Thomas MERTON
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Thomas MERTON
THOMAS MERTON ET AUGUSTIN
Un contemplatif-actif
L’américain Thomas Merton, né en France en 1915 et mort à Bangkok en 1968, est l’un des plus grands spirituels de ce 20e siècle. Moine trappiste mais aussi écrivain, poète, photographe, « pacifiste » engagé contre la bombe atomique, la guerre du Vietnam, le racisme, pionnier du dialogue interreligieux... il a su se rendre présent à tous les grands débats de son temps. Sa vie et son oeuvre soulignent l’importance du rôle d’un certain type de contemplatifs qui ne se dérobent pas aux appels du monde. Dès lors, comment aurait-il pu passer à côté d’un autre grand « contemplatif-actif » saint Augustin ?
En effet, il est évident que l’un et l’autre ont vécu les mêmes paradoxes. Chrétiens assidus à la vie de prière, ils furent désireux de se tenir en retrait mais furent néanmoins happés par les besoins de l’Eglise et du monde. Lecteurs insatiables d’une Parole de Dieu devenue nourriture personnelle, ils durent par nécessité devenir des auteurs prolixes (pas moins de 62 ouvrages pour Merton!). Hommes enfin soucieux de l’unité de la vie intérieure mais toujours tentés par la réponse à des appels extérieurs… On pourrait continuer pendant longtemps la liste surprenante de ces parallèles.
Dans l’un et l’autre cas, Merton et Augustin ont su allier une expression personnelle et la formulation des données fondamentales de la foi, la richesse d’une expérience vécue et sa reprise « théologique », le sens du concret, de l’urgence et l’importance des visées de fond.
Pour ce qui nous concerne ici, nous nous limiterons à la mise en évidence de quelques aspects du rôle d’Augustin dans l’itinéraire de Merton . En effet, on peut dire que le grand saint occupe une place déterminante dans la conversion du trappiste, au point que le « modèle augustinien » semble inspirer le propre récit de Merton. Nous allons le voir à travers trois exemples précis.
La rencontre avec Bramachari
C’est en 1938, alors qu’il a eu jusque là une vie passablement agitée, que Merton rencontre le moine hindou Bramachari à New York. Il a alors 23 ans. Ame inquiète, la recherche religieuse est restée au centre de ses préoccupations. Mais selon lui, à l’époque, les chrétiens ne propagent que l’idée d’un Dieu « bruyant, dramatique, irascible, vague, jaloux et caché, objectivation de leurs propres désirs de leurs efforts et de leurs idéaux» Lorsqu’il achète le livre d’Etienne Gilson L’Esprit de la philosophie médiévale et qu’il découvre que son auteur est catholique, il est dégoûté. De sensibilité protestante, il se méfie en effet des catholiques. Ils lui font peur. Il interprète par ailleurs l’Ecriture à la lettre, un peu comme Augustin dans sa jeunesse. Il n’a pas encore découvert le mot de saint Paul « la lettre tue, l’esprit vivifie ».
Il éprouve quelque compréhension pour l’athéisme qui selon lui est une position exigeante et courageuse. Il reconnaîtra néanmoins que quelques chrétiens ont une conception intelligente de Dieu, qu’ils croient sincèrement en Lui. Mais il ne peut guère s’aventurer au delà de cette reconnaissance. Lorsqu’il fréquente l’église épiscopalienne où son père avait été organiste, c’est en cachette.
C’est dans ce contexte, par l’intermédaire d’amis que Merton rencontre Bramachari, moine hindou vivant aux Etats-Unis depuis cinq ans. Devenu docteur de l’université de Chicago, des clubs et des écoles l’invitaient à faire des conférences. Il vivait ainsi pauvrement, comptant sur la générosité de ses hôtes. Bramachari sentit très vite que le jeune Merton tatonnait pour trouver sa voie. Alors que Merton s’attendait à ce qu’il l’initie à la mystique hindoue, il l’invite à lire l’Imitation de Jésus Christ et les Confessions de saint Augustin !
Merton, décontenancé par cette réponse, d’autant plus surprenante que Bramachari donnait peu de conseils, comprend alors «l’ironie» de sa demande : il s’était tourné vers l’Orient comme s’il n’y a avait rien dans la tradition mystique chrétienne.
Cette réponse apparemment insignifiante joue un rôle décisif pour Merton. Elle oriente sa destinée, comme la rencontre d’Ambroise pour Augustin à Milan. Venu en curieux écouter l’évêque, Augustin lui doit ses premiers pas dans la foi catholique, une symathie plus grande pour l’Eglise et une préparation à la lecture des écrits néo-platoniciens.
Les fruits de la retraite à la trappe de Gethsémani
A l’automme 1940, alors qu’il est à New York, Merton n’a plus qu’un seul désir : entrer au noviciat des franciscains. Entre temps, il était en effet devenu catholique. Dan Walsh, un thomiste, collaborateur de Gilson et Maritain, dont il suit les cours à l’université, le traite d’« augustinien ». Pourtant Merton n’a pas encore lu saint Augustin ! A cette époque il prépare ses examens d’agrégation et c’est dans un cottage sur les collines d’Olean, pendant l’été 1938, « sous un pêcher, dans l’herbe haute » qu’il découvre les Confessions.
Puis, poussé par une sorte d’instinct, il rentre un jour dans l’église saint François-Xavier dans la 16e rue à New York, et là, en contemplant l’hostie que présente le prêtre, il prend la décision de devenir prêtre. Il commence désormais ses journées par la messe à l’église Notre Dame de la Guadeloupe. A cette époque, il lit aussi les Exercices spirituels de saint Ignace, donne des cours à l’Ecole de commerce de Columbia, travaille à des pojets de romans.
Lors de sa retraite à la Trappe de Gethsémani dans le Kentucky, il demande la grâce de devenir trappiste. Mais ce n’est qu’en rentrant qu’il refait le geste de saint Augustin, ouvrant la Bible au hasard pour y chercher une réponse à ses questions. Il y tombe sur Lc 1, 20. L’ange s’adresse à Zacharie, le père de Jean-Baptiste et lui dit : «Voici que tu seras silencieux .»
Comme pour Merton, la Trappe est associée au silence, il a le sentiment que seul son entrée chez les Trappistes pourra lui apporter la paix. C’est effectivement là que le conduit Dieu. Hésitant sur la voie à suivre, il a donc refait le geste de la célèbre scène du jardin de Milan (Confessions VIII,7,16 à 12,30). Celui-ci lui permet de sortir définitivement des impasses et angoisses de sa jeunesse.
La recherche de l’identité personnelle
A la Trappe, avant d’être autorisé à écrire à nouveau, Merton ne lira plus que trois ou quatre livres en six ans, dont les Commentaires sur les psaumes d’Augustin. Bien des personnes ont constaté la profonde similitude entre le récit de Merton de sa conversion et le «modèle augustinien» : importance de l’Ecriture, des lieux, du récit de crises graduées d’événements qui se répètent plusieurs fois, le rejet du monde suite à la conversion, la volonté d’offrir son expérience personnelle comme un modèle pour les lecteurs...
Mais il y a sans doute plus. Augustin et Merton partagent une conception commune de l’homme, marquée par un conflit entre un moi extérieur, faux, soumis à toutes les tentations et un moi intérieur, qui seul est vrai. Si le moi se tourne vers l’extérieur, il subit une déperdition qui le fait moins être. Il déchoit, tend vers le néant, la souffrance, la mort spirituelle. C’est « l’aversio » qui s’oppose à la « conversio », réorientation par le Christ vers la fin pour laquelle l’être est créé : Dieu. Aussi Merton insiste-t-il dans ses nombreux écrits sur la distance qui sépare l’homme de Dieu et des moyens pour retrouver cette proximité. Semences de contemplation en fournit une illustration :
Une dernière note de La Nuit privée d’étoiles permet de conclure sur l’importance du recueillement dans la société moderne :
Un contemplatif-actif
« Voici que tu seras silencieux »
L’américain Thomas Merton, né en France en 1915 et mort à Bangkok en 1968, est l’un des plus grands spirituels de ce 20e siècle. Moine trappiste mais aussi écrivain, poète, photographe, « pacifiste » engagé contre la bombe atomique, la guerre du Vietnam, le racisme, pionnier du dialogue interreligieux... il a su se rendre présent à tous les grands débats de son temps. Sa vie et son oeuvre soulignent l’importance du rôle d’un certain type de contemplatifs qui ne se dérobent pas aux appels du monde. Dès lors, comment aurait-il pu passer à côté d’un autre grand « contemplatif-actif » saint Augustin ?
En effet, il est évident que l’un et l’autre ont vécu les mêmes paradoxes. Chrétiens assidus à la vie de prière, ils furent désireux de se tenir en retrait mais furent néanmoins happés par les besoins de l’Eglise et du monde. Lecteurs insatiables d’une Parole de Dieu devenue nourriture personnelle, ils durent par nécessité devenir des auteurs prolixes (pas moins de 62 ouvrages pour Merton!). Hommes enfin soucieux de l’unité de la vie intérieure mais toujours tentés par la réponse à des appels extérieurs… On pourrait continuer pendant longtemps la liste surprenante de ces parallèles.
Dans l’un et l’autre cas, Merton et Augustin ont su allier une expression personnelle et la formulation des données fondamentales de la foi, la richesse d’une expérience vécue et sa reprise « théologique », le sens du concret, de l’urgence et l’importance des visées de fond.
Pour ce qui nous concerne ici, nous nous limiterons à la mise en évidence de quelques aspects du rôle d’Augustin dans l’itinéraire de Merton . En effet, on peut dire que le grand saint occupe une place déterminante dans la conversion du trappiste, au point que le « modèle augustinien » semble inspirer le propre récit de Merton. Nous allons le voir à travers trois exemples précis.
La rencontre avec Bramachari
C’est en 1938, alors qu’il a eu jusque là une vie passablement agitée, que Merton rencontre le moine hindou Bramachari à New York. Il a alors 23 ans. Ame inquiète, la recherche religieuse est restée au centre de ses préoccupations. Mais selon lui, à l’époque, les chrétiens ne propagent que l’idée d’un Dieu « bruyant, dramatique, irascible, vague, jaloux et caché, objectivation de leurs propres désirs de leurs efforts et de leurs idéaux» Lorsqu’il achète le livre d’Etienne Gilson L’Esprit de la philosophie médiévale et qu’il découvre que son auteur est catholique, il est dégoûté. De sensibilité protestante, il se méfie en effet des catholiques. Ils lui font peur. Il interprète par ailleurs l’Ecriture à la lettre, un peu comme Augustin dans sa jeunesse. Il n’a pas encore découvert le mot de saint Paul « la lettre tue, l’esprit vivifie ».
Il éprouve quelque compréhension pour l’athéisme qui selon lui est une position exigeante et courageuse. Il reconnaîtra néanmoins que quelques chrétiens ont une conception intelligente de Dieu, qu’ils croient sincèrement en Lui. Mais il ne peut guère s’aventurer au delà de cette reconnaissance. Lorsqu’il fréquente l’église épiscopalienne où son père avait été organiste, c’est en cachette.
C’est dans ce contexte, par l’intermédaire d’amis que Merton rencontre Bramachari, moine hindou vivant aux Etats-Unis depuis cinq ans. Devenu docteur de l’université de Chicago, des clubs et des écoles l’invitaient à faire des conférences. Il vivait ainsi pauvrement, comptant sur la générosité de ses hôtes. Bramachari sentit très vite que le jeune Merton tatonnait pour trouver sa voie. Alors que Merton s’attendait à ce qu’il l’initie à la mystique hindoue, il l’invite à lire l’Imitation de Jésus Christ et les Confessions de saint Augustin !
Merton, décontenancé par cette réponse, d’autant plus surprenante que Bramachari donnait peu de conseils, comprend alors «l’ironie» de sa demande : il s’était tourné vers l’Orient comme s’il n’y a avait rien dans la tradition mystique chrétienne.
Cette réponse apparemment insignifiante joue un rôle décisif pour Merton. Elle oriente sa destinée, comme la rencontre d’Ambroise pour Augustin à Milan. Venu en curieux écouter l’évêque, Augustin lui doit ses premiers pas dans la foi catholique, une symathie plus grande pour l’Eglise et une préparation à la lecture des écrits néo-platoniciens.
Les fruits de la retraite à la trappe de Gethsémani
A l’automme 1940, alors qu’il est à New York, Merton n’a plus qu’un seul désir : entrer au noviciat des franciscains. Entre temps, il était en effet devenu catholique. Dan Walsh, un thomiste, collaborateur de Gilson et Maritain, dont il suit les cours à l’université, le traite d’« augustinien ». Pourtant Merton n’a pas encore lu saint Augustin ! A cette époque il prépare ses examens d’agrégation et c’est dans un cottage sur les collines d’Olean, pendant l’été 1938, « sous un pêcher, dans l’herbe haute » qu’il découvre les Confessions.
Puis, poussé par une sorte d’instinct, il rentre un jour dans l’église saint François-Xavier dans la 16e rue à New York, et là, en contemplant l’hostie que présente le prêtre, il prend la décision de devenir prêtre. Il commence désormais ses journées par la messe à l’église Notre Dame de la Guadeloupe. A cette époque, il lit aussi les Exercices spirituels de saint Ignace, donne des cours à l’Ecole de commerce de Columbia, travaille à des pojets de romans.
Lors de sa retraite à la Trappe de Gethsémani dans le Kentucky, il demande la grâce de devenir trappiste. Mais ce n’est qu’en rentrant qu’il refait le geste de saint Augustin, ouvrant la Bible au hasard pour y chercher une réponse à ses questions. Il y tombe sur Lc 1, 20. L’ange s’adresse à Zacharie, le père de Jean-Baptiste et lui dit : «Voici que tu seras silencieux .»
Comme pour Merton, la Trappe est associée au silence, il a le sentiment que seul son entrée chez les Trappistes pourra lui apporter la paix. C’est effectivement là que le conduit Dieu. Hésitant sur la voie à suivre, il a donc refait le geste de la célèbre scène du jardin de Milan (Confessions VIII,7,16 à 12,30). Celui-ci lui permet de sortir définitivement des impasses et angoisses de sa jeunesse.
La recherche de l’identité personnelle
A la Trappe, avant d’être autorisé à écrire à nouveau, Merton ne lira plus que trois ou quatre livres en six ans, dont les Commentaires sur les psaumes d’Augustin. Bien des personnes ont constaté la profonde similitude entre le récit de Merton de sa conversion et le «modèle augustinien» : importance de l’Ecriture, des lieux, du récit de crises graduées d’événements qui se répètent plusieurs fois, le rejet du monde suite à la conversion, la volonté d’offrir son expérience personnelle comme un modèle pour les lecteurs...
Mais il y a sans doute plus. Augustin et Merton partagent une conception commune de l’homme, marquée par un conflit entre un moi extérieur, faux, soumis à toutes les tentations et un moi intérieur, qui seul est vrai. Si le moi se tourne vers l’extérieur, il subit une déperdition qui le fait moins être. Il déchoit, tend vers le néant, la souffrance, la mort spirituelle. C’est « l’aversio » qui s’oppose à la « conversio », réorientation par le Christ vers la fin pour laquelle l’être est créé : Dieu. Aussi Merton insiste-t-il dans ses nombreux écrits sur la distance qui sépare l’homme de Dieu et des moyens pour retrouver cette proximité. Semences de contemplation en fournit une illustration :
Merton ne minimise pas l’idée de destinée personnelle et de vocation mais il souligne avant tout l’importance du recueillement pour pénétrer au plus profond de soi-même et de là aller vers Dieu. C’est là seule méthode si l’on est incapable de vraiment sortir de soi-même et de se donner à autrui dans un amour dépourvu d’égoïsme. Dans le recueillement, l’âme humaine ne s’occupe plus d’oeuvres extérieures. Elle agit de manière différente en se concentrant sur la contemplation intérieure. On retrouve ici de façon explicite la distinction opérée par Augustin entre l’intelligence pratique et l’intelligence spirituelle (De Trinitate XII).
«Afin de devenir moi-même, je dois cesser d’être ce que j’ai toujours cru que je voulais être. Afin de me trouver moi-même, je dois sortir de moi-même et afin de vivre, je dois mourir.»
Une dernière note de La Nuit privée d’étoiles permet de conclure sur l’importance du recueillement dans la société moderne :
Certes, Merton n’a pas suivi Augustin en tout. Il insiste beaucoup plus sur la véritable place du contemplatif au coeur du monde. Il cherche finalement moins l’union à Dieu que des liens féconds entre amour et liberté. En d’autre termes, il se demande comment l’autonomie de l’homme moderne est compatible avec l’amour de Dieu. Mais le conseil de Bramachari, Merton ne l’a jamais oublié.
« Le recueillement est davantage que le simple fait de rentrer en soi. Il met l’âme en contact avec Dieu dont l’invisible présence est une lumière pour celui qui voit toutes choses en elle et trouve aussi la paix en Lui et autour de Lui. »
Jean- François PETIT
Augustin de l’Assomption
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Re: Thomas MERTON
Thomas Merton, peu de temps avant sa mort, met noir sur blanc, sans académisme aucun, ce qui lui paraît essentiel dans la vie de prière. Il parle d'expérience et se veut pédagogue plus que théoricien. Il pourchasse les faux dilemmes : liberté ou discipline, culture ou simplicité, action ou recueillement. Tout est vrai et possible en même temps si l'on attache son cœur au véritable trésor. Homme du XXe siècle, Thomas Merton analyse l'angoisse, l'ennui et la solitude des enfants de l'ère technique. Pour avoir traversé lui-même ces « passages à vide », il n'en est que mieux autorisé à proposer la prière comme une porte ouverte sur l'espérance.
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