| La méditation
Et ça cancane, et ça jacasse et ça bavasse sur la place du marché et au café du Temple, jusque dans la salle du Trésor, ou dans les ruelles voisines, pieuses dames, bons bourgeois et saints clercs de Jérusalem : « vous savez, l'aveugle, celui qui fait la manche ? … Ce n'est pas possible, ce doit être un autre … oui, un sosie. » Notre homme a beau protester : « c'est bien moi ! » On va quand même demander aux parents, parce que, tout de même, lui qui ne s'est jamais vu, comment pourrait-il se reconnaître ? Il aurait le mauvais goût, en plus, d'avoir un avis sur qui l'a guéri : un prophète ! Qu'est-ce qu'il en sait, des prophètes ? On en a suffisamment tué, des prophètes, pour savoir les reconnaître. Et le bavardage s'enfle, la rumeur d'un scandale. Il avait sa place, on l'y tolérait, ce mendiant, dehors le Temple, dehors nos cercles. Et on murmurait derrière lui, comme s'il ne pouvait pas entendre, on soupçonnait son péché, on imaginait celui de ses parents, l'obscure hérédité. Mais à présent, il voit ; pire : il parle ! Jésus ne lui a pas seulement donné des yeux qui voient, il lui a aussi délié la langue ; alors il en use, magnifique d'ironie et de liberté, confondu de reconnaissance non pour ses faux bienfaiteurs d'hier, mais pour celui-là qui seul a su le regarder et lui parler. « Qui de lui ou de ses parents a péché, pour qu'il naisse aveugle ? Ni lui ni ses parents, mais c'est pour que soit manifeste l'œuvre de Dieu en lui. » Dieu à l'œuvre aussi à la marge, aussi en celui à qui d'avance on a assigné son rôle et la limite à ne pas franchir, parce qu'on sait mieux que lui, parce que ce n'est pas lui qui va nous expliquer, parce qu'on a toujours fait comme ça … Qui prend vraiment au sérieux cette parole du Christ au sujet de prostituées et de publicains qui nous précèdent dans le Royaume (*) ? Ne nous a-t-on pourtant pas dit que c'était eux, les plus grands ? Dieu à l'œuvre, qui nous prend à rebrousse-poil, qui s'attache, avec infiniment de patience, à faire vaciller nos certitudes, qui nous arrache, avec extrême douceur, à nos lieux très communs. Combien y en a-t-il, de ces lieux communs ? La question des disciples se décline, consciente ou non, dans nos vies en autant de "qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour mériter ça ?" : logique comptable qui n'est pas, qui ne sera jamais, celle du Père révélé en Jésus Christ. Alors ? Tout au long de cette semaine, demandons au Seigneur de nous défaire de quelques-unes de nos évidences et fausses clartés. Et, si nous sommes de ces voyants aveugles qui disent "nous voyons" et dont le "péché demeure" (**), prions, pour voir : « Seigneur, éblouis-moi, aveugle-moi. »
* Évangile selon saint Matthieu, chapitre 21, verset 31 ** Évangile selon saint Jean, chapitre 9, verset 41
Méditation enregistrée dans les studios de RCF-Lille
Pour aller plus loin avec la Parole
Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » | |
| Évangile selon saint Matthieu, chapitre 16, versets 13-19 | |
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