Jérémie , sentinelle de Dieu ou le Prophète du Coeur

"Jérémie , sentinelle de Dieu ou le Prophète du Coeur "
auteur Fr .Bernard de Clairvaux .....pru en Novembre 2004




Jérémie, un prophète… Pourtant, tout chez cet homme rechigne à prendre la parole. Mais il s’agit de parler au Nom de Dieu, en un temps de faiblesse et de confusion dans le pays. La puissance de Dieu opère alors à travers cet être remarquable de fidélité, d’obéissance et de coeur.

Nous sommes au temps de Josias, roi de Juda, quand naît Jérémie à qui Dieu adressera la parole en ces termes : « Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu (…) ; je t’ai consacré » (Jr 1,5). Il naît plus d’un siècle après le prophète Isaïe, vers 650 av. J-C, à Anatoth, village situé à cinq kilomètres au nord-est de Jérusalem, dans le pays de Benjamin.

Les derniers rois de Juda

Hilkija, son père, est peut-être le grand prêtre dont il est souvent question dans le règne de Josias. Il est surtout connu pour avoir retrouvé le livre de la Loi dans le Temple en réparation. Le roi Josias prend très à cœur les instructions de l’Écriture et fait lire au peuple « toutes les paroles du livre de l’alliance » (2R 23, 2). Il ordonne même d’enlever du Temple, et de brûler, tous les objets d’idolâtrie qui avait été amassés. Il abolit la prostitution sacrée et commande de célébrer la Pâque à l’Éternel. Le culte de Dieu est donc rétabli ! Le règne de Josias dure trente et un ans et Jérémie commencera de prophétiser la treizième année.

Le règne de Josias est pour Jérémie une période relativement facile. Mais Jérémie va vivre toute la triste histoire des derniers rois de Juda, notamment sous Joiaqim puis Sédécias, tous deux fils de Josias. Après Josias, Juda sombre dans la décadence religieuse et politique, ballotté entre l’Égypte et Babylone, les deux superpuissances de l’époque. Pendant une quarantaine d’années, de 626 à 587 av. J-C, Jérémie exerce son ministère prophétique « jusqu’à la déportation de Jérusalem » (Jr 1,3) à Babylone. Rappelons qu’Habacuc et Sophonie prophétisent en Juda au même moment ; Daniel et Ezéchiel prophétiseront pendant l’Exil à Babylone.

Jérémie, selon l’ordre du Seigneur, ne s’est jamais marié : « Ne prends pas de femme ; tu n’auras en ce lieu ni fils ni fille ! » (Jr 16, 2) pour signifier que mères et enfants « mourront de maladies mortelles et finiront par l’épée et la famine » (v 4). La vie même du prophète est donc prise comme signe.

La tragédie de sa vie

Jérémie est effrayé à la perspective qui s’ouvre devant lui quand le Seigneur lui demande d’être son prophète : « Ah ! Seigneur ! Voici, je ne sais pas parler, car je suis un enfant ! » (Jr 1, 6). Le Seigneur, en l’envoyant vers son peuple, le rassure : « N’aie aucune crainte en leur présence car je suis avec toi pour te délivrer. Voici que j’ai placé mes paroles en ta bouche » . Mais ce que le prophète doit fidèlement transmettre est terrible ! Ce sera la tragédie de sa vie : toujours prédire le jugement, la destruction ou la déportation : « Regarde, je t’ai établi pour arracher, et pour démolir, et pour détruire » (v 10). Avec hardiesse, le jeune homme timide aura à « crier aux oreilles de tout Jérusalem » (Jr 2, 2) contre le peuple, les chefs, les rois, les prêtres et jusqu’aux faux prophètes. À tel point qu’il s’écrie : « tout le monde me maudit » (Jr 15, 10) ! C’est vrai que l’une des premières visions qu’il reçoit du Seigneur fait frémir, contrairement aux paroles rassurantes et mensongères des faux prophètes. C’est « une marmite qui bouillonne : sa gueule regarde depuis le Nord » (Jr 1, 13), signifiant que c’est du Nord du pays que débordera le malheur, de Babylone et de Syrie.

Jérémie exhorte aussi le peuple par des « actions symboliques », typiques du langage prophétique. Par exemple, il s’achète sur l’ordre du Seigneur une ceinture de lin, puis va au grand fleuve Euphrate pour la cacher dans la fente d’un rocher. Bien des jours s’écoulent avant que le Seigneur ne lui demande de la reprendre. Elle en devient inutilisable. Le Seigneur dit alors : « C’est ainsi que je détruirai l’orgueil de Juda » (Jr 13, 9). Une autre fois, c’est une cruche qu’il brise sous les yeux de ceux qui l’accompagnent pour signifier au peuple et à Jérusalem un destin identique (Jr 19).

Un feu dévorant

Par de telles prophéties Jérémie dérange et sera souvent persécuté. Honni par les membres de sa propre famille qui dévastent son héritage et sa vigne (préfiguration de la dévastation de tout le peuple), il abandonne sa maison et le petit domaine qu’il aimait (Jr 12, 6-13). Le peuple fait des complots contre lui, le dénigre ou le calomnie (Jr 18, 18). Après l’épisode de la cruche brisée, le prêtre Pashkhur, premier intendant du Temple, le frappe et le met au bloc à la porte haute de Benjamin (Jr 20, 2).

Une autre fois, il est arrêté puis jugé sommairement par les princes, les prêtres et les prophètes s’écriant : « C’est la mort que mérite cet homme ! » (Jr 26, 11). Le jugement est suspendu par l’intervention de quelques anciens. Sous le roi Sédécias, il sera jeté dans une citerne où « il n’y avait point d’eau, mais de la vase, et Jérémie enfonça dans la vase » (Jr 38, 6). Cette fois-ci, c’est un éthiopien de la maison du roi qui vient avec des cordes pour le sauver.
Aux persécutions extérieures s’ajoutent les déchirements du cœur. Il a une âme désireuse de paix, mais il a toujours à prophétiser contre tous ceux qui l’entourent et ne changent pas !

Ses dialogues avec Dieu sont semés de cris de douleur ; il s’agit parfois de véritable crise intérieure : « Pourquoi ma souffrance est-elle continue ?… Malheur à moi, ma mère, car tu m’as enfanté homme de querelle et de discorde pour tout le pays ! » (Jr 15, 18). Cette souffrance épure son âme et l’ouvre plus profondément au dialogue intime avec Dieu.

Paradoxalement, Jérémie ne voudrait se soustraire en aucun cas à sa mission ! Sa rencontre avec le Seigneur et son amour de la vérité sont plus forts : « Tu m’as séduit, Seigneur, et je me suis laissé séduire ; tu m’as maîtrisé, tu as été le plus fort (…). Je me disais ‘Je ne parlerai plus en son Nom’ ; mais c’était en mon cœur comme un feu dévorant » (Jr 20, 7-9). Vrai prophète, il a conscience de l’origine divine de son message qui s’impose à lui et qu’il ne peut taire. C’est le péché du peuple, obstacle aux desseins bienveillants de Dieu, qui hante alors son esprit.

Prophète de l’urgence

Malgré toutes ces persécutions, Jérémie proclame la parole du Seigneur à temps et à contretemps. Pour quel motif profond ? Il a vu avec faveur la réforme de Josias qui s’inspirait des Écritures, particulièrement du Livre du Deutéronome, mais il a été cruellement déçu par son inefficacité pour changer la vie morale et religieuse du peuple.

Son rôle de prophète est de mettre en lumière la double vie du peuple qui se dit d’un côté religieux, mais dont la conduite est mauvaise : on y trouve injustices, accumulation de richesses, oppression sociale, attachement aux faux dieux… Le pays se laisse contaminer par la conduite idolâtre des peuples voisins. On en oublie le vrai Dieu ! Le Seigneur s’écrie à maintes reprises par la bouche de Jérémie : « Ils tournent vers moi leur dos et non leur face ! » (Jr 2, 27), « Tous ils sont adultères » (Jr 9, 1), « Vous m’avez abandonné pour servir en votre pays des dieux étrangers » (Jr 5, 19), « Mon peuple m’a oublié ! Au Néant, ils offrent l’encens » (Jr 18, 15)… À cause de ces actions, le jugement viendra sur le peuple et sur le Temple, prévient Jérémie dont la parole sera confirmée par les événements.

Jérémie répète à qui veut l’entendre qu’il ne suffit pas d’avoir une terre, un roi, un temple et des pratiques extérieures : « Ne mettez pas votre confiance en des paroles de mensonge, disant : C’est ici le Temple de l’Éternel, le temple de l’Éternel, le temple de l’Éternel ! » (Jr 7, 4). Le Temple et le territoire sont de fausses sécurités vantées par les faux prophètes. Jérémie précise que si le peuple, les rois et les prêtres poursuivent leur conduite mauvaise, ils courent à leur perte. Malgré l’annonce d’un tel jugement, « Israël la rebelle ne reconnaît pas sa faute et n’écoute pas la voix de Dieu » (Jr 3, 11) ; elle « suit l’obstination de son cœur » (Jr 9,13). Seul Jérémie semble conscient du danger imminent.

Sous le roi Sédécias, alors que plus d’une déportation a déjà eu lieu, Jérémie va jusqu’à porter un joug pour signifier qu’il faut désormais se soumettre au châtiment, devenu inévitable, en « prêtant son cou au joug du roi de Babylone et le servir » (Jr 27, 12) ! Mieux vaut encore cette humiliation si elle doit changer les cœurs en profondeur. Jérémie affirme par là qu’indépendamment du lieu et des conditions dans lesquels nous pouvons vivre, c’est le culte du cœur qui importe et que Dieu agrée.

Une religion du cœur

La vraie religion est celle du cœur : « Purifie ton cœur du mal, Jérusalem, afin d’être sauvée » (Jr 4, 14). Jérémie prêche la droiture de cœur et une attention aux plus pauvres (Jr 22, 3). C’est tout le contenu du code deutéronomique, partie centrale du Livre du Deutéronome (Dt 12-26) que le roi Josias avait cherché à faire appliquer. Plutôt qu’un culte extérieur et de multiples sacrifices au Temple (qui ne seront plus possibles en exil), Jérémie prêche une religion intérieure et cordiale.

C’est ce qui nous le rend si cher et si proche. Un côté affectif l’apparente au prophète Osée dont il a subi l’influence. Cette religion personnelle a le souci de l’individu et conduit à un approfondissement de l’enseignement traditionnel. Dieu « scrute les reins et les cœurs » (Jr 17, 10) et rend à chacun selon ses actes. Cette amitié avec Dieu est rompue par le péché qui sort d’un cœur mauvais.

Vient le jour où le peuple est déporté par le roi Nabucodonosor. Le Temple et Jérusalem sont saccagés. Devant ces ruines, Jérémie écrit ses fameuses Lamentations : « Notre cœur a cessé de se réjouir, notre danse s’est changée en deuil… » (Lm 5, 15). Le caractère radical de l’échec rend la situation mûre pour la promesse d’un tout nouveau régime, d’une alliance nouvelle dans laquelle les causes de l’échec de l’ancienne (au Sinaï) seront éliminées.

Une alliance nouvelle

C’est là toute la nouveauté et la grande espérance du prophète Jérémie : Dieu aime, et son amour est plus fort que le péché des hommes : « Tous me connaîtront… car je pardonnerai leurs fautes, je ne tiendrai plus compte de leur péché » (Jr 31, 34) ; « On aura beau chercher la faute d’Israël : elle aura disparu ; le péché de Juda : on ne le trouvera plus » (Jr 50, 20). Jérémie rend compte magnifiquement de l’amour inconditionnel de Dieu pour nous, de son salut et de sa promesse de bonheur : « Je sais, moi, les desseins que je forme pour vous, desseins de paix et non de malheur… Vous me rechercherez de tout votre cœur ; je me laisserai trouver par vous » (Jr 29).
Le cœur de cette alliance nouvelle, la voici : « Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple » (Jr 31, 33). Dieu désire que sa Loi ne reste pas extérieure, sur des tables de pierres, mais qu’elle aille s’inscrire au plus profond des cœurs de chair. Cette intériorisation de la Loi, ce rôle du cœur dans les rapports avec Dieu est primordial.

Après la sévérité, la parole de Jérémie débouche sur la restauration d’Israël décrite dans ce que l’on a coutume d’appeler « Le Livre de la Consolation » : « D’un amour éternel je t’ai aimée. De nouveau je te bâtirai et tu seras rebâtie » (Jr 31, 4). La destruction puis la reconstruction d’Israël, Jérémie l’avait prophétisé bien avant les événements, par sa venue chez un Potier. Le vase que celui-ci fabriquait fût manqué. Il recommença et fit un autre vase comme il lui semblait bon. Dieu dit alors : « Oui, comme l’argile dans les mains du potier, ainsi êtes-vous dans ma main » (Jr 18, 6). Pour l’instant, Israël est dévasté. Jérémie fuit en Égypte avec le reste du peuple qui s’y réfugie (Jr 42). Il y meurt en prononçant la dernière prophétie que nous avons de lui (Jr 44).

Une influence posthume

La mission de Jérémie a échoué de son vivant, mais sa figure ne cesse de grandir après sa mort. Par sa doctrine d’une alliance nouvelle fondée sur la religion du cœur, il a été le père du judaïsme dans sa ligne la plus pure, et l’on relève son influence chez le prophète Ezéchiel et bien d’autres… Cette influence durable suppose que ses enseignements ont été souvent lus, médités et commentés. De son vivant, il en avait déjà dicté les lignes à Baruch. En dévoilant les rapports intimes que l’âme doit avoir avec Dieu, il a préparé la Nouvelle Alliance chrétienne (He 10, 11-17) et sa vie de souffrance au service de Dieu fait de lui une préfiguration du Christ.
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http://www.feuetlumiere.org/rencontrer-dieu/amis-de-dieu/jeremie.html

Merci Maud, nous avons tant à apprendre et comprendre...

Le cœur de cette alliance nouvelle, la voici : « Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple » (Jr 31, 33).

Que le nom de Jésus-Christ soit ainsi gravé en nos coeurs.