prudent, qui prévoit les dangers ! C’est le plus grand bien qu’une âme spirituelle puisse avoir en ce monde, c’est une complète sécurité ; je ne saurais trouver de mots pour en exprimer l’importance. Et c’est ainsi que le Seigneur vit qu’il était nécessaire de réveiller ces âmes, et de leur rappeler qu’elles avaient des ennemis ; il vit qu’il serait plus dangereux pour elles que pour d’autres de ne pas être sur leurs gardes, et qu’elles avaient d’autant plus besoin d’un secours du Père Éternel pour ne pas tomber ou vivre dans l’illusion sans s’en rendre compte. Aussi fait-il ces demandes.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 66
Du grand besoin que nous avons de dire : “ et ne nos inducas in tentationem ”. Énonce et explique quelques tentations mises sur notre chemin par le démon.
1 “ Et ne nous laissez pas, Seigneur, succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal. ” Ce sont là de grandes choses, mes soeurs, et nous devons y réfléchir et les comprendre, puisque nous les demandons. Il est clair que ceux qui atteignent ce degré d’oraison ne vont pas demander au Seigneur de leur éviter les épreuves ou de les délivrer des tentations, persécutions et combats (voici une autre preuve absolument sûre et remarquable que ces choses viennent de l’Esprit de Dieu et ne sont pas une illusion) ; au contraire, ils les désirent, les demandent et les aiment, et en aucune façon ne les haïssent. Ils ressemblent à ces soldats qui sont d’autant plus contents qu’ils sont au coeur de la guerre, parce qu’ils espèrent devenir riches ; s’il n’y a pas de guerre, ils se contentent de leur solde, mais se rendent compte qu’ils ne peuvent guère faire fortune.
2 Croyez-moi, mes soeurs, les soldats du Christ, c’est-à-dire les âmes d’oraison, attendent impatiemment l’heure de combattre ; ils ne redoutent jamais les ennemis déclarés, car ils les connaissent et savent que leur force ne peut prévaloir contre la force dont le Seigneur les anime : ils sortent toujours vainqueurs, et après avoir emporté gains et richesses ; jamais ils ne fuient devant leurs ennemis. Ceux qu’ils redoutent - et ils ont raison de les redouter et de demander sans cesse au Seigneur de les en délivrer - ce sont les démons perfides qui se transforment en anges de lumière et se présentent déguisés ; ils ne se font connaître qu’après avoir causé un grand ravage dans l’âme ; ils sucent peu à peu notre sang, ils anéantissent notre vie et nous cédons à la tentation sans nous en rendre compte. Voilà, mes filles, les ennemis dont vous devez prier Dieu, oui, prier sans cesse le Seigneur de nous délivrer en lui récitant le Paternoster ; qu’il ne permette pas que vous succombiez à la tentation et soyez victimes de l’illusion ; qu’il vous découvre le poison, et que la vérité ne se dérobe pas à vos yeux. Oh ! comme notre bon Maître a raison de nous apprendre à demander cela et de le demander lui-même en notre nom !
3 Considérez que ces démons nous nuisent de bien des manières ; ne pensez pas que le dommage se résume à nous faire croire que les consolations qu’ils nous donnent viennent de Dieu ; c’est là le moindre mal et, bien souvent, il pourra même vous inciter à avancer plus vite et à consacrer plus de temps à l’oraison.
4 Là où les démons peuvent nous nuire beaucoup et causer un grand préjudice aux autres, c’est lorsqu’ils nous font croire que nous avons des vertus qu’en réalité nous ne possédons pas ; c’est une peste car, nous imaginant en sûreté, nous trébuchons et, sans nous en rendre compte, nous tombons dans un trou dont nous ne pouvons plus sortir. Et même si nous ne commettons pas un péché dit “ mortel ” et susceptible de nous entraîner en enfer, nous avons les jambes coupées, et ne pouvons plus continuer à avancer sur le chemin dont j’ai commencé à vous entretenir, et qui est toujours présent à ma mémoire. Réfléchissez ! Comment celui qui est au fond d’un grand trou pourrait-il avancer ? il y laissera sa vie, et ce sera encore une chance s’il ne s’enfonce pas plus bas encore et aboutit en enfer ; de toutes façons, il ne progressera jamais ; à supposer qu’il ne se perde pas entièrement, il sera inutile à lui-même et aux autres ; qui plus est, il fera du tort car, tant que le trou sera béant, nombreuses sont les personnes qui, suivant ce chemin, pourront y tomber. S’il en sort et le comble de terre, il n’y aura plus alors de danger pour lui ni pour les autres ; mais, je vous le déclare, cette tentation est bien dangereuse.
5 J’en sais long sur ce point, grâce à mon expérience, et ainsi je peux vous en parler, quoique pas aussi bien que je l’aurais voulu.
6 Le démon vous donne à entendre que vous êtes pauvres, et apparemment il a raison car vous avez fait voeu de pauvreté, tout au moins en paroles ; le démon le laisse également entendre à d’autres personnes adonnées à une vie d’oraison. Je dis : “ en paroles ” car si, lorsque nous nous sommes engagées, notre coeur avait compris la portée de notre promesse, et si nous avions réellement promis, il serait impossible au démon de nous retenir vingt ans, et notre vie entière, dans cette tentation. Nous verrions que nous trompons le monde et que nous nous trompons nous-mêmes. En d’autres mots : celui qui a fait voeu de pauvreté, ou celui qui s’imagine pratiquer la pauvreté dit : “ je ne désire rien ”, si j’ai telle chose c’est que je ne puis m’en passer ”, “ après tout, si je dois servir Dieu, il faut que je vive ”, “ il veut que nous soutenions notre corps ” ; et c’est ainsi que le démon, sous l’apparence d’un ange (car en soi tout cela est bon), suscite mille choses de ce genre ; aussi finit-il par nous persuader que nous sommes pauvres, que nous possédons la vertu de pauvreté, et que tout est fait sur ce point.
7 Venons-en maintenant à la preuve, car nous ne pourrons voir clair en nous-mêmes qu’en nous méfiant sans cesse de notre comportement ; s’il décale quelque préoccupation, nous reconnaissons tout de suite les symptômes. Imaginons une personne dont le revenu dépasse largement les besoins - j’entends : les revenus de la vie courante - et qui garde trois domestiques quand un seul lui suffirait. Voici qu’on lui intente un procès pour une petite partie de son bien, ou encore qu’un pauvre paysan ne lui paie pas son dû, la voilà aussi affectée et aussi altérée que si elle n’avait plus de quoi vivre. Elle va objecter aussitôt que si elle ne se soucie pas de son bien, il va se perdre, elle a immédiatement une excuse. Je ne veux pas dire qu’elle doive négliger ses affaires ; bien au contraire, elle doit en prendre soin, qu’elles marchent bien ou mal. Mais le vrai pauvre fait peu cas de ces choses, et si, pour une raison ou une autre, il doit s’occuper de ses intérêts, jamais il ne s’inquiète, car il ne lui passe pas par l’esprit qu’il puisse lui manquer quoi que ce soit ; et quand bien même cela lui arriverait, peu lui importe ; c’est pour lui accessoire, ce n’est pas le principal ; ses pensées vont plus haut, et c’est avec effort qu’il s’occupe de semblables choses.
Du grand besoin que nous avons de dire : “ et ne nos inducas in tentationem ”. Énonce et explique quelques tentations mises sur notre chemin par le démon.
1 “ Et ne nous laissez pas, Seigneur, succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal. ” Ce sont là de grandes choses, mes soeurs, et nous devons y réfléchir et les comprendre, puisque nous les demandons. Il est clair que ceux qui atteignent ce degré d’oraison ne vont pas demander au Seigneur de leur éviter les épreuves ou de les délivrer des tentations, persécutions et combats (voici une autre preuve absolument sûre et remarquable que ces choses viennent de l’Esprit de Dieu et ne sont pas une illusion) ; au contraire, ils les désirent, les demandent et les aiment, et en aucune façon ne les haïssent. Ils ressemblent à ces soldats qui sont d’autant plus contents qu’ils sont au coeur de la guerre, parce qu’ils espèrent devenir riches ; s’il n’y a pas de guerre, ils se contentent de leur solde, mais se rendent compte qu’ils ne peuvent guère faire fortune.
2 Croyez-moi, mes soeurs, les soldats du Christ, c’est-à-dire les âmes d’oraison, attendent impatiemment l’heure de combattre ; ils ne redoutent jamais les ennemis déclarés, car ils les connaissent et savent que leur force ne peut prévaloir contre la force dont le Seigneur les anime : ils sortent toujours vainqueurs, et après avoir emporté gains et richesses ; jamais ils ne fuient devant leurs ennemis. Ceux qu’ils redoutent - et ils ont raison de les redouter et de demander sans cesse au Seigneur de les en délivrer - ce sont les démons perfides qui se transforment en anges de lumière et se présentent déguisés ; ils ne se font connaître qu’après avoir causé un grand ravage dans l’âme ; ils sucent peu à peu notre sang, ils anéantissent notre vie et nous cédons à la tentation sans nous en rendre compte. Voilà, mes filles, les ennemis dont vous devez prier Dieu, oui, prier sans cesse le Seigneur de nous délivrer en lui récitant le Paternoster ; qu’il ne permette pas que vous succombiez à la tentation et soyez victimes de l’illusion ; qu’il vous découvre le poison, et que la vérité ne se dérobe pas à vos yeux. Oh ! comme notre bon Maître a raison de nous apprendre à demander cela et de le demander lui-même en notre nom !
3 Considérez que ces démons nous nuisent de bien des manières ; ne pensez pas que le dommage se résume à nous faire croire que les consolations qu’ils nous donnent viennent de Dieu ; c’est là le moindre mal et, bien souvent, il pourra même vous inciter à avancer plus vite et à consacrer plus de temps à l’oraison.
4 Là où les démons peuvent nous nuire beaucoup et causer un grand préjudice aux autres, c’est lorsqu’ils nous font croire que nous avons des vertus qu’en réalité nous ne possédons pas ; c’est une peste car, nous imaginant en sûreté, nous trébuchons et, sans nous en rendre compte, nous tombons dans un trou dont nous ne pouvons plus sortir. Et même si nous ne commettons pas un péché dit “ mortel ” et susceptible de nous entraîner en enfer, nous avons les jambes coupées, et ne pouvons plus continuer à avancer sur le chemin dont j’ai commencé à vous entretenir, et qui est toujours présent à ma mémoire. Réfléchissez ! Comment celui qui est au fond d’un grand trou pourrait-il avancer ? il y laissera sa vie, et ce sera encore une chance s’il ne s’enfonce pas plus bas encore et aboutit en enfer ; de toutes façons, il ne progressera jamais ; à supposer qu’il ne se perde pas entièrement, il sera inutile à lui-même et aux autres ; qui plus est, il fera du tort car, tant que le trou sera béant, nombreuses sont les personnes qui, suivant ce chemin, pourront y tomber. S’il en sort et le comble de terre, il n’y aura plus alors de danger pour lui ni pour les autres ; mais, je vous le déclare, cette tentation est bien dangereuse.
5 J’en sais long sur ce point, grâce à mon expérience, et ainsi je peux vous en parler, quoique pas aussi bien que je l’aurais voulu.
6 Le démon vous donne à entendre que vous êtes pauvres, et apparemment il a raison car vous avez fait voeu de pauvreté, tout au moins en paroles ; le démon le laisse également entendre à d’autres personnes adonnées à une vie d’oraison. Je dis : “ en paroles ” car si, lorsque nous nous sommes engagées, notre coeur avait compris la portée de notre promesse, et si nous avions réellement promis, il serait impossible au démon de nous retenir vingt ans, et notre vie entière, dans cette tentation. Nous verrions que nous trompons le monde et que nous nous trompons nous-mêmes. En d’autres mots : celui qui a fait voeu de pauvreté, ou celui qui s’imagine pratiquer la pauvreté dit : “ je ne désire rien ”, si j’ai telle chose c’est que je ne puis m’en passer ”, “ après tout, si je dois servir Dieu, il faut que je vive ”, “ il veut que nous soutenions notre corps ” ; et c’est ainsi que le démon, sous l’apparence d’un ange (car en soi tout cela est bon), suscite mille choses de ce genre ; aussi finit-il par nous persuader que nous sommes pauvres, que nous possédons la vertu de pauvreté, et que tout est fait sur ce point.
7 Venons-en maintenant à la preuve, car nous ne pourrons voir clair en nous-mêmes qu’en nous méfiant sans cesse de notre comportement ; s’il décale quelque préoccupation, nous reconnaissons tout de suite les symptômes. Imaginons une personne dont le revenu dépasse largement les besoins - j’entends : les revenus de la vie courante - et qui garde trois domestiques quand un seul lui suffirait. Voici qu’on lui intente un procès pour une petite partie de son bien, ou encore qu’un pauvre paysan ne lui paie pas son dû, la voilà aussi affectée et aussi altérée que si elle n’avait plus de quoi vivre. Elle va objecter aussitôt que si elle ne se soucie pas de son bien, il va se perdre, elle a immédiatement une excuse. Je ne veux pas dire qu’elle doive négliger ses affaires ; bien au contraire, elle doit en prendre soin, qu’elles marchent bien ou mal. Mais le vrai pauvre fait peu cas de ces choses, et si, pour une raison ou une autre, il doit s’occuper de ses intérêts, jamais il ne s’inquiète, car il ne lui passe pas par l’esprit qu’il puisse lui manquer quoi que ce soit ; et quand bien même cela lui arriverait, peu lui importe ; c’est pour lui accessoire, ce n’est pas le principal ; ses pensées vont plus haut, et c’est avec effort qu’il s’occupe de semblables choses.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 67
Suite du même sujet. Met en garde contre les fausses humilités que suggère le démon.
1 Revenons aux religieux et aux religieuses ; il est acquis qu’ils sont pauvres, ou tout au moins qu’ils doivent l’être ; ils ne possèdent rien, parce qu’en réalité ils n’ont rien ; mais supposé qu’on leur donne quelque chose, il est alors extraordinaire qu’ils le jugent superflu. Ils aimeront toujours avoir une petite réserve et, s’ils peuvent se procurer un habit de drap fin, ils n’en demanderont pas un d’étoffe grossière ; bref, une vétille quelconque qu’ils puissent mettre en gage ou vendre (ne serait-ce que des livres) pour le cas où ils tomberaient malades et auraient besoin de plus d’attentions qu’à l’ordinaire. Pauvre de moi ! Eh quoi ! Est-ce là ce que vous avez promis ? Cessez de vous soucier de vous-mêmes, et laissez Dieu prendre soin de vous quoi qu’il arrive ; en effet, mieux aurait valu, si vous vous efforcez de pourvoir à vos besoins futurs, que vous ayez un revenu assuré : vous vous seriez évité bien des distractions.
2 Ceci n’implique peut-être pas “ péché ”, mais il est bon que nous apprenions à reconnaître ces imperfections, afin de comprendre combien nous sommes loin de posséder la vertu de pauvreté. Demandons-la à Dieu, et tâchons de l’obtenir car, si nous avons dans l’idée que nous sommes pauvres, nous nous laisserons aller à l’insouciance et à l’illusion, ce qui est pire.
3 Il en est de même avec l’humilité ; nous pensons ne pas rechercher l’honneur et être indifférents à tout ; que survienne une occasion où votre honneur soit chatouillé : vos réactions et vos actes révéleront immédiatement que nous n’êtes pas humbles, et si un honneur se présente, vous ne le rejetez pas - pas plus que les pauvres dont je viens de parler - pour un plus grand profit. Et Dieu veuille qu’on ne cherche pas soi-même à se le procurer ! On a tant de phrases sur les lèvres pour proclamer qu’on ne veut rien et que rien ne vous importe, qu’on finit vraiment par le croire.
4 Et à force de le répéter, nous le croyons de plus en plus ; mais on s’aperçoit immédiatement que c’est une tentation si, comme je l’ai dit, on est sur ses gardes ; cette preuve est valable, tant pour les vertus dont j’ai parlé, que pour beaucoup d’autres ; car lorsque nous avons véritablement une de ces solides vertus, elle amène toutes les autres derrière elle ; c’est chose très connue.
5 Gardez-vous aussi, mes filles, de certaines humilités que le démon nous inspire et qui nous jettent dans une vive inquiétude quant à la gravité de nos péchés passés : “ suis-je digne de m’approcher du Saint Sacrement ? ”, “ je ne mérite pas de vivre parmi les personnes vertueuses ”. Des choses de ce genre, lorsqu’elles amènent le calme, la joie et la satisfaction, et sont suggérées par la connaissance que nous avons de nous-mêmes sont hautement estimables ; mais si elles sont accompagnées de trouble, d’inquiétude et d’angoisse, et si vous ne pouvez apaiser votre esprit, soyez sûres qu’il s’agit d’une tentation ; n’imaginez pas que vous êtes humbles, car tout cela n’a rien à voir avec l’humilité.
6 Il en est de même des pénitences inconsidérées ; le but du démon est de vous mettre dans la tête que vous êtes plus pénitentes que les autres, et que vous faites quelque chose ; mais si, lorsque votre confesseur ou votre Supérieur vous dit de ne pas faire ces pénitences, vous en êtes peinée et recommencez, il est clair qu’il y a tentation. Ainsi en est-il - je le répète - en toutes choses ; mais soyez spécialement vigilantes à ne pas oublier cette dernière.
CHAPITRE 68
Suite du même sujet et conseils concernant les tentations.
1 Le démon peut aussi mettre en vous un sentiment de sécurité qui vous incite à croire que, pour rien au monde, vous ne retomberez dans les fautes passées : “ je sais ce qu’est le monde. ” Cette tentation est la pire de toutes, et particulièrement si elle survient dans les débuts, parce qu’elle vous pousse à vous exposer aux occasions ; vous vous y précipitez la tête la première, et plaise à Dieu que vous vous releviez de cette chute ! Comme le démon voit que cette âme peut lui nuire et être utile à d’autres, il fait tout ce qu’il peut pour l’empêcher de se relever.
2 Pour ce qui est des consolations, si le Seigneur vous amène à la contemplation, s’il vous fait participer tout spécialement aux richesses de sa Personne, s’il vous donne des gages de son amour, ayez soin de commencer et de finir par un examen de conscience ; soyez sur vos gardes, et discutez toutes choses avec quelqu’un qui vous comprenne, car c’est là, sous une forme ou sous une autre, que le démon fait ses mauvais coups. Il existe de nombreux livres fourmillants d’avis semblables, mais tous autant qu’ils sont ne peuvent nous donner une entière sécurité, car nous ne savons pas nous comprendre.
3 Père Éternel, ne nous soumettez donc pas à cette tentation ! Qu’on nous attaque ouvertement, si nous avons votre grâce ; mais ces trahisons, qui pourra les découvrir, ô mon Dieu ? Nous avons toujours besoin de votre secours. Manifestez vous de quelque manière, Seigneur, afin que nous ne vivions pas dans une peur continuelle. Vous savez bien que ceux qui suivent ce chemin ne sont pas nombreux, et que s’ils doivent avancer au milieu de tant de craintes, ils le seront encore beaucoup moins.
4 Voilà une chose étrange ! Comme si le démon ne tentait pas ceux qui ne pratiquent pas l’oraison ! Tout le monde s’étonne davantage de voir un de ceux qui cheminent sur cette route trompé par le démon, que d’en voir cent mille autres aller droit en enfer par d’autres chemins. Et, en vérité, le monde a raison, car, parmi ceux qui récitent le Paternoster avec l’attention voulue, il y en a si peu qui se laissent tromper par le démon, que l’on s’en étonne comme d’une chose nouvelle et inhabituelle. L’homme est d’ailleurs ainsi fait : il passe facilement par- dessus ce qu’il voit quotidiennement, et s’étonne de ce qui n’est jamais arrivé. Les démons eux-mêmes les incitent à s’étonner, parce qu’ils y trouvent leur compte, et qu’une seule âme qui arrive à la perfection leur en fait perdre beaucoup d’autres.
5 Et, je le répète, ces chutes sont si surprenantes que je ne m’étonne pas qu’on en soit surpris car, à moins que ce ne soit vraiment de leur faute, ceux qui s’engagent sur cette route sont beaucoup plus à l’abri que ceux qui cheminent sur n’importe quelle autre ; tout comme ceux qui regardent la corrida d’une tribune sont davantage protégés que ceux qui se placent devant le taureau, et s’exposent à recevoir un coup de corne. Cette comparaison, que j’ai entendue quelque part, me semble convenir au pied de la lettre. Ne craignez pas, mes soeurs, de suivre les chemins de l’oraison : il s’y trouve de nombreuses voies ; les unes, comme je l’ai dit, conviennent à ceux-ci, les autres à ceux-là. C’est un chemin sûr ; vous échapperez plus promptement à la tentation en restant près du Seigneur qu’en vous éloignant de lui. Suppliez-le de vous accorder cette grâce et demandez-la lui par cette prière du Paternoster que vous répétez tant de fois chaque jour.
CHAPITRE 69
Conseils pour ces tentations ; les remèdes sont : l’amour et la crainte de Dieu. Parle de la crainte.
1 Et suivez ce conseil qui ne vient pas de moi mais de votre Maître : efforcez-vous de cheminer dans l’amour et la crainte. Je vous affirme que l’amour vous fera presser le pas, et que la crainte vous fera regarder où vous devez poser les pieds pour ne pas tomber. Avec ces deux choses, il est sûr que vous ne vous tromperez pas.
2 Mais, me direz-vous, à quel signe pourrons-nous reconnaître que nous possédons ces deux choses si grandes ? On s’en aperçoit tout de suite ; les aveugles, comme on dit, les voient ; ces choses ne sont pas secrètes, elles sont si hurlantes que, malgré vous, vous entendrez le bruit qu’elles font ; et on les remarque d’autant plus que ceux qui les possèdent sont moins nombreux. Amour et crainte de Dieu, cela n’a l’air de rien ! Ce sont pourtant deux places fortes d’où l’on fait la guerre au monde et aux démons.
3 Ceux qui aiment vraiment Dieu, aiment tout ce qui est bon, veulent tout ce qui est bon, favorisent tout ce qui est bon, louent tout ce qui est bon, s’unissent avec les bons, les défendent toujours et embrassent toutes les vertus ; ils n’aiment que la vérité et ce qui est digne d’être aimé. Pensez-vous que celui qui aime vraiment Dieu, aime les vanités ? Non, certes ! pas plus qu’il ne peut aimer les richesses, les choses de ce monde ou les honneurs ; il ne connaît pas davantage l’envie. La raison en est que son unique ambition est de contenter l’Aimé. Il se meurt du désir d’être aimé de lui, et consume sa vie à rechercher les moyens de lui plaire toujours davantage. Se cacher ? C’est impossible ! Voyez plutôt un saint Paul, une sainte Madeleine : au bout de trois jours le premier commence à comprendre qu’il est malade d’amour ; Madeleine le comprend dès le premier jour et avec quelle évidence ! Car il y a divers degrés dans cet amour, selon sa force il se manifeste plus ou moins : s’il est faible, il se montre faiblement, et s’il est puissant, il se montre puissamment.
4 Mais comme nous parlons principalement des pièges et illusions que le démon réserve à ceux qui sont élevés à la contemplation parfaite et aux hautes faveurs, je dis que l’amour est grand chez les contemplatifs ; aussi se manifeste-t-il fortement et de bien des manières Comme un grand feu, obligatoirement il jette un vif éclat ! S’il n’en est pas ainsi, ils doivent se défier d’eux-mêmes et croire qu’ils ont sujet de trembler ; qu’ils en cherchent la cause, qu’ils fassent des prières, se tiennent dans l’humilité et supplient le Seigneur de ne pas les induire en tentation ; car si ce signe fait défaut, ils sont déjà dans la tentation. Mais si vous restez humbles et cherchez à connaître la vérité, si vous obéissez à votre confesseur, sachez-le : le Seigneur est fidèle 334 ; et si vous n’avez en vous aucune malice et ne ressentez aucun orgueil, croyez que là où le démon pensait vous donner la mort, Il vous donnera la vie. Si vous êtes soumis aux enseignements de l’Église, vous n’avez rien à craindre ; quelque terreur et illusion que le démon puisse susciter, il trahira aussitôt sa présence.
5 Alors, si vous sentez cet amour de Dieu dont j’ai parlé et la crainte dont je vais vous entretenir, réjouissez-vous et soyez en paix. C’est pour troubler votre âme et l’empêcher de jouir de biens si élevés que le démon cherche à vous inspirer mille vaines terreurs, et à persuader les autres d’en faire tout autant. Comme il ne peut vous gagner, il tâche du moins de vous faire perdre quelque chose, et pousse à leur perte ceux qui pourraient gagner beaucoup s’ils croyaient que Dieu accorde de si hautes faveurs à une si vile créature.
Suite du même sujet. Met en garde contre les fausses humilités que suggère le démon.
1 Revenons aux religieux et aux religieuses ; il est acquis qu’ils sont pauvres, ou tout au moins qu’ils doivent l’être ; ils ne possèdent rien, parce qu’en réalité ils n’ont rien ; mais supposé qu’on leur donne quelque chose, il est alors extraordinaire qu’ils le jugent superflu. Ils aimeront toujours avoir une petite réserve et, s’ils peuvent se procurer un habit de drap fin, ils n’en demanderont pas un d’étoffe grossière ; bref, une vétille quelconque qu’ils puissent mettre en gage ou vendre (ne serait-ce que des livres) pour le cas où ils tomberaient malades et auraient besoin de plus d’attentions qu’à l’ordinaire. Pauvre de moi ! Eh quoi ! Est-ce là ce que vous avez promis ? Cessez de vous soucier de vous-mêmes, et laissez Dieu prendre soin de vous quoi qu’il arrive ; en effet, mieux aurait valu, si vous vous efforcez de pourvoir à vos besoins futurs, que vous ayez un revenu assuré : vous vous seriez évité bien des distractions.
2 Ceci n’implique peut-être pas “ péché ”, mais il est bon que nous apprenions à reconnaître ces imperfections, afin de comprendre combien nous sommes loin de posséder la vertu de pauvreté. Demandons-la à Dieu, et tâchons de l’obtenir car, si nous avons dans l’idée que nous sommes pauvres, nous nous laisserons aller à l’insouciance et à l’illusion, ce qui est pire.
3 Il en est de même avec l’humilité ; nous pensons ne pas rechercher l’honneur et être indifférents à tout ; que survienne une occasion où votre honneur soit chatouillé : vos réactions et vos actes révéleront immédiatement que nous n’êtes pas humbles, et si un honneur se présente, vous ne le rejetez pas - pas plus que les pauvres dont je viens de parler - pour un plus grand profit. Et Dieu veuille qu’on ne cherche pas soi-même à se le procurer ! On a tant de phrases sur les lèvres pour proclamer qu’on ne veut rien et que rien ne vous importe, qu’on finit vraiment par le croire.
4 Et à force de le répéter, nous le croyons de plus en plus ; mais on s’aperçoit immédiatement que c’est une tentation si, comme je l’ai dit, on est sur ses gardes ; cette preuve est valable, tant pour les vertus dont j’ai parlé, que pour beaucoup d’autres ; car lorsque nous avons véritablement une de ces solides vertus, elle amène toutes les autres derrière elle ; c’est chose très connue.
5 Gardez-vous aussi, mes filles, de certaines humilités que le démon nous inspire et qui nous jettent dans une vive inquiétude quant à la gravité de nos péchés passés : “ suis-je digne de m’approcher du Saint Sacrement ? ”, “ je ne mérite pas de vivre parmi les personnes vertueuses ”. Des choses de ce genre, lorsqu’elles amènent le calme, la joie et la satisfaction, et sont suggérées par la connaissance que nous avons de nous-mêmes sont hautement estimables ; mais si elles sont accompagnées de trouble, d’inquiétude et d’angoisse, et si vous ne pouvez apaiser votre esprit, soyez sûres qu’il s’agit d’une tentation ; n’imaginez pas que vous êtes humbles, car tout cela n’a rien à voir avec l’humilité.
6 Il en est de même des pénitences inconsidérées ; le but du démon est de vous mettre dans la tête que vous êtes plus pénitentes que les autres, et que vous faites quelque chose ; mais si, lorsque votre confesseur ou votre Supérieur vous dit de ne pas faire ces pénitences, vous en êtes peinée et recommencez, il est clair qu’il y a tentation. Ainsi en est-il - je le répète - en toutes choses ; mais soyez spécialement vigilantes à ne pas oublier cette dernière.
CHAPITRE 68
Suite du même sujet et conseils concernant les tentations.
1 Le démon peut aussi mettre en vous un sentiment de sécurité qui vous incite à croire que, pour rien au monde, vous ne retomberez dans les fautes passées : “ je sais ce qu’est le monde. ” Cette tentation est la pire de toutes, et particulièrement si elle survient dans les débuts, parce qu’elle vous pousse à vous exposer aux occasions ; vous vous y précipitez la tête la première, et plaise à Dieu que vous vous releviez de cette chute ! Comme le démon voit que cette âme peut lui nuire et être utile à d’autres, il fait tout ce qu’il peut pour l’empêcher de se relever.
2 Pour ce qui est des consolations, si le Seigneur vous amène à la contemplation, s’il vous fait participer tout spécialement aux richesses de sa Personne, s’il vous donne des gages de son amour, ayez soin de commencer et de finir par un examen de conscience ; soyez sur vos gardes, et discutez toutes choses avec quelqu’un qui vous comprenne, car c’est là, sous une forme ou sous une autre, que le démon fait ses mauvais coups. Il existe de nombreux livres fourmillants d’avis semblables, mais tous autant qu’ils sont ne peuvent nous donner une entière sécurité, car nous ne savons pas nous comprendre.
3 Père Éternel, ne nous soumettez donc pas à cette tentation ! Qu’on nous attaque ouvertement, si nous avons votre grâce ; mais ces trahisons, qui pourra les découvrir, ô mon Dieu ? Nous avons toujours besoin de votre secours. Manifestez vous de quelque manière, Seigneur, afin que nous ne vivions pas dans une peur continuelle. Vous savez bien que ceux qui suivent ce chemin ne sont pas nombreux, et que s’ils doivent avancer au milieu de tant de craintes, ils le seront encore beaucoup moins.
4 Voilà une chose étrange ! Comme si le démon ne tentait pas ceux qui ne pratiquent pas l’oraison ! Tout le monde s’étonne davantage de voir un de ceux qui cheminent sur cette route trompé par le démon, que d’en voir cent mille autres aller droit en enfer par d’autres chemins. Et, en vérité, le monde a raison, car, parmi ceux qui récitent le Paternoster avec l’attention voulue, il y en a si peu qui se laissent tromper par le démon, que l’on s’en étonne comme d’une chose nouvelle et inhabituelle. L’homme est d’ailleurs ainsi fait : il passe facilement par- dessus ce qu’il voit quotidiennement, et s’étonne de ce qui n’est jamais arrivé. Les démons eux-mêmes les incitent à s’étonner, parce qu’ils y trouvent leur compte, et qu’une seule âme qui arrive à la perfection leur en fait perdre beaucoup d’autres.
5 Et, je le répète, ces chutes sont si surprenantes que je ne m’étonne pas qu’on en soit surpris car, à moins que ce ne soit vraiment de leur faute, ceux qui s’engagent sur cette route sont beaucoup plus à l’abri que ceux qui cheminent sur n’importe quelle autre ; tout comme ceux qui regardent la corrida d’une tribune sont davantage protégés que ceux qui se placent devant le taureau, et s’exposent à recevoir un coup de corne. Cette comparaison, que j’ai entendue quelque part, me semble convenir au pied de la lettre. Ne craignez pas, mes soeurs, de suivre les chemins de l’oraison : il s’y trouve de nombreuses voies ; les unes, comme je l’ai dit, conviennent à ceux-ci, les autres à ceux-là. C’est un chemin sûr ; vous échapperez plus promptement à la tentation en restant près du Seigneur qu’en vous éloignant de lui. Suppliez-le de vous accorder cette grâce et demandez-la lui par cette prière du Paternoster que vous répétez tant de fois chaque jour.
CHAPITRE 69
Conseils pour ces tentations ; les remèdes sont : l’amour et la crainte de Dieu. Parle de la crainte.
1 Et suivez ce conseil qui ne vient pas de moi mais de votre Maître : efforcez-vous de cheminer dans l’amour et la crainte. Je vous affirme que l’amour vous fera presser le pas, et que la crainte vous fera regarder où vous devez poser les pieds pour ne pas tomber. Avec ces deux choses, il est sûr que vous ne vous tromperez pas.
2 Mais, me direz-vous, à quel signe pourrons-nous reconnaître que nous possédons ces deux choses si grandes ? On s’en aperçoit tout de suite ; les aveugles, comme on dit, les voient ; ces choses ne sont pas secrètes, elles sont si hurlantes que, malgré vous, vous entendrez le bruit qu’elles font ; et on les remarque d’autant plus que ceux qui les possèdent sont moins nombreux. Amour et crainte de Dieu, cela n’a l’air de rien ! Ce sont pourtant deux places fortes d’où l’on fait la guerre au monde et aux démons.
3 Ceux qui aiment vraiment Dieu, aiment tout ce qui est bon, veulent tout ce qui est bon, favorisent tout ce qui est bon, louent tout ce qui est bon, s’unissent avec les bons, les défendent toujours et embrassent toutes les vertus ; ils n’aiment que la vérité et ce qui est digne d’être aimé. Pensez-vous que celui qui aime vraiment Dieu, aime les vanités ? Non, certes ! pas plus qu’il ne peut aimer les richesses, les choses de ce monde ou les honneurs ; il ne connaît pas davantage l’envie. La raison en est que son unique ambition est de contenter l’Aimé. Il se meurt du désir d’être aimé de lui, et consume sa vie à rechercher les moyens de lui plaire toujours davantage. Se cacher ? C’est impossible ! Voyez plutôt un saint Paul, une sainte Madeleine : au bout de trois jours le premier commence à comprendre qu’il est malade d’amour ; Madeleine le comprend dès le premier jour et avec quelle évidence ! Car il y a divers degrés dans cet amour, selon sa force il se manifeste plus ou moins : s’il est faible, il se montre faiblement, et s’il est puissant, il se montre puissamment.
4 Mais comme nous parlons principalement des pièges et illusions que le démon réserve à ceux qui sont élevés à la contemplation parfaite et aux hautes faveurs, je dis que l’amour est grand chez les contemplatifs ; aussi se manifeste-t-il fortement et de bien des manières Comme un grand feu, obligatoirement il jette un vif éclat ! S’il n’en est pas ainsi, ils doivent se défier d’eux-mêmes et croire qu’ils ont sujet de trembler ; qu’ils en cherchent la cause, qu’ils fassent des prières, se tiennent dans l’humilité et supplient le Seigneur de ne pas les induire en tentation ; car si ce signe fait défaut, ils sont déjà dans la tentation. Mais si vous restez humbles et cherchez à connaître la vérité, si vous obéissez à votre confesseur, sachez-le : le Seigneur est fidèle 334 ; et si vous n’avez en vous aucune malice et ne ressentez aucun orgueil, croyez que là où le démon pensait vous donner la mort, Il vous donnera la vie. Si vous êtes soumis aux enseignements de l’Église, vous n’avez rien à craindre ; quelque terreur et illusion que le démon puisse susciter, il trahira aussitôt sa présence.
5 Alors, si vous sentez cet amour de Dieu dont j’ai parlé et la crainte dont je vais vous entretenir, réjouissez-vous et soyez en paix. C’est pour troubler votre âme et l’empêcher de jouir de biens si élevés que le démon cherche à vous inspirer mille vaines terreurs, et à persuader les autres d’en faire tout autant. Comme il ne peut vous gagner, il tâche du moins de vous faire perdre quelque chose, et pousse à leur perte ceux qui pourraient gagner beaucoup s’ils croyaient que Dieu accorde de si hautes faveurs à une si vile créature.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 70
Parle de l’amour de Dieu.
1 Pensez-vous, mes filles, qu’il importe peu au démon de jeter le doute sur ce point ? Il y gagne beaucoup, car il cause deux préjudices bien connus, sans parler des autres ; en premier lieu, il remplit de craintes les âmes qui désirent faire oraison, car elles ont peur d’être trompées à leur tour ; en second lieu, il en dissuade un grand nombre de s’approcher davantage de Dieu ; en effet, il y a de nombreuses âmes qui, croyant que Dieu, dans son immense bonté, se communique si intimement à une personne misérable, pensent qu’il fera la même chose avec elles, et elles ont raison. J’en connais même quelques-unes qui devinrent de vraies âmes de prière, et à qui Dieu, en très peu de temps, accorda de grandes faveurs.
2 Ainsi donc, mes soeurs, quand vous reconnaîtrez cet amour chez l’une d’entre vous, louez Dieu et remerciez-le, mais ne croyez pas pour autant que cette soeur soit en sécurité ; au contraire, aidez-la en priant davantage pour elle, car personne ne peut être en sécurité tant qu’il vit ici-bas plongé dans les périls de cette mer sur laquelle nous naviguons ; mais, je le répète, on reconnaît tout de suite cet amour, là où il se trouve. Puisque nous sommes impuissants à cacher l’amour qu’un malheureux homme éprouve pour une pauvre femme - et qu’au contraire, plus on cherche à le dissimuler plus il saute aux yeux, et pourtant c’est un amour qui n’a pour objet qu’un ver de terre, un amour qui ne mérite pas ce nom, qui ne se fonde sur rien, et il me répugne même de faire cette comparaison -, comment pourrait-on cacher un amour aussi fort que celui de Dieu, un amour qui repose sur de telles fondations, qui a tant à aimer et tant de raisons d’aimer ? Enfin, c’est vraiment de l’amour, il mérite ce nom, et les vanités de ce monde lui ont usurpé son nom. O mon Dieu ! que ces deux amours doivent paraître différents à qui les a éprouvés l’un et l’autre !
3 Daigne Sa Majesté nous donner à goûter l’amour divin avant de nous retirer de cette vie, car à l’heure de la mort (quand nous partons pour une destination inconnue), ce sera pour nous une chose inestimable d’avoir aimé par-dessus tout, aimé avec une passion capable de nous conduire au dépassement de nous-mêmes, ce Seigneur qui va nous juger. Nous pourrons comparaître confiants devant son tribunal pour la remise de nos dettes ; ce ne sera pas aller en terre étrangère, mais en notre propre pays puisque c’est le pays de celui que nous aimons tant. Et parmi les nombreuses qualités de cet amour divin se trouve celle de surpasser les affections d’ici-bas : si nous l’aimons, nous sommes assurées qu’il nous aime. O mes filles ! considérez ici quels avantages cet amour apporte avec lui, et quelle perte il y a à en être privées, car nous sommes alors livrées aux mains du tentateur, mains si cruelles, mains si ennemies de tout bien et si amies de tout mal.
4 Qu’en sera-t-il de la pauvre âme qui, au sortir de douleurs et d’angoisses aussi terribles que celles de la mort, tombera aussitôt dans de telles mains ? Misérable sera son repos, misérable ! elle tombera toute déchirée en enfer. Quelle multitude de serpents de toute espèce ! quel lieu effroyable ! quelle demeure de malédiction ! Si une nuit passée dans une mauvaise auberge n’est pas tolérable pour des personnes aimant leurs aises - et ce sont celles-là surtout qui doivent peupler l’enfer -, comment supporteront-elles pour toujours, toujours, cette auberge éternelle ? Qu’éprouvera, dites-moi, cette âme infortunée ? Ne cherchons pas nos aises, mes filles, nous sommes bien ici ; ce n’est qu’une nuit à passer dans une mauvaise auberge. Louons Dieu, et ayons toujours soin de le supplier qu’il nous tienne par la main, nous et tous les pécheurs, et qu’il ne nous laisse pas succomber à ces tentations déguisées.
Parle de l’amour de Dieu.
1 Pensez-vous, mes filles, qu’il importe peu au démon de jeter le doute sur ce point ? Il y gagne beaucoup, car il cause deux préjudices bien connus, sans parler des autres ; en premier lieu, il remplit de craintes les âmes qui désirent faire oraison, car elles ont peur d’être trompées à leur tour ; en second lieu, il en dissuade un grand nombre de s’approcher davantage de Dieu ; en effet, il y a de nombreuses âmes qui, croyant que Dieu, dans son immense bonté, se communique si intimement à une personne misérable, pensent qu’il fera la même chose avec elles, et elles ont raison. J’en connais même quelques-unes qui devinrent de vraies âmes de prière, et à qui Dieu, en très peu de temps, accorda de grandes faveurs.
2 Ainsi donc, mes soeurs, quand vous reconnaîtrez cet amour chez l’une d’entre vous, louez Dieu et remerciez-le, mais ne croyez pas pour autant que cette soeur soit en sécurité ; au contraire, aidez-la en priant davantage pour elle, car personne ne peut être en sécurité tant qu’il vit ici-bas plongé dans les périls de cette mer sur laquelle nous naviguons ; mais, je le répète, on reconnaît tout de suite cet amour, là où il se trouve. Puisque nous sommes impuissants à cacher l’amour qu’un malheureux homme éprouve pour une pauvre femme - et qu’au contraire, plus on cherche à le dissimuler plus il saute aux yeux, et pourtant c’est un amour qui n’a pour objet qu’un ver de terre, un amour qui ne mérite pas ce nom, qui ne se fonde sur rien, et il me répugne même de faire cette comparaison -, comment pourrait-on cacher un amour aussi fort que celui de Dieu, un amour qui repose sur de telles fondations, qui a tant à aimer et tant de raisons d’aimer ? Enfin, c’est vraiment de l’amour, il mérite ce nom, et les vanités de ce monde lui ont usurpé son nom. O mon Dieu ! que ces deux amours doivent paraître différents à qui les a éprouvés l’un et l’autre !
3 Daigne Sa Majesté nous donner à goûter l’amour divin avant de nous retirer de cette vie, car à l’heure de la mort (quand nous partons pour une destination inconnue), ce sera pour nous une chose inestimable d’avoir aimé par-dessus tout, aimé avec une passion capable de nous conduire au dépassement de nous-mêmes, ce Seigneur qui va nous juger. Nous pourrons comparaître confiants devant son tribunal pour la remise de nos dettes ; ce ne sera pas aller en terre étrangère, mais en notre propre pays puisque c’est le pays de celui que nous aimons tant. Et parmi les nombreuses qualités de cet amour divin se trouve celle de surpasser les affections d’ici-bas : si nous l’aimons, nous sommes assurées qu’il nous aime. O mes filles ! considérez ici quels avantages cet amour apporte avec lui, et quelle perte il y a à en être privées, car nous sommes alors livrées aux mains du tentateur, mains si cruelles, mains si ennemies de tout bien et si amies de tout mal.
4 Qu’en sera-t-il de la pauvre âme qui, au sortir de douleurs et d’angoisses aussi terribles que celles de la mort, tombera aussitôt dans de telles mains ? Misérable sera son repos, misérable ! elle tombera toute déchirée en enfer. Quelle multitude de serpents de toute espèce ! quel lieu effroyable ! quelle demeure de malédiction ! Si une nuit passée dans une mauvaise auberge n’est pas tolérable pour des personnes aimant leurs aises - et ce sont celles-là surtout qui doivent peupler l’enfer -, comment supporteront-elles pour toujours, toujours, cette auberge éternelle ? Qu’éprouvera, dites-moi, cette âme infortunée ? Ne cherchons pas nos aises, mes filles, nous sommes bien ici ; ce n’est qu’une nuit à passer dans une mauvaise auberge. Louons Dieu, et ayons toujours soin de le supplier qu’il nous tienne par la main, nous et tous les pécheurs, et qu’il ne nous laisse pas succomber à ces tentations déguisées.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 71
Il faut se garder des péchés véniels.
1 Comme je me suis étendue ! Moins, pourtant, que je ne l’aurais voulu, car s’il est savoureux de parler de l’amour de Dieu, que sera-ce donc de le posséder 340 ? O mon Seigneur, donnez-le-moi, vous ! Que je ne quitte cette vie que lorsque je n’y désirerai plus rien, lorsque je ne saurai plus aimer que vous, et lorsque je ne pourrai donner ce mot d’amour à personne, puisqu’en dehors de vous, tout est faux ! Si les fondements sont mensongers, comment l’édifice pourrait-il durer ? Je ne sais pourquoi nous nous étonnons ; pour moi, quand j’entends dire : “ celui-ci m’a bien mal payé de retour ”, “ cet autre ne m’aime pas ”, je ris à part moi. Pourquoi voulez-vous donc qu’il vous paie ? pourquoi vous aimerait-il ? Vous verrez par là ce que vaut le monde, si votre amour lui-même se tourne en châtiment ! Et ce qui vous détruit, c’est d’avoir engagé votre puissance d’amour dans des passe-temps enfantins. Venons-en maintenant à la crainte de Dieu, bien que je sois désolée de ne pouvoir parler davantage de cet amour du monde car, pour mes péchés, je le connais bien, et je voudrais vous le faire connaître afin que vous vous en libériez pour toujours ; mais comme je sortirais de mon sujet, il faut que je passe outre. La crainte de Dieu est, elle aussi, très visible pour celui qui la possède et pour ceux qui l’entourent. Remarquez ici cependant que, dans les débuts, elle n’est pas apparente au point qu’on puisse la reconnaître toujours chez tous, mais petit à petit elle croit en qualité ; font exception, je le répète, quelques personnes que le Seigneur comble tout de suite de si grandes faveurs, et élève à un si haut degré d’oraison, qu’on la reconnaît immédiatement ; et lorsque les grâces n’atteignent pas cette intensité - j’entends par là, comme je l’ai dit, qu’une visite du Seigneur ne laisse pas l’âme riche de toutes les vertus -, elles grandissent peu à peu. Mais l’amour et la crainte de Dieu ne manquent pas de se manifester d’autant plus fortement que cet amour et cette crainte gagnent en excellence, car l’âme qui les possède s’éloigne du péché, des occasions et des mauvaises compagnies ; d’autres signes apparaissent aussi. Quand l’âme a atteint le haut degré d’oraison dont nous parlons maintenant, la crainte de Dieu ne passe pas inaperçue, elle devient au contraire très évidente car extérieurement vous ne verrez pas cette âme manquer de vigilance, et vous aurez beau l’observer de très près, vous constaterez que Dieu la garde de telle manière qu’il ressort clairement que son unique préoccupation est de ne pas l’offenser. Pour tout l’or du monde elle ne commettrait pas volontairement un péché véniel ; quant aux mortels, elle les craint comme le feu. Voilà, mes filles, les illusions que je voudrais que vous craigniez beaucoup suppliez Dieu sans cesse de ne pas permettre que la tentation soit si violente que vous veniez à l’offenser, car si vous gardez une conscience pure, le démon ne pourra vous faire aucun mal, ou très peu ; tout tournera pour lui en motif de défaite supplémentaire. Telle est la crainte que je voudrais que votre âme éprouve toujours ; c’est elle qui sera votre sauvegarde.
2 Oh ! quelle grande chose de n’avoir pas offensé le Seigneur ! par là, nous tenons enchaînés les captifs et les esclaves de l’enfer ! Car enfin, bon gré mal gré, toutes les créatures doivent servir Dieu ; mais tandis que les démons le font par force, nous le faisons de bon coeur. Donc, contentons le Seigneur, et ils seront tenus en échec ; ils ne feront rien, je le répète, qui ne soit pour nous source de profit.
3 Veillez intérieurement à garder votre conscience pure jusqu’à ce que vous voyiez en vous une si grande résolution de ne pas offenser le Seigneur que vous soyez prêtes à perdre mille vies plutôt que de commettre un péché véniel, et à vous laisser attaquer par le monde entier. Quand je dis : “ que vous voyiez ”, cela signifie : de propos délibéré, c’est-à-dire en connaissance de cause, car, pour ce qui est des autres péchés, qui pourra éviter d’en commettre un grand nombre ? Il y a une advertance très réfléchie, et une autre si rapide que, jusqu’à ce qu’on ait commis une légère faute, jusqu’à ce qu’elle soit commise, on ne semble pas la remarquer ; pourtant : si, jusqu’à un certain point on la remarque. Quant au péché, si petit qu’il soit, que l’on commet en pleine conscience, Dieu nous en préserve. Je ne sais comment nous pouvons être assez hardis pour pécher contre un si grand Seigneur, même dans la plus petite chose ; d’ailleurs, rien n’est petit dès lors qu’il s’agit d’aller contre une aussi haute Majesté, et alors même que nous savons que ses regards sont fixés sur nous. C’est là, à mon avis, un péché prémédité ; c’est comme si nous disions : “ Seigneur, même si cela vous déplaît, je le ferai ; je vois bien que vous le voyez, je sais que vous ne le voulez pas, je le comprends bien, mais j’aime mieux suivre mon caprice que votre volonté. ” Eh bien ! qu’un péché de cette sorte soit minime, je ne le crois pas ; c’est au contraire une chose très très importante.
4 Pour l’amour de Dieu, mes filles, ne soyez jamais négligentes sur ce point, et (glorifions-en le Seigneur) vous ne l’êtes pas pour l’instant ; considérez que l’habitude compte pour beaucoup, ainsi que le fait de commencer à comprendre ce qu’est offenser Dieu, et combien c’est grave. Efforcez-vous d’y réfléchir, et pensez-y très souvent, afin que, peu à peu, vous enraciniez fermement dans vos coeurs la crainte de Dieu. Tant que l’âme n’aura pas conscience de la posséder au plus intime d’elle-même, qu’elle fasse preuve de beaucoup, beaucoup de prudence, et qu’elle s’éloigne de toutes les occasions et compagnies qui ne l’aideront pas à se rapprocher davantage de Dieu. Qu’elle s’applique sérieusement, dans tout ce qu’elle fait, à vaincre sa volonté ; que tous ses propos servent à édifier le prochain, qu’elle fuie toute conversation où l’on ne parle pas de Dieu. Il y a beaucoup à faire pour enraciner en soi cette crainte de Dieu mais, si notre amour est véritable et si, comme je l’ai dit, l’âme se sent fermement résolue à ne commettre un péché véniel pour rien au monde, ni par crainte de mille morts, Sa Majesté nous l’accordera rapidement. Sans doute, il pourra arriver que cette âme fasse encore un péché véniel, car nous sommes faibles et nous ne pouvons pas compter sur nous, mais plus nos résolutions seront fermes, moins nous devrons nous fier à nous-mêmes ; c’est en Dieu seul que doit reposer notre confiance. Quand nous nous trouverons dans l’état dont je viens de parler, nous n’aurons plus besoin d’être si timides et si craintives, car le Seigneur et l’habitude que nous avons contractée nous aideront à ne plus l’offenser. Faisons preuve d’une sainte liberté, et fréquentons tous ceux qui se trouveront sur notre chemin ; et si ce sont des personnes étourdies, tant mieux ! Du moment que nous détestons le péché, elles ne pourront pas nous nuire ; au contraire, elles nous aideront à poursuivre nos bonnes résolutions, car nous verrons la différence qui existe entre l’une et l’autre attitude.
5 Si l’âme commence à se recroqueviller, c’est une entrave à tout bien. Elle tombe parfois dans le scrupule, et elle devient inutile à elle-même et aux autres ; et si elle ne tombe pas dans le scrupule, elle pourra parvenir à se sanctifier, mais elle n’amènera pas beaucoup d’âmes à Dieu, car la vue de tant de gêne et de contrainte les arrêteront. En effet, notre naturel est tel qu’il se sent immédiatement étouffé et, pour ne pas nous voir serrés dans cet étau, nous perdons le désir de nous approcher si particulièrement du chemin de la vertu.
6 Il va s’ensuivre un autre dommage : celui de juger défavorablement ceux qui ne suivent pas ce chemin, et qui sont pourtant plus saints que nous ; mais comme ils abordent les autres sans pusillanimité - afin de leur être utiles -, nous les traitons immédiatement d’imparfaits S’ils laissent paraître une sainte joie, nous n’y voyons que laisser-aller, surtout nous, pauvres femmes qui, faute de science, ignorons ce qui peut se faire sans péché. C’est une chose très dangereuse, car on est dans une tentation continuelle, on n’y voit pas clair, et on fait tort au prochain. Enfin, il est très néfaste de croire que tous ceux qui ne suivent pas nos pas timorés ne sont pas en bon chemin. Il y a encore un autre inconvénient, c’est que, dans certains cas où vous auriez à parler et devriez parler, vous n’oserez le faire de crainte d’offenser Dieu, et vous direz du bien de ce que vous devriez avoir en horreur.
Il faut se garder des péchés véniels.
1 Comme je me suis étendue ! Moins, pourtant, que je ne l’aurais voulu, car s’il est savoureux de parler de l’amour de Dieu, que sera-ce donc de le posséder 340 ? O mon Seigneur, donnez-le-moi, vous ! Que je ne quitte cette vie que lorsque je n’y désirerai plus rien, lorsque je ne saurai plus aimer que vous, et lorsque je ne pourrai donner ce mot d’amour à personne, puisqu’en dehors de vous, tout est faux ! Si les fondements sont mensongers, comment l’édifice pourrait-il durer ? Je ne sais pourquoi nous nous étonnons ; pour moi, quand j’entends dire : “ celui-ci m’a bien mal payé de retour ”, “ cet autre ne m’aime pas ”, je ris à part moi. Pourquoi voulez-vous donc qu’il vous paie ? pourquoi vous aimerait-il ? Vous verrez par là ce que vaut le monde, si votre amour lui-même se tourne en châtiment ! Et ce qui vous détruit, c’est d’avoir engagé votre puissance d’amour dans des passe-temps enfantins. Venons-en maintenant à la crainte de Dieu, bien que je sois désolée de ne pouvoir parler davantage de cet amour du monde car, pour mes péchés, je le connais bien, et je voudrais vous le faire connaître afin que vous vous en libériez pour toujours ; mais comme je sortirais de mon sujet, il faut que je passe outre. La crainte de Dieu est, elle aussi, très visible pour celui qui la possède et pour ceux qui l’entourent. Remarquez ici cependant que, dans les débuts, elle n’est pas apparente au point qu’on puisse la reconnaître toujours chez tous, mais petit à petit elle croit en qualité ; font exception, je le répète, quelques personnes que le Seigneur comble tout de suite de si grandes faveurs, et élève à un si haut degré d’oraison, qu’on la reconnaît immédiatement ; et lorsque les grâces n’atteignent pas cette intensité - j’entends par là, comme je l’ai dit, qu’une visite du Seigneur ne laisse pas l’âme riche de toutes les vertus -, elles grandissent peu à peu. Mais l’amour et la crainte de Dieu ne manquent pas de se manifester d’autant plus fortement que cet amour et cette crainte gagnent en excellence, car l’âme qui les possède s’éloigne du péché, des occasions et des mauvaises compagnies ; d’autres signes apparaissent aussi. Quand l’âme a atteint le haut degré d’oraison dont nous parlons maintenant, la crainte de Dieu ne passe pas inaperçue, elle devient au contraire très évidente car extérieurement vous ne verrez pas cette âme manquer de vigilance, et vous aurez beau l’observer de très près, vous constaterez que Dieu la garde de telle manière qu’il ressort clairement que son unique préoccupation est de ne pas l’offenser. Pour tout l’or du monde elle ne commettrait pas volontairement un péché véniel ; quant aux mortels, elle les craint comme le feu. Voilà, mes filles, les illusions que je voudrais que vous craigniez beaucoup suppliez Dieu sans cesse de ne pas permettre que la tentation soit si violente que vous veniez à l’offenser, car si vous gardez une conscience pure, le démon ne pourra vous faire aucun mal, ou très peu ; tout tournera pour lui en motif de défaite supplémentaire. Telle est la crainte que je voudrais que votre âme éprouve toujours ; c’est elle qui sera votre sauvegarde.
2 Oh ! quelle grande chose de n’avoir pas offensé le Seigneur ! par là, nous tenons enchaînés les captifs et les esclaves de l’enfer ! Car enfin, bon gré mal gré, toutes les créatures doivent servir Dieu ; mais tandis que les démons le font par force, nous le faisons de bon coeur. Donc, contentons le Seigneur, et ils seront tenus en échec ; ils ne feront rien, je le répète, qui ne soit pour nous source de profit.
3 Veillez intérieurement à garder votre conscience pure jusqu’à ce que vous voyiez en vous une si grande résolution de ne pas offenser le Seigneur que vous soyez prêtes à perdre mille vies plutôt que de commettre un péché véniel, et à vous laisser attaquer par le monde entier. Quand je dis : “ que vous voyiez ”, cela signifie : de propos délibéré, c’est-à-dire en connaissance de cause, car, pour ce qui est des autres péchés, qui pourra éviter d’en commettre un grand nombre ? Il y a une advertance très réfléchie, et une autre si rapide que, jusqu’à ce qu’on ait commis une légère faute, jusqu’à ce qu’elle soit commise, on ne semble pas la remarquer ; pourtant : si, jusqu’à un certain point on la remarque. Quant au péché, si petit qu’il soit, que l’on commet en pleine conscience, Dieu nous en préserve. Je ne sais comment nous pouvons être assez hardis pour pécher contre un si grand Seigneur, même dans la plus petite chose ; d’ailleurs, rien n’est petit dès lors qu’il s’agit d’aller contre une aussi haute Majesté, et alors même que nous savons que ses regards sont fixés sur nous. C’est là, à mon avis, un péché prémédité ; c’est comme si nous disions : “ Seigneur, même si cela vous déplaît, je le ferai ; je vois bien que vous le voyez, je sais que vous ne le voulez pas, je le comprends bien, mais j’aime mieux suivre mon caprice que votre volonté. ” Eh bien ! qu’un péché de cette sorte soit minime, je ne le crois pas ; c’est au contraire une chose très très importante.
4 Pour l’amour de Dieu, mes filles, ne soyez jamais négligentes sur ce point, et (glorifions-en le Seigneur) vous ne l’êtes pas pour l’instant ; considérez que l’habitude compte pour beaucoup, ainsi que le fait de commencer à comprendre ce qu’est offenser Dieu, et combien c’est grave. Efforcez-vous d’y réfléchir, et pensez-y très souvent, afin que, peu à peu, vous enraciniez fermement dans vos coeurs la crainte de Dieu. Tant que l’âme n’aura pas conscience de la posséder au plus intime d’elle-même, qu’elle fasse preuve de beaucoup, beaucoup de prudence, et qu’elle s’éloigne de toutes les occasions et compagnies qui ne l’aideront pas à se rapprocher davantage de Dieu. Qu’elle s’applique sérieusement, dans tout ce qu’elle fait, à vaincre sa volonté ; que tous ses propos servent à édifier le prochain, qu’elle fuie toute conversation où l’on ne parle pas de Dieu. Il y a beaucoup à faire pour enraciner en soi cette crainte de Dieu mais, si notre amour est véritable et si, comme je l’ai dit, l’âme se sent fermement résolue à ne commettre un péché véniel pour rien au monde, ni par crainte de mille morts, Sa Majesté nous l’accordera rapidement. Sans doute, il pourra arriver que cette âme fasse encore un péché véniel, car nous sommes faibles et nous ne pouvons pas compter sur nous, mais plus nos résolutions seront fermes, moins nous devrons nous fier à nous-mêmes ; c’est en Dieu seul que doit reposer notre confiance. Quand nous nous trouverons dans l’état dont je viens de parler, nous n’aurons plus besoin d’être si timides et si craintives, car le Seigneur et l’habitude que nous avons contractée nous aideront à ne plus l’offenser. Faisons preuve d’une sainte liberté, et fréquentons tous ceux qui se trouveront sur notre chemin ; et si ce sont des personnes étourdies, tant mieux ! Du moment que nous détestons le péché, elles ne pourront pas nous nuire ; au contraire, elles nous aideront à poursuivre nos bonnes résolutions, car nous verrons la différence qui existe entre l’une et l’autre attitude.
5 Si l’âme commence à se recroqueviller, c’est une entrave à tout bien. Elle tombe parfois dans le scrupule, et elle devient inutile à elle-même et aux autres ; et si elle ne tombe pas dans le scrupule, elle pourra parvenir à se sanctifier, mais elle n’amènera pas beaucoup d’âmes à Dieu, car la vue de tant de gêne et de contrainte les arrêteront. En effet, notre naturel est tel qu’il se sent immédiatement étouffé et, pour ne pas nous voir serrés dans cet étau, nous perdons le désir de nous approcher si particulièrement du chemin de la vertu.
6 Il va s’ensuivre un autre dommage : celui de juger défavorablement ceux qui ne suivent pas ce chemin, et qui sont pourtant plus saints que nous ; mais comme ils abordent les autres sans pusillanimité - afin de leur être utiles -, nous les traitons immédiatement d’imparfaits S’ils laissent paraître une sainte joie, nous n’y voyons que laisser-aller, surtout nous, pauvres femmes qui, faute de science, ignorons ce qui peut se faire sans péché. C’est une chose très dangereuse, car on est dans une tentation continuelle, on n’y voit pas clair, et on fait tort au prochain. Enfin, il est très néfaste de croire que tous ceux qui ne suivent pas nos pas timorés ne sont pas en bon chemin. Il y a encore un autre inconvénient, c’est que, dans certains cas où vous auriez à parler et devriez parler, vous n’oserez le faire de crainte d’offenser Dieu, et vous direz du bien de ce que vous devriez avoir en horreur.
Re: Le chemin de la perfection St Thérèse d'Avila, œuvre complète
CHAPITRE 72
Au sujet des scrupules. Commentaire de ces mots : “ sed libera nos a malo ”.
1 Ainsi donc, mes soeurs, essayez de bien comprendre que Dieu ne s’arrête pas, comme vous le croyez, à tant de bagatelles ; ne laissez pas votre âme et votre esprit se recroqueviller, vous pourriez perdre de nombreux biens. Je le répète, ayez une intention droite et une ferme volonté de ne pas offenser Dieu. Ne laissez pas votre âme se refermer sur elle-même car, au lieu d’acquérir la sainteté, vous allez contracter une foule d’imperfections que le démon implantera en vous par d’autres voies et, comme je l’ai dit, vous ne ferez de bien ni à vous- mêmes ni à personne.
2 Vous voyez maintenant comment, à l’aide de ces deux vertus, amour et crainte de Dieu, vous pouvez suivre ce chemin en paix, sans vous imaginer qu’à chaque pas il y a un trou où vous pouvez tomber ; sinon, ce serait ne jamais arriver. Mais comme nous ne pouvons pas savoir avec certitude si nous possédons vraiment ces deux choses qui nous sont nécessaires, le Seigneur a pitié de nous ; voyant que notre existence est si incertaine et se déroule au milieu de tant de tentations et de périls, Sa Majesté nous apprend précisément à demander pour nous-mêmes ce qu’Elle demande pour Elle-même : “ Mais délivrez-nous du mal, amen. ”
3 Je dis que le Seigneur le demande pour lui-même, car on voit à quel point il était fatigué de cette vie quand, à la Cène, il dit à ses Apôtres : “ J’ai désiré ardemment manger cette Pâque avec vous ” ; comme c’était la dernière de sa vie, on comprend par là combien il devait être las de l’existence. Et aujourd’hui, ceux qui ont cent ans ne sont pas fatigués de vivre mais, au contraire, ont le désir de rester plus longtemps encore dans cette vie. Il est vrai que notre existence n’est pas aussi pleine d’épreuves et aussi pauvre que celle du bon Jésus. Que fut sa vie entière sinon une croix ? Qu’a-t-il eu devant les yeux sinon notre ingratitude, toutes les offenses que l’on faisait à son Père, et la multitude d’âmes qui se perdaient ? Eh bien ! si tout cela tourmente grandement ici-bas quiconque a quelque charité, que ne dut pas endurer le Seigneur qui était la charité même ? Comme il avait raison de supplier le Père de le délivrer de tant de maux et de souffrances, et de lui accorder le repos éternel !
4 Par le mot “ amen ” qui vient à la fin de tout ce que nous faisons et disons, je comprends que le Seigneur demande que nous soyons délivrés de tout mal à jamais. Il est vain, tant que nous vivons, mes soeurs, de penser que nous pouvons être exemptes de nombreuses tentations, imperfections ou même péchés ; ne dit-on pas que celui qui croit être sans péché se trompe ? et c’est bien vrai. Si nous en venons aux maux et aux épreuves corporels, qui n’en souffre en grand nombre et sous toutes sortes de formes ? et il ne serait pas juste que nous demandions d’en être libérés. Comprenons donc ce que nous demandons ici, puisque le fait de dire : “ de tout mal ” semble impossible, que nous nous référions aux maux physiques - comme je viens de le dire - ou aux imperfections et fautes dans le service de Dieu. Je ne parle pas des saints qui, comme dit saint Paul, peuvent tout dans le Christ, mais aux pécheurs comme moi. Quand je vois en moi tant de faiblesse, de tiédeur, de manque de mortification, je réalise que je dois demander au Seigneur de m’aider. Vous, mes filles, demandez le secours qui vous semblera le meilleur ; en ce qui me concerne, je ne trouve pas de remède en cette vie, aussi je demande au Seigneur de me libérer de tout mal pour toujours. Quel bien, mes soeurs, pouvons-nous trouver dans cette vie, puisque nous y manquons d’un si grand Bien et ne pouvons jouir de sa Présence ? Délivrez moi, Seigneur, de cette ombre de mort ; délivrez-moi de tant d’épreuves, délivrez-moi de tant de souffrances, délivrez-moi de tant de vicissitudes, de tant de civilités à respecter ici-bas, de tant, tant de choses qui me lassent et me fatiguent, et qui lasseraient quiconque lirait ceci, si je les énumérais toutes. Non, cette vie n’est plus supportable. Cet accablement doit venir chez moi de ce que j’ai mal vécu et, je le vois bien, de ce que je ne vis pas comme je le devrais, bien que je sois si redevable ! O mon Seigneur ! délivrez-moi enfin de tout le mal, et daignez me conduire là où sont tous les biens ! Que pouvons-nous attendre ici-bas, nous qui connaissons un peu par expérience le néant de ce monde et avons, par notre foi, quelque idée des récompenses que le Père Éternel nous réserve ? Puisque son Fils le demande et nous apprend à le demander, croyez qu’il ne nous convient pas de vivre, mais désirons plutôt être libérés de tout mal.
5 Cette prière, formulée avec un vif désir et avec une ferme volonté, est un très grand signe de l’authenticité de la contemplation, et la preuve que c’est Dieu lui-même qui attire l’âme à lui ; comme l’âme perçoit déjà les merveilles de Dieu, elle voudrait les voir totalement. Elle voudrait quitter cette vie où il y a tant d’obstacles, pour jouir d’un si grand bien ; elle désire vivre là où le Soleil de justice ne se couche jamais ; tout ce qu’elle voit sur terre lui semble désormais obscur, et je m’étonne qu’elle puisse continuer à y vivre une seule heure ; elle ne doit pas la vivre avec bonheur. Plaisant est le monde pour celui qui a commencé à jouir de Dieu ! Celui à qui Dieu a donné son royaume dès ici-bas, ne vit plus sur cette terre par sa volonté, mais par celle de son Roi !
6 Oh ! comme cette vie-là doit être différente de la nôtre puisqu’on n’y désire plus la mort ! Comme la volonté de Dieu a des inclinations différentes de la nôtre ! Elle désire la vérité ; la nôtre, le mensonge ; elle désire ce qui est éternel, ici-bas nous penchons vers ce qui est passager ; elle désire ce qui est grand et élevé, et nous ce qui est bas et terrestre ; elle désire toutes les choses qui sont assurées, et nous celles qui sont incertaines. Tout est mensonge, mes filles, excepté supplier Dieu de nous délivrer à jamais de tout mal. Et même si nos désirs n’ont pas encore toute la perfection voulue, efforçons-nous de faire cette demande. Que nous en coûte-t-il de demander beaucoup, puisque nous demandons à celui qui peut tout ? Ce serait une honte de demander un maravédis à un grand empereur. Mais pour que nous réussissions, laissons le don à sa volonté, car nous lui avons déjà remis la nôtre. Que son nom soit il jamais sanctifié au ciel et sur la terre, et que sa volonté s’accomplisse toujours en moi, amen.
Au sujet des scrupules. Commentaire de ces mots : “ sed libera nos a malo ”.
1 Ainsi donc, mes soeurs, essayez de bien comprendre que Dieu ne s’arrête pas, comme vous le croyez, à tant de bagatelles ; ne laissez pas votre âme et votre esprit se recroqueviller, vous pourriez perdre de nombreux biens. Je le répète, ayez une intention droite et une ferme volonté de ne pas offenser Dieu. Ne laissez pas votre âme se refermer sur elle-même car, au lieu d’acquérir la sainteté, vous allez contracter une foule d’imperfections que le démon implantera en vous par d’autres voies et, comme je l’ai dit, vous ne ferez de bien ni à vous- mêmes ni à personne.
2 Vous voyez maintenant comment, à l’aide de ces deux vertus, amour et crainte de Dieu, vous pouvez suivre ce chemin en paix, sans vous imaginer qu’à chaque pas il y a un trou où vous pouvez tomber ; sinon, ce serait ne jamais arriver. Mais comme nous ne pouvons pas savoir avec certitude si nous possédons vraiment ces deux choses qui nous sont nécessaires, le Seigneur a pitié de nous ; voyant que notre existence est si incertaine et se déroule au milieu de tant de tentations et de périls, Sa Majesté nous apprend précisément à demander pour nous-mêmes ce qu’Elle demande pour Elle-même : “ Mais délivrez-nous du mal, amen. ”
3 Je dis que le Seigneur le demande pour lui-même, car on voit à quel point il était fatigué de cette vie quand, à la Cène, il dit à ses Apôtres : “ J’ai désiré ardemment manger cette Pâque avec vous ” ; comme c’était la dernière de sa vie, on comprend par là combien il devait être las de l’existence. Et aujourd’hui, ceux qui ont cent ans ne sont pas fatigués de vivre mais, au contraire, ont le désir de rester plus longtemps encore dans cette vie. Il est vrai que notre existence n’est pas aussi pleine d’épreuves et aussi pauvre que celle du bon Jésus. Que fut sa vie entière sinon une croix ? Qu’a-t-il eu devant les yeux sinon notre ingratitude, toutes les offenses que l’on faisait à son Père, et la multitude d’âmes qui se perdaient ? Eh bien ! si tout cela tourmente grandement ici-bas quiconque a quelque charité, que ne dut pas endurer le Seigneur qui était la charité même ? Comme il avait raison de supplier le Père de le délivrer de tant de maux et de souffrances, et de lui accorder le repos éternel !
4 Par le mot “ amen ” qui vient à la fin de tout ce que nous faisons et disons, je comprends que le Seigneur demande que nous soyons délivrés de tout mal à jamais. Il est vain, tant que nous vivons, mes soeurs, de penser que nous pouvons être exemptes de nombreuses tentations, imperfections ou même péchés ; ne dit-on pas que celui qui croit être sans péché se trompe ? et c’est bien vrai. Si nous en venons aux maux et aux épreuves corporels, qui n’en souffre en grand nombre et sous toutes sortes de formes ? et il ne serait pas juste que nous demandions d’en être libérés. Comprenons donc ce que nous demandons ici, puisque le fait de dire : “ de tout mal ” semble impossible, que nous nous référions aux maux physiques - comme je viens de le dire - ou aux imperfections et fautes dans le service de Dieu. Je ne parle pas des saints qui, comme dit saint Paul, peuvent tout dans le Christ, mais aux pécheurs comme moi. Quand je vois en moi tant de faiblesse, de tiédeur, de manque de mortification, je réalise que je dois demander au Seigneur de m’aider. Vous, mes filles, demandez le secours qui vous semblera le meilleur ; en ce qui me concerne, je ne trouve pas de remède en cette vie, aussi je demande au Seigneur de me libérer de tout mal pour toujours. Quel bien, mes soeurs, pouvons-nous trouver dans cette vie, puisque nous y manquons d’un si grand Bien et ne pouvons jouir de sa Présence ? Délivrez moi, Seigneur, de cette ombre de mort ; délivrez-moi de tant d’épreuves, délivrez-moi de tant de souffrances, délivrez-moi de tant de vicissitudes, de tant de civilités à respecter ici-bas, de tant, tant de choses qui me lassent et me fatiguent, et qui lasseraient quiconque lirait ceci, si je les énumérais toutes. Non, cette vie n’est plus supportable. Cet accablement doit venir chez moi de ce que j’ai mal vécu et, je le vois bien, de ce que je ne vis pas comme je le devrais, bien que je sois si redevable ! O mon Seigneur ! délivrez-moi enfin de tout le mal, et daignez me conduire là où sont tous les biens ! Que pouvons-nous attendre ici-bas, nous qui connaissons un peu par expérience le néant de ce monde et avons, par notre foi, quelque idée des récompenses que le Père Éternel nous réserve ? Puisque son Fils le demande et nous apprend à le demander, croyez qu’il ne nous convient pas de vivre, mais désirons plutôt être libérés de tout mal.
5 Cette prière, formulée avec un vif désir et avec une ferme volonté, est un très grand signe de l’authenticité de la contemplation, et la preuve que c’est Dieu lui-même qui attire l’âme à lui ; comme l’âme perçoit déjà les merveilles de Dieu, elle voudrait les voir totalement. Elle voudrait quitter cette vie où il y a tant d’obstacles, pour jouir d’un si grand bien ; elle désire vivre là où le Soleil de justice ne se couche jamais ; tout ce qu’elle voit sur terre lui semble désormais obscur, et je m’étonne qu’elle puisse continuer à y vivre une seule heure ; elle ne doit pas la vivre avec bonheur. Plaisant est le monde pour celui qui a commencé à jouir de Dieu ! Celui à qui Dieu a donné son royaume dès ici-bas, ne vit plus sur cette terre par sa volonté, mais par celle de son Roi !
6 Oh ! comme cette vie-là doit être différente de la nôtre puisqu’on n’y désire plus la mort ! Comme la volonté de Dieu a des inclinations différentes de la nôtre ! Elle désire la vérité ; la nôtre, le mensonge ; elle désire ce qui est éternel, ici-bas nous penchons vers ce qui est passager ; elle désire ce qui est grand et élevé, et nous ce qui est bas et terrestre ; elle désire toutes les choses qui sont assurées, et nous celles qui sont incertaines. Tout est mensonge, mes filles, excepté supplier Dieu de nous délivrer à jamais de tout mal. Et même si nos désirs n’ont pas encore toute la perfection voulue, efforçons-nous de faire cette demande. Que nous en coûte-t-il de demander beaucoup, puisque nous demandons à celui qui peut tout ? Ce serait une honte de demander un maravédis à un grand empereur. Mais pour que nous réussissions, laissons le don à sa volonté, car nous lui avons déjà remis la nôtre. Que son nom soit il jamais sanctifié au ciel et sur la terre, et que sa volonté s’accomplisse toujours en moi, amen.
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