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Prédications de Carême du Père Cantalamessa

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Message par Invité Ven 5 Mar 2021 - 16:12


Prédications de Carême du Père Cantalamessa 1zore_10
Card. Cantalamessa, Première Prédication De Carême :copyright: Vatican Media



« Que l’eau de notre tiédeur devienne le vin d’une ferveur renouvelée », par le card. Cantalamessa


Première prédication de carême (texte complet)


«Demandons à la Mère de Dieu de nous obtenir la grâce qu’elle a obtenue pour son Fils à Cana en Galilée. Par sa prière, ce jour-là, l’eau a été transformée en vin. Demandons que, par son intercession, l’eau de notre tiédeur devienne le vin d’une ferveur renouvelée. Le vin qui, à la Pentecôte, a provoqué chez les apôtres la sobre ivresse et les a rendus fervents dans l’Esprit»: le cardinal Raniero Cantalamessa, ofmcap., a conclu ainsi sa première prédication de carême, ce 26 février 2021, dans la salle Paul VI du Vatican.
Le cardinal Cantalamessa a axé sa prédication sur le carême comme « temps de la conversion » et il a expliqué le sens de la formule prononcée par le prêtre lors de l’imposition des Cendres: «Convertissez-vous et croyez en l’Évangile».
Les autres prédications auront lieu les vendredis 5, 12 et 26 mars – pas le 19 mars, solennité de saint Joseph, jour férié au Vatican -.
Le cardinal Cantalamessa a invité à rejeter toute « tiédeur » et à vivre la joie chrétienne dans une « ferveur » inspirée par l’Esprit Saint: ce même Esprit par lequel l’eau est changée en vin à Cana transforme le coeur du croyant.
AB


Raniero Cantalamessa, ofmcap.

« CONVERTISSEZ-VOUS ET CROYEZ

A L’ÉVANGILE ! »

Première prédication de Carême, 2021


Comme à l’habitude, nous consacrerons cette première méditation à une introduction générale au temps du Carême, avant d’entrer dans le thème spécifique prévu, une fois la retraite de la Curie terminée. Dans l’Évangile du premier dimanche de Carême de l’année B, nous avons entendu l’annonce programmatique par laquelle Jésus commence son ministère public: « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ! » Nous méditerons ici sur cet appel du Christ toujours actuel.

On parle de conversion en trois occasions ou dans trois contextes différents dans le Nouveau Testament. A chaque fois, une nouvelle composante est mise en évidence. Ensemble, ces trois passages nous donnent une idée complète de ce qu’est la métanoïa évangélique. Il n’est pas dit que nous devons nécessairement vivre les trois en même temps, avec la même intensité. Il y a une conversion pour chaque étape de la vie. L’important est que chacun de nous découvre celle qui lui convient le mieux en ce moment.


Convertissez-vous, c’est-à-dire croyez !

La première conversion est celle qui résonne au début de la prédication de Jésus et qui se résume dans les mots : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ! » (Mc 1, 15). Essayons de comprendre ce que le mot « conversion » signifie ici. Avant Jésus, la conversion signifiait toujours un « retour en arrière » (le mot hébreu, shub, signifie faire demi-tour, revenir sur ses pas). Elle indiquait la démarche d’une personne qui, à un certain moment de sa vie, se rend compte qu’elle fait « fausse route ». Alors elle s’arrête, change d’avis, décide de revenir à l’observance de la Loi et de renouer son alliance avec Dieu. La conversion, dans ce cas, a un sens fondamentalement moral et suggère l’idée de quelque chose de pénible à faire : changer d’habitudes, arrêter de faire ceci et cela….

Sur les lèvres de Jésus, ce sens change. Non parce qu’il aime changer le sens des mots, mais parce qu’avec sa venue, les choses ont changé. « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche ! » Se convertir ne signifie plus revenir en arrière, à l’ancienne alliance et à l’observance de la Loi, mais plutôt faire un saut en avant et entrer dans le Royaume, saisir le salut qui est offert aux hommes gratuitement, par l’initiative libre et souveraine de Dieu.

« Convertissez-vous et croyez » ne signifie pas deux choses différentes et successives, mais la même action fondamentale : convertissez-vous, c’est-à-dire croyez ! « Prima conversio fit per fidem », dit St. Thomas de Aquin : La première conversion c’est croire.[1] Tout cela requiert une véritable « conversion », un changement profond dans la façon dont nous concevons notre relation à Dieu. Elle nous oblige à passer de l’idée d’un Dieu qui demande, qui ordonne, qui menace, à l’idée d’un Dieu qui vient les mains pleines pour se donner à nous tout entier. C’est la conversion de la « loi » à la « grâce » qui était si chère à saint Paul.


« Si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants… »

Écoutons le second passage de l’Évangile dans lequel on parle une nouvelle fois de conversion :

À ce moment-là, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Qui donc est le plus grand dans le royaume des Cieux ? » Alors Jésus appela un petit enfant ; il le plaça au milieu d’eux, et il déclara : « Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux. (Mt 18,1-3).

Cette fois-ci, oui, se convertir signifie rebrousser chemin, précisément revenir à l’époque où l’on était enfant ! Le verbe même employé, strefo, indique un demi-tour. C’est là la conversion de celui qui est déjà entré dans le Royaume, qui a cru à l’Évangile, qui sert le Christ depuis un certain temps. C’est notre conversion !

Que suppose la discussion de savoir qui est le plus grand ? Que la plus grande préoccupation n’est plus le royaume, mais la place qu’on y occupe, son moi. Chacun des Apôtres avait un titre lui permettant d’aspirer à être le plus important : Pierre avait reçu la promesse de la primauté, Judas la caisse, Matthieu pouvait dire qu’il avait laissé plus que les autres, André qu’il avait été le premier à le suivre, Jacques et Jean qu’ils avaient été avec lui sur le Thabor… Les fruits de cette situation sont évidents : rivalité, suspicion, confrontation, frustration.

Jésus enlève soudain le voile. Loin d’occuper la première place dans le Royaume, de cette façon on n’y entre même pas ! Le remède ? Se convertir, changer complètement de perspective et de direction. La révolution que Jésus propose est une véritable révolution copernicienne. Il faut se décentrer de soi-même et se recentrer sur le Christ.

Jésus parle plus simplement de devenir des enfants. Pour les Apôtres, redevenir des enfants signifiait revenir à ce qu’ils étaient au moment de l’appel sur les rives du lac ou au bureau de collecteur d’impôts, c’est-à-dire sans prétentions, sans titres, sans comparaison entre eux, sans jalousie, sans rivalité. Seulement riches d’une promesse (« Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes ») et d’une présence, celle de Jésus. À l’époque où ils étaient encore des compagnons d’aventure, et non des concurrents pour la première place.

Pour nous aussi, redevenir des enfants signifie revenir au moment où nous avons découvert que nous étions appelés, au moment de notre ordination sacerdotale, de notre profession religieuse ou de notre première vraie rencontre personnelle avec Jésus. A l’époque où nous disions : « Dieu seul suffit ! » et que nous y croyions.


« Tu n’es ni froid ni brûlant »

Le troisième contexte dans lequel l’invitation à la conversion revient –péremptoire – est donné par les sept Lettres aux Églises de l’Apocalypse. Ces sept Lettres sont adressées à des personnes et à des communautés qui, comme nous, vivent la vie chrétienne depuis un certain temps et, en fait, y exercent un rôle de leader. Elles sont adressées à l’ange des différentes Églises : « À l’ange de l’Église qui est à Éphèse, écris ». On ne peut expliquer ce titre qu’en référence, directe ou indirecte, au pasteur de la communauté. On ne peut imaginer que l’Esprit Saint attribue à des anges la responsabilité des fautes et des déviations qui sont dénoncées dans les différentes églises, et encore moins que l’invitation à la conversion s’adresse à des anges plutôt qu’à des hommes.

Parmi les sept Lettres de l’Apocalypse, celle qui devrait nous faire réfléchir plus que toute autre est la Lettre à l’Église de Laodicée. Nous connaissons son ton sévère : « Je connais tes actions, je sais que tu n’es ni froid ni brûlant… Puisque tu es tiède – ni brûlant ni froid – je vais te vomir de ma bouche…. Sois fervent et convertis-toi ». (Ap 3, 15s) Il s’agit de se convertir de la médiocrité et de la tiédeur.

Dans l’histoire de la sainteté chrétienne, l’exemple le plus célèbre de la première conversion, celle du péché à la grâce, c’est saint Augustin ; l’exemple le plus instructif de la deuxième conversion, celle de la tiédeur à la ferveur, c’est sainte Thérèse d’Avila. Ce qu’elle dit d’elle dans la Vie est certainement exagéré et dicté par la délicatesse de sa conscience, mais, en tout cas, peut nous servir à tous pour un examen de conscience utile.

« Je commençai donc de passe-temps en passe-temps, de vanité en vanité, d’occasion en occasion, à m’exposer à de si grands dangers […] Je trouvais dans les choses de Dieu de grandes délices, mais les chaînes du monde me tenaient encore captive ; je voulais, ce me semble, allier ces deux contraires, si ennemis l’un de l’autre : la vie spirituelle avec ses douceurs, et la vie des sens avec ses plaisirs. »

Le résultat de cet état était une profonde tristesse :

« Je tombais, je me relevais, faiblement sans doute, puisque je retombais encore. Me traînant dans les plus bas sentiers de la perfection, je ne m’inquiétais presque pas des péchés véniels, et quant aux mortels, je n’en avais pas une assez profonde horreur puisque je ne m’éloignais pas des dangers. Je puis le dire, c’est là une des vies les plus pénibles que l’on puisse s’imaginer. Je ne jouissais point de Dieu, et je ne trouvais point de bonheur dans le monde. Quand j’étais au milieu des vains plaisirs du monde, le souvenir de ce que je devais à Dieu venait répandre l’amertume dans mon âme ; et quand j’étais avec Dieu, les affections du monde portaient le trouble dans mon cœur[2]. »

Beaucoup pourraient découvrir dans cette analyse la véritable raison de leur insatisfaction et de leur mécontentement.

Parlons donc de la conversion de la tiédeur. Saint Paul exhortait les chrétiens de Rome avec ces mots : « Ne ralentissez pas votre élan, restez dans la ferveur de l’Esprit » (Rm 12, 11). On pourrait objecter : « Mais, cher Paul, c’est bien là que réside le problème ! Comment passer de la tiédeur à la ferveur, si l’on a malheureusement dérapé ? » On peut glisser progressivement dans la tiédeur, comme on tombe dans les sables mouvants, mais on ne peut pas se relever tout seul, presque en se tirant par les cheveux.

Notre objection vient du fait que nous négligeons ou interprétons mal l’ajout « de l’Esprit » (en pneumati) que l’Apôtre fait suivre à l’exhortation « Restez dans la ferveur ». Chez Paul, le mot « Esprit » indique – ou inclut – presque toujours une référence à l’Esprit Saint. Il ne s’agit jamais exclusivement de notre esprit ou de notre volonté, sauf dans 1 Thessaloniciens 5, 23, où il indique une composante de l’homme, à côté du corps et de l’âme.

Nous sommes héritiers d’une spiritualité qui concevait le chemin de la perfection selon les trois étapes classiques : la voie purgative, la voie illuminative et la voie unitive. En d’autres termes, on doit pratiquer le renoncement et la mortification pendant longtemps avant de pouvoir éprouver de la ferveur. Il y a une grande sagesse et des siècles d’expérience derrière tout cela, et malheur à ceux qui pensent que c’est désormais dépassé. Non, tout cela n’est pas dépassée, mais ce n’est pas la seule voie que suit la grâce de Dieu.

Un schéma aussi rigide dénote un déplacement lent et progressif de l’accent de la grâce vers l’effort de l’homme. Selon le Nouveau Testament, il existe une circularité et une simultanéité, de sorte que si la mortification est nécessaire pour parvenir à la ferveur de l’Esprit, il est tout aussi vrai que la ferveur de l’Esprit est nécessaire pour arriver à pratiquer la mortification. Une ascèse entreprise sans une forte impulsion initiale de l’Esprit serait un effort mortel, et ne produirait rien d’autre que la « vantardise de la chair ». L’Esprit nous est donné pour que nous puissions nous mortifier, plutôt que comme une récompense pour nous être mortifiés. « Si par l’Esprit vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez » (Rom 8,13).

Cette deuxième voie, qui va de la ferveur à l’ascèse et à la pratique des vertus, est celle que Jésus fit suivre à ses Apôtres. Le grand théologien byzantin Cabasilas écrit :

« Les Apôtres et nos pères dans la foi eurent l’avantage d’être instruits dans toute doctrine et de surcroît par le Sauveur lui-même. (…) Néanmoins, bien qu’ils eussent su tout cela, jusqu’à leur baptême [à la Pentecôte, avec l’Esprit], ils ne montrèrent rien de nouveau, de noble, de spirituel, de meilleur que l’ancien. Mais lorsque le temps du baptême fut venu pour eux et que le Paraclet fit irruption dans leurs âmes, alors ils devinrent des êtres nouveaux et embrassèrent une vie nouvelle, devinrent guides pour les autres et firent brûler la flamme de l’amour pour le Christ en eux-mêmes et dans les autres. […] De la même façon, Dieu conduit à la perfection tous les saints qui vinrent après eux[3] ».

Les Pères de l’Église exprimaient tout cela avec l’image suggestive de « la sobre ivresse ». Ce qui en poussa beaucoup à reprendre ce thème, déjà développé par Philon d’Alexandrie[4], ce sont les paroles de Paul aux Éphésiens :

« Ne vous enivrez pas de vin, car il porte à l’inconduite ; soyez plutôt remplis de l’Esprit Saint. Dites entre vous des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez le Seigneur et célébrez-le de tout votre cœur[5] ».

À partir d’Origène, on ne compte plus les textes des Pères illustrant ce thème, jouant tantôt sur l’analogie, tantôt sur le contraste entre l’ivresse matérielle et l’ivresse spirituelle. Ceux qui, à la Pentecôte, avaient pris les Apôtres pour des ivrognes avaient raison – écrit saint Cyrille de Jérusalem – ils se sont seulement trompés en attribuant cette ivresse au vin ordinaire, alors qu’il s’agissait du « vin nouveau », pressé de la « vraie vigne » qu’est le Christ ; les Apôtres étaient bien ivres, oui, mais de cette sobre ivresse qui met à mort le péché et donne vie au cœur[6].

Comment faire pour reprendre cet idéal de sobre ivresse et l’incarner dans la situation historique et ecclésiale actuelle ? Où est-il écrit, en effet, que cette manière aussi « forte » de faire l’expérience de l’Esprit était l’apanage des Pères et des premiers temps de l’Église, mais qu’il n’en est plus ainsi pour nous ? Le don du Christ ne se limite pas à une époque particulière, mais il est offert à toute époque. C’est précisément le rôle de l’Esprit que de rendre la rédemption du Christ universelle, de la rendre disponible à toute personne, en tout point du temps et de l’espace.

Une vie chrétienne pleine d’efforts ascétiques et de mortification, mais sans la touche vivifiante de l’Esprit, ressemblerait – disait un Père ancien – à une messe au cours de laquelle on ferait de nombreuses lectures, on accomplirait tous les rites et on apporterait de nombreuses offrandes, mais où la consécration des espèces par le prêtre n’aurait pas lieu. Tout resterait comme avant, rien d’autre que du pain et du vin.

« Il en est ainsi, concluait ce Père, de même pour le chrétien. Même s’il a parfaitement suivi le jeûne et la veille, la psalmodie et toute l’ascèse et toute vertu, mais que l’opération mystique de l’Esprit ne s’est pas accomplie, par la grâce, sur l’autel de son cœur, tout ce processus d’ascèse est incomplet et presque vain, parce que l’exultation de l’Esprit n’opère pas mystiquement dans son cœur[7]. »

Quels sont les « lieux » où l’Esprit agit de cette manière pentecostale aujourd’hui ? Écoutons la voix de saint Ambroise qui fut le chantre par excellence, parmi les Pères latins, de la sobre ivresse de l’Esprit. Après avoir rappelé les deux « lieux » classiques où l’on peut puiser l’Esprit – l’Eucharistie et les Écritures – il évoque une troisième possibilité. Voici ce qu’il dit :

« Il y a encore une autre ivresse qui s’opère par la pluie pénétrante du Saint-Esprit. C’est ainsi que, dans les Actes des Apôtres, ceux qui parlaient en diverses langues apparurent aux auditeurs comme s’ils étaient remplis de vin doux[8]. »

Après avoir rappelé les moyens « ordinaires », saint Ambroise, en ces mots, mentionne un moyen différent, « extraordinaire », en ce sens qu’il n’est pas fixé à l’avance, que ce n’est pas quelque chose d’institué. Il consiste à revivre l’expérience que les Apôtres ont fait le jour de la Pentecôte. Ambroise n’avait certainement pas l’intention de signaler cette troisième possibilité, pour dire à ses auditeurs qu’elle leur était interdite, étant réservée aux seuls Apôtres et à la première génération de chrétiens. Au contraire, il entendait inviter ses fidèles à faire l’expérience de cette « pluie pénétrante de l’Esprit » qui se produisit à la Pentecôte. C’est ce que saint Jean XXIII attendait du Concile Vatican II : une « nouvelle Pentecôte » pour l’Église.

Nous avons donc aussi la possibilité de puiser l’Esprit par cette voie nouvelle, dépendant uniquement de la souveraine et libre initiative de Dieu. L’une des façons dont se manifeste de nos jours l’Esprit en dehors des canaux institutionnels de la grâce est ce qu’on appelle le « Baptême dans l’Esprit ». Je le mentionne ici sans aucune intention de prosélytisme, mais pour répondre à l’exhortation que le Pape François adresse souvent à tous ceux du Renouveau charismatique catholique de partager avec tout le peuple de Dieu ce « courant de grâce » que l’on vit dans le Baptême de l’Esprit.

L’expression « Baptême dans l’Esprit » vient de Jésus lui-même. Faisant référence à la Pentecôte toute proche, avant de monter au ciel, il a dit à ses Apôtres : « Alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours[9] ». C’est un rite qui n’a rien d’ésotérique, mais se compose plutôt de gestes d’une grande simplicité, calme et joie, accompagnés d’attitudes d’humilité, de repentir, de disponibilité à devenir des enfants.

C’est un renouveau et une actualisation non seulement du baptême et de la confirmation, mais de toute la vie chrétienne : pour les époux, du sacrement de mariage ; pour les prêtres, de leur ordination sacerdotale ; pour les personnes consacrées, de leur profession religieuse. La personne concernée s’y prépare, ainsi que par une bonne confession, en participant à des rencontres de catéchèse au cours desquelles elle est remise dans un contact vivant et joyeux avec les principales vérités et réalités de la foi : l’amour de Dieu, le péché, le salut, la vie nouvelle, la transformation dans le Christ, les charismes, les fruits de l’Esprit. Le fruit le plus fréquent et le plus important est la découverte de ce que signifie avoir « une relation personnelle » avec Jésus ressuscité et vivant. Dans la conception catholique, le baptême dans l’Esprit n’est pas un point d’arrivée, mais un point de départ vers la maturité chrétienne et l’engagement ecclésial.

Est-il juste d’espérer que tout le monde vive cette expérience ? Est-ce la seule façon possible de faire l’expérience de la grâce d’une Pentecôte renouvelée souhaitée par le Concile ? Si par baptême dans l’Esprit, nous entendons un certain rite, dans un certain contexte, nous devons répondre non ; ce n’est certainement pas la seule façon de faire une expérience forte de l’Esprit. Il y a eu et il y a d’innombrables chrétiens qui ont fait une expérience semblable, sans rien savoir du baptême dans l’Esprit, recevant une augmentation évidente de grâce et une nouvelle onction de l’Esprit à la suite d’une retraite, d’une rencontre, d’une lecture. Même une retraite peut très bien se terminer par une invocation spéciale du Saint-Esprit, si celui qui la prêche en a fait l’expérience et si les participants le souhaitent. Le secret est de dire une fois « Viens, Saint-Esprit », mais de le dire de tout ton cœur, en laissant l’Esprit libre de venir comme il veut, pas comme nous voudrions qu’il vienne, c’est-à-dire sans rien changer à notre manière de vie et de prier.

Le « baptême dans l’Esprit » s’est révélé être un moyen simple et puissant de renouveler la vie de millions de croyants dans presque toutes les églises chrétiennes. On ne compte plus le nombre de personnes qui n’étaient chrétiennes que de nom et qui, grâce à cette expérience, sont devenues des chrétiens de fait, consacrés à la prière de louange et aux sacrements, actifs dans l’évangélisation et prêts à assumer des tâches pastorales dans la paroisse. Une véritable conversion de la tiédeur à la ferveur ! Il faudrait se dire ce qu’Augustin se répétait, presque avec indignation, en écoutant les histoires d’hommes et de femmes qui, à son époque, abandonnaient le monde pour se consacrer à Dieu : « Si isti et istae, cur non ego[10] ? … ». Si eux l’ont fait, pourquoi ne le ferais-je pas, moi aussi ?

Demandons à la Mère de Dieu de nous obtenir la grâce qu’elle a obtenue pour son Fils à Cana en Galilée. Par sa prière, ce jour-là, l’eau a été transformée en vin. Demandons que, par son intercession, l’eau de notre tiédeur devienne le vin d’une ferveur renouvelée. Le vin qui, à la Pentecôte, a provoqué chez les apôtres la sobre ivresse et les a rendus « fervents dans l’Esprit ».


____________________________________


Traduit de l’Italien par Cathy Brenti, de la Communauté des Béatitudes.

NOTES

[1] St. Thomas, S.Th, I-IIae, q. 113, a. 4.

[2] Thérèse d’Avila, Livre de la vie, 7-8, Folio 2015.

[3] N. Cabasilas, La vie en Christ, Cerf 2011.

[4] Philon d’Alexandrie, Legum allegoriae, I, 84 (nefalios methē).

[5] Ep 5, 18-19.

[6] Saint Cyrille de Jérusalem, Cat. XVII, 18-19.

[7] Macaire l’Egyptien, Philocalie, 3, Cerf 2019.

[8] Saint Ambroise, Commentaires des Psaumes 35, 19.

[9] Ac 1, 5.

[10] Saint Augustin, Confessions, VIII, 8, 19.


Source: https://fr.zenit.org/2021/02/26/que-leau-de-notre-tiedeur-devienne-le-vin-dune-ferveur-renouvelee-par-le-card-cantalamessa/


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Prédications de Carême du Père Cantalamessa Empty Re: Prédications de Carême du Père Cantalamessa

Message par Invité Jeu 11 Mar 2021 - 14:35


Prédications de Carême du Père Cantalamessa 1zore_11
Card. Cantalamessa, Première Prédication De Carême © Vatican Media


« Savoir ce qu’est la volonté de Jésus, c’est plus facile… », par le card. Cantalamessa

Deuxième prédication de carême (texte complet)

« La sainteté de Jésus consistait à toujours faire ce que le Père voulait. « Je fais toujours ce qui lui est agréable. » (Jn 8, 29) Essayons de nous demander le plus souvent possible, face à chaque décision à prendre et à chaque réponse à donner : « Dans le cas présent, qu’est-ce que Jésus aimerait que je fasse ? » et faisons-le sans tarder. Savoir ce qu’est la volonté de Jésus c’est plus facile que de savoir dans l’abstrait ce qu’est « la volonté de Dieu » (même si les deux choses coïncident réellement). Pour connaître la volonté de Jésus, nous n’avons rien d’autre à faire qu’à nous souvenir de ce qu’il dit dans l’Évangile. Le Saint-Esprit est là, prêt à nous le rappeler »: c’est la conclusion de cette deuxième prédication de carême du cardinal Raniero Cantalamessa ofmcap. pour la curie romaine, ce vendredi 5 mars 2021, dans la salle Paul VI du Vatican, alors que le pape François était dans l’avion pour Bagdad.

AB

Card. Raniero Cantalamessa ofmcap

JESUS CHRIST, HOMME NOUVEAU
Deuxième prédication de Carême


La pensée moderne des Lumières est née à l’enseigne de la maxime de vivre « etsi Deus non daretur » – comme si Dieu n’existait pas. Le pasteur Dietrich Bonhoeffer a repris cette maxime et a essayé de lui donner un contenu chrétien positif. Dans ses intentions, elle n’était pas une concession à l’athéisme, mais un programme de vie spirituelle : faire son devoir même lorsque Dieu semble absent ; en d’autres termes, ne pas en faire un Dieu-bouche-trou, toujours prêt à intervenir là où l’homme a échoué.

Même présentée ainsi, cette maxime est discutable et a été – à juste titre – contestée. Mais elle nous intéresse ici aujourd’hui pour une toute autre raison. L’Église court un danger mortel, qui est celui de vivre « etsi Christus non daretur », comme si le Christ n’existait pas. C’est le présupposé tout le temps employé par le monde et ses moyens de communication pour parler de l’Église. Son histoire (surtout la négative, pas celle de la sainteté), son organisation, son point de vue sur les problèmes du moment, les faits et les ragots qui s’y trouvent, sont intéressants. La personne de Jésus est à peine mentionnée une fois. L’idée d’une alliance possible entre croyants et non-croyants, fondée sur des valeurs civiles et éthiques communes, sur les racines chrétiennes de notre culture, etc. a été proposée il y a quelques années – et est toujours vivante dans certains pays. Une compréhension, en d’autres termes, non pas basée sur ce qui s’est passé dans le monde avec la venue du Christ, mais sur ce qui s’est passé ensuite, après lui.

À cela s’ajoute un fait objectif, malheureusement inévitable. Le Christ n’entre dans aucun des trois dialogues les plus animés qui ont lieu aujourd’hui entre l’Église et le monde. Il n’entre pas dans le dialogue entre foi et philosophie, car la philosophie traite de concepts métaphysiques, et non de réalités historiques comme la personne de Jésus de Nazareth ; il n’entre pas dans le dialogue avec la science, avec laquelle on ne peut discuter que de l’existence ou non d’un Dieu créateur et d’un projet intelligent en dessous de l’évolution ; il n’entre pas, enfin, dans le dialogue interreligieux, où l’on traite de ce que les religions peuvent faire ensemble, au nom de Dieu, pour le bien de l’humanité.

Dans le souci – d’ailleurs très juste – de répondre aux exigences et aux provocations de l’histoire et de la culture, nous courons le danger mortel de nous comporter, nous aussi les croyants, « etsi Christus non daretur ». Comme si l’on pouvait parler de l’Eglise en dehors du Christ et de son Evangile. J’ai été fortement frappé par les paroles prononcées par le Saint-Père lors de l’audience générale du 25 novembre dernier. Il disait – et d’après le ton qu’il employait, on comprenait aisément qu’il était profondément touché par cela :

« Nous trouvons ici [dans les Actes des apôtres 2, 42) quatre caractéristiques essentielles de la vie ecclésiale : premièrement, l’écoute de l’enseignement des apôtres ; deuxièmement, la préservation de la communion réciproque ; troisièmement, la fraction du pain et, quatrièmement, la prière. Celles-ci nous rappellent que l’existence de l’Eglise a un sens si elle reste solidement unie au Christ, c’est-à-dire dans la communauté, dans sa Parole, dans l’Eucharistie et dans la prière. C’est la manière de nous unir, nous, au Christ. La prédication et la catéchèse témoignent des paroles et des gestes du Maître ; la recherche constante de la communion fraternelle préserve des égoïsmes et des particularismes ; la fraction du pain réalise le sacrement de la présence de Jésus parmi nous : Il ne sera jamais absent, dans l’Eucharistie, c’est vraiment Lui. Il vit et marche avec nous. Et enfin, la prière, qui est l’espace de dialogue avec le Père, à travers le Christ dans l’Esprit Saint. Tout ce qui dans l’Eglise grandit en dehors de ces “coordonnées” est privé de fondement. »

Les quatre coordonnées de l’Église, on le voit, se réduisent, selon les mots du Pape, à une seule : rester ancré dans le Christ. Tout cela a fait naître en moi le désir de dédier ces méditations de Carême à la personne de Jésus-Christ. J’ai dû surmonter – et j’ai dû commencer par moi – une objection. Un regard à l’index des documents de Vatican II, sous la rubrique « Jésus-Christ », ou un rapide coup d’œil aux documents pontificaux de ces dernières années nous en dit infiniment plus sur lui que ce que nous pourrons dire dans ces brèves méditations de Carême. Pourquoi alors avoir choisi ce thème ? C’est qu’ici nous ne parlerons que de lui, comme si lui seul existait et que cela valait la peine de ne s’occuper que de lui (ce qui est, en fin de compte, la vérité !).

Nous pouvons le faire parce que nous ne sommes pas contraints, comme l’est le Magistère, de nous occuper en même temps d’autres choses : des problèmes pastoraux, des problèmes éthiques, sociaux, environnementaux, et en ce moment des problèmes créés par la pandémie. Veillons attentivement, bien sûr, à ne pas faire que ce que nous faisons ici, mais aussi à ne pas nous abstenir de le faire. De mon expérience avec la télévision, j’ai appris une chose. Il existe différentes façons de cadrer un objet. Il y a le « plan large », dans lequel on cadre la personne qui parle avec tout ce qui l’entoure ; puis il y a le « gros plan », dans lequel on ne cadre que la personne qui parle, et enfin il y a ce qu’on appelle le « très gros plan » dans lequel on ne fixe que le visage de la personne qui parle ou même ses yeux. Ici, dans ces méditations, nous nous proposons de faire, avec l’aide de Dieu, quelques très gros plans sur la personne de Jésus-Christ.

Notre intention n’est pas apologétique, mais spirituelle. En d’autres termes, nous ne parlons pas pour convaincre les autres – les non-croyants – que Jésus-Christ est Seigneur, mais pour qu’il devienne toujours plus le Seigneur de notre vie, notre tout, au point de nous sentir, nous aussi, comme l’Apôtre, « saisis par le Christ » (Ph 3, 12) et de pouvoir dire avec lui – au moins comme un désir – « En effet, pour moi, vivre c’est le Christ » (Ph 1, 21). La question qui nous accompagnera ne sera donc pas : « Quelle place Jésus occupe-t-il aujourd’hui dans le monde ou dans l’Église ? », mais : « Quelle place Jésus occupe-t-il dans ma vie ? » Ce sera d’ailleurs la meilleure façon d’inviter les autres à s’intéresser au Christ, le moyen le plus efficace pour évangéliser.

Mais avant tout, une précision. De quel Christ allons-nous parler ? Il y a, en fait, différents « Christs » : le Christ des historiens, celui des théologiens, des poètes, il y a même le Christ des athées[1]. Nous parlerons du Christ des évangiles et de l’Église. Plus précisément, du Christ du dogme catholique que le Concile de Chalcédoine en 451 a défini en des termes qu’il est bon, une fois de temps en temps, de réentendre, au moins en partie, dans le texte original :

A la suite des saints Pères, nous enseignons unanimement à confesser un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité et parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme, composé d’une âme rationnelle et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel à nous selon l’humanité, « semblable à nous en tout, à l’exception du péché » (He 4, 15) […] Un seul et même Christ, Seigneur, Fils unique, que nous devons reconnaître en deux natures, […] nullement supprimée par leur union, mais plutôt les propriétés de chacune […] réunies en une seule personne et une seule hypostase[2].

Nous pouvons parler d’un triangle dogmatique sur le Christ, les deux côtés étant l’humanité et la divinité du Christ, et le sommet l’unité de sa personne.

Le dogme christologique ne se veut pas être une synthèse de toutes les données bibliques, une sorte de distillation qui renferme en elle-même toute l’immense richesse des affirmations concernant le Christ qu’on lit dans le Nouveau Testament, réduisant tout à cette maigre formule, bien sèche : « deux natures, une personne ». Si tel était le cas, le dogme serait extrêmement réducteur et même dangereux. Mais ce n’est pas le cas. L’Eglise croit et prêche sur le Christ tout ce que le Nouveau Testament dit de lui, sans en rien exclure. Par le biais du dogme, elle n’a fait que chercher à dessiner un cadre de référence, à établir une sorte de « loi fondamentale » que toute affirmation sur le Christ se doit de respecter. Tout ce qui est dit sur le Christ doit désormais respecter ce fait certain et incontestable, à savoir qu’il est Dieu et homme en même temps – mieux encore, dans la même personne.

Les dogmes sont des « structures ouvertes » (Bernhard Lonergan), prêtes à accueillir tout ce que chaque époque découvre de nouveau et d’authentique dans la Parole de Dieu, autour de ces vérités qu’ils ont cherché à définir et non à enfermer. Ils sont ouverts à une évolution de l’intérieur, à condition qu’elle soit toujours « dans le même sens et selon les mêmes lignes ». C’est-à-dire sans que l’interprétation donnée à une époque contredise celle de l’époque précédente. S’approcher du Christ par la voie du dogme ne signifie donc pas se résigner à répéter avec lassitude les mêmes sur lui, en changeant peut-être seulement les mots. Cela signifie lire l’Écriture dans la Tradition, avec les yeux de l’Église, c’est-à-dire en la lisant d’une manière toujours ancienne et toujours nouvelle.


Le Christ homme parfait

Voyons ce que tout cela signifie, appliqué au dogme de l’humanité parfaite du Christ, qui est le « très gros plan » que nous voulons faire sur Jésus dans cette méditation.

Au cours de la vie terrestre de Jésus, personne n’a jamais pensé à mettre en doute la réalité de l’humanité du Christ, c’est-à-dire le fait qu’il fût vraiment un homme comme les autres. Lorsqu’il parle de l’humanité de Jésus, le Nouveau Testament se montre plus intéressé par sa sainteté que par sa vérité ou sa réalité, c’est-à-dire plus par sa perfection morale que par sa complétude ontologique.

Au moment du concile de Chalcédoine, cette idée de l’humanité du Christ n’a pas changé, mais on ne met plus l’accent sur elle. Pour contrer l’hérésie docète, l’Église a dû affirmer que le Christ avait revêtu une vraie chair humaine ; pour contrer l’hérésie apollinienne, qu’il avait aussi eu une âme humaine ; et pour contrer l’hérésie monothélite, elle devra lutter plus tard, au VIIème siècle, pour faire reconnaître l’existence en Christ aussi d’une volonté, et donc d’une liberté, vraiment humaine. En raison des hérésies mentionnées, tout l’intérêt pour le Christ « homme » passe du problème de la nouveauté, ou de la sainteté, de cette humanité, à celui de sa vérité ou de sa complétude ontologique.

Le Nouveau Testament, comme je le disais, ne cherche pas tant à affirmer que Jésus est un « vrai » homme qu’à affirmer qu’il est l’homme « nouveau ». Il est défini par saint Paul comme « le dernier Adam » (eschatos), c’est-à-dire « l’homme définitif » (cf. 1 Co 15, 45s ; Rm 5, 14). Le Christ a révélé l’homme nouveau, celui « créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité » (Ep 4, 24 ; cf. Col 3, 10). Jésus Christ est « le Saint de Dieu », c’est ainsi qu’il est solennellement proclamé à deux moments de sa vie terrestre (…). Jésus n’est pas tant l’homme qui ressemble à tous les autres hommes, que l’homme auquel tous les autres hommes doivent ressembler. C’est de lui seul que l’on doit dire ce que les philosophes grecs disaient de l’homme en général, à savoir qu’il est « la mesure de toutes choses » !

Une fois que nous avons assuré la donnée dogmatique et ontologique de la parfaite humanité du Christ, nous pouvons aujourd’hui revenir à la valorisation de cette donnée biblique primaire. Nous devons le faire également pour une autre raison. Personne ne nie aujourd’hui que Jésus était un homme, comme le faisaient les docteurs et autres négateurs de la pleine humanité du Christ. Au contraire, on assiste à un phénomène étrange et inquiétant : d’aucuns affirment la « vraie » humanité du Christ comme une alternative tacite à sa divinité, comme une sorte de contrepoids.

C’est une sorte de course générale à qui ira le plus loin dans l’affirmation de la « pleine » humanité de Jésus de Nazareth, jusqu’à lui attribuer non seulement la souffrance, l’angoisse, la tentation, mais aussi le doute et même la possibilité de commettre des erreurs. Ainsi, le dogme de Jésus « vrai homme » est devenu, soit une vérité acquise qui ne dérange et n’inquiète personne, soit, pire encore, une vérité dangereuse qui sert à légitimer, plutôt qu’à remettre en cause, la pensée séculaire. Affirmer la pleine humanité du Christ aujourd’hui, c’est comme enfoncer une porte ouverte.


La sainteté du Christ

Consacrons donc ce qu’il nous reste de temps à contempler (c’est le mot juste) la sainteté du Christ, à nous laisser éblouir par elle, avant d’en tirer des conséquences au niveau de l’agir. Voilà le « très gros plan » sur Jésus que nous voulons faire dans cette méditation : nous laisser fasciner par la beauté infinie du Christ, « beau, comme aucun des enfants de l’homme » (Ps 44, 3).

L’observation des évangiles nous fait voir que la sainteté de Jésus n’est pas qu’un principe abstrait, ou une déduction métaphysique, mais qu’il s’agit d’une véritable sainteté, vécue à chaque instant et dans les situations les plus concrètes de la vie. Pour prendre un exemple, les Béatitudes ne sont pas seulement un beau programme de vie que Jésus trace pour les autres ; c’est sa vie même et son expérience qu’il révèle aux disciples, les appelant à entrer dans sa propre sphère de sainteté. Les Béatitudes sont l’autoportrait de Jésus.

Il enseigne ce qu’il fait ; c’est pourquoi il peut dire : « devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29). Il dit qu’il pardonne à ses ennemis, mais il va lui-même jusqu’à pardonner à ceux qui le crucifient, avec ces mots : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34). Ce n’est du reste pas tel ou tel épisode qui se prête à illustrer la sainteté de Jésus, mais toute action, toute parole qui sort de sa bouche.

À côté de cet élément positif qui consiste en une adhésion constante et absolue à la volonté du Père, la sainteté du Christ comporte également un élément négatif qui est l’absence absolue de tout péché : « Qui d’entre vous pourrait faire la preuve que j’ai péché ? » dit Jésus à ses adversaires (Jn 8, 46). Sur ce point, nous avons un chœur unanime de témoignages apostoliques : « Celui qui n’a pas connu le péché » (2 Co 5, 21) ; « Lui n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge » (1 P 2, 22) ; « éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché » (H » 4, 15) ; « C’est bien le grand prêtre qu’il nous fallait : saint, innocent, immaculé ; séparé maintenant des pécheurs » (He 7, 26). Dans sa première lettre, Jean ne se lasse pas de proclamer : « lui-même est pur (…) il n’y a pas de péché en lui (…) lui, Jésus, est juste » (1 Jn 3, 3-7).

La conscience de Jésus est pure comme le cristal. Jamais le moindre aveu de faute, ni la moindre demande d’excuses et de pardon, que ce soit envers Dieu ou envers les hommes. Toujours la tranquille certitude d’être dans la vérité et dans le droit, d’avoir bien agi ; ce qui est tout autre chose que la présomption humaine de justice. Aucun autre personnage de l’Histoire n’a osé dire la même chose de lui-même.

Une telle absence de faute – et d’admission de faute ! – n’est pas liée à tel ou tel passage ou expression de l’Evangile, dont on peut douter de l’historicité, mais transpire de tout l’Evangile. C’est un style de vie qui se reflète en tout. On pourra fouiller dans les plis les plus cachés des évangiles, le résultat est toujours le même. L’idée d’une humanité exceptionnellement sainte et exemplaire ne suffit pas à tout expliquer. En fait, celle-ci serait plutôt démentie par cela. Cette assurance, cette exclusion du péché, que nous voyons en Jésus, indiqueraient en effet une humanité exceptionnelle, mais exceptionnelle dans l’orgueil, pas dans la sainteté. Une telle conscience est, soit en soi le plus grand péché jamais commis – plus grand que celui de Lucifer – soit au contraire la pure vérité. La résurrection du Christ est la preuve concrète que c’était bien la pure vérité.


« Sanctifiés en Jésus-Christ »

Voyons maintenant ce que la sainteté du Christ signifie pour nous. Et nous voilà immédiatement accueillis par une bonne nouvelle. Il y a en effet une bonne nouvelle, une joyeuse annonce, quant à la sainteté du Christ. Ce n’est pas tant le fait que Jésus soit le Saint de Dieu, ni le fait que nous devons nous aussi être saints et sans tache. Non, l’heureuse surprise est que Jésus nous communique, nous donne, nous offre sa sainteté. Que sa sainteté est aussi la nôtre. Davantage : qu’il est lui-même notre sainteté.

Tout parent humain peut transmettre à ses enfants ce qu’il a, pas ce qu’il est. Ce n’est pas parce qu’il est artiste, scientifique ou même saint, que ses enfants vont également naître artistes, scientifiques ou saints. Il peut tout au plus les enseigner, leur donner un exemple, mais pas transmettre ce qu’il est comme par héritage. Jésus, à l’inverse, par le baptême, nous transmet non seulement ce qu’il a, mais aussi ce qu’il est. Il est saint et fait de nous des saints ; il est le Fils de Dieu et fait de nous des enfants de Dieu.

Vatican II le réaffirme également : « Appelés par Dieu, non au titre de leurs œuvres mais au titre de son dessein gracieux, justifiés en Jésus notre Seigneur, les disciples du Christ sont véritablement devenus par le baptême de la foi, fils de Dieu, participants de la nature divine et, par-là même, réellement saints » (LG, 40). La sainteté chrétienne, avant d’être un devoir, est un don.

Que pouvons-nous faire pour accueillir ce don et en faire, pour ainsi dire, une expérience vécue et pas seulement une expérience à laquelle on croit ? La première réponse, fondamentale, c’est la foi. Pas n’importe quelle foi, mais la foi par laquelle nous nous approprions ce que le Christ a acquis pour nous. La foi qui est pleine d’audace et donne un coup de pouce à notre vie chrétienne. Paul a écrit : « Le Christ Jésus […] est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification, rédemption. Ainsi, comme il est écrit : Celui qui veut être fier, qu’il mette sa fierté dans le Seigneur » (1 Co 1, 30-31). Ce que le Christ est devenu « pour nous » – justice, sanctification et rédemption – nous appartient ; il est plus à nous que si nous l’avions fait nous-mêmes ! « Puisque ne nous appartenons plus, mais que nous appartenons au Christ, qui nous a rachetés à grands frais, il s’ensuit », écrit le grand maître byzantin Cabasilas, « que ce qui est au Christ nous appartient ; il est plus à nous que ce qui vient de nous[3] ».

Je ne me lasse pas de répéter, à cet égard, ce que saint Bernard écrivait :

Mais pour moi, ce que je ne trouve pas en moi, je le prends [dans l’original, usurpe !] avec confiance dans les entrailles du Sauveur, parce qu’elles sont toutes pleines d’amour […]. La miséricorde du Seigneur est donc la matière de mes mérites. J’en aurai toujours tant qu’il daignera avoir de la compassion pour moi. Et ils seront abondants si les miséricordes sont abondantes. […] Sera-ce ma propre justice que je célébrerai ? « Je revivrai les exploits du Seigneur en rappelant que ta justice est la seule » (cf. Ps 71, 16). Non, Seigneur, je me souviendrai de votre seule justice. Car la vôtre est aussi la mienne, parce que vous êtes devenu ma propre justice (cf. 1 Co 1, 30)[4].

Nous ne devons pas nous résigner à mourir avant d’avoir fait, ou renouvelé, cette sorte de « coup de main » que nous suggère saint Bernard. Cette sainte audace ! Saint Paul exhorte souvent les chrétiens à « se débarrasser de l’homme ancien » et à « se revêtir du Christ[5] ». L’image de se débarrasser et de se revêtir n’indique pas une opération purement ascétique, consistant à abandonner certains « vêtements » et à les remplacer par d’autres, c’est-à-dire à abandonner les vices et acquérir des vertus. C’est avant tout une opération à faire par le moyen de la foi. Dans un moment de prière, en ce temps de Carême, plaçons-nous devant le Crucifié et, par un acte de foi, remettons-lui tous nos péchés, notre misère passée et présente, comme celui qui se dépouille et jette au feu ses guenilles sales ; puis il se revêt de la justice que le Christ a acquise pour lui. Il dit, comme le publicain dans le temple : « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis ! » Et lui aussi rentre chez lui « justifié » (cf. Lc 18, 13-14).

Certains Pères de l’Église ont rassemblé dans une image ce grand secret de la vie chrétienne. Imaginez, disent-ils, qu’un combat épique a eu lieu dans le stade. Un homme courageux a affronté le tyran cruel qui a asservi la ville et, au prix d’énormes efforts et souffrances, il l’a vaincu. Tu étais dans les gradins, tu n’as pas combattu, tu n’as ni lutté, ni subi de blessures. Mais si tu admires cet homme courageux, si tu te réjouis avec lui de sa victoire, si tu l’entrelaces de couronnes, si tu provoques et remues l’assemblée pour lui, si tu t’inclines joyeusement devant le vainqueur, que tu lui baises la tête et lui serres la main droite ; bref, si tu délires au point de considérer sa victoire comme la tienne, je t’assure que tu auras certainement part au prix du vainqueur.

Mais il y a davantage. Supposons que le vainqueur n’ait pas besoin du prix qu’il a remporté, mais qu’il désire, plus que toute autre chose, voir son partisan honoré et qu’il considère le couronnement de son ami comme la récompense de son combat ; dans ce cas, cet homme n’obtiendra-t-il pas la couronne, même s’il n’a ni peiné ni subi de blessures ? Bien sûr, qu’il l’obtiendra ! C’est ainsi, disent ces Pères, que cela se passe entre le Christ et nous. C’est lui le courageux qui sur la croix a vaincu le grand tyran du monde et nous a rendu la vie[6]. Il nous est demandé de ne pas être des « spectateurs » distraits par toute cette souffrance et tout cet amour. Saint Jean Chrysostome écrit :

Nous n’avons pas ensanglanté d’armes, nous ne nous sommes pas rangés en bataille, nous n’avons pas reçu de blessures, nous n’avons pas soutenu de guerre ; et nous avons remporté la victoire : c’est le Seigneur qui a combattu, et c’est nous qui avons obtenu la couronne. Puis donc que la victoire nous est propre, faisons éclater notre joie comme les soldats, chantons tous aujourd’hui l’hymne de la victoire ; écrions-nous en louant le Seigneur[7].

Bien sûr, tout ne s’arrête pas là. De l’appropriation, il nous faut passer à l’imitation. Le texte du Concile rappelé sur la sainteté comme don continue en disant : « Cette sanctification qu’ils ont reçue, il leur faut donc, avec la grâce de Dieu, la conserver et l’achever par leur vie. C’est l’apôtre qui les avertit de vivre « comme il convient à des saints« (Ep 5, 3), de se revêtir « puisque […] choisis par Dieu, […] sanctifiés, aimés par lui, de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience« (Col 3, 12), portant les fruits de l’Esprit pour leur sanctification (cf. Ga 5, 22 ; Rm 6, 22)[8] ».

Mais nous avons tant d’autres occasions de parler et d’entendre parler de notre devoir d’imiter le Christ et de cultiver les vertus, qu’il est bon, pour une fois, de nous arrêter ici. Aussi parce que si nous ne faisons pas ce premier saut dans la foi qui nous ouvre à la grâce de Dieu, nous n’irons jamais très loin dans l’imitation. « On n’arrive pas des vertus à la foi – disait saint Grégoire le Grand – mais de la foi aux vertus ».

Si nous ne voulons vraiment pas nous quitter sans avoir au moins un petit but pratique, en voici un qui peut nous aider. La sainteté de Jésus consistait à toujours faire ce que le Père voulait. « Je fais toujours ce qui lui est agréable. » (Jn 8, 29) Essayons de nous demander le plus souvent possible, face à chaque décision à prendre et à chaque réponse à donner : « Dans le cas présent, qu’est-ce que Jésus aimerait que je fasse ? » et faisons-le sans tarder. Savoir ce qu’est la volonté de Jésus est plus facile que de savoir dans l’abstrait ce qu’est « la volonté de Dieu » (même si les deux choses coïncident réellement). Pour connaître la volonté de Jésus, nous n’avons rien d’autre à faire qu’à nous souvenir de ce qu’il dit dans l’Évangile. Le Saint-Esprit est là, prêt à nous le rappeler.


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Traduit de l’Italien par Cathy Brenti de la Communauté des Béatitudes.

NOTES


[1] Cf. Milan Machovec, Jésus pour les athées, Mame, 2010.

[2] Denzinger – Schonmetzer, Enchiridion Symbolorum, nr. 301-302

[3] N. Cabasilas, La vie en Christ, IV, 6.

[4] Bernard de Clairvaux, Sermons sur le Cantique, LXI, 4-5.

[5] Cf. Col 3, 9 ; Rm 13, 14 ; Ga 3, 27 ; Ep 4, 24.

[6] Cf. N. Cabasilas, La vie en Christ, 5.

[7] Saint Jean Chrysostome, HOMÉLIE SUR LE MOT CŒMETERIUM ET SUR LA CROIX, 2.

[8] LG, 40.



Source: https://fr.zenit.org/2021/03/05/savoir-ce-quest-la-volonte-de-jesus-cest-plus-facile-par-le-card-cantalamessa/


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Prédications de Carême du Père Cantalamessa Empty Re: Prédications de Carême du Père Cantalamessa

Message par Invité Ven 12 Mar 2021 - 18:14


Prédications de Carême du Père Cantalamessa Ef036310
Card. Cantalamessa, Première Prédication De Carême :copyright: Vatican Media

«Cherchons à réveiller en nous la foi en la divinité du Christ», par le card. Cantalamessa (texte complet)

Troisième prédication de carême 2021

« La divinité du Christ c’est le plus haut sommet – l’Everest – de la foi », affirme le cardinal Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale. Il invite à « recréer les conditions d’une reprise de la foi en la divinité du Christ. » Pour lui, « il ne suffit pas de répéter le Credo de Nicée, il faut renouveler l’élan de foi que l’on avait alors dans la divinité du Christ et dont il n’y a pas eu d’égal au cours des siècles ».

Les prédications du cardinal Cantalamessa ont lieu à la Salle Paul VI tous les vendredis de carême (et de l’Avent) sur le thème «“Vous, qui dites-vous que je suis ?” (Mt 16, 15): le dogme christologique, source de lumière et d’inspiration ». Vendredi prochain, 19 mars, fête de saint Joseph, jour férié au Vatican, il n’y aura pas de prédication de Carême. Donc prochaine (et dernière) prédication aura lieu le vendredi 26 mars.

Dans sa troisième prédication du Carême, proposée à la curie romaine ce vendredi 12 mars 2021, le cardinal réfléchit sur « Jésus-Christ ‘vrai Dieu’ ». « Cherchons à réveiller en nous la foi en la divinité du Christ, invite-t-il. Une foi lumineuse, pas floue, objective et subjective à la fois, c’est-à-dire non seulement que l’on croit, mais aussi que l’on vit. »

Le cardinal retrace l’histoire du dogme du Christ « vrai Dieu », en s’arrêtant sur l’interprétation de ce dogme chez les orthodoxes et les protestants et en arrivant à une conclusion que « la distinction fondamentale des esprits, dans la sphère de la foi, n’est pas celle qui distingue entre eux catholiques, orthodoxes et protestants, mais celle qui distingue ceux qui croient au Christ Fils de Dieu, et ceux qui n’y croient pas ».

Celui qui croit au Christ, affirme le prédicateur, « a la possibilité de résister à la grande tentation du non-sens de la vie qui conduit souvent au suicide ». Qui croit au Christ, poursuit-il, « ne marche pas dans les ténèbres ; il sait d’où il vient, il sait où il va et ce qu’il doit faire en attendant. Il sait surtout qu’il est aimé par quelqu’un et que cette personne a donné sa vie pour le lui prouver ! »

Voici le texte complet de la prédication du cardinal Cantalamessa.

MD

Card. Raniero Cantalamessa, ofmcap

« POUR VOUS, QUI SUIS-JE ? »


Troisième prédication de carême 2021


Rappelons brièvement le thème et l’esprit de ces méditations de Carême. Nous nous sommes proposé de réagir à la tendance répandue de parler de l’Église « etsi Christus non daretur », comme si le Christ n’existait pas, comme si on pouvait tout comprendre en dehors de lui. Nous nous sommes donc proposé d’y répondre d’une manière différente de l’habitude, non pas en essayant de faire changer d’avis le monde et ses moyens de communication, mais en réitérant et en intensifiant notre foi dans le Christ. Non pas d’un point de vue apologétique, mais spirituel.

Nous avons choisi pour parler du Christ la voie la plus sûre qui est celle du dogme, le Christ vrai homme, le Christ vrai Dieu, le Christ une seule personne. Cette voie du dogme est tout sauf vieille et dépassée. « La terminologie dogmatique de l’Eglise primitive » – écrivait Kierkegaard, l’un des plus grands représentants de la pensée existentielle moderne – « est comme un château enchanté, dans lequel se trouvent des princes et les plus gracieuses des princesses, plongés dans un sommeil profond. Il suffit tout simplement de les réveiller pour qu’ils se mettent debout et apparaissent dans toute leur gloire [1]. »

Il s’agit précisément là de réveiller les dogmes, de leur insuffler la vie, comme lorsque l’Esprit entra dans les os desséchés vus par Ézéchiel et qu’ils « revinrent à la vie, et ils se dressèrent sur leurs pieds » (Ez 37, 10). La dernière fois, nous avons cherché à le faire vis-à-vis du dogme de Jésus « vrai homme » ; aujourd’hui, nous voulons le faire vis-à-vis du dogme du Christ « vrai Dieu ».


Le dogme du Christ « vrai Dieu »

En l’an 111 ou 112 après J.-C., Pline le Jeune, gouverneur de la Bithynie et du Pont, écrivait une lettre à l’empereur Trajan, pour lui demander des instructions sur la manière dont il convenait de se comporter dans les procès intentés contre les chrétiens. D’après les informations qu’il avait prises – écrivait-il à l’empereur – « toute leur erreur ou leur faute avait été renfermée dans ces points : qu’à un jour marqué, ils s’assemblaient avant le lever du soleil, et chantaient tour à tour des vers à la louange de Christ, comme s’il eût été dieu : carmen Christo quasi Deo dicere [2] ». Nous sommes en Asie Mineure, quelques années après la mort du dernier Apôtre, Jean, et les chrétiens proclament déjà, dans leur liturgie, la divinité du Christ ! La foi en la divinité du Christ est née avec la naissance de l’Église.

Mais qu’en est-il de cette foi aujourd’hui ? Faisons d’abord une brève reconstitution de l’histoire du dogme de la divinité du Christ. Il fut solennellement consacré lors du Concile de Nicée en 325 avec ces mots que nous redisons dans le Credo : « Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ […] vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas créé, de même nature que le Père ». Au-delà des termes employés, le sens profond de la définition de Nicée – comme on le déduit de saint Athanase qui en fut le témoin et l’interprète le plus autorisé – était que dans toute langue et à toute époque, on doit reconnaître le Christ comme Dieu dans le sens le plus fort et le plus élevé que le mot Dieu a dans telle langue et telle culture, et pas dans un autre sens dérivé et secondaire.

Il fallut près d’un siècle de mise au point avant que cette vérité ne fût reçue, dans sa radicalité, par l’ensemble de la chrétienté. Une fois surmontés les retours de l’arianisme dus à l’arrivée de peuples barbares qui avaient reçu la première évangélisation des hérétiques (Goths, Wisigoths et Lombards), le dogme devint le patrimoine pacifique de toute la chrétienté, tant orientale qu’occidentale.

La Réforme protestante le maintint intact et accrut même sa centralité ; elle y inséra toutefois un élément qui allait plus tard donner lieu à des développements négatifs. En réaction au formalisme et au nominalisme qui réduisent les dogmes à des exercices de virtuosité spéculative, les réformateurs protestants affirment : « Connaître le Christ, c’est reconnaître ses bienfaits, pas rechercher sa nature et les modalités de l’incarnation [3] ». Le Christ « pour moi » devient plus important que le Christ « en soi-même ». A la connaissance objective, dogmatique, on oppose une connaissance subjective, intime ; au témoignage extérieur de l’Église – et parfois même des Écritures – sur Jésus, on préfère le « témoignage intérieur » que l’Esprit Saint rend à Jésus dans le cœur de tout croyant.

Les Lumières et le rationalisme y ont trouvé le terrain propice à la démolition du dogme. Pour Kant, ce qui compte, c’est l’idéal moral proposé par le Christ, plutôt que sa personne. La théologie libérale du XIXe siècle réduit pratiquement le christianisme à la seule dimension éthique et en particulier à l’expérience de la paternité de Dieu. On dépouille l’Evangile de tout le surnaturel : miracles, visions, résurrection du Christ. Le christianisme devient seulement un sublime idéal éthique qui peut faire abstraction de la divinité du Christ et même de son existence historique. Gandhi qui, malheureusement, avait connu le christianisme dans cette version réductrice, écrivait : « Il ne m’importerait même pas que quelqu’un prouve que l’homme Jésus n’a jamais réellement vécu et que ce que nous lisons dans les évangiles n’est que le fruit de l’imagination de l’auteur. Le Sermon sur la Montagne n’en resterait pas moins vrai à mes yeux [4] ».

La version qui nous est la plus proche de cette tendance réductrice du christianisme est celle popularisée par Bultmann, au nom, cette fois, de la démythologisation : « La formule « le Christ est Dieu » » – écrit-il – « est fausse dans tous les sens, lorsque « Dieu » est considéré comme un être objectivable, qu’elle soit comprise selon Arius ou selon Nicée, dans un sens orthodoxe ou libéral. Elle est exacte si « Dieu » est compris comme l’événement de l’actualisation divine [5] ». En des termes moins obscurs : le Christ n’est pas Dieu, mais dans le Christ il y a (ou agit) Dieu. Nous sommes bien loin, comme on peut le constater, du dogme défini à Nicée. On dit vouloir ainsi interpréter le dogme ancien avec des catégories modernes, mais en réalité on ne fait que re-proposer, parfois dans les mêmes termes, des solutions archaïques (Paul de Samosate, Marcel d’Ancyre, Photin) déjà évaluées et rejetées par la conscience de l’Eglise.

Si l’on passe des discussions des théologiens à ce que, selon diverses enquêtes, les gens ordinaires des pays chrétiens pensent de la divinité du Christ, on reste sans voix. A la suite d’un concile local dominé par les opposants à Nicée (Rimini, année 359), saint Jérôme écrit : « Le monde entier « gémit et s’étonne de se retrouver arien [6] » ». Nous aurions bien plus de raisons que lui de gémir et de faire nôtre son exclamation d’étonnement.


Le Christ « vrai Dieu » dans les évangiles

Maintenant, nous devons rester fidèle à notre intention. Laissons donc de côté ce que le monde pense et cherchons à réveiller en nous la foi en la divinité du Christ. Une foi lumineuse, pas floue, objective et subjective à la fois, c’est-à-dire non seulement que l’on croit, mais aussi que l’on vit. Aujourd’hui encore, Jésus ne s’intéresse pas tant à ce que « les gens » disent de lui, mais à ce que ses disciples disent de lui. La question est toujours dans l’air : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15) C’est à elle que nous essaierons de répondre dans cette méditation.

Partons précisément de l’Évangile. Dans les Synoptiques, la divinité du Christ n’est jamais ouvertement déclarée, mais elle est continuellement sous-entendue. Rappelons quelques paroles de Jésus : « le Fils de l’homme a le pouvoir, sur la terre, de pardonner les péchés » (Mt 9, 6) ; « personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils » (Mt 11, 27) ; « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas » (cette parole-ci est présente à l’identique dans les trois Synoptiques [7]) « le Fils de l’homme est maître, même du sabbat » (Mc 2, 28) ; « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs » (Mt 25, 31-32). Qui, sinon Dieu, peut pardonner les péchés en son propre nom et se proclamer juge ultime de l’humanité et de l’Histoire ?

Tout comme il suffit d’un cheveu ou d’une goutte de salive pour relever l’ADN d’une personne, une seule ligne de l’Évangile suffit, si on la lit sans a priori, pour relever l’ADN de Jésus, pour découvrir ce qu’il pensait de lui-même, mais ne pouvait dire ouvertement pour ne pas être mal compris. La transcendance divine du Christ transpire littéralement à chaque page de l’Evangile.

Mais c’est surtout Jean qui a fait de la divinité du Christ le but premier de son Évangile, le thème qui unifie tout. Il le conclut en disant : « Mais ceux-là [ces signes] ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom » (Jn 20, 31), et il conclut sa première lettre avec quasiment les mêmes mots : « Je vous ai écrit cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui mettez votre foi dans le nom du Fils de Dieu ». (1 Jn 5, 13)

Un jour, il y a de nombreuses années, je célébrai la messe dans un monastère cloîtré. Le passage de l’Évangile du jour était la page de Jean dans laquelle Jésus prononce à plusieurs reprises son « Je suis » : « En effet, si vous ne croyez pas que moi, JE SUIS, vous mourrez dans vos péchés […] Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, JE SUIS […] avant qu’Abraham fût, moi, JE SUIS. » (Jn 8, 24 ; 28 ; 58) Le fait que les mots « JE SUIS » – contrairement à toutes les règles grammaticales – aient été écrits avec des majuscules dans le lectionnaire, associé certainement à une autre cause plus mystérieuse, a déclenché une étincelle. Ce mot « explosa » en moi.

Je savais, de par mes études, que dans l’Evangile de Jean, il y avait de nombreux « JE SUIS », ego eimi, prononcés par Jésus. Je savais que c’était un fait important pour sa christologie ; qu’avec eux, Jésus s’attribue le nom que Dieu revendique pour lui-même dans Isaïe : « pour que vous sachiez, que vous croyiez en moi et compreniez que moi, Je suis ». (Is 43, 10) Mais mes connaissances n’étaient que livresques et inertes, et ne suscitaient pas d’émotions particulières. Ce jour-là, c’était tout à fait autre chose. C’était le temps pascal et il semblait que le Ressuscité lui-même proclamait son nom divin devant le ciel et la terre. Son « JE SUIS » illuminait et remplissait l’univers. Je me sentais tout petit, comme quelqu’un qui assiste, par hasard et à l’écart, à une scène improvisée et extraordinaire, ou à un grand spectacle de la nature. Ce ne fut qu’une simple émotion de foi, rien de plus, mais de celles qui, une fois passées, laissent dans le cœur une empreinte indélébile.

Il faut s’étonner de l’exploit que l’Esprit de Jésus a permis à Jean de porter à son terme. Il a embrassé les thèmes, les symboles, les attentes, tout ce, en somme, qu’il y avait de religieusement vivant, tant dans le monde juif que dans le monde hellénistique, faisant en sorte que tout cela serve une seule idée, mieux, une seule personne : Jésus Christ est le Fils de Dieu et le Sauveur du monde. Il a appris la langue des hommes de son temps, afin de crier de toutes ses forces l’unique vérité qui sauve, la Parole par excellence, « le Verbe ».

Seule une certitude révélée, qui a derrière elle l’autorité et la puissance même de Dieu et de son Esprit, pouvait se déployer dans un livre avec une telle insistance et une telle cohérence, arrivant, à partir de mille points différents, toujours à la même conclusion, à savoir, l’identité totale de nature entre le Père et le Fils : « Le Père et moi, nous sommes UN. » (Jn 10, 30) Je dis bien « UN » (neutre unum), pas une seule personne (masculin unus) !


« Corde creditur : on croit avec le cœur »

Comme pour l’humanité, pour ce qui est de la divinité du Christ, nous pouvons aussi maintenant montrer comment l’ancien dogme, objectif et ontologique, permet d’accepter et d’améliorer la donnée subjective et fonctionnelle moderne, alors que, nous l’avons vu, le contraire a été si difficile. A la logique dialecticienne « aut – aut », substituons la logique catholique de l’ « et – et ».

Aucune des soi-disant « christologies d’en bas », celles – comprenons-nous bien – qui partent du Jésus « prophète eschatologique et révélateur suprême du Père », ou de Jésus « l’homme en qui la conscience de Dieu a atteint son plus haut niveau » (F. Schleiermacher), ou du Christ « personne humaine en qui subsiste la nature divine » (et non pas personne divine en qui subsiste la nature humaine !) ; aucune, je le répète, de ces christologies n’a réussi à s’élever jusqu’à embrasser le vrai mystère de la foi chrétienne et à sauvegarder la pleine divinité du Christ. Jésus explique bien la raison de l’échec et elle fut bien comprise par Jean qui y fait référence : « nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel. » (Jn 3, 13) Il est en effet possible à Dieu, s’il le souhaite, de se faire homme, mais il n’est pas possible à l’homme de se faire Dieu !

Tout ceci étant posé, nous pouvons revenir à la valorisation de toute la dimension subjective et personnaliste du dogme : le Christ « pour moi » mis au premier plan par les Réformateurs, le Christ connu par ses bienfaits et par le témoignage intérieur de l’Esprit. C’est le meilleur fruit de l’œcuménisme, celui des « différences réconciliées », et non pas opposées, comme le dit notre Saint-Père. Il ne s’agit pas d’une concession « pro bono pacis [8] », mais d’un besoin et d’un enrichissement mutuels. Nous avons tous besoin de donner à notre foi cette dimension personnelle et intime, afin qu’elle ne soit pas une répétition mortelle de formules anciennes ou modernes. Sur ce point, nous sommes tous mis en cause, catholiques, orthodoxes et protestants de la même manière.

Saint Paul dit que « c’est avec le cœur que l’on croit pour devenir juste, c’est avec la bouche que l’on affirme sa foi pour parvenir au salut » (Rm 10, 10). « C’est donc par le cœur que l’on croit au Christ » commente Augustin [9]. Dans la vision catholique, comme dans la vision orthodoxe et aussi, plus tard, dans la vision protestante, la profession de la foi droite, c’est-à-dire le deuxième moment de ce processus, a souvent pris tellement d’importance qu’elle laisse dans l’ombre ce premier moment qui se déroule dans les profondeurs cachées du cœur. Tous les traités De fide, écrits après Nicée, traitent de l’orthodoxie de la foi ; aujourd’hui, on parlerait de fides quae, et non de fides qua, des choses qu’on doit croire, et non de l’acte personnel de croire.

Ce premier acte de foi, précisément parce qu’il a lieu dans le cœur, est un acte « singulier », que l’on ne peut faire que tout seul, dans une totale solitude avec Dieu. Dans l’évangile de Jean, nous entendons Jésus poser sans cesse la question : « Crois-tu ? » (Jn 9, 35 ; Jn 11, 26) ; et chaque fois, cette question suscite dans le cœur le cri de la foi : « Je crois Seigneur ! » Le symbole de la foi de l’Église commence également ainsi, au singulier : « Je crois », et non « Nous croyons ».

Nous devons accepter nous aussi de passer par ce moment, de subir cet examen. Si à la question de Jésus : « Crois-tu ? », on répond tout de suite, sans même y penser, « Bien sûr que je crois » et qu’on trouve même étrange que cette question soit posée à un croyant, un prêtre ou un évêque, cela signifie probablement qu’on n’a pas encore découvert ce que signifie réellement croire, qu’on n’a jamais éprouvé le grand vertige de la raison qui précède l’acte de foi. La divinité du Christ est le plus haut sommet – l’Everest – de la foi. Croire en un Dieu né dans une étable et mort sur une croix ! C’est beaucoup plus exigeant que de croire en un Dieu lointain que chacun peut dépeindre à sa guise.

Il faut commencer par détruire en nous, croyants, et en nous, hommes d’Église, la fausse croyance que nous sommes en place sur le plan de la foi et qu’il nous faut encore travailler à la charité. Qui sait si ce ne serait pas une bonne chose, pour un temps, de ne pas vouloir prouver quoi que ce soit à qui que ce soit, mais d’intérioriser la foi, de retrouver ses racines dans notre cœur !

Nous devons recréer les conditions d’une reprise de la foi en la divinité du Christ. Reproduire l’élan de foi qui a donné naissance au dogme de Nicée. Le corps de l’Église a produit autrefois un effort suprême, par lequel il s’est élevé dans la foi au-dessus de tous les systèmes humains et de toutes les résistances de la raison. La marée de la foi a atteint un jour un niveau maximum et il en est resté le signe sur le rocher. Mais il faut cependant que le soulèvement se reproduise, le signe ne suffit pas. Il ne suffit pas de répéter le Credo de Nicée, il faut renouveler l’élan de foi que l’on avait alors dans la divinité du Christ et dont il n’y a pas eu d’égal au cours des siècles.

La pratique de l’Église (et pas seulement de l’Église catholique !) prévoit une profession de foi de la part du candidat, avant de recevoir le mandat d’enseigner la théologie. Cette profession de foi a souvent comporté, outre la récitation du Credo, l’engagement d’enseigner certaines choses précises – et de ne pas en enseigner d’autres tout aussi précises – qui, à ce moment de l’Histoire, étaient des questions particulièrement sensibles. On pense au serment anti-moderniste.

Il me semble que l’on devrait avant tout s’assurer d’une chose, que ceux qui enseignent la théologie aux futurs ministres de l’Évangile croient fermement en la divinité du Christ. Pour s’en assurer par un discernement franc et fraternel, mieux qu’avec un serment. Après le Concile, il y a eu toute une génération de prêtres (certainement pas à cause du Concile !) qui ont fini le séminaire et se sont présentés à l’ordination avec des idées très confuses et floues sur le Jésus qu’ils devaient annoncer au peuple et rendre présent sur l’autel lors de la messe. De nombreuses crises sacerdotales, j’en suis convaincu, ont commencé et continuent à partir d’ici.


Œcuménisme et évangélisation

Ce que nous venons de mettre en évidence a des conséquences importantes également pour l’œcuménisme chrétien. Il y a en fait deux œcuménismes possibles, celui de la foi et celui de l’incroyance ; celui qui réunit tous ceux qui croient que Jésus est le Fils de Dieu et que Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit, et celui qui réunit tous ceux qui se limitent à « interpréter » (chacun à sa manière et selon son propre système philosophique) ces choses. Un œcuménisme dans lequel, à la limite, tous croient les mêmes choses car personne ne croit plus vraiment à rien, au sens fort du terme « croire ».

La distinction fondamentale des esprits, dans la sphère de la foi, n’est pas celle qui distingue entre eux catholiques, orthodoxes et protestants, mais celle qui distingue ceux qui croient au Christ Fils de Dieu, et ceux qui n’y croient pas ; selon saint Paul, « tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre » (1 Co 1, 2) et ceux qui ne l’invoquent pas.

Une unité nouvelle et invisible est en train de se former, qui passe par les différentes Églises. Cette unité invisible et spirituelle a un besoin vital, à son tour, du discernement de la théologie et du magistère, afin de ne pas tomber dans le danger du fondamentalisme ou d’un subjectivisme effréné et désordonné. Mais une fois qu’on voit cette tentation et qu’on la surmonte, c’est un fait que l’on ne peut plus se permettre d’ignorer.

Le véritable « œcuménisme spirituel » ne consiste pas seulement à prier pour l’unité des chrétiens, mais à partager la même expérience de l’Esprit Saint. Il s’agit de ce qu’Augustin appelle la « societas sanctorum » – la communion des saints – qui parfois, douloureusement, peut ne pas coïncider avec la « communio sacramentorum », c’est-à-dire avec le partage des mêmes signes sacramentels.

La foi en la divinité est importante avant tout en vue de l’évangélisation. Il existe des bâtiments ou des structures métalliques fabriqués de telle sorte que si l’on touche un certain point ou si l’on soulève une certaine pierre, tout s’effondre. Telle est la construction de la foi chrétienne, et la « pierre angulaire » qui est la sienne est la divinité du Christ. Si on l’enlève, tout s’écroule et s’effondre, à commencer par la foi en la Trinité. De qui la Trinité est-elle formée si le Christ n’est pas Dieu ? Ce n’est pas pour rien, dès qu’on met la divinité du Christ entre parenthèses, que l’on offre le même sort à la Trinité.

Saint Augustin disait : « C’est peu de croire que le Christ est mort : les païens, les Juifs, les impies le croient aussi. Tous croient qu’il est mort ; la foi chrétienne consiste à croire en sa résurrection ». Et il concluait : « Telle est la foi en la résurrection du Christ [10] ». On doit dire la même chose de l’humanité et de la divinité du Christ, dont la mort et la résurrection sont les manifestations respectives. Tous croient que Jésus est un homme ; ce qui fait la différence entre croyants et non-croyants, c’est de croire qu’il est aussi Dieu. La foi des chrétiens est la divinité du Christ !


« Connaître le Christ, c’est reconnaître ses bienfaits »

« Connaître le Christ, c’est reconnaître ses bienfaits », avons-nous entendu. Nous terminons précisément en rappelant deux de ces bienfaits qui sont les plus à même de répondre aux besoins profonds de l’homme d’aujourd’hui et de toujours, le besoin de sens et le besoin de vie.

Il n’est pas vrai que l’homme moderne a cessé de se poser la question du sens de la vie. Il y a quelques années, un intellectuel bien connu écrivait : « La religion va mourir. Ce n’est pas un souhait, encore moins une prophétie. C’est déjà un fait qui attend son achèvement… Une fois passées notre génération et peut-être celle de nos enfants, personne ne considérera plus la nécessité de donner un sens à la vie comme un problème vraiment fondamental […] La technique a conduit la religion à son crépuscule [11] ». Certes, ceux qui se sont donné d’autres sens ne s’interrogent pas sur le sens ultime de la vie… Mais lorsque ceux-ci, l’un après l’autre, disparaissent – jeunesse, santé, gloire – beaucoup se posent de nouveau la question. Ils se la posent encore plus en cette période de pandémie où, souvent enfermés à la maison, hommes et femmes ont enfin eu le temps de réfléchir et de se remettre en question.

Il existe une peinture, parmi les plus célèbres de l’art moderne, qui représente visuellement où mène la conviction que la vie n’a pas de sens. Sur un fond rougeâtre qui inspire l’angoisse, un homme traverse un pont en courant et dépasse deux individus qui semblent inconscients et indifférents à tout ; il a les yeux écarquillés ; les mains autour de la bouche, il émet un cri et on comprend que c’est un cri de désespoir.

Jésus a dit : « Moi, je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres » (Jn 8, 12). Celui qui croit au Christ a la possibilité de résister à la grande tentation du non-sens de la vie qui conduit souvent au suicide. Qui croit au Christ ne marche pas dans les ténèbres ; il sait d’où il vient, il sait où il va et ce qu’il doit faire en attendant. Il sait surtout qu’il est aimé par quelqu’un et que cette personne a donné sa vie pour le lui prouver !

Jésus a également dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11, 25). Et l’évangéliste écrira plus tard aux chrétiens : « Je vous ai écrit cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui mettez votre foi dans le nom du Fils de Dieu. […] C’est lui qui est le Dieu vrai, et la vie éternelle ». (1 Jn 5, 13, 20) C’est précisément parce que le Christ est le « vrai Dieu » qu’il est aussi « la vie éternelle » et qu’il donne la vie éternelle. Cela n’efface pas nécessairement notre peur de la mort, mais donne au croyant l’assurance que notre vie ne s’arrête pas avec elle.

On y repense en partie lorsque, le dimanche, on proclame le deuxième article du Credo :

Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ

le Fils unique de Dieu,

né du Père avant tous les siècles

Il est Dieu, né de Dieu,

Lumière, né de la Lumière,

vrai Dieu, né du vrai Dieu,

engendré, non pas créé,

de même nature que le Père,

et par Lui tout a été fait.


___________________________________________________

Traduit de l’Italien par Cathy Brenti, de la Communauté des Béatitudes

NOTES

[1] Søren Kierkegaard, Journal, II A 110 (trad. ital. de C. Fabro, Brescia 1962, nr. 196).

[2] Pline le Jeune, Epistularum liber, X, 96.

[3] Philippe Melanchthon, Loci theologici, in Corpus Reformatorum, Brunsvigae 1854, p. 85.

[4] Cf. Gandhi on Christianity. Robert Ellsberg (éd.), Maryknoll, N.Y., Orbis Books, 1991.

[5] R. Bultmann, Glauben und Verstehen, II, Tübingen 1938, p. 258.

[6] S. Jérôme, Dialogue contre les Lucifériens, 19 : « Ingemuit totus orbis et arianum se esse miratus est ».

[7] Mc 13, 31 ; Mt 24, 35 ; Lc 21, 33.

[8] N.D.T. : pour le bien de la paix.

[9] S. Augustin, Traités sur saint Jean, XXVI, 2.

[10] S. Augustin, Discours sur les Psaumes, CXX, 6.

[11] Dans la revue italienne « MicroMega » 2, 2000, pp. 187 suiv.



Source: https://fr.zenit.org/2021/03/12/careme-jesus-christ-vrai-dieu-par-le-card-cantalamessa-texte-complet/


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Prédications de Carême du Père Cantalamessa Empty Re: Prédications de Carême du Père Cantalamessa

Message par Invité Sam 27 Mar 2021 - 18:47


Prédications de Carême du Père Cantalamessa Fbec6310
Card. Cantalamessa, 26 Mars 2021 :copyright: Vatican Media

«Jésus de Nazareth, une personne», par le card. Cantalamessa ofmcap.(texte complet)


Quatrième prédication de carême

Dans sa quatrième – et dernière – prédication de Carême 2021, le cardinal Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale, parle de « Jésus de Nazareth, une personne ». « Jésus de Nazareth est vivant ! réaffirme-t-il. Il n’est pas un souvenir du passé, il n’est pas seulement un personnage, mais une personne. »

Les prédications du cardinal Cantalamessa ont lieu à la Salle Paul VI tous les vendredis à partir du 26 février sur le thème «“Vous, qui dites-vous que je suis ?” (Mt 16, 15): le dogme christologique, source de lumière et d’inspiration », sauf le 19 mars, en la solennité de S. Joseph, jour férié au Vatican.

Le cardinal propose à ses auditeurs de la curie romaine et aux baptisés un examen de conscience : « Nous devons donc nous poser une question sérieuse, dit-il : Jésus est-il pour moi une personne, ou seulement un personnage ? Il y a une grande différence entre les deux. »

Un « personnage », explique-t-il, « c’est quelqu’un dont on peut parler et sur lequel on peut écrire autant qu’on veut, mais à qui et avec qui il est impossible de parler ». Malheureusement, note le cardinal Cantalamessa ofmcap., « pour la grande majorité des chrétiens, Jésus est un personnage et non une personne ».

« La vie de chaque personne, poursuit-il, se divise exactement comme l’histoire universelle se divise : « avant le Christ » et « après le Christ », avant la rencontre personnelle avec le Christ et après cette rencontre. »

Le prédicateur de la Maison pontificale explique que la rencontre personnelle avec le Christ est « l’œuvre du Saint-Esprit » : « Nous pouvons entrevoir cette rencontre, en entendre parler, la désirer, dit-il, mais il n’y a qu’un seul moyen pour la vivre. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut obtenir en lisant des livres ou en écoutant une prédication. Rien que par l’œuvre du Saint-Esprit ! Nous savons donc à qui nous devons le demander, et nous savons qu’il attend que nous le lui demandions… »

Voici le texte de la quatrième prédication du cardinal Cantalamessa.


MD

JÉSUS DE NAZARETH, UNE PERSONNE

Quatrième prédication de Carême 2021



Les Actes des Apôtres relatent l’épisode suivant. À l’arrivée du roi Agrippa à Césarée, le gouverneur Festus lui présenta le cas de Paul, détenu auprès de lui, dans l’attente de son procès. Il résume l’affaire au roi par ces mots : « Ses accusateurs […] avaient avec lui certains débats au sujet de leur propre religion, et au sujet d’un certain Jésus qui est mort, mais que Paul affirmait être en vie » (Ac 25, 18-19). C’est dans ce détail, en apparence si secondaire, que se résume l’histoire des vingt siècles qui ont suivi ce moment. Tout tourne encore autour « d’un certain Jésus » que le monde considère comme mort et que l’Eglise proclame vivant.

C’est ce que nous nous proposons d’approfondir dans cette dernière méditation, à savoir que Jésus de Nazareth est vivant ! Il n’est pas un souvenir du passé, il n’est pas seulement un personnage, mais une personne. Il vit « selon l’Esprit », bien sûr, mais c’est une façon de vivre plus forte que « selon la chair » car elle lui permet de vivre en nous, et non pas à l’extérieur ou à côté de nous.

Dans notre examen du dogme, nous sommes arrivés au nœud qui relie les deux extrémités. Jésus « vrai homme » et Jésus « vrai Dieu » – ai-je dit au début – sont comme les deux côtés d’un triangle dont le sommet est Jésus « une personne ». Rappelons à grands traits comment s’est formé le dogme de l’unité de la personne du Christ. La formule « une personne » appliquée au Christ remonte à Tertullien[1], mais il a fallu plus de deux siècles de réflexion pour comprendre ce qu’elle signifiait réellement et comment elle pouvait se concilier avec l’affirmation que Jésus était vrai homme et vrai Dieu, c’est-à-dire « en deux natures ».

Une étape fondamentale fut le Concile d’Ephèse en 431, au cours duquel on définit le titre de Marie Theotokos, Mère de Dieu. Si on peut appeler Marie « Mère de Dieu », même si elle n’a donné naissance qu’à la nature humaine de Jésus, cela signifie qu’en lui humanité et divinité forment une seule personne. L’objectif définitif ne fut cependant atteint qu’au Concile de Chalcédoine de 451, avec la formule dont nous rapportons à nouveau la partie relative à l’unité du Christ :

À la suite des saints Pères, nous enseignons unanimement à confesser

un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, […]

les propriétés de chacune [nature] sont sauvegardées

et réunies en une seule personne et une seule hypostase[2].

S’il fallut un siècle pour que la définition de Nicée fût pleinement reçue, il a fallu tous les siècles suivants pour la réception complète de cette autre définition, jusqu’à nos jours. Ce n’est que grâce au récent climat de dialogue œcuménique qu’il a été possible de rétablir la communion entre l’Église orthodoxe et les Églises dites nestoriennes et monophysites de l’Orient chrétien. On a pris note que dans la majorité des cas, il s’agissait d’une différence de terminologie et non de doctrine. Tout dépendait de la signification différente donnée aux deux termes « nature » et « personne » ou « hypostase ».


De l’adjectif « une » au nom « personne »

Après avoir sécurisé son contenu ontologique et objectif, là encore pour revitaliser le dogme, il faut maintenant mettre en évidence sa dimension subjective et existentielle. Saint Grégoire le Grand disait que l’Écriture « grandit avec ceux qui la lisent » (cum legentibus crescit)[3]. Nous devons en dire autant des dogmes. C’est une « structure ouverte » ; il grandit et s’enrichit dans la mesure où l’Église, guidée par l’Esprit Saint, se trouve à vivre de nouvelles problématiques et dans de nouvelles cultures.

Saint Irénée l’avait dit avec une prescience singulière vers la fin du IIème siècle. La vérité révélée, écrivait le saint, est « comme une liqueur précieuse contenue dans une carafe de valeur. Par l’action du Saint-Esprit, elle [la vérité] rajeunit toujours et fait rajeunir également la carafe qui la contient[4] ». L’Église est capable de lire les Écritures et les dogmes d’une manière toujours nouvelle, parce qu’elle est elle-même toujours renouvelée par l’Esprit Saint ! C’est le grand secret, très simple, qui explique la jeunesse pérenne de la Tradition et, par conséquent, des dogmes qui en sont la plus haute expression. Le grand historien de la tradition chrétienne, Jaroslav Pelikan, a écrit que « la Tradition est la vivante foi des morts » (c’est-à-dire, la foi des Pères qui continue à vivre) ; le Traditionalisme c’est la morte foi des vivants ».[5]

Le dogme de l’unique personne du Christ est aussi une « structure ouverte », c’est-à-dire capable de nous parler aujourd’hui, de répondre aux nouveaux besoins de la foi, qui ne sont plus les mêmes qu’au cinquième siècle. Aujourd’hui, personne ne nie que le Christ soit « une seule personne ». Certains – nous l’avons vu précédemment – nient qu’il soit une personne « divine », préférant dire qu’il est une personne « humaine » dans laquelle Dieu habite, ou œuvre, d’une manière unique et sublime. Mais l’unité même de la personne du Christ, je le répète, n’est contestée par personne.

Le plus important aujourd’hui, à propos du dogme selon lequel le Christ est « une personne », n’est pas tant l’adjectif « une » que le substantif « personne ». Pas tant le fait qu’il soit « un et identique à lui-même » (unus et idem), mais qu’il soit « personne ». Cela signifie découvrir et proclamer que Jésus-Christ n’est pas une idée, un problème historique, ni même un simple personnage, mais une personne et une personne vivante ! C’est en fait ce qui manque et ce dont nous avons grandement besoin pour ne pas laisser le christianisme se réduire à une idéologie, ou simplement à une théologie.

Nous nous sommes proposé de revitaliser le dogme, en partant de sa base biblique. Tournons-nous donc immédiatement vers les Écritures. Partons de la page du Nouveau Testament qui nous parle de la plus célèbre « rencontre personnelle » avec le Ressuscité qui ait jamais eu lieu sur la surface de la terre, celle de l’Apôtre Paul. « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? » « Qui es-tu, Seigneur ? » « Je suis Jésus. » (Ac 9, 4-5) Quelle illumination ! Vingt siècles après, cette lumière continue d’illuminer l’Église et le monde. Mais écoutons comment il décrit lui-même cette rencontre :

« Mais tous ces avantages que j’avais [circoncis à huit jours, de la race d’Israël, pharisien, irréprochable] je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte. Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s’agit pour moi de connaître le Christ » (Ph 3, 7-10).

C’est presque en rougissant que j’ose aborder l’expérience flamboyante de Paul avec ma toute petite expérience. Mais c’est précisément Paul qui, avec son récit, nous encourage à faire de même, c’est-à-dire à témoigner de la grâce de Dieu. En étudiant et en enseignant la christologie, j’avais fait diverses recherches sur l’origine du concept de « personne » en théologie, sur ses définitions et ses différentes interprétations. Je connaissais les discussions interminables sur l’unique personne ou hypostase du Christ à l’époque byzantine, les développements modernes sur la dimension psychologique de la personne, avec le problème conséquent du « moi » du Christ, si débattu lorsque j’étudiais la théologie. Dans un sens, je savais tout sur la personne de Jésus, mais je ne connaissais pas Jésus en personne !

Ce fut justement cette parole de Paul qui m’aida à comprendre la différence. Surtout la phrase : « Il s’agit pour moi de le connaître». Il m’a semblé que ce simple pronom «lui même » (auton) contenait plus de vérité sur Jésus que des traités entiers de christologie. « Lui » signifie Jésus-Christ « en chair et en os ». C’était comme lorsque l’on rencontre une personne vivante que jusque-là on ne connaissait qu’en photo. J’ai réalisé que je connaissais des livres sur Jésus, des doctrines, des hérésies sur Jésus, des concepts sur Jésus, mais que je ne le connaissais pas, lui, personne vivante et réelle. Du moins, je ne le connaissais pas ainsi quand je m’en approchais par l’étude de l’histoire et de la théologie. J’avais jusque-là une connaissance impersonnelle de la personne du Christ. Une contradiction et un paradoxe, mais hélas, tellement fréquents !


Être personne, c’est être-en-relation

En réfléchissant au concept de personne dans le contexte de la Trinité, saint Augustin[6] et après lui saint Thomas d’Aquin sont arrivés à la conclusion que « personne », en Dieu, signifie relation. Le Père est ce qu’il est en raison de sa relation au Fils ; tout son être consiste en cette relation, tout comme le Fils est ce qu’il est en raison de sa relation au Père. La pensée moderne a confirmé cette intuition. « La vraie personnalité », écrivait le philosophe Hegel, « consiste à se retrouver en s’immergeant dans l’autre[7] ». La personne est une personne dans l’acte où elle s’ouvre à un « vous » et dans cette confrontation acquiert une conscience de soi. Être une personne, c’est « être-en-relation ».

C’est éminemment vrai pour les personnes divines de la Trinité, qui sont « pures relations », ou comme on dit en théologie, « relations subsistantes » ; mais c’est également vrai pour toute personne dans la sphère créée. On ne connaît une personne dans sa réalité que si on entre en « relation » avec elle. C’est pour cela qu’on ne peut connaître Jésus en tant que personne, sauf en entrant dans une relation personnelle, de moi à toi, avec lui. « La foi ne se termine pas à l’énoncé mais à la réalité »[8], disait saint Thomas d’Aquin. Nous ne pouvons pas nous contenter de croire à la formule « une personne » ; nous devons rejoindre la personne elle-même et, par la foi et la prière, la « toucher ».

Nous devons donc nous poser une question sérieuse : Jésus est-il pour moi une personne, ou seulement un personnage ? Il y a une grande différence entre les deux. Un personnage – comme Jules César, Léonard de Vinci, Napoléon – est quelqu’un dont on peut parler et sur lequel on peut écrire autant qu’on veut, mais à qui et avec qui il est impossible de parler. Malheureusement, pour la grande majorité des chrétiens, Jésus est un personnage et non une personne. Il fait l’objet d’un ensemble de dogmes, de doctrines ou d’hérésies ; il est celui dont nous célébrons la mémoire dans la liturgie, que nous croyons réellement présent dans l’Eucharistie, et ainsi de suite. Mais si nous restons sur le plan de la foi objective, sans développer une relation existentielle avec lui, il reste extérieur à nous, il touche notre esprit, mais ne réchauffe pas notre cœur. Il reste, malgré tout, dans le passé ; il y a entre lui et nous, inconsciemment, une distance de vingt siècles. Dans ce contexte, nous comprenons le sens et l’importance de l’invitation que le pape François a placée au début de son exhortation apostolique Evangelii Gaudium :

« J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui » (EG, 3).

Dans la vie de la plupart des gens, il y a un événement qui divise la vie en deux parties, créant un avant et un après. Pour les personnes mariées, c’est le mariage et elles divisent leur vie de cette manière : « avant que je ne me marie » et « après mon mariage » ; pour les évêques et les prêtres, il s’agit de la consécration épiscopale ou de l’ordination sacerdotale ; pour les consacrés, il s’agit de la profession religieuse. Du point de vue spirituel, il y a un unique événement qui crée vraiment pour chacun un avant et un après. La vie de chaque personne se divise exactement comme l’histoire universelle se divise : « avant le Christ » et « après le Christ », avant la rencontre personnelle avec le Christ et après cette rencontre.

Nous pouvons entrevoir cette rencontre, en entendre parler, la désirer, mais il n’y a qu’un seul moyen pour la vivre. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut obtenir en lisant des livres ou en écoutant une prédication. Rien que par l’œuvre du Saint-Esprit ! Nous savons donc à qui nous devons le demander, et nous savons qu’il attend que nous le lui demandions… Per te sciamus da Patrem, noscamus atque Filium : « Fais-nous connaître le Père, et fais-nous connaître aussi le Fils[9]. » Puissions-nous le connaître de cette connaissance intime et personnelle qui change la vie.


Le Christ, personne « divine »

Mais nous devons faire un pas de plus. Si nous nous arrêtions là, nous perdrions la révélation la plus consolante contenue dans le dogme du Christ « personne » et « personne divine ». Nous ne serons jamais assez reconnaissants envers l’Église primitive qui s’est battue, parfois littéralement jusqu’au sang, pour maintenir la vérité que le Christ est « une seule personne » et que cette personne n’est autre que le Fils éternel de Dieu, l’une des trois personnes de la Trinité. Essayons de comprendre pourquoi.

La contribution la plus fructueuse et la plus durable de saint Augustin à la théologie est d’avoir fondé le dogme de la Trinité sur l’affirmation johannique « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8.). Tout amour implique un amant, un aimé et un amour qui les unit, et c’est ainsi qu’il définit les trois personnes divines : le Père est celui qui aime, le Fils est l’aimé, et le Saint-Esprit, l’amour qui les unit[10].

Il n’y a pas d’amour qui ne soit l’amour de quelqu’un ou de quelque chose, tout comme il n’y a pas de connaissance qui ne soit la connaissance de quelque chose. Il n’existe pas d’amour « vide », sans objet. Nous pouvons alors nous demander : qui Dieu aime-t-il, pour être défini comme amour ? L’homme ? Mais alors il n’est amour que depuis quelques centaines de millions d’années. L’univers ? Mais alors il n’est amour que depuis quelques dizaines de milliards d’années. Et auparavant, qui Dieu aimait-il pour être l’amour ? Voici la réponse de la révélation biblique, explicitée par l’Église. Dieu est amour depuis toujours, ab aeterno, parce que bien avant qu’il y ait un objet en dehors de Lui pour aimer, il avait en lui le Verbe, le Fils qu’il aimait d’un amour infini, c’est-à-dire « dans l’Esprit Saint ».

Cela n’explique pas « comment » l’unité peut être en même temps trinité (c’est un mystère que nous ne pouvons pas connaître parce qu’il n’arrive qu’en Dieu), mais cela nous suffit au moins pour deviner « pourquoi », en Dieu, la pluralité ne contredit pas l’unité. C’est parce que « Dieu est amour » ! Un Dieu qui est pure connaissance ou pure loi, ou pure puissance, n’aurait certainement pas besoin d’être trine (cela compliquerait en fait les choses) ; mais un Dieu qui est avant tout amour si, car il ne peut y avoir d’amour entre moins de deux personnes.

Le plus grand et le plus inaccessible des mystères pour l’esprit humain n’est pas, à mon avis, que Dieu soit un et trine, mais que Dieu soit amour. « Il faut » – écrivait Henri de Lubac – « que le monde le sache : la révélation de Dieu en tant qu’amour bouleverse tout ce qu’il avait précédemment conçu de la divinité[11] ». C’est très vrai, mais nous sommes malheureusement encore loin d’avoir tiré toutes les conséquences de cette révolution. Le fait que l’image de Dieu qui domine dans l’inconscient humain soit celle d’un être absolu, et non d’un amour absolu le démontre ; un Dieu essentiellement omniscient, omnipotent et surtout juste. L’amour et la miséricorde sont considérés comme un correcteur qui modère la justice. Ils sont l’exposant, pas la base.

Nous proclamons, nous les modernes, que la personne est la valeur suprême à respecter dans tous les domaines, le fondement ultime de la dignité humaine. Cependant, on ne peut comprendre d’où vient cette conception moderne de la personne qu’en partant de la Trinité. Le théologien orthodoxe Jean Zizioulas[12] l’a bien mis en évidence, en montrant la fécondité et l’enrichissement mutuel qui s’obtient dans le dialogue entre la théologie latine et la théologie grecque sur la Trinité. Il démontre, dans plusieurs de ses écrits, comment le concept moderne de personne est un enfant direct de la doctrine de la Trinité et il explique dans quel sens.

« L’amour est une catégorie ontologique qui consiste à donner à l’autre l’espace nécessaire pour exister en tant qu’autre et acquérir son existence dans et par l’autre. C’est une attitude kénotique, un don de soi […]. C’est ce qui se passe dans la Trinité où le Père aime en se donnant tout entier au Fils et en le faisant exister en tant que Fils. […] Voilà donc ce que signifie être une personne humaine à la lumière de la théologie trinitaire. C’est une manière d’être dans laquelle nous acquérons nos identités non pas en nous éloignant des autres, mais en communion avec eux dans et par un amour qui « ne cherche pas son intérêt » (1 Co 13, 5) mais est prêt à sacrifier tout son être pour permettre à l’autre d’être et d’être autre. C’est exactement la manière d’être que l’on trouve dans la Croix du Christ où l’amour divin se révèle pleinement dans notre existence historique[13] ».

Parce qu’il est personne divine et trinitaire, le Christ a donc avec nous une relation d’amour qui fonde notre liberté (cf. Ga 5, 1). Il « m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi » (Ga 2, 20), on pourrait passer des heures entières à se répéter en soi ce mot, sans jamais cesser d’être étonné. Lui, Dieu, m’a aimé, moi, créature sans valeur et ingrate ! Il s’est donné – sa vie, son sang – pour moi. Rien que pour moi ! C’est un abîme dans lequel on se perd.

Notre « relation personnelle » avec le Christ est donc essentiellement une relation d’amour. Elle consiste à être aimé par le Christ et à aimer le Christ. C’est vrai pour tout le monde, mais cela prend une signification particulière pour les pasteurs de l’Église. On redit souvent (à commencer par saint Augustin lui-même) que le rocher sur lequel Jésus promet de fonder son Église est la foi de Pierre, le fait qu’il l’ait proclamé « Christ et Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Il me semble qu’on oublie ce que Jésus dit au moment de l’attribution de facto de la primauté à Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? […] Sois le pasteur de mes brebis ! » (Jn 21, 15-16) La fonction du pasteur tire sa force secrète de l’amour pour le Christ. L’amour, tout comme la foi, fait qu’on soit uni au rocher qu’est le Christ.


« Qui nous séparera de l’amour du Christ ? »

Je termine, en soulignant la conséquence de tout cela pour notre vie, en ce temps de grande tribulation pour toute l’humanité que nous vivons. Nous nous le faisons expliquer, cette fois encore, par l’apôtre Paul. Dans sa lettre aux Romains, il écrit :

« Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? » (Rm 8, 35)

Il ne s’agit pas d’une énumération abstraite et générale. Les dangers et les tribulations qu’il dénombre sont les choses qu’il a réellement vécues dans sa vie. Il les décrit en détail dans la deuxième lettre aux Corinthiens, où il ajoute aux épreuves énumérées ici celle qui l’a fait le plus souffrir, à savoir l’opposition obstinée d’une partie de la communauté (cf. 2 Co 11, 23s). En d’autres termes, l’Apôtre passe en revue dans sa tête toutes les épreuves qu’il a traversées, il constate qu’aucune d’elles n’est assez forte pour être comparée à la pensée de l’amour du Christ, et en conclut donc triomphalement : « En tout cela, nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés » (Rm 8, 37).

L’Apôtre invite tacitement chacun d’entre nous à faire de même. Il nous propose une méthode de guérison intérieure basée sur l’amour. Il nous invite à faire resurgir les angoisses qui se cachent dans notre cœur, les tristesses, les peurs, les complexes, tel défaut physique ou moral qui fait que nous ne nous acceptons pas sereinement, tel souvenir douloureux et humiliant, le tort subi, la sourde opposition de quelqu’un… À exposer tout cela à la lumière de la pensée que Dieu m’aime, et couper toute pensée négative, en se disant, comme l’Apôtre : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8, 31)

De sa vie personnelle, l’Apôtre lève immédiatement son regard sur le monde qui l’entoure et sur l’existence humaine en général :

« Ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur ». (Rm 8, 38-39)

Il ne s’agit pas non plus ici d’une liste abstraite. Il regarde « son » monde, avec les puissances qui l’ont rendu menaçant, la mort avec son mystère, la vie présente avec son incertitude, les puissances astrales ou celles de l’enfer qui semaient tant la terreur chez l’homme ancien. Nous sommes invités, une fois de plus, à faire de même, à regarder avec les yeux de la foi le monde qui nous entoure et qui nous effraie encore plus maintenant que l’homme a acquis la puissance de le bouleverser avec ses armes et ses manipulations. Ce que Paul appelle les « hauteurs » et les « abîmes » sont pour nous – dans la connaissance accrue des dimensions du cosmos – l’infiniment grand au-dessus de nous et l’infiniment petit en-dessous de nous. En ce moment, cet infiniment petit est le coronavirus qui tient l’humanité entière à genoux depuis un an.

Dans une semaine, ce sera le Vendredi Saint et immédiatement après, le dimanche de la Résurrection. En ressuscitant, Jésus n’est pas revenu à sa vie antérieure comme Lazare, mais à une vie meilleure, libérée de tous les soucis. Espérons qu’il en sera de même pour nous. Espérons que du tombeau dans lequel la pandémie nous enferme depuis un an, le monde – comme le Saint-Père ne cesse de nous le répéter – en sorte meilleur, et non pas comme avant.


Traduit de l’Italien par Cathy Brenti de la Communauté des Béatitudes

NOTES

[1] Tertullien, Adversus Praxean, 27, 11.

[2] Denzinger – Schonmetzer, Enrichidion Symbolorum, n° 301-302.

[3] Saint Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XX, 1.

[4] Saint Irénée, Adversus Haereses, III, 24,1.

[5] The Christian Tradition: A History of the Development of Doctrine, 5 vols. (1973–1990). University of Chicago Press.

[6] Saint Augustin, De Trinitate, V, 5, 6.

[7] F. Hegel, Leçons sur la philosophie de la religion, PUF 2004.

[8] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIª-IIae question 1, art. 2, n° 2 : « Fides non terminatur ad enuntiabile sed ad rem ».

[9] N.D.T. : Ici, c’est la traduction littérale. La « formule » officielle employée en français dit ceci : « Fais-nous voir le visage du Très-Haut, Et révèle-nous celui du Fils ».

[10] Saint Augustin, De Trinitate, VI, 5, 7 ; IX, 22.

[11] H. de Lubac, Histoire et Esprit, Aubier, Paris 1950, ch. 5.

[12] Jean Zizioulas, métropolite de Pergame.

[13] Jean Zizioulas, L’idea di persona umana deriva dalla Trinità: conférence donnée à Milan en 2015.



Source: https://fr.zenit.org/2021/03/26/jesus-de-nazareth-une-personne-par-le-card-cantalamessa-ofmcap-texte-complet/


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Message par Isabelle-Marie Mer 16 Mar 2022 - 13:47

Prédication du cardinal Cantalamessa pour le Carême du 11 mars 2022

Le cardinal Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale, propose les vendredis de Carême une prédication autour du thème « Prenez, mangez : ceci est mon corps » (Mt 26,26). Sa prédication est à suivre depuis la salle Paul VI à Rome les vendredis 11, 18 et 25 mars, et le 1er et 18 avril, à 9h00, en direct sur KTO.

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Message par Isabelle-Marie Ven 22 Déc 2023 - 23:26

Voici la deuxième prédication de l'Avent du cardinal Cantalamessa, retransmise sur KTO :

Pendant l'Avent, le cardinal Raniero Cantalamessa, prédicateur de la maison pontificale, propose deux méditations au Saint-Père et aux membres de la curie romaine pour cheminer vers Noël. Cette année, le thème choisi est : « Préparer les chemins du Seigneur. Vers Noël en compagnie du Précurseur et de la Mère du Christ ».



La première méditation :

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