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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 15:27


LE SERMON SUR LA MONTAGNE

Transposé dans notre langage et pour notre temps



INTRODUCTION

Notre désarroi en présence des paroles de Jésus.


Un des phénomènes caractéristiques de notre temps, c'est la tendance que marquent presque tous les grands mouvements de la pensée à se rattacher en quelque manière au Christ historique. Les esprits les plus hostiles aux diverses interprétations que l'Église a données de la tradition évangélique, et à l'usage qu'en a fait la chrétienté, se voient dans la nécessité de compter avec lui. Même abstraction faite du nouvel essor de la vie dans l'Église, et de la position prédominante que la vie de Jésus a conquise, dans le protestantisme du moins, nous constatons que jamais encore, à aucune époque, il n'a occupé dans la vie et dans la pensée profanes la place qu'il y tient aujourd'hui.

Or le centre de cet intérêt, le foyer où semblent converger actuellement tous les rayons émanant de sa personnalité, c'est le Sermon sur la montagne. Ce discours est envisagé de nos jours comme « l'Évangile de l'Évangile», l'expression condensée de ce que Jésus s'est proposé.

Il n'est guère de chercheur contemporain aux prises avec l'énigme de l'être humain, avec le problème de la véritable culture, avec les grandes questions de l'existence, qui puisse, à la longue, éliminer Jésus. Au contraire, tous se sentent irrésistiblement attirés par lui, tous tiennent à se réclamer de lui et à faire de la tradition évangélique - parfois étrangement défigurée, il est vrai - la pierre angulaire de leur système. Ceux mêmes que le Christ laisse le plus perplexes sont obligés de prendre position à son égard. On ne saurait le passer sous silence et telle est sa puissance d'attraction que ce sont précisément ses adversaires les plus acharnés qui parviennent le moins à l'ignorer. Nietzsche s'est débattu contre lui sa vie durant.

De cet état d'esprit se dégagent une vérité : Jésus est incontestablement le pivot de la destinée humaine, - et une certitude : c'est de lui, avant tout, qu'il convient d'attendre des solutions pour nos détresses, des directions pour notre avenir. Peu importent à cet égard les opinions que nous professons : ni l'athéisme, ni le matérialisme ne sauraient aujourd'hui empêcher personne d'interroger le Christ; car c'est l'effort de la vie qui nous pousse vers lui, ce sont des sources de vie que nous allons chercher auprès de lui.

Mais ces sources ne sont point aisées à découvrir. Nous constatons au contraire - et cette observation paraît au premier abord incompatible avec l'attrait que Jésus exerce sur les hommes de notre temps - qu'ils ne sont pas nombreux, ceux qui parviennent à entrer en contact, d'une manière indépendante et personnelle, avec cette personnalité unique. il ai rencontré, au cours des années, beaucoup de chercheurs sincères en quête d'un guide, auxquels j'ai montré Jésus; je les ai presque tous entendus déclarer que, malgré de sérieux efforts, la tradition évangélique leur reste, en fin de compte, étrangère et inintelligible. 

Si cet état de choses résultait uniquement du fait que l'Évangile a été défloré et affadi par l'enseignement religieux en usage, il serait possible d'y remédier dans une certaine mesure par l'emploi de traductions nouvelles. Mais cela ne suffirait point encore : il faut qu'il soit mis à notre portée.

Pour bien connus que nous paraissent les actes et les paroles de Jésus, en réalité ils restent lettre close, comme cela est d'ailleurs inévitable, étant donnée la différence des temps et des milieux. Le texte des Évangiles rend à nos oreilles un son familier; mais nous ne parvenons pas à mettre leur contenu en relation avec notre vie, simplement et naturellement, et par conséquent, nous ne savons trop qu'en faire.

Cet embarras est évident en face des oeuvre de Jésus. Quant à ses paroles, la plupart des chrétiens se font illusion sur la valeur qu'elles ont pour eux jusqu'au moment où, irrésistiblement poussés par leur angoisse intérieure à chercher auprès de lui un secours personnel, ils s'aperçoivent qu'ils ne sauraient trouver aucun rapport direct entre ses déclarations et leur situation particulière. Pour que les chercheurs d'aujourd'hui entrent réellement en contact avec Jésus, il faut donc tout d'abord qu'il leur soit rendu intelligible.

Il est un fait qui confirme ces observations : les hommes les plus marquants, ceux mêmes qui donnent une voix et fraient un chemin aux aspirations nouvelles, prêtent à Jésus plus qu'ils ne reçoivent de lui. Ils imprègnent ses discours des idées du jour et de leurs propres points de vue: théosophie, pessimisme bouddhique, par exemple. Ils ne nous le présentent pas lui-même sous un costume moderne, mais ils partagent entre eux ses vêtements pour s'en draper. On enlève et on ajoute avec un arbitraire illimité. On écarte sans façon les résultats certains de l'investigation scientifique qui, depuis un siècle, s'efforce avec une ardeur et une minutie incomparables de préciser le sens des paroles de Jésus au moyen de la philologie et de l'histoire. «Ce n'est que de la théologie ! » répète-t-on. Chacun découvre en Jésus ses propres trouvailles et invoque le témoignage du Christ en faveur de sa propre cause. Au lieu de s'approcher de lui pour l'interroger, prêt à l'écouter et à le suivre afin de se laisser instruire par lui, on verse sa propre sagesse dans cette source mystérieuse pour l'en retirer ensuite avec un geste prophétique.

Ces partis pris, ces opinions préconçues n'expliquent cependant pas complètement ce qu'il y a d'arbitraire dans les interprétations modernes. À mon avis, la cause principale en est ailleurs : notre temps n'a pas encore trouvé une méthode d'interprétation satisfaisante.

Serait-ce que les chercheurs contemporains émancipés de l'influence de l'Église ont, de ce fait, perdu la clef de la connaissance? Évidemment non, car dans ce cas l'Église, elle, devrait ouvrir aux siens la porte. Or il n'en est rien. Là comme ailleurs, on ne va pas au-delà d'une conception vieillie et ascétique de l'Évangile. Le contact personnel et vivant avec les paroles de Jésus y fait défaut aussi bien que leur application pratique. Elles ne deviennent que trop rarement un événement qui révolutionne la vie, un principe directeur de la conduite individuelle. La «justice supérieure » est encore un secret. S'il en était autrement, les gens d'Église, par leur seule présence, serviraient de flambeaux et de guides aux chercheurs contemporains. 

Mais ce n'est pas tout. Dans l'Église même, les paroles de Jésus sont loin d'avoir, en général, l'importance capitale que se figurent les gens du dehors. On y attache peu de prix au Sermon sur la Montagne, sous prétexte qu'il ne traite pas de la foi et que la personne de Jésus n'y joue aucun rôle. Ceux qui font de ce discours le fondement de leur vie sont tenus pour suspects; et puis, on ne sait trop que faire de certaines affirmations de Jésus, bon nombre de ses paroles tombent dans l'oubli, on préfère ne pas les entendre. Enfin, tandis qu'en dehors de l'Église se manifeste depuis quelques années, chez les esprits les plus divers, une tendance à revenir aux enseignements du Christ, dans les cercles religieux, au contraire, on s'est demandé quelquefois si ces discours peuvent encore servir de base à la morale moderne, et quelques-uns l'ont nié. Ce fait que dans les milieux ecclésiastiques les déclarations de Jésus sont traitées de haut par les uns, font éprouver à d'autres du malaise, ou bien encore restent impénétrables et stériles prouve, me semble-t-il, que là aussi l'interprétation vivante et la véritable compréhension font défaut.

Une interprétation grossièrement arbitraire de l'Évangile est impossible, sans doute, à ceux qui se sentent liés par la méthode philologique et historique. Toutefois l'investigation scientifique elle-même ne conduit qu'aux confins de la vérité, elle n'y fait point pénétrer. Il en est de même des méditations pieuses dans lesquelles le coeur croyant cherche son édification et qui laissent le champ libre à l'arbitraire plus subtil de la réflexion individuelle. Elles enfouissent les grains de semence, au lieu de les laisser germer et croître. Elles nous parlent de l'Évangile, au lieu de le laisser retentir lui-même en nous. 

Dans ces conditions, une question préliminaire s'impose à ceux qui cherchent à établir un contact intime et réel entre nous et notre temps, d'une part, et le Sermon sur la montagne, de l'autre : quelle est la vole à suivre pour en découvrir la signification certaine et vivante?


Les bases d'une juste interprétation.

La vérité ne saurait se refléter fidèlement que dans un esprit parfaitement limpide, c'est-à-dire exempt de toute idée préconçue. Seule une ingénuité absolue nous permet de discerner exactement ce que nous considérons, car pour que la réalité se révèle à nous, il faut lui prêter une attention respectueuse. C'est donc sans parti pris et en faisant abstraction de nos préjugés, de nos désirs, de notre conception du monde et de la vie, que nous devons aborder les enseignements de Jésus et les laisser agir sur nous. Alors seule. ment nous pourrons espérer voir les voiles du passé se déchirer, et la vérité qu'ils recouvrent nous apparaître, à nous, hommes d'aujourd'hui. Ceux-là donc y parviendront le plus sûrement qui, dans tous les domaines, ne sont encore que des chercheurs et qui, par conséquent, s'approcheront du Christ en interrogateurs, pour trouver, si possible, auprès de lui des solutions et des directions.

Malheureusement, ce ne sont pas seulement les préjugés personnels qui troublent notre entendement à l'égard de Jésus, mais encore les opinions préconçues générales et traditionnelles. À dire vrai, il nous est impossible, dans l'état de choses actuel, de nous approcher d'emblée de Jésus sans parti pris. Tous nous avons à nous libérer d'abord de nos opinions, quelles qu'elles soient. 

Jésus est généralement envisagé comme le fondateur et le centre d'une religion. C'est bien ce qu'on a fait de lui. Reste à savoir s'il l'a été et s'il a voulu l'être. Cette manière de le considérer se justifie peut-être par le rôle que Jésus a joué dans l'histoire des vingt derniers siècles, mais en ce qui concerne sa personnalité historique et concrète et l'oeuvre de sa vie, elle n'est qu'un préjugé qui projette sur toutes choses un jour faux et incomplet. Il s'agit donc de nous en affranchir.

Il est plus facile, c'est vrai, dé le dire que de le faire, et bien des gens n'y réussiront peut-être jamais. Efforçons-nous-y cependant par tous les moyens. Contraignons-nous à considérer Jésus sous un aspect différent. Il n'y a là rien d'impossible. N'a-t-il pas été persécuté et crucifié comme blasphémateur et comme ennemi de la religion? D'ailleurs, le mouvement dont il fut l'initiateur n'a pas été désigné à l'origine sous le nom d'église ou de religion, mais seulement comme «la voie» (Actes des Apôtres, ch. 24, v. 14), et peut-être Jésus a-t-il précisément cherché à affranchir la foi en tant qu'intuition spontanée de Dieu de la religion.

Essayons donc d'envisager le Christ soit comme l'initiateur d'une culture absolument nouvelle, soit comme l'apôtre d'une réforme sociale et d'une transformation radicale de toutes les relations humaines, soit comme le prophète visionnaire de la fin du monde auquel l'histoire a donné le démenti, soit comme celui qui est venu éclairer les profondeurs du problème humain, soit encore comme le révélateur de sources de vie ignorées avant lui, et de puissances de guérison pour l'humanité décrépite. Il se peut que l'un ou l'autre de ces points de vue soit aussi correct, ou aussi faux, que le point de vue religieux habituel. Je ne dis point, du reste, que nous devions nous arrêter à l'un ou à l'autre; ce serait tomber de Charybde en Scylla. Il s'agit simplement de contempler la personne du Christ sous un angle nouveau, de le considérer en dehors de la catégorie des fondateurs de religion et des moralistes à laquelle il appartient à peu près aussi exactement que Goethe à celle des ministres d'État. Pour subir ingénument son influence, prenons en face de son génie propre une attitude toute réceptive, et débarrassons-nous complètement de toute opinion courante à son sujet. Envisageons-le provisoirement comme une personnalité à part, unique en son genre, jusqu'à ce que nous ayons compris ce qu'il a été en réalité. Alors il sera temps de chercher ses pareils, pour le faire rentrer, le cas échéant, dans une catégorie donnée.

Cette libération est nécessaire à l'égard de Jésus d'une manière générale et du Sermon sur la montagne en particulier, car toutes les explications qu'on a données de ce discours sont entachées d'idées préconçues. Les uns y voient le Décalogue de la nouvelle alliance, d'autres les principes fondamentaux de l'éthique de Jésus, d'autres enfin la loi morale absolue dont la pureté et la profondeur ne sauraient être surpassées. Autant de jugements, autant de préjugés.

Le Sermon sur la montagne n'est point une loi morale. Il ne veut ni ne saurait l'être. Il renferme sans doute certains éléments qui justifient cette définition, mais telle n'est pas cependant sa signification première. Une loi morale doit avoir une portée générale et son accomplissement doit être possible, humainement parlant. Le Sermon sur la montagne, au contraire, s'adresse à un groupe strictement délimité d'auditeurs, et ses instructions envisagées comme des préceptes moraux d'une portée générale, émettent des prétentions irréalisables.

Le radicalisme conséquent de ToIstoï a prouvé que les principes du Sermon sur la montagne, effectivement et universellement pratiqués, entraîneraient la dissolution de l'État. C'en serait fait du service militaire comme de l'exercice du droit civil et du droit pénal, de toute concurrence économique aussi bien que de l'application de la loi de réciprocité.

En outre, peut-on réellement imposer à un être de chair et de sang le fardeau moral de cette parole : « Quiconque se met en colère contre son frère est un meurtrier, quiconque regarde une femme avec convoitise commet un adultère»? Peut-on exiger d'un homme qu'il n'oppose aucune résistance au mal, mais accepte et subisse tout? Peut-on commander l'amour des ennemis - alors qu'on ne saurait aimer que lorsqu'on y est irrésistiblement entraîné - et ordonner à la main droite d'ignorer ce que fait la gauche? Évidemment non.

Envisagé comme une loi morale, le Sermon sur la montagne est un instrument de torture au moyen duquel on se martyrise en vain, ou une relique humblement révérée, mais dont on ne saurait faire usage. Le témoignage le plus évident de ce qu'il a d'insoutenable en tant que loi morale universelle, nous est fourni déjà par les plus anciens manuscrits des Évangiles. Nous y trouvons, en effet, des corrections destinées à atténuer ses « exigences insensées » et ses «paradoxes hardis », afin de les rendre acceptables. Ainsi au passage : « Celui qui se met en colère contre son frère », on a ajouté les mots « sans cause », et à la parole qui interdit le divorce, ceux-ci: « sauf pour cause d'adultère ». 

La coutume des églises chrétiennes confirme nos allégations. Dès les temps les plus anciens, en effet, il est tacitement admis que les «exigences outrées » de ce discours n'obligent personne dans la pratique. Nul n'y songe à tout subir sans résistance, à bénir ses persécuteurs, à prendre à l'égard des biens terrestres l'attitude prescrite, ni même à suivre les instructions de Jésus relatives à la prière. On se rend fort bien compte, d'ailleurs, que l'on est en contradiction flagrante avec les paroles du Maître. Remarquez, par exemple, cette locution caractéristique parmi les chrétiens : « Je ne veux pas juger, mais.... » suivie d'un verdict aussi tranchant que le glaive du justicier. 

C'est ainsi que le Sermon sur la montagne, expression sublime d'une vie toute nouvelle, a été abaissé au niveau de la médiocrité générale. Pour pouvoir l'appliquer à tous, il fallait le vulgariser. Au lieu de rompre avec le préjugé qui en faisait une loi morale universelle, on a écarté ou dissimulé les difficultés qu'entraînait: cette interprétation. Et cela, tout en continuant à répéter que Jésus nous a affranchis de la loi! On ne saurait vraiment trouver d'exemple plus criant de la façon dont un préjugé enraciné défie toutes les protestations de la réalité et de la logique, et exerce son action funeste.

L'absence complète de tout parti pris est donc la première condition nécessaire pour arriver à une intelligence certaine des paroles de Jésus, mais l'examen historique et philologique très exact de leur sens original n'est pas moins indispensable. Si donc nous saluons avec joie les travaux des laïques, nombreux à notre époque, qui s'efforcent de scruter le sens véritable du Sermon sur la montagne indépendamment des traditions de l'exégèse ecclésiastique, aussi bien que des préjugés théologiques, leur expérience même nous enseigne que nul ne saurait impunément s'affranchir de la recherche scientifique. Nous ne pouvons faire abstraction des vingt siècles qui nous séparent du moment où Jésus a parlé. Impossible, par conséquent, de déterminer en quelque mesure ce qu'il a voulu dire, sans le secours de l'histoire et de la philologie. Car si nous ne discernons pas même avec certitude ce qu'il a voulu dire alors, comment reconnaîtrons-nous ce que ses paroles signifient aujourd'hui pour nous ?

La critique littéraire et philologique du Nouveau Testament et les études historiques nous sont donc nécessaires en tant que sciences auxiliaires. Ce sont des outils : leur valeur dépend de l'emploi judicieux qu'on en fait. Elles peuvent nous renseigner avec exactitude sur la forme, et en même temps nous induire en erreur quant au fond. C'est le cas, par exemple, lorsqu'elles déterminent le sens des paroles de Jésus au moyen des notions que ses contemporains rattachaient aux expressions dont il s'est servi. C'est enlever à ces paroles, précisément ce qu'elles avaient de neuf et d'original. Jésus s'est servi de locutions courantes, mais il a versé dans ces moules un contenu nouveau qui les a fait voler en éclats, et ses débats avec ses adversaires roulaient précisément sur ce contenu différent renfermé dans des mots identiques. Qui songerait, en effet, à demander à la théologie juive de son temps, ce que Jésus entendait par l'expression de «royaume de Dieu »?

Toutefois, l'investigation scientifique n'est qu'une clef. Reste à ouvrir la porte. L'étude la plus approfondie ne nous procure qu'une connaissance théorique et documentaire. Seule l'identité de la vie établira entre nous et l'Evangile le contact qui nous permettra de le pénétrer d'une manière intuitive et originale.

Les trois transpositions nécessaires.


Quand nous examinons les récits évangéliques sans parti pris et avec la perspicacité d'un coup d'oeil exercé par la méthode scientifique, leur sens véritable ne tarde pas à nous apparaître. Cependant nous ne les saisissons dans toute leur réalité que lorsque notre esprit se les approprie d'une manière vivante et complète, par un acte de volonté. Dès qu'il s'y efforce, nous constatons que cette prise de possession implique trois transpositions préalables.

Il faut d'abord que nous transposions dans notre langage les discours de Jésus, car, issus du sol juif, ils ont été adressés à des Juifs, c'est-à-dire à un peuple appartenant à une race spéciale et ayant son histoire particulière. Nous savons aujourd'hui mieux qu'autrefois que ce qu'il y a de proprement humain chez tous les êtres plonge ses racines dans le caractère national et crée par conséquent dans chaque peuple une sensibilité et des habitudes de pensée différentes. Comparez par exemple la mentalité indo-germanique à la mentalité mongole, la pensée européenne à la pensée indoue. Plus on les étudie, plus les oppositions apparaissent entre elles irréductibles. Si. par contraste, la différence entre notre mentalité et la mentalité israélite nous parait relativement insignifiante, cela tient à ce que, depuis des siècles, la pensée juive nous a été inoculée, à notre insu, par le christianisme. Même lorsque, à maintes reprises, l'esprit germanique a réagi - chez Luther surtout - il l'a fait sans se rendre compte de cette antinomie. Tantôt il s'est révolté contre le christianisme en bloc, incapable qu'il était de distinguer entre ses éléments proprement humains et ses conceptions juives, et surtout de les dissocier; tantôt il a combattu certains points de vue du christianisme dans lesquels se manifeste d'une façon symptomatique la fusion intellectuelle de plusieurs races différentes, - au lieu d'expulser l'apport étranger qui en était cause. Ce n'est que tout récemment que l'attention s'est éveillée sur les caractères spéciaux des diverses nationalités et leur influence sur la vie intérieure des individus, et c'est là ce qui nous incite aujourd'hui à transposer dans notre langage les expressions issues d'une mentalité étrangère, et aussi ce qui nous rend capables de le faire.

En voici un exemple. Pour faire pressentir à ses auditeurs la valeur, la signification d'un certain état inférieur ou l'effet d'une certaine manière d'agir, Jésus leur parle volontiers de la «récompense » qu'ils peuvent en attendre. Toutefois ce n'est là qu'une forme de langage israélite, marquant d'une part un rapport conforme aux lois naturelles de notre existence, d'autre part l'importance des intérêts personnels en jeu. Jésus était loin de considérer les biens du salut comme un salaire que l'on peut mériter. Il s'est élevé positivement contre ce point de vue, par exemple dans la parabole rapportée par Luc, ch. 17, v. 7-10. Mais les juifs employaient couramment ce terme, issu de leur conception de la vie, et qui exprimait à la fois l'idée d'un enchaînement de cause à effet et celle d'un intérêt très pressant. Il suffit en effet de jeter un coup d'œil sur l'Ancien Testament pour constater qu'il nous présente la relation de Dieu avec son peuple comme un perpétuel marché entre l'un et l'autre : c'est par des récompenses que Dieu fait l'éducation d'Israël, par des promesses qu'il le conduit.

Quant à nous, Occidentaux, l'idée d'escompter un bénéfice éventuel, lorsque des intérêts supérieurs sont en jeu, est tout à fait étrangère à notre nature et nous répugne profondément. À nos yeux, tout calcul de ce genre est honteux et vulgaire. Quiconque le nie a le sang vicié par une lymphe étrangère. L'illustre « fidélité germanique» de nos aïeux n'avait point pour fondement de l'or ou des terres, mais un attachement du coeur, et s'ils gardaient jusqu'à la mort la foi jurée, c'était par pure loyauté et parce qu'ils ne pouvaient autrement. Aujourd'hui encore, partout où la foi chrétienne s'insurge contre une piété intéressée et contre une vie ecclésiastique pénétrée de judaïsme, retentit ce cri de l'âme croyante : « je t'aimerai sans récompense, au sein même de la souffrance.»

Mais, diront les esprits soucieux qui n'osent croire ni à la puissance de la vérité, ni à la sincérité humaine, en nous engageant dans une interprétation semblable nous courons le risque de laisser perdre certains éléments essentiels de l'Évangile. Oui, certes, si les éléments juifs de l'Évangile en font partie intégrante. Mais s'ils ne sont que des formes de représentation propres à une race, dans lesquelles s'est traduit d'une façon particulière ce qu'il y a d'universellement humain dans l'Évangile, nous ne nous approprierons réellement la substance de l'Évangile que lorsque nous l'aurons dissociée de cet élément étranger pour nous l'assimiler selon notre génie propre.

Il ne suffit pas, toutefois, de transposer l'Évangile dans notre langage, il faut aussi le transposer dans notre temps, car en l'étudiant, nous rencontrons une difficulté plus grave encore que celle qui résulte de la diversité des races, c'est celle que crée la différence des cultures. Cette seconde transposition n'a jamais été effectuée d'une manière indépendante et originale, et, à mon avis du moins, le christianisme en a constamment souffert. À toutes les époques de son histoire, la tradition a pesé comme un fardeau du passé sur les temps nouveaux. Quoi d'étonnant à ce qu'elle ait entravé le progrès de l'humanité? On en éliminait, il est vrai, tantôt sans mot dire, tantôt après un rude combat intérieur, ce qu'il n'était plus possible d'en conserver. Mais on sacrifiait du même coup certains éléments essentiels du message divin. Ou bien, on laissait simplement les circonstances nouvelles déployer sans contrôle leur action naturelle et le plus souvent obscure, qui faisait dévier ou dépérir tout ce qui lui était contraire dans la tradition évangélique. Mais grâce à cette manière d'agir tout extérieure et impersonnelle, on perdait le contact vivant et fécond avec le sens original de l'Évangile, on n'en cherchait plus l'intelligence à sa source même, mais dans les bas-fonds où il s'ensablait. En sorte que son adaptation au temps présent n'était, à chaque étape nouvelle, qu'un misérable compromis et ne devenait point pour la génération contemporaine un événement vivifiant et créateur.

L'Évangile ne le deviendra que lorsque nous le comprendrons, délibérément et d'un bout à l'autre, dans son sens primitif, en toute liberté et à la lumière du temps présent, lorsqu'il renaîtra, en quelque sorte, du sein de l'époque contemporaine et sera pour notre génération l'objet d'une expérience originale. Il est temps de renoncer à interpréter plus ou moins librement les paroles de Jésus en vue de l'heure actuelle, ou a copier plus ou moins servilement l'exemple qu'elles nous proposent. Il faut enfin que notre conscience intime s'approprie les vérités, les impulsions vitales, les critères, les principes directeurs qu'elles nous apportent, qu'elle laisse ces semences de vie jeter leurs racines dans notre mentalité actuelle, se développer parmi nos conditions présentes, s'épanouir dans nos conceptions modernes et porter spontanément des fruits de notre temps.

Les problèmes et les besoins de l'humanité ont comme elle leur histoire et leur destinée. Ceux du passé disparaissent, d'autres surgissent. Ce qui demeure se transforme en raison des circonstances qui leur imposent un aspect nouveau, et l'expérience que nous en faisons se traduit en une sensibilité et une mentalité différentes. Impossible pour nous de retourner, ni extérieurement, ni intérieurement, au degré de culture du premier siècle. Que nous servirait, du reste, de descendre dans les catacombes des âges révolus? Nous ne trouverons la vie que lorsque Jésus, sortant du tombeau du passé, se dressera devant nous, hommes d'aujourd'hui. Il ne prononcera pour notre temps le mot libérateur que lorsque, introduit dans nos perplexités et nos préoccupations présentes, il s'y manifestera, puissance de vie créatrice.

Toutefois pour entendre retentir sa voix, pour que notre vie en devienne le vivant écho, il faut qu'au lieu de nous arrêter au dehors de son activité, nous entrions en contact direct avec la vie et la pensée qui apparurent en sa personne sous une forme particulière et dans un temps déterminé. Tant que nous ne saisissons que le vêtement qui couvrit autrefois ce qu'il y avait en lui de permanent et d'universel, nous ne nous approprions que les reliques de son existence terrestre, nous ne le saisissons pas lui-même, et nous restons incapables de le considérer sous l'aspect et avec la netteté qui correspondent à notre culture actuelle.

Cette actualisation de l'Évangile n'est point aussi nouvelle qu'elle peut le paraître. L'apôtre Paul l'a déjà pratiquée, aussi l'accuse-t-on parfois inconsidérément de s'être fait le fondateur d'un christianisme nouveau. En réalité, nul n'a compris Jésus aussi bien que lui, nul n'a donné de sa pensée une interprétation aussi juste et aussi pénétrante, jaillissant des profondeurs mêmes du sujet. C'est ainsi que l'Épître aux Galates nous offre le commentaire de Matthieu, ch. 5, v. 17, illuminé par une vivante compréhension de l'enseignement de Jésus, - mais adapté spécialement aux Galates, cela va sans dire.

Enfin l'Évangile ainsi transposé dans notre langage et dans notre temps, doit devenir pour chacun de nous l'objet d'une expérience personnelle portant le caractère de notre individualité. Il faut que chacun de nous perçoive directement ce que Jésus lui dit aujourd'hui, qu'il se rende compte de la signification particulière qu'ont pour lui les paroles adressées en principe à tous, de la façon dont il doit les interpréter à la lumière de ses propres expériences, enfin des conséquences qu'il en doit tirer, étant donnée sa situation intérieure et extérieure. Tout cela, nul ne saurait le lui démontrer. Celui qui ne le découvre pas lui-même n'a pas réellement compris les enseignements de Jésus, mais celui qui les a réellement compris sait ce qu'ils signifient pour lui et ce qu'il lui reste à faire pour rendre hommage à la vérité qui s'est révélée à lui. Je puis donc essayer de transposer dans notre langage et dans notre temps le Sermon sur la montagne, mais c'est à chaque lecteur de se l'approprier en le transposant dans sa vie personnelle. Personne au monde ne peut l'en dispenser.

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LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et... Empty Re: LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et...

Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 15:53


LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps



INTRODUCTION (Suite)
Les conditions de la compréhension.



Cette intelligence véritable de l'Évangile qui implique la transposition du texte dans notre langage, dans notre temps et dans notre vie personnelle, suppose évidemment certaines conditions objectives et subjectives sans lesquelles elle est impossible.
 
Il faut premièrement que les vérités exprimées soient par elles-mêmes des vérités permanentes, indépendantes d'un caractère national ou d'un degré de culture donnés, quelque variables que puissent être d'ailleurs soit les formes qu'elles revêtent, soit leur mise en oeuvre sous des climats divers et à des époques différentes. Or tel est le cas des vérités énoncées par Jésus dans le discours qui va nous occuper. Si je l'affirme, ce n'est point en raison d'une croyance ou d'une idée préconçue, mais en vertu de la logique même. En effet, le Sermon sur la montagne traite indubitablement de faits et de lois naturelles concernant l'être humain, son développement et sa vie, faits et lois qui subsisteront aussi longtemps qu'il existera des hommes.
 
Quiconque ne l'aperçoit pas s'est arrêté à l'aspect sous lequel les lois fondamentales de la nature humaine y sont présentées, conditionnées par le temps et le lieu; il n'en a pas encore pénétré les éléments essentiels, il est resté attaché à des choses accidentelles : formes de pensée, conditions spéciales de vie et de culture.
 
Comme les lois de la vie et du développement de la plante demeurent identiques en tous temps et en tous lieux, mais font apparaître selon les terrains et les climats des formes, des feuilles, des fleurs et des fruits différents qui, au cours des siècles, ont porté le monde végétal à son état actuel de splendeur et de variété, de même les lois de la nature humaine demeurent immuables, mais produisent selon les circonstances des phénomènes et des résultats divers; car la conscience humaine se les approprie différemment, selon le degré de développement spirituel auquel elle est parvenue.
 
C'est pourquoi le Sermon sur la montagne conserve une signification permanente et indépendante de l'attitude adoptée envers Jésus, sa personne et son entreprise. C'est pourquoi aussi. il reste en vigueur, alors même qu'on en méconnaît la valeur et qu'on se soustrait momentanément à l'action de ses lois naturelles; car ceux qui en agissent ainsi méconnaissent du même coup les conditions mêmes de leur vie et ne peuvent manquer d'en souffrir. C'est pourquoi enfin ses principes fondamentaux doivent pouvoir s'adapter à tops les peuples, quels que soient leur caractère national et leur degré de culture; et, à plus forte raison, à toutes les circonstances individuelles. Or cette appropriation est indispensable. Si elle ne s'opère pas, on en reste à ce qui est extérieur et transitoire, c'est-à-dire à l'écorce, et l'on se prive de la substance vivifiante, de la pulpe. C'est cependant ce qui a eu lieu pendant des siècles pour le Sermon sur la montagne, Malgré sa valeur canonique et la vénération religieuse dont il était l'objet; - preuve certaine qu'une seconde condition s'impose pour qu'il soit véritablement compris.
 
Il faut, en effet, qu'une époque soit mûre et préparée à recevoir la vérité qui doit lui être transmise au moyen des trois opérations indiquées plus haut. Sinon, elle reste incapable de dégager des conceptions du passé leurs éléments essentiels et permanents, et de leur donner une empreinte nouvelle adaptée au temps présent. Il faut que les problèmes dont il s'agit soient pour elle des problèmes actuels et qu'elle ressente les perplexités auxquelles ces antiques paroles apportent une possibilité de solution.
 
Notre époque est certainement préparée dans une grande mesure à s'approprier la substance du Sermon sur la montagne. Car s'il est une question brûlante pour les chercheurs contemporains, c'est précisément celle du développement intégral de l'humanité, dont ce discours nous révèle les lois initiales. Tous nous avons le sentiment que nous ne sommes point encore ce que nous devons être, et que tous les progrès de la culture moderne restent sans portée tant que ne se produit pas une évolution créatrice dans le domaine de la vie humaine. Être « hommes » en vérité, telle est l'ambition caractéristique des chercheurs d'aujourd'hui. Mais la route à suivre, tous l'ignorent.
 
Cette détresse où nous laissent nos plus ardentes aspirations a quelque chose de poignant. Les lois et les opérations naturelles qui pourraient nous conduire au but restent un mystère impénétrable pour tous les prophètes de l'avenir, de quelque nom qu'on les nomme. Ils annoncent et prédisent ce qui doit venir, mais aucun n'est capable de nous y acheminer.
 
Le Sermon sur la montagne, au contraire, s'il n'exalte pas en un langage ineffable l'ordre de choses nouveau que l'avenir nous réserve, nous en indique la voie en nous révélant les lois du développement intégral de l'homme. C'est en vain qu'on chercherait, dans le cours de l'histoire de l'esprit humain, une réponse aux questions qui se posent aujourd'hui devant tout être qui réfléchit : Comment devenir véritablement homme? Comment établir parmi les hommes une vie de communion qui porte l'humanité à sa perfection? Comment parvenir à l'ordre de choses nouveau qui satisfera nos aspirations et sera digne de nous? Seul le Sermon sur la montagne nous montre le chemin qui mène à ce but suprême, car seul il nous révèle le secret d'une évolution créatrice de l'être humain, qui manifestera dans tous les domaines son action ordonnatrice et constructive.
 
Telle est la raison cachée de l'attrait qu'il exerce aujourd'hui sur tous les esprits, sans qu'ils s'en rendent compte. L'instinct de la vérité et du salut les entraîne irrésistiblement l'un après l'autre sur cette piste. Bon gré, mal gré, il faut qu'ils la suivent, sous peine de se consumer dans un scepticisme sans issue ou d'errer à l'aventure indéfiniment. Il y a là des rapports obscurs dont l'action s'exerce indépendamment des désirs et des opinions personnelles. Aussi le Sermon sur la montagne est-il plus et mieux qu'un merveilleux document du passé : il est pour l'humanité la boussole de l'avenir, et plus augmentent son inquiétude intérieure et les angoisses de son devenir, plus elle y découvrira la parole libératrice et le mot d'ordre souverain. Et c'est pourquoi aussi notre époque est, mieux que toute autre, propre à le comprendre, à le réaliser et à propager son courant de vie.
 
Mais pour qu'il en soit ainsi, une troisième condition s'impose : il s'agit pour nous, en définitive, d'expérimenter personnellement ce que nous cherchons à, comprendre. Il ne suffit pas que notre esprit perçoive nettement ce que nous ont révélé les documents du passé scrutés d'un regard impartial et perspicace. Nous ne discernerons la vérité profonde dont ils nous ont transmis le témoignage et l'expression que dans la mesure où elle deviendra l'objet de notre expérience intime. Il en est de même de tous les phénomènes de la nature et de la vie : l'expérience seule nous les rend intelligibles. Nous ne saisissons les lois et les relations de l'être humain que dès l'instant où leur action se manifeste en nous. Or, la vie de Jésus nous révèle une qualité d'être et de vie entièrement nouvelle. Comment celui eh qui elle n'a pas commencé à poindre serait-il capable de la concevoir, soit en elle-même, soit au point de vue de ses circonstances particulières? Il faut que nous naissions de nouveau, ne fût-ce que pour voir le royaume de Dieu, le discerner, le concevoir. Dans la mesure où il s'établit en nous, nos yeux s'ouvrent et notre compréhensivité s'accroît.
 
C'est donc une grave erreur de se figurer, comme on le fait volontiers, qu'on peut comprendre Jésus théoriquement et de chercher, au moyen d'une étude attentive, a s'approprier correctement ses vues, pour en donner ensuite aux esprits désireux de le connaître une notion adaptée à notre époque; l'un et l'autre sont également impossibles. Commenter d'une façon théorique la lettre de l'Évangile, comme cela se pratique soit dans le camp des théologiens, soit dans celui des laïques, pour les besoins de l'exégèse ou de l'édification, c'est jongler avec des reliques. On attribue aux paroles de Jésus un sens qui, d'une façon abstraite, semble s'y rattacher, mais on n'en fait point jaillir la flamme de la vie cachée qui seule les éclairerait, parce que cette vie ne se révèle qu'à celui qui la possède.
 
Je n'entends diminuer en rien la valeur de l'étude scientifique, sagace et impartiale du passé, comme condition préalable de la connaissance, en affirmant que ce n'est que dans la mesure où nous cherchons et suivons pratiquement Jésus dans notre propre vie qu'il se découvre à nous et qu'il acquiert pour nous une importance vitale. Il faut s'engager sur le chemin qu'il nous montre pour comprendre ses indications, et marcher dans la direction de sa vie pour s'apercevoir ce qu'elle signifie. Jésus ne peut être compris qu'expérimentalement. Toute autre voie nous égare parmi les interprétations arbitraires et fantaisistes d'une aveugle incompréhension. Précisément parce que la vie qu'il nous apporte est absolument nouvelle, nous n'en pouvons saisir les faits et les lois qu'autant qu'elle germe et s'épanouit en nous.
 
Je parle ici au sens le plus strict : il ne s'agit pas seulement d'une certaine conformité avec Jésus-Christ, d'une adhésion intérieure à ses intentions, mais bien d'une expérience directe et vivante. Un ami m'écrivait un jour que depuis qu'il avait pris le parti de considérer sa fortune comme un bien reçu en dépôt, depuis qu'il s'efforçait de l'administrer selon Dieu, il avait vu s'illuminer d'une clarté merveilleuse bon nombre de paroles de Jésus qui semblaient cependant n'avoir aucun rapport direct avec cette question. C'est ainsi, je le répète, qu'il faut essayer de comprendre Jésus. On n'y parvient que sur la voie de la vie. Quand les vérités qu'il a semées tombent dans des cœurs réceptifs, leur puissance de germination fait éclater l'enveloppe des mots, et elles s'épanouissent en une floraison originale et splendide. Elles deviennent intelligibles dans la mesure où elles sont vécues. Aussi est-il impossible de les expliquer aux autres; nul ne saurait les comprendre avant d'avoir fait l'expérience oui y correspond.
 
C'est pourquoi je ne songe point à expliquer le Sermon sur la montagne, ni à en donner l'intelligence à qui que ce soit; cela est impossible. Je m'attends bien plutôt à ce que plusieurs de ceux qui suivront sans difficulté cet exposé, déclarent en fin de compte ne pas comprendre en quoi le Sermon sur la montagne fraie la voie à la solution du problème humain. Car seuls ceux que travaillent réellement les problèmes de notre temps, ceux qu'une recherche personnelle a préparés à recevoir le message du Christ, y trouveront la parole libératrice. « A celui qui a, il sera donné davantage, et il sera dans l'abondance. » Quant aux autres «Ils ont des yeux pour voir et ne voient point. »
 
Mais, si notre application des paroles de Jésus à notre race et à notre temps n'est pas une interprétation arbitraire et subjective, si dans un élan intérieur semblable au sien, nous en saisissons, selon notre réceptivité actuelle, le contenu essentiel et universel , il ne pourra nous suffire de déterminer quels concepts Jésus rattachait aux termes dont il s'est servi et quels effets pratiques et concrets il avait en vue. Nous devons nous efforcer de découvrir les lois fondamentales de l'évolution humaine qu'il a formulées, les vérités cachées qu'il a pressenties et qu'il voulait mettre en oeuvre, les secrets du devenir qu'il a révélés en frayant des voies nouvelles. Enfin, il nous faudra acquérir une vision personnelle de ces choses, et discerner la forme sous laquelle elles doivent se réaliser parmi nous.
 
Pour apprécier la justesse de notre interprétation, le lecteur averti ne se demandera donc pas si elle est conforme au texte et en découle directement, mais si elle est conforme aux faits auxquels le texte rend témoignage et dont il formule les conséquences pratiques. Car notre but n'est pas, en dernière analyse, de fixer le sens qu'avaient les paroles dé Jésus au moment où il les prononça - ce n'est là qu'un moyen de parvenir à ce but - mais de déterminer le sens et l'application que nous devons leur donner aujourd'hui, si nous les saisissons dans leur réalité vivante et comme nous étant adressées personnellement.
 
Cet effort pour adapter les discours de Jésus à notre génération, n'est cependant et ne sera jamais qu'un pis aller. Toutes les solutions, toutes les profondes vérités humaines énoncées par Jésus, apparaissaient immédiatement sous une forme tangible en sa personne et dans sa conduite. Afin de devenir véritablement, pour tous ceux qui sont aujourd'hui préparés à les recevoir, l'objet d'une expérience originale, il faudrait qu'elles s'incarnent dans les hommes de notre génération. Alors elles seraient directement comprises. Alors des profondeurs de la vie personnelle contemporaine, jaillirait fraîche et spontanée, l'expression simple et immédiate de la vérité, proclamée par des hommes qui en seraient les témoins vivants, conçue dans notre langue, appropriée à nos circonstances et à nos besoins, adaptée à nos facultés réceptives. Alors du contact avec ces paroles de vérité les âmes passeraient sans difficulté au contact avec les paroles de Jésus, car avant même de les lire, elles en auraient constaté la vérité.

La place et la signification du Sermon sur la montagne dans le ministère de Jésus.
Le Sermon sur la montagne, tel que nous le rapporte l'Évangile de Matthieu (chap. 5-7), n'est point sans doute un discours suivi, prononcé par Jésus d'un bout à l'autre dans l'enchaînement indiqué. Il semble plutôt être la combinaison de plusieurs fragments de discours, de paroles diverses réunies par l'évangéliste. À quel point de vue celui-ci s'est-il placé pour les grouper ? La chose est assez indifférente, car elle ne nous renseignerait que sur le sens et l'application qu'il entendait leur donner, et cela n'a pour nous qu'un intérêt archéologique.
 
Ce qui légitime cependant l'étude du Sermon sur la montagne comme tel et dans son enchaînement, c'est une certaine analogie des morceaux qui le composent. Évidemment tous sont issus d'un temps et d'une situation déterminés : ils ont été prononcés au début du ministère de Jésus. Et tous ont entre eux une étroite parenté : ils traitent d'une constitution nouvelle de la personnalité, déployant ses effets dans tous les domaines de la vie, et que Jésus voulait créer chez ceux qui venaient à lui.
 
Or, pour surprendre la nature propre d'un phénomène, il est nécessaire de considérer les circonstances parmi lesquelles il s'est produit. Si donc les enseignements du Sermon sur la montagne datent des premiers temps du ministère de Jésus, nous ne saurions les comprendre réellement qu'en les étudiant dans leur rapport avec cette situation.
 
Au moment où Jésus fut baptisé par Jean, il se fit en lui une sorte d'illumination : il prit conscience de sa position exceptionnelle au sein de l'humanité et de la mission qui lui incombait d'édifier le royaume de Dieu. Cette conviction l'envahit tout entier. En lui et par lui les promesses des prophètes et les aspirations de la foi israélite devaient devenir réalité. Le monde ancien touchait à son terme; un jour divin allait paraître, apportant la délivrance et l'accomplissement, une nouvelle alliance des cœurs avec le Très-Haut, une révélation de Dieu parmi son peuple, en sorte que «la terre fût remplie de sa connaissance, comme le fond de la mer des eaux qui le couvrent ».
 
De quelle manière, sous quelle forme, ces choses devaient-elles se réaliser, selon la pensée de Jésus? C'est une question que les théologiens débattent encore. Pour ma part, je ne puis croire qu'il se fit du royaume de Dieu et de sa venue, la représentation précise que les théologiens estiment pouvoir déduire de ses paroles et des idées religieuses de son temps. Tous ses concepts découlaient trop directement d'une expérience originale et d'une perception immédiate, pour qu'il en fût ainsi. Ils se maintenaient incessamment, de ce fait, dans le courant de la vie, du mouvement, du devenir; car c'est là le résultat certain du développement de la personnalité et de l'abondance de ses expériences quotidiennes, chez ceux du moins dont la vie jaillit directement d'une intuition spontanée. Preuve en sont, dans l'Évangile, les divergences et les contradictions nombreuses que les théoriciens les plus exercés ne réussissent point à concilier, en sorte qu'ils se voient obligés d'éluder ou de taxer d'interpolation tout ce qui ne cadre pas avec leur système. Ils semblent ignorer à quel point ces conflits de la conscience intime sont indispensables au développement spirituel.
 
À mon avis, de nombreux indices nous autorisent à conclure que tant que rien ne fit prévoir la catastrophe finale, Jésus se représenta l'avenir sous l'aspect que lui avait prêté le Second Esaïe. Mais l'histoire de la tentation me paraît indiquer que, dès l'abord aussi, il entrevit d'autres perspectives et d'autres issues. Ce qui est le plus probable, c'est que sa pensée qui eut pour point de départ la prédication de Jean et sa conception du royaume de Dieu, ne tarda pas à se frayer sa propre voie. Fléchissant sous le poids de ses expériences intimes, il se sentit poussé dans la solitude du désert. Il avait besoin de se trouver en face de lui-même, et de se rendre compte de ce qui se passait en lui. Le récit des trois tentations qui l'assiégèrent alors, nous laisse entrevoir les alternatives qui s'offrirent à son esprit en vue de la réalisation de son dessein, et discerner la voie dans laquelle il s'engagea avec une certitude intérieure absolue. Telle est la situation qu'il ne faut point perdre de vue en étudiant le Sermon sur la montagne, car ce discours nous permet de le suivre pas à pas sur ce chemin nouveau.
 
«Le tentateur vint à lui et lui dit : Si tu es le Fils de Dieu, commande que ces pierres deviennent des pains. Mais Jésus répondit : Il est écrit : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
 
Cette réponse affirme certainement l'une des lois fondamentales de l'organisation nouvelle de la vie, loi que Jésus proclamera sans cesse dans ses discours et que son attitude personnelle mettra constamment en lumière: l'homme n'est pas exclusivement le produit des conditions matérielles, du milieu, des événements; il est une création de Dieu. C'est pourquoi il ne dépend pas uniquement du pain quotidien autour duquel se livre la lutte pour l'existence, mais, par l'essence de son être et dans les profondeurs de sa véritable vie, il appartient à un ordre supérieur. Quelque chose palpite en nous qui n'a pas besoin, pour prospérer et réaliser sa destinée, de tels ou tels biens temporels ou de circonstances déterminées; et notre vie personnelle ne commence qu'à l'heure où nous secouons leur tyrannie pour exercer notre suprématie native.
 
Nous participons en quelque mesure à la souveraineté du Créateur sur les choses créées, c'est de notre relation avec lui qu'elle procède, c'est à son contact qu'elle grandit. Celui donc qui veut véritablement vivre doit tirer son énergie vitale de la vie divine qui se manifeste en tout et partout. L'homme ne vit pas des circonstances et des événements, mais de ce qui se cache derrière les circonstances et les événements, de ce qui s'exprime par eux. Car Dieu parle par toutes ces choses. Comprendre son langage, en vivre, c'est vivre au sens réel du mot.
 
Cette vérité qu'il appartient à l'avenir de proclamer, nous permet d'entrevoir dès maintenant le caractère et le mode de développement de l'ordre de choses nouveau que Jésus a inauguré. La vie humaine tout entière devra se fonder et s'édifier sur sa véritable base, et c'est dans la vie personnelle que cette révolution s'opérera, pour rayonner ensuite du dedans au dehors. «La semence, c'est la parole de Dieu. » Quand elle lèvera, elle transformera toutes choses.
 
Adopter ce principe, c'était repousser d'emblée une foule de procédés et de moyens qui s'offrent à quiconque se propose un but arrêté. Jésus voyait, sans aucun doute, dans la révolution qui devait se produire, non seulement un revirement opéré dans les cœurs par la réconciliation avec Dieu, mais une organisation nouvelle de la vie qui transformerait tout ce qui est humain, dans tous les domaines. Toutefois il acquit la conviction que sa tâche ne consistait pas à supprimer le malheur et la misère par des réformes ou par des miracles, mais que seules la constitution et l'action de la vie personnelle triompheraient des maux et des désordres extérieurs. Les circonstances ne font pas l'homme, mais l'homme les circonstances. Quelle que soit l'influence immense que l'établissement du royaume de Dieu doive exercer sur l'ensemble des conditions humaines, il n'est cependant pas une question de pain, mais une question de vie. La rénovation du monde, qu'il opérera, sera l'épanouissement fécond, le déploiement intégral de la vie personnelle, qui plonge ses racines dans le divin et qui en tire l'énergie, aussi bien que les lois, de sa croissance et de son activité.
 
«Le diable emmena ensuite Jésus dans la ville sainte et l'ayant placé sur le faite du temple, il lui dit Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit Il a donné pour toi des ordres à ses anges, et ils te porteront dans leurs mains, de peur que ton pied ne heurte contre la pierre. Alors Jésus lui répondit : Il est aussi écrit : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu.»
 
Jésus avait pris conscience de sa mission : établir la souveraineté divine au sein de l'humanité. Comment la pensée ne lui serait-elle pas venue de conquérir d'un seul coup l'attention générale et l'adhésion à son entreprise par une démonstration magique de puissance surnaturelle? Toutefois il repousse cette tentation. Les coups de théâtre sensationnels, les manifestations grandioses, l'effet produit sur les masses, ne conduisent pas à son but. Le royaume de Dieu commence dans le secret, l'inapparent, le fragmentaire. jeter la semence nouvelle au plus profond des âmes préparées à la recevoir, telle sera désormais sa méthode d'action. Car il sait qu'« il n'y a rien de caché qui ne doive être révélé ».
 
Le refus qu'il oppose à la suggestion du tentateur suffirait à nous éclairer sur ce point. Mais la teneur de sa réponse nous dévoile en outre la cause profonde de ce refus : «Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu », dit-il. Il eût tenté Dieu s'il se fût jeté du haut du temple, confiant dans la toute-puissance du Seigneur, s'il eût recouru à des tours de thaumaturge et cherché à établir de vive force l'ordre nouveau, par l'exploitation magique du pouvoir divin. Tenter Dieu, c'est se lancer arbitrairement dans une entreprise et exiger ensuite que Dieu la légitime par les faits, réclamer des démonstrations extraordinaires de sa puissance, compter sur des signes, des miracles et des «exaucements» au lieu de laisser son action s'exercer dans notre vie et d'attendre qu'il se révèle à nous.
 
Jésus rejette donc tous les procédés qui exigent une intervention directe de Dieu et une rupture des lois de la nature, qui changent la foi en superstition et la vertu de la vie nouvelle en sorcellerie, et qui rabaissent le Dieu vivant au rang de deus ex machina. Il acquiesce à la loi fondamentale de la venue du royaume de Dieu, qui est de laisser la mystérieuse puissance de vie qui anime tout l'univers éclater dans l'homme et s'y épanouir en une création nouvelle. Il reconnaît le principe d'une manifestation et d'une action naturelles, organiques, intérieures, de Dieu dans l'humanité.
 
Cette manifestation et cette action, il ne les mesurait pas, il est vrai, à notre connaissance incomplète des possibilités et des contingences humaines, mais à leur réalité objective qui nous est encore partiellement voilée. Il resta donc aussi fidèle à son attitude première en guérissant des malades qu'en renonçant à faire appel à la toute-puissance de Dieu pour le délivrer de la croix. Car ses œuvres de guérison n'étaient que l'exercice naturel de sa puissance de fils de l'homme, l'épanouissement de sa personnalité exceptionnelle.
 
«Le diable l'emmena enfin sur une très haute montagne. Il lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire et lui dit : Je te donnerai toutes ces choses, si, tombant à mes pieds, tu m'adores. Jésus lui répondit : Retire-toi, Satan, car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul. »
 
Jésus est ici tenté de recourir pour atteindre son but, - la souveraineté universelle de Dieu et sa gloire, - aux éléments mondains sur lesquels s'étaient fondés jusqu'alors le développement et la culture de l'humanité, aux influences et aux moyens d'action dont le passé avait démontré l'efficacité. C'est l'exaltation de l'enthousiasme pour une grande idée; c'est le recrutement de sectateurs dont la foule grandissante étouffe toutes les oppositions; c'est l'exploitation de tous les instincts dépravés, tels que l'ambition et la cupidité, la crainte du châtiment et la soif de récompense, la superstition et la sensualité; c'est la mainmise sur l'individu par le moyen de dogmes et de lois, de la puissance politique ou des institutions sociales, d'une éducation uniforme de la vie intérieure et d'une organisation systématique de la vie collective; bref, c'est l'asservissement de l'homme et la réorganisation tout extérieure de ses conditions d'existence. Au lieu de la souveraineté divine, c'est le règne d'une idée, d'une religion, d'un pouvoir politique, d'un principe social, d'une culture intellectuelle supérieure, qu'il eût ainsi établi et qui eût été proclamé règne de Dieu. Il ne faut point un grand effort d'imagination pour nous le représenter, car la chrétienté n'a pas tardé à succomber à cette tentation et toute l'histoire du catholicisme nous la montre avançant dans cette voie avec une logique effrayante.
 
Jésus, lui, l'a repoussée tout aussi catégoriquement. Servir Dieu seul, tel fut son mot d'ordre. C'est de l'esprit et de la puissance de Dieu, de son action et de son intervention seules qu'il attendait la venue de son règne. Il opposait ainsi une résistance absolue et systématique à toute mondanisation grossière ou subtile de son but et de ses procédés, aussi bien qu'aux demi-mesures, aux compromis et aux contrefaçons possibles.
 
On voit quelle fut la portée de ces trois tentations pour l'accomplissement du dessein de Jésus. Or, le Sermon sur la montagne en est la contrepartie : aux voies trompeuses que Jésus discerna et désavoua dans le désert, il oppose le seul chemin qui conduise au but. La position que Jésus prît alors à l'égard des séductions du tentateur, est en principe à la base de toutes les instructions contenues dans ce discours.
 
Mais on peut préciser davantage encore la place qu'occupe dans l'activité de Jésus le Sermon sur la montagne. Peu après son séjour dans le désert, lorsque Jean fut mis en prison, Jésus se rendit en Galilée et y proclama l'Évangile du royaume de Dieu, disant : «Les temps sont accomplis et le règne de Dieu est proche. Convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle. »
 
C'est presque dans les mêmes termes, la proclamation de Jean-Baptiste, mais elle est empreinte d'un sens tout nouveau, car à l'ardeur orageuse et menaçante du jugement succède l'éclat rayonnant d'une délivrance prochaine. En effet, dans l'intervalle Jésus a traversé la crise intérieure du désert. Si les victoires et les clartés qu'il y conquit ne sont point restées stériles, sa parole doit en être toute pénétrée.
 
Il a compris la venue du règne de Dieu, il en a reconnu le caractère plus distinctement que jean qui était encore imprégné de l'Ancien Testament. Preuve en est son attitude, si différente de celle de son précurseur. Jésus ne s'est point présenté comme le prédicateur ascétique de la repentance, exigeant de ses auditeurs la confession de leurs péchés et les en purifiant symboliquement par le baptême, mais comme « la consolation d'Israël ». Jean publiait un jeûne solennel, dans l'attente du jour divin. Il était le héraut qui préparait le chemin en frappant les cœurs d'une frayeur salutaire. Jésus proclamait le jour du salut : il mondait les hommes de sa lumière et les introduisait dans la terre nouvelle, la terre de Dieu.
 
La conversion à laquelle il les appelait dans les mêmes termes que Jean devait donc être quelque chose de tout différent. L'appel de Jean signifiait sans doute à peu près : faites pénitence. Il s'agissait pour ses auditeurs de reconnaître leur corruption, de se tourner résolument vers le grand événement qui approchait et d'amender leur vie en vue de cet avenir. Ce n'était là qu'une attitude provisoire, en attendant le moment où «celui qui devait venir » leur apporterait l'enseignement définitif et l'accomplissement.
 
Mais alors quel pouvait être le sens de ces paroles dans la bouche de Jésus?
 
Nous ne trouvons nulle part d'éclaircissement à ce sujet. Toutes les explications proposées ne sont que des hypothèses qui n'éclairent point le fond même de la question. La traduction : repentez-vous, est depuis longtemps considérée comme insuffisante. Mais les expressions par lesquelles on la remplace : changez de disposition, réformez vos pensées, convertissez-vous, amendez-vous, ne dépassent point une notion toute formelle, celle d'un revirement complet; elles nous laissent dans l'obscurité quant à sa nature même. Admettons cependant que ces paroles se rapportent à une transformation intérieure et rapprochons-les de l'expression de «nouvelle naissance » qui a certainement un sens analogue; nous n'en serons pas plus avancés pour cela. Au contraire nous n'en constaterons que mieux notre ignorance à l'égard de cette entrée dans la vie nouvelle à laquelle Jésus nous appelle, et nous devrons reconnaître que c'est précisément cette incompréhension qui nous incite à la qualifier de « mystère adorable ».
 
Qu'est-ce que ce changement qui doit se produire en nous? - les termes d'enfant de Dieu, d'homme nouveau, etc., ne sont que des mots qui ne nous en donnent aucune notion concrète - et, comment y parviendrons-nous? L'appel qui nous est adressé reste vain tant qu'on ne nous dit pas ce qui doit se passer et comment cela peut se produire. Impossible d'imaginer cette transformation sans en avoir été témoin, ni de la connaître avant de la posséder. Nous pouvons, il est vrai, nous proposer en échange un idéal moral quelconque et entreprendre un sérieux travail sur nous-mêmes; mais ces efforts nous laisseront dans l'ordre ancien, ils ne nous introduiront jamais dans l'ordre nouveau. Or l'histoire de la tentation nous révèle les principes et les conditions d'un devenir entièrement nouveau. Comment en découvrir l'accès?
 
J'invoque ici le témoignage de tous ceux qui se sont efforcés, à l'instar de Jésus, de devenir des hommes nouveaux, qui ont cru, prié, lutté, espéré et attendu, incapables qu'ils étaient de se payer d'illusions ni de se contenter d'une édition revue et corrigée de leur personne. Tous ne se sont-ils pas retrouvés, en fin de compte, en face de cet appel mystérieux comme devant une porte fermée? Cette transformation de l'être est le pivot du nouveau devenir. Mais en quoi consiste-t-elle, comment se produira-t-elle?
 
Notre situation serait sans issue, si nous ne possédions une explication de Jésus lui-même à ce sujet. Il nous l'a donnée avec toute la précision désirable. Mais on en a méconnu le caractère et fait un usage faux et abusif. C'est le Sermon sur la montagne. Il nous révèle le secret de la conversion, en quoi elle consiste et comment nous y pouvons parvenir. il nous dirige vers le pays inconnu que Dieu nous ouvre, et nous en indique l'entrée.
 
Cette conception du Sermon sur la montagne est justifiée par les faits : seule elle nous permet de comprendre ce discours, de lui attribuer son véritable sens et d'en mesurer la portée prodigieuse. Jésus a donné, au début de son ministère, les instructions les plus circonstanciées et les plus concrètes sur le changement qu'il réclame. Ce sont ces instructions - pour autant que les avait conservées la tradition apostolique - qui ont été réunies par Matthieu dans le Sermon sur la montagne.

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LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et... Empty Re: LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et...

Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 16:14

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps


CHAPITRE PREMIER
LE POINT DE DÉPART
1. Ceux qui cherchent.


Jean se tenait au seuil du pays, sur les rives solitaires du Jourdain. Il frappait à la porte et proclamait son message : « Voici venir le jour de Dieu. » À ce cri, le peuple tout entier s'émeut. Saisies d'une intense émotion, les foules accourent de toutes parts. Il s'agit de se préparer à cet événement inouï et de s'assurer le salut. jean baptise et instruit, mais son action n'est que provisoire; il dirige tous les regards vers celui qui doit venir et qui reste encore ignoré.

Cependant les pouvoirs publics interviennent, et réduisent au silence l'importun Baptiste. C'est alors que Jésus paraît. Il se met à parcourir les villes et les villages en y faisant retentir la même proclamation : «Le royaume de Dieu est proche, convertissez-vous. » À l'ouïe de ces paroles, tous comprennent que les temps sont venus, car ce qu'ils attendaient, ils le voient apparaître en sa personne. De lui émanent les vertus bienfaisantes et libératrices d'une vie nouvelle, inconnue jusqu'alors. Ils accourent, ils se pressent autour de lui, une même question dans le coeur et sur les lèvres : Que devons-nous faire?

C'est dans ces circonstances que Jésus, s'adressant à la foule, s'écrie : « Heureux les pauvres en esprit!» Comme le soleil perçant les nuages, cette parole dut illuminer les coeurs profondément troublés qui attendaient de lui le mot de leur destinée. Jésus ne leur prescrit aucune tâche, il les déclare heureux. L'impérieux : «tu dois » fait place à une assurance riche de promesses qui les investit du plus grand de tous les biens. Ils se tenaient aux pieds de Jésus, accablés déjà sous une infinité de devoirs, mais prêts à se charger encore jusqu'aux extrêmes limites de leurs forces; il les élève sans autre dans la sphère de la vie divine.

Quand nous ignorerions tout de Jésus, cette seule parole suffirait à lui donner la prééminence sur tous les prophètes de la terre. En effet tous ont imposé aux hommes des obligations; lui seul a libéré ceux qui venaient à lui du poids du passé et de l'accablement de l'avenir en les plaçant au centre même du salut espéré.

Il en va de même, aujourd'hui encore, pour ceux qu'oppressent tant de fardeaux religieux et philosophiques, quand se déchire le brouillard des préjugés confessionnels ou matérialistes, et quand le Fils de l'homme leur apparaissant dans sa réalité, leur jette son appel à la vie en leur montrant le but de l'humanité. C'est un merveilleux affranchissement de tout lien et de tout fardeau. On se sent plongé dans les flots vivifiants d'un salut merveilleux duquel découle une vie nouvelle. C'est là ce que la Bible appelle la grâce, elle entend par là ce puissant courant de vie qui jaillit de la source originelle et créatrice.

Le Sermon sur la montagne est une bonne nouvelle, et non pas une seconde loi. Les béatitudes ne sont pas de fallacieuses promesses, suivies d'exigences rigoureuses. Leur cri de bonheur huit fois répété vibre au travers de toutes les instructions consécutives. Consolation, encouragement, révélation bienheureuse, le Sermon sur la montagne est l'Évangile même. Voilà la note toute nouvelle qu'il faut y percevoir d'un bout à l'autre pour le bien comprendre.

Alors même que les mots disent : « tu dois », leur sens profond et l'esprit qui les anime répètent ; « heureux êtes-vous », car vous pouvez accomplir ces choses, vous les accomplirez nécessairement, elles seront la manifestation naturelle du royaume des cieux en vous.

« Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. »

Jésus déclare heureux les. pauvres, ceux qui sont dans le dénûment. Le mot de «pauvres » est pris ici dans son sens le plus étendu, mais Jésus lui donne une acception subjective : « en esprit », ajoute-t-il. Il désigne donc ceux qui, conscients de leur pauvreté intérieure, pénétrés du sentiment de leur indigence, en éprouvent du malaise et un intense mécontentement.

Il est possible que Jésus ait dit simplement, comme le rapporte Luc (chap. 6, v. 20) : « Heureux les pauvres, malheur à vous, riches. » Car on constatait sans doute alors comme aujourd'hui, combien il est rare que les riches éprouvent spontanément soit la sensation de leur indigence, soit un intérêt profond pour un nouvel ordre de choses. S'ils participent, il est vrai, aux maux inhérents à la nature et à la vie humaines, ils sont cependant satisfaits des conditions d'existence qui leur garantissent le bien-être matériel. 

La version de Luc est donc peut-être la forme originale des paroles de Jésus, mais elle n'en donne pas le sens réel. Car pour Jésus, l'essentiel fut toujours l'état intérieur des hommes et non leurs circonstances extérieures.

À qui s'adressent aujourd'hui ces paroles? Évidemment à ceux qu'animent des dispositions analogues. Les pauvres dont il s'agit ici, sont ceux qui ont le vif sentiment de leur superficialité, de leur médiocrité, de la vanité et du vide de leur vie; ceux qui, parmi tous les intérêts, tous les idéals qui embellissent leur existence, ne peuvent se défendre d'un profond besoin d'autre chose et ressentent douloureusement la distance à laquelle ils sont encore de leur véritable destination; tous ceux enfin chez lesquels se manifeste d'une manière quelconque l'élan intérieur vers le but suprême de l'humanité. Ce sont les chercheurs auxquels leur soif de vérité, de justice et de liberté, leur aspiration à une existence vraiment humaine et digne de ce nom, ne laissent pas de repos; chez lesquels l'inquiétude et l'effort de l'humanité en travail se font jour d'une façon personnelle et deviennent les forces motrices de la vie.

Peu importe, pour l'instant, de quelle manière leur inquiétude leur devient consciente et se manifeste, quels mouvements elle actionne, quelles vagues elle roule. Qu'ils aspirent à la rédemption, à la vie du surhomme, à une culture effective et authentique, à la création d'un état futur assurant à l'homme des conditions d'existence dignes de lui, - pourvu que ces aspirations soient réellement l'effet d'un profond mécontentement d'eux-mêmes, ils connaissent la pauvreté d'esprit que Jésus réclame.

Ils existent aujourd'hui par milliers ces êtres qui aspirent et qui cherchent, ne se distinguant en rien extérieurement, et cependant partout répandus. Aucun mouvement, aucune tendance, aucune confession, aucun parti, aucune classe de la société, ne les englobe ni ne les exclut; au contraire ils se rencontrent dans tous les milieux et ne se reconnaissent qu'à la passion pour la vie véritable dont ils sont consciemment ou inconsciemment enflammés.

Au pôle opposé sont les âmes rassasiées, les êtres pleins d'eux-mêmes, gonflés d'admiration pour les progrès accomplis par notre génération, et qui trouvent tranquillité et satisfaction dans la possession d'un bien quelconque, ne fût-ce que la mince considération dont ils jouissent, un point de vue douteux dans lequel ils s'encroûtent, un programme dont ils se glorifient, une foi qu'ils gardent comme un trésor inestimable, le bien-être mesquin d'un bonheur familial superficiel, la richesse, la puissance ou les plaisirs. Ce sont les philistins de la culture, de l'Église ou de la libre pensée, de la science ou de l'esthétique, adorateurs de la formule et de la phrase, de la surface correcte et des situations bien assises hors desquelles il n'y a pas de salut.

Or Jésus n'a pas dit : Heureux les orthodoxes, heureux ceux qui font le sacrifice de leur raison, heureux ceux qui m'appellent Seigneur ! mais : «Heureux les pauvres en esprit », sans condition ni restriction. Chrétiens ou juifs, athées, matérialistes, spirites, quoi que vous puissiez être par ailleurs, peu importe, le royaume des cieux est à vous.

Que n'existe-t-il une expression qui, triomphant des malentendus et des apparences, orienterait aujourd'hui tous les chercheurs vers le but unique auquel tendent tous ceux qui tâtonnent et qui luttent, - comme le faisait alors le terme de «royaume des cieux», ou «royaume de Dieu». Cette expression nous manque. Nous ne pouvons qu'essayer d'en formuler le sens en termes variés : règne de notre nature divine, ou, ce qui revient au même, réalisation de notre vocation originelle et de la véritable rédemption; reconstitution libératrice et vivifiante de l'humanité - de chacun de ses membres comme de 'Son ensemble - en un organisme composé de personnalités vivantes; organisation nouvelle de la vie; culture intégrale et réelle de l'être humain; en un mot, fin suprême de l'humanité. Sous quelque aspect que vous conceviez ce règne, ô chercheurs, il n'est pas seulement une espérance : vous le posséderez, car c'est en vous-mêmes qu'il se réalisera.

Jésus dit expressément aux pauvres en esprit: «Le royaume des cieux est à vous.» Il ne les assure point qu'ils y entreront un 'jour, après être morts saintement; car le règne de Dieu vient sur la terre, il appartient à ceux qui cherchent et il s'établit en eux. Il commence à poindre dans leur âme dès l'instant où y retentit l'appel à la vie. Ce n'est point une promesse, mais un fait, aussi réel pour les chercheurs d'aujourd'hui que pour ceux d'autrefois, car il se produit avec la nécessité d'un phénomène naturel, moyennant certaines conditions déterminées.

Lorsque cet appel nous atteint au coeur, la sourde inquiétude qui couvait au fond de nous-mêmes et qui cherchait en vain l'apaisement dans les spéculations abstraites, la piété, les jouissances intellectuelles ou une activité quelconque, jaillit soudain comme une flamme consumant tout ce qui n'a pas de valeur vitale. Quiconque traverse cette fournaise et voit s'y effondrer tout ce qui constituait la richesse et le repos de sa vie, se sent alors plus pauvre que le dernier des mendiants, et de son coeur s'élève une ardente aspiration aux choses nouvelles qui sont en marche. 

C'est la révolution intérieure qui commence. il ne s'agit, en effet, de rien moins que de l'être originel qui veut naître et s'épanouir en nous (1). Quiconque trouve son contentement dans ce qu'il est ou dans ce qu'il possède, est impropre à le concevoir, car le règne de Dieu consiste en vie véritable, en biens, permanents, en forces effectives, au prix: desquels tout ce que nous croyons avoir, être et pouvoir n'est que trompeuse apparence. Seul celui qui ressent profondément la vanité de toutes choses s'ouvre à cette réalité vivante et, à mesure qu'il la poursuit, devient capable de la saisir. Au sein de ses aspirations inquiètes tressaille et s'éveille son être originel. Son véritable moi commence à germer en lui.

Dans les béatitudes suivantes, ceux que Jésus proclame heureux ne sont pas des hommes d'autre sorte auxquels il adresserait des promesses différentes, il ne fait qu'y décrire sous leurs divers aspects les chercheurs et le lot qui leur est assuré, afin de nous en donner ainsi une idée toujours plus nette. Les traits qu'il relève et salue en eux sont des manifestations caractéristiques de la pauvreté d'esprit, qui nous en révèlent la vraie nature. Dans les âmes chez lesquelles le sentiment de la pauvreté est spontané, ces traits caractéristiques apparaîtront tout naturellement, mais là où il n'est qu'un sentiment d'emprunt, ils feront défaut. 

L'étude des béatitudes suivantes nous permettra donc de mesurer la force, la profondeur, l'authenticité et la pureté de nos aspirations et de notre inquiétude.

« Heureux ceux qui mènent deuil, car ils seront consolés. »

L'expression de « consolation d'Israël» était fréquemment employée pour désigner le salut messianique. Si Jésus en use ici, il est évident qu'il fait allusion à une souffrance Plus profonde et Plus large que celle que nous apportent les contrariétés passagères de chaque jour et nos infortunes personnelles. Ses paroles évoquent bien plutôt le souvenir du serviteur de l'Éternel, de l'homme de douleur, qui incarnait aux yeux des prophètes le peuple croyant et fidèle accablé sous le poids des misères présentes, mais attendant le salut à venir, - le souvenir aussi du deuil des enfants d'Israël assis pleurant au bord des fleuves de Babylone.

La souffrance dont il s'agit ici est donc l'universelle souffrance humaine et la consolation promise ne consiste point seulement en un secours religieux, mais en une aide effective et libératrice.

Cette parole de Jésus éclaire d'une lumière nouvelle la détresse intérieure des chercheurs et la portée de la vie originelle qui germe en eux : à la conscience de leur misère s'ajoute la torture que leur fait éprouver le sort cruel de l'humanité, si infiniment divers et toujours d'une si poignante gravité. Ce n'est qu'aux âmes tourmentées chez lesquelles se confondent ces deux courants d'inquiétude que Jésus s'adresse ici.

L'humanité accablée de maux appelle à grands cris la délivrance. Son infortune éveille une douleur poignante dans les coeurs qui aspirent et qui cherchent, mais ils n'essaient point d'endormir leur mal. Au contraire, prenant résolument sur eux le fardeau de la destinée humaine, ils consentent à souffrir, aux prises avec ce problème tragique. À ces âmes chargées, Jésus ouvre de merveilleuses perspectives : heureux ceux qui ressentent personnellement la souffrance humaine et qui s'en chargent intérieurement : la rédemption sera leur partage. La rénovation de l'humanité vers laquelle nous marchons l'affranchira des maux dont elle souffre; ils en feront l'expérience. Car la manifestation de notre nature originelle et cet affranchissement effectif sont, dans la grande évolution qui commence, aussi intimement liés et aussi dépendants l'un de l'autre que le sont, dans l'âme inquiète des chercheurs, la pauvreté d'esprit et le deuil causé par l'universelle souffrance.

Cette douleur intime revêt naturellement des formes et des nuances diverses selon les temps et les moments. Les disciples de Bouddha ne l'ont pas ressentie de la même façon que ceux du Christ et chez nous, chercheurs d'aujourd'hui, elle se manifeste autrement que chez ceux qui attendaient alors le royaume de Dieu. Ceux d'entre nous qui ne sauraient s'accommoder des conditions humaines actuelles, ni tolérer le désaccord intérieur, la faiblesse de volonté, la mentalité compliquée, raisonneuse et vieillote de la génération présente, non plus que la stérilité de notre vie collective, ceux qu'épouvantent la vulgarité, la méchanceté, les passions qui ravagent les âmes et l'existence anormale qui les déforme, - ceux-là ressentent la souffrance dont parle Jésus d'une manière conforme à notre siècle. Or Jésus leur garantit expressément la rédemption et il leur donne ainsi la joyeuse assurance de voir un jour la vie humaine se dégager de l'état d'infériorité où elle végète actuellement. Telle est la perspective bienheureuse que nous ouvre la seconde béatitude. Ce n'est point par hasard que Jésus promet la rédemption précisément à ceux qui mènent deuil. Cette déclaration repose sur une loi naturelle fondamentale, celle de la relation intime existant entre la souffrance volontairement assumée et la. puissance libératrice, loi confirmée par l'expérience de tous ceux qui se chargent intérieurement des douleurs humaines et qui les portent avec persévérance.

«Heureux les endurants, car ils hériteront de la terre.

Hériter de la terre, de la terre promise, CI était en Israël une expression courante pour désigner l'abondance des bénédictions divines et du bonheur messianique. C'est là ce que Jésus promet aux âmes patientes et soumises que leurs aspirations mêmes exposent à l'inimitié; car - nous en faisons encore aujourd'hui l'expérience, - on opprime ceux qui cherchent, et cela inconsciemment, involontairement, comme sous l'action d'une force irrésistible. Cela aussi est une loi de nature.

Ceux qui s'efforcent de découvrir le chemin de la vie, dans une muette obéissance à leur impulsion intérieure, feront toujours sur les esprits inertes avec lesquels ils entrent en contact et en conflit. l'impression de personnages incommodes, exaspérants, insensés, et ils se verront certainement malmenés. Plus ils seront sincères et résolus dans leur recherche de la vie nouvelle, plus ils devront apprendre à souffrir sans défense. Car cette hostilité n'est que la contre-pression exercée par le courant qu'ils remontent.

Mais ces opprimés sont des « endurants ». Nos versions traduisent ce mot par «doux » ou «débonnaires » et en effacent ainsi la nuance d'héroïsme qu'il a dans le texte original. Les chercheurs ne sont ni des fanatiques, ni des esprits exclusifs, ergoteurs, tranchants ou aigris. Ils subissent la pression de l'élément contraire plutôt que de le faire voler en éclats; ils supportent même les oppositions les plus douloureuses. Ils reconnaissent le bien partout où ils l'aperçoivent et promènent de tous côtés des yeux bien ouverts afin de découvrir le moindre indice de vie. Ils fouillent jusque dans les décombres pour y discerner les valeurs et les germes qui y sont ensevelis. Ils recherchent le vrai sous tous les phénomènes et ne se donnent pas de repos qu'ils ne l'aient décelé. Ils saisissent les occasions d'approuver, non de désapprouver leur prochain. Ils vivent d'affirmation, non de négation; n'écrasent point, mais relèvent; n'importunent personne, mais vivifient ce qui dépérit, apportent la guérison à ce qui est malade, et la clarté dans la confusion. Absorbant ainsi tous les germes de vie et toutes les semences d'avenir, ils en alimentent leur propre croissance et collaborent du même coup à l'avènement de la grande vérité qui cherche à se réaliser.

C'est pourquoi l'avenir leur appartient, l'organisation nouvelle de la vie sera leur oeuvre et portera leur caractère. Ils sont en route, ils atteindront le but. Il faut qu'ils le sachent et se cramponnent à cette certitude, quelque invraisemblable qu'elle puisse leur paraître, en face de l'opposition qui les accable.

C'est là une assurance stupéfiante. Elle ne nous garantit pas seulement un développement tout nouveau de l'être humain et une rédemption correspondante, mais une transformation complète de toutes choses, par la puissance organisatrice de la vie nouvelle qui commence à sourdre dans les profondeurs de la personnalité humaine. Il nous semble parfois impossible, insensé même, que ce que nous sentons germer en nous puisse jamais prévaloir et changer la face du monde. il ne s'agit de rien moins, en effet, que d'une nouvelle création de l'humanité. Cependant l'affirmation de Jésus est formelle. Le but sera atteint. Ce n'est qu'une question de temps.

« Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. »

Le caractère des chercheurs sincères auxquels s'adresse le Sermon sur la montagne se précise, chaque béatitude le définit d'une manière plus vivante et en éclaire tour à tour les différentes faces.

Que de gens s'enthousiasment pour de grandes choses et brûlent du désir de les atteindre! Mais leur propre personnalité reste stationnaire. À force de regarder au loin, ils ont perdu la faculté de s'apercevoir eux-mêmes. La préoccupation de l'avenir leur fait méconnaître et négliger le devoir présent et personnel. Heureux donc les affamés pour lesquels tous les grands intérêts de l'existence s'effacent devant l'intense désir d'être délivrés du mal !

Ils sont affamés de justice, nous dit Jésus. Ce terme de «Justice » représentait une notion courante parmi les Juifs. L'apôtre Paul, dans sa lutte contre les ordonnances légales, lui donna une acception nouvelle conforme à la pensée chrétienne. Bien qu'usité encore dans la langue théologique, il n'a plus aujourd'hui de signification réelle que dans le domaine du droit et de la vie civile. Chez les juifs, il impliquait la disposition intérieure et la conduite extérieure conformes à la loi, c'est-à-dire à l'expression alors régnante de ce que tout homme doit être et pratiquer.

Aujourd'hui encore les vrais chercheurs ont le sentiment vif et profond de leurs obligations, et cependant tous éprouvent également l'impossibilité de formuler en préceptes ce qui s'impose spontanément à leur conscience intime. Ils ont soif de réaliser, dans leur état intérieur et dans leur conduite, la vie véritable à laquelle ils sont destinés. Bienheureux celui qui connaît cet effort incessant et passionné de l'âme vers la splendeur infinie et radieuse de l'être humain, car il sera rassasié. La vérité prendra vie en lui et le pénétrera, il sera façonné, entraîné et guidé par elle.

Ce courant d'aspiration à la vérité a acquis de nos jours une profondeur et une puissance extraordinaires. Nous comprenons enfin que l'être humain tel que nous le connaissons n'est qu'un être transitoire, inférieur à sa condition d'homme. « Ce que nous sommes n'a pas encore été manifesté», nous ne faisons que le pressentir. Le travail créateur se poursuit en nous et son achèvement révélera chez la créature humaine une splendeur insoupçonnée. Cette intuition jaillit chez les uns de la contemplation du Christ, l'homme accompli, chez les autres du spectacle de ce qu'il y a d'inachevé et de chaotique dans notre existence actuelle. Mais les uns et les autres s'insurgent également contre l'indifférence satisfaite de ceux qui déclarent que cet état de médiocrité est inhérent à notre nature et qu'aucune évolution créatrice ne le transformera jamais. Les uns et les autres soupirent après l'épanouissement grandiose de l'être intégral, qui portera à sa perfection tout ce qui n'est qu'ébauché en nous. L'organisation nouvelle de la vie vers laquelle nous marchons, est inséparable de cette transformation intérieure : l'être véritable se révélant et se réalisant progressivement dans l'homme peut seul l'apporter au monde.

Aussi avons-nous soif de voir cet être de vérité s'épanouir en nous, car tout le reste demeure dans le chaos tant que l'ordre nouveau ne s'installe pas en nous-mêmes. Si la vérité ne naît et ne grandit dans notre vie personnelle, toute notre activité n'est qu'agitation puérile, et notre proclamation de l'avènement de la vraie humanité n'est que le vain bavardage d'une imagination surexcitée.

« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. »

Les gens contents d'eux-mêmes sont généralement impitoyables. Mais lorsque nous sentons notre indigence et ployons sous le faix des douleurs humaines, notre coeur déborde de pitié à la vue de tout être qui souffre. Rien ne nous coûte pour lui venir en aide, car sa détresse nous accable plus encore que la nôtre. propre. Celui qui connaît la faim ne peut souffrir de voir son prochain manquer de pain; aussi la miséricorde habite-t-elle toujours au coeur des chercheurs chez lesquels l'effort vers la vie naît d'un besoin profond et spontané.

La compassion active résulte donc, en vertu d'une nécessité intérieure, de la soif de vie véritable. Ces deux dispositions sont indissolublement liées, comme le sont le sentiment de la pauvreté et la participation à la souffrance universelle. C'est la tension intérieure qui se traduit par un mouvement effectif. Comme la faim et la soif de vérité ne consistent point en une vaine sensation de vide, mais en une aspiration douloureuse, un impétueux élan de l'âme, de même la miséricorde dont parle Jésus n'est point un simple sentiment de pitié, mais une aide positive et personnelle. Jésus ne dit pas : Heureux les coeurs sensibles ! Car ce qui ne se traduit pas en actes est sans valeur, ce qui se résout en états d'âme reste infructueux et ne peut qu'affaiblir et relâcher.

C'est à ceux qui cherchent que se font entendre les appels de notre vraie nature. Alors s'éveille en eux non seulement le désir de connaître et de réaliser la vérité, mais la vive sensation de leur communion de nature et de destinée avec leurs semblables. Ils prennent conscience de la solidarité qui les unit et de l'aide qu'ils leurs doivent. Si donc quelqu'un n'exerce pas la miséricorde envers les malheureux que la vie place sur son chemin, c'est que la recherche de la vérité n'a pas encore ébranlé les profondeurs de son être; elles demeureront inertes et silencieuses jusqu'à ce que l'ardeur de ses aspirations finisse par triompher de son engourdissement et de son étroitesse.

Celui qui répand la miséricorde, obtiendra miséricorde. Secourir, c'est être secouru : tel est l'enchaînement intime des opérations profondes de la vie. Il serait faux et superficiel de considérer ce résultat comme une récompense émanant d'une puissance supérieure. Ici, comme dans tout le Sermon sur la montagne, nous sommes sur le terrain des lois naturelles de l'être et de la vie. Nos actes de miséricorde ne sont que la répercussion des témoignages de compassion que nous avons reçus nous-mêmes et dont le plus merveilleux est de nous avoir rendus capables de Compatir. Ainsi, dans la mesure où la vie véritable grandit en nous, se réalise notre destinée originelle, c'est-à-dire le triomphe sur toutes les détresses qui ne sont que l'effet de la contradiction entre elle et notre vie. Le royaume de Dieu extirpe le mal.

La béatitude précédente se rapportait à la constitution normale de la personnalité : elle affirmait que lorsque la vérité palpite dans une âme, elle y grandit et envahit l'être tout entier. Cette béatitude-ci nous montre que, lorsque s'éveille et s'affirme l'instinct de la solidarité, la communion conforme à leur vocation native s'établit entre les hommes, vivifiante et féconde. Celui qui vit non en individu isolé, mais comme membre d'un corps, prospérera comme tel. Il tirera de tous sa vie, parce que c'est pour tous qu'il vivra.

La miséricorde dont il s'agit n'est point cependant l'assistance arbitraire, effet d'un sentiment de pitié qui a été excité en nous et qui cherche à s'apaiser, mais la manifestation directe d'une solidarité spontanément ressentie. C'est l'instinct de conservation de la communauté tout entière qui se fait jour en nous. La «bienfaisance» est tout autre chose : elle est bonne, utile, indispensable, mais elle n'a rien à faire ici.



 

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LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et... Empty Re: LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et...

Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 16:30

 
 LE SERMON SUR LA MONTAGNE
 Transposé dans notre langage et pour notre temps


CHAPITRE PREMIER
LE POINT DE DÉPART
1. Ceux qui cherchent. (Suite)


« Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. »

Jésus n'a point en vue dans ces paroles une pureté morale absolue, ni une conduite irréprochable; il se fût servi, dans ce cas, d'une expression différente. Il eût dit, par exemple : Heureux ceux qui sont parfaits, heureux ceux qui sont justes! Prise dans ce sens-là, cette parole serait tout à fait étrangère à l'esprit des béatitudes et au terrain sur lequel Jésus se place là comme dans tous ses autres discours. Car il est venu appeler à la conversion non les justes mais les pécheurs.

Le mot « pur » est ici le contraire de trouble, mélangé, faux, menteur (comp. Matthieu, chap. 6, v. 22chap. 10, v. 16; et Jean, chap. 1, v. 47). Il désigne ceux dont le coeur est sincère. Or, si les chercheurs sont certainement sincères, ils ne sont point, pour la plupart, moralement irréprochables. Souvent même ils sont inférieurs, à cet égard, à d'autres qui, estimant avoir trouvé, peuvent appliquer toute leur énergie au polissage de leur âme. Le chemin des chercheurs se déroule par delà la notion courante du bien et du mal, et conduit à une appréciation nouvelle de toutes les valeurs. Les principes moraux traditionnels perdent pour eux sur bien des points leur caractère obligatoire. D'autres impératifs catégoriques se dressent devant eux. Or, pour ceux qui s'écartent ainsi des chemins battus, les erreurs sont presque inévitables. En outre, l'inquiétude intime commence par remuer et mettre au jour la fange qui, dans la quiétude de l'inertie antérieure, s'était déposée au fond obscur de l'âme, en sorte qu'ils restent épouvantés à la vue de leur corruption, jusqu'à l'heure où ils se rendent compte que la purification commence dans les profondeurs, pour parvenir peu à peu jusqu'à la surface. Mais leur sincérité n'en est point compromise. Au contraire, elle est précisément le foyer de la crise intérieure qui fait émerger tous les éléments malsains qui sommeillaient en eux.

Jésus a donc en vue les natures honnêtes, droites, simples, sans parti pris, dont la vie jaillit directement d'une impulsion spontanée, quoi qu'elle amène, d'ailleurs, à la lumière. C'est chez les enfants que nous rencontrons cette spontanéité réalisée au plus haut degré. Aussi Jésus les en loue-t-il à plusieurs reprises, et déclare-t-il ouvertement : «Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume de Dieu», c'est-à-dire dans le règne de la sincérité primitive.

L'expression de «coeur pur» comprise ainsi, non comme une notion abstraite et affadie par l'usage, mais d'une manière concrète et vivante, et dans son rapport avec les autres traits du caractère des chercheurs relevés par les béatitudes, nous révèle à l'arrière-plan de toutes leurs aspirations, la disposition que Jésus indique en ces mots : «celui qui est de la vérité». Le coeur pur, c'est celui dont l'élan vers la vérité est tout impulsif et se manifeste directement dans la vie.

« Ils verront Dieu. » Car, sans le savoir, ils sont orientés vers lui, et ouverts à son influence. Le tréfonds obscur de leur être, demeuré jusqu'alors silencieux, s'éveillera à la vie. En eux s'affirmera, avec une certitude immédiate et spontanée, la présence de ce principe éternel et l'indestructible lien qui les unit à l'auteur de toute vie. Voir, c'est saisir. Comme notre oeil perçoit les formes extérieures, leur regard intérieur percevra clairement la réalité vivante que nous désignons sous le nom de Dieu. Elle deviendra pour eux l'objet d'une expérience personnelle.

La sincérité intérieure que ne trouble aucun désir intéressé, que n'aveuglent ni préjugés, ni arrière-pensées, et qui conserve une attitude tout objective, voilà donc l'oeil spirituel limpide, auquel l'universelle puissance de vie peut se découvrir et qui la distingue nettement. Car les vibrations incessantes de la vie divine trouvent dans cette intégrité d'une vie personnelle avide de vérité, l'organe qui les transmet à la conscience. Le contact personnel avec Dieu est rétabli: nous «voyons» Dieu. Saisis par lui, nous le saisissons intuitivement comme nous percevons tout ce qui ne tombe pas sous les sens, mais transparaît au travers, c'est-à-dire tout ce qui dans ce monde est du domaine de l'esprit. Alors, mais seulement alors, nous «croyons » en Dieu, s'il est vrai que la seule foi authentique soit l'intuition spontanée de la réalité du divin.

Cette affirmation que les coeurs purs verront Dieu, est vraiment pour notre génération « une parole dite à propos Y). Car le trait commun actuellement à d'innombrables chercheurs, c'est une répugnance instinctive pour le Dieu prêché et reconnu, et une aspiration inconsciente au Dieu inconnu. Entendre discourir sur son compte leur devient intolérable, et cependant toutes les racines de leur être tendent vers ce sol éternel auquel nous appartenons tous. Ils nient Dieu, parce qu'ils mesurent profondément l'insuffisance grotesque de toutes les représentations qu'on se fait de lui, et parce que les explications les plus plausibles ne sauraient remplacer pour eux l'expérience, fondement de toute certitude. Ils ont raison, sans aucun doute : toutes les dissertations sur l'existence de Dieu sont absolument vaines. Toutefois ils ont tort de conclure que ce qu'on est impuissant à formuler n'existe pas. Les limites de la réalité dépassent notre champ visuel, en éloignement comme en profondeur.

Or Jésus leur apporte la parole libératrice : il ne s'agit ni de croire, ni de reconnaître, ni de persuader, ni de démontrer, mais d'expérimenter. Jésus nous place sur le terrain de l'expérience, et nous en montre la condition préalable dans la sincérité du coeur. Une seule chose importe: entrer en contact vivant et personnel avec la source première de toute vie, afin de prendre par la vie possession de Dieu.

Cet enseignement est d'une portée immense pour les croyants, comme pour les incroyants. Car il fait passer la connaissance de Dieu du domaine des idées dans celui de la vie. Il nous affranchit à la fois de l'effroyable tourment qui obsédait notre esprit et de la fièvre intérieure qui nous consumait. Renonçant à nos vaines préoccupations, nous attendons en paix l'heure où nous connaîtrons quelque chose de la puissance de vie universelle et du contact personnel avec elle, qui répond à notre nature même.

Nous éprouvons, au reste, sa présence avant même de nous en douter. Notre inquiétude intérieure, d'autant plus intense et persistante que notre sincérité est plus complète, cette inquiétude qui nous arrache à notre inertie et nous pousse à chercher sans relâche, est déjà un pressentiment de Dieu. C'est un phénomène objectif qui s'accomplit dans notre vie personnelle. Nous ne prenons clairement conscience de son origine et de sa véritable portée, que lorsqu'il a acquis un certain degré d'intensité. Alors nous comprenons soudain que c'est Dieu qui ébranle notre âme. Ceux que les apparences captivent et satisfont sont effleurés aussi par ces vibrations de la vie divine, mais elles ne les mettent point en mouvement, car il leur manque la sincérité qui seule est capable de discerner ce qui palpite sous les phénomènes. Seuls les coeurs purs en sont réellement ébranlés. Or plus ils sont intègres, plus il leur devient évident que ce qui les presse et travaille en eux, c'est Dieu. Et une fois les yeux ouverts, ils le découvrent partout. 

Cette expérience est une chose prodigieuse. Elle nous transporte au delà de tout ce qui constitue la religion, jusque dans le domaine de la vie divine. Elle est la pierre angulaire de la constitution normale de l'être humain et de l'organisation nouvelle et complète de toutes ses conditions d'existence.

« Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés enfants de Dieu. »

Ceux dont il s'agit ici ne sont point des êtres pacifiques ne demandant qu'à éviter les conflits et à vivre en paix avec chacun, mais des créateurs de paix qui la répandent tout autour d'eux; non des conciliateurs insupportables qui croient devoir s'immiscer dans toutes les relations tendues, mais des êtres qui portent en eux-mêmes la source «d'une paix qui surpasse toute intelligence». Aussi la paix qu'ils apportent n'est-elle pas le résultat de manoeuvres habiles, mais l'effet d'une action involontaire exercée par ces véritables chercheurs.

Nous voyons ici la disposition décrite dans la béatitude précédente déployer ses effets dans la vie. L'intégrité intérieure qui veut la vérité, rétablit involontairement l'ordre dans toutes les relations et les circonstances ambiantes. La paix qu'elle procure ne consiste pas à ignorer les situations délicates, éluder les explications, éviter les frottements, étouffer les antagonismes, en usant de compromis, en se résignant au lieu de combattre, en se jetant dans les bras les uns des autres au lieu de lutter héroïquement, en capitulant au lieu de prendre délibérément fait et cause pour la vérité. Tout cela n'est que faiblesse malsaine. C'est la défaite, et non le triomphe de la paix. Mais l'équilibre intérieur d'une âme fondée en soi, la fermeté et la droiture qui créent des situations nettes, le calme persistant au milieu des agitations du dehors, la supériorité de l'âme s'affirmant parmi toutes les vicissitudes de la destinée, l'attitude vraie à l'égard de tous, bref, l'ordre régnant dans notre vie et dans notre activité, voilà la paix, voilà ce qui la répand.

C'est des profondeurs de notre être que jaillit l'harmonie. Celui qui a trouvé Dieu acquiert la paix, il la procure dans la mesure où il l'incarne. De ceux qu'elle anime, émanent des puissances tangibles d'ordre et d'apaisement, des possibilités d'entente et de compréhension mutuelles, une influence qui élève au-dessus des petitesses et des contradictions, une vision de la véritable union intérieure qui réside, comme la vérité, plus profond que toutes les oppositions apparentes. Ils agissent sans paroles, souvent même sans rien connaître des mésintelligences qu'ils côtoient. Ils créent la paix par leur être même. Ils éveillent le goût de ce qui devrait être, et le malaise de vivre dans le désaccord personnel et la désunion générale. C'est extraordinaire combien souvent, à leur seule apparition, les situations les plus embrouillées s'éclaircissent d'elles-mêmes. Quiconque se livre à leur influence pénètre dans leur atmosphère sereine; quiconque leur résiste, au contraire, ne peut que s'enfoncer davantage dans le chaos.

C'est l'harmonie divine et créatrice qui se manifeste dans ces artisans de paix. Ils en sont les instruments. Ils sont les cellules vivantes qui par leur action organique attirent tous ceux avec lesquels elles entrent en contact dans l'ordonnance harmonieuse de l'être et de la vie originels. Par eux se constitue l'unité de l'humanité en Dieu. Ils seront appelés enfants de Dieu, car ils le sont. À leur caractère et à leur action se reconnaît leur race.

Jetons maintenant un regard en arrière sur le prologue du Sermon sur la montagne; il nous donne la clef de toutes les instructions qui suivront. Qui concernent-elles? À qui sont-elles destinées? Voilà ce que nous révèlent les béatitudes.

Les théologiens discutent la question de savoir si elles s'adressent aux seuls disciples de Jésus ou à toute la foule qui l'écoutait. Question inconcevable, discussion oiseuse, qui partent d'un point de vue tout à fait étranger à l'esprit même de ce discours. Comment, à lecture de ce début si précis, se demander encore quels sont ceux que Jésus a en vue ? Il ne pouvait l'indiquer plus clairement que par le portrait que tracent d'eux les béatitudes : c'est pour ceux qui cherchent qu'il a prononcé le Sermon sur la montagne. Qu'ils soient pour l'instant en rapport plus ou moins personnel avec lui, cela n'a pas d'importance et il n'y fait allusion nulle part.

Il est évident qu'en réalité le Sermon sur la montagne s'adresse à tous, puisqu'il indique l'unique voie d'un devenir véritablement humain et qu'il renferme les principes et les lois de cette évolution créatrice, principes et lois dont la portée est universelle. Mais les chercheurs seuls sont aptes à recevoir ces enseignements et préparés à réaliser ce devenir et à saisir cette vie. Pour tous les autres, le Sermon sur la montagne reste incompréhensible et impraticable. Il faut qu'ils deviennent à leur tour des chercheurs afin d'en trouver l'accès. Ce n'est qu'à ce prix qu'ils en pénétreront le sens et qu'il opérera en eux une transformation.

Cela peut paraître dur; ce n'est cependant qu'une nécessité de nature. Notre vie intérieure, aussi bien que notre vie extérieure, est régie par les lois de la causalité dont nous croirions à tort pouvoir nous affranchir. Pas de phénomène sans conditions préalables déterminées, pas de résultat sans cause efficiente. Il est donc parfaitement naturel que le règne de Dieu ne puisse s'établir dans un être humain sous l'impulsion vivifiante de Jésus, que moyennant un certain état de la personnalité. Les béatitudes nous décrivent cet état intérieur sans lequel il est impossible de participer à l'évolution qui cherche à se réaliser.

Cette austère vérité ne cadre point avec la conception sentimentale d'un bonheur final universel, ni avec l'affirmation courante dans les cercles religieux : il suffit de croire. Comme si chacun pouvait croire! L'éveil de la foi suppose certaines conditions inéluctables, et là comme ailleurs l'action silencieuse des lois naturelles se révèle dans leur effet, Aussi sont-ils rares, ceux qui connaissent l'intuition spontanée de Dieu, le vivant.

L'Évangile est sans aucun doute destiné à tous, et il tend à la création d'une nouvelle humanité. Mais il n'est encore accessible qu'à un petit nombre. il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus chez lesquels puisse actuellement naître et grandir l'être originel. Et cela, non pas en conséquence d'une prédestination divine, mais bien d'une prédisposition créée par la vie. Aussi s'en faut-il de beaucoup que tous les chercheurs qui entendent l'appel de Jésus soient du nombre de ceux qu'il proclame heureux. 

Il y en a tant dont la recherche est superficielle, intermittente, apparente ! Elles sont si rares, les natures sérieuses, profondes, persévérantes et honnêtes, chez lesquelles rien n'est voulu ni emprunté, mais tout procède involontairement d'une impulsion spontanée. Il y a de nos jours, il est vrai, beaucoup de pauvres en esprit convaincus de leur indigence. Mais qui donc mène deuil sur les souffrances de l'humanité et se charge réellement de ce redoutable fardeau ? Où sont les endurants assez optimistes et assez clairvoyants pour découvrir partout des vestiges de beauté, de bien et de vérité, et pour leur rendre hommage, si chétifs qu'il leur apparaissent auprès de ce que réclament leurs aspirations ?

Toutefois si Jésus semble, à chaque béatitude nouvelle, restreindre le cercle de ceux auxquels il s'adresse, ce n'est là qu'une apparence qui ne doit décourager aucun chercheur sincère. En réalité, ces paroles ne font que décrire le développement qui s'accomplit en eux et leur tracer ainsi la voie. C'est une marche, un devenir. Les béatitudes nous en montrent le point de départ; la suite du discours nous en révélera la portée et les effets. De là l'importance capitale de ces huit paroles : elles découvrent à nos regards les origines mystérieuses de la vie nouvelle.

Résumons ce qu'elles nous en font connaître : Dans les coeurs sincères chez lesquels le choc de la vie journalière ne provoque pas seulement des impressions superficielles, mais des émotions profondes, naît une agitation intérieure qui devient toujours plus intense. C'est le frémissement inconscient de l'âme ébranlée par les vibrations divines qui émanent de tous les phénomènes, de tous les événements. Plus ces hommes au coeur droit multiplient leurs efforts, plus ils luttent intrépidement avec la vie, plus aussi augmentent leur malaise et leur mécontentement intérieur. En vain se replient-ils sur eux-mêmes pour échapper à la vanité de l'existence; la faiblesse, le désarroi, le mystère de leur propre moi ne font qu'augmenter le sentiment cruel de leur dénûment.

Mais soudain retentit l'appel à la vie, venu de n'importe où, modulé dans n'importe quel ton. C'est un ébranlement intérieur qui éveille en eux l'instinct de leur vocation native, un écho de la vérité dont leur temps est l'interprète qui retentit fortement en eux, une révélation de la vie personnelle authentique qu'ils voient réalisée par un autre et qui leur ouvre les yeux sur eux-mêmes, un élan vers le but imprimé à leur âme par les grands courants qui entraînent notre siècle, une catastrophe qui leur fait entrevoir dans la vie des profondeurs ignorées, la bonne nouvelle de l'Évangile qui les bouleverse. De quelque nature que soit cet appel, ils ignorent encore où il les mènera, néanmoins il a coordonné leurs impulsions. Ils chercheront désormais, car ils comprennent que ce qu'il leur faut existe quelque part. Mais de la profondeur de leur sincérité dépendra l'intensité de leur inquiétude, du degré de leur droiture dépendra l'énergie de leur recherche. Or la sincérité et la droiture ne sont que les deux faces de l'immédiateté de la vie intérieure, dans sa conscience intime, comme dans ses manifestations, les deux éléments de la candeur enfantine sur laquelle repose toute vérité humaine.

Lorsque retentit au fond de ces âmes d'enfant l'appel de Jésus à une reconstitution normale de l'être et à une organisation nouvelle de la vie, leur recherche acquiert du même coup un objet, une direction, un but. Cette «vivante parole de Dieu», cette manifestation précise de la volonté créatrice qui poursuit le développement intégral de l'humanité, transforme leur élan intérieur en un mouvement positif. L'être originel prend vie, l'évolution nouvelle commence.

Alors aussi s'éveille en eux une vive compassion pour les souffrances de leurs semblables. L'énigme de leur propre destinée devient le problème de l'humanité. C'est comme membres d'un corps qu'ils souffriront désormais. L'énergie qui les anime prend un caractère d'objectivité. il ne s'agit plus pour eux de leur salut personnel seulement, mais de la rédemption universelle.

Cette expérience a une importance capitale, car elle nous affranchit d'emblée de l'étroitesse et de l'isolement égoïstes qui entravent le développement de notre nature originelle. L'élargissement qu'elle nous apporte est la condition de notre productivité. Notre vie prend alors le caractère de solidarité qui est conforme à notre vraie nature, et s'effectue au profit de la grande unité à laquelle nous appartenons. Cela seul assure le développement harmonieux de notre personnalité naissante, car elle est ainsi préservée de toutes les déformations et de toutes les excroissances de l'égoïsme.

Le chercheur chez lequel s'opère cette transformation ne se rend compte ni de ces phénomènes, ni de leur enchaînement. Souvent même il ignore au début ce qui se passe en lui. Sa tension intérieure subsiste, malgré ce commencement de réalisation et il faut les effets de ce nouvel état de choses pour lui révéler que, sous la surface de sa vie, vient de poindre ce qu'appelaient: ses désirs.

Cependant dès que notre être originel commence à vivre et à s'exprimer selon sa nature, il rencontre la résistance que lui oppose l'inertie ambiante. Sa croissance n'en est pas ralentie, mais stimulée au contraire : cette opposition ne fait qu'accroître sa vigueur et renforcer son originalité. Se heurte-t-il à un obstacle? Il se tourne vers la profondeur et y puise la force victorieuse. C'est ainsi qu'il apprend l'endurance, première expérience éducatrice et, en tout temps, la plus précieuse, à condition que ce soit l'authentique endurance simple et sincère dans laquelle se manifeste et s'accroît l'héroïsme caché.

L'héroïsme, nous le trouvons ailleurs aussi. Mais ici, et c'est ce qui prouve qu'il est un effet de l'épanouissement de la vie nouvelle, il s'unit à la patience qui supporte. Ailleurs la souffrance endurée aigrit et rend injuste, aveugle, exclusif. Ici, elle développe non seulement la puissance de la vérité, mais le goût rigoureux et délicat qui recherche la vérité dans tout ce qui est humain, le flair subtil qui discerne, parmi la multitude des phénomènes ambiants, tous les éléments de vie et toutes les semences d'avenir.

Ainsi la vie de l'être originel se manifeste d'emblée, tant activement que passivement, dans toutes les directions. L'endurance que relève la troisième béatitude, n'en est qu'un exemple. L'affirmation de nous-mêmes contre le courant contraire, l'élaboration de toutes nos expériences, nécessaires à notre éducation personnelle, ont des modes aussi variés que la vie elle-même. Cependant, de cette action et de cette réaction, de cet effort et de cette résistance, résulte une orientation nouvelle de la vie. Désormais l'aiguillon de notre vie personnelle et consciente, c'est la soif de vérité. qui augmente dans la proportion même où elle s'assouvit. La vérité s'instaure en nous. 

Mais comme l'être nouveau a été affranchi définitivement d'un individualisme exclusif et ne se sent plus exister qu'avec et pour les autres, à cette orientation nouvelle de la vie s'ajoute une impulsion nouvelle : le besoin de vivre pour autrui. Car la vérité et la miséricorde sont indissolublement unies et se conditionnent réciproquement. La soif de vérité conduit à la miséricorde, et l'élan de l'amour secourable conduit à la vérité. «Si quelqu'un aspire à s'élever parmi vous, qu'il se fasse le serviteur de tous, et si quelqu'un aspire à être grand, qu'il se fasse l'esclave de tous. »

Quand notre être originel s'accroît ainsi en hauteur, en étendue et en profondeur, quand il se déploie dans notre vie d'une manière toujours Plus nette et plus puissante, le moment vient où nous comprenons que ce qui se passe en nous est le résultat d'une impulsion divine et créatrice. Alors se lève le grand jour de la vie nouvelle. Désormais notre vie personnelle s'organise clairement et solidement selon un principe nouveau, non seulement en elle-même, mais dans son rapport avec son principe éternel et avec la structure générale de l'humanité. Les sources des profondeurs jaillissent et débordent. De l'expérience du divin découle une harmonie féconde. Une influence vivifiante se déploie. L'énergie plastique des vibrations divines crée et modèle la vie par l'intermédiaire de l'homme. Le royaume de Dieu se réalise.

Tel est, pour autant que je le comprends et que je réussis à le formuler, le secret de la transformation radicale de l'être, à ses débuts du moins, depuis les premières douleurs de l'enfantement jusqu'à la naissance de la vie nouvelle. Les béatitudes n'en donnent ni une description détaillée, ni surtout une explication circonstanciée. Elles ne contiennent que des indications fortuites, suffisantes néanmoins pour nous donner une idée de cette transformation et du moyen d'y parvenir.

Chacun comprendra que ce changement radical est le fruit d'un devenir et non le résultat d'un travail. Il s'agit ici d'expériences spontanées, d'opérations créatrices qu'on ne peut contrefaire et auxquelles on ne saurait s'entraîner. D'un pareil effort, en effet, ne résulterait point une vie originale, mais une construction artificielle, non une nouvelle création, mais de la piété seulement. Nos pratiques et nos efforts nous laissent dans notre état ancien, jamais ils ne nous introduiront dans un monde nouveau. Comme le dit l'Écriture : «Un homme ne peut prendre que ce qui lui a été donné », et : «Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de la miséricorde de Dieu. » Il faut que la puissance de vie universelle nous imprime' un mouvement créateur, que du germe de vie enseveli au fond de nous-mêmes, elle fasse éclore et s'épanouir notre être originel. Or, de cette impulsion première-née de notre inquiétude intérieure, jusqu'au terme parfait de notre devenir, tout échappe à notre action.

La seule chose qui dépende de nous, c'est de nous placer autant que possible dans les conditions favorables à la croissance de cette vie mystérieuse, conditions que reconnaît certainement, en une faible mesure au moins, chacun de ceux qui lisent ces lignes avec un sincère désir de les découvrir. Jamais sans elles la légère inquiétude qui frémit en nous ne deviendra une énergie créatrice capable de toutes les victoires. Jésus l'a marqué dans une de ses paraboles : il faut un terrain propice pour que le grain de semence lève et porte du fruit en abondance. La fertilité des terrains varie. Qu'elle soit suffisante, du moins, pour permettre à la semence de lever, de grandir et de porter du fruit!

La première condition nécessaire à l'éclosion et à la croissance de la vie nouvelle en nous, c'est la sincérité, la simplicité de la conscience et de la conduite, c'est-à-dire une spontanéité complète dans l'assimilation et les manifestations de la vie. Jésus a dit : «Si vous ne devenez comme des enfants, vous ne pouvez entrer dans le royaume de Dieu. » Du même coup, il confie à notre effort ce qu'il nous présente cependant comme un devenir.

Et telle est bien en effet la situation. Il ne dépend pas de nous d'être spontanés. Cependant la spontanéité est un des éléments de notre nature, puisqu'elle est un des caractères de l'enfant. Il nous est donc possible de découvrir les causes qui l'ont détruite en nous et, par conséquent, les moyens de recouvrer cette faculté atrophiée.

Soyons bien décidés, tout d'abord, à ne plus jamais avoir honte de notre naïveté, mais à la respecter au contraire comme le milieu favorable aux vibrations de la vie divine. Puis affranchissons-nous de tout ce qu'il y a de raisonné et de voulu dans notre manière d'être et dans notre vie, car c'est cela qui a tué en nous la spontanéité. Donnons-nous, en tout et partout, comme le coeur nous en dit. Débarrassons notre existence de tout ce qu'elle a de compliqué, de façonner, d'affecté. Cherchons à simplifier notre train de vie.

Soyons naturels et sans malice afin de pouvoir agir simplement et sans contrainte. Ayons une horreur vigoureuse des clichés et des plagiats. Bannissons de notre être et de notre vie les vaines apparences, visons à l'honnêteté et à la loyauté dans nos opinions, nos jugements et nos entreprises, acquérons la droiture et la rectitude physique et morale. Alors renaîtra en nous notre nature d'enfant.

Mais il ne suffit pas de tendre à ce but, il faut encore agir en conséquence. Il y aura des liens à briser, des résolutions inusitées à accomplir, une révolution à opérer dans notre vie extérieure. Nous ne pourrons plus, par exemple, laisser envahir notre terrain par les mauvaises herbes de la culture moderne. Nous devrons nous soustraire à maint devoir conventionnel et à mainte considération secondaire pour que l'enfant revive et prospère en nous.

Persévérons cependant. Non seulement nous recouvrerons ainsi notre spontanéité perdue, mais la vie dont témoignent les béatitudes deviendra peu à peu pour nous une réalité. Elle naîtra et s'affirmera d'elle-même au contact des impressions et des événements journaliers, car elle possède une énergie créatrice qui garantit son développement ultérieur. Ressentir ce que nous vivons, vivre ce que nous ressentons, voilà tout ce que nous avons à faire. C'est ce vivant ressentir qui fait prospérer notre être originel. Or, plus nous serons simples et sincères, plus nos émotions seront puissantes, nettes et profondes.

Mais ce que nous n'éprouvons et n'expérimentons point encore, il faut savoir l'attendre. Il faut que la patience bride notre zèle, afin qu'il ne se laisse pas tenter d'imaginer ou de remplacer par autre chose ce qui n'a pas encore grandi spontanément. Qu'il nous suffise d'attiser toujours à nouveau nos aspirations. Elles seules créent en nous la réceptivité nécessaire. La volonté qui s'applique au détail de ce que nous voudrions éprouver, vient du malin. Au contraire, l'aspiration qui ne précise rien, mais qui attend avec ferveur, verra la réalisation. Tout ce qui doit naître en nous naît du sein de nos aspirations, et ce qui doit croître, croit par ces aspirations jamais assouvies, bien que constamment exaucées. Impossible d'en dire plus. C'est à chacun de découvrir l'accès à la vie nouvelle. Il n'existe aucune formule magique qui nous l'indique et qui nous l'ouvre. Il faut le chercher et «il y en a peu qui le trouvent». 


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LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et... Empty Re: LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et...

Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 16:58

  LE SERMON SUR LA MONTAGNE
 Transposé dans notre langage et pour notre temps 
 
 CHAPITRE PREMIER
LE POINT DE DÉPART
2. La vocation des chercheurs.
 
La dernière béatitude traite, non plus du développement intérieur des chercheurs, dont les premières ont suivi les étapes, mais des expériences et des devoirs qui les attendent.

«Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux.»

Ce qui signifie, transposé dans notre langage : Heureux ceux qui souffrent la persécution à cause de la vérité qui germe en eux, car en eux vit l'être originel. Que ceux qui procurent la paix ne s'étonnent point d'être persécutés, bien que le rapprochement de ces deux termes semble paradoxal. On a souvent trouvé contradictoire et incompréhensible cette parole adressée à ses disciples par Celui qui est venu apporter au monde la paix divine: «Ne supposez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre, je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée.» Et pourtant, il est impossible qu'il en soit autrement. Car la paix qu'apportent Jésus et les siens consiste dans une organisation normale et naturelle de toutes choses, dans l'harmonie de nos facultés natives, dans la vérité rédemptrice de l'être et de la vie. Elle doit donc, de ce fait, se trouver en conflit et en contradiction flagrante avec toutes les déformations de l'humanité dégénérée, et avec son organisation défectueuse et artificielle, qu'elles se présentent sous la forme de traditions ou de conventions, de morale ou de religion, de mœurs ou d'institutions sociales. Aussi les créateurs de la véritable paix seront-ils toujours traités de mécontents et de révolutionnaires, et considérés comme des fanatiques dangereux livrés à l'arbitraire des opinions les plus subjectives.

Si l'éclosion de notre vie originelle est l'avènement de la paix, elle est en même temps un élan vital irrésistible, une puissante montée de sève, qui, parmi les lâchetés, les compromis et les ménagements ambiants, fait l'effet, d'un désordre et d'une révolte. Cela est inévitable. Entre les chercheurs et les satisfaits, l'équilibre est impossible. Du mouvement vital, d'une part, et de la force d'inertie de l'autre, résulte forcément un frottement, et de ce frottement procède la persécution.

Pour les âmes rassasiées et routinières, les chercheurs sont parfaitement insupportables, car ils sont leur mauvaise conscience même et ils troublent par leur seule apparition le bien-être jouisseur des uns, comme l'affairement intéressé des autres ou leur fièvre de se dépenser pour le bien public. Leur regard avide de vérité met tout en question avant même qu'ils aient exprimé le moindre doute, qu'il s'agisse d'une opinion scientifique dûment patentée, d'un paisible bonheur familial, ou encore de « l'assurance du salut par Christ ». Aussi ont-ils contre eux tous les partis.

Si donc nous ne sommes pas persécutés, c'est que notre recherche n'est pas encore une puissance de vie active et pénétrante. Elle est compatible avec la routine, supportable par conséquent; elle est une disposition intermittente, non la force motrice de notre vie. Ou bien elle se consume en aspirations, mais elle n'a pas encore été fécondée par l'action divine éveillant dans l'âme réceptive la puissance de germination. Car notre mécontentement de nous-mêmes, s'il reste infructueux, excite tout au plus la compassion, la moquerie, ou un sentiment de supériorité satisfaite; seule l'irruption de la vie nouvelle provoque le scandale, l'inimitié, la persécution.

Aussi Jésus dit-il : Heureux ceux qui sont persécutés « pour la justice », pour la vérité réalisée dans leur conduite et dans leur vie. Quant à ceux dont l'attitude agressive, la maladresse ou les manquements attirent la persécution, il est juste de les plaindre, mais non de les déclarer heureux. Car ce qui les atteint dans ce cas, ce n'est point réellement la persécution, mais une critique justifiée, des jugements mérités, bref, un désaveu inspiré par le sentiment du bien en face de sa caricature. Mais si nous sommes opprimés à cause de la vérité que nous incarnons, nous sommes heureux, car le royaume des cieux est à nous. C'est lui qu'on attaque en notre personne, et la persécution qui nous atteint n'est que la réaction provoquée par son avènement dans notre vie. Elle en est, par conséquent, la garantie.

«Le royaume des cieux est à vous.» Cette assurance finale, toute pareille à celle de la première béatitude, n'est pas plus que les précédentes la promesse d'une récompense; elle met simplement en évidence un enchaînement naturel et logique : la persécution ne fait qu'attester la croissance obscure de l'être originel, qui provoque inévitablement l'hostilité de toutes les natures dégénérées. C'est ce qu'il ne faut pas perdre de vue dans l'étude des paroles suivantes qui renforcent et précisent celles que nous venons de considérer.

« Heureux serez-vous lorsqu'on vous insultera, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense est grande dans les cieux; car c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes avant vous. »

Tout ce que nous avons à souffrir à cause de Jésus, ne saurait éveiller en nous qu'une joie débordante, puisque la vie divine qui palpite en nous s'accroît en proportion. En employant l'expression de «grande récompense», Jésus formule simplement ce rapport de réciprocité dans un langage familier à ses auditeurs juifs. Il détourne ainsi nos regards des contre-coups douloureux que notre transformation ne peut manquer de provoquer, et les dirige vers l'avenir. Non pas cependant vers un but lointain, ou même relégué dans l'au-delà, mais vers un avenir qui sans cesse devient présent. Car parmi les outrages, les persécutions et les calomnies, grandit notre être originel, et son action rénovatrice nous ouvre des perspectives infinies. Virescit vulnere virtus, c'est dans l'affliction que s'épanouit la vertu.

Insultés, les chercheurs le seront comme tels. L'inquiétude qui les anime, l'élan qui les presse sont antipathiques à l'inertie générale, aussi les traite-t-on faussement d'éléments de désordre, de novateurs dangereux, d'ergoteurs tracassiers et importuns qui troublent la paix du monde et qui, dans leur présomption, se figurent sottement être capables de le réformer. On passe par toutes les nuances du dénigrement : du haussement d'épaules compatissant et du hochement de tête narquois aux plus viles accusations publiquement formulées. Ces outrages sont la justification des âmes satisfaites et de leur lâche inertie : pour se sentir dans leur droit, il faut qu'elles taxent d'aberrations toutes les nobles tentatives inspirées par un profond sentiment de ce qu 'il y a d'intolérable dans nos conditions actuelles.

Calomniés, les chercheurs le seront toutes les fois que leur vie nouvelle se manifestera d'une façon originale. lis sont différents des autres, chose tout à fait inconvenante au gré de la foule indolente. Aussi chacun s'accorde à condamner leur vie qui n'est cependant que le résultat non prémédité de leur évolution. Parfois à la réprobation se mêle le dépit de ne pouvoir leur ressembler; ailleurs, l'irritation grandit du fait qu'on pressent obscurément qu'ils pourraient bien avoir raison. Surtout ils ont contre eux tous les propres justes qui, convaincus de leur infaillibilité, se regardent comme les gardiens attitrés de la tradition et des usages consacrés, et qui sans se faire aucune idée des Mobiles qui inspirent ces hommes nouveaux, ni du sens que peut avoir leur conduite insolite, suspectent ou calomnient avec une vertueuse indignation tous leurs gestes et toutes leurs paroles.

Il n'y a pas envers eux d'attitude intermédiaire : ou ils font sur leur entourage l'effet d'un jugement mérité et alors il faut sortir de son inertie, ce qui implique l'abandon de toute satisfaction propre et de toute confiance en soi; ou leur appel à la vie est repoussé comme une révolte contre toutes les routines religieuses, morales et sociales, et alors il faut les dénigrer pour ne pas se mépriser soi-même. 

On n'y éprouve d'ailleurs aucune difficulté. On ne saurait même en agir autrement, car on les juge d'après soi et on leur impute les intentions et les mobiles qu'on trouve en soi. Leur individualisme est taxé d'orgueil, leur fidélité envers eux-mêmes de manque d'égards pour les autres, leur droiture de brutalité, leur liberté d'immoralité, leur mobilité et leur capacité d'évolution de légèreté et de manque de caractère, leur irrésistible élan d'irrévérence, et leur naturel de frivolité et d'impudence.

De là à la persécution proprement dite, il n'y a qu'un pas. Des êtres aussi dangereux doivent être mis hors d'état de nuire. Toutes les tendances et tous les partis sont unanimes sur ce point. Orthodoxes, libres-penseurs, socialistes, aristocrates, bourgeois et demi-savants, État, société, famille, tous s'accordent pour annihiler, si possible, les éléments éruptifs qui s'efforcent de s'élever à une vie plus haute.

Tel est le sort des véritables chercheurs. Chacun d'eux en aurait long à conter sur ce sujet. C'est dans la vie de la famille qu'éclate tout d'abord l'inimitié, car c'est là que la disparité se fait sentir le plus vivement : «L'homme aura pour ennemis les gens de sa propre maison.» L'esprit de famille est souvent d'une longanimité étonnante : il supporte, excuse, ignore les accrocs les plus flagrants à la morale, il accomplit les Plus grands sacrifices pour remettre sur pied les enfants prodigues, il tolère les opinions et les tendances les plus opposées aux traditions familiales. Mais quand l'inquiétude et l'élan du devenir s'éveillent chez un fils ou une fille, et les entraînent sur des voies nouvelles à la poursuite de la vérité, alors l'amour de leurs parents tourne à la tyrannie; de leur impuissance naît un zèle amer, une passion de destruction qui ne reculent pas devant les imputations les plus cruelles. Les rebelles se voient mis à l'index, et dans le chœur des parents et des amis ce sont les plus proches qui embouchent la trompette de la calomnie. Suivent les collègues et les camarades. Tout ce que fait le suspect est qualifié d'autocentrie, d'indiscipline, d'incapacité de se contenter de sa vocation et de son milieu, et les commérages vont leur train.

Jamais l'opinion publique n'en a usé autrement, si du moins celui qui s'aventure sur la route de la terre promise reste fidèle à lui-même jusqu'au bout. il est vrai que, dans la suite, on ne met que plus d'empressement à accommoder son héritage spirituel au profit des masses. Ainsi en est-il allé de Jésus et de tous ceux qui, insoucieux des opinions et des habitudes courantes, n'ont cherché qu'à discerner et à suivre le chemin de la vérité. «C'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes avant vous. » Tous les témoins de la vérité, tous ceux qui ont désiré son avènement et se sont efforcés de lui frayer la voie, ont connu ce destin, aussi bien que le moindre d'entre les chercheurs d'aujourd'hui.

Cependant tous les persécutés et tous ceux qui se qualifient de chercheurs n'ont pas également le droit de se compter au nombre des heureux célébrés par Jésus. Celui-ci ajoute expressément aux mots : « lorsqu'on dira de vous toute sorte de mal », l'épithète de «faussement ». Si les accusations des gens bien pensants et des représentants de la tradition sont justifiées par les faits, si notre conduite procède en effet de nos instincts bas et impurs, si elle est troublée et corrompue par nos caprices, nos vues intéressées, notre orgueil ou notre légèreté, par la soif de sensations, le dégoût des devoirs prosaïques et journaliers, si ce sont l'insubordination, la recherche de l'effet, ou une sorte de coquetterie de la vie intime qui nous inspirent ce que nous donnons pour l'expression spontanée d'une impulsion intérieure irrésistible, alors c'est nous qui mentons et non nos détracteurs. Il se peut que leur jugement tombe à faux dans le détail, parce qu'ils ne pénètrent point les arrière-plans obscurs de notre conduite. Mais ils ont raison quant au fond : nous sommes des hypocrites, notre conduite est réellement basse et fausse.

Jésus fait encore une restriction à cause de moi », ajoute-t-il. C'est la première fois qu'il se met lui-même en cause, et fait de sa personne le poids déterminant sur la balance. Qu'est-ce à dire? Cette restriction correspond sans aucun doute au « pour la justice » du verset précédent et ne fait qu'exprimer la même pensée sous une forme différente. Jésus est la vérité. Pour ses auditeurs de jadis comme pour nous, il est l'incarnation du royaume de Dieu et de la vérité humaine, il est le nouvel ordre de choses personnifié, la cellule primitive de la vie naissante. Ceci, non dans un sens théologique ou dogmatique, mais au sens historique et culturel.

Si donc on nous calomnie parce que la vie de Jésus veut s'actualiser en nous, et son dessein se réaliser par nous, on nous persécute à cause de lui. Mais combien n'a-t-on pas abusé de cet « à cause de moi » ? Chacun de ceux qui croyaient pouvoir se réclamer de Jésus l'a fait valoir à son profit. Il a été la consolation de tous ceux auxquels leur piété et leur profession de christianisme ont valu quelque déboire. Et néanmoins la plupart étaient aussi étrangers à son caractère, à son inspiration et à son dessein que ceux qui lui disent : «Seigneur, Seigneur», et dont il déclare qu'il ne les a jamais connus. Que n'a-t-on pas justifié par ses paroles, couvert de son pavillon ! Que de grossières falsifications, de piteuses caricatures, de manoeuvres hypocrites se sont glorifiées de l'exaspération qu'elles soulevaient chez les honnêtes adeptes de la vérité comme d'une persécution subie à cause de lui ! En faut-il des exemples? Un grand nombre d'hommes qui restent figés dans leur bien-être ne se croient-ils pas aujourd'hui persécutés «à cause de Jésus », par ceux qui ne peuvent prendre leur parti de l'arrêt de l'évolution humaine dans la chrétienté, et dont la seule ambition est d'en découvrir à nouveau le secret?

Il faut le répéter bien haut : si ce ne sont pas les effets de la vie nouvelle qui provoquent l'inimitié de la foule incompréhensive, si le caractère des persécutés n'est pas celui que Jésus a incarné et qu'il crée chez les siens, il a beau exciter l'opposition, il n'est pas authentique et « pur sang», et on ne saurait par conséquent les proclamer heureux, car l'être nouveau ne grandit point en eux en proportion des persécutions qu'ils subissent.

Peu importent nos sensations ou notre opinion de nous-mêmes; tout dépend de ce que nous sommes en réalité. Si la constitution normale de l'être humain s'élabore en nous, si ce sont ses manifestations qui déchaînent l'animosité de toutes les existences chaotiques décorées d'une étiquette quelconque, chrétienne ou autre, nous sommes persécutés à cause de Jésus, soit que nous suivions consciemment ses traces, soit que, poussés par un obscur besoin de vérité, nous cherchions encore inconsciemment notre chemin dans la direction où il a marché lui-même. C'est pourquoi, aujourd'hui comme dans tous les temps, plusieurs peuvent être persécutés «à cause de lui », tandis que leurs lèvres le nient, parce que « leurs yeux sont encore retenus, en sorte qu'ils ne le voient point tel qu'il est ». Bien qu'adversaires du Christ que le monde adore, ils font, sans le savoir, sa volonté et souffrent par conséquent à cause de lui.

Les paroles de Jésus sont d'une clarté qui ne laisse rien à désirer; elles caractérisent strictement et exclusivement les persécutés qu'il proclame heureux : pureté de leurs mobiles intimes (quand on dira faussement contre vous, etc .... ), authenticité de leurs expériences personnelles témoignant de la vie nouvelle qui agit en eux (à cause de moi), c'est-à-dire sincérité subjective et objective, telles sont les conditions que suppose la dernière béatitude. Alors, mais alors seulement, les persécutés sont vraiment des heureux, car c'est la présence de l'être originel en eux qui provoque la persécution, et qui, du même coup, détermine leur vocation.

«Vous êtes le sel de la terre. »

Les béatitudes découvrent successivement aux yeux des chercheurs une série de perspectives merveilleuses - tandis qu'ils ploient sous le sentiment de leur néant, elles les proclament heureux parce que l'être nouveau palpite en eux; au sein de leur détresse, elles leur signalent leurs privilèges et leur annoncent l'exaucement de leurs désirs; elles leur révèlent dans leur inquiétude intime une vibration divine et dans l'hostilité de la multitude indolente une réaction inévitable contre la vie nouvelle qui germe dans leur âme. Mais quelle surprise plus grande encore, quelle révélation de la gloire de l'Évangile dans cette déclaration : «Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. » 

Cette parole définit leur fonction dans le monde. Ils sont l'élément qui y maintient et y crée la vie. Sans eux l'humanité serait depuis longtemps la proie de la corruption. Ils arrêtent la décomposition de la masse inerte; grâce à eux, elle reste utilisable et susceptible de s'élever à la vie véritable. C'est de ceux qui cherchent que les satisfaits tirent leur subsistance. Toute l'histoire spirituelle de l'humanité en témoigne. La foule parasite a toujours vécu des vérités et des valeurs vitales découvertes ou créées par les chercheurs. Mais jamais elle ne les a mises en oeuvre sans les dénaturer, en les dépouillant de leur puissance créatrice pour les accommoder à son usage. Elle laissait perdre la véritable vie; elle conservait les formes, les idées, les coutumes et les formules afin de s'en alimenter. Elle tuait les prophètes, mais elle leur bâtissait des tombeaux et rendait un culte à leurs reliques. «La lumière a lui dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont point reçue », aussi les ténèbres sont-elles restées ténèbres, quelque lueur qu'elle y ait jetée. Il en fut ainsi avant Jésus. Il en a été de même après lui. Le christianisme, c'est l'obscurité éclairée, mais non le plein jour. Cependant la vie émanant des âmes chrétiennes qui cherchent sans trêve la terre nouvelle, le maintient et fait de lui une bénédiction pour les millions d'êtres « assis dans l'ombre de la mort ».

Ces chercheurs cachés et disséminés dans la masse, ne se bornent pas à la conserver, par leur vibration continue, ils mettent en mouvement quelques-unes des parcelles qui la composent. Comme le levain qui fait lever la pâte, ils travaillent l'humanité engourdie jusqu'à ce qu'ils l'aient entièrement pénétrée. Leur contact qui irrite les endormis, excite l'inquiétude des âmes mobiles et les arrache, à leur paresse et à leur inertie. Ainsi la vie allume la vie, et l'évolution créatrice de l'humanité agrège cellule à cellule.

En disant : «Vous êtes le sel de la terre », Jésus ne prononce pas un jugement de valeur, il ne formule aucune prétention, n'impose aucun devoir. Il constate simplement un état de fait qui nous révèle une loi fondamentale et permanente du développement de la vie nouvelle. Il ne dit pas aux chercheurs : Vous devez être le sel et la lumière, mais : Vous l'êtes, en tant que chercheurs, et par le seul fait de votre existence. Point n'est besoin d'entreprendre ou d'exécuter quoi que ce soit en vue de ce résultat : de votre vie comme telle, et quel que soit le stade de votre évolution, émane une force agissante, tant que vous restez des chercheurs sincères.

Cette loi de la vie nouvelle est d'une importance capitale. Jésus n'a point dit Parlez, enseignez, convertissez, faites des prosélytes; mais Vous êtes; votre mission s'accomplit par votre seule existence de chercheurs, de devenants, de vivants. C'est sur le fait de votre être et l'action de votre vie que repose l'avenir de l'humanité. Soyez des chercheurs de bon aloi et le règne de Dieu viendra nécessairement. Que l'histoire de la création de l'humanité véritable nous présente des vocations extraordinaires et des instruments spéciaux, comme les apôtres, par exemple, là n'est pas la question. il ne s'agit ici que de la fonction des chercheurs dans l'avènement de l'ordre nouveau, et cette fonction se résume en deux mots : être et vivre.

Le royaume de Dieu s'établit naturellement, par les manifestations vitales involontaires de ceux chez lesquels germe et s'épanouit la vie originelle. Toute action volontaire, préméditée, forcée, en vue de ce résultat, ne peut que lui nuire, parce qu'elle ne procède pas d'un mouvement spontané. Les intentions les plus pures n'y sauraient rien changer; c'est là une loi de nature inflexible, inéluctable. Rien ne retarde davantage la venue des choses nouvelles que la fièvre d'action de ceux qui ne savent pas les attendre. Le seul effet de l'ardeur qui nous entraîne vers le terme de l'évolution humaine doit être d'attiser constamment notre flamme : les ondes lumineuses s'en dégageront d'elles-mêmes. Mieux la lampe brûle, plus elle éclaire.

Cette déclaration de Jésus ne concerne naturellement que les heureux qu'il a caractérisés d'une manière concrète et vivante dans le cours des béatitudes, mais elle s'adresse à eux tous, sans réserve et sans condition. Peu importe leur point de départ, la nuance de leur religion ou de leur culture, la valeur qu'ils assignent aux institutions traditionnelles, la manière dont leur vie nouvelle se formule dans leur esprit et se traduit dans leurs opinions, la portée que la personne de Jésus a acquise à leurs yeux, pourvu que leur caractère soit en vérité celui des vrais chercheurs décrits par Jésus. Mais ce caractère spécial, rien ne saurait lieu, ni convictions chrétiennes, ni vie religieuse et en tenir morale, ni point de vue quelconque. Les croyants cristallisés et figés dans leur foi chrétienne ne sont certainement, dans la pensée de Jésus, ni sel, ni lumière.

Le refus que Jésus a opposé aux tentations du désert, nous a montré de quelle manière le royaume de Dieu ne doit pas se fonder; l'instruction positive qu'il nous donne ici complète cet enseignement négatif. Le règne de Dieu s'établit dans le secret et par l'action de la vie personnelle.

Mêlés à la masse, comme le sel, disséminés, isolés les uns des autres, les chercheurs ne forment point une puissance compacte. Le seul lien qui les unisse, c'est le nouvel élément de vie qui les pénètre et établit entre eux, parmi ceux qui les entourent, un contact immédiat et vivant. Toute association exclut. Tout groupement isolerait les chercheurs de ceux qui restent stationnaires et entraverait ainsi l'action directe de leur nouvelle nature. Il ne faut point que les éveilleurs de vie s'encapsulent, sous peine d'interrompre aussitôt le progrès de la vie.

«Mais si le sel s'affadit, avec quoi lui rendra-t-on sa saveur? Il n'est plus bon à rien, sinon à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes.»

Nous l'avons vu, les chercheurs sont un ferment dont 'l'énergie active réside uniquement dans leur vie personnelle. Il y a là un processus Vital, non une action préméditée ou une entreprise spéciale. Là où ce processus se poursuit avec la nécessité interne et la spontanéité d'un phénomène naturel, la vie originelle se propage et l'organisation nouvelle des choses s'instaure. Mais pour que le royaume de Dieu s'étende ainsi par son moyen, il faut que le ferment de vie conserve sa nature propre, car en la perdant il perd du même coup sa vertu vivifiante.

Rester fidèle en tout et partout à leur caractère, tel est donc le devoir des chercheurs. Qu'ils se gardent de se laisser affadir en se mélangeant d'éléments étrangers, de s'accommoder au goût d'autrui en atténuant leur âpreté originale. Ils perdraient leur saveur saline, il ne leur resterait qu'un goût de moisi. Ils deviendraient impropres aux opérations vitales, parce qu'ils tomberaient eux-mêmes en décomposition. 

Surtout qu'ils restent des chercheurs! L'éveil de la vie dans un être humain est quelque chose de si grand que celui qui en fait la merveilleuse expérience peut être tenté de se croire au but. Il lui semble avoir trouvé tout ce qu'il lui faut pour vivre et pour mourir, son élan intérieur se ralentit. Mais il cesse par là même d'être un chercheur, il devient un sel insipide. Or il nous faut persévérer dans la recherche si nous voulons vivre, - car le germe qui ne se développe pas périt, - et si nous voulons agir, - car autrement nous nous ankylosons fatalement. Chercher, c'est rester dans le mouvement de la vie; rester dans le mouvement de la vie, c'est demeurer capables de la transmettre, car c'est notre inquiétude qui se communique à notre entourage, c'est sous ses vibrations répétées que l'inertie ambiante se met à frémir.

Cependant combien de chercheurs s'enlisent dans un point de vue, une opinion, une oeuvre, un programme ou un «mouvement»! Chez combien d'entre eux les ardentes pulsations de la vie intérieure s'affaiblissent peu à peu et s'arrêtent enfin, étouffées par les travaux ou les plaisirs de l'existence! Combien s'accommodent de l'état de choses actuel, estiment que son développement historique en garantit le droit et la vérité, et finissent par s'en déclarer satisfaits, puisqu'il est impossible d'y rien changer.

Il est un autre danger encore, c'est que notre recherche porte exclusivement sur la connaissance, et que l'élan intérieur qu'elle nous imprime reste théorique au lieu de se manifester dans notre vie. Souvent tout se passe en pensée seulement. L'illusion tient lieu de réalité, et ne produit rien de vivant. Les chercheurs n'exercent, en conséquence, aucune action vivifiante. Car les théories n'ont jamais réveillé personne. Sans doute on s'aperçoit que ceux qui les proclament s'efforcent d'en tirer pour eux-mêmes des éléments de vie nouvelle, mais comme ils continuent, en somme, à vivre exactement comme les autres, on les tient pour des poseurs, et on a raison.

D'autres ressentent très distinctement les impulsions de la vie nouvelle qui palpite en eux. Mais, soit timidité, soit indolence, soit égard pour autrui, ils ne les laissent point s'actualiser. J'ai connu beaucoup de chercheurs qui se figurent qu'il suffit de revêtir des dispositions nouvelles, d'acquérir des intérêts supérieurs et d'orienter vers le but leur vie intérieure. Ce sont là, pensent-ils, des éléments de progrès et d'action parfaitement compatibles avec la dévotion, la moralité, la ligne de conduite ordinaires. C'est là une erreur funeste que l'expérience devrait dissiper, car ceux qui en agissent ainsi piétinent sur place. Ils deviennent un sel insipide.

Enfin plusieurs manquent de fidélité envers eux-mêmes dans la crainte de nuire à la « bonne cause ». Ils mesurent leur attitude au degré de compréhension de ceux sur lesquels ils ont l'intention d'agir. Car ils tiennent à être appréciés des satisfaits. Aussi leur vie entière est-elle dominée par la préoccupation de l'effet persuasif et entraînant qu'il leur importe de produire. Ils en tuent ainsi, à leur insu, la spontanéité, la vigueur et l'originalité. Ils croient ne pouvoir qu'à ce prix être le sel de la terre, et peut-être acquiesce-t-ils en effet de l'influence sur les masses. Mais ils ont perdu leur saveur, et le nouveau devenir cesse de grandir en eux et par eux.

Notre élan intérieur, notre évolution et notre vie personnelles, la modalité particulière de notre recherche et de notre conduite, doivent s'affirmer et se déployer. Les contenir, c'est les étouffer. On ne saurait interrompre à volonté la relation entre la vie intime et la vie extérieure sans détruire la vie originelle qui veut s'accroître. Elle se résout alors en états d'âme, en réflexions édifiantes mais stériles, et c'en est fait de sa vertu. Combien se figurent que l'affection, l'obéissance, la vénération leur ordonnent de se montrer différents de ce que les ferait leur instinct profond, afin de ne pas scandaliser ceux qui leur sont le plus chers. Ils craignent de nuire à la bonne cause et à sa propagation en obéissant envers et contre tous aux impulsions et aux impératifs de la vie nouvelle. Alors commencent les marchandages, les accommodements, les combinaisons prudentes. Ils deviennent infidèles à leur caractère, renient la nature enfantine qui renaissait en eux, trahissant l'être originel qui faisait valoir ses droits, et détruisent la spontanéité des opérations vitales de laquelle tout dépend, leur évolution personnelle aussi bien que celle de l'humanité.

Il ne nous appartient ni de diminuer, ni d'augmenter intentionnellement le frottement qui résulte du contact entre ceux qui marchent et ceux qui restent stationnaires. Il ne nous est pas plus loisible, dans ce domaine, d'équilibrer, d'atténuer, de concilier, que d'accentuer, de renchérir, d'intensifier. Laissons s'exprimer involontairement et directement ce qui surgit en nous : que notre influence ne soit jamais voulue, mais immédiate et involontaire. Sinon, c'en est fait de nous et de notre action sur le monde.

Tout devient si simple quand nous consentons à ne rien forcer et à ne jouer aucun rôle, et nous bornons à nous placer dans les conditions voulues pour que le développement décrit dans les béatitudes s'accomplisse de lui-même en nous! Tout devient si simple dès que nous vivons directement de nos impulsions! Tout se gâte, au contraire, dès que notre vie procède de notre raisonnement, fût-il fondé sur une connaissance parfaite : «Si vous ne devenez comme des enfants, vous n'entrerez point dans le royaume de Dieu.»



Dernière édition par Lumen le Ven 21 Juin 2013 - 17:19, édité 2 fois

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Message par Maud Ven 21 Juin 2013 - 17:16

Merci Lumen de cette bonne nourriture pour notre âmeSmile

Amicalement
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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 17:28

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps


CHAPITRE PREMIER
LE POINT DE DÉPART

(Matthieu V, 3-19.)
2. La vocation des chercheurs. (Suite)
«Vous êtes la lumière du monde. »
Par leur seule présence, par leur vie qui rayonne au dehors, les chercheurs apportent tout naturellement au monde la véritable clarté, car en eux se révèle la vérité cachée sous les formes et les phénomènes, par eux est démasqué le monde des apparences dans lequel restent emprisonnées les âmes satisfaites. À la lumière de la vie nouvelle qui émane de ceux qui marchent, les yeux des endormis s'entrouvrent; ils aperçoivent ce qu'il y a d'anormal dans la vie où s'étiole leur être véritable, et dans les conditions d'existence qui entravent notre développement intégral. L'intuition du véritable état des choses, de la vocation réelle de l'homme, du sens et du but de l'évolution, de la puissance créatrice qui pousse l'humanité vers sa perfection, cette intuition vivante qu'aucune parole ne saurait produire, et de laquelle jaillissent aussitôt une aspiration, un élan vers le but, elle leur est communiquée directement par le spectacle de la vie des chercheurs, et par l'expérience personnelle de l'ordre de choses nouveau chez les hommes qui l'incarnent.

Cette démonstration est seule efficace; toute autre insensibilise et obscurcit. Tout ce qu'on nous enseigne est nuisible, tant qu'on ne nous en communique pas l'impression spontanée. Il faut que les hommes voient la lumière, pour constater qu'ils sont dans les ténèbres et pour se tourner vers la lumière. La sensation immédiate de la vie nouvelle peut seule créer la réceptivité qui y rend accessible. C'est sur cette loi de nature que repose la vocation universelle des chercheurs, dont la vie témoigne de ce qui naît et grandit en eux.

« Une ville située sur le sommet d'une montagne ne peut rester cachée. On n'allume pas une lumière pour la mettre sous le boisseau, mais on la pose sur un chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison.. »

Si le royaume de Dieu ne s'établit pas au moyen d'institutions extérieures, mais par l'effet de la vie personnelle, s'il ne se manifeste pas avec éclat, mais dans le secret, au sein de la vie quotidienne, « il n'y a rien de secret qui ne se découvre » cependant. Le ressort de notre vie ne peut rester ignoré, surtout lorsque nous occupons une position en vue. Or tous ceux qui se distinguent de la foule par un caractère spécial, se trouvent bon gré, mal gré, mis en évidence. Tel est le cas des chercheurs. Par le fait seul qu'ils se donnent ingénument pour ce qu'ils sont, et en dépit de leur réserve naturelle, ils attirent l'attention sur eux.

Cela est nécessaire, du reste, bien que cela ne doive jamais être intentionnel. Leur action sur le monde résulte précisément de l'impression particulière qu'ils produisent en raison de ce qu'ils sont, de la qualité spéciale de toutes leurs manifestations vitales.

Puis donc que leur action vivifiante dépend du rayonnement de leur être, il ne leur est point permis de le dérober aux regards. S'ils fuient le monde, le monde demeure dans les ténèbres. Combien d'entre eux cependant mettent leur lumière sous le boisseau au lieu de la faire luire dans la vie! Leur vie intérieure constitue un domaine à part; elle se dépense dans une activité déterminée, en vue d'intérêts particuliers, et s'y épuise tout entière. Pour les uns, c'est la religion; tous les élans provoqués en eux par leurs aspirations nouvelles, se concentrent dans la culture de leur vie intérieure, les exercices de piété et d'édification, la préoccupation de questions religieuses, la participation à la vie de l'Église : fonctions du coeur auxquelles manque la circulation du sang, dilettantisme religieux. Pour d'autres, le boisseau qui cache la lumière, c'est une méthode nouvelle de retour à la nature, une réforme d'un genre quelconque. Cette activité les absorbe, leur élan intérieur s'y épuise et reste sans action sur leur vie. Ils sont nombreux ces boisseaux sous lesquels se cache la lumière.

La place de notre lumière n'est pas sous le boisseau, mais sur le chandelier. Le chandelier, c'est la position particulière que chacun de nous occupe dans la vie : position familiale, professionnelle, mondaine, sociale, intellectuelle. C'est là notre sphère lumineuse, l'espace illimité dans lequel la force éclairante de notre être nouveau doit rayonner sans obstacles. Ceci ne concerne point uniquement ceux qu'on appelle communément les gens haut placés. Dans ce domaine, toute situation est importante, et le plus humble des travailleurs peut avoir parmi les milliers de compagnons qui sont les témoins de sa vie une sphère d'influence plus considérable qu'un savant illustre dont la vie personnelle n'exerce son action que dans un milieu restreint.

Si chacun est, à sa place, une manifestation vivante du nouveau devenir, la grande transformation qui s'accomplit chez les chercheurs ne peut rester cachée. Elle rayonne au dehors et allume dans les âmes un pressentiment qui les pousse à chercher à leur tour. Ce mode de diffusion de la vie nouvelle en garantit l'influence permanente aussi bien que le succès réel. Quand on l'a compris, on s'explique pourquoi Jésus a considéré toute méthode extérieure de propagande comme une tentation qui devait être repoussée, et dans l'intérêt même de l'intégrité de la nouvelle création, a limité l'action des chercheurs au seul rayonnement de. l'être nouveau.

«Que votre lumière luise donc devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et louent votre père qui est aux cieux. »

Si nous laissons transluire ce qui brûle en nous, on percevra Dieu dans notre personne et dans l'oeuvre de notre vie. Car du premier éveil de notre inquiétude jusqu'à l'éclosion de la vie nouvelle en nous, tout n'est que vibration, impulsion, opération de la puissance créatrice qui pousse l'humanité vers son achèvement. Si donc Dieu est. manifesté par notre être et par notre vie, l'humanité prend conscience de sa présence qui lui devient sensible dans la personne de quelques-uns de ses membres. La gloire du Dieu invisible transparaît dans ses créatures en sorte que ceux qui en sont témoins rendent hommage au Père de toute vie originelle.

Si c'est à nous que s'adressent leurs louanges et non à Dieu, cela tient évidemment à ce que nous ne l'avons pas mis en lumière nettement et pleinement. Il est évident que cela aussi dépend de la spontanéité avec laquelle la vie nouvelle se manifeste en nous et par nous. Pour peu que cette spontanéité soit compromise, le divin s'obscurcit dans notre âme. Quand nous essayons de remplacer par quelque chose d'analogue ce qui ne surgit pas spontanément en nous, nous «profanons le nom de Dieu» et nous ne faisons ainsi que gâcher et détruire. Aussi n'y a-t-il qu'un conseil à donner à tous ceux qui sentent combien insuffisamment luit leur lumière : Brûlez; veillez à entretenir en vous la flamme intérieure, ne fût-ce que l'ardeur obsédante qui aspire à la vérité, et la douleur de ne rien trouver en vous qui vous satisfasse.

Il serait temps de reconnaître cette loi de l'évolution nouvelle et de comprendre combien est illusoire notre méthode actuelle de propager et de soutenir la foi chrétienne. Elle diffère absolument de celle que Jésus nous indique ici. On défend un point de vue, on lutte pour une croyance, on se meut dans les ténèbres des notions théoriques, tandis que le seul moyen de prouver Dieu, c'est de le faire éprouver. N'apprendrons-nous pas enfin à garder lé silence au sujet de notre Dieu pour le laisser parler lui-même par ses créations de vie?

En tout cas, la méthode courante est étrangère à l'esprit de Jésus : elle n'est en effet qu'un effort stérile pour suppléer à notre incapacité de faire naître chez les autres l'expérience de Dieu; elle est donc fausse en soi. Aussi ne peut-elle que blaser ceux auxquels elle s'adresse, en même temps qu'égarer ceux qui la pratiquent. Le fait que cette manière de « rendre témoignage » à notre foi a reçu la sanction de l'histoire et même de l'organisation ecclésiastique, n'en modifie point le résultat funeste. La sincérité et le zèle de ceux qui s'y livrent n'y changent rien non plus. Car nous sommes en présence de la loi de nature qui veut que nous ne puissions saisir aucune vérité en dehors d'une expérience correspondante. C'est pourquoi la vie divine éclatant dans la personnalité humaine avec la spontanéité d'une force de la nature est l'unique argument qui convaincra les hommes de notre temps; et ceux-là seuls qui en ont fait l'expérience ont le droit de s'en faire les interprètes.

Les deux similitudes du sel et de la lumière ne nous indiquent pas seulement le vrai mode de propagation du règne de Dieu dans l'humanité, elles nous montrent du même coup le mode de croissance de l'être nouveau chez les chercheurs. L'un n'est que l'envers de l'autre.

Ce qui ne fonctionne pas normalement ne saurait pas non plus croître normalement. Ce ne sont pas seulement les obstacles extérieurs qui portent atteinte à la croissance de l'être originel. Il s'étiole et dépérit aussi lorsqu'il doit supporter le poids artificiel d'une activité voulue qui ne procède pas directement de lui. Dans le premier cas, son développement est arrêté par le manque d'espace; en conséquence, il s'affaiblit et dégénère, sa sève s'épuise en états d'âme malsains, en réflexions, en rêveries, pour se retirer enfin et tarir. Dans le second cas, c'est un élément de fausseté qui s'insinue en lui et le corrompt; un désaccord se produit entre le vouloir et le pouvoir, entre l'opinion que l'on se fait de soi-même et ce qu'on est en réalité. On succombe à la tentation de chercher à remplacer par des efforts de volonté la puissance qui fait défaut; on perd le sens délicat de la contradiction entre l'original et l'artificiel; on cesse d'éprouver du malaise à paraître ce qu'on n'est pas et une répugnance instinctive pour tout ce qui est le produit d'un zèle factice, d'un raisonnement. Le levain de l'hypocrisie pénètre ainsi toujours plus profond et tue la vie originelle.

La meilleure volonté, les intentions les plus sincères, la Piété la plus fervente n'y changent rien. Dans ce domaine aussi règne la rigueur inflexible de la nature, de la vérité, de la sainteté divine. Gardez-vous donc, ô chercheurs, de devenir un sel affadi et de perdre toute action sur le monde en vous perdant vous-mêmes. Gardez-vous de la méthode que préconisent les satisfaits et qui est, à leurs yeux, la seule bonne, et restez fidèles à votre caractère de franche spontanéité, à la vie impulsive qui procède directement et nécessairement de votre évolution nouvelle.

 

 

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 17:41

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps


CHAPITRE PREMIER
LE POINT DE DÉPART

(Matthieu V, 3-19.)
3. La ligne de conduite des chercheurs.


«Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Car, en vérité, jusqu'à ce que passent le ciel et la terre, il ne disparaîtra de la loi ni un iota, ni un seul trait que tout ne soit accompli.»

La critique a contesté à maintes reprises l'authenticité de ce passage, pour des raisons d'ordre interne. Elle y a vu l'expression de la fidélité à la loi qui régnait dans l'Église primitive. Cette opinion ne serait justifiée que si cette déclaration de Jésus était en contradiction avec sa conduite personnelle ou si elle n'était pas motivée par les nécessités de son ministère. Or, tel n'est point le cas. Jésus n'a jamais cherché à abolir la loi; il a toujours conservé à son égard une attitude parfaitement respectueuse. D'autre part, sa déclaration fait l'effet d'une prise de position catégorique et inévitable. En effet, du moment que le but qu'il pour suivait se précisait aux yeux de tous, elle devenait obligatoire, et pour ses disciples en particulier, indispensable. Si la critique s'achoppe à ces paroles, cela tient à ce qu'elle les comprend machinalement. Dès que nous les considérons à la lumière de la situation historique donnée, nous nous rendons compte de leur relation organique avec les autres passages du Sermon sur la montagne, et leur portée permanente nous apparaît avec évidence.

Plus était puissante l'impression produite par les choses nouvelles que Jésus apportait au monde, plus aussi il était naturel de supposer qu'en présence de l'ère divine qui s'ouvrait, tous les étais du passé perdaient leur raison d'être. C'est là une tendance générale de l'esprit humain : on croit devoir frayer la voie à l'évolution nouvelle en démolissant ou, tout au moins, en réformant ce qui a précédé. À cela s'ajoutait, dans l'esprit des Juifs, la promesse d'une alliance nouvelle de Dieu avec son peuple. Or la loi ne tenait aucune place dans la prédication de Jésus qui ouvrait au salut des voies inconnues. Quelle position fallait-il donc adopter à l'égard de ce régime ancien? Ne devait-il pas être aboli pour faire place à l'ordre de choses nouveau? Jésus s'oppose énergiquement à cette conception : « je ne suis pas venu abolir la loi et les prophètes, mais les accomplir.»

La loi et les prophètes, c'est ainsi que les Juifs désignaient habituellement leur Bible, le témoignage des révélations de Dieu dans le passé et, par suite, l'ensemble des institutions religieuses, Morales et politiques dont elles étaient la base. Jésus n'entendait ni abolir, ni même ébranler les fondements séculaires et traditionnels de la vie de son temps, mais les accomplir. Les paroles suivantes expliquent sa pensée. En proclamant solennellement l'immutabilité de la loi « jusqu'à ce que passent le ciel et la terre », Jésus ne lui assigne point un terme fixe; il se sert simplement d'une locution courante chez les juifs pour en marquer le caractère inviolable et inéluctable. Il veut donc dire : il est tout à fait impossible que la loi perde rien de sa valeur «avant que tout soit accompli ». Ainsi, sa déclaration absolue devient conditionnelle.

Par accomplir, Jésus entend certainement amener cette complète réalisation. il s'agit donc pour lui de réaliser pleinement le sens et l'intention de chacune des ordonnances et des dispositions de la loi, et de lui attribuer le rôle que Dieu lui réservait en vue du salut d'Israël. Comment Jésus se représentait-il cet «accomplissement»? il n'est guère possible de le préciser, mais que ce fût là pour lui le sens de ce mot, nous n'en pouvons douter.

Jésus avait compris que la loi et les prophètes n'avaient pas leur fin en eux-mêmes, mais tendaient à un régime nouveau riche de possibilités infinies. La loi, il est vrai, ne l'indiquait pas d'une façon précise. Cependant les préceptes du décalogue, par exemple, esquissent une morale qui implique un état de la personnalité produisant spontanément la conduite conforme à la volonté de Dieu. Jésus avait l'intuition de ce rôle pédagogique de la loi, tel que l'apôtre Paul l'exposa clairement plus tard dans l'Épître aux Galates. Chez les prophètes, cet acheminement vers un avenir espéré s'exprime plus distinctement que dans la loi leur attente et leurs efforts allaient trouver leur réalisation. 

Quand cet accomplissement se réalise, la loi et les prophètes ne perdent nullement leur prix, mais leur signification n'est plus la même. Ils deviennent superflus; il est par conséquent inutile de les abolir, tout comme il est vain d'abroger des lois surannées. La vérité que Jésus formule ici, il l'a vécue. Il n'a voulu ni révolutionner, ni réformer. Il n'a porté atteinte ni aux usages religieux, ni aux lois morales, pas plus qu'à l'ordre social ou aux institutions existantes, mais il est entré comme un élément tout nouveau dans le judaïsme de son temps et dans la vie de son peuple en créant un état nouveau de la personnalité. Comment l'expansion de cette vie nouvelle réagirait-elle sur l'état spirituel, social et politique d'Israël? Il ne s'en mettait point en peine. Il n'y avait pour lui qu'une issue possible : accomplir la loi et les prophètes. Nul n'a mieux compris et exposé ce principe et cette attitude de Jésus que l'apôtre Paul, il n'y a pas de meilleur commentaire de Matthieu, ch. 5, v. 17, que Galates, ch. 4, v. 2-5.

De ce qui précède ressort tout naturellement l'énergique avertissement dans lequel Jésus indique à ses disciples la conséquence pratique du principe qu'il vient de poser :

«Celui donc qui viole l'un de ces moindres commandements et enseigne ainsi aux hommes à les violer, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux, mais celui qui les pratique et les enseigne, sera appelé grand dans le royaume des cieux. »

Si le royaume de Dieu est avant tout un «accomplissement», ce n'est pas en ébranlant les institutions existantes que nous en hâterons la venue, mais en en réalisant dans notre vie le véritable sens et en incitant les autres à le faire. Car nous devenons ainsi des agents de la grande transformation qui doit créer une organisation nouvelle de la vie.

Telle est la ligne de conduite que Jésus prescrit à ceux qu'il jugeait «aptes au royaume de Dieu » et qui se demandaient anxieusement quelle valeur conserveraient dans l'avenir les institutions divines du passé et quelle position ils avaient à prendre à leur égard. Mais en quoi ces instructions concernent-elles les chercheurs d'aujourd'hui?

Pour le comprendre il faut nous efforcer de dégager clairement la signification universelle et la portée permanente des éléments de vie qui avaient trouvé leur expression judaïque dans « la loi et les prophètes ». Car si le contenu de la loi et des prophètes n'était qu'un produit du sol juif, ne correspondant à rien d'essentiel dans l'âme humaine à toutes les étapes de son histoire, les instructions de Jésus à ce sujet n'auraient plus pour nous aucun intérêt vital. Or tel n'est pas le cas.

La loi et les prophètes résumaient pour l'Israélite toutes ses obligations religieuses, morales, sociales et politiques, tous ses intérêts les plus élevés, tous ses idéals. Prises dans leur sens profond et largement humain, les paroles de Jésus ne se rapportent donc point en dernière analyse à Moïse et aux prophètes, mais à toutes les institutions et à tous les éléments de notre vie élaborés par les siècles et subsistant partout où les hommes sont groupés en tribus ou en peuples. Ce seront donc pour nous l'Église et l'école, nos institutions sociales et politiques, notre jurisprudence, les rapports de l'État avec les individus, les usages nationaux et les conventions mondaines, bref, tout le régime actuel et les mouvements qui se manifestent dans ces divers domaines; mais aussi les conceptions de notre temps et les luttes auxquelles elles donnent lieu, notre culture et les efforts qu'elle inspire, nos ambitions nationales et notre vie politique.

En face de toute cette organisation de la vie actuelle, telle qu'elle s'est développée historiquement, l'Évangile annonce à ceux qui en font l'expérience vivante, la venue d'une ère nouvelle. Nous allons au-devant d'un ordre de choses essentiellement différent de celui qui a régné jusqu'ici, et qui restait compatible avec la tradition du passé.

Pour en être convaincu, pour connaître l'obsession des problèmes que cette opposition pose aux chercheurs d'aujourd'hui comme à ceux d'autrefois, il ne suffit pas, il est vrai, d'être d'accord en principe avec le point de vue que nous exposons. Il faut s'être engagé dans le chemin que Jésus a découvert et indiqué, il faut être ainsi devenu en quelque mesure participant de la vie originelle. Ceux-là seuls qui ont passé par ce bouleversement radical, par une véritable renaissance de leur moi, peuvent se faire une idée de cette rénovation de l'humanité et pressentir le contraste qu'offriront le régime nouveau, sa nature, son caractère avec l'état de choses que nous ont légué les temps écoulés.

L'humanité, telle que nous la connaissons, soit dans son ensemble, soit dans ses membres isolés, est encore un chaos qui attend son fiat lux. La force motrice de son évolution, c'est l'élan qui la presse d'échapper à la confusion personnelle et générale pour se constituer en un organisme vivant et harmonieux et parvenir ainsi à une existence véritablement humaine. Dès ses origines, l'instinct de conservation lui a fait sentir la nécessité d'une organisation solide et d'une discipline rigide, destinées à combattre l'influence destructive de l'anarchie des esprits et des instincts, en les domptant, les limitant et les ordonnant de manière à en tirer parti. L'histoire du monde est ainsi devenue l'épopée du combat de l'homme contre le chaos de l'humanité. Les États, les législations, les institutions civiles ne se sont créés qu'en vue d'une organisation parfaite de la vie commune, nécessaire à la prospérité individuelle et collective. Toutes les religions, tous les moralistes travaillent à vaincre le désordre chez les individus et à discipliner les peuples. Nos mœurs et nos idéals, toute notre culture intellectuelle aussi bien que l'économie politique et les conventions internationales ne visent qu'à ce seul but.

Mais en dépit de ces tentatives dont nous ne saurions trop admirer l'extension et les ramifications infinies, le constant perfectionnement et les résultats extraordinaires, l'humanité, dans son fond le plus intime, est restée un chaos que les efforts les plus passionnés n'ont point réussi à transformer en un cosmos vivant. Tout l'effort de l'esprit humain pour féconder les aspirations des peuples est resté impuissant à en faire éclore l'être et la vie véritables, capables d'affranchir l'humanité de sa misère, et toutes leurs conceptions philosophiques les plus hautes comme leurs créations artistiques les plus merveilleuses n'ont été que les mirages de leur attente inquiète qui trompaient un instant leur soif de rédemption.

Jésus, lui, est l'aurore de la nouvelle création et de la rédemption de l'humanité, le début d'une évolution de la vie profonde qui veut transformer le désordre hétérogène et anorganique en un organisme vivant et homogène. Si donc nous pressentons dans les aspirations douloureuses de notre siècle les angoisses de l'enfantement d'une humanité nouvelle, si nous ne voulons pas le voir avorter comme tant de fois jusqu'ici, si nous sommes prêts à tous les sacrifices pour permettre à la semence répandue par Jésus de lever enfin, une des questions les plus urgentes à résoudre sera celle de la position que nous avons à prendre à l'égard de tous les facteurs constitutifs de notre culture contemporaine, tels qu'ils se sont développés au cours de l'histoire. Devons-nous les combattre comme s'étant montrés inefficaces, et chercher à les détruire? Devons-nous les transformer «selon l'esprit de Jésus » et les faire servir à une organisation nouvelle de la vie? Faut-il révolutionner et abolir? Faut-il réformer et christianiser? S'il est une tentation actuelle pour les chercheurs de nos jours, c'est bien celle-là, et nous y succombons tous, me semble-t-il, jusqu'au moment où retentit en nous cette parole de Jésus: 

« Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.»

La connaissance que nous avons acquise du caractère et de la signification de nos agents de culture actuels, d'une part, et du dessein de Jésus, de l'autre, nous permet de saisir cette parole dans toute sa profondeur et toute son étendue. Il serait insensé que le mouvement qui prétend faire du chaos un cosmos par l'action pénétrante d'une vie nouvelle, commençât par abolir les institutions qui le réfrènent et par renverser les soutiens qui le préservent de la destruction. On ne saurait provisoirement s'en passer; ils conservent l'humanité en vue de son épanouissement intégral, et grâce à eux la situation reste en quelque mesure supportable. Ils doivent être maintenus jusqu'au moment où la création de l'humanité nouvelle les rendra superflus, c'est-à-dire pour employer l'expression même de Jésus : «jusqu'à ce que tout soit accompli». Ces digues protectrices demeurent indispensables même au point de vue de l'oeuvre entreprise par Jésus, car en disparaissant, elles laisseraient les germes de vie qui doivent en assurer la réalisation, à la merci des flots déchaînés de ce sinistre chaos.

C'est donc une erreur funeste que d'attaquer, de chercher à bouleverser ou même à supprimer au nom du Christ les institutions existantes, comme l'a fait Tolstoï, par exemple. C'est méconnaître non seulement leur nature et leur signification, mais surtout le but poursuivi par Jésus. Évidemment, c'est par la lutte entre les choses anciennes et les choses nouvelles que se réalisent tous les progrès qui s'accomplissent dans le monde. Mais il en est autrement du royaume de Dieu, car il n'est pas un progrès. Il ne peut être question de progrès que dans les choses de même nature. Or, le royaume de Dieu est d'un autre ordre, unique. Il n'entre en conflit avec ce qui l'a précédé qu'en faisant toutes choses nouvelles.

Au cours des luttes passionnées entre l'ordre ancien et l'ordre nouveau, dont l'histoire nous offre le spectacle, le progrès ne s'est jamais effectué que par une série de compromis entre l'un et l'autre et il fallait ensuite tout un travail de dissociation pour en dégager les éléments utilisables et viables. Ce n'est pas ainsi que la vie originelle surgit dans l'humanité. On ne la produit pas artificiellement; elle naît lorsque les semences de vérité lèvent dans une âme que son ardente aspiration a préparée à les recevoir. Il en est de même de sa propagation : elle est l'effet d'un développement homogène, d'une transformation.

Que ceux qui s'efforcent de suivre les traces de Jésus renoncent donc à tout travail de démolition : critique, polémique, abolition, révolution, pour autant du moins qu'ils veulent servir à l'avènement de la véritable humanité. Ce est pas ainsi que se crée l'ordre nouveau. Le devenir seul est créateur, et la vie, qui fait surgir des réalités nouvelles. La constitution future de l'humanité a son origine dans les profondeurs cachées de la vie personnelle et ne dépend pas de telle ou telle organisation de nos conditions d'existence. Quelque forme qu'aient donc assumée dans un peuple «la loi et les prophètes », laissons-les subsister en paix, aussi longtemps que cela est possible. La vie nouvelle est une semence jetée parmi nos conditions anciennes. À mesure qu'elle s'y épanouira, elle créera une organisation nouvelle de la vie qui rendra tout naturellement superflues les institutions surannées; elles s'écrouleront, ou voleront en éclats sous son action victorieuse.

Ne nous attaquons donc point à l'édifice social. L'avènement de l'homme véritable rendra insoutenable tout ce qui il y est pas digne de lui. En quoi l'ordre social actuel entraverait-il la vie de communion qui doit s'instaurer parmi les hommes? Il ne saurait empêcher des relations toutes nouvelles de s'établir entre supérieurs et subordonnés, patrons et ouvriers, par exemple; au contraire, il tombera lui-même en désuétude, dès que ces relations se seront créées. Et l'Église, quel que soit l'état de choses qui y règne, pourrait-elle retarder la venue du royaume de Dieu, quand la vie nouvelle se répandra dans les âmes? Il se peut qu'elle devienne superflue, il se peut aussi qu'elle subsiste, refuge d'un culte et d'une religiosité superstitieuse. Il serait absurde, en tout cas, de chercher à l'anéantir pour faire place au royaume de Dieu. Mais surtout à quoi bon lutter contre un point de vue ou une doctrine? Lorsque se lèvera la lumière, c'est-à-dire la vie dans sa vérité, lis pâliront tous devant ce soleil divin. 

Mais si l'entreprise de Jésus n'est point le renversement de l'ordre de choses existant, elle n'en est pas davantage le parachèvement ou le redressement. Elle tend à une nouvelle création, à la révélation de la nature originelle de l'homme et à son déploiement dans tout ce qui est humain. Aucune puissance civilisatrice ne saurait les produire, mais seule une impulsion créatrice jaillissant des profondeurs de l'être. Aussi pour mesurer l'intelligence que nous avons du dessein de Jésus, suffit-il de nous demander si nous cherchons à utiliser à cet effet nos institutions et nos moyens de culture et à les réformer « selon son esprit». Car rendons-nous-en compte : les expédients, les mesures de défense contre le chaos, réussissent tout au plus à protéger l'ordre nouveau, ils ne sauraient le susciter; il vient sur une voie toute différente, celle que nous montre le Sermon sur la montagne.

N'en concluons pas cependant que Jésus ait voulu déclarer inamovibles toutes les institutions existantes. il y a entre la loi juive et les constitutions de tous les autres peuples civilisés une différence notable : l'histoire de la première achève avec sa clôture, elle reste dès ce moment immuable et intangible, tandis que celles-ci n'ont point cessé de se développer et de progresser. Aussi Jésus ne pouvait-il confirmer l'importance de la loi et la préserver de toute tendance dissolvante qu'en maintenant la valeur absolue de chaque iota et de chaque trait de lettre; tandis que, comprise dans son sens largement humain, sa déclaration ne se rapporte qu'aux institutions existantes, comme telles, mais ne s'oppose en aucune façon à leur évolution progressive et continue chez la plupart des peuples.

Ne concluons pas non plus des paroles de Jésus que nous devions adopter une attitude d'indifférence envers l'ordre de choses existant. Comment resterions-nous indifférents à l'égard de ce qu'il a si catégoriquement maintenu et cherché à préserver de toute attaque? Bien au contraire, dans l'intérêt de l'humanité nous appliquerons tout notre effort à perfectionner les institutions qui doivent la sauvegarder et la discipliner, afin de rendre supportable sa situation provisoire. Nous participerons activement à toutes les réformes, mais - c'est là le point - sans jamais nous figurer qu'elles puissent favoriser, ni même hâter l'avènement de la vie nouvelle.

Nous ne prêtons point ici aux paroles de Jésus un sens qui leur serait étranger. Quand bien même toute réforme n'impliquerait pas une sorte d'abolition, toute tentative de hâter l'évolution humaine à l'aide des éléments de culture actuels, ou en formation, resterait contraire à l'attitude constante de Jésus. Cela ressort de la troisième tentation, dont l'enseignement négatif trouve dans ce mot : « non pas abolir mais accomplir », son complément positif. En la repoussant, Jésus a renoncé à fonder le royaume de Dieu au moyen des agents de culture et des puissances civilisatrices qui avaient élevé l'humanité si haut et avaient créé de si grandes choses. Dans la parole que nous rappelons, il marque la relation de l'évolution nouvelle avec ces agents et ces puissances : elle les accomplira.

Mais accomplir n'est point perfectionner. Le mot «accomplir» concerne le but même auquel tendent les institutions, les puissances civilisatrices, les productions intellectuelles, et non les moyens insuffisants mis en oeuvre jusqu'ici, les freins, les formes et les appuis d'un agrégat anorganique. L'organisme vivant, le cosmos harmonieux que Jésus vient faire surgir du chaos, n'aura que faire des freins, des formes et des appuis. Ils sont tous des secours en cas de détresse : accomplir c'est supprimer la détresse. Ils sont des préservatifs contre les maux : accomplir c'est délivrer de tout mal. Ils sont des instruments d'éducation et de progrès : accomplir c'est faire grandir spontanément l'humanité jusqu'à ses proportions normales. Ils représentent des principes moraux destinés à dompter les instincts : accomplir, c'est élever la vie instinctive à la pleine réalisation de sa destinée. Ils sont des limites posées à l'arbitraire : accomplir, c'est conduire à la vie jaillissant d'une nécessité intérieure. Sous tous les points, les lois naturelles de l'être originel doivent se substituer ainsi aux lois extérieures et artificielles.

Cet « accomplissement» doit donc réaliser la fin suprême de tous les éléments de culture, fin qui dépasse tellement leur sphère d'influence que nous la pressentons à peine, et sommes, par conséquent, bien loin de l'avoir atteinte. Il surpasse toute l'intelligence qui les a conçus, car il fera surgir spontanément ce qu'ils ont cherché péniblement à produire. L'organisation du chaos appartiendra toujours à une tout autre sphère que l'organisme nouveau de l'être originel. Mais cet organisme vivant dont la croissance est spontanée, est l'accomplissement même de toute organisation, de la plus inférieure comme de la plus haute. Cependant si tous nos éléments de culture ne sont que des pis aller, ils trahissent, par ce fait même, notre détresse et nous promettent un temps et un état de choses où ils deviendront, non pas suffisants et parfaits, mais superflus. L'ère nouvelle inaugurée par Jésus sera la réalisation de cette promesse. Elle actualisera nos aspirations et nos idéals, mais cela uniquement par le moyen d'un nouveau devenir. Que les chercheurs consacrent donc à ce devenir tout leur effort! C'est sur cette vole seulement qu'ils en hâteront l'épanouissement.

L'accomplissement, nous l'avons vu, n'abolit point, mais rend superflu; il ne le fait toutefois que dans la mesure et dans les limites Où il s'effectue véritablement. Il faut que l'émancipation des formes, des barrières et des appuis soit l'effet d'une supériorité positive : ce n'est que lorsque nous aurons atteint une sphère de vie qui nous dégage et nous délivre de la manière de vivre à laquelle tous ces moyens de culture sont proportionnés, accommodés et indispensables, qu'ils perdront pour nous toute signification. Tant que nous n'en sommes pas là, les freins et les leviers nécessaires à notre état chaotique et à notre existence anorganique, ont un droit absolu de subsister et nul ne doit se permettre de les ébranler ni de les abolir.

Illustrons ce principe en l'appliquant à un cas donné. Lorsque les institutions existantes compriment et paralysent en nous la vie nouvelle en formation, nous avons le droit de réclamer pour elle l'espace nécessaire, de ne tenir aucun compte des limitations et de nous insurger contre ce qui lui fait obstacle. Mais cela seulement dans la mesure où l'ordre nouveau s'est réellement installé en nous, et où ses progrès dépendent de notre affranchissement. Car chacune de ces étapes a sa raison d'être «Jusqu'à ce que tout soit accompli ». La perspective de voir un jour notre développement entravé par elles, ne nous donne nullement le droit de nous en affranchir: le fait de leur accomplissement seul nous y autorise.

La conséquence que Jésus tire ici du principe qu'il a posé: «non abolir, mais accomplir», nous apparaît donc parfaitement claire et lumineuse; quiconque fait oeuvre de critique, de polémique, de démolition ou de réforme, reste sans valeur pour l'ordre de choses nouveau, quelle que soit d'ailleurs l'importance immense qu'il puisse avoir pour le bien de l'humanité. Car il s'agit ici de l'enfantement des temps nouveaux par l'être humain vivant de sa vie originelle. Mais ceux dont le devenir, la vie personnelle, l'existence tout entière réalisent l'état de choses auquel tendent, sans jamais l'atteindre, tous nos moyens de culture, ceux-là ont du prix pour la véritable évolution humaine. Quiconque, par conséquent, appartient, ne fût-ce que dans une mesure infime, à l'ordre nouveau, est «plus grand que Jean-Baptiste », que Jésus déclare cependant être «le plus grand de ceux qui sont nés de femme»; c'est-à-dire qu'il a pour l'humanité plus de valeur vitale que les plus remarquables de ceux qui appartiennent encore à l'ordre ancien.

En nous conformant à la ligne de conduite qui nous est ainsi tracée, nous éviterons une perte considérable de temps et de forces. Car nous ne bataillerons plus, dans l'intérêt de l'évolution nouvelle, avec les facteurs de culture traditionnels qui ont jusqu'ici façonné et soutenu la société humaine, comme s'ils avaient pour elle une portée quelconque. Nous nous consacrerons plutôt tout entier à l'ordre nouveau qui veut s'établir en nous en obéissant à toutes ses impulsions et en satisfaisant à toutes ses exigences. Le principe posé. Par Jésus revient à dire : Ne vous mettez pas en souci des institutions existantes et des puissances qui régissent votre vie actuelle; une seule chose est nécessaire, les accomplir. Nous ne nous laisserons donc plus tenter d'ériger les temps nouveaux à l'aide de leviers anciens; de chercher à éveiller et à façonner l'être véritable par telles méthodes éducatives, tels procédés de culture. Car nous aurons compris que la vie nouvelle est d'un autre ordre que l'ancienne et que tout ce qui pouvait être favorable à l'une, devient insuffisant pour l'autre. Nous la laisserons germer dans les profondeurs cachées de l'être humain, se développer selon ses lois innées et ses forces intrinsèques et se manifester selon sa nature propre. Ainsi s'accomplira ce à quoi la nature humaine n'a cessé d'aspirer, sans que soient compromis en aucune façon les éléments de culture séculaires; bien au contraire, l'ordre nouveau en réservera expressément les droits et leur conférera leur plus haute valeur vitale.

Cette règle de conduite, en préservant les chercheurs de nombreux errements, assure du même coup l'avènement progressif de l'humanité véritable; car en prévenant toute imitation de l'ordre nouveau par l'ordre ancien, elle garantit l'authenticité et l'intégrité de la création nouvelle. On ne prendra plus les organisations factices de l'existence anorganique pour des organismes vivants. Les produits artificiels ne passeront plus. pour des créations originales, les résultats d'un effort moral pour les fruits de la vie nouvelle, et l'on ne confondra plus les uns avec les autres. Car on n'essaiera plus de contrefaire ce qui n'éclora pas naturellement; on s'efforcera simplement de se placer dans les conditions intérieures nécessaires, puis on attendra ce qui doit venir.

Si nous rapprochons ces enseignements de Jésus, et les conséquences qui en découlent, des indications que nous ont données les béatitudes sur le développement de la vie nouvelle dans les âmes réceptives, et sur le destin et la vocation des chercheurs, nous distinguerons avec une clarté parfaite la manière dont le royaume de Dieu doit s'établir ici-bas. Aussi quand, dans la suite, se posera pour nous, à plus d'une reprise, la question de Nicodème: «Comment cela peut-il se faire? », n'aurons-nous qu'à regarder en arrière pour être renseignés.

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 17:51

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps

CHAPITRE II
LA MORALE NOUVELLE
(Matthieu V, 20-48.)

Dans le passage qui va nous occuper, Jésus passe du principe général qu'il vient de poser à son application à la vie morale personnelle.

Car je vous le dis, si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume de Dieu.»

Jésus n'entend pas ici engager ses disciples à prendre le pas sur les pharisiens et les scribes. Il leur propose une justice de nature toute différente, supérieure à celle 'que pratiquaient les représentants officiels de la religion et de la morale, et dont l'accomplissement déborde l'idéal insuffisant auquel avaient tendu jusque-là leurs efforts. Cette justice nouvelle leur est indispensable pour entrer dans le royaume de Dieu, car il y faut une morale conforme à la nature de ce royaume, c'est-à-dire portant le caractère de l'être originel.

La morale des scribes et des pharisiens visait à dompter et à discipliner la nature humaine encore barbare; celle du royaume de Dieu est la morale spontanée de la nouvelle créature. Là où elle apparaît, se réalise le sens profond des commandements, s'accomplissent la loi et les prophètes là est le royaume de Dieu.

Si l'oeuvre de Jésus avait consisté, comme on l'enseigne, en une obéissance qui satisfit pleinement aux lois morales du mosaïsme, lui-même ne serait point entré dans le royaume de Dieu, car il n'aurait fait que porter à son point culminant la morale de l'ordre ancien; il ne l'eût pas accomplie. Son rôle a consisté, au contraire, à réaliser avec une splendeur immaculée la vérité absolue de l'être humain, et c'est là ce qui fait de lui la pierre angulaire de l'humanité nouvelle.

Si donc notre ambition se borne à surpasser les plus honnêtes, les plus austères, les plus pieux et les plus nobles de nos contemporains, nous restons, quelque excellents que nous puissions être d'ailleurs, dans le domaine de l'ordre ancien, nous n'avançons pas d'un pas sur la voie de la véritable évolution humaine. C'est une morale tout impulsive qu'il nous faut. Elle n'aura ce caractère que lorsqu'elle sera, non l'effet de notre travail sur nous-mêmes, mais celui de notre nouveau devenir. Elle doit être « le digne fruit de notre con version». Alors elle sera du même coup le témoignage du règne de l'être originel en nous. C'est là ce qui distingue l'état moral des satisfaits, à quelque stade qu'ils soient parvenus, de l'état moral des chercheurs, des « devenants », quel que soit leur degré de maturité.

Tout le passage suivant (Matthieu, ch. 5, v. 20-48) traite de cette morale nouvelle, et non pas d'une nouvelle loi. Jésus y développe, sur certains points spéciaux, ce qu'il entend par «accomplir» les commandements, non point les observer d'une manière irréprochable, mais les réaliser selon le principe posé plus haut. Ne voir dans cet accomplissement qu'une observation plus profonde, plus intérieure, plus spirituelle de la loi, c'est prouver qu'on n'a pas compris Jésus. il eût, dans ce cas, réformé, non accompli. Il eût renforcé les exigences de la loi, il ne les eût point rendues superflues. Il eût renchéri sur l'idéal des pharisiens et des scribes, il l'eût peut-être transfiguré et élevé à l'infini, il n'eût point révélé une vie nouvelle devant laquelle pâlit cet idéal, même porté à sa perfection.

Les déclarations qui vont suivre ne sont donc pas de nouveaux commandements. On ne saurait exiger de personne une nature spéciale portant ses fruits particuliers. Ce que nous sommes ne dépend point de notre volonté, et notre caractère individuel se rit de nos efforts sur nous-mêmes. On ne peut, dans ce domaine, que nous éclairer et nous montrer la vole. C'est ce qu'a fait Jésus dans les béatitudes, dans les similitudes du sel et de la lumière, et par toute la ligne de conduite qu'il nous a tracée. Nous nous sommes efforcés de suivre pas à pas ses indications. Maintenant, il nous fait jeter un coup d'oeil sur la terre nouvelle que Dieu nous prépare. Il ne nous impose donc point de nouveaux fardeaux, mais il nous découvre les perspectives de l'évolution nouvelle qui a commencé en nous.

Aussi ces instructions ne sauraient-elles concerner tous les hommes indistinctement, - sous peine d'être taxées avec raison d'«exigences insensées » et de « paradoxes extatiques », - mais uniquement ceux qui cherchent, ceux qui sont en marche. Dans cette parole : « Mais moi je vous dis», l'accent tombe aussi bien sur le vous, opposé aux autres hommes, que sur le moi, opposé aux anciens. C'est dans ce sens spécial qu'il faut comprendre tous les développements ultérieurs.

Jésus s'adresse à ceux qu'il a salués dans les béatitudes et leur apporte un message non moins joyeux. Il étale à leurs yeux la beauté et la richesse inépuisable des puissances qui sont en germe en eux. Ils ne les possèdent peut-être que comme un talent qui leur est confié et qui doit être mis en valeur. Mais avec la croissance de l'être originel, l'aptitude se développe et la capacité grandit, par le fait seul de l'exercice et de l'expérience. Le «pouvoir » nouveau dont il s'agit ici ne peut procéder que d'un état nouveau de la personnalité, mais il en procède directement.

Il ne s'agit donc point en réalité dans ce qui va suivre des dix commandements, mais de divers aspects de la morale nouvelle et, qui plus est, non de son contenu, mais de son essence, non du quoi, mais du comment. Jésus veut faire ressortir le contraste absolu que présentent la justice ancienne et la justice nouvelle, qui confèrent chacune à un acte moral identique un caractère différent. Il ne fait qu'emprunter au décalogue des éléments de démonstration familiers à ses auditeurs et des formules connues qui leur rendent intelligibles les vérités nouvelles qu'il veut mettre en lumière. Ce ne sont donc là que des exemples, dont chacun relève et illustre un caractère spécial de la moralité nouvelle mais est destiné à éclairer du même coup tout le champ de notre vie morale.

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 18:02

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps

CHAPITRE II
LA MORALE NOUVELLE

 (Matthieu V, 20-48.) 
  CARACTÈRE POSITIF 
1. Son caractère positif: elle est un «accomplissement».


«Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : TU ne tueras point, et celui qui tue sera passible du jugement. Mais moi le vous dis : Celui qui se met en colère contre son frère sera passible du jugement, et celui qui dit à son frère : Imbécile ! sera passible de la cour de justice, et celui qui lui dira : Insensé ! sera passible du feu de la géhenne. Si donc tu apportes ton sacrifice à l'autel et si là il te revient en mémoire que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton sacrifice devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère; après quoi reviens présenter ton offrande. Hâte-toi de te mettre d'accord avec ton adversaire, tandis que tu chemines avec lui, de peur qu'il ne te livre au juge, que le juge ne te livre à l'huissier et que tu ne sois jeté en prison. En vérité, je te le dis, tu n'en sortiras pas avant d'avoir payé jusqu'à la dernière obole. »

Tout ce développement est composé d'images, d'expressions, de figures, si complètement juives qu'il est presque impossible de le transposer en détail dans notre langage. Cet enchevêtrement d'exemples empruntés tantôt à la conduite morale, tantôt à la vie judiciaire, et aboutissant au feu de la géhenne, ce sacrifice apporté à l'autel, cette réconciliation avec l'adversaire inspirée par la crainte du châtiment, sont complètement étrangers à notre pensée. Mais ce n'est là que le vêtement juif qui recouvre un enseignement très simple et très clair.

Le meurtre est la manifestation suprême et dernière de l'irritation contre le prochain. Or, pour les hommes qui sont sur la voie de la vie, non seulement tout acte par lequel se trahit cette irritation - atteinte portée aux intérêts d'un autre, offense, jugement, insulte - est une faute morale, mais le fait seul de la ressentir est coupable en lui-même. Cependant, ce n'est encore là que la justice des pharisiens renforcée, la rigueur de la loi morale poussée à l'extrême, la fidélité au commandement remontant aux manifestations les plus intimes du mal, ce n'est pas encore l'accomplissement que Jésus attend de ses disciples. On peut dominer sa vieille nature au point de conserver sans cesse le sang-froid le plus absolu : on n'a fait que circonscrire et surmonter le chaos. La vie nouvelle est autre chose.

L'accomplissement dont parle Jésus ne se réalise que lorsque l'hostilité instinctive contre le prochain fait place à un bon vouloir qui vit au fond de l'âme et qui se manifeste involontairement à chaque agression nouvelle. C'est là l'ordre nouveau dans lequel la vie du prochain n'est plus niée, mais affirmée au contraire. L'attitude négative qui consistait à éviter les mauvais procédés et à réprimer les sentiments coupables fait place à l'action positive pour le bien des autres.

De là l'importance que Jésus attache à la réconciliation avec le prochain. Elle prime tout : même les devoirs les plus sacrés doivent lui céder le pas. L'ordre précis que Jésus nous donne de laisser notre sacrifice devant l'autel pour aller aussitôt nous réconcilier avec notre frère, s'il nous revient à l'esprit qu'il a quelque chose contre nous, marque ce que cette obligation a d'absolu, ce que notre bon vouloir doit avoir d'illimité. Bien loin d'arrêter sur nos lèvres la parole rédemptrice, la colère et la haine doivent l'évoquer au contraire. Telle est, dans sa perfection, la tâche proposée à l'accomplissement positif de la loi. La réconciliation est le pôle opposé du meurtre, elle est aussi féconde qu'il est destructeur.

Mais pour découvrir la loi de la vie nouvelle qui s'y manifeste, considérons de plus près ce phénomène intime. L'humanité nous offre le spectacle de l'antagonisme involontaire des individus : conflits d'intérêts, préventions hostiles, lutte instinctive pour l'existence. Il s'établit donc forcément entre eux une tension persistante que renforce le frottement de la vie commune. Survient une décharge de courant : l'irritation intérieure, la colère, la haine qui s'étaient amassées éclatent en injures, en offenses, en calomnies, bref en tentatives meurtrières à un degré quelconque.

Or, Jésus nous le fait comprendre, il ne suffit pas de prévenir absolument la décharge de ce courant mortel, il faut le supprimer. Cela n'est possible qu'en le remplaçant par un courant de vie, c'est-à-dire par l'impulsion qui nous presse de vivre pour autrui. Elle seule est capable de désarmer notre prochain.
À une condition toutefois : c'est qu'elle soit aussi naturelle et aussi involontaire que ne l'est communément l'attitude d'hostilité réciproque. L'accomplissement de la loi que Jésus nous présente ici est donc une manifestation spontanée de la vie originelle dont les béatitudes nous ont décrit la naissance et l'épanouissement. Nous y avons vu l'élan vers le prochain s'éveiller d'une manière tout impulsive, et se traduire par l'entraide miséricordieuse; la réconciliation avec notre adversaire irrité n'est pas autre chose que la paix que procurent les enfants de Dieu par le fait seul de leur vie nouvelle.

L'accomplissement positif des lois morales qui régissent l'ordre ancien n'est ainsi que l'épanouissement créateur de l'être nouveau opposé à toutes les agressions de l'adversaire. Il faut qu'en face de l'ordre ancien se dresse et triomphe l'ordre nouveau. L'influence vivifiante et conciliatrice de l'être originel doit vaincre et transformer aussi bien le chaos organisé et discipliné, que les puissances dévastatrices de la barbarie déchaînée.

C'est là ce que Jésus veut nous faire comprendre. Dans les paroles que nous considérons, il nous présente certaines applications d'une loi générale. Mais ces exemples n'ont qu'une importance secondaire. En nous y arrêtant nous perdrions l'intelligence du principe même. L'essentiel n'est donc pas de nous réconcilier à tout prix avec celui qui a quelque chose contre nous : il se peut que nous n'en possédions pas encore intérieurement la capacité. Dépourvus de la puissance créatrice de la vie nouvelle, nous ne pourrions ainsi qu'en copier sans succès les manifestations. Ce serait désastreux. Il se peut aussi que nous devions renoncer à une démarche qui ne ferait que surexciter la colère de notre frère. Qu'on songe aux cas si divers auxquels ces paroles peuvent se rapporter, et qu'on se rappelle que Jésus lui-même - pour autant du moins que nous sommes renseignés à ce sujet - n'a point cherché à se réconcilier avec ses adversaires. Ce qui importe, c'est que la loi de la vie nouvelle règne intégralement en nous : nous devons vivre absolument pour nos semblables et l'inimitié que nous rencontrons ne doit provoquer dans notre âme qu'une émotion miséricordieuse et le désir de la réconciliation.

Impossible de dire comment ces dispositions se manifesteront pratiquement dans chaque cas particulier; cela se montrera, si notre conduite découle directement de l'intuition de la situation donnée. Gardons-nous de la combiner d'avance par la réflexion. Elle perdrait la spontanéité dont dépend sa puissance créatrice. L'essentiel c'est que vive et règne en nous la sensibilité nouvelle de l'être originel qui ne connaît d'autre réaction contre le mal que la joie d'aimer davantage.

Si au lieu de nous en tenir aux exemples mentionnés par Jésus, nous saisissons ainsi la loi même de la vie nouvelle qu'ils illustrent, nous constaterons que les échappées qu'il nous ouvre sur tel ou tel domaine spécial, nous découvrent en réalité toute l'étendue de notre vie morale.

Considérons, par exemple, une question d'un autre genre. Il est évident que la véritable culture de l'humanité repose sur l'action réciproque et complémentaire de la nature féminine et de la nature masculine. C'est là que gît certainement le secret de notre avenir. Mais cet échange ne peut aujourd'hui porter tous ses fruits, parce que la relation mutuelle des deux sexes est encore si tendue qu'ils n'entrent guère en contact sans éprouver une émotion sensuelle. De là l'ordre de ne séduire personne, c'est-à-dire de ne se départir jamais de la réserve obligée envers l'autre sexe. Pour peu que nous approfondissions le sens de ce précepte, en le rapprochant de l'enseignement de Jésus sur la colère et les injures, nous envisagerons toute coquetterie, toute façon de jouer avec l'attrait sensuel, comme une faute morale. Mais le véritable accomplissement de la loi va beaucoup plus loin : si malgré notre attitude irréprochable, la convoitise sexuelle s'est allumée dans le coeur de notre prochain, bien loin d'en profiter, mais bien loin aussi de rompre brusquement tout rapport avec lui, nous chercherons à éteindre l'excitation sensuelle par notre pureté même et à la transformer peu à peu en une harmonie intérieur. Quand un homme et une femme se sont liés d'amitié, l'un d'eux vient à broncher, l'autre ne se précipitera point à corps perdu dans l'abîme de la passion; mais il ne se retirera pas non plus, en abandonnant le premier à son sort, au contraire, il le soutiendra et le guidera avec plus de fermeté que jamais jusqu'à ce que soit passé ce vertige d'un moment. C'est ainsi qu'il accomplira la loi, en mettant au service de l'autre sexe l'instinct profond qui l'attire vers lui et en devenant pour lui, par la puissance de sa nature originelle reconquise, une source de joie et de progrès.

Il en va de même dans tous les domaines. Écarter tout ce qui fait obstacle à la vie de notre prochain plutôt que l'entraver en quoi que ce soit, répondre à son mauvais vouloir par le bon vouloir et le bon secours, nous réjouir de son bonheur au lieu de lui porter envie, opposer aux cachotteries et aux méfiances une candeur absolue et une confiance sans réserve, administrer notre fortune comme un dépôt qui nous est confié pour le bien des autres, au lieu de tiré profit des dommages subis par eux, vivre non en égoïste mais comme membre d'un corps, - voilà la moralité qui est un accomplissement positif de la loi, et qui n'a plus à maîtriser les instincts mauvais, parce qu'elle en est affranchie et qu'elle est devenue vérité créatrice.

Cette morale supérieure de l'être originel nous garantit une organisation nouvelle de la vie, parce qu'elle contribue à l'établir. Car elle triomphe du chaos et le métamorphose. Sous son influence vivifiante, toutes choses sont faites nouvelles. Aussi les lois de la morale nouvelle sont-elles en même temps celles du développement de la véritable nature humaine dont nous attendons la réalisation.

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LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et... Empty Re: LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et...

Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 18:10

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps
CHAPITRE II
LA MORALE NOUVELLE

(Matthieu V, 20-48.)
SON CARACTÈRE POSITIF
2. Son caractère libre et primesautier.

 «Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras point d'adultère. Mais moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la convoiter, commet déjà l'adultère avec elle dans son cœur.»

Le contraste entre l'ordre ancien et l'ordre nouveau que Jésus illustre ici par un exemple concret, éclaire une nouvelle face de la «justice supérieure». La justice ancienne, c'est la vie réglée par des principes moraux; la moralité nouvelle, c'est la vie jaillissant d'une façon de sentir qui est elle-même morale. Celui dont la façon de sentir n'est pas morale est immoral, quelque morale que soit sa conduite. Le sentiment impur équivaut de ce fait à l'adultère : l'un et l'autre sont des manifestations de la même nature immorale et ne présentent qu'une différence de degré. L'homme qui se détourne résolument de toute immoralité, et fait des exigences de la loi morale sa règle de conduite, vit moralement; celui seul qui réalise l'idéal moral en vertu d'une impulsion intérieure irrésistible est moral. Car il l'est dans son être intime et non seulement par l'orientation de sa conduite; et sa façon d'agir procède de ses impressions spontanées qui sont morales et non de principes moraux contraires à des penchants qu'il serait obligé de tenir en bride (1).

La moralité du royaume de Dieu est un état intérieur librement et spontanément moral qui s'exprime nécessairement par des manifestations de même nature. Il ne saurait produire les sentiments immoraux qui sont le fruit de la nature humaine corrompue dont la rédemption est indispensable à l'apparition de l'être nouveau. L'être originel a des sensations pures, aussi là où il règne, l'instinct sexuel inhérent à notre nature est-il pur, et dominé par le respect de soi-même et du prochain, qui le préserve de toute altération. L'émotion sensuelle ne disparaît donc pas, mais elle devient une source de force, un stimulant précieux, et le respect mutuel dont elle est pénétrée en exclut toute basse convoitise.

Cependant ici encore l'enseignement de Jésus au sujet de l'adultère ne concerne pas uniquement ce point particulier, mais s'applique à tous les domaines de la vie morale. En voici quelques exemples :

Quiconque aspire à la considération a déjà dérobé sa gloire au Père qui est aux cieux. De même celui qui réclame la reconnaissance. Car tout ce qui vaut dans notre activité n'est que l'effet de l'action de Dieu en nous et par nous. Le respect pour le Dieu qu'il adore n'est donc pas encore un sentiment instinctif et spontané chez celui que n'affectent point péniblement les éloges, les hommages de gratitude et d'admiration.

Quiconque ressent la présence d'un autre comme un obstacle sur son chemin s'est déjà débarrassé de lui dans son coeur. Éprouver un sentiment opposé n'est ni insensé, Il impossible, car celui qui ne vit que comme membre d'un corps voit dans tout concurrent un autre membre qui le complète, allège sa charge et collabore au bien de l'ensemble; et il trouve autant de joie à le servir négativement par un acte de renoncement, qu'à lui fournir une aide positive.

Quiconque porte envie à son prochain l'a déjà volé dans son cœur.
Quiconque tient son prochain en petite estime, l'a déjà condamné et s'est déjà élevé intérieurement au-dessus de lui.
Quiconque est l'esclave de ses biens, de ses intérêts, de ses habitudes, s'est déjà vendu lui-même.

Nous sommes donc tous voleurs, meurtriers, adultères et blasphémateurs? Oui, certes, quelque honnêtement et pieusement que nous vivions d'ailleurs. Car nous le sommes par notre façon de sentir. Jésus n'entend point nous accabler cependant, mais nous éclairer sur ce que nous sommes et sur ce que nous pouvons devenir. Ses paroles sont des rayons de lumière illuminant la terre promise vers laquelle nous marchons.

La façon de sentir que crée en nous le fonctionnement de la vie nouvelle procède de la vérité. Notre vocation originelle s'y réalise et s'y manifeste. Elle triomphe des préventions, de l'arbitraire, de la superficialité et de l'étroitesse qui altèrent et défigurent la nature humaine. Le flot de notre vie renouvelée s'y répand limpide et puissant. La conduite morale, même fondée sur les principes les plus élevés et sur la volonté la plus éclairée, pâlit devant l'énergie et l'originalité de son action féconde comme les produits de la réflexion et du labeur humain devant les créations du génie. Car être moral, c'est accomplir toute moralité.

Les sensations morales s'affirment en nous dans la proportion où notre être originel grandit, se fortifie par l'exercice et l'expérience, vit la vérité et en devient une incarnation. Mais cela n'est possible qu'au prix d'une lutte sans trêve contre les sensations faussées, déviées et corrompues de notre vieille nature qui doit être vaincue et délogée. Aussi ne réalisons-nous que progressivement cette moralité primesautière. Elle est le fruit mûr de notre devenir.

C'est dire que nous n'y parviendrons que par le développement de la vie nouvelle dans notre âme. Une fois de plus, nous nous trouvons ramenés à l'évolution que nous ont révélée les béatitudes. Elle seule peut produire en nous cette sensibilité nouvelle, toute pénétrée du pur instinct de la vérité. Le travail sur nous-mêmes peut en sauvegarder la croissance et en hâter les progrès, mais il ne saurait la créer. Il faut qu'elle soit spontanée; les sentiments de seconde main, provoqués par un effort moral, manquent de vérité innée, de certitude profonde, de vie jaillissante, de force créatrice et de puissance souveraine.

C'est donc incontestable : le développement de notre être originel peut seul produire une vie spontanément morale qui, à son tour, favorise la croissance de cet être nouveau. Il contribue du même coup à la destruction des instincts mauvais de notre vieille nature. Le sentiment profond de notre misère et de la souffrance humaine, notre endurance patiente, notre poursuite passionnée de la vérité étoufferont en nous la plupart de ces instincts pervers. Mais ce qui leur portera le plus rude coup, c'est le retour à notre spontanéité native, la renaissance de la nature enfantine en nous. Car lis sont incompatibles avec la sincérité et la simplicité reconquises. Plus notre véritable humanité revit et s'affirme en nous, plus ils perdent de terrain.

Il serait donc absurde de prétendre que le caractère objectif de la transformation qui doit se produire en nous exclut le travail sur nous-mêmes. Il n'en est rien. Seulement ce travail doit se borner à assurer les conditions évolutives qui dépendent de nous, et les mesures indispensables à notre développement. Il ne peut rien créer; il peut fort bien coopérer. incapable de produire l'être originel, il peut le protéger et concourir à son éducation. Aussi Jésus ne poursuit-Il pas en disant : Efforce-toi d'éveiller en toi des instincts moraux, mais :

«Si ton œil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi. Car il vaut mieux que l'un de tes membres périsse et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. Si ta main droite est pour toi une occasion de chute, coupe-la et jette-la loin de toi. Car il vaut mieux que l'un de tes membres périsse et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. »

L'œil et la main sont une occasion de chute lorsqu'ils sont les agents d'une convoitise mauvaise. Dans ce cas, il ne nous reste qu'à les arracher, pour éviter la destruction de la vie nouvelle qui veut grandir en nous. Plutôt les perdre que de nous perdre tout entier.

L'oeil n'est que l'intermédiaire de la séduction, l'organe de la sensation coupable. L'ordre de nous l'arracher sans délai, si une chose quelconque excite notre convoitise, marque la façon péremptoire et radicale dont nous devons nous soustraire à toutes les impressions qui attisent notre instinct sexuel.

Toutefois cet ordre de Jésus ne s'applique pas uniquement au domaine des sensations impures, mais à tous les domaines de notre vie. Pour que les instincts moraux que crée en nous la vie nouvelle puissent prospérer, il faut que nous rendions l'existence impossible à tous les instincts contraires, en les privant des excitations et des séductions qui les éveillent et les entretiennent, aussi bien que du milieu et du terrain où ils prospèrent. Leur retirer ainsi toutes leurs conditions d'existence, c'est les condamner à périr nécessairement. Ce retranchement ne sera jamais trop radical. Si nous l'opérons avec l'énergie qu'il faut à un homme pour s'arracher l'oeil, les sensations coupables mourront en nous, faute d'aliment, tandis que les pures et nobles émotions se fortifieront.

Que celui que ses sens et son imagination pervertie entraînent au mal évite donc tout ce qui risque de les exciter. Fût-ce la chose la plus belle, la plus pure, la plus irréprochable en soi, pour peu qu'elle éveille en lui des sensations impures, qu'il la fuie! Peut-être devra-t-il bannir de son existence les créations artistiques les plus merveilleuses et les chefs-d’œuvres de la littérature ou renoncer aux entretiens les plus innocents avec une personne de sexe différent, afin d'éviter tout ce qui pourrait enflammer son imagination et allumer ses instincts déshonnêtes.

Toutefois, en supprimant les excitations extérieures, nous ne faisons parfois que multiplier celles du dedans. Ce serait donc nous arrêter à mi-chemin que de ne point nous imposer, dans cette direction aussi, toutes les mesures nécessaires pour étouffer nos mouvements de convoitise et tenir en respect notre imagination : nourriture simple et frugale, genre de vie propre à nous endurcir, exercice corporel, activité intense.

Si nous pratiquons cette discipline avec persévérance, notre façon de sentir s'épurera, et s'imprégnera graduellement de la moralité véritable de l'être originel. L'ascétisme à lui seul ne saurait accomplir cette transformation. Il retranche et détruit. C'est la vérité grandissante qui élève et transforme tout ce qu'il y a de vraiment humain en nous. Car il s'agit de ne détruire aucun des éléments inhérents à notre nature, mais bien de leur restituer cette pureté et cette santé souveraine, auquel rien de ce qui est humain ne doit demeurer étranger, parce que rien ne saurait plus les altérer. Aussi toutes les relations qu'il avait fallu rompre pourront-elles être renouées dès que la suprématie de notre vie nouvelle nous aura rendus capables de les régler et de les vivifier.

Il faudra que le vaniteux dominé par le désir de plaire cesse de s'occuper de son extérieur, qu'il s'efforce de passer inaperçu et de rester indifférent à l'impression qu'il produit; qu'il abandonne tout ce qui lui prête du prestige, qu'il renonce à la vie mondaine, ou à la carrière qui flatte sa vanité, pour se consacrer à des devoirs sérieux réclamant toutes ses pensées. Lorsqu'il aura ainsi éteint sa soif de briller et placé son centre de gravité dans les profondeurs de sa personnalité, son être véritable pourra naître à la vie et dans la mesure où il se développera, le transfigurer lui-même. En se retrouvant plus tard dans ses anciennes conditions d'existence, si brillantes fussent-elles, il y vivra comme dans un monde nouveau et, parmi leur éclat trompeur, affirmera son être renouvelé.

Celui que domine l'argent devra s'en dépouiller sans réserve. Car tant que son âme est au pouvoir de l'argent son être originel ne peut grandir. La richesse, aussi bien que les soucis et les convoitises, étouffe la semence qui lève. Qu'il arrache sa bourse et la jette loin de lui ! Cela ne signifie point qu'il doive nécessairement distribuer toute sa fortune aux pauvres. Qu'il la transforme en valeurs vitales au lieu de la placer à intérêts! Si ses biens sont pour lui une occasion de péché, une chaîne ou un obstacle, qu'il les dépense entièrement pour son prochain, en vue duquel ils lui ont été confiés. Avant même que d'avoir achevé cette tâche, il aura rompu ses liens et acquis une nouvelle vie.

Assez d'exemples. C'est à chacun de savoir ce qu'il doit arracher de sa vie. Nous le savons tous, d'ailleurs, si lents que nous soyons à le faire. On ne saurait au surplus exiger de personne de se dépouiller précisément des choses qui font le charme de son existence. Que celui qui y trouve son contentement les conserve et périsse avec elles! Quant aux chercheurs auxquels répugnent les défroques sous lesquelles l'humanité déguise sa misère, qu'ils prêtent l'oreille à la parole du maître : « Si ton oeil te fait tomber dans le péché, arrache-le. »

Quiconque hésite et cherche à éluder cette obligation n'est point apte au royaume de Dieu. Et cependant, Combien ne se bornent pas à hésiter, mais refusent. Ils se figurent pouvoir éviter ce sacrifice. L'être nouveau, pensent-ils, doit être assez vigoureux pour triompher de leur impureté et de leurs esclavages sans qu'ils soient obligés de lui venir en aide par des mesures violentes, la toute-puissance de Dieu doit éclater précisément dans la victoire remportée sur toutes les conditions défavorables. D'autres estiment qu'il suffit d'opposer intérieurement une résistance continuelle aux influences néfastes et à l'attrait du mal; cela est plus difficile, disent-ils, que de recourir à un procédé sommaire et radical, c'est donc un exercice d'autant plus salutaire pour notre fermeté. Certains enfin feraient les sacrifices demandés s'ils étaient seuls en cause, mais ils ont des obligations envers d'autres êtres, et ils trouveraient égoïste de s'y soustraire dans l'intérêt de leur propre bien. Quelle force de conviction, quel sérieux moral respirent ces prétextes hypocrites ! En réalité, ceux qui marchandent ainsi ne veulent pas obéir, ou Plutôt ils ne le peuvent pas. Leur aspiration à la vie et à la vérité n'est pas assez puissante pour les inciter à tout risquer afin d'acquérir ce qui contrebalance et remplace tout : la vie nouvelle.

Qui oserait, en effet, déclarer qu'il a conquis cette vie sans renoncer auparavant à tout ce qui lui faisait intérieurement obstacle, et sans avoir coupé les vivres à tous ses instincts dépravés? Cela est impossible. Il y a là une loi de nature inexorable : tant que des sensations contraires vibrent en nous, les sensations nouvelles n'y sauraient prospérer. Or rien n'arrêtera les premières aussi longtemps que quelque chose les provoquera; tout ce qui les ravive doit donc être supprimé sans merci. Alors seulement pourra surgir en nous la sensibilité nouvelle de notre être originel.

Aussi tous ceux qui se soustraient à cette obligation catégorique restent-ils stationnaires et finissent-ils par périr. C'est en vain qu'ils cherchent à justifier moralement leur refus d'amputer les membres gangrenés. La vieille nature étouffe la nouvelle. La semence de vie ne peut lever et grandir parmi l'ivraie envahissante, quel que soit d'ailleurs l'enthousiasme avec lequel on proclamé sa vertu créatrice. De là l'éternel « nous sommes de pauvres pécheurs », qui laisse subsister les occasions de chute tout en offrant la consolante perspective du salut dans une vie future.

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 18:32

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps
CHAPITRE II
LA MORALE NOUVELLE

(Matthieu V, 20-48.)
SON CARACTÈRE POSITIF
  3. Sa rigueur inflexible. 



Ce passage fait ressortir très vivement l'opposition établie par Jésus entre la morale des satisfaits, qui consiste à rester dans les limites du devoir et de l'honnêteté, et la morale des chercheurs, qui est la manifestation irrésistible de l'être originel en eux. Les premiers sont moralement obligés de régulariser le divorce devenu nécessaire. Pour les seconds, le divorce est une impossibilité; car quelle que soit la faute commise par l'un des deux époux, divorcer serait à leurs yeux violer la loi conjugale. En ajoutant par la suite à la déclaration de Jésus cette clause : «Si ce n'est pour cause d'inconduite », on en a tué le nerf. Car cet enseignement concernant le mariage a précisément pour but de nous montrer que les exigences de l'être nouveau sont catégoriques et ne souffrent ni exceptions, ni réserves. C'est qu'on n'a pas compris qu'ici, comme dans tout le Sermon sur la montagne, Jésus s'adresse spécialement aux élus, c'est-à-dire à ceux qui sont la lumière du monde. On a vu en Jésus le fondateur d'une religion mondiale, on en a conclu qu'il a voulu promulguer une loi morale parfaite et universelle, en opposition à la loi mosaïque imparfaite et insuffisante : dès lors, il fallait falsifier ses paroles afin de pouvoir interdire à tous le divorce, - sauf toutefois en cas d'adultère.

On ne s'est pas rendu compte qu'en prohibant le divorce d'une manière générale, Jésus eût annulé sa propre déclaration : « je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ». En effet, il eût aboli une disposition bienfaisante qui, dans l'état actuel des hommes et des circonstances, est non seulement indispensable, mais souverainement morale et pédagogique. Car, cela n'est pas douteux, si ce «je vous dis » s'adresse à tous et non seulement à ceux que visent les béatitudes, Jésus proscrit absolument le divorce. Mais s'il donne ici une instruction spéciale à ceux qui cherchent le royaume de Dieu, il ne le supprime pas plus qu'il n'abolit les lois pénales en recommandant à ses disciples de n'en point faire usage et de supporter le mal sans résistance. Mais alors, pourquoi l'Église a-t-elle interdit le divorce, au nom de Jésus, tandis qu'elle permettait de faire poursuivre et punir l'escroquerie et la diffamation?

Au surplus, Jésus a expressément justifié le divorce dans une autre occasion. Comme il s'entretenait un jour avec les pharisiens de l'indissolubilité du mariage, ceux-ci lui demandèrent: «Pourquoi Moïse a-t-il commandé de donner à la femme un acte de divorce et de la répudier? » Notons que chez les Juifs, ce n'était jamais l'adultère qui déterminait le divorce, puisque dans ce cas la loi ordonnait la lapidation du coupable, mais d'autres raisons souvent insignifiantes, Jésus leur répondit : « C'est à cause de la dureté de votre coeur que Moïse vous a permis de répudier vos épouses, mais au commencement il n'en fut pas ainsi. » Là donc où les coeurs sont engourdis, pour la masse inerte que n'a point encore gagnée le mouvement de la vie, le divorce est inévitable, et une loi qui le justifie, indispensable. C'est une mesure éducative, un expédient nécessaire dans l'état chaotique de l'humanité. Mais la destination originelle du mariage, c'est l'union indissoluble de deux êtres. Le divorce devient donc impossible là où s'épanouit la vie nouvelle.

Dans les circonstances et parmi les hommes de notre temps, un grand nombre de mariages sont dès le début, et dans leur essence même, mensongers, intolérables et immoraux. Lorsque cet état de choses devient évident, il y a de la fausseté et de la bassesse à persévérer dans une vie conjugale qui tue peu à peu tous les sentiments délicats et transforme une source de vie en une source de tourments indicibles et d'irréparables désastres pour plusieurs générations. En cas pareil, le divorce est un devoir de vérité et une obligation morale, aussi bien qu'une mesure de légitime défense. Car une union semblable n'est plus un mariage, mais l'accouplement contre nature de deux êtres mal assortis, une prostitution obligatoire. Interdire la cessation d'une telle monstruosité, d'une pareille coercition de l'être intime, jusqu'à ce que l'un des époux se soit rendu coupable de relations sexuelles extra-conjugales, c'est une scélératesse diabolique dont la hideur peut à peine être augmentée par le fait qu'elle se commet au nom de Jésus.

Mais pour les chercheurs qui poursuivent avec pureté de coeur la vérité de l'être humain, qui, débordant de miséricorde, créent l'harmonie par leur seule présence, le mariage est indissoluble, car la vie nouvelle se manifeste là comme en toutes choses. Ils l'envisagent d'emblée comme celle de toutes les relations de la vie dont ils attendent la plus haute révélation de la vérité et de la grandeur de la nature humaine, comme celle où le paradis peut se faire réalité, comme le terrain favorable entre tous au progrès de l'évolution véritable. Chez ces époux, le vrai caractère du mariage apparaît nécessairement et se développe aussi longtemps qu'ils restent des chercheurs sincères. De cette union du mari et de la femme, résulte une unité d'existence pleinement humaine qui, par l'effet de la vie commune, croît de jour en jour en profondeur et en étendue, et déploie peu à peu toute sa splendeur. Alors l'indissolubilité n'est plus un devoir, mais une nécessité de nature. Comment une union semblable pourrait-elle être rompue? Supposons que, par impossible, l'un des époux trébuche et tombe, l'autre ne pourra que l'aider à se relever et le soutenir d'autant plus fortement. La clause intercalée tardivement dans le texte du Sermon sur la montagne témoigne donc d'une incroyable incompréhension de la nature même du mariage.

Mais que dire de deux époux dont l'un cherche avec persévérance le royaume de Dieu, tandis que l'autre reste stationnaire? Peut-être l'un des deux ne s'est-il réveillé qu'après s'être lié; peut-être leur communauté de sentiments n'était-elle qu'apparente. Quoi qu'il en soit, la réponse est très simple. Saint Paul l'a donnée déjà : « Si un frère a une femme incrédule et qu'elle consente à rester avec lui, qu'il ne se sépare pas d'elle.... Mais si l'incrédule veut se séparer, qu'il se sépare. Dans ce cas, le frère ou la soeur ne sont pas liés. » Tout dépendra donc pour eux de savoir jusqu'à quel point la vie conjugale conserve malgré tout son caractère originel, c'est-à-dire demeure une union intérieure.

Au reste, ce n'est point du divorce qu'il s'agit en réalité dans ce passage, mais bien de la morale nouvelle dont l'indissolubilité du mariage doit illustrer la rigueur illimitée, absolue et inexorable comme celle des lois de la nature. La moralité des satisfaits n'a point ce caractère. Les principes qui la déterminent doivent, pour s'appliquer à tous, tenir compte des hommes tels qu'ils sont : attachés aux biens qui ont du prix parmi eux, esclaves de leur nature faussée et de leurs instincts dénaturés, limités quant à leur vouloir et surtout quant à leur pouvoir. Aussi ne saurait-on leur imposer des obligations exagérées, mais faut-il mesurer au contraire ces obligations à l'état de ceux qu'elles doivent discipliner, au niveau de la nature inférieure dont notre «culture supérieure » elle-même n'a point encore triomphé. En leur en demandant trop, on ne ferait que les pousser à la révolte et manquer le but auquel tendent ces mesures protectrices de la morale.

Voilà pourquoi, parmi les hommes ordinaires, non seulement le divorce est permis, mais le droit de propriété demeure souverain, la rétribution du mal est autorisée, l'ambition et la lutte pour l'existence peuvent se donner carrière, et les intérêts familiaux égoïstes revêtir une importance prépondérante. C'est pourquoi aussi les lois morales y consistent surtout en défenses, et les commandements n'y représentent qu'un idéal non obligatoire. Il faut se contenter de voir l'individu éviter les désordres, on ne peut exiger de lui des sentiments et des actes opposés à sa nature. On se borne donc à empêcher les transgressions les plus flagrantes. On excuse, par exemple, l'irritation intérieure, et l'on se contente d'exiger qu'un homme ne se mette point en colère sans cause contre son frère.

C'est que, parmi les immobilistes, tout a ses limites; l'exagération de la vertu peut devenir un vice, l'observation scrupuleuse des commandements, une offense envers le prochain. Il faut équilibrer et accommoder, tenir compte des circonstances et ne rien pousser à l'extrême. Nécessité n'a pas de loi, et la justice ne doit point aboutir à fin contraire. Les préceptes de la morale ne peuvent prévoir et trancher des éventualités infiniment variées. S'il est des exceptions qui confirment la règle, d'autres l'annulent. Il s'agit donc de se tirer d'affaire le mieux possible. L'imperfection et l'insuffisance des lois morales laissent dans le vague une foule de cas où il est loisible d'agir d'une façon ou d'une autre : il est permis, par exemple, de divorcer ou de rester unis, d'ignorer le tort subi ou d'en exiger le châtiment.

L'art du possible préside à la discipline morale de l'être encore barbare. Mais c'est la loi de la nécessité intérieure qui régit sans réserve et sans conteste la moralité de l'être nouveau. Les impulsions et les exigences qui le sollicitent, les obligations et les devoirs qui se révèlent à lui, sont d'une précision inéluctable et doivent se réaliser à tout prix. S'il ne nous est point permis de copier une attitude, ni de nous contraindre à telle ou telle conduite, nous n'avons pas davantage le droit de refouler ni d'entraver sous n'importe quel prétexte les impérieuses manifestations de la vérité qui grandit en nous, de dévier de notre ligne de conduite, ni de nous soustraire en quoi que ce soit aux obligations de la vraie noblesse, celle des enfants de Dieu. 

Peu importe quelles en seront les conséquences, ce n'est pas notre affaire. Quiconque objecte que cela est impraticable, prouve qu'il n'a point encore ressenti les impulsions puissantes de la vie nouvelle. Rien ne doit empêcher l'élan créateur de se transformer en action féconde. Les coeurs partagés ne sauraient s'emparer du royaume des cieux. La vérité qui veut se réaliser n'admet pas de marché. Il n'y a pas d'accomplissement approximatif : ce qui doit être exécuté, doit l'être intégralement, sans compromis, sous une poussée impulsive et irrésistible, bref, dans sa perfection.

Cette loi ne connaît ni exceptions, ni dispenses. Il s'agit de rester fidèle, dans les grandes choses comme dans les petites, et dût-il nous en coûter la vie, au moi véritable qui s'affirme en souverain. Ici, pas de champ libre, rien qu'une ligne droite. S'en écarter, c'est s'égarer; hésiter, c'est manquer le chemin. Rien n'est indifférent, car tout est déterminé pour chaque individu par une nécessité intérieure. Diverses éventualités peuvent surgir pour des personnalités diverses, mais il n'y en a qu'une pour chacun, celle qui s'impose à lui. Pas d'atténuation, pas de détours possibles. La vie originelle est rigoureuse comme la nature, car elle est notre véritable nature.

L'honnêteté des satisfaits est essentiellement faite de compromis, soit entre des inclinations barbares et des principes destinés à les dompter, soit entre des opinions individuelles et des usages reçus, soit entre l'instinct personnel de conservation et les égards dus à autrui. Les différents intérêts, les points de vue divers, les devoirs à prendre en considération se contredisent et se croisent. Force nous est de biaiser pour tomber juste. Cela donne à la conduite quelque chose de double et de compliqué. 

La morale nouvelle, au contraire, est d'un style pur et sévère, simple et harmonieux dans ses proportions comme dans son expression. Dans la mesure où elle s'érige en nous, notre attitude et notre conduite lui deviennent conformes et l'accord intérieur règne dans notre personne et dans notre vie. il ne suffit pas cependant que le nouvel être surgisse pour que l'être ancien disparaisse. Détrôné du centre de notre vie consciente, il continue à faire valoir ses droits et nous incite à des accommodements auxquels il s'agit d'opposer une résistance inflexible. Lui céder, si peu que ce soit, ce serait entraver la manifestation pure, claire et puissante de la vie nouvelle. Nous avons reconnu à maintes reprises que les choses nouvelles doivent se produire naturellement, mais nous n'avons pas moins souvent constaté que, pour que leur progrès ne soit pas entravé, il faut que l'homme s'y consacre tout entier. Il s'agit d'opposer une résistance opiniâtre à toutes les séductions qui surgissent en nous ou qui nous viennent du dehors. Sinon jamais le caractère propre de l'être nouveau n'apparaîtra purement et puissamment dans notre conduite.

Nous ne pouvons servir Dieu et Mammon, donner à Dieu la place qui lui revient et chercher notre propre gloire, vivre comme les membres d'un tout et poursuivre notre avantage, la fortune ou une vie commode. Nous n'éprouverons jamais d'émotions pures, si nous tolérons les excitations malsaines. Nous ne saurions être vrais, si des arrière-pensées et des intentions accessoires viennent entraver notre spontanéité, ni rester fidèles au caractère de notre être originel si nous demeurons dans la dépendance de choses qui lui sont étrangères. Pas de concessions aux habitudes et aux opinions reçues, à la mode et aux conventions, aux usages et aux principes traditionnels : les impulsions de la véritable nature humaine qui germe en nous, doivent seules déterminer notre conduite. Fallût-il pour cela battre en brèche toutes les idées courantes et produire l'effet le Plus déplorable, obéissons sans sourciller aux injonctions de la voix intérieure. Conformons-nous en toute occasion aux indications divines, dussent-elles nous imposer l'extraordinaire. Peut-être au point de vue mondain nous rendrons-nous inadmissibles; qu'importe, pourvu que nous restions admissibles à la vie originelle!

Les égards dus à nos semblables ne sauraient nous arrêter davantage. Il se peut que notre conduite les froisse, les offense, leur fasse même du tort dans tel ou tel cas; que ce ne soit, du moins jamais intentionnellement! Impossible, par exemple, d'éviter toujours les malentendus et leurs funestes conséquences; il faudrait pour cela cesser d'être autres, de vivre autrement qu'eux. Les exigences de l'être nouveau sont inexorables et doivent être obéies sans réserve.
Toute considération étrangère retarde son épanouissement. La vérité est brutale comme la nature; si donc elle veut se manifester dans notre conduite, que tout ce qui lui fait obstacle vole en éclats.

Il y a cependant des conflits de devoirs, objectera-t-on peut-être. Oui bien, dans l'économie morale de l'être barbare, mais pas dans la vie de l'être nouveau. Toutes les contradictions y sont virtuellement supprimées et notre sens intime donne spontanément et simplement aux problèmes les plus ardus la seule solution naturelle et possible, parce qu'il les saisit dans leur profondeur et les vit en quelque sorte. Le vivant instinct de la solidarité humaine, par exemple, uni à celui de la personnalité triomphent de prime abord de l'opposition entre l'égoïsme et l'altruisme : dès lors tous les problèmes qui surgissent sur ce terrain, se résolvent d'eux-mêmes et sans le secours de la réflexion. Précisément parce qu'on ressent profondément les égards dus au prochain, on peut agir sans égards pour lui.

Mais surtout la morale nouvelle ne saurait nous autoriser à nous conformer occasionnellement aux principes de la morale usuelle, à faire abstraction de nos impulsions et de notre sentiment personnel, lorsque cela nous est plus commode ou plus avantageux. La force d'inertie subsiste toujours en nous. Ne nous y abandonnons pas. Notre nouvelle nature alliée à des éléments étrangers, recevrait l'empreinte de la nature barbare. La rigueur inflexible de la morale nouvelle exige que tous les phénomènes de la vie découlent constamment des sources mêmes de l'être originel. « Ce qui ne procède pas de la foi est un péché.» Tant que les manifestations de la vie nouvelle en nous ne sont que les échos intermittents d'une harmonie supérieure, aussitôt étouffés par une cacophonie sauvage, la divine mélodie de la vérité ne résonnera point dans notre existence.


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LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et... Empty Re: LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et...

Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 18:53

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps
 CHAPITRE II 
LA MORALE NOUVELLE

(Matthieu V, 20-48.)
SON CARACTÈRE POSITIF
4. La spontanéité de ses manifestations.


«Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras point, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de tes serments. Mais moi je vous dis de ne pas prononcer de serment du tout, ni par le ciel parce que le ciel est le trône de Dieu, ni par la terre parce que la terre est l'escabeau de ses pieds, ni par Jérusalem parce que Jérusalem est la ville du grand roi, Ne jure pas non plus par ta tête, parce que tu ne saurais rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir; mais que votre langage soit : Oui, oui; non, non. Ce qu'on y ajoute vient du Malin.»

Il ne s'agit pas ici du serment indispensable au maintien de l'ordre, serment prêté au drapeau ou devant le tribunal - comment Jésus qui n'a point voulu abolir y eût-il porté atteinte? - mais de celui qui sert de sanction dans la vie ordinaire. La casuistique juive établissait une distinction entre les serments plus ou moins sacrés, selon que l'on jurait par Dieu lui-même ou par quelque objet précieux. Jésus commence par proscrire ces distinctions subtiles et ces procédés hypocrites, en déclarant que toutes les choses auxquelles nous en appelons se ramènent en définitive à Dieu, et que, par conséquent, tous les serments lient celui qui les prête. Puis il conclut : Vous, ne jurez nullement; que votre langage soit sobre et véridique.

Si cette recommandation de Jésus n'avait trait qu'au serment lui-même, il serait à peine nécessaire aujourd'hui de la prendre en considération, car autant cet abus était fréquent chez les Juifs, autant il nous est étranger. Mais il suffit de la dépouiller de son vêtement israélite pour constater qu'elle nous concerne aussi. En effet, les Juifs recouraient au serment, soit en affaires, soit dans la vie privée afin de garantir la vérité de leurs assertions, et la sincérité de leurs intentions. C'est à cet effet qu'ils prenaient Dieu à témoin, jetant ainsi comme atout parmi la futilité des choses humaines l'auteur de l'univers. Procédé aussi grotesque qu'insolent! Cependant n'en use-t-on point aujourd'hui encore, sans tomber toutefois dans les exagérations de la mentalité orientale? 

Que de gens ne savent rien faire sans protester de leurs bonnes intentions, rien dire sans attester leur véracité! C'est contre cet abus que Jésus s'élève en nous ordonnant de parler simplement et sans détours.

Que nous soyons tenus d'être véridiques, cela n'est pas nouveau. Mais ce devoir est souvent compris d'une manière toute formelle, en sorte que l'apparente vérité n'est en réalité qu'un mensonge. Que de fois notre phrase est construite de manière à donner le change à notre interlocuteur, que de fois elle n'est vraie qu'au prix d'une restriction mentale ! Les vérités compliquées sont toujours intrinsèquement fausses, quelque inattaquable qu'en soit la formule. Ceux « qui ont le cœur pur» ne sauraient énoncer des vérités partielles, équivoques et trompeuses, mais uniquement la franche vérité, expression directe de ce qui est.

Cependant ici aussi, le cas particulier exposé par Jésus n'est qu'un exemple destiné à illustrer un principe général. C'est dans notre vie tout entière que le oui doit être oui, et le non, non. Tout doit y sonner franc, tout doit être la révélation sincère de notre être, l'expression non déguisée de nos sentiments et de nos intentions, l'effet immédiat de notre impulsion intérieure, l'épanouissement naturel de notre vie personnelle. Il faut qu'en tout et partout nous nous affirmions comme «étant de la vérité». Sois toujours ce que tu es dans ton for intérieur et en réalité, fais toujours ce que tu dois, ce que tu dois véritablement : telle est la consigne. Mais, les âmes inertes en sont incapables. La vérité ne peut être pratiquée que par ceux dans lesquels elle a pris vie.

Comment les hommes au coeur droit ne se montreraient-ils pas honnêtes et probes dans leur vie? Ils ont le parler net et l'action résolue. Les situations troubles et les rapports douteux leur sont insupportables. La clarté ne peut manquer de se faire, où qu'ils apparaissent; à plus forte raison ne sauraient-ils laisser les autres dans l'incertitude ni les leurrer par des demi-vérités. Tout procédé captieux, diplomatique, équivoque ou sournois leur est étranger. On peut compter sur eux sans réserve, car chez eux le oui signifie toujours oui, et le non toujours non. Leur abord ouvert, leur regard limpide annoncent d'emblée ce qui confirme leur vie : en eux règnent la vérité et la clarté.

Cette vérité de l'être et de la vie, nettement exprimée, n'est possible qu'en vertu d'une spontanéité complète. Comme le son succède au choc, il faut qu'à l'intuition succède immédiatement la manifestation extérieure, à l'impulsion l'action, à l'impression l'expression, à la révélation intérieure l'expérience féconde. Dès que nous nous laissons arrêter par des arrière-pensées ou des hésitations, par des précautions inquiètes, par la réflexion ou le calcul des conséquences possibles, la vérité se voile et la clarté se trouble. De l'immédiateté de notre vie intime dépend donc la droiture de notre caractère, de celle de nos manifestations dépend la sincérité de notre conduite.

Une vie pareille a nécessairement un caractère de simplicité et de sobriété. Nous devons dire la vérité sans apprêt, sans ambages, sans commentaires comme sans insistance, car dans ce domaine tout ce qui est superflu est mauvais, et tout ce qui n'est pas indispensable est superflu. Lorsque nos allégations procèdent de nos réflexions ou d'intentions particulières, il faut bien pour éviter tout malentendu et pour rester parfaitement honnêtes, expliquer ce que nous avons en vue. Mais quand nous exprimons spontanément et sans aucune arrière-pensée ce que nous éprouvons, cela n'est point nécessaire, car nos paroles donnent l'impression immédiate de la vérité et manifestent directement notre disposition intérieure. Cette expression primesautière de notre sentiment est une révélation élémentaire de notre être qu'il n'est nécessaire d'appuyer ni de garantir par aucun éclaircissement complémentaire. Car, malgré l'insuffisance des termes, elle est cependant l'indication évidente de ce que proclament sans paroles notre attitude, notre regard, nos gestes, notre physionomie.

Analyser et démontrer après coup ce qui s'exprime ainsi en toute simplicité, ce serait agir contrairement à la nature même de notre être originel qui est naïf et sans détour, et dont les manifestations sont aussi sobres, simples et inapparentes que les phénomènes de la vie dans la nature. Y toucher serait enlever au fruit son duvet, à la fleur sa fécondité.

Cela est vrai non seulement de nos paroles, mais de tout le langage de notre vie. La moralité nouvelle est la manifestation immédiate de l'être originel qui vit en nous. Si elle règne en nous, tout s'y passe droitement et se transmet de même. Nous nous donnons pour ce que nous sommes, nous vivons ingénument comme le coeur nous en dit, nous nous présentons nus et désarmés, c'est-à-dire avec la simplicité et la probité absolues qui conviennent à l'être nouveau. Les façons conventionnelles, les circonlocutions compliquées aussi bien que les explications et les atténuations altèrent l'impression nette et claire que doit produire notre personnalité et en compromettent l'effet. Elles en troublent l'intégrité et l'originalité naïve. Un style pur exige une expression sobre. 

Il n'est pas possible cependant d'ordonner à tous indistinctement de vivre sans apprêt et de se donner tels qu'ils sont. Ce serait déchaîner leur nature barbare et mettre au jour toute sa laideur et toute sa vulgarité. On ne peut laisser libre cours à la spontanéité personnelle que là où elle est l'épanouissement nécessaire de la vie originelle. Aussi Jésus n'adresse-t-il ces paroles qu'à ceux qu'il a caractérisés dans les béatitudes.

Lorsque toutes les manifestations de notre vie sont vraies, simples et nettes, l'idée de faire usage du serment ne nous aborde même pas. Il devient non seulement inutile, mais inadmissible et inconvenant. Il n'est en effet qu'un expédient nécessaire à la nature misérable qui ne porte en elle-même aucune garantie, et ne possède point la puissance persuasive de la vérité. Les enfants de Dieu sont au-dessus de ces procédés. La noblesse que leur confère leur vérité intime, prête tout naturellement à leurs assertions et à leurs actes une valeur irrécusable qui les soustrait à la honteuse nécessité d'entasser les protestations pour leur donner du prix.

La spontanéité des manifestations vitales propres à la moralité nouvelle a, dans la vie des chercheurs, une autre conséquence encore. La «justice» ancienne ne pouvait se passer du serment, car on ne jurait pas seulement relativement au présent ou au passé, mais encore en vue de l'avenir. On s'engageait d'avance à tenir une conduite déterminée. Ne pouvant se fier sans plus les uns aux autres, on réclamait réciproquement comme garantie de solennelles promesses, et pourvu qu'on les tînt scrupuleusement l'idéal de justice était satisfait.

Il en est encore ainsi de nos jours. L'humanité restée barbare ne peut se passer des garanties que donne le serment. Sans elles il n'y aurait aucune sécurité mutuelle, et la vie commune se disloquerait. Il faut que les fonctionnaires prêtent serment au gouvernement et à la loi, que les ecclésiastiques s'engagent solennellement à rester attachés à leur profession de foi, que les époux se jurent fidélité devant l'état-civil ou à l'autel. Dans leur commerce personnel, les hommes se lient et s'enchaînent réciproquement par leur parole d'honneur. Impossible autrement de confier un secret, d'obtenir une caution, à moins qu'on ne consente à s'abaisser davantage encore en fixant des amendes ou des peines éventuelles.

Tout cela est barbare et sans aucun rapport avec l'ordre de choses nouveau. Aussi Jésus ne dit-il pas : Tenez votre parole d'honneur, mais: Ne la donnez pas du tout. Que votre parole soit : oui, oui; non, non! Ne vous laissez sous aucun prétexte entraîner plus loin; vous êtes trop augustes pour cela. Que les autres se lient réciproquement; vous, restez librement fidèles l'un à l'autre. C'est dans la liberté que réside votre honneur. Votre caution, c'est votre être même. Toute autre garantie serait mensongère, car elle passerait les limites de votre pouvoir. L'avenir n'est pas entre nos mains, nous n'avons donc pas le droit de l'engager. Il appartient à Dieu, comment en disposerions-nous? Nous pouvons déclarer notre intention d'agir de telle ou telle manière, mais non certifier que nous le ferons quoi qu'il arrive. Dans le premier cas, nous manifestons notre disposition actuelle, dans le second, nous arrêtons d'avance la conduite à suivre. C'est ce que nous ne pouvons ni ne devons à aucun prix. Car notre attitude future pourra et devra être modifiée par les circonstances, puisque notre jugement est le plus souvent, en face du fait concret, tout différent de ce qu'il est dans la simple prévision du cas donné; et il est possible, par conséquent, que nous nous trouvions alors à son égard dans un tout autre rapport que nous ne le serions aujourd'hui. 


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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 19:17

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps

CHAPITRE II
LA MORALE NOUVELLE
(Matthieu V, 20-48.)
SON CARACTÈRE POSITIF
 5. Elle témoigne de la souveraineté de l'être nouveau 



« Vous avez appris qu'il a été dit : Oeil pour oeil, dent pour dent. Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui encore la joue gauche; et si quelqu'un veut t'appeler en justice pour t'enlever ta tunique, cède-lui encore ton manteau; et si quelqu'un veut te contraindre à faire mille pas avec. lui, fais-en deux mille. Donne à celui qui te demande et ne te détourne pas de celui qui veut te faire un emprunt. »
 
Dans l'état actuel de l'humanité, le principe de la rétribution est indispensable au maintien de l'ordre. Dans le domaine du bien, comme dans celui du mal, tout repose sur la réciprocité. « Œil pour œil, dent pour dent », cette sentence en formule les droits. « Tu aimeras ton ami, et tu haïras ton ennemi», celle-ci en établit les devoirs. Mais l'ordre de choses nouveau ignore les représailles. II remplace cette déclaration : Tel tu seras pour moi, tel je serai pour toi, par cette autre : Ce que je suis, je le serai pour toi, en toute occasion, et comme que tu puisses d'ailleurs te conduire à mon égard.


Aussi Jésus dit-il aux siens, sans s'attaquer toutefois à la loi de la réciprocité et à ses effets salutaires parmi l'humanité barbare : Vous, ne résistez pas à l'injustice, mais subissez-la paisiblement et l'emportez sur elle par votre bon vouloir. C'est bien là, en effet, ce qu'il nous prescrit : offrir à l'offenseur l'occasion de nous donner un second soufflet, aller au devant et au delà des exigences de celui qui fait valoir injustement des droits sur nos biens, satisfaire doublement à des prétentions insolentes.


L'injustice doit donc pouvoir se donner carrière non seulement impunément, mais encore indéfiniment. Il faut que son effort s'épuise en présence de notre attitude tout opposée et que ses intentions mauvaises viennent échouer contre notre généreuse prévenance. C'est là une endurance qui ne se contente pas de tout subir sans résistance, mais qui s'efforce de donner satisfaction aux convoitises de l'adversaire. Il ne nous suffira point de nous abstenir de toutes représailles. Il faut que notre nature transformée oppose ses instincts nouveaux et ses manifestations spontanées aux caprices et à la perversité de la vieille nature qui s'acharne sur nous. Nous avons à réagir, et même énergiquement, mais conformément à notre caractère propre. 


Nous n'en serons capables que lorsque l'être originel régnera dans notre vie, car cette attitude ne se commande pas, - même aux chercheurs. Elle n'est possible qu'à condition d'être spontanée; elle n'est authentique que si elle procède d'une nécessité interne. Pour se manifester involontairement, comme l'entend Jésus, il faut qu'elle soit devenue pour nous une seconde nature. Si elle n'est pas l'expression de la supériorité de l'être originel et de son caractère particulier, elle n'est que contrefaçon, affectation lamentable, mensonge enfin. 


Gardons-nous donc de nous méprendre sur les intentions de Jésus. Il n'a pas voulu former des hypocrites, mais créer des êtres de vérité. Nous sommes hypocrites, strictement parlant, quand nous accomplissons un acte étranger à notre nature et qui nous oblige à la dompter préalablement. La morale ancienne consiste en victoires remportées sur notre moi; la morale nouvelle est l'épanouissement de notre moi, reposant sur une rédemption et une renaissance de sa vie originelle. Les paroles de Jésus sont des indications qui nous découvrent les lois fondamentales de la vie nouvelle. Ce n'est pas en les considérant comme des obligations qui nous seraient imposées, et en multipliant pour y satisfaire les efforts de notre impuissance, que nous les verrons prendre vie en nous, mais uniquement en veillant à la croissance de notre être originel et en permettant à ses impulsions de se réaliser librement dans notre vie.


Mais ce ne serait point favoriser le développement de la vérité dans notre âme, que de vivre hardiment selon les instincts de notre vieille nature, de peur de feindre ce qui n'existe pas en nous. Si nous nous sommes engages sincèrement dans la voie de la vie, notre conduite sera déterminée par le but auquel nous tendons et elle se rapprochera tout naturellement de la manière d'être propre aux enfants de Dieu. Celui qui cherche réellement et avant tout la terre nouvelle, lorsqu'il sera exposé aux attaques de la malveillance, éprouvera d'autres impressions et agira d'autre sorte qu'un homme ordinaire. De ses seules aspirations résultera nécessairement une orientation de sa conduite conforme aux indications de Jésus, et favorable aux progrès de l'être originel parce qu'elle lui est appropriée.


Toutefois la façon d'agir qui résulte de la plénitude et de la puissance de la vie nouvelle en nous est tout autre chose encore. C'est une réaction élémentaire de notre être originel en face du tort qui nous est fait. Ce n'est pas une résistance héroïque à l'attrait de la vengeance, mais un contre-coup instantané et involontaire, d'une tout autre nature, il est vrai. Car il procède du oui et jamais du non. L'être nouveau en effet, chaque fois qu'il est sollicité d'agir, le fait affirmativement, c'est-à-dire d'une façon salutaire et de manière à concourir toujours au bien des autres et au sien propre. Aussi ne saurait-il recourir à des mesures de défense ou à des représailles, mais se borne-t-il à réagir personnellement. En butte aux attaques malveillantes de ceux de l'ordre ancien, il se donne simplement et absolument tel qu'il est. Peu importent donc les agissements de nos adversaires : qu'ils demandent ou empruntent, qu'ils nous fassent violence ou nous extorquent légalement notre bien, cela ne modifiera aucunement notre manière d'agir. Les procédés injustes, aussi bien que les procédés honnêtes, ne pourront que mettre en lumière le nouveau mode de vie qui nous est propre.


Toutes les injustices qui nous atteignent ne sont que les manifestations du mal intérieur dont souffre notre adversaire, la suppuration de ses plaies cachées. Aussi la seule réaction qu'elles puissent provoquer chez l'être véritablement humain, la seule revanche à laquelle elles l'incitent inévitablement, c'est le secours et la rédemption. Or ce qui le rend capable de les dispenser, c'est le déploiement spontané de la vie nouvelle qui l'anime. Mais pour que cette vie exerce une influence positive et pénètre au-dessous de l'irritation superficielle de l'offenseur jusqu'au tréfonds de son être intime, il faut que ses appétits coupables aient d'abord été complètement assouvis. Qu'il leur donne donc libre cours et que ses exigences nous trouvent prêts à des concessions illimitées 1 Ce sera le moyen de calmer sa fièvre et de le faire entrer en contact avec la vie nouvelle.


La véritable nature humaine et la nature dégénérée se côtoient; rien ne dérobe l'une à l'action directe de l'autre. Rien n'empêche le bien portant de communiquer au malade l'impression immédiate de la santé et d'exercer sur lui son influence salutaire. Lui apporteront-elles la guérison? C'est une autre question. Cela dépendra dans une certaine mesure de la puissance de la vie nouvelle en nous. Si elle ne se déploie pas naturellement, nos intentions et nos efforts n'en sauraient tenir lieu. Au reste, ce qui nous est demandé, c'est simplement de manifester nettement et intégralement ce que nous sommes et non point de nous conformer extérieurement à l'exemple donné par Jésus dans des cas analogues. Une disposition intérieure semblable à la sienne s'exprimera peut-être tout différemment à l'occasion. Car bien que notre conduite doive toujours procéder de l'être' originel qui vit en nous, la forme et les apparences qu'elle revêt ne sont pas déterminées par lui seulement, mais par l'état de choses dans lequel il doit s'actualiser.


Or les choses ne sont pas aussi simples de nos jours qu'elles l'étaient au temps de Jésus. Aujourd'hui comme alors, notre empressement à secourir notre prochain doit être sans limite. Toutefois, nous ne donnerons pas indistinctement à quiconque demande et nous ne prêterons pas à tous ceux qui sollicitent un emprunt. Car nous ne ferions qu'aggraver ainsi le fléau de l'arbitraire, au lieu de contribuer à l'élaboration de l'humanité nouvelle. Notre générosité ne connaîtra pas plus de bornes que celle que Jésus décrit ici, mais elle sera tenue en bride par une fidélité scrupuleuse veillant à l'emploi judicieux des biens qui nous sont confiés, et déterminée par la loi nouvelle selon laquelle celui-là seul est notre prochain qui se trouve remis à nos soins d'une façon spéciale à ce moment précis.


Jésus entendait sans aucun doute recommander aux siens une libéralité, une obligeance inépuisables et sans arrière-pensée. Mais il était moins nécessaire alors qu'aujourd'hui d'en indiquer les postulats raisonnables. Il est peu probable qu'un riche bourgeois de Jérusalem reçût des lettres de mendicité de gens entièrement inconnus, habitant toutes les localités possibles de la Palestine. Par la force des circonstances, l'indigent s'adressait tout naturellement aux parents et aux voisins qui le connaissaient et qui étaient au courant de sa situation. Sa requête avait ainsi pour point de départ une relation personnelle qui en garantissait la dignité, et l'on ne courait guère le danger de nuire plutôt que d'obliger en donnant ou en prêtant sans discernement. Il n'en va plus de même aujourd'hui. Les demandes de secours se multipliant sans aucun contrôle, le fait qu'assistés et donateurs restent étrangers les uns aux autres, la complication extraordinaire de nos conditions d'existence, nous obligent à examiner avec le plus grand soin toutes les sollicitations qui nous sont adressées. Il va de soi que si nous sommes animés de l'esprit des béatitudes, nous ne nous en tiendrons pas moins à la disposition absolue de tous les nécessiteux, comme Jésus nous le donne à entendre ici. Il ne faut point que la sagesse qui tient compte des circonstances diminue en rien notre empressement à servir notre prochain. Autrement nous tombons dans l'hypocrisie. Nous nous trompons nous-mêmes en usant d'une prudence que nous inspire l'amour de l'argent plutôt que la charité et le désir de bien faire.


Ce qui importe, c'est que la disposition intérieure propre à la morale nouvelle revête dans chaque circonstance spéciale la forme particulière qui, tout en révélant intégralement l'être originel, s'adapte cependant en toute liberté à la situation donnée. Cette nécessité intérieure qui régit toute l'activité des hommes nouveaux et se fait sentir à eux spontanément, découle du contact immédiat et vivant avec le problème spécial qu'il s'agit de résoudre et opère toujours, par conséquent, d'une manière originale et appropriée au cas particulier.


Le généreux bon vouloir, la prévenance illimitée que la morale nouvelle oppose à toutes les animosités comme à toutes les importunités affirment, en somme, la suprématie intérieure de l'être nouveau. Il est aussi supérieur à l'ordre ancien que la vérité l'est au mensonge, la force à la faiblesse, la vie à l'inertie, la liberté à la contrainte, l'intuition au raisonnement, la nécessité de nature à l'arbitraire, et l'harmonie au chaos. Aussi tous les assauts de la nature humaine dégénérée ne sauraient-ils l'ébranler ni l'affaiblir; le mal n'éveille en lui aucun écho, mais ne fait qu'évoquer les puissances du bien. Il demeure intangible : rien n'a de prise sur les hommes de vérité, car toute provocation met en évidence la souveraineté de leur vie nouvelle et l'inanité des menées de la malveillance.


Précisément parce qu'elle n'est pas l'effet d'une résolution préméditée, mais une vivante réalité se manifestant involontairement dans la mesure où l'être originel s'épanouit, la morale nouvelle témoigne d'une souveraineté intérieure absolue, non seulement lorsqu'elle se trouve aux prises avec l'injustice, mais d'une manière générale et dans tous les domaines.


C'est leur souveraineté intérieure qui permet aux hommes nouveaux de résoudre les conflits personnels les Plus douloureux, parce qu'elle leur communique la franche impartialité qui conduit à une entente apaisante et libératrice. C'est la souveraineté de leur nature nouvelle qui confère à ses lois innées une telle autorité qu'ils peuvent se passer de tout frein et de toute sanction, parce que ses sommations intérieures suffisent à les guider et à les maintenir. C'est sur la souveraineté de la vie originelle que se fonde la rigueur inflexible de ses exigences. C'est la souveraineté de la vérité qui permet à ceux qu'elle anime de vivre directement de leurs intuitions immédiates; car sa puissance triomphe de tous les obstacles, comme de tous les malentendus qui pourraient résulter de leur façon d'agir sincère et catégorique.


Sur la souveraineté de l'être nouveau en face de toutes les obligations de la vie reposent l'originalité, la force victorieuse, la certitude instinctive, la spontanéité et la fraîcheur de sa vie morale, qui font de lui une manifestation du royaume des cieux.


Dernière édition par Lumen le Ven 21 Juin 2013 - 19:34, édité 1 fois

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 19:28

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps
CHAPITRE II
LA MORALE NOUVELLE

(Matthieu V, 20-48.) 
 SON CARACTÈRE POSITIF
6. Elle témoigne d'une vie surabondante.

«Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs, afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est aux cieux. Car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous? Tout le monde ne le fait-il pas ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d'extraordinaire? Les païens même n'en font-ils pas autant?»

À l'endurance sans limites s'ajoute l'amour sans réserve. Ainsi s'achève le contraste entre l'ordre nouveau et l'ordre ancien. Ce n'est Plus le principe de la réciprocité, de la revanche, qui détermine notre manière d'être : au contraire, notre caractère véritablement humain s'affirme en toute occasion, s'il est vivace. Notre conduite n'est plus relative, mais constante, - parce qu'elle est actionnée par la force motrice originelle, - absolue et catégorique. Aussi les hommes nouveaux aiment-ils même leurs ennemis et prient-ils pour leurs persécuteurs.

Plus notre vie est impersonnelle et passive, plus aussi notre conduite est déterminée de l'extérieur et devient une simple réaction dont la nature et la portée sont conditionnées par l'excitation qui l'a produite. Plus au contraire nous vivons d'une vie personnelle, plus aussi notre conduite est déterminée du dedans et devient une manifestation autonome, un libre déploiement de notre moi. Plus donc le moi véritable est puissant et s'affirme dans notre vie, moins il est influencé par l'attitude de notre prochain et plus il reste fidèle à son caractère propre; car il ne peut agir autrement qu'il ne le doit. C'est dans cet affranchissement de toute influence extérieure que réside la noblesse, la liberté et la souveraineté des hommes véritables. 

Or ce caractère nouveau et inaltérable, c'est celui de leur être originel. C'est la véritable nature humaine qui se révèle par eux en tout et partout. Il n'est pas une des obligations que la vie leur impose, pas une des impressions qui les effleure, pas un des événements qu'ils rencontrent qui ne la fasse apparaître dans sa beauté et sa vertu rédemptrice. Dans les bons et dans les mauvais jours, parmi leurs amis et leurs ennemis, aux prises avec l'admiration comme avec la calomnie, avec l'amour comme avec la haine, leur vie nouvelle s'épanouit victorieusement. Tout contact agréable ou pénible avec leurs semblables ne saurait donc éveiller en eux que des sentiments d'amour.

L'amour est la marque de leur origine, le caractère de leur Père. Comme leur Père fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes, les citoyens de la terre nouvelle éclairent et réchauffent sans distinction et sans exception tous ceux qui pénètrent dans leur sphère lumineuse. Leur qualité d'enfants de Dieu leur confère la noblesse qui ignore la revanche soit en bien, soit en mal; aussi se donnent-ils tels qu'ils sont, de quelque façon que l'on vienne à eux. Rien ne saurait affaiblir leur ardeur ni intercepter leur lumière égale et paisible, puisqu'elles ne dépendent à aucun degré de l'attitude des autres à leur égard. Rien ne compromet leur équilibre, ni n'altère leur caractère; leur supériorité native les garantit également des séductions et des attaques de ceux chez lesquels ne vit point encore l'être nouveau. La conduite de leur prochain ne peut ni entraver, ni limiter leurs manifestations vitales, elle ne peut que les provoquer, car leur manière d'être découle du jaillissement de la vie en eux et non de causes ou de considérations extérieures. Or ce qui déborde ainsi sur ceux qui les approchent, c'est l'amour.

Leur amour est tout autre chose que ce qu'on appelle de ce nom, dans le régime ancien. Ce n'est pas une disposition morale qu'on puisse susciter en soi par un effort de bonne volonté, mais un sentiment spontané, l'élan naturel qui porte l'être nouveau au-devant de tous ceux qui l'approchent. Ce n'est pas la sympathie que nous inspirent des êtres attrayants ou dignes de pitié, mais le trop-plein de l'âme, la vie personnelle surabondante qui se répand au dehors parce qu'elle ne peut contenir ses richesses. Dans cet amour rayonne le bonheur qui remplit les hommes du devenir, leur joie de vivre, la force vitale et l'énergie créatrice accumulées dans leur for intérieur et dont le courant à haute tension se décharge pour devenir lumière et chaleur, irrésistible élan, force expansive de la personnalité. Semblable aux ondes lumineuses du soleil et aux vibrations de sa chaleur ardente, il enveloppe et pénètre tous les hommes et leur communique la force et la joie de vivre.

Cet amour se manifeste dans nos rapports avec nos semblables par un impétueux élan du coeur qui prend envers eux une position énergiquement et invariablement affirmative, par une ardeur à vouloir leur être en soi, leur bien, leur développement, l'apparition de leur beauté profonde. La volonté affirmative de l'être nouveau dans laquelle frémit le mouvement créateur, s'étend indistinctement à tous, par simple besoin de s'exprimer. Car l'amour ne veut pas les hommes tels qu'ils sont, mais tels qu'ils doivent et peuvent être, non leur apparence fortuite, mais leur vérité même, Or, par le fait seul qu'il les affirme ainsi, il les fortifie, les secourt dans leurs détresses, brise leurs entraves et rompt leurs liens, les arrache à leurs erreurs, et les modèle selon leur vérité et leur splendeur natives. Ainsi l'amour est une communication de force et de vie, une puissance créatrice, le rayonnement de l'être, la copie de l'original divin.

Notre amour s'élève jusqu'à Dieu en prières d'intercession. Car si notre vie consiste à puiser en Dieu, nos voeux pour ceux que nous aimons se transforment en requêtes. Nous ne sommes que des organes de transmission. Notre intercession n'est, pour ainsi dire, que l'autre face de notre amour, celle qui est tournée vers Dieu. Les enfants de Dieu mettent tous ceux qu'ils aiment en contact avec lui et les plongent dans son atmosphère, car leur amour est une vibration de la vie créatrice. En se communiquant aux hommes, il met en mouvement la puissance divine. Aussi, aimant leurs ennemis, prient-ils pour leurs persécuteurs.

Quand l'amour est le jaillissement naturel de la vie nouvelle, il est aussi l'accomplissement parfait de la loi qui dit : «Tu aimeras ton prochain. » Jésus nous fait toucher du doigt le contraste entre cet amour spontanément ressenti et l'amour voulu et provoqué par un effort moral, dans cette parole : «Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis. » Car le fait qu'il s'étend à tous, indistinctement et sans réserve, est la preuve infaillible de son authenticité. En effet, cela n'est possible que s'il est une force impulsive de la vie nouvelle, un instinct autonome de la personnalité indépendant de tout stimulant extérieur, une libre manifestation du moi qui fait irruption et se répand au dehors sans tenir compte de rien. Ceux qui vivent encore dans l'ancien ordre de choses, ceux dont l'amour est provoqué par une impression de satisfaction ou de pitié, sont incapables d'aimer ainsi. Tout au plus réussissent-ils par un tour de force moral à simuler l'amour pour leurs ennemis. Mais on n'aime véritablement que lorsqu'on ne peut s'en empêcher. L'amour pour nos ennemis, pour être authentique, doit donc, lui aussi, être l'expression tout impulsive d'un sentiment spontané. Cela est impossible à notre ancienne nature; c'est une nécessité de nature pour l'être nouveau. Aussi l'amour des ennemis est-il en effet une chose « extraordinaire », l'épanouissement splendide de notre vie originelle.

Il y aurait encore une infinité de choses à dire sur la nature, le caractère, l'origine et la portée de cet amour qui est l'inimitable façon d'être des enfants de Dieu, nés à sa vie. Mais cela nous mènerait trop loin (1). Si nous sommes « nés de nouveau», nous en ferons tout naturellement l'expérience.

«Soyez donc parfaits, comme votre Père qui est aux cieux est parfait. »

Cette parole est la clef de voûte des enseignements de Jésus sur la morale nouvelle. Il faut nous placer à ce point de vue pour la comprendre; sinon nous la repoussons d'emblée, et elle devient pour nous une pierre d'achoppement.

On ne peut exiger d'aucun homme la perfection, car l'imperfection est inhérente à la nature humaine. «Il n'y a de bon que Dieu seul », a dit Jésus. Si, sur la foi de son ordre, nous nous faisons forts de réaliser la perfection, si dans l'ardeur d'une exaltation religieuse, nous prétendons à une abstention complète de tout péché, nous ne réussissons qu'à nous tromper nous-mêmes et nous échouons lamentablement.

Mais tel n'est point le sens de la parole de Jésus. La perfection qu'il réclame, - tout comme la justice supérieure qu'il nous prescrit - ne constitue point une différence de degré, mais une différence de nature. Elle n'implique pas l'absolu de la quantité, mais de la substance. La perfection opposée à l'imperfection, c'est la morale primesautière, accomplissante, créatrice, de l'ordre nouveau, opposée à la morale insuffisante et mesquine de l'ordre ancien. Car elle est parfaite en son essence, quelque embryonnaire, imperceptible ou embarrassée qu'elle soit peut-être encore, tandis que la morale ancienne est et reste imparfaite de sa nature, quel que soit le sommet auquel la porte notre effort.

Jésus ferme ainsi le cercle de ses instructions sur la morale nouvelle en revenant à son point de départ : «Si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume de Dieu. » En effet, dans le royaume de Dieu règne la morale parfaite; dès que le royaume de Dieu - sous sa forme individuelle et personnelle qui est l'être originel - s'instaure dans un être humain, elle s'y développe aussi nécessairement que lève la semence jetée en terre. Voilà pourquoi Jésus peut dire : « Soyez parfaits ». Il ne commande point; il appelle les chercheurs à concourir au développement des germes de vie qu'ils sentent travailler en eux, si réellement leur être originel est sorti de son sommeil. Or tous ceux chez lesquels s'opère cette transformation radicale, éprouvent certainement les premiers symptômes d'une moralité nouvelle. Qu'ils prennent donc soin d'en favoriser les progrès et qu'ils s'appliquent à laisser s'épanouir purement et librement dans leur vie cette perfection qui est la réalisation de leur véritable humanité.

Cette parole : « comme votre Père céleste est parfait », indique l'origine de la morale absolue de l'être nouveau : en elle se retrouvent les traits du Père. Jésus relève un de ces traits, l'amour, lorsqu'il nous recommande d'aimer sans réserve et sans bornes, comme le Père qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants. Mais sa déclaration a une portée générale. Tous les caractères distinctifs de la morale nouvelle - la souveraineté dont elle témoigne, la spontanéité de ses manifestations, sa conformité rigoureuse à la loi, sa liberté primesautière, son «accomplissement » positif et créateur, - sont, aussi bien que sa vie débordante d'amour, des traits de la nature du Père. Or, tel est le Père, tels sont ses enfants, mais seulement ceux qui sont « nés de lui ». Aussi ne reproduirons-nous son caractère que lorsque notre être véritable, issu de Dieu, sera né en nous. 

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 19:39

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
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CHAPITRE III
LA VIE PERSONNELLE
(Matthieu VI, 1-18.)


Dans le chapitre qui va nous occuper, Jésus aborde le sujet de la vie personnelle et oppose une fois de plus le caractère particulier de l'être originel à la nature faussée dont il doit triompher. Nous y apprenons comment vivent ceux qui ont été radicalement transformés.

Les trois fragments réunis ici projettent une vive clarté sur les divers domaines dans lesquels se déploie la vie personnelle des hommes nouveaux: l'instruction concernant l'aumône nous apprend comment s'exerce leur action au dehors, l'instruction sur la prière ce que sont leurs relations avec Dieu; enfin les déclarations se rapportant au jeûne, ce que doit être leur vie intérieure. Cependant, si ces trois morceaux sont ici groupés, ce n'est pas uniquement en raison de cette analogie, mais pour un autre motif encore.

Quelque divers, en effet, que soient les trois domaines dans lesquels doit se déployer la vie nouvelle, Jésus nous fait entendre au sujet de chacun d'eux la même recommandation, répétée à chaque fois en termes identiques : Quand vous faites l'aumône, quand vous priez, quand vous jeûnez, ne le faites point publiquement, comme les hypocrites, afin d'attirer les regards. Ils y trouvent leur récompense. Quant à vous, que cela se passe en secret et votre Père qui voit dans le secret vous le rendra.

Jésus énonce ici un seul principe fondamental, qui s'applique à tous les domaines de la vie personnelle. Pour en établir la portée générale, il nous en montre successivement les effets dans trois directions différentes, l'identité des termes renforce et intensifie sa démonstration. Cette loi de nature de la vie originelle est d'une rigueur absolue. Raison de plus pour ne point l'appliquer uniquement aux trois cas particuliers dont il est ici question, mais au contraire à tout l'ensemble de la vie. Ici, comme ailleurs, nous ne saisirons dans toute sa profondeur l'enseignement de Jésus, que si, au lieu de nous en tenir aux exemples concrets destinés à illustrer le principe, nous en discernons le sens plus étendu.

Pour les Juifs, chez lesquels la vie avait perdu sa signification intrinsèque et n'avait de valeur qu'en tant que champ de la religion, la vie. personnelle se confondait avec la piété. Devenue une pratique ascétique juxtaposée à la pratique de la morale, elle acquérait de ce fait le caractère d'une oeuvre religieuse qui venait s'ajouter à l'accomplissement du devoir. La piété comme telle faisait partie intégrante de la notion de «justice » qui enfermait tout l'idéal juif.

Mais le centre de gravité de la vie personnelle se trouvant ainsi déplacé, elle devait nécessairement dévier. Elle s'écartait de sa véritable fin, qui réside en elle-même et se subordonnait à des intérêts exclusivement religieux. Son objectif n'était plus « l'accomplissement » comme tel, mais le caractère méritoire qu'on lui attribuait et en vue duquel on la cultivait. Il en résultait qu'on faisait le bien, non en vue du bien même, mais afin de mériter la faveur divine et la récompense attendue, car ce qui importait, ce n'était pas la chose en soi, mais le but qu'on cherchait à atteindre par son moyen.

Il y avait plus encore. À mesure que les manifestations de la vie personnelle dégénéraient en « oeuvres », elles prenaient un caractère extraordinaire, tout exceptionnel. Elles procuraient ainsi à celui qui les pratiquait un sentiment croissant de sa valeur qui, en faisant miroiter à ses yeux ses mérites et sa dignité, exerçait sur lui une véritable séduction. Or, ce qui donne au mérite sa saveur, c'est la considération qu'il rencontre. En conséquence, cette commutation de la vie personnelle ordinaire en oeuvre religieuse extraordinaire devait nécessairement inciter le croyant à escompter l'impression qu'il produirait grâce à elle. À une insincérité subtile, succédait ainsi une faute grossière que Jésus qualifie d'hypocrisie.

Ce ne sont point là des phénomènes pathologiques inconnus de nos jours qui ne présenteraient qu'un intérêt historique, mais bien des maladies de la vie religieuse qui sévissent encore parmi nous. Dans nos cercles chrétiens aussi, la vie personnelle est absorbée par la piété et présente tous les symptômes de la dégénérescence. Parmi nous aussi, la piété tourne à l'hypocrisie partout où elle n'en est pas préservée par la conviction que tout est pure grâce et par une profonde sincérité. Et même lorsqu'elle en reste exempte' le sentiment d'être quelque chose de spécial y perce presque toujours.


 

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 19:54

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
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CHAPITRE III
LA VIE PERSONNELLE
(Matthieu VI, 1-18.)
1 . Nos relations avec le prochain.



«Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes pour attirer leurs regards : autrement vous n'aurez pas de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux. Quand donc tu fais l'aumône, ne sonne pas la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d'être honorés des hommes. En vérité, je vous le dis, ils ont leur récompense. Pour toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, en sorte que ton aumône s'accomplisse en secret; et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra. »

Dans ces paroles, Jésus s'accommode d'expressions empruntées à la notion juive de récompense, pour flétrir le vice et l'hypocrisie. Mais dès qu'il lui oppose la disposition contraire, son langage s'affranchit de cette conception mercenaire. Tout ce passage devient donc parfaitement simple et compréhensible, sitôt que nous le dépouillons de, son vêtement juif. Gardez-vous, nous dit-il, de faire le bien pour être vus des hommes, car dans ce cas votre bonne action na aucune valeur aux yeux de Dieu et selon la vérité. Ou, pour traduire l'idée de réaction impliquée dans le mot de récompense : votre bonne oeuvre restera infructueuse pour la vie de l'être originel en vous. En effet, quand nous agissons en vue d'une impression à produire sur autrui, ce n'est pas le Père qui est mis en lumière, mais notre personne; il ne s'agit pas pour nous de vérité et de vie, mais d'apparence et d'ostentation; nous ne servons pas les autres, mais notre ambition; nous ne cherchons point à accomplir, mais à obtenir; notre action n'est pas spontanée, mais calculée. Or la nature d'un acte en détermine l'effet : s'il dégénère, il reste stérile, il devient même nuisible. Le bien se change en mal, par la déviation que lui imprime une arrière-pensée personnelle.

Ne proclamons donc point au son de la trompette les dons de notre miséricorde, comme le font les hypocrites qui n'y cherchent qu'une occasion de se glorifier. En vérité, ils trouvent leur récompense : elle est dans l'impression qu'ils produisent. C'est dans le monde des apparences que leur action s'est effectuée et s'est évanouie. De pareilles manifestations n'ont ni valeur Vitale, ni action vivifiante.

Il est évident que cet avertissement n'a rien perdu pour nous de son importance. Un grand nombre de personnes ne vivent qu'en vue de l'effet qu'elles voudraient produire, et chez la plupart cette considération exerce une influence prépondérante sur la conduite. Que cette préoccupation joue un rôle prédominant parmi ceux qui ne se sont pas encore retrouvés eux-mêmes et qui n'attachent point de prix à leur véritable Mo cela n'a rien qui doive nous sur prendre. Ils sont trop superficiels, trop dépendants des choses extérieures et du jugement des autres, trop flottants intérieurement pour la dominer. Plus un être est pauvre de vie personnelle, Plus il a besoin pour vivre de la considération d'autrui. C'est là sa richesse, il en jouit, il l'exploite, il l'entretient d'instinct afin d'échapper au sentiment de sa misère et de ne pas laisser s'éveiller en lui la soif de vie et de vérité. 

Il y a donc un symptôme du caractère encore barbare de notre culture dans le fait qu'elle est, toute pénétrée de l'aspiration à la vaine gloire, qu'elle en vit, en tire parti et s'est organisée en conséquence. Le monde des apparences y compte plus que celui de la réalité. Les honneurs, la considération, la célébrité y sont les mobiles directeurs, du moindre cercle villageois aux Plus hautes sphères de l'art, de la science et de la politique. La notion courante de l'honneur même témoigne du prix que l'on attache communément à l'opinion des autres, car si une offense publique est considérée comme une atteinte à notre honneur, il est évident que celui-ci est censé résider dans l'opinion qu'on a de nous, dans notre réputation, qui sont à la merci d'autrui, et non dans la valeur indélébile de notre personnalité qui ne peut être compromise que par notre infidélité envers nous-mêmes.

Ces vaines préoccupations sont étrangères à la vie nouvelle. Quiconque a fait de cette vie son unique ambition ne peut souffrir que le reflet changeant de son milieu se projette sur sa vie intérieure; celui même qui ne fait encore qu'y aspirer, se désintéresse de l'effet qu'il produit. Pénétré du sentiment de son indigence, il ne songe plus à se faire remarquer; tout ce qu'il accomplit lui semble sans valeur; il ne peut tolérer qu'on en fasse grand bruit. Comment agirait-il en vue de la considération? Plus il vit en profondeur, plus il devient indifférent à ce qui se passe à la surface. Comment celui qui porte les souffrances de ses semblables se sentirait-il stimulé par leur approbation? Comment celui qui poursuit la vérité se demanderait-il en quelle estime on le tient? Il n'y trouverait ni consolation, ni soutien, ni confirmation de sa conscience personnelle. 

Et quant à celui qui a déjà en quelque mesure trouvé la vérité, il a totalement perdu le goût des apparences. Plus il s'ennoblit, plus il aspire à demeurer dans l'ombre. Il y a de la vulgarité à prêter l'oreille aux applaudissements, et à cher. cher dans le verdict de la foule le critère de nos actions. D'ailleurs, l'approbation des masses est suspecte, car elle est plus souvent de nature à nous inspirer quelque défiance à l'égard de notre conduite. Nous agissons certainement sur les autres par l'impression que nous produisons; jamais toutefois par l'impression calculée, mais uniquement par un effet involontaire. Le devoir des chercheurs est de luire inconsciemment, grâce aux vibrations de la vie qui les anime, mais jamais de projeter volontairement leur éclat, ni de se mettre eux-mêmes en lumière.

La préoccupation de l'effet trouble la vue. Elle nous éblouit, elle altère la pureté de notre regard. Elle nous détourne du but, elle éparpille nos énergies; elle corrompt notre jugement et affecte à notre insu notre conduite. Des considérations étrangères entrent en jeu et compromettent la droiture et l'impulsivité de notre vie. L'incertitude intérieure commence, la spontanéité disparaît. Là est le nerf de l'avertissement de Jésus : Vous, chercheurs, nous dit-il, qui sentez monter en vous la sève d'une vie nouvelle, veillez à ce que rien ne trouble la spontanéité de vos manifestations; votre vie originelle dépérirait infailliblement. Mais il va plus loin encore : Que ce que vous accomplissez, ajoute-t-il, ne reste pas seulement ignoré des autres, mais de vous-mêmes. « Quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ne sache pas ce qu'accomplit ta main droite. »

La relation de la main gauche avec la main droite exprime chez les Orientaux la communion la plus étroite et la plus intime. Si donc l'une doit ignorer absolument l'acte accompli par l'autre, cela signifie que les manifestations de notre vie ne doivent en aucune façon occuper notre esprit, mais se produire sans qu'il s'y arrête, sans qu'il y intervienne, sans qu'il les raisonne. Nous devons vivre ingénument, c'est-à-dire sans y songer, d'une manière immédiate et primesautière. Quand l'impulsion intérieure se réalise involontairement, la main gauche elle-même ignore le mouvement de la main droite, parce qu'il s'est accompli d'instinct.

Quoi donc que nous fassions, ne nous y attardons pas en pensée, ni au moment même, ni dans la suite. Les réflexions qui accompagnent, soupèsent, discutent nos actions, troublent et compromettent la spontanéité de nos manifestations tout autant que les réflexions de notre entourage. Notre conduite en est défraîchie, le fruit perd son duvet. La lumière que nous projetons sur nous-mêmes nous ternit. Elle ôte à notre vie l'originalité qui en fait le charme, la fraîcheur, la limpidité, la force jaillissante et la certitude intuitive. Le déploiement de notre génie propre est inséparable de la spontanéité des phénomènes intimes qui seule permet à notre être nouveau de rayonner dans toute sa pureté et de se manifester par une activité créatrice.

Il ne suffit donc point de laisser ignorer le bien que nous faisons; il faut l'ignorer, nous aussi. Certes, nous devons nous y plonger tout entiers, mais sans aucun retour sur nous-mêmes. Ce que nous accomplissons doit passer inaperçu pour nous comme pour autrui. Peu de gens le comprennent : la plupart s'applaudissent de leurs bonnes actions, s'y complaisent, y reviennent avec une satisfaction infinie; leur pensée ne peut s'en détacher. Cet état d'esprit est incompatible avec la pureté et la simplicité de la vie originelle. Les impulsions impérieuses de notre vie profonde sont d'une chasteté farouche; aussi ne saurions-nous, fût-ce devant nous-mêmes, nous prévaloir de nos oeuvres. Nous avons au contraire à faire si naïvement ce que nous impose une nécessité intérieure, que nous n'ayons plus même à imposer silence au plus léger mouvement de suffisance en nous répétant que nous n'avons rien fait d'extraordinaire.

Notre esprit ne doit s'arrêter à nos actions qu'autant qu'il y collabore; et encore doit-il y collaborer sans jamais les contempler. Il ne faut point qu'il y assiste en observateur, il faut qu'il s'y absorbe assez complètement pour n'en point être impressionné. Nous constituer spectateurs en face de nos propres actions est aussi coupable que de réclamer pour elles des spectateurs. En outre, nous compromettons ainsi l'intégrité de notre mouvement : nous réunissons en une seule personne héros et admirateurs. Or dans la mesure où nous devenons admirateurs, nous cessons d'être héros. Nous sommes des acteurs qui jouent un rôle, ne fût-ce que devant eux-mêmes. L'unité compromise, la vérité disparaît et avec la vérité la force féconde.

Il nous est impossible d'exécuter un travail tout en observant nos gestes dans un miroir. L'énergie de nos mouvements en est diminuée, notre attention se détourne de la chose elle-même pour se reporter sur nous, nos impressions influent sur l'exécution. Nous n'agissons plus ingénument et objectivement. Et quand, en outre, une fois l'oeuvre accomplie, nous nous retournons pour la considérer complaisamment, un arrêt se produit, le rythme de notre vie s'interrompt et le moment s'écoule en vain. Le temps est trop court pour que nous le perdions à fêter nos victoires. Il faut avancer; la vie qui monte nous presse.

Les hommes qui «deviennent» ne sauraient se glorifier de leur vie nouvelle et de leurs oeuvres. Car ce qui a du prix à leurs yeux, c'est ce qui est né et a grandi naturellement, ce qui n'est point le produit de leurs réflexions et de leurs efforts; aussi ne trouvent-ils de joie dans leur vie personnelle que lorsqu'elle est devenue le docile organe de l'action divine. Ils viennent en aide à ceux qui ont besoin d'eux, par un mouvement tout réflexe qui, en libérant leur énergie intérieure, leur procure une joie instinctive, mais exclut toute satisfaction d'eux-mêmes. Qui, en effet, se glorifierait d'aimer? Qui se croirait digne de reconnaissance parce qu'un autre, en se laissant secourir, l'aide à réaliser sa vocation? Y a-t-il quelque chose d'extraordinaire à administrer en faveur d'autrui, avec sagesse et fidélité, les biens qui nous sont confiés, et à en faire part aux nécessiteux? Combien nous semblerait ridicule le caissier qui tirerait vanité des grosses sommes qu'il aurait à débourser? Et cependant, lequel de nous reste tout à fait exempt de ce sentiment lorsqu'il accomplit un «sacrifice »? Nous ne parvenons point à l'étouffer, mais il disparaît: tout naturellement quand nous avons pris une position normale en face de la vie et quand nous sommes devenus si différents que nous ressentons tout d'une manière immédiate.

Mais pour que notre vie personnelle s'écoule véritablement dans le secret, ignorée de nous-mêmes et des autres, il faut qu'elle jaillisse directement de la profondeur. Nous ne vivrons d'une manière absolument naïve que lorsque toutes nos manifestations vitales émaneront non de la réflexion, mais de l'intuition, lorsqu'au lieu d'être préméditées, elles naîtront d'un contact vivant avec la situation donnée, avec les obligations du moment, avec les êtres qui sont placés sur notre chemin. Si notre vie ne s'alimente aux sources mystérieuses situées au-dessous du domaine de la conscience, nous ne connaîtrons jamais les impulsions originales et créatrices. Les racines de tout ce qui vit, de tout ce qui germe, plongent dans l'obscurité. C'est la loi de la nature comme de l'esprit humain. L'existence qui ne s'y conforme point n'est plus une vie, mais un pitoyable mécanisme. Les résultats de nos réflexions sont des produits artificiels dépourvus de toute vie originale et génératrice, non des phénomènes élémentaires, des révélations de notre nature, des fruits authentiques de notre devenir. Nous les avons fabriqués; ils n'ont pas mûri spontanément.

L'opposition entre ces deux ordres de faits est évidente. Dans l'un des cas, à la vue de notre prochain dans la peine, nous ressentons son angoisse aussi profondément que si c'était la nôtre et nous volons à son secours sans y songer, parce que nous ne saurions faire autrement. Sous la pression de sa détresse se dégage en nous une puissance de sympathie qui lui vient en aide «dans le secret». Nous savons à peine après 'coup ce que nous avons fait pour lui. Dans l'autre cas, la détresse de notre prochain nous sollicite : « Sois noble, secourable et bon! » Nous comprenons l'obligation qui nous incombe et nous obéissons. Nous l'assistons parce que le devoir nous ordonne de l'aimer, mais non parce que nous ne saurions ne pas l'aimer. Dans le premier cas, nous agissons en vertu d'une impulsion spontanée, dans le second sous l'empire d'une considération morale.

Or, si nous ne voulons pas étouffer la vie qui germe, il faut que ce que nous éprouvons spontanément se traduise immédiatement dans la pratique. Cela n'exclut point l'activité consciente qui s'exerce au contraire entièrement au profit de cette opération même. Car l'ingénuité ne consiste point à agir sans réflexion, mais à concentrer notre esprit sur l'action qui doit être accomplie, en sorte qu'il lui devienne impossible de l'analyser, de s'y mirer, de s'en applaudir. La naïveté n'est pas l'inconscience, mais la spontanéité candide qui ressent tout si profondément qu'elle s'ignore elle-même en agissant, et ne soupçonne point la grandeur et la beauté de l'oeuvre accomplie.

Cette disposition n'exclut point, mais implique au contraire la réflexion nécessaire en vue de l'action. Notre esprit perçoit par une intuition immédiate tous les appels que la vie nous adresse, comme aussi l'attitude que nous prenons instinctivement à leur égard, et il réagit sur le champ en portant un jugement qui met en branle notre volonté. Et cela d'autant plus que nos impressions sont vives et profondes. Plus notre génie propre, c'est-à-dire notre être originel, est actif, plus aussi ce qui se passe en nous se produit simplement, directement, involontairement et sans que nous nous en rendions compte dans le détail. Toutefois si nous n'obtenons pas d'emblée la clarté qui nous est nécessaire pour établir notre jugement, nous devons certainement nous efforcer de l'acquérir par l'examen approfondi du cas donné. Cet examen pourra se prolonger, si les circonstances l'exigent, mais il restera toujours objectif, strictement au service de «la chose», qui seule sera prise en considération.

Il est évident que dans une vie toute primesautière et jaillissante, passant ainsi directement de l'impulsion à l'action, il n'y a pas de place pour la préoccupation du mérite et de la récompense. Quand la main gauche ignore ce que fait la droite, la raison ne suppute point le bénéfice possible, soit dans la vie présente, soit dans la vie à venir. Aucun mobile étranger à la chose même n'intervient. Nul motif n'émanant pas du sentiment intuitif des nécessités du moment n'est pris en considération. C'est pourquoi nous affirmons que le commandement positif du v. 3 réduit à néant la notion juive de récompense, à laquelle Jésus emprunte d'abord ses expressions en vue de ses auditeurs.

Cependant si les manifestations de notre vie se produisent ainsi dans le secret, le Père qui voit dans le secret, s'y révélera. Dieu considère ce qui se cache, parce qu'il est un Dieu caché. Il agit dans les ténèbres; il crée du fond de l'obscurité. C'est dans le secret qu'il entre en contact avec l'homme, c'est dans le tréfonds de notre être que nous percevons le flot de sa vie qui monte en nous. Nous le sentons vibrer dans l'inquiétude qui nous révèle nous même à nous-mêmes et nous pousse à chercher sans répit.

Dans cet émoi de tout notre être, les impressions et les sollicitations de la vie trouvent le milieu qui les reçoit et les transmet et d'où émane notre mouvement vital. C'est de cette source cachée que doit découler notre activité pour être vraiment née de Dieu. Tant qu'elle dérive de la surface, c'est-à-dire de notre vie consciente, de nos pensées et de nos résolutions, il lui manque le contact direct avec Dieu. Nous agissons, sans doute, avec la préoccupation de servir Dieu, mais nous cessons de vivre objectivement et c'en est fait de notre spontanéité. C'est l'état intérieur que l'apôtre Paul caractérise en ces termes : « Ce qu'on ne fait pas avec foi » - c'est-à-dire ce qui ne jaillit pas d'un contact avec Dieu ressenti spontanément - « est un péché». Si au contraire notre vie jaillit directement des sources intérieures, Dieu la mettra en valeur. Nous n'aurons plu, à nous préoccuper de l'effet, des résultats, du succès, car en elle se manifestera l'action divine et créatrice. Quand Dieu donne le vouloir, il donne aussi l'exécution.. Moins donc nous analysons notre manière d'agir, moins nous nous en inquiétons, plus nous vivons simplement et naïvement, plus aussi elle devient l'affaire de Dieu. Plus notre vie reste ignorée, plus elle se produit avec la spontanéité d'un phénomène naturel, mieux aussi il peut s'y révéler et en tirer parti. La disposition la plus propre à faire de nous ses organes, c'est une objectivité enfantine. Notre vie personnelle exercera donc une influence Objective d'autant plus féconde qu'elle restera plus cachée subjectivement.

En outre ce qui se fait ainsi dans le secret ne restera point ignoré. «Il n'y a rien de caché qui ne doive être révélé. » Non par nous, il est vrai; c'est Dieu qui s'en chargera, mais seulement si nous n'y songeons pas. II ne peut mettre en lumière que ce que nous laissons nous-mêmes dans l'ombre. Mieux vaut donc ne pas nous en préoccuper.

En somme, cet enseignement de Jésus concernant l'aumône éclaire pour nous toute la vie personnelle des hommes nouveaux. Cette vie conserve toujours son caractère primitif : dans la suite, comme à son début, elle est une manifestation impulsive de leur vie profonde, l'épanouissement et le déploiement spontanés de l'être originel qui a pris naissance en eux, mais non l'effet d'un travail moral entrepris sur eux-mêmes. Ils ne se façonnent pas volontairement sur une conception de la vie située. en dehors deux, ils n'agissent plus en contradiction et en continuel désaccord avec eux-mêmes d'après un modèle digne d'être imité, mais la vérité invisible qui germe en eux s'actualise directement dans leur vie et c'est elle qui communique la lumière à leur pensée. Leur vie personnelle repose sur une intuition immédiate et non sur des déductions de leur esprit. Elle est impulsive et non laborieuse, Simple et jaillissante et non point élaborée et apprêtée. C'est une création, non un produit artificiel, le fruit de la vie qui les presse, non le résultat de la réflexion et du surmenage. L'homme n'y peut collaborer qu'en lui procurant les conditions favorables à son développement et en laissant libre cours à la réalisation de ses intuitions immédiates. Il lui faut pour cela se dépouiller de toutes les considérations, de tous les sentiments qui le paralysent, éviter aussi tout ce qui compromet son ingénuité. Il faut que ce qu'il ressent spontanément se traduise en actes, et que ses impulsions créatrices s'extériorisent aussi franchement que possible.

Ce mode de vivre est propre à la nature nouvelle qui veut s'épanouir en nous, parce qu'il est spontané comme elle. La croissance et l'action d'un être sont toujours conformes à sa nature, car elles ne sont que l'être même entré dans le mouvement de la vie. Aussi la puissance et la netteté des manifestations de notre être originel dépendent-elles de l'intégrité des phénomènes de notre vie profonde, et l'action divine et créatrice ne peut-elle se déployer pleinement en lui, que si cette vie est toute naïve et primesautière.

Là où apparaît la moralité nouvelle, le nouvel être existe en substance. Pareillement, là où la vie est toute spontanée, il déploie son caractère et sa vie propre. Ces deux phénomènes sont inséparables. De même, la nouvelle moralité n'est l'épanouissement authentique de l'être originel que lorsqu'elle est instinctive et porte spontanément ses fruits; et d'autre part la vie instinctive n'est réellement une création de l'être originel que lorsqu'elle se manifeste d'une manière qui lui est conforme. L'homme dont la moralité n'est qu'un principe, un idéal laborieusement poursuivi, ignore la transformation radicale de l'être, tout comme celui qui se donne tel qu'il est sans être guidé par les lois de la vie nouvelle. La vie originelle n'est donc une réalité personnelle que là où elle est devenue une seconde nature et où, en même temps, toutes les manifestations naïves et spontanées de la vie témoignent d'un renouvellement de l'être selon sa vérité.

Ce n'est pas seulement dans le domaine de l'action morale que s'exprime d'une manière naïve et originale la vie personnelle des hommes nouveaux. C'est dans tous les domaines. Leur commerce journalier avec leur prochain, par exemple, découle directement du contact qui s'établit tout naturellement entre eux. Leur sensibilité délicate leur communique le sûr instinct qui les fait toujours toucher juste. La diversité de leur attitude personnelle, le ton et le rythme de leur vie en commun, la nuance de leur maintien résultent des rapports invisibles établis et vivifiés par un échange mutuel immédiat. Ils rayonnent d'une spontanéité exquise qui prête à tous les mouvements de leur vie leur couleur spéciale et leur charme particulier, ils sont aux antipodes de toute pose, de toute manière raisonnée, des précautions diplomatiques comme des subtilités artificieuses. Il est clair qu'un commerce pareil constitue seul la vie authentique, l'entr'aide en vue du progrès et la communion véritable. 

C'est ainsi que nous nous rendons maîtres de la vie, trouvant dans l'intuition directe des grands et des petits problèmes de chaque jour leur solution réelle et complète, faisant droit avec une aisance tranquille aux devoirs qui nous incombent, parce que nos actions et nos démarches sont l'expression primesautière de notre personnalité et de notre vie profonde. Tant qu'il faut commencer par nous battre les flancs, rien ne nous réussit. L'activité raisonnée n'est que du sabotage. Ce qui ne marche pas de soi-même marche de travers. Toute imperfection résulte d'une intuition insuffisante et d'une spontanéité contrariée.

Nous avons déjà constaté le même fait à propos de la confession et de la propagation de la vie nouvelle. En fin de compte, nous le retrouvons à la base de toutes les relations humaines, dans lesquelles la vérité doit s'incarner, qu'il s'agisse du mariage ou de l'éducation, du travail en commun ou des droits du prochain; et notre mal consiste précisément en ce que toute vie spontanée, immédiate et jaillissante est étouffée en nous par le raisonnement et l'analyse, l'affectation et les procédés artificiels.

Mais il ne nous est possible de vivre en toute naïveté que lorsque notre nouvelle nature est devenue une puissance. Tant que la source de nos intuitions immédiates est obstruée, notre vie n'en saurait découler. Vous donc, ô chercheurs, qui l'entendez sourdre en vous, laissez-la monter et déborder de toutes parts, avec une force créatrice.

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 20:27

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps


CHAPITRE III
LA VIE PERSONNELLE

(Matthieu VI, 1-18.)
2. Nos relations avec Dieu.


«Lorsque vous priez, ne faites pas comme les hypocrites, car ils aiment à prier debout dans les synagogues et au coin des rues, afin d'être vus de tous les hommes. En vérité, je vous le dis, ils ont leur récompense. Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre et, la porte close, prie ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra. »

Ce qui est vrai de nos relations avec notre prochain, l'est de nos relations avec Dieu. Les unes et les autres aussi doivent porter le même caractère. Que les hommes qui «deviennent » se gardent de faire état de la vie qui leur vient de Dieu, et de poursuivre par son moyen quelque but étranger à l'impulsion personnelle qui en est la seule raison d'être. C'est dans le secret qu'ils ont à chercher Dieu; ce qui se passe dans l'intimité de l'âme ne doit point sortir de cette chambre close. Que les païens et les hypocrites en agissent à leur gré; ceux qui suivent la voie de la vérité ne sauraient les imiter.

Jésus nous en donne un exemple dans ce qu'il nous dit de la prière. La prière authentique est la vivante expression du contact personnel avec Dieu qui s'établit chez tout homme qui cherche, et dont il prend tôt ou tard clairement conscience. La vie universelle, créatrice, stimulante et façonnante, vient battre de ses flots puissants le seuil de notre être et devient pour nous une réalité vécue. Si nous lui ouvrons l'accès de notre être intime, elle nous communique son élan. Les vibrations d'une vie nouvelle nous ébranlent, un esprit nouveau nous envahit. Nous nous sentons en son pouvoir et percevons distinctement ses impulsions. Dans cette expérience, c'est Dieu qui parle, agit sur nous et nous conduit. Tous les événements, toutes les obligations de l'existence, nous apportent un message divin, une fois que nous avons appris, comme des enfants attentifs, à comprendre le langage de la puissance paternelle qui régit notre vie.

Quand Dieu nous parle, il est impossible que nous ne lui parlions pas à notre tour. Une réaction succède à son action; à ses communications notre réponse. Lorsqu'il s'ouvre à nous, nous nous ouvrons à lui et tout ce qui surgit en nous reflue vers lui. À sa confiance, dont chacune de nos afflictions nous apporte le témoignage, répond notre confiance : comme il compte sur nous pour les faire concourir à notre vie, nous comptons sur lui pour nous secourir miséricordieusement. Son désir de nous voir le glorifier en toutes choses appelle sur nos lèvres les souhaits qui surgissent en nous au choc de la vie.

C'est en cela que consiste la prière. Elle est un élan spontané et involontaire répondant au Dieu qui se fait entendre à nous. C'est quand nous éprouvons sa présence que nous nous tournons vers lui. À son appel mystérieux qui se traduit dans notre, inquiétude intime, tout notre être reflue vers les profondeurs obscures d'où nous sentons monter en nous cette impulsion indéfinissable. S'il nous devient assez proche pour que nous entendions son langage dans tous les détails de notre vie, nous lui ouvrons à notre tour librement notre coeur; et à mesure que nous faisons l'expérience toujours plus merveilleuse de son amour paternel qui nous dispense toutes choses, nous nous adressons à lui «comme des enfants chéris à leur père bien-aimé ». Alors tout ce que Jésus nous a révélé de notre Père céleste nous devient sensible et familier et son invitation à lui présenter toutes nos requêtes nous inspire une confiance de plus en plus simple.

Mais si la prière est essentiellement une émotion toute spontanée, un élan du coeur qui se tourne vers Dieu lorsqu'il éprouve consciemment ou inconsciemment son attrait, elle réclame, de ce fait même, le secret le plus absolu. Car elle est le courant mystérieux qui, de l'âme, remonte au principe de toute vie, l'opération la plus intime qui puisse se produire dans les profondeurs cachées de l'être humain.

La prière est la révélation de l'homme à Dieu répondant à la révélation de Dieu dans l'homme. Cette action réciproque du principe métaphysique en nous et du principe métaphysique de l'univers, en vertu de laquelle la puissance de la vie divine devient l'énergie motrice de notre vie personnelle, repose sur la spontanéité de nos impressions intimes qui nous ouvre à son influence. L'élément qui la transmet, c'est la sensibilité de notre être nouveau qui, dans tout ce qui l'émeut, perçoit une vibration divine et est ainsi constamment sollicité de réagir. Aussi notre prière ne saurait-elle rendre un son clair et puissant que si elle retentit spontanément et avec une candeur absolue.

Plus la prière est et demeure ainsi un mouvement involontaire, une manifestation impulsive de notre vie profonde, plus elle est vivante, sincère, objective. Tous les enseignements de Jésus sur la nécessité de voiler aux autres et à nous-mêmes les phénomènes originaux de la vie personnelle s'appliquent donc plus directement encore, si possible, à nos relations avec Dieu. Aussi Jésus dit-il à ceux qui «deviennent»: Quand vous cherchez la face de Dieu, faites-le dans le secret.

Toute perturbation de la spontanéité fait cesser le contact avec Dieu. Ici, comme dans tous les domaines, intervenir dans les phénomènes vitaux, c'est causer la mort. Les méditations, les états d'âme dans lesquels ne se traduit pas d'une façon directe et sommaire ce que nous éprouvons spontanément, les réflexions, les sentiments, les appréciations, les arrière-pensées qui se mêlent à notre prière la paralysent. L'élan de notre coeur doit nous absorber tout entiers. Mais cela n'est possible que si nous avons coupé toutes les autres communications. Pour nous ouvrir à Dieu, il faut donc nous fermer à tout le reste.

Mais si l'intégrité de la prière dépend du secret qui l'enveloppe, il en est de même de l'exaucement. C'est dans les profondeurs de notre sensibilité spontanée que Dieu entre en contact avec nous. S'il y trouve un écho vibrant, il s'y manifestera. Alors notre prière libérera les énergies et les clartés qui émanent de l'être éternel et acquerra la portée que mesurent seuls ceux qui en ont fait l'expérience. Car elle sera un véritable dégagement de vie, un phénomène naturel élémentaire qui, en vertu d'une nécessité interne, mettra en mouvement la puissance de vie universelle, au service de la vie humaine et personnelle. Que notre prière reste donc ignorée, préservons-en à tout prix la pudeur. Ne livrons en proie ni à nous-mêmes, ni aux autres, l'émoi divin dans lequel monte vers Dieu ce qui palpite au plus profond de notre être.

Telle est l'instante recommandation que Jésus adresse à ceux qui aspirent et qui cherchent. Il ne le fait pas sans motif, car cette manière de prier n'est point ordinaire. La où religiosité des âmes satisfaites s'exprime d'autre sorte. La révélation de Dieu n'est pas devenue pour elles un événement personnel. Elles ne le perçoivent pas intuitivement, mais théoriquement, sans que leur âme frémisse sous les vibrations de sa vie. Sinon, comment persisteraient-elles dans leur inertie? L'idée seule de Dieu n'émeut personne, elle tranquillise au contraire. C'est pourquoi leur croyance les imprègne de religion, mais non de Dieu. 
Dans la mesure où Dieu s'est révélé à nous, nous nous révélons à lui. Notre prière est ce qu'est notre foi. Aussi leur prière est-elle une cérémonie religieuse, un culte, un effort pour entretenir leur « communion avec Dieu », une oeuvre, mais non une vie. Car elle ne procède pas de l'expérience immédiate de Dieu, mais d'enseignements sur lui et sur ses relations avec nous, devenus articles de foi. Elle est stimulée par des exhortations et entretenue par des considérations et des motifs intéressés. Elle est un acte de piété, un recours en cas de détresse, donc corrompue dans son essence et destinée à dégénérer fatalement, en superstition d'abord, et en ce qui s'appelle «tenter Dieu ». Toutefois Jésus ne relève pas ici ce côté de la question. Il ne nous signale que la perversion qui se produit lorsque la prière cesse d'avoir son but en elle-même et n'est plus qu'un moyen de parvenir à des fins résidant en dehors d'elle; lorsque celui qui prie cesse d'être seul avec son Dieu dans le secret du coeur, se tâte et se contemple au lieu de se plonger en Dieu; lorsqu'il prie, non parce qu'il ne saurait faire autrement, mais parce qu'il veut prier, soit en vue d'un auditoire, soit afin de gagner Dieu à sa cause; lorsqu'il nourrit des intentions accessoires ou poursuit des effets secondaires. 

Jésus nous met en garde contre la prière qui dégénère en mise en scène. Mais ce n'est là qu'une des conséquences naturelles de son manque de spontanéité. Les désordres qui résultent de l'atteinte portée à l'intimité et à la candeur de la prière, sont aussi complexes que l'être humain, car une fois dépouillée du secret qui l'enveloppe et la protège, elle se trouve livrée à l'arbitraire de tous les instincts dénaturés.

Dès que la prière cesse d'être une manifestation tout impulsive, l'expression instinctive d'un mouvement de l'âme, elle tourne à l'hypocrisie. S'en servir pour produire une impression sur soi-même ou sur autrui, c'est souiller l'expérience du divin; en faire un procédé d'édification, c'est la prostituer. Peu importe qu'il s'agisse d'exercer une influence religieuse sur autrui, ou seulement de s'édifier soi-même, d'imprimer un élan pieux à d'autres âmes, ou seulement à la sienne propre, dans l'un et l'autre cas, on profane le contact de l'âme avec Dieu, et l'on fait vibrer intentionnellement la corde la plus intime de la vie personnelle, afin d'en tirer parti, au lieu de l'abandonner au rythme naturel de ses oscillations involontaires. La prière passée au rang d'institution, de démonstration publique, de profession de foi et de protestation contre l'impiété, la prière devenue un exercice religieux ou ascétique, un instrument d'édification, de conversion ou de «réveil», attente à sa vérité et à son essence même. Elle peut, il est vrai, lorsqu'elle est sincère, produire l'effet que l'on cherche à provoquer abusivement par son moyen, mais ce n'est pas à cette fin que nous devons prier. Certes, il est des instants où, sous l'empire d'une impulsion intérieure irrésistible, le coeur déborde et se répand au dehors, comme lorsque Jésus s'écria, transporté : « je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et les as révélées aux enfants. » Sans doute aussi, l'émotion collective de quelques âmes intimement unies peut, à un moment donné, s'exprimer tout haut. Mais la prière inscrite au programme, partie intégrante du service divin, appartient certainement à la tendance que Jésus réprouve (1).

Si donc il n'y a pas de prière véritable là où manque l'intuition directe et vivante de Dieu, la prière cesse d'être une opération profonde et spontanée de la vie personnelle partout où l'on cultive une idée de Dieu, une doctrine, une croyance, OÙ l'on entretient une dévotion correspondante, où l'on organise ecclésiastiquement la vie religieuse. Elle revêt alors le caractère d'un devoir de piété, avec toutes les conséquences qu'entraîne cette déformation. Jésus ne s'élève point ici contre ces choses, - il les tenait sans doute pour inévitables provisoirement, et il se bornait à saluer de loin le temps où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; d'ailleurs, il ne voulait point abolir la prière telle que les Juifs la pratiquaient, mais l'accomplir; - mais il dit aux chercheurs qui pressentent Dieu dans l'inquiétude de leur coeur : Quand vous priez, faites-le dans le secret, car vous pouvez prier véritablement. Les autres en sont incapables, c'est là leur excuse; aussi émeuvent-ils malgré tout la miséricorde divine. Mais pour vous, toute prière qui n'émane pas comme un rayon invisible de votre relation cachée avec Dieu, est une hypocrisie.

La répugnance instinctive qu'inspire aux chercheurs de nos jours la manière dont la prière est pratiquée dans la chrétienté, l'impossibilité où ils se trouvent de s'y conformer, sont en parfait accord avec cet ordre de leur maître. Leur instinct de vérité se révolte contre cet abus et ils ont raison de l'écouter. Gardons-nous donc de prier lorsque nous ne nous sentons pas pressés de le faire. Et quand nous prions, que ce soit dans le secret, afin que notre prière soit une manifestation tout impulsive, l'adoration en esprit et en vérité, qui s'élève vers Dieu dans une chasteté complète.

«Quand vous priez, ne multipliez pas les paroles, comme les païens qui s'imaginent être exaucés à force de prononcer des mots. Ne leur ressemblez pas car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. »

Lorsque tout ce qui constitue notre vie intérieure s'élève à Dieu dans nos prières comme les vapeurs s'élèvent des champs après l'ondée, elles ne sont, en réalité, que les émotions suscitées en nous par la vie quotidienne remontant vers leur source involontairement, sans paroles, sans enchaînement logique, et cherchant le contact avec Dieu. Cependant elles ont besoin de trouver leur expression, même défectueuse. Il ne leur suffit pas de s'exhaler dans un soupir ou dans un cri de joie; il faut qu'elles se formulent. Comme toutes les opérations de notre vie mentale, la prière réclame des représentations intelligibles et une expression nette. 

Toutefois les mots et les représentations ne sont pas la substance de la prière, mais seulement ses aspects. Elle est essentiellement un mouvement spontané du coeur, l'écho que le divin éveille en nous. Si elle emprunte le langage humain, c'est pour se faire entendre, non de Dieu, mais de nous-mêmes. Dieu comprend de loin nos pensées. Il perçoit plus distinctement que nous ne le ferons jamais, les sensations obscures qui s'agitent en nous, notre angoisse indicible et les maladroits battements d'ailes de notre âme inquiète. Il entend notre requête, affranchie des formules, des obscurités, des petitesses humaines et subjectives. Il démêle nos véritables désirs. Car il les saisit dans leur réalité, dégagée des voiles dont la recouvre notre nature bornée.

Ce n'est donc pas pour lui que les paroles sont nécessaires, mais bien pour nous; car si ce qui monte de notre coeur ne nous devient pas conscient, il est difficile que nous entrions en un contact personnel avec Dieu, et si nous ne lui parlons pas clairement, nous ne percevons pas non Plus clairement sa réponse. Il parait donc impossible que les impulsions qui nous viennent de lui se transforment en vie personnelle si nous ne nous rendons pas nettement compte de cet échange réciproque. Or le moyen de nous en rendre compte et la preuve qu'il s'effectue véritablement, c'est la représentation concrète, l'expression distincte. Nous parlons avec Dieu, parce que pour nous, êtres humains, la parole est l'organe par lequel nous communiquons ce qui est en nous. Et quand notre contact avec lui arrive à son expression parfaite, nous discernons aussi en toutes choses la « parole » qu'il nous adresse.

L'essentiel cependant, c'est que tout ce que formule notre prière vive en nous personnellement, si peu qu'il soit d'ailleurs possible et nécessaire de l'épuiser en mots. Il faut que la parole naisse et découle de nos émotions spontanées. Si elle énonce autre chose que ce qui déborde naturellement de notre âme, elle devient mensongère. Nous faisons des phrases. La bouche seule parle, le contact avec Dieu cesse. Nous jouons un rôle et notre être Intime renie notre prière au lieu d'y ajouter son amen. Nous prenons le nom de Dieu en vain, nous profanons le sanctuaire, nous nous rendons coupables d'hypocrisie intime.

Aussi Jésus dit-il : « Quand vous priez, ne multipliez pas les paroles comme les païens qui s'imaginent qu'à force de prononcer des mots, ils seront exaucés. » Peut-être dirait-il aujourd'hui : «comme les chrétiens», car leurs prières, soit libres, soit prescrites, sont tout aussi prolixes, et ils nous tiennent de plus près que les païens que nous ne connaissons guère que par ouï-dire. Aujourd'hui encore on croit pouvoir remplacer l'émotion jaillissante par une ferveur artificielle qui se grise de paroles entraînantes, et provoquer l'exaucement par une verbosité infatigable. Tout cela est païen. Car ce n'est pas filial.

Ne les imitez donc pas. Votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez. Il n'est point nécessaire de le mettre laborieusement au courant de la situation. Un mot suffit pour lui donner à entendre ce qui se passe en vous. Il connaît alors mieux que vous-même votre véritable désir. Quand nous nous adressons aux hommes nous sommes obligés pour être compris de nous expliquer en détail et sous diverses formes. Car, dans ce cas, l'intelligence dépend de l'expression, de nos paroles qui sont trop souvent défectueuses. Mais quand il s'agit de Dieu, les mots ne sont point nécessaires, à proprement parler. Son contact personnel avec nous lui révèle nos pensées. Quand donc l'élan de notre coeur nous pousse vers lui, adressons-nous à lui comme des enfants à leur père, simplement, brièvement, directement, sans circonlocutions et sans verbiage. Gardons-nous du pathos et de la rhétorique pieuse. Ne nous écoutons point parler. La prière doit être le murmure d'une source cachée qu'on ne perçoit qu'en y prêtant l'oreille, et non le tapage indiscret d'un jet d'eau.

À cet enseignement, Jésus joint le modèle :

«Vous donc, priez ainsi : Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié; que ton règne vienne; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien; et remets-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs; et ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du mal. »

Peu importe pour nous que Jésus ait réellement ajouté à ce moment-là l'oraison dominicale à ses instructions sur la prière, ou qu'il l'ait prononcée en réponse à la demande de ses disciples : «Seigneur, apprends-nous à prier », puisqu'elle est en tous cas une requête conforme à sa volonté et une illustration de la manière dont nous devons prier. Non qu'il nous en impose les termes ou la forme : en le faisant, il. se contredirait lui-même. Nous n'avons le droit de la répéter après lui que s'il nous est réellement possible de le faire, c'est-à-dire si elle est l'expression exacte de ce que nous ressentons spontanément. L'oraison dominicale qu'on récite en s'efforçant de vibrer à l'unisson est un jargon pieux, semblable à celui des païens, et qui s'en distingue tout au plus par la brièveté. Il importe donc de nous rendre compte de ce qu'elle signifie.

Il le faut pour une autre raison encore. Jésus l'a enseignée aux chercheurs, à ceux qui marchent sur ses traces. Si elle est, comme elle doit l'être, l'expression de leurs émotions spontanées, elle nous permet de jeter un coup d'oeil dans leur âme et de reconnaître ce qui s'y passe. Elle acquiert pour nous, de ce fait, une importance extraordinaire. car elle devient le miroir qui nous révèle le point auquel nous sommes parvenus dans notre recherche et sur le chemin de la vérité.

Elle complète ainsi les béatitudes. Celles-ci nous avaient fait connaître les expériences intimes des chercheurs et la transformation qui commence à s'opérer en eux, lorsque, ébranlés par l'annonce du royaume de Dieu, ils entrent dans le courant de la vie. L'oraison dominicale nous découvre le flot des émotions et des aspirations que la vie nouvelle fait éclore en nous en s'y épanouissant. Cette vie en est-elle à ses débuts, elles seront faibles et intermittentes; mais à mesure qu'elle se développera, elles deviendront de plus en plus intenses, abondantes et fructueuses.

L'emploi de l'oraison dominicale en esprit et en vérité ne dépend donc pas d'un certain degré d'épanouissement de la vie nouvelle dans une âme, mais seulement du fait que cette vie nous anime réellement. Que ne pouvons-nous l'entendre comme pour la première fois, afin d'en recevoir une impression neuve et originale ! Elle a été si déflorée par l'usage, et nous sommes si insensibilisés par l'habitude! Et cependant, cela ne suffirait point encore à nous la faire saisir dans sa réalité vivante. Nous ne le pourrons que lorsque les désirs qu'elle a formulés auront en quelque mesure pris vie en nous.


 

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LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et... Empty Re: LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et...

Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 20:46

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps

CHAPITRE III
LA VIE PERSONNELLE

(Matthieu VI, 1-18.)
2. Nos relations avec Dieu. (Suite)

« Notre Père qui es aux cieux. »

Quelle allégresse débordante respire ce cri du coeur! Il faut la connaître pour en mesurer l'étendue. Dans la vie universelle, ardente, intarissable, qui nous pénètre et nous porte, et dont l'action créatrice et vivifiante s'insinue en nous par chacun des événements journaliers, nous découvrons la source de notre être et le salut de notre existence. Pour exprimer ce mystère ineffable, il n'est qu'un mot, un balbutiement : «Père ! » Dans l'énergie vitale universelle, nous distinguons l'amour infini qui est l'atmosphère même de notre âme, et dans son action une puissance paternelle patiente et sage, qui nous soutient, nous conduit et nous secourt. Ce que nous sommes procède de lui. Ce qui se meut au tréfonds de notre être émane de sa vie. Nous lui appartenons indissolublement. Il 'est notre Père céleste parce qu'il est l'auteur de l'être originel qui germe en nous. Nos aspirations à la vie nouvelle, l'impulsion irrésistible qui nous pousse à la perfection et à « l'accomplissement » portent son caractère, Certes, nous sommes ses enfants, véritablement nés de lui, puisque nous sommes de ceux qui cherchent et qui n'auront de repos que lorsque sa vie qui nous presse aura remporté la victoire. C'est pourquoi de notre âme transportée s'échappe ce cri : Notre Père!

Mais qui dira ce que renferment ces deux mots? La certitude triomphante du jour qui se lève, car à l'instant où nous avons reconnu en Dieu notre père, le monde entier sortant des ténèbres s'est illuminé de sa gloire; la révélation soudaine du sens de notre existence, car elle s'éclaire maintenant du rayonnement de notre être véritable qui commence à palpiter en nous; le sentiment d'une sécurité absolue, car nous reposons en paix dans les bras de notre père; la béatitude du paradis, car nous l'avons reconquis en entrant dans la sphère de la vie divine.

Telles sont les émotions qui nous submergent lorsque nous nous tenons devant Dieu, subjugués par sa grâce, heureux dans son amour et dans le pressentiment de sa gloire, plongés dans le courant de vie qui procède de lui et qui nous entraîne vers le but de l'humanité.

Ce cri de joie, expression instinctive de la vie divine qui vient de sourdre en nous, ne peut naturellement devenir la note dominante de notre existence que lorsque nous avons passé de la recherche inquiète à l'expérience claire et immédiate de Dieu, lorsqu'il est apparu en Jésus à notre âme avide de lui, et par son appel créateur a éveillé en nous l'être originel. C'est en contemplant Jésus-Christ que nous apprenons à lire dans le coeur de notre père céleste. Alors les écailles nous tombent des yeux; délivrés de l'aveuglement qui nous dérobait la vue du monde réel et de la vérité située par-delà, nous contemplons toutes choses à sa divine lumière. Alors de notre coeur débordant d'une joie filiale et s'oubliant dans la contemplation de sa gloire, cet ardent souhait monte à nos lèvres :

« Que ton nom soit sanctifié ! »

Le nom de Dieu est l'expression, la révélation de son être. Il résume tout ce que nous savons de lui. Ainsi l'entend tout l'Ancien Testament. Son «nom» marque donc son caractère d'auteur de toute vie, de père de tout être originel. C'est en cette qualité que nous souhaitons le voir universellement tenu pour saint.

Être sanctifié ne signifie évidemment pas être mis à part de tout ce qui est profane, ordinaire, simplement humain. Il ne s'agit point d'adorer ce nom, de lui rendre un culte. de le craindre, le respecter, le préserver de tout usage abusif et de tout mépris. Le nom de Dieu est saint, il est impossible d'entrevoir quelque chose de ce qu'il exprime sans en ressentir une impression solennelle; il n'a donc nul besoin d'être rendu saint, et Jésus a en vue tout autre chose. Lui-même a, ici encore, apporté le parfait accomplissement : en face de la vénération officielle du nom de Dieu, qui était alors poussée si loin qu'on s'abstenait même de le prononcer, il a révélé Dieu par sa personne et par son activité, il a été l'organe parfait de son action. C'est ainsi qu'il a sanctifié le nom divin qu'il annonçait.

Sanctifier ce nom, c'est laisser transparaître le Père qu'il représente dans tous nos actes et dans tous les traits de notre caractère. La gloire et la beauté divines manifestées dans l'être et dans la vie personnelle, telle est la seule célébration véritable du nom de Dieu. En disant: « Ton nom soit sanctifié », nous exprimons donc le désir qu'il soit reconnu comme le Père, partout et toujours, nettement et pleinement. Cette aspiration s'éveille en nous aussitôt que nous nous sentons ses enfants et que nous découvrons ce qu'il est pour nous. Dans ce voeu déborde l'amour de Dieu répandu dans nos coeurs.

Son ardeur s'accroît à mesure que nous constatons le peu de place que Dieu tient dans l'existence humaine. En le voyant se révéler sans cesse aux hommes dans la nature, dans l'histoire et dans la vie, apparaître au milieu d'eux et leur témoigner son amour dans la personne de Jésus-Christ; en constatant d'autre part combien leur être et leur vie sont encore loin de porter son empreinte, nous ne pouvons que nous écrier avec ferveur : ton nom soit sanctifié !

Bien que sanctifiant officiellement le nom de Dieu, à la façon des Juifs, notre société chrétienne ne le profane-t-elle pas continuellement, n'en obscurcit-elle pas l'éclat? Combien ceux qui le confessent l'abaissent à leur insu au niveau de leur médiocrité ! Faire ce que l'on fait au nom de Dieu et de ce nom, n'est-ce pas chercher à le mettre de force au service de nos désirs arbitraires et de nos convoitises impures? La parole que l'apôtre Paul adressait aux Juifs : «Le nom de Dieu est blasphémé parmi les païens à cause de vous », ne s'applique-t-elle pas aussi bien aux chrétiens? Sous le couvert d'une civilisation chrétienne, confesseurs aussi bien que négateurs de Dieu ne vivent-ils pas en fait dans la nuit de l'athéisme? Il faut avoir ressenti le poids de cette douleur et de cette honte pour comprendre cette requête : Que les hommes trouvent en toi leur Père, se reconnaissent et se proclament tes enfants !

Si le Père était mis en lumière par notre être et par notre vie, ceux qui ont le coeur pur verraient Dieu. Les égarés le retrouveraient et rentreraient dans le chemin. Les enfants de Dieu dissiperaient les ténèbres, non par des enseignements et des paroles, mais par la révélation de la vie. Tant qu'on raisonne, qu'on discute, qu'on cherche à prouver Dieu théoriquement, au lieu de l'éprouver et de le faire éprouver en vivant de sa vie, on ne le démontre point victorieusement. Où sont-ils de nos jours ceux qui voient Dieu, ceux auxquels la nature ou l'histoire, la vie humaine ou la prédication communiquent l'impression immédiate du divin ? Les paroles et les pratiques qui sont censées le faire connaître, nos institutions et notre activité religieuses, ne sont-elles pas de nature à provoquer plutôt la négation, tant les manifestations qui se parent de son nom sont vulgaires, affectées, impies et mensongères.

Le sanctifier, c'est au contraire le laisser déployer largement en nous sa vie, pure de tout élément étranger, exempte de toute hypocrisie et de toute impiété, sans lâcheté et sans partage. Toutes ces choses sont aussi incompatibles avec elle que l'eau avec le feu. Ceux qui cherchent à les concilier ne rendent point hommage à Dieu, quel que soit d'ailleurs leur empressement à le confesser et à célébrer son nom.

Il règne parmi nous, sous ce rapport, une indifférence et une insensibilité tout à fait incroyables. La nature divine n'apparaît dans l'homme que travestie et obscurcie, mais cet état de choses ne fait point l'effet d'un sacrilège et d'une injure envers Dieu; on le déclare inévitable. La dégénérescence du caractère du Père dans ses enfants ne fait plus éprouver une impression pénible; on s'est si bien habitué à cette « imperfection humaine » qu'on la considère comme l'état normal. Le christianisme est ainsi devenu, sans qu'on s'en aperçoive, la profanation organisée et aveuglément pratiquée du nom de Dieu.

En présence de toutes ces choses, comment ceux qui ont trouvé le Père ne feraient-ils point monter vers lui cette ardente prière : Ton nom soit sanctifié ! et n'ajouteraient-ils pas : 

« Que ton règne vienne! »

Quand le Père est reconnu et manifesté purement, la vie nouvelle s'épanouit, l'humanité s'organise selon la pensée divine, du chaos ténébreux surgit une terre nouvelle.

Voir le dessein poursuivi par Jésus se réaliser dans l'histoire générale comme dans l'expérience individuelle, l'évolution véritable s'accélérer, l'être humain se constituer selon sa vérité, la vie collective s'ordonner harmonieusement, et toutes choses se réédifier sur ces bases nouvelles, tel est le voeu exprimé dans cette seconde demande.

Car un même désir enflamme tous ceux chez lesquels commence à poindre la nature du Père: que le mouvement créateur se transmette à l'humanité, que la vie originelle devienne une puissance, que ses lois innées régissent notre existence, qu'en vertu d'une nécessité interne elle s'épanouisse sans obstacles dans tous les domaines, jusqu'à ce que la gloire divine soit enfin «faite chair » au sein de l'humanité.

Ce désir impétueux ne reste pas chez eux à l'état d'enthousiasme abstrait. Il revêt une forme concrète et une signification personnelle conformes à leurs expériences intimes. S'ils brûlent de voir se lever un jour nouveau, c'est qu'ils le sentent poindre en eux. Ils connaissent en quelque mesure la vie originelle et son instinct délicat de la vérité, les élans spontanés dans lesquels se révèlent les lois de l'être nouveau, la continuité de la transformation qu'ils subissent. Ils ont l'avant-goût d'une conduite nouvelle, de relations vivantes avec le prochain, du bouleversement de nos conditions d'existence qui en résulte, des forces et des clartés qu'on en retire. Ils pressentent, par conséquent, la révolution qu'opère la personnalité de Jésus, et sa portée incommensurable pour la régénération de l'humanité. Et chacune de leurs expériences nouvelles évoque dans leur âme une aspiration fervente en faveur de la grande famille humaine: Ton règne vienne!

Leur requête devient d'autant plus pressante que le spectacle de la prétendue « extension du royaume de Dieu » suffit moins à apaiser leur désir. Elle n'est en effet qu'une propagation du christianisme, d'une conception du monde et d'une manière de vivre imprégnées d'idées chrétiennes, mais qui ne créent point un ordre de choses nouveau, qui laissent au contraire dans l'état ancien les hommes et l'économie générale du monde. Leur sens de la vérité ne leur permet pas de s'accommoder comme on le fait d'une rédemption par Christ qui n'en est pas une en réalité, d'une nouvelle naissance qui n'a pas lieu véritablement, d'une vie chrétienne où ne se réalise aucune des lois naturelles de l'être originel, d'une constitution de la personnalité qui ne triomphe point du désaccord intérieur, d'un progrès de la vérité qui n'est qu'une acquisition théorique de la théologie, d'une religion qui relègue le royaume de Dieu dans un impénétrable au-delà. 

On les accuse d'exaltation et d'orgueil. Cependant ils ne veulent que la vérité. Ils ne voient à l'oeuvre aucune des lois du royaume de Dieu : l'homme ne subordonne point tous ses intérêts au salut de son âme et à la réalisation de sa vocation divine; il ne prend point une position affirmative et créatrice à l'égard de la vie; il ne considère pas la fortune comme un dépôt, mais comme une propriété; il n'admet ni le droit absolu du prochain sur lui, ni la prééminence de l'union intérieure que crée la vie nouvelle sur les liens du sang, la recherche du royaume de Dieu ne prime pas pour lui toute autre considération; il ignore l'organisation nouvelle dans laquelle chacun ne veut exister qu'en tant que membre d'un corps et ne voit de grandeur et de dignité humaine qu'à s'assujettir aux autres pour les servir. Et cependant partout où ces lois de la vie originelle ne portent et ne modèlent pas la vie, il n'y a pas de règne de Dieu; il n'y a que le règne de l'être fermé à l'action divine, qui ruine et se ruine. C'est pourquoi l'élément nouveau que les hommes du devenir sentent fermenter en eux se révolte contre cette institution soi-disant fondée par Jésus, qui porte le nom de christianisme, et ils sont remplis d'une aspiration passionnée au règne de Dieu qui est vie et vérité.

«Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! »

De même que dans la sphère infinie du divin, rien n'a de valeur déterminante à côté de Dieu, ni surtout contre lui, de même dans le monde fini, sa volonté doit régner exclusivement, totalement, absolument. Cette requête s'ajoute tout naturellement à la précédente : le regard du croyant passe de la constitution générale de la vie aux faits qui la composent, et de son coeur s'échappe ce soupir : Oh ! si les manifestations si variées et si multiples de la vie sur notre terre devenaient l'expression et l'accomplissement de la volonté de Dieu ! Si tous les hommes, à chaque instant de leur existence, et dans chacun de leurs mouvements, n'étaient que les souples organes de son action souveraine! 
Si le vouloir du Père devenait le nerf moteur de l'humanité nouvelle !

L'expérience journalière des enfants de Dieu suffirait à leur inspirer ce voeu. Lorsque nous prenons conscience de la direction paternelle qui régit notre vie, nos yeux s'ouvrent pour apercevoir dans chacune des obligations qui nous sollicitent, dans tout événement qui surgit, dans toute impression du dehors comme dans toute impulsion du dedans, un désir, une volonté divine, un appel à « l'accomplissement ». Partout nous distinguons sa voix, nous prêtons l'oreille afin de la mieux saisir, et plus nous redoublons d'attention, plus son langage nous devient intelligible, jusqu'à ce qu'enfin nous discernions en toute chose ce qu'il veut nous dire. Ainsi notre existence, constante manifestation de la volonté du Père, prend un sens, une valeur, s'éclaire et se vivifie.

Cette expérience n'a rien de commun avec les efforts tentés pour mettre notre vie quotidienne en rapport avec les impératifs de la morale ou les préceptes de la religion. L'énergie créatrice de la puissance de vie universelle ne cesse de pousser l'homme vers sa perfection. C'est elle qui nous presse de réaliser en toute occasion notre humanité véritable, de résoudre le problème de l'existence dans chacune de nos obligations quotidiennes, et de faire épanouir les germes de vie que recèle chacun de nos instants. Dans cet attrait qui s'exerce sur nous, nous percevons l'appel du Père à devenir, par l'accomplissement du devoir et l'emploi intégral du moment, les instruments de Dieu, en sorte que, dans toute notre activité, s'inaugure la rénovation universelle que Jésus voulut apporter au monde.

Celui qui connaît ces expériences sent monter de son coeur ce soupir : Ta volonté soit faite! C'est la pulsation d'une vie nouvelle. Dans la mesure où la volonté divine est pressentie, comprise, et réalisée d'une manière actuelle et vivante, le règne de Dieu se constitue, il s'installe dans la vie et dans l'être humain, et le Père est pleinement manifesté. Tel est l'enchaînement interne des trois premières demandes de l'oraison dominicale. Elles traduisent les aspirations qui nous envahissent quand notre regard rencontre celui du Père. Elles sont l'expression toute spontanée des émotions que fait naître au coeur de l'homme la vie nouvelle qui s'épanouit en lui.

« Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. »

Dans la demande précédente s'exprimait le sentiment des obligations diverses et multiples que Dieu, par le langage des événements journaliers, nous appelle à remplir. Celle-ci réclame le pain quotidien, condition indispensable de leur accomplissement. L'homme vit selon son être véritable de la «parole de Dieu », c'est-à-dire des manifestations de la vie et de la volonté du Père, qui deviennent pour lui l'objet d'une expérience immédiate et constante. Mais cette vie repose sur les conditions matérielles auxquelles nous sommes assujettis. Elles sont toutes impliquées dans cette demande, sans y être énumérées, cependant.

C'est une requête simple et enfantine, et non l'expression tumultueuse de nos angoisses, de nos soucis et de nos convoitises, ni un cri de révolte contre la détresse et la souffrance. Le Père sait de quoi nous avons besoin, avant que nous le lui demandions. À la confiance avec laquelle il attend de nous une parfaite obéissance à sa volonté, répond la confiance avec laquelle nous attendons de lui tout ce qui nécessaire à votre vie. Inutile de discourir longuement à ce sujet. si nous le mentionnons dans notre prière, c'est parce que notre abandon filial a besoin de s'exprimer. La brièveté même de notre requête en est le témoignage; de longues et pressantes supplications trahiraient une secrète défiance et contrediraient cette autre parole : Que ta volonté soit faite! Demander simplement notre pain quotidien, c'est dire : Nous remettons à ta sollicitude le soin de ce qu'il faut à notre vie; mieux que nous, tu sais ce qui nous est nécessaire.

«Et remets-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs.»

Notre pensée se reporte aussitôt à notre vocation d'enfants de Dieu et le sentiment de la distance à laquelle nous restons de son accomplissement, qui, dans les trois premières demandes, s'élevait à Dieu en une ardente aspiration, devient une honte brûlante et, de nouveau nous jette aux pieds du Père: Pardonne, nous écrions-nous, ne nous tiens pas rigueur, ne permets pas que nos fautes fassent obstacles à ta vie en nous dans le monde.

Cette demande - sa teneur et son contexte en font foi - a é trait aux obligations que nous impose notre qualité d'enfants de Dieu. Noblesse oblige, la noblesse d'ordre divin plus que toute autre : elle nous oblige à glorifier le Père en toute occasion, d'une manière positive et complète à établir son règne en instaurant la vie humaine normale, et à réaliser sa volonté dans chacun des mouvements de notre vie. Ceux qui ont trouvé en Dieu leur père comprennent la rigueur sacrée de cette dette d'honneur, et leur supplication témoigne de l'humiliation qu'ils ressentent pour y avoir si insuffisamment satisfait : Pardonne-nous nos manquements envers nous-mêmes, envers notre prochain, envers la vie. Pardonne notre infidélité en face des exigences de la vie nouvelle. Prends pitié de notre faiblesse, de nos lenteurs, de notre tiédeur et de notre indolence, captifs que nous sommes trop souvent encore de notre vieille nature. Use d'indulgence, comme nous le faisons envers ceux de nos semblables qui ne remplissent point leurs obligations envers nous.

Il n'est nullement question dans cette demande d'une rupture de nos relations personnelles avec le Père, qui exigerait une réconciliation. On y sent vibrer, au contraire, une assurance filiale et une parfaite intimité. S'il en était autrement, elle figurerait au début de l'oraison dominicale, et non dans la seconde partie seulement. Comment cela serait-il possible, d'ailleurs? L'aspiration passionnée qui se fait jour dans les trois premières demandes ne témoigne-t-elle pas d'un contact vivant avec le Père? On y sent palpiter l'élan de sa vie, elles rayonnent de l'ardeur de sa grâce et sont toutes pénétrées de son esprit.

Nous ne saurions donc trouver dans cette prière la base d'une notion abstraite et dogmatique du péché. Elle est la confession spontanée de l'âme croyante qui s'humilie de son insuffisance et de ses infidélités sans en faire grand état, et qui, en présence des pièges qui l'environnent, implore le secours du Père avec la naïve certitude qu'il ne garde jamais rancune, mais ne vient que plus volontiers au secours de ses enfants.

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 20:57

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
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CHAPITRE III
LA VIE PERSONNELLE
2. Nos relations avec Dieu. (Suite 2)


« Et ne nous induis pas en tentation. »

C'est-à-dire : Ne permets pas qu'aucune chose nous soit en piège. Cette demande a sa raison d'être, car il n'est rien qui ne puisse devenir une tentation pour nous. Les mêmes impressions, les mêmes devoirs, les mêmes expériences qui nous appellent à glorifier le Père, à faire triompher notre nouvelle nature en réalisant d'instant en instant ses intentions et en puisant en toutes choses des éléments de vie, sont autant de sollicitations séductrices. Elles agissent en sens contraire de notre vocation qui est de les saisir et de les juger à la lumière de notre expérience immédiate de Dieu, et de les faire servir à notre vie comme à celle des autres, en prenant envers elles la position qui convient.

Elles nous désarment en provoquant en nous la crainte, les soucis, les déceptions, l'accablement; elles tentent de nous asservir en éveillant nos convoitises ou en absorbant notre intérêt. Elles risquent de troubler notre jugement, de paralyser notre énergie et de nous livrer à la fausseté, à l'arbitraire, à l'absurde.

Si nous cédons à leur attrait, notre intuition de Dieu s'obscurcit, notre contact personnel avec lui s'interrompt, la sève de l'être originel cesse de monter, son développement s'arrête et son activité s'étiole. C'est là le redoutable péril auquel sont sans cesse exposés les hommes qui « de. viennent». Il n'est aucune chose dont notre vieille nature ne s'efforce de composer un poison subtil qui nous surexcite, nous enivre, et s'infiltre en nous pour détruire notre véritable moi. Toute âme réveillée connaît ce danger et en éprouve continuellement les atteintes. Les plus sobres et les plus vigilants en ont ressenti la puissance séductrice, semblable au regard fascinateur d'un monstre qu'il s'agit d'affronter. Aussi nous écrions-nous le coeur serré de détresse : Rends-nous invulnérables, ô Père. Afin qu'aucune tentation n'ait de prise sur nous! C'est implorer de lui la force de résister aux impressions funestes, de nous affranchir des apparences illusoires, de rester supérieurs à tous les événements comme à toutes les influences. Tiens-toi près de nous, lui disons-nous, afin que les courants contraires viennent se briser contre notre fermeté; que notre regard reste assez limpide pour distinguer les véritables éléments de vie et discerner en tout l'essentiel. Accorde-nous la victoire dans toute nos épreuves et affirme la souveraineté de l'être nouveau en réduisant à néant tous les efforts du mal.

« Mais délivre-nous du mal. »

En présence des séductions de la vie, aux prises avec leur importunité ensorcelante, nous découvrons la puissance colossale du mal qui partout pénètre, dévaste et détruit; nous touchons du doigt la dépravation, le retour à la barbarie, la dégénérescence, l'intoxication morale, la folie d'autodestruction qui ravagent notre humanité chaotique. Et de l'effroi que nous inspire l'énergie sinistre de la corruption, de notre sollicitude anxieuse pour la croissance de l'être originel qui semble livré à ses assauts, de notre aspiration à un salut libérateur, à une rénovation de tout ce qui est humain et à la révélation de la gloire divine, monte à Dieu notre requête : Délivre-nous du mal! 

Dans ces sept demandes s'écoule le torrent des émotions qui jaillissent du contact de notre vie personnelle avec le Père. En elles retentissent les battements de la vie que les béatitudes nous ont fait connaître, d'une vie tout autre et toute nouvelle. En elles, monte et bouillonne la sève de la vie originelle. En elles vibrent les aspirations de la recherche et du devenir. Ceux qui peuvent prier ainsi sans hypocrisie, les hommes du cœur desquels jaillissent impétueusement ces désirs, doivent avoir subi une transformation intérieure complète : ils sont nés de nouveau.

Le moi passe à l'arrière-plan de ces requêtes. Et pourtant chacune d'elles est pénétrée d'une ardeur passionnée et toute personnelle. C'est que le moi n'est plus le centre et l'objet de la prière, mais le foyer d'où en jaillit la flamme. Il ne sort de l'ombre que pour se mettre au service de l'ensemble dont il s'est fait partie intégrante. Son autocentrie égoïste est vaincue. Tous ses intérêts individuels ont disparu. Toutes ces demandes ont un caractère d'objectivité, résultat de l'expérience immédiate d'une réalité objective. L'amour pour le Père est la dominante qui y retentit avec une force égale d'un bout à l'autre.

Dans le coeur de ceux qui prient ainsi, le Père est parfaitement glorifié, et cela d'une manière immédiate, car tout s'y fond en un sentiment filial spontané. En trouvant Dieu, ils se sont retrouvés eux-mêmes. Devant leur regard qui cherche le Père, s'évanouit tout ce qui n'est qu'extérieur, apparent, éphémère; les sources profondes, bouillonnantes, créatrices font irruption dans l'âme, qui perçoit l'écho du travail mystérieux de la divinité. Le sort de l'humanité, sa nouvelle création, son avenir priment tout le reste. Tout est considéré en vue du but auquel tend notre devenir. L'aspiration séculaire à la rédemption trouve son expression personnelle; elle devient une certitude fondée sur l'expérience concrète. Plus rien n'est voulu ni raisonné, tout est le fruit d'un développement naturel. Des profondeurs de la vie Intérieure élémentaire, la prière jaillit comme le trop plein qui déborde.

On s'étonne à tort de tout ce qu'on peut introduire dans chacune des requêtes de l'oraison dominicale; on a tort aussi de se figurer que pour la prier véritablement, il faut en épuiser en pensée toute l'étendue et toute la profondeur. C'est ne pas comprendre ce que Jésus nous dit de la prière. il n'est point surprenant qu'on y puisse découvrir des trésors inépuisables. Car chacune de ces sept demandes n'est qu'une échappée ouverte sur dés horizons infinis. Mais pour qu'elles soient la révélation impulsive de notre relation vivante avec Dieu, il faut que chacune n'exprime que ce que nous ressentons spontanément. Dès que nous y mêlons l'effort de notre volonté réfléchie, l'intégrité de notre vie intime est troublée, nous quittons le terrain de la vérité et de la vie. Chez tout être qui prie véritablement, les désirs formulés dans chaque demande particulière jaillissent de l'impression puissante de la réalité qu'il vit et dont il souffre. Mais il en est comme d'une contrée qu'on embrasse d'un coup d'oeil et où le détail disparaît dans l'ensemble. On ne prie en vérité l'oraison dominicale que lorsque chacune de ses requêtes est une unité, non une énumération.

Cette prière, énoncée d'impressions simples, portera l'empreinte de la vie personnelle de celui qui la prononce. Autrement elle ne serait point un phénomène vital élémentaire. Il n'y aurait donc pour nous qu'un médiocre intérêt à savoir quelle était la vision intérieure de Jésus et de ses disciples lorsqu'ils prononçaient l'oraison dominicale, à supposer même qu'il nous fût possible de le déterminer. Ce qui importe, c'est qu'elle soit la forme sous laquelle se décharge notre courant de vie le plus intense et le plus profond. C'est ce qui a lieu lorsque les aspirations et les désirs qui animaient autrefois ces hommes du devenir, vivent pareillement dans notre âme, quelque différemment du reste qu'ils se formulent dans notre esprit, et lorsque la même opération créatrice se poursuit en nous, quelque dissemblables qu'en puissent être les symptômes.

Comprise de cette façon, l'oraison dominicale illustre d'une manière concrète les enseignements de Jésus sur la prière. Toute autre interprétation nous entraînerait précisément à la façon de prier contre laquelle il a mis en garde ses disciples.

La doxologie qui, selon certains manuscrits, termine l'oraison dominicale : «Car c'est à toi qu'appartiennent dans tous les siècles le règne, la puissance et la gloire», n'est sans doute pas authentique. C'est une conclusion liturgique, mise en usage par l'Église, et grâce à laquelle la prière du Seigneur s'achevait dans un hymne de louange.

Mais Jésus lui-même y ajoute un éclaircissement dont l'importance fondamentale n'est pas encore suffisamment appréciée.

« Car si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne pardonnera pas non plus vos offenses. » 

Il y a donc des conditions à l'exaucement de notre prière. Celui qui n'y satisfait pas ne saurait s'étonner que sa prière reste sans écho. Jésus, comme à son ordinaire, ne nous montre à l'oeuvre que sur un seul point la loi de nature dont il s'agit ici : pour que Dieu réponde par une communication de grâce et de force à notre demande de pardon, il faut que nous répondions aux manquements de notre prochain par une miséricorde surabondante. Les béatitudes nous ont déjà révélé cet enchaînement des processus intimes et nous le rencontrerons de nouveau dans notre chapitre traitant de la vie en commun. Il se vérifie dans tous les domaines. Nous n'éprouvons l'effet des lois constitutives du royaume de Dieu que dans la mesure où nous les observons dans notre vie.

Il faut que notre prière n'exprime que ce qu'exprime en même temps notre vie, sinon elle reste mensongère, vide et par conséquent stérile, parce qu'elle n'est pas une manifestation vitale immédiate. Impossible de prier véritablement d'une façon et d'agir de façon contraire. Car nos émotions spontanées s'actualisent aussi involontairement dans notre conduite qu'elles se formulent dans notre esprit si nous n'intervenons pas intentionnellement. Ces deux phénomènes sont aussi inséparables que la flamme et la lumière, le goût et le jugement. Il ne s'agit donc point ici d'une attitude spéciale envers le prochain, que Dieu exigerait comme condition de l'exaucement, mais d'un caractère de la prière véritable, auquel Jésus nous rend attentifs. Si nos prières sont l'expression de sentiments d'emprunt, elles ne seront jamais en harmonie avec notre vie, quelque peine que nous nous donnions pour adopter une conduite correspondante. Les prières spontanées, au contraire, ne peuvent manquer de rayonner dans chacun des mouvements de notre vie.

Nul ne peut en vérité donner à Dieu le nom de père sans être son enfant. Nul ne souhaite avec ardeur de le voir glorifié en tout et partout sans déployer dans la vie sa puissance rénovatrice. Nul n'aspire à la venue du royaume de Dieu sans régler sa conduite sur les lois divines. Nul ne soupire après l'accomplissement de. sa volonté sans la réaliser instinctivement. Celui qui confie tout à Dieu ne saurait continuer à craindre et à s'inquiéter. Toute prière authentique devient ainsi le ressort de la vie. Or la prière authentique est seule exaucée. Dieu n'entend que les appels qui montent de notre vie, comme nous-mêmes n'entendons sa voix que dans la vie; les mots rendent un son creux quand ce n'est pas elle qui les soutient et les interprète. Veillez donc à ce que votre prière s'embrase au plus profond de votre être, afin que son ardeur cachée pénètre votre existence tout entière.

N'oublions pas cependant que la prière n'est qu'une manifestation parmi beaucoup d'autres de notre relation personnelle avec Dieu, et que la loi naturelle que Jésus nous découvre ici s'applique à toutes également. Considérons-en donc brièvement la portée générale.

Quand notre contact avec Dieu est une réalité positive, un fait objectif dont l'action sur notre vie personnelle se manifeste tout d'abord par un malaise intérieur et par une. recherche inquiète, puis, arrivé à un certain degré de force, nous devient directement conscient, nous nous trouvons en présence de phénomènes vitaux s'accomplissant dans le tréfonds de l'être humain. Si donc Dieu est en nous une puissance objective, créatrice, vivifiante, illuminante et libératrice, son énergie doit jaillir des sources profondes de notre être et déployer ses effets d'une manière immédiate et générale. Si au contraire notre « communion avec Dieu » n'est qu'un élément subjectif de notre vie, une croyance, une idée, une tendance, une disposition, elle est un état ou une création de notre esprit, que nous sommes obligés d'entretenir par des procédés de culture appropriés, un point de vue qui n'a aucune influence directe sur notre vie elle-même, mais uniquement sur notre conception de la vie, dont nous tirons parti en vertu d'un raisonnement, et que nous nous efforçons péniblement de faire valoir dans la pratique.

Vous donc, ô chercheurs, qui éprouvez, si faiblement que ce soit, l'action de la puissance de vie universelle, gardez-vous d'imiter ceux qui prétendent connaître la communion avec Dieu, mais qui ne font en réalité qu'entretenir le culte d'une idée dont ils attendent un effet sur leur conduite. Protégez du contact superficiel de votre entourage la vie qui travaille en vous. Ne la livrez en proie ni à autrui par une dévotion qui attire les regards, ni à vos propres méditations en cherchant à la formuler en théories abstraites. Dans le premier cas vous étoufferiez son énergie vitale sous des dehors pieux; dans le second, vous la désâmeriez.

Ne parlez point de ce qui se passe en vous, ne cherchez pas à l'analyser. N'en faites état ni devant les autres ni devant vous-même. Ou notre relation avec Dieu s'exprime sans y songer, ou elle s'interrompt. Ne révélez point la source divine de votre nouvelle vie, n'en affichez pas la nature spéciale, ne mettez pas en scène la foi qui vous anime, mais respectez le mystère de votre nouvelle naissance et les origines de votre caractère nouveau et impulsif. Que sa beauté transparaisse inconsciemment dans la vie, afin que les hommes contemplent en vous la vérité et, en elle, aperçoivent le Père. Que votre expérience de Dieu ne devienne pas le jouet de votre pensée, le divertissement spirituel de vos loisirs; qu'elle soit le soleil dont l'éclat pur et virginal illumine et pénètre toute votre existence.

Ne croyez pas que la vie que vous puisez en Dieu doive apparaître partout au grand jour. Elle doit au contraire être partout cachée, comme dans la nature. Dieu pénètre toute chose, même le moindre brin d'herbe; dès que nous le cherchons et que nos yeux s'ouvrent pour l'apercevoir, nous le découvrons partout. Mais partout il est le mystère sous-jacent que nous dérobe la surface. Nulle part il ne se laisse saisir et démontrer. Aussi quiconque ne s'est pas réveillé et n'a pas senti son âme passer d'un immense émerveillement au pressentiment du divin, puis à la vision de Dieu en toutes choses, ne découvrira jamais aucun signe de sa présence. Il en est ainsi de la vie qui nous vient de Dieu. Elle doit rendre à notre Père un témoignage silencieux. Quand nous le voilons aux regards, notre vie le révèle involontairement. Lorsque nous voulons l'exhiber, il nous échappe. À force de parler de lui, les hommes ont perdu son contact et dès lors ce n'est plus de Dieu qu'ils ont parlé et vécu, mais de leur idée de lui.

Ne cherchons donc pas à produire sur les autres une impression édifiante et ne nous demandons pas si nos manifestations vitales rendent témoignage à notre Dieu. La piété voulue et affectée est un outrage envers lui; elle tue les élans spontanés de sa vie en nous. Ce qui ne jaillit pas naturellement ne vient pas de la source. Ne réglons pas notre vie » selon Dieu», si nous voulons qu'elle soit née de lui. Ne faisons rien « pour la gloire de Dieu », si nous désirons vivre de lui. Laissons-le se déployer librement, et n'érigeons pas en nous, en échange de son action libre et créatrice, un édifice religieux et moral, si admirable fût-il. Le plus beau transparent ne remplace pas le soleil.

N'en croyons pas plus sur Dieu que nous n'en éprouvons. N'en disons pas plus à son sujet que ce que notre vie exprime sans le vouloir. Respectons sa présence mystérieuse en nous et n'ayons pas la témérité de l'enfermer dans des formules; notre raison est aussi incapable d'en pénétrer le secret que celui de notre moi. Défions-nous donc de la théologie, même de la nôtre; elle obstrue les sources. Elle veut savoir et enseigner plus que nous n'en savons. La vérité ne peut nous apparaître que dans la mesure où elle grandit en nous et notre savoir ne peut embrasser que ce que nous avons vécu. Les constructions de notre esprit ne sont que des chimères.

Si quelqu'un cependant nous demande compte de ce qui vit en nous, ne nous répandons pas en paroles, ne formulons pas de doctrine, mais disons simplement ce qui est. Que notre témoignage soit l'expression exacte et concise de notre expérience vivante et personnelle. Notre contact doit en faire naître le pressentiment, en sorte que notre confession ne fasse qu'élucider ce qu'on devinait obscurément et témoigner de ce qu'on se refusait à reconnaître. Son seul rôle est de corroborer les impressions et les effets que produit notre vie. Elle doit être le son clair que rendent au moindre attouchement les cordes fortement tendues.

Dieu n'a pas besoin de notre dévotion religieuse. Ne faisons donc pas de lui - et encore moins du Christ - un objet de culte, comme le font les païens, mais visons à devenir simplement les organes de son action créatrice et éducatrice. Notre culte consiste à le manifester nettement et pleinement dans chacun des mouvements de notre vie; notre dévotion, à laisser vibrer en nous sa vie palpitante. À quoi bon des oeuvres spécialement religieuses quand le Père remplit la vie tout entière? Veillons à ce que notre vie en Dieu ne devienne pas une spécialité, un sport de notre activité propre; c'est dans notre existence quotidienne qu'elle doit rayonner en silence. Gardons-nous de nous contempler et de nous occuper de nous-mêmes, dans un but d'édification. Le seul moyen de nous édifier véritablement, c'est de faire à tout moment ce que Dieu veut, de donner ainsi à chaque instant son sens et sa valeur cachée, de persévérer dans la recherche et le devenir, et de tendre invariablement au royaume de Dieu. Les exercices religieux ne font qu'entraver l'échange vital. Vous n'entendrez nulle part la parole de Dieu si vous ne la percevez dans toutes les obligations de l'existence.

Une activité spéciale n'est pas nécessaire non plus au progrès de l'évolution véritable. Toute fonction dans laquelle s'actualise le nouvel ordre de choses et s'incarne la vérité est un travail pour le règne de Dieu. Toute oeuvre humaine doit l'être et peut le devenir aussi bien, et mieux peut-être, que les oeuvres dans lesquelles on a toujours à la bouche le nom de Dieu. L'exploitation d'une fabrique dont l'organisation repose sur les principes de vie du Christ, concourt davantage à l'établissement du règne de Dieu qu'une oeuvre missionnaire qui pratique le prosélytisme, car celle-ci ne favorise pas la venue de ce règne, mais la retarde au contraire. Plus la tension est grande entre l'Église et le royaume de Dieu, - car non seulement le droit canon, mais toute l'économie générale de l'Église, sont en contradiction avec la vie que Jésus nous a révélée et avec ses lois, - plus aussi il sera difficile qu'une activité ecclésiastique incarne et réalise le règne divin. Mais il est évident que cela est possible si les hommes qui deviennent trouvent dans leur vie nouvelle la source d'un véritable «accomplissement» des oeuvres et des institutions ecclésiastiques.

Dans la mesure où la relation personnelle de l'homme avec Dieu devient vivante et vraie, et crée en lui un être disparaissent donc la vie originelle et une nature nouvelle, et l'activité spécialement religieuses à la façon des païens et des hypocrites.

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LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et... Empty Re: LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et...

Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 21:07

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps


CHAPITRE III
LA VIE PERSONNELLE

(Matthieu VI, 1-18.)
3. La vie cachée.


«Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites, qui se composent un visage tout défait pour que leur jeûne attire les regards des hommes En vérité, je vous le dis, ils ont leur récompense. Pour toi, lorsque tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, afin que ton jeûne ne soit pas aperçu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent dans le secret; et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra. »

Jeûner, c'est s'abstenir. Il suffit de s'en rendre compte pour ne point passer avec indifférence à côté de ces paroles de Jésus. Car autant est vain le jeûne corporel conventionnel et tout extérieur qui n'est qu'un exercice religieux prescrit par l'Église, autant est importante l'abstinence volontaire de celui qui, dans certaines circonstances et pour des motifs déterminés, renonce à telle ou telle satisfaction dans l'intérêt de son développement, de sa vie ou de son activité. Je n'entends point par là uniquement la privation de nourriture, mais le renoncement aux agréments et aux nécessités de l'existence, à la lecture, aux jouissances artistiques, à la conversation, à la vie de société, au confort et au luxe, aussi bien qu'au manger et au boire, selon que l'obligation s'en fait sentir à nous à un moment donné. Je ne parle pas de l'ascétisme qui a son but en lui-même et qui est la négation de la vie, mais du renoncement qui a un sens, qui affirme la vie, qui cherche à l'ennoblir ou à la fortifier. Ce jeûne librement approprié aux nécessités de notre âme est un des traits fondamentaux de la vie personnelle, car il est le plus puissant levier de vie dont nous disposions. Et il est un signe de vie personnelle, parce qu'il affirme la souveraineté de notre moi et sa libre administration de notre économie intérieure et extérieure.

Il n'est point nécessaire de le prescrire aux chercheurs. Ils y viennent de leur propre mouvement. Ils savent que nous n'assurons la prééminence de notre moi qu'en nous sevrant de tout ce qui exerce sur nous une influence tyrannique. Ils ont fait l'expérience qu'en s'exerçant à l'abstinence on «entraîne » la personnalité qui acquiert de ce fait la force de résistance, la souplesse, l'énergie et l'élasticité. Ils se rendent compte que nous ne pouvons accomplir aucune tâche, atteindre aucun but élevé, sans renoncer à tout ce qui nous entrave, nous détourne et nous affaiblit. Ils jeûnent instinctivement, lorsqu'ils rompent avec tout ce qui trouble leur contact avec Dieu et recherchent la solitude afin de rentrer en eux-mêmes, ou lorsqu'ils laissent tout le reste à l'arrière-plan dans l'intérêt de la seule chose nécessaire, et s'abstiennent de tout ce qui compromet leur vie et leur développement.

Toutefois Jésus ne veut point nous enseigner ici qu'il faut jeûner, mais comment nous devons le faire. Et une fois de plus, il nous répète : «non pas publiquement, mais en secret», non de manière à attirer les regards mais à la dérobée, non extérieurement, mais intérieurement. Dieu seul qui voit dans le secret doit en être témoin.

Mais, objectera-t-on peut-être, si je renonce à la vie de société parce qu'elle me captive et me futilise, aux jouissances artistiques parce qu'elles sont pernicieuses pour moi, ou à l'alcool parce qu'il diminue ma force de résistance, cela ne peut avoir lieu secrètement. Il est impossible qu'on ne le remarque pas. Certes; aussi n'est-ce point là ce que Jésus condamne. Nous ne pouvons cacher le changement qui se produit dans notre vie, mais nous pouvons laisser ignorer qu'il est un acte de renoncement. C'est le jeûne en soi qui doit passer inaperçu. Qu'on s'explique comme on le voudra notre métamorphose, ne laissons nul regard pénétrer dans notre âme, célons les mobiles de notre conduite, les circonstances personnelles qui l'inspirent. Préservons notre être intime de l'indiscrétion des curieux qui prennent plaisir à épier leurs semblables et à surprendre leurs singularités.

L'insistance de Jésus sur ce point est telle qu'il va jusqu'à recommander certaines mesures propres à garantir le secret du jeûne. «Bien loin de montrer un visage défait, dit-il, parfume ta tête et lave ton visage», - c'est-à-dire rayonne de la joie de vivre et pare-toi comme pour une fête, - « afin que ton jeûne n'attire pas les regards des hommes». Que ton apparence dissimule ce qui se passe en toi.

Mais en nous donnant l'air différent de ce que nous sommes en réalité, ne tomberons-nous pas d'une hypocrisie dans une autre? Jésus n'exige-t-il pas de nous une conduite mensongère? Sans aucun doute, si nous appliquons ici nos notions habituelles et toutes formelles de la sincérité. Mais Jésus en a une conception différente. Car son instinct délicat discerne l'hypocrisie subtile qui se cache sous une sincérité apparente et la fausseté intérieure qui s'y propage.

Pour sauver l'honneur de Jésus, on allègue qu'il a simplement voulu montrer que ceux qui sont dans une relation normale avec le Père peuvent rester joyeux, même au sein de la plus grande détresse et des plus douloureux dépouillements, parce qu'ils le demeurent au fond du coeur. Qui nierait qu'il puisse en être ainsi et que ce soit l'idéal pour les enfants de Dieu? Évidemment le renoncement qui nous assombrit et nous laisse un arrière-goût d'amertume n'est pas un renoncement complet. Il retient intérieurement ce qu'il abandonne extérieurement. Nous ne sommes réellement détachés de ce qui est pour nous une occasion de chute que lorsque nous n'en ressentons plus la privation. Et quand le résultat poursuivi par ce moyen nous tient assez à coeur pour que nous y sacrifiions tout, nous pouvons le faire avec joie et le sourire aux lèvres. Cependant ni le texte, ni son contexte ne nous indiquent que ce soit là la pensée de Jésus. Il nous recommande d'agir de manière à cacher notre renoncement intime. L'attitude qu'il nous prescrit correspond exactement à l'ordre de fermer la porte sur nous quand nous voulons prier le Père - c'est une mesure de sûreté que nous avons à prendre.

Mais précisément parce que tel est le cas, nous ne manquons pas à la vérité en parfumant notre tête lorsque nous jeûnons. Car il ne s'agit pas de simuler ce que nous n'éprouvons pas, mais seulement de dissimuler sous une attitude de surface ce qui se passe au fond de notre être intime, et de déjouer ainsi l'indiscrétion des hommes. Que nous paraissions alors différents de ce que nous sommes, cela est indéniable. Toutefois notre manière d'agir n'implique aucune intention mensongère, mais une légitime défense de notre moi. Si quelqu'un confond l'apparence avec la réalité, nous n'en sommes pas plus responsables que nous ne sommes obligés pour être vrais de nous présenter nus à tout venant. En tout cas, cette erreur ne tient pas à notre réserve, mais à la superficialité de notre prochain.

Mais surtout si nous agissons ainsi, c'est en vertu d'une conception tout autre de la vérité. La notion extérieure, formelle, mécanique de la vérité exige que tout ce que nous faisons et disons soit exact : nous sommes véridiques lorsque nous exprimons ce qui est littéralement vrai. La véracité, dans ce cas, c'est la fidélité de la reproduction photographique. Ce serait donc mentir et tromper, au sens strict du mot, que de raconter aux enfants des contes de fées et se prêter à leurs représentations enfantines, ou de répondre simplement : Bien, merci, à la question : Comment vous portez-vous? lorsque nous ressentons un malaise quelconque. Il faudrait ne rapporter aux enfants que des événements historiques incontestables, ne leur donner que des réponses scientifiquement exactes et répondre aux questions concernant notre état par une analyse scrupuleuse de notre condition physique et morale.

La notion objective, intérieure, organique de la vérité exige au contraire que nous parlions et agissions de manière à satisfaire aux obligations présentes, à résoudre parfaitement le problème posé, à réaliser intégralement notre vocation, à cet instant précis. Or cela ne peut avoir lieu d'une façon abstraite, mais seulement d'une manière concrète, sur la base et dans la mesure des conditions données : de notre état intérieur, de nos relations spéciales avec notre interlocuteur, des circonstances du moment, des droits et des devoirs qui découlent de la situation générale. Il n'y a de vérité que dans ce qui « devient» et mûrit; tout ce qu'on échafaude est faux en soi. Toute manifestation qui procède directement de l'intuition immédiate de la nécessité actuelle est donc véridique pourvu qu'elle y corresponde, qu'elle soit exacte ou non au sens purement formel. En conséquence, la seule réponse vraie sera celle que notre interlocuteur pourra comprendre et utiliser et qui satisfera entièrement à ses besoins présents. Aussi n'est-ce point mentir que de fournir provisoirement aux enfants des explications incomplètes; tandis que c'est agir d'une manière contraire à la vérité que de donner en pâture à leur imagination les faits dans toute leur sécheresse.

Ce qui est faux au sens organique du mot, ce n'est pas la parole qui formule une chose inexacte, mais bien plutôt la parole inutile qui détruit au lieu de vivifier, parce qu'elle ne procède pas d'une nécessité intérieure et ne donne aucun sens au moment actuel, le propos Insignifiant et arbitraire, quelque irréprochablement exact qu'il soit d'ailleurs. C'est à ce point de vue que Jésus se place, quand il nous dit que nous aurons à rendre compte de toutes les paroles « vaines » que nous aurons prononcées.

Une vie pénétrée de cette sincérité effective est l'accomplissement de toutes nos obligations morales envers la vérité. Jésus entendait l'apporter au monde comme tous les autres accomplissements que nous présente le Sermon sur la montagne. En conséquence, la conduite qu'il prescrit à ceux qui jeûnent répond à une exigence inéluctable de la vérité. En effet, pour être absolument sincère, notre jeûne doit demeurer ignoré; mais ce n'est possible que si la surface de notre vie reste assez unie pour ne rien trahir de ce qui se passe au-dessous. Il en résulte que nous avons à prendre les mesures qui nous garantissent le secret, dussions-nous pour cela voiler la détresse de notre âme sous une apparente gaîté.

En agissant ainsi, nous ne méconnaissons point nos obligations envers le prochain. Il n'a nul droit de connaître notre vie intérieure, ni d'y prendre part. La sincérité n'implique pas l'expansion. L'impression illusoire que nous produisons sur les autres, n'est ni un mensonge, ni une tromperie; pas plus que l'apparence de dureté, d'injustice ou de cruauté sous laquelle se dérobent dans l'univers l'amour et la miséricorde de Dieu.

Nous ne comprendrons, du reste, à quel point cette mesure de protection est conforme à la vérité qu'en dégageant clairement la loi de la vie nouvelle qui est ici en cause.

Le jeûne peut être inspiré par les motifs et les mobiles les plus divers. La discipline qu'il nous impose est un incomparable instrument d'éducation personnelle et de conquête de. l'autonomie intérieure, un levier extraordinairement efficace de la liberté individuelle; dans la lutte pour notre véritable existence, il est l'arme la plus tranchante et la plus appropriée; il est l'unique moyen dont nous disposions pour augmenter notre force et notre capacité d'action, enfin il est souvent l'expression immédiate d'un jugement que nous prononçons sur nous-mêmes. Quand le jeûne est de la sorte un acte volontaire, et non l'exécution d'un commandement de l'Église ou d'un devoir religieux, il devient une manifestation capitale de notre vie intime et personnelle. Et en nous exhortant énergiquement à le laisser ignorer, Jésus nous enseigne que pour rester sincère et féconde, notre vie profonde doit se dérouler dans le secret et dans la solitude.

C'est de cette source mystérieuse que jaillit notre vie personnelle. C'est de ces couches obscures que montent les sucs qui l'alimentent. Là se font entendre les voix qui élèvent des profondeurs, et se révèlent les vérités invisibles. Là l'être originel cherche à s'affirmer en face du flot montant des instincts corrompus et des séductions funestes. Là convergent les impressions que nous apporte la vie, et qui au contact des expériences antérieures demeurées vivantes bien que silencieuses, éveilleront les émotions d'où jaillira notre vie nouvelle. Les orages de la destinée fondent sur nous et secouent le tréfonds de notre être; la pression répétée de nos détresses et de nos devoirs provoque des explosions formidables de l'énergie personnelle qui y est concentrée. Des impulsions puissantes se font jour, des intuitions inconnues S'éveillent, de merveilleux pressentiments frémissent, tandis que tout l'effort de notre esprit suffit à peine à saisir, élaborer, mettre en oeuvre ce nouveau devenir et ces expériences nouvelles. Ainsi, tout ce qui nous arrive passe dans le creuset de notre vie profonde pour être purifié des scories qui le souillent et transformé en un trésor de vie. Elle est le centre duquel tout part et auquel tout revient.

Elle est le lieu où s'opère le développement embryonnaire de notre vie personnelle. La vie consciente, claire, énergique qui s'épanouit souveraine et consciente de son but repose entièrement sur une vie de sensations immédiates, constamment fécondées par nos expériences. D'elles surgissent les clartés, les inspirations, les forces qui modèlent et dirigent notre vie personnelle. Il n'y a point là un travail de réflexion ou de raisonnement, mais un processus de croissance qui élabore, clarifie, transforme, une maturation graduelle, la gestation de l'être qui se forme en nous et veut venir au jour. Cette vie naissante échappe à notre action. Tantôt elle ne croît qu'insensiblement dans le silence de notre attente recueillie; tantôt nous nous sentons ébranlés jusqu'au fond par l'angoisse et la souffrance intolérable que nous cause cet effort de la vie. Mais nous nous y consacrons tout entiers, avec d'autant plus d'ardeur.

Cependant notre être intime n'abrite pas seulement le mystère de notre vie naissante; il est aussi le théâtre de notre activité personnelle. Nous ne pouvons nous borner à hâter de nos voeux l'évolution qui commence, nous avons à nous mesurer avec les problèmes qui nous obsèdent et nous ne saurions trouver de repos avant de les avoir résolus. Il faut que les fardeaux soient portés, les conflits apaisés, les liens rompus, le chemin trouvé, la fatalité vaincue. Le champ de bataille de notre vie personnelle est au fond de nous-mêmes. Les ennemis que nous n'y aurons pas domptés demeureront invincibles, car là seulement se remportent les vraies victoires. Là se découvrent les solutions qui « accomplissent»; en les cherchant ailleurs nous n'aboutirions qu'à des accommodements.

Le secret le plus absolu est donc indispensable à l'élaboration de nos expériences comme au développement de notre vie naissante. Tout ce qui vit a été conçu dans l'obscurité; rien ne s'effectue d'une manière féconde, puissante et souveraine sans avoir été auparavant trouvé et expérimenté dans le secret. C'est sur cette loi fondamentale de la vie véritable que repose l'exhortation de Jésus que nous venons de considérer.

Notre vie intime est notre sanctuaire; quiconque en a retrouvé l'entrée est prêt à tous les sacrifices pour le réédifier après en avoir été lui-même le dévastateur inconscient. Gardons-le jalousement de la profanation des visiteurs étrangers et incompréhensifs. N'y laissons pénétrer que les familiers de notre âme. Mais dans ce sanctuaire même, il est un lieu très saint dont nul ne doit franchir le seuil. Ce qu'il recèle - anxiétés, détresses, douleurs, sentences prononcées sur nous-mêmes dans la honte et le repentir, luttes contre le doute et le désespoir, victoires de la foi, attente patiente et tenace, jugements de Dieu, tentations diaboliques, expériences merveilleuses - doit rester caché à tous les yeux. Nous ne pourrons sans doute empêcher nos plus proches de pressentir l'état de notre âme. Mais ce qui s'y passe en réalité leur restera voilé, comme bien souvent à nous-mêmes, si ébranlés que nous soyons par ces secousses souterraines et ces brusques éruptions. Quoiqu'il en soit, n'en parlons pas, même aux plus chers. Que leur contact immédiat et personnel avec nous le leur fasse seul entrevoir. Alors leur silence discret ne fera que favoriser le mystère duquel dépend le salut de notre personnalité.

Il s'agit de faire acte d'énergie et de tout sacrifier à cette sauvegarde absolue de notre vie cachée. Y manquer, c'est lui donner le coup de mort. Celui qui découvre aux regards les affres de son devenir, les angoisses au prix desquelles il affirme et maintient son moi, ses difficultés dans l'accomplissement de sa vocation, profane ce qu'il y a de plus saint en lui et livre le mystère de sa personnalité.

Nul n'a besoin, du reste, d'en être averti. La pudeur de l'âme nous en préserve naturellement. L'homme sain est incapable de parler de ses expériences intimes avant qu'elles aient atteint la maturité qui leur permet de porter des fruits de vie. Mais dans les cercles où l'on fait de la vie intérieure un sport, une verbosité sans pudeur étouffe chez plusieurs la répugnance instinctive à divulguer leurs émotions et leurs expériences les plus sacrées. On ne sait plus rien éprouver sans le proclamer aussitôt. On se met en scène, on s'étale complaisamment pour la plus grande gloire de Dieu, pour le bien de ses frères, par besoin de distraction, sans se rendre compte du sacrilège que l'on commet. Jésus défendait avec menaces à ceux qui avaient reçu quelque secours ou quelque révélation de Dieu, d'en rien dire à personne. Combien ce sentiment s'est perdu dans notre monde chrétien !

Le silence est la chasteté de l'âme. L'amour seul autorise à parler, l'amour vrai qui n'est que la vie qui déborde. Comment donc aimer sans avoir commencé par se taire jusqu'à ce qu'on ose parler, jusqu'à ce qu'on ait quelque chose à communiquer? Il faut que les sources secrètes aient émergé des profondeurs avant de se répandre.

La mise à nu de notre vie cachée entraîne toutes les conséquences de la prostitution. Elle tue la pudeur de l'âme et avec elle la sensibilité délicate qui est l'organe des expériences profondes et originales; l'impulsivité est compromise, le développement spontané s'arrête. Le travail de la vie organique ne supporte pas le grand jour. Lorsqu'elle languit pour avoir été arrachée à l'obscurité, force est bien de la remplacer par une contrefaçon. La réflexion prend la place de l'intuition; les sentiments d'emprunt, l'affectation et la routine, celle des impulsions primesautières. On s'engage ainsi dans la voie mensongère et superficielle de l'illusion, de l'imitation et de la mise en scène. On simule la vie personnelle, parce qu'on ne peut plus la vivre spontanément.

Tant que nos expériences personnelles ne sont encore qu'un pêle-mêle informe d'impressions et de sentiments impossibles à formuler, tant qu'elles ne constituent pas un tout homogène assez distinct pour être saisi consciemment, tant qu'elles n'ont pas acquis la maturité nécessaire pour devenir un élément vivifiant dans la structure de notre organisme, nous avons à subir patiemment le travail de renouvellement qui se poursuit en nous, et à vivre de manière à le favoriser, mais à garder à tout prix le silence à son sujet, afin d'en assurer la réalité, la profondeur et la fécondité.

De même, nous n'avons pas le droit de parler des difficultés que nous n'avons pas vaincues, de ce qui n'a pas encore été consommé dans notre for intérieur. Nous avons à lutter, au contraire, dans le secret le plus absolu, jusqu'à ce que nous en soyons venus à bout. Les grandes actions ne naissent que dans le silence. En nous répandant au dehors avant le temps, nous nous privons des forces, des clartés, des expériences nouvelles qui devaient se révéler parmi ces obscurités, des progrès et des fruits que nous en pouvions attendre. Dans ce domaine, ce qui n'est fait qu'à moitié n'est pas fait du tout. Le contact direct avec le problème donné peut seul nous en apporter la solution. Sachons donc rester en proie à la fièvre qu'il nous cause jusqu'à ce que nous l'ayons trouvée. Tout épanchement prématuré trouble notre intuition immédiate et nous prive en conséquence de la source d'énergie de laquelle découle toute victoire.

Nous connaissons tous le soulagement qu'on éprouve à parler de ses perplexités. C'est le plus sûr moyen de s'en débarrasser, mais aussi de n'en jamais triompher et de les dépouiller de toute valeur vitale. Ce que nous communiquons nous échappe et nous devient étranger. Peut-être le rappellerons-nous avec larmes; nous ne le retrouverons plus jamais, car notre capacité de le ressentir s'est évanouie pour s'être dissoute prématurément en paroles. Ce qui germe en nous se flétrit quand nous l'exposons aux regards. Sans doute, dans une autre occasion, ces germes de vie pourront se ranimer et recommencer à bourgeonner; mais pour l'instant ils restent inutiles, et les progrès et la continuité de notre évolution en sont compromis.

Il n'en va pas de même des vicissitudes et des souffrances que nous avons à surmonter. Elles demeurent et s'imposent toujours à nouveau, même quand un coeur ami en a reçu la confidence. Mais la consolation et l'adoucissement que nous trouvons à en parler affaiblissent cependant et détendent la sensation qu'elles nous faisaient éprouver. Nous avons rendu inutiles et infructueuses nos douleurs et la détresse de notre âme. Il faudra que nous les éprouvions à nouveau, mais ce sera chaque fois avec moins d'intensité. Or, plus notre sensibilité s'amoindrit, plus aussi diminue notre faculté de réagir victorieusement. Apprenons donc à souffrir sans nous plaindre, afin d'avoir part aux fruits de la souffrance.

Lorsque nous ne réussissons pas à surmonter seuls nos difficultés, mais nous voyons obligés de recourir à l'aide d'autrui, le cas est tout différent. Il n'y a point là d'impudeur, pas plus qu'il n'y en a à consulter un médecin. Car le secours véritable ne supprime pas notre détresse intérieure; il nous y fait pénétrer au contraire plus profondément et il nous révèle l'attitude à prendre pour en triompher. L'ami vraiment secourable entre avec nous dans notre peine et nous soutient en la portant et la surmontant avec nous. Celui que nous initions ainsi à nos préoccupations, en une intime et vivante communion, nous aidera certainement à les dérober aux regards.

Quand notre obscure impulsion ou notre pressentiment anxieux se sont transformés en certitude lumineuse, quand la tension intérieure a produit un dégagement de vie et l'expérience de Dieu déployé son action créatrice, quand la détresse purificatrice a abouti à un nouvel essor de l'âme, l'angoisse intolérable à la victoire, le devoir pénible à l'accomplissement, - alors, mais seulement alors, peut être révélé ce qui a mûri en nous, ce que nous avons conquis intérieurement.

Les fruits de notre vie cachée appartiennent à tous, mais non le secret des phénomènes qui les ont fait apparaître et des conditions dans lesquelles ils ont mûri. Il faut que le monde voie l'oeuvre achevée de notre personnalité, non la vie intérieure d'où elle procède, quelque remarquable et puissante qu'elle soit peut-être. Qui voudrait narrer après coup les douleurs de son enfantement et les affres de son devenir comme il ferait le récit de ses aventures? Que ces expériences restent enfermées dans notre sanctuaire le plus intime, sous peine d'être perdues pour nous. Qu'elles s'ensevelissent au fond de nous-mêmes pour y devenir un réservoir permanent de vie!

Il n'est pas toujours facile, cependant, de dérober l'accès de notre sanctuaire, non seulement à la curiosité importune des passants indiscrets, mais encore à la compassion des amis bien intentionnés. On écarte aisément les envahisseurs étrangers; on se soustrait difficilement à la sollicitude à courte vue qui voudrait nous épargner les souffrances et les risques, à l'affection fidèle qui devine en une certaine mesure ce qui se passe en nous et nous trouble par ses consolations et ses conseils. Dans bien des cas, il ne suffit point de n'en rien laisser paraître, car les causes extérieures de notre angoisse intime ne sont que trop connues de notre entourage. Aussi nous voyons-nous obligés de recourir à des mesures préservatrices : «Parfume ta tête », nous dit Jésus, et cela d'autant plus diligemment que ton Jeûne est plus rigoureux. L'être chaste le fait instinctivement. Il déguise sa détresse et dépiste les regards inquisiteurs. Il déconcerte la sympathie qui cherche à s'imposer, et son air dégagé déçoit la curiosité. C'est un devoir catégorique de conservation personnelle. Laissons donc sans scrupule les flots moutonner gaîment à la surface, afin que nul ne soupçonne ce que recèlent leurs profondeurs silencieuses!

Cette sérénité apparente est notre unique moyen de salut lorsque la tempête intérieure menace de rompre toutes les digues et que nous nous trouvons en danger de perdre pied. Souvent alors il suffit que quelqu'un effleure par hasard le point sensible, pour que s'évanouisse tout notre empire sur nous-mêmes. Le flot de nos émotions contenues fait irruption comme un élément déchaîné et laisse notre âme en proie à la dévastation. Qui ne sait qu'il suffit d'un mot pour exaspérer celui qu'obsède une souffrance cachée, en sorte que sa désolation intérieure éclate" au dehors avec une impétuosité sauvage? Cela est terrible et funeste, car c'est la défaite sans rémission. Nous périssons dans la tourmente, quand nous ne pouvons plus la dominer. Il n'y a rien dont nous nous remettions plus difficilement que d'avoir donné en spectacle notre détresse intime. Cela ne doit pas être. Il faut contenir le tumulte intérieur pour en triompher et conserver notre dignité humaine. Ne laissons donc personne toucher à notre mal sous peine de perdre toute maîtrise de nous-mêmes. Et pour que nul ne s'y aventure, sachons donner le change sur ce qui se passe en nous. Le chant des pèlerins:

Souvent la bouche rit, le visage est joyeux
Alors que l'âme pleure et que le coeur se brise

est vrai dans un sens plus grave encore et pour tous les hommes. Que de fois ne supportons-nous notre angoisse qu'en la dissimulant sous des dehors plaisants! Celui qui ne sait pas feindre est incapable de vivre seul au milieu des hommes. Or quiconque ne sait pas vivre seul parmi ses semblables se perdra lui-même au milieu d'eux. Dérobons donc aux regards notre histoire intime et la vie profonde de notre moi, si nous tenons à le conserver.

Nous aurions tort évidemment d'employer pour sauvegarder notre vie personnelle des moyens qui répugnent à notre nature et à la vérité, si même ce n'était pas aller à fin contraire, et nous condamner à échouer misérablement. Toute comédie et toute tactique consciente manqueraient le but et nous seraient nuisibles, car elles tueraient notre spontanéité. Les seules mesures légitimes sont celles que la situation donnée nous suggère tout naturellement. Il ne s'agit point de prendre telle ou telle attitude calculée d'avance. La conduite que Jésus nous prescrit n'est pas autre chose que celle qu'adopte instinctivement une âme pudique que, avant même de se rendre compte de sa signification. Il est facile de détourner les questions dépourvues de tact, de prévenir, par des questions sur leur santé et leurs circonstances, les témoignages de commisération et les regards compatissants de ceux qui voudraient prendre part à notre peine. Non seulement le temps qu'il fait, mais les grands et les petits événements de la vie nous fourniront assez de matière pour nous y retrancher et y abriter notre détresse.

Pour masquer ainsi sa peine sous une apparence enjouée, il faut évidemment être doué d'un certain humour qui, même dans les temps difficiles, saisit les moindres lueurs qui viennent égayer le cours changeant des jours. Cependant, livrés à nous-mêmes, absorbés dans notre chagrin, nous les laisserions peut-être passer sans y prendre garde, tandis que détournés de nos préoccupations par l'importunité d'autrui, nous les remarquons involontairement et en profitons pour tenir à distance la commisération indiscrète. Sans doute aussi, ceux chez lesquels ne s'unissent point des éléments contraires et dont le fond ne se distingue en rien de la surface, ceux qui ne savent point associer le sérieux au badinage, réussiront malaisément à sauvegarder ainsi leur vie intérieure. Et ceux qui ne sont pas assez maîtres d'eux-mêmes pour voiler sous une apparence calme et unie les orages de l'âme n'y parviendront Jamais. il y faut une adresse et une maîtrise que plusieurs ne possèdent pas. Mais cela ne saurait infirmer ni le droit, ni le devoir que nous avons de préserver notre vie intime de toute intrusion, ni la possibilité de le faire tout en restant absolument sincères.

Si notre vie profonde demeure ainsi cachée à tous les regards, le Père la mettra en valeur. Il ne peut se révéler dans notre vie entière que si nous le laissons régner sans obstacle dans notre for intérieur, S'il regarde au secret du coeur, c'est que c'est là seulement qu'il opère et de là qu'il agit au dehors. L'élément créateur de toute vie personnelle, c'est la vibration de la puissance de vie universelle. C'est elle qui excite en nous l'inquiétude et l'ardeur de la recherche. Elle nous rend capable d'impressions profondes et de vie intense. En faisant éclore en nous l'être originel, elle crée notre véritable personnalité. Elle ouvre notre coeur à la vérité, et de tout événement, fait affluer en nous la vie. Mais pour que cette action du Père se concentre dans une évolution et une vie organiques capables de s'élever à leur plus haute puissance et de déployer des effets permanents, il lui faut le huis clos d'une vie intérieure inaccessible à tous. Aussi la révélation nette et puissante du Père par ses enfants dépend-elle de la réserve et de la chasteté de leur vie intime.

Les sources de la vie personnelle gisent donc dans l'obscurité et doivent y demeurer cachées pour lui permettre de s'y accumuler, d'en jaillir naturellement, et de se manifester normalement dans les trois directions indiquées par Jésus. En signalant aux chercheurs l'identité de cette loi de nature dans tous les domaines de la vie, Jésus nous exhorte énergiquement à l'observer à tout prix. Mais il est évident que cette exhortation ne concerne que les chercheurs. Car il est impossible d'engager qui que ce soit à fonder exclusivement son existence sur une chose qu'il ne possède pas. « Un homme ne peut recevoir que ce qui lui a été donné du ciel. » Les instructions de Jésus ne peuvent être pratiquées que par ceux chez lesquels est née la vie originelle.

Comment les autres vivraient-ils directement de leurs intuitions spontanées? Ils sont en proie à des impressions contradictoires, artificielles, fausses. Ils sont bien obligés de réfléchir, de peser et de trancher les questions selon des normes et des principes, sous peine de faire leur malheur et celui des autres. Comment pourraient-ils « adorer Dieu en esprit et en vérité », c'est-à-dire vivre uniquement de foi? Ils n'ont pas fait l'expérience immédiate de Dieu. Il faut bien qu'ils cultivent leurs relations avec lui, comme on le fait quand on ignore le contact divin. Comment leur vie intérieure prospérerait-elle? Ils ne possèdent point en eux de source cachée, toujours jaillissante; ils en sont réduits à vivre des autres et avec les autres, pour ne pas mourir d'inanition. S'ils tentaient d'accomplir les paroles de Jésus, ils se verraient bientôt livrés à une vaine exaltation et se consumeraient dans leur néant. Mais ce danger n'existe pas pour eux : ces instructions leur restent inintelligibles parce qu'ils ne connaissent pas la vie dans laquelle règne cette loi de nature. 

Mais à ceux qui cherchent, les déclarations de Jésus concernant l'aumône, la prière et le jeûne, révèlent une étape nouvelle de la transformation radicale et merveilleuse qu'est la nouvelle naissance. Elles leur font entrevoir ce que devient notre vie lorsque les impulsions de l'être originel, les mouvements de la vérité grandissante éveillés dans l'âme inquiète, se coordonnent et s'organisent. Elles leur montrent comment se fonde et se constitue la vie collective et leur découvrent les sources primitives d'où la vie personnelle jaillit dans sa vérité, sa pureté et sa profondeur, pourvu que nous en sauvegardions le mystère. « Car il n'y a rien de caché qui ne doive être connu.»


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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 21:18

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps

CHAPITRE IV
LA VIE QUOTIDIENNE

(Matthieu VI, 19-34.)
1. Le centre de gravité.

Du domaine de la vie personnelle, le Sermon sur la montagne passe maintenant à celui de la conduite journalière envisagée à la lumière du nouveau devenir.

« Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où les vers et la rouille rongent, et où les voleurs percent les murs et dérobent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel où ni les vers, ni la rouille ne rongent, et où aucun voleur ne perce les murs, ni ne dérobe. Car là où est votre trésor, là aussi est votre coeur. »

Nous ne dépasserions pas une interprétation juive et toute superficielle de ces paroles, si nous nous figurions que Jésus ait voulu exhorter ses auditeurs à «s'amasser des trésors dans le ciel en pratiquant la véritable justice, à laquelle est réservée une grande récompense qui est en dépôt dans le ciel et qui doit leur échoir là-haut au jour de la rétribution finale: la participation au règne de Dieu alors consommé ». Il se peut que quelque Israélite encroûté dans sa dogmatique ait interprété cette simple parole : Amassez-vous des trésors dans le ciel, d'une façon aussi compliquée que le théologien chrétien que nous venons de citer, et qui paraît pénétré de judaïsme jusqu'aux moelles.

Mais, à coup sûr, Jésus n'a voulu parler ni de bonnes œuvres, ni de récompense, ni de «là haut», ni du règne de Dieu parfaitement réalisé, car il n'eût point, dans ce cas, motivé sa recommandation en ces termes : «Là OÙ est votre trésor, là aussi est votre cœur. » Où vivons-nous intérieurement? Voilà ce qui lui importe. C'est dans nos efforts et nos ambitions que se trahit notre état intérieur, c'est pourquoi Jésus commence par nous exhorter à rechercher des biens impérissables plutôt que des biens passagers.

Pour caractériser ces richesses impérissables, il se sert de l'expression courante de « ciel », domaine de l'éternité, mais cette parole : Là où est votre trésor, là aussi est votre cœur, indique clairement qu'il ne s'agit pas dans sa pensée de la vie future. Notre cœur Vit, déjà ici-bas, dans les régions célestes, quand il s'attache à l'acquisition des trésors permanents que nous possédons virtuellement en raison de notre nature divine.

Nous avons donc le droit, tant selon la lettre que selon l'esprit, de transposer ainsi dans notre langage l'exhortation de Jésus : N'amassez point de trésors dans l'économie terrestre, car tout ce qui est terrestre est incertain, éphémère, sans valeur et sans fruit. Mais amassez des trésors de vie originelle que ne sauraient vous ravir ni les hommes, ni les vicissitudes de la destinée. Cette vie-là est indestructible et éternelle, parce qu'elle est indépendante de tout mode d'existence limité et procède de l'action même de Dieu. Son origine divine lui confère son prix infini et sa fécondité. Elle seule donne à notre existence un sens et une fin. Les « trésors» périssables représentent tout ce qui constitue communément la richesse et la gloire, le bonheur et l'orgueil de l'homme. Tous ces biens ne sont qu'illusion. Si nous fondons sur eux notre existence, si nous leur attribuons une valeur essentielle et une signification réelle, c'en est fait de nous. «La vie d'un homme ne dépend pas des biens qu'il possède.» C'est se perdre que d'y attacher son coeur. Rien n'est Plus instable, plus dépourvu de vie que la fortune. «Que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s'il se perdait lui-même?»

Que sont la gloire et la considération? Un halo, une vaine lueur qui n'est pas même le reflet de notre vie réelle, mais seulement une hallucination de l'opinion publique. AU plus profond de nous-mêmes, nous soupirons après l'atmosphère limpide où rien n'existe et ne vaut que ce que nous sommes. Cela seul a du prix. Les seules choses essentielles sont celles qui ne peuvent être célébrées par les hommes, parce qu'elles vivent dans le secret de notre âme et que leurs manifestations n'attirent point non plus les regards.

Il en est de même de nos œuvres et de notre carrière. Que nous servirait d'obtenir tels ou tels résultats, fût-ce même de marquer de notre empreinte toute une période de l'histoire du monde? Les seuls résultats satisfaisants sont ceux qui procèdent de l'épanouissement original de notre personnalité. Tout le reste est vanité. À quoi aboutit, en fin de compte, celui qui voue son existence à la culture d'un talent spécial, au progrès de la science, à l'amélioration du sort de l'humanité, s'il se perd lui-même? Il s'est frustré du seul bien qui demeure, de l'unique vie qui nous appartienne.

Ce n'est pas dans la fortune, la jouissance, l'activité, même les plus extraordinaires et les Plus excellentes, que se trouvent les biens indestructibles, inaliénables, éternels, mais uniquement dans notre vie personnelle. Elle possède une valeur vitale infinie, indépendante de toutes les fluctuations des valeurs en cours, de notre destinée comme de nos succès ou de nos conditions d'existence. Elle renferme une gloire divine au prix 'de laquelle tout ce que la vie peut nous offrir est vide et insignifiant. Nous enrichir dans ce domaine, c'est donner un sens à notre vie, trouver la seule satisfaction véritable en réalisant notre vocation, et créer notre éternité. Seules l'évolution, la carrière, la vie supérieure de la personnalité ont une importance capitale. tout le reste n'est qu'apparence, luxe mesquin, misérable bien-être.

Cette assertion est évidemment incompréhensible pour tout homme qui ne s'est pas encore trouvé lui-même, qui n'a pas, avec un bienheureux frémissement, senti s'éveiller en lui le germe d'une vie nouvelle, et vu s'effondrer, parmi les angoisses de son devenir, tout ce qui faisait jusqu'alors la richesse et le repos de son existence. Il n'y voit qu'une exaltation insensée, ou une hostilité suspecte envers la vie. Mais vous, ô pèlerins de la recherche et du désir, qui n'avez plus où reposer votre tête, vous qu'une inquiétude consumante détourne de tout ce qui s'offre à vous contenter, vous savez ces choses, car parmi tous vos biens, vos plaisirs, vos travaux, vous vous sentez pauvres infiniment. Aussi comprenez-vous l'exhortation de votre guide : Amassez-vous dei trésors de vie originelle, enrichissez votre être intérieur. Le seul trésor qui ne soit pas du clinquant est enfoui au fond de vous-mêmes. Il l'en faut extraire pour avoir la vie, et pour être dans l'abondance.

Ce qu'il faut à tout prix, c'est vous trouver vous-mêmes et affranchir votre moi de tous les liens où il se meurt. Songez aux moyens de le ramener à la vie, de lui procurer l'air et la nourriture nécessaires à sa croissance. Triomphez de la paresse qui vous surprend toujours à nouveau et vous paralyse, que protégé par vos inquiétudes et vos aspirations germe et lève votre véritable moi. Il faut qu'il fasse éclater toutes les enveloppes que votre existence livrée aux choses périssables a tissées autour de lui, que, par une expansion continue, il s'en dégage et s'épanouisse. Vivez d'une façon personnelle pour que votre personnalité se développe. Cherchez votre propre voie, prenez en main la direction de votre vie afin de conquérir votre autonomie. Épurez votre vie intime, pour que se forme, homogène et distinct, votre être intégral. Luttez contre tout ce qui vous détourne de votre chemin, altère votre véritable nature, fait dévier votre conduite et entrave votre vie. Prêtez constamment l'oreille à la voix de votre génie et suivez ses ordres, de peur de voir s'engloutir et disparaître votre trésor.

C'est ainsi que vous amasserez des trésors permanents. Car notre moi, ce rayon de la divinité, est notre bien suprême, et sa vie, son devenir et son action constituent la seule existence humaine digne de ce nom. Sa puissance fait notre richesse, sa souveraineté sur toutes les vicissitudes et tous les hasards de la destinée fait notre gloire. C'est dans son épanouissement que réside la beauté impérissable d'une jeunesse éternelle devant laquelle pâlit le charme fragile de tous les objets extérieurs. La nécessité intérieure et impulsive de nos manifestations est notre liberté; notre dignité humaine reconquise est notre noblesse; notre titre d'enfants de Dieu, notre royauté. C'est dans la vérité qui demeure en nous que réside notre honneur; la vie créatrice qui travaille en nous fait notre prix. Notre solidarité avec nos frères, manifestation instinctive de notre origine divine, voilà le service dont nous nous acquittons envers l'humanité; les fruits de notre vie nouvelle, voilà nos travaux, dont la valeur consiste à propager la vie. Enfin, cet accomplissement de notre vocation, voilà notre bonheur incorruptible, inépuisable et toujours grandissant.

Ceux qui comprennent l'exhortation de Jésus à ne pas amasser des trésors périssables, voient ainsi cette évaluation nouvelle de toutes choses se vérifier dans leur vie tout entière. Jésus n'y insiste pas davantage. Il passe aussitôt des effets pratiques de la vie originelle à la loi sur laquelle ils se fondent : « Là où est votre trésor, là aussi est votre coeur. » Là où résident nos intérêts dominants, là aussi réside notre être intime, là où gît notre bien suprême, là est notre centre de gravité. Or notre centre de gravité ne doit point être en dehors de nous, mais en nous-mêmes. De cette loi fondamentale de notre existence il résulte directement que les seuls trésors que nous devions amasser sont ceux de l'être véritable. Mais ce principe a une portée plus haute encore : il fixe la condition inéluctable d'une conduite vraiment personnelle, dans tous les domaines de la vie.

Si notre centre de gravité n'est pas en nous-mêmes, nous ne nous appartenons pas réellement, nous devenons les esclaves des hommes et des choses, des biens et des idéals dans lesquels il est placé. Nous tombons dans leur dépendance, nous perdons toute existence propre. Ils nous subjuguent et nous engloutissent; ce qu'il y a de personnel en nous est absorbé par eux. Nous devenons incapables de diriger notre vie dont la force motrice ne réside plus en nous, mais en eux. Notre fortune, notre vocation, nos affaires, nos circonstances, nos intérêts, nos idéals même nous désâment; ils deviennent des démons dont nous sommes possédés. Nos sentiments, notre volonté, nos pensées leur sont également assujettis. Nous succombons à leur domination tyrannique et arbitraire : ils nous aveuglent, nous grisent, nous intoxiquent et nous égarent; surmenés, aplatis, vidés, désagrégés, nous périssons enfin, et notre moi est étouffé et anéanti. La vie nous offre des exemples effrayants de cette ruine que la vocation la plus noble, les intérêts les plus élevés, l'idéal le plus splendide ne sauraient empêcher. Peu de personnes, il est vrai, discernent sous les conséquences extérieures de cet état de choses le désastre intérieur de ceux qui se perdent ainsi sans le savoir.

Il faut être fondé en soi pour se maintenir, pour rester indépendant et conquérir son autonomie parmi les agitations et les courants divers de la vie matérielle et spirituelle. Il n'y a d'homme véritablement libre que celui dont le centre de gravité est dans les profondeurs de son être. Seul il possède la force de résistance et la supériorité nécessaires pour rester, malgré les échecs et les déceptions, maître de la situation et créateur de sa destinée. Il tire sa vie de tout ce qui consume les âmes dépendantes, remplit de sa plénitude ce qui les épuise, use pour son salut de ce qui les use. Car il écoute la voix de son génie et il est en mesure de lui obéir. Aussi la vérité de l'être humain peut-elle s'incarner en lui et y déployer sa vigueur et ses clartés. En lui l'être originel atteint, par la vertu de sa vie intrinsèque, sa pleine maturité, et manifeste sa souveraine puissance de vie.

Mais quand la force centripète ne contrebalance pas la force centrifuge, quand la vie profonde et cachée ne maintient pas tout le reste en équilibre, notre personnalité se dissout dans le tourbillon de l'existence. Notre vie intime se volatilise; notre conscience individuelle, le sentiment de nos obligations et de notre responsabilité envers nous-mêmes s'évanouissent. Car nous ne nous sentons spontanément obligés qu'envers ce qui est réellement notre raison d'être.

Conquérir la vie personnelle, subsister par nous-mêmes, et traverser l'existence debout, voilà ce qu'il nous faut. La plante qui s'attache à un appui extérieur ne peut acquérir un tronc vigoureux. Toute dépendance est une mutilation. Toute rupture de notre équilibre aboutit à une position fausse. Pour trouver en toute circonstance l'attitude juste, il faut être fondé en soi. L'ordre, la suite, un développement continu s'introduisent alors dans notre vie, autrement tous les fils s'enchevêtrent et tous les rapports se faussent. Celui qui est au pouvoir de l'argent, par exemple, n'entre en rapport direct avec rien ni personne : il voit tout à travers l'argent. En conséquence, sa dépendance de l'argent influence et détermine tous ses sentiments et toutes ses actions. Rien d'étonnant à ce que tout dévie, se dénature, se déséquilibre, et à ce que sa vie entière dégénère et rate.

Enfin celui-là seul qui est fondé en soi peut conférer à la vie riche et multiple qui nous environne sa valeur vitale. Nous comprendrions mal la pensée de Jésus si nous croyions devoir mépriser ce que cette vie nous offre, sous prétexte que tout est vain. Nous avons au contraire à faire servir tous les éléments de l'existence au développement de notre être originel, et nous le faisons d'instinct quand notre centre de gravité est en nous-mêmes. Plus rien qui ne concoure à nous rapprocher du but. Tout acquiert une signification appropriée à notre personnalité, même les choses les plus superficielles et les plus fugitives.- Il ne se produit pas une dépréciation, mais une évaluation nouvelle de toutes choses, car désormais ce qui détermine la valeur d'un objet, c'est son importance au point de vue du développement de notre être intérieur. Pas n'est besoin cependant d'établir pour cela une nouvelle échelle des valeurs; chacun discerne instinctivement ce qui lui est bon et l'emploie de façon à en tirer profit pour sa vie.

Ainsi en est-il, par exemple, de l'amour sexuel, chose incertaine et passagère, enivrement d'un instant, satisfaction misérable en soi. Dès que nous en saisissons la signification personnelle et en faisons un moyen de devenir des hommes complets, il acquiert une valeur éternelle, d'un prix incomparable. De même l'art cesse d'être une simple occasion de jouissance esthétique et une excitation subtile des sens, dépourvues de toute valeur vitale et permanente. Le génie créateur des grands maîtres fécondant les âmes réceptives, les entraîne dans le large courant d'une vie immédiate et spontanée, et communique aux manifestations de leur vie une belle harmonie et une noblesse tranquille. Il en est ainsi dans tous les domaines. Il suffit d'avoir les yeux ouverts pour constater que tout peut acquérir une signification d'une portée immense pour notre vie et notre être véritables, dès que notre centre de gravité est en nous-mêmes et non dans les choses qui peuvent et doivent les alimenter. 


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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 21:32

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
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CHAPITRE IV
LA VIE QUOTIDIENNE

(Matthieu VI, 19-34.)
2. La lumière de la vie.


« L’œil est la lumière du corps. Si ton oeil est sain, tout ton corps est dans la lumière; mais si ton œil est en mauvais état, ton corps tout entier est dans les ténèbres. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, combien grandes seront les ténèbres!»

Ce qu'est l’œil pour le corps, l'esprit l'est pour la vie. Il est l'organe qui lui transmet la lumière. C'est par son moyen que nous considérons le monde et que nous regardons en nous-mêmes. Les choses qu'il ne perçoit pas nous demeurent cachées, car elles restent enveloppées d'obscurité. Notre esprit est l'organe intérieur qui réfléchit tout ce qui surgit en nous ou nous atteint du dehors, qui saisit et comprend, juge et décide, et grâce auquel l'impression reçue se transforme en vie active. Il est le réservoir de vie personnelle auquel affluent toutes les impressions et d'où émanent les résolutions et les clartés. Si la faculté visuelle lui fait défaut, notre vie entière est dans les ténèbres. Nous restons aussi aveugles que le serait un corps sans yeux, aussi inertes qu'un être privé de ses sens. Rien ne saurait faire entendre plus clairement, que cette comparaison avec l’œil et le rôle qu'il joue dans notre existence corporelle, l'importance qu'a pour notre vie notre conscience du monde et de nous-mêmes.

Mais si notre faculté visuelle a une importance aussi capitale, il s'agit avant tout de savoir non ce que nous voyons, mais comment nous voyons. L'essentiel n'est pas d'avoir une conception générale du monde et des choses car, après tout, nous voyons tout ce dont nous faisons l'expérience et, par conséquent, nous embrassons à chaque instant du regard tout notre monde. Ce qui importe, c'est que notre vision soit exacte et juste, puisque, c'est elle qui déterminera notre conduite. C'est d'elle que dépendra notre attitude à l'égard des faits et des événements comme des obligations de la vie. Jésus laisse donc à l'arrière-plan la question, estimée en général si intéressante, de l'abondance et du classement des impressions sur lesquelles se fonde notre jugement, et s'attache, en revanche, à marquer l'influence décisive qu'exerce sur notre vie la netteté de ces impressions.

Mais la justesse de notre vue dépend de l'excellence de notre organe. Si notre oeil intérieur est limpide, c'est-à-dire non prévenu, s'il perçoit les images simplement, directement, s'il ne se laisse ni illusionner, ni éblouir, nous sommes dans la lumière et tout nous apparaît clair et distinct. Nous discernons exactement ce que nous avons à faire et nous touchons toujours juste. Si au contraire notre oeil est en mauvais état, s'il est troublé ou obscurci, s'il louche, S. il voit double ou faux, nous sommes sujets à toutes les erreurs, nous n'avançons qu'à tâtons et nous nous égarons enfin. Veillons donc à ce que notre vue soit saine si nous tenons à accomplir heureusement le voyage de la vie.

Cette vue saine, nous ne la possédons pas d'emblée. Notre façon de considérer toutes choses est habituellement troublée par des idées préconçues qui nous les font voir et juger, à notre insu, sous un certain jour. Une fois notre oeil intérieur affranchi de ces aberrations, il découvre la haute valeur que recèlent les objets les plus insignifiants et la monstruosité de faits tout ordinaires; il discerne le vain éclat de gloires universellement célébrées, la puérilité des systèmes les plus vantés et l'absurdité extraordinaire de notre train de vie. Dans ces instants de clairvoyance, l'atmosphère subjective qui nous enveloppe tous se déchire, et nous entrons en contact direct avec la vie objective.

C'est peut-être notre demeure ou notre vêtement qui nous produisent une impression si étrange que nous ne nous sentons plus à notre aise dans notre peau de civilisés. Ce sont le ton et les manières de la société qui nous apparaissent si affectés, si exagérés et si ridicules qu'il nous devient impossible de nous y associer. La vanité nous fait l'effet d'un atavisme Simiesque, l'ambition d'une démence, l'égoïsme d'une étroitesse stupide, la cupidité d'une imbécillité. Nous constatons avec étonnement que chacun peut donner la plus minime de ses découvertes pour la pierre philosophale. sans que personne s'avise de douter de sa raison, que l'on prend au sérieux ceux qui jonglent avec des théories religieuses ou philosophiques, tandis que, bien loin d'obéir aux simples lois de la vie, on se borne à les admirer comme un jeu de la pensée. Alors nous nous épouvantons d'avoir vécu si longtemps, sans nous en douter, non de réalités, mais de mots tout faits et de notions abstraites.

Et que de préjugés dans les domaines les plus divers ne voyons-nous point, par exemple, les enfants considérés comme la propriété des parents, la femme comme subordonnée à l'homme, la souffrance comme un malheur, la mort comme une délivrance, et ainsi de suite? Lorsque nos yeux, jusqu'alors retenus, recouvrent la clarté, nous remarquons que nous avons tout envisagé à l'envers. II semble que l'influence suggestive de la tradition et des conventions, notre superficialité, notre étroitesse et notre folie aient faussé notre oeil en sorte qu'au lieu de voir les choses telles qu'elles sont, nous ne les apercevons qu'étrangement voilées et déformées. Notre sens de la réalité est altéré, atrophié même. Il faut que l'objectivité de notre vie nouvelle dissipe ces préventions subjectives et que la vérité grandissant en nous éclaire notre regard, pour que nous acquérions la faculté de contempler la vie sans idées préconçues et comme d'un autre monde.

Notre faculté visuelle dépend donc absolument de notre état personnel. C'est nous-mêmes que nous voyons en tout. Notre conception des choses n'est que le reflet de notre être, et notre vision l'effet de ce que nous sommes. Sommes-nous sincères, nos impressions sont franches. Sommes-nous compliqués, tout nous paraît enchevêtré. S'il y a de l'unité dans notre vie, il y en a dans nos conceptions. Dépendons-nous de notre humeur du moment, tout se teinte de sa nuance particulière. La vérité intérieure nous fait-elle défaut, nous ne voyons que ce que nous voulons voir. Manquons-nous de décision, tout miroite et chatoie. Le désordre règne-t-il en nous, tout se brouille et se confond. C'est donc de la pureté, de la simplicité et de l'ingénuité de notre esprit que dépend la question de savoir si notre vision des choses est, ou non, une force éclairante pour notre vie.

Mais cette question dépend pour le moins autant de notre attitude personnelle à l'égard de la vie. Si notre centre de gravité se trouve en dehors de nous, dans n'importe quels biens ou quels idéals, notre esprit tombe en leur pouvoir. Il en est si possédé, si pénétré, que ce n'est plus lui en réalité qui conçoit et qui juge, mais bien plutôt la puissance qui nous subjugue: nous voyons par les yeux de Mammon, de nos passions, de nos intérêts dominants. Tout ce à quoi nous attachons notre coeur nous paraît précieux, indispensable, et capable de nous satisfaire. Le domaine de l'apparent, du périssable, de l'éphémère devient pour nous l'essentiel. Un train de vie dépourvu de sens et de valeur nous semble assez important pour y consacrer notre existence, tandis que nous n'avons pas un regard pour ce qu'il y a de réel dans la vie humaine, même lorsque quelque effroyable désastre nous ouvre un instant les yeux sur notre folie : notre édifice magnifique s'écroule, il gît à nos pieds comme un amas de décombres, mais nous sommes incapables de discerner les valeurs vitales et les biens permanents ensevelis sous ces ruines. Dès que nous nous affranchissons, au contraire, de nos esclavages, nos illusions se dissipent; les brouillards qui nous dérobaient la vue du monde vrai se déchirent et nous l'apercevons dans sa réalité.

Précisons davantage encore. Nos yeux ne s'ouvrent véritablement et définitivement que lorsque s'empare de nous l'inquiétude intime qui met en question tout ce que nous sommes et tout ce que nous possédons. Alors s'évanouissent les vaines apparences auxquelles nous avions attribué jusque là du prix, de la stabilité, de la réalité. La substance des choses, qui réside sous les phénomènes, se révèle à nous. L'élément métaphysique de notre être entre en rapport avec l'élément métaphysique du monde. Nous pressentons le pouvoir paternel qui régit notre vie. L'organisme vivant de nature spirituelle qui se dérobe sous l'aspect d'un mécanisme de fer, sans âme et sans vie, nous devient évident dès que nous prenons conscience de notre place dans sa structure. Nous discernons le sens et l'énergie motrice de tout ce qui vit. Les véritables valeurs se dévoilent. La fatalité de l'ordre ancien nous apparaît aussi distinctement que les lois naturelles du nouveau devenir. Sous l'éclat de la lumière divine reflétée par un regard limpide, l'enchaînement organique de notre vie, notre situation, le programme et les lois de notre existence s'illuminent d'une clarté nouvelle. Nous comprenons ce que c'est que vivre et ce qu'être homme signifie. Nous savons ce qui importe et ce que nous avons à faire. Le voyage au large peut commencer. En avant, ô chercheurs, dans les yeux desquels rayonne le regard du Père. Vous trouverez.

Veillons donc à ce que notre oeil reste sain, de peur de retomber dans les ténèbres. Tant que frémit en nous l'inquiétude d'une âme qui cherche, tant que grandit notre être originel, tant que nous saisissons tout «par la foi », c'est-à-dire selon notre intuition immédiate de Dieu, nous marchons à la pleine lumière de la vérité et de la vie. Mais dès que les instincts et les passions de la vieille nature recommencent à vibrer en nous, notre sang qui bouillonne injecte nos yeux et obscurcit notre regard. Nous devenons insensibles aux sollicitations divines qui, comme des ondes lumineuses, émanent de tous les phénomènes et de tous les faits de la vie, et nous en révèlent la réalité profonde. L'obscurité descend, et l'éclairage artificiel au moyen duquel nous cherchons à l'illuminer, jette un faux jour sur toute chose. Alors c'est l'incertitude, la confusion, les préventions subjectives. On devient infidèle à sa vraie nature, on perd son chemin, on succombe aux tentations. C'est la ruine complète. 

« Si donc la lumière qui est en toi - celle qui illumine les chercheurs quand ils trouvent le Père - devient ténèbres, combien sera profonde l'obscurité de ta vie ! » Jésus suppose ici le cas où le rayon de soleil divin tombé dans l'âme s'éteint et se change en ténèbres. Il ne dit point : Si tu es aveugle, mais : Si la lumière qui est en toi, c'est-à-dire l'intuition vivante de Dieu, devient ténèbres, c'est-à-dire devient une croyance dépourvue de vie et de réalité, impossible d'imaginer l'obscurité qui t'enveloppera.

Combien d'êtres cependant vivent dans cette obscurité! Que d'aveugles qui se croient voyants parce qu'ils professent des convictions chrétiennes! Ils ne discernent point Dieu dans la vie, mais ils croient en Dieu et font des doctrines chrétiennes les luminaires qui doivent dissiper leurs ténèbres. Ils considèrent leur vie à la lueur factice et voulue des théories toutes faites et déclarent que les choses sont telles qu'ils les voient. Ils ne les distinguent pas dans leur vérité et dans leur principe, ils s'en font une représentation imaginaire, et qui a cependant sa méthode et son système; mais à supposer même que cette représentation fût exacte, il lui manquerait la vie que donne l'impression directe, et par conséquent la puissance originelle. Ils n'aperçoivent point involontairement les phénomènes et les faits et n'en saisissent point spontanément la signification, comme le font ceux qui sont dans la lumière, mais ils sont obligés de les examiner d'abord et de les analyser, pour se rendre compte de ce qu'il en est et de ce qu'il convient de faire, «au point de vue chrétien». Il leur manque l'instinct de la vérité, l'intuition des rapports et des enchaînements, le pressentiment des situations, et la certitude impulsive de ce qui est nécessaire en soi. En conséquence, ils ne sont pas plus capables de comprendre leur vie et de la diriger que les aveugles de juger des couleurs. N'ayant aucune idée de ce dont Il s'agit, ils sont hésitants et incapables, ils tombent dans les contradictions et l'absurdité, ils entreprennent tout à l'envers et sont en état non seulement de commettre, mais d'élever à la hauteur d'un principe, les plus extraordinaires insanités. Jésus nous en donne un exemple :

« Nul ne peut servir deux maîtres, car ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. »

Ou l'un ou l'autre. L'un exclut l'autre. Nous ne pouvons à la fois marcher dans deux directions différentes, avoir deux centres de gravité opposés, vivre en vertu de deux principes contraires. Quiconque a des yeux qui voient en constate l'impossibilité. Pourtant aux yeux éteints des chrétiens de nom, cela parait non seulement possible, mais commode et simple. Combien doivent être grandes leurs ténèbres! Ils réussissent à placer le fondement de leur existence dans leurs biens terrestres, dans les intérêts les plus divers, et à se figurer en même temps qu'il est au ciel. Ils sont esclaves de l'argent ou de l'ambition exactement comme les autres hommes, ils se passionnent pour les choses passagères, vaines et périssables, trompent la faim de leur âme au moyen de misérables futilités, mais ils tiennent Dieu en réserve à tout hasard. C'est qu'ils n'ont jamais été changés intérieurement; ils ne sont pas nés de nouveau, mais ils restent embarrassés dans leur vieille nature. Cependant, ce sont des gens très religieux. Possédés des démons de la vie présente, ils ont conclu avec Dieu un contrat privé : ils lui rendront son culte spécial, il pourra réclamer d'eux de l'intérêt pour les choses religieuses, une dévotion et une morale chrétiennes, la participation aux oeuvres de charité de leur église. En échange, il leur assurera son appui dans tout ce qui leur tient à coeur, c'est-à-dire dans le domaine des choses périssables. Cependant on ne peut servir deux maîtres qu'en subordonnant l'un à l'autre. On fait donc de Dieu l'esclave de Mammon, mais officiellement on le craint, on l'aime, on se confie en lui par-dessus tout. Et l'on est capable de persévérer sa vie durant dans cette grotesque aberration. N'est-ce point vivre dans les plus épaisses ténèbres? Tout s'est éteint, même la conscience.

Quant à vous, ô chercheurs, vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. Car dans votre inquiétude se manifeste l'appel du Père; c'est sa force qui opère dans votre devenir, et l'instinct de la vérité qui anime votre être renouvelé vous fait voir toute chose à sa lumière. Comment, par quoi, vous laisseriez-vous assujettir? Grâce à la force d'attraction divine qui domine votre vie, votre centre de gravité est dans le salut et l'avenir de votre être. Servez donc Dieu, Dieu seul, si vous aspirez à sauver votre âme, à vous enrichir de vie originelle. À ce prix seulement, votre oeil restera limpide et vous pourrez vivre à la clarté du soleil divin.

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 21:43

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
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CHAPITRE IV
LA VIE QUOTIDIENNE
(Matthieu VI, 19-34.)
3. Le point d'appui.

«C'est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie, de ce que vous mangerez ou boirez, ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'amassent rien dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux? D'ailleurs, qui de vous, à force de soucis, pourrait ajouter une coudée à sa taille? Et quant au vêtement, pourquoi vous en inquiéter? 
Considérez comment croissent les lis des champs : ils ne travaillent ni ne filent. Cependant je vous déclare que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a pas été vêtu comme l'un d'eux. Si Dieu revêt de la sorte l'herbe des champs, qui existe aujourd'hui et demain sera jetée au four, ne le fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi? Ne vous mettez donc point en peine, disant: Que mangerons-nous, que boirons-nous? De quoi nous vêtirons-nous? Car ce sont les païens qui recherchent toutes ces choses et votre Père céleste sait que vous en avez besoin. »

Ces paroles sont en rapport étroit avec les précédentes «C'est pourquoi, dit Jésus, ne vous inquiétez pas.» Si nous ne pouvons servir en même temps Dieu et Mammon, notre inquiétude ne saurai pas non plus avoir simultanément pour objet la croissance de notre être originel et l'acquisition des biens matériels. En outre, si notre centre de gravité est en nous-mêmes, nous ne saurions nous laisser troubler par la préoccupation de la nourriture et du vêtement. De là la double affirmation de Jésus : impossible de vous inquiéter, car l'âme et la vie sont plus que le corps et le vêtement, et votre intérêt va à ce qui est essentiel; inutile de le faire, car si vous servez Dieu, vous êtes sous la garde de sa sollicitude paternelle. Un regard jeté sur les oiseaux suffit à vous convaincre de ce qu'il y a d'anormal dans vos alarmes. Ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n'amassent aucune provision dans des greniers. Néanmoins le Père céleste les nourrit. Quelle différence n'y a-t-il pas entre eux et vous cependant! D'abord les hommes sèment, moissonnent, engrangent. Pourquoi donc ajouter des soucis à leurs soins et à leur prévoyance? Dieu ne les nourrira-t-il pas à plus forte raison, eux qui gagnent leur pain à la sueur de leur front ? Et puis, de combien leur prix ne dépasse-t-il pas celui des oiseaux? Vos soucis témoignent d'un incroyable manque de confiance en Dieu; si vous portez en vous le germe d'une vie éternelle, comment votre Père vous laisserait-il manquer des biens passagers, et périr faute du nécessaire?

Pour toucher du doigt l'absurdité de nos inquiétudes, il suffit de constater que tout ce qu'il y a d'important dans notre vie échappe à notre action. Nous ne saurions ajouter un millimètre à notre taille; ni le temps qu'il fait, ni notre sort, ne sont entre nos mains. Si donc nous n'avons aucun pouvoir sur les conditions mêmes de notre existence et de notre activité, il ne sert de rien de nous mettre en peine des choses capitales de la vie. Alors, à quoi bon nous tourmenter des choses accessoires?

Pour nous rassurer davantage encore, Jésus attire notre attention sur les fleurs des champs. Elles ne se mettent point en souci de leur parure, elles n'ont qu'une destinée éphémère, et cependant elles sont revêtues d'une incomparable beauté. Combien plus le Père vous revêtira-t-il, ô fils de Dieu ! Hommes de peu de foi, revenez donc à la raison. Les païens s'agitent au sujet de toutes ces choses, mais votre Père, qui est dans les cieux, sait bien que vous en avez besoin. Pourquoi donc vous laisseriez-vous troubler, vous qui connaissez votre Père?

Quiconque a lu ces paroles avec attention est saisi d'étonnement en entendant objecter que de semblables exhortations pouvaient s'adresser aux Orientaux de ces temps reculés, et dans l'attente prochaine de la fin du monde, mais qu'on ne saurait donner les moineaux et les anémones en exemple aux hommes de notre temps que consume la lutte pour l'existence. De nos jours, dit-on, quiconque ne se met point en peine est perdu.

Raisonner ainsi, c'est méconnaître absolument le sens des paroles de Jésus et le fond même de la question. Jésus n'a pas songé à nous. donner en exemple les oiseaux et les fleurs inconscientes. Il a voulu nous faire sentir la différence prodigieuse qu'il y a entre leur vie et la nôtre, et nous faire comprendre que si Dieu pourvoit à leur existence fragile, insignifiante et oisive, nous pouvons à plus forte raison compter sur sa sollicitude. Il en résulte que tout homme qui vit d'une façon vraiment humaine et qui vaque honnêtement à son travail, peut avoir la certitude mille fois plus absolue que Dieu prendra fait et cause pour lui, car il se fait l'allié de ceux qui portent son caractère et de tout travail effectif. Or cette assurance est infiniment plus précieuse et plus opportune dans notre siècle de fer qu'au moment où elle fut prononcée. Elle est un message rédempteur pour notre génération qui, dans la poursuite avide du pain quotidien, court le plus grand danger de perdre la vie. 

Le souci ne consiste ni dans la peine que nous prenons pour nous procurer le nécessaire et pour nous assurer des conditions d'existence tolérables, ni dans l'effort que nous consacrons à notre carrière et à nos progrès dans tous les domaines. Le souci consiste dans l'anxiété que nous éprouvons à ce sujet et qui résulte du sentiment de notre impuissance en face des devoirs et des hasards de la vie. Prévoir, pourvoir, calculer, administrer sagement, ce n'est point nous mettre en peine. Tout au contraire, c'est créer notre avenir et maîtriser la vie; c'est prouver que nous dominons la situation et que nous tenons le gouvernail de notre existence. Il est indispensable, pour cela, d'examiner les circonstances avec calme et circonspection, de nous demander sérieusement, par exemple, si nous sommes capables d'entreprendre tel ou tel travail ou s'II dépassera nos forces, de prévenir les contretemps fâcheux, de peser les éventualités, de combiner les moyens et de prévoir le cours des choses, afin de créer des conditions favorables. Tous ces soins ne sont pas des soucis, ils témoignent d'une calme assurance qui déploie ses effets dans la vie. Aussi Jésus n'a-t-il pas songé à les déprécier et à décourager notre effort. Car c'est cet effort même qui nous distingue des fleurs et des oiseaux.

Se mettre en peine, c'est ressentir péniblement les obligations de la vie, en être intérieurement troublé, ballotté, absorbé, oppressé. Le souci, c'est l'agitation et la dépression que produisent notre incapacité de vivre, notre assujettissement aux choses extérieures, notre dépendance intérieure de nos conditions d'existence. C'est la neurasthénie de la vie personnelle. Nous avons un intérêt majeur à en être délivrés, car il est devenu la maladie du temps actuel, l'obstacle le plus considérable à notre triomphe sur la vie. Or nous pouvons, aujourd'hui encore, en être affranchis, si nous suivons le chemin que Jésus nous trace. Non pas tous, il est vrai, mais ceux-là seulement qui ne peuvent servir Dieu et Mammon, parce que leur centre de gravité est en eux-mêmes et non en dehors d'eux, parce qu'ils éprouvent l'effet de l'attraction divine et que, par conséquent, l'effort de leur vie porte tout entier sur la croissance de leur être originel et non sur la poursuite de biens périssables et d'idéals passagers. Quant aux autres, quelque convaincus qu'ils puissent être de l'inanité des soucis et de leur influence désastreuse, ils continueront à s'inquiéter, c'est-à-dire à trembler et haleter sous le joug qu'ils ont à porter. Seul, celui qui a conquis la liberté intérieure restera paisible en face des hasards de la vie et sans souci pour sa subsistance, parce qu'il a placé ses véritables intérêts dans le domaine de l'impérissable et que la réalisation de sa destinée est indépendante des circonstances et des événements.

Il peut, en effet, demeurer en paix, car il éprouve la présence active du Père qui sait de quoi nous avons besoin. Celui qui s'alarme au sujet de sa santé, de son pain, de son avancement, du succès de ses efforts, est un homme de peu de foi ; car il ne connaît que dans une faible mesure l'expérience immédiate de Dieu. Plus ses yeux s'ouvriront pour distinguer le Père, plus la vie originelle deviendra la puissance qui éclaire et enrichit son existence, plus aussi se dissiperont ses alarmes. II en est ainsi de nos jours aussi bien qu'autrefois. Car cet affermissement et ce soulagement intérieurs reposent sur des lois naturelles, immuables, indépendantes de toutes les conditions de lieu, de temps et de culture. Heureux donc les chercheurs ! Ils sont affranchis des soucis : la neurasthénie de la vie intérieure est vaincue par la croissance de l'être originel en eux.

Jésus ne touche ici qu'à la question des soucis. Mais l'état intérieur de l'âme enracinée en Dieu exerce ses effets dans tous les domaines et triomphe de tous les désordres. L'arbitraire fait place à la nécessité de la vie nouvelle qui nous dicte d'instant en instant la conduite à tenir. Asservis naguère aux hommes, aux choses, aux événements, nous acquérons une souveraineté intérieure qui assure la liberté de nos mouvements et de notre croissance. À la faiblesse, à l'incapacité de vivre se substitue une puissance de vie qui fait concourir à notre salut les rencontres les plus tragiques de la destinée. Aux tâtonnements succède la certitude profonde qui découle du contact personnel avec Dieu; à l'accablement, la joie et le goût de vivre qui se renouvellent en puisant aux sources divines; à la crainte, la vaillance qui peut tout par celui qui nous fortifie; au sentiment de l'abandon, l'assurance bienheureuse de la présence du Père, qui nous inonde de son amour. Ainsi le nouvel état intérieur que crée en nous la vie originelle fournit à notre vie journalière un point d'appui d'une 'valeur incomparable.


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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 22:11

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
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CHAPITRE IV
LA VIE QUOTIDIENNE

(Matthieu VI, 19-34.)
4. Le but.


« Ce sont les païens qui recherchent toutes ces choses », les païens, c'est-à-dire des hommes fermés à la véritable réalité, ignorants de Dieu et de son action rédemptrice, des âmes rassasiées auxquelles suffit le misérable bien-être que procurent les choses vaines et périssables. Quant à vous, chercheurs, qui sentez frémir en vous un nouveau devenir

« Cherchez premièrement le royaume de Dieu et la justice de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. »

C'est de notre inquiétude intime, du malaise qui nous étreint parmi le va-et-vient de la vie, que naît notre recherche du royaume de Dieu. L'obscur besoin d'autre chose qui s'éveille en nous se transforme, par la vertu de l'évolution qui commence, en un ferme vouloir. De ce vouloir et de cette évolution résulte un mouvement impulsif conscient : nous nous mettons en marche vers la terre nouvelle que cherchent instinctivement toutes les âmes vivantes. Jésus élève ici ce processus intérieur à la hauteur d'un principe organisateur de notre vie : Cherchez, nous dit-il, ce règne de la vie créatrice émanant de Dieu, tendez à l'organisation harmonieuse de l'être humain et de la vie sur cette base. Prenez fait et cause pour son avènement et frayez-lui la voie. Que ce soit là le ressort de votre vie tout entière.

Chercher, - lorsqu'il s'agit d'une nouvelle création de notre personnalité et du développement intégral de l'humanité, c'est-à-dire de l'affranchissement et de l' épanouissement glorieux de notre être éternel aussi bien que de la solution du problème humain en général, - chercher, c'est nous consacrer sans réserve à ce dessein avec toutes les forces et tous les moyens dont nous disposons, brûler de cette seule ambition, concentrer tous les mouvements de notre âme dans cet unique effort, nous laisser consciemment ou inconsciemment attirer par ce pôle magnétique.

Cette recherche n'a rien de commun avec la manie du «travail pour le règne de Dieu», la sentimentalité langoureuse qui soupire après la « patrie céleste » ou n'importe quel autre pieux état d'âme que puisse évoquer cette exhortation de Jésus. C'est un élan continuel vers la réalisation de l'évolution nouvelle, qui détermine chacun de nos mouvements. C'est l'oeuvre de la vie constamment orientée vers ce but. Il ne suffit pas que cette recherche soit à l'arrière-plan de toutes nos pensées et de toute notre activité; il faut qu'elle passe au premier plan. Non seulement tout, dans notre existence, doit la provoquer et la stimuler, mais elle doit elle-même tout vivifier, tout ordonner, tout modeler. On ne cherche réellement le royaume de Dieu et sa justice que lorsque le développement intégral de l'homme et la rénovation de toutes choses sont devenus l'intérêt suprême, le ferme propos auquel on se conforme sans cesse.

L'avènement de la vérité en nous, comme la renaissance de l'humanité, sont un devenir. Mais ce devenir ne s'inaugure et ne se continue qu'au prix d'une recherche et d'une poursuite sans trêve. C'est ce que fait ressortir le Sermon sur la montagne qui nous en retrace les étapes. Si nos aspirations ouvrent notre âme à la vérité, seule l'action énergique qui actualise dans la vie chacune des impulsions de l'être originel en assure l'exécution. C'est dire que nous ne parviendrons au but que si nous risquons tout pour l'atteindre, et si nous nous en rapprochons d'instant en instant dans la mesure du possible.

L'occasion nous en est constamment offerte. Il n'est pas une des obligations de la vie qui n'éveille en nous l'ambition de l'accomplir parfaitement (Matthieu ch. 5, v. 48), et l'intuition délicate de la manière dont nous avons à le faire. Mettre en oeuvre énergiquement et immédiatement cet instinct profond, réaliser ce qu'il nous dicte à ce moment précis, c'est chercher en vérité le royaume de Dieu et contribuer à sa venue, quelle que soit la distance qui nous sépare encore du but. Dans ce domaine rien n'est trop petit, trop extérieur, trop superficiel. Car du point le plus imperceptible part une ligne qui se dirige droit vers le but, et c'est sur cette ligne qu'il s'agit d'avancer. Celui qui est entré dans le courant de l'humanité nouvelle ressent en toute rencontre l'impulsion de la puissance de vie universelle qui travaille sans relâche à son achèvement. Il perçoit son appel à devenir, en se faisant l'instrument de cette force qui l'entraîne et l'aiguillonne, un élément créateur de la terre nouvelle : celui dont la pensée et la conduite obéissent à cette impulsion, cherche le royaume de Dieu et sa justice.

Cette recherche et cette ambition pénétreront sa vie entière et ne lui laisseront de repos que lorsqu'il l'aura mise en harmonie avec l'ordre nouveau qu'il entrevoit. Désormais, par exemple, il envisagera tout ce qu'il possède, femme, enfants, biens, talents, comme des trésors qui lui sont confiés. Il verra dans tout être qui a spécialement besoin de lui son prochain, au sens propre de ce mot, et lui viendra en aide. Il considérera toute chose dans son rapport avec le bien des hommes, et en usera en vue de leur salut et de leur vie. Il honorera pleinement le Père en cherchant à faire en tout sa volonté. C'est ainsi que l'ordre nouveau s'incarne dans notre existence et que les progrès du nouveau devenir sont accélérés par notre conduite qui lui est conforme et favorable. Quelles conséquences, quels effets accessoires aura-t-elle d'ailleurs? Ce n'est point notre affaire; toutes les préoccupations' de ce genre passent au second rang. 

La recherche prépondérante du royaume de Dieu introduit dans notre vie le grand courant qui tend à la vie humaine intégrale; il en actionne dès lors tous les mouvements, même les plus imperceptibles, et la dirige invariablement vers le but. Désormais elle revêt en quelque mesure le caractère effectif et créateur de la puissance de vie qui est à l'oeuvre dans l'univers. Elle trouve son harmonie et son unité, car tout y est mis involontairement en rapport avec le but poursuivi. Elle acquiert de ce fait une signification nouvelle et un caractère particulier, elle entre dans la sphère du nouveau devenir. Ainsi la recherche du royaume de Dieu et de sa vérité organise notre vie, et la façonne du dedans au dehors. Elle crée en nous la constitution nouvelle qui résoud le problème de notre être, elle fait de notre existence une vie proprement humaine en lui donnant le sens qui seul la justifie et qui accomplit notre véritable destinée.

En outre, elle nous rend invulnérables en face des contrariétés et des revers. Car désormais la raison d'être et le prix de notre vie ne résident plus dans notre situation extérieure et ne sauraient par conséquent être compromis par les coups de la destinée. Nous aurons sans doute à combattre jusqu'au bout contre l'adversité et la détresse, nous devrons compter toujours avec les dangers et les aventures, mais notre vie personnelle, dont la force agissante résulte de la tension de tout notre être vers le but, nous assure la suprématie sur les vicissitudes et les hasards de l'existence. Or cette vie n'a pas sa source en dehors de nous, mais au dedans. C'est de l'élan de notre devenir qu'elle découle; c'est son accomplissement, non sa réussite, qui fait notre bonheur. Cette marche en avant est notre raison de vivre, et dussions-nous aller nous briser contre d'infranchissables obstacles, nous n'aurions point manqué notre but. Car ce qui fait la valeur de notre existence, c'est le développement de notre être en conformité avec sa véritable fin, et le déploiement dans notre vie d'une force consciente de cette fin. Que leurs effets transparaissent au dehors et soient reconnus des autres ou que, semences d'avenir, ils restent ensevelis dans l'obscurité, cela est indifférent au point de vue de l'évolution véritable et de son progrès dans le monde. Soit que nous parvenions à notre épanouissement complet, soit qu'il se trouve entravé par des circonstances défavorables, tant que l'être originel palpite en nous, nous sommes des cellules vivantes au moyen desquelles se poursuit la création nouvelle de l'humanité, et qui sont, par conséquent, indispensables. La recherche du royaume de Dieu devient donc le principe d'une vie héroïque.

L'élan continu vers le but nous délivre enfin de tout ce qui fait obstacle à notre vie. Les soucis, la crainte et la douleur n'ont plus de prise sur celui qui est entré dans le courant vital. Il est affranchi de toute dépendance comme de toute prévention, car il avance imperturbablement et parvient au-delà des brouillards qui obscurcissaient son horizon. Le courant de vie objective qui l'entraîne, l'arrache à son atmosphère subjective et le conduit de clarté en clarté. Le pouvoir de la vieille nature est brisé par la force évolutive de l'être nouveau qui s'insurge contre elle. L'incertitude enfin disparaît, car de la poursuite incessante du royaume de Dieu procède une nécessité intérieure qui s'impose à la vie.

C'est sur cette influence illimitée, exercée sur notre vie par la recherche du royaume de Dieu, que se fonde la déclaration de Jésus, la lettre de crédit qu'il délivre aux siens : «Et toutes les autres choses vous seront données par surcroît. » Tout, en effet, leur échoit de soi-même. Car ils sont dans le courant de la vie. Ils peuvent vivre impulsivement, comme en se jouant, avec l'ingénuité de l'enfant, car le Père pourvoit à tout ce dont ils ont besoin pour cela. Tout doit concourir à leur bien et leur réussir en les rapprochant du but. Il semble qu'une vie pareille attire à elle par l'effet d'un pouvoir magnétique tout ce qui lui est nécessaire. En jetant un regard en arrière, on aperçoit le tissu merveilleux et subtil des événements qui tous surgirent au moment opportun, et l'oeil averti découvre en toutes choses l'action paternelle qui les a disposées de telle sorte que la vie entière devienne une révélation ininterrompue de la grâce et de la gloire divines.

Cette lettre de crédit est un privilège que Dieu octroie à ses enfants, à ceux en qui palpite la vie que nous révèlent les trois premières demandes de l'oraison dominicale. Elle n'entre point en vigueur pour ceux chez lesquels la recherche du royaume de Dieu ne constitue pas le courant profond de la vie et ne procède pas directement « de la foi », c'est-à-dire de l'expérience immédiate du Dieu qui nous entraîne vers le but. Mais ceux qui sont les enfants de Dieu par la foi, éprouvent chaque jour la réalité de cette promesse, qui dépasse tout ce qu'ils peuvent demander et concevoir.


 

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 22:26

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
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CHAPITRE IV
LA VIE QUOTIDIENNE
5. Le secret de la vie.


Si telle est la situation, en quoi consiste le secret de la vie? Jésus nous l'indique lorsqu'il conclut ainsi : 

« Ne vous mettez donc point en peine du lendemain, car le lendemain aura soin de ce qui le regarde. À chaque jour suffit sa peine. »

Quand Jésus nous assure que toutes choses nous seront données par surcroît, il ne nous promet point une vie exempte de détresse et de peines. Il faudra persévérer dans notre recherche et notre effort, mais chercher sera trouver, et l'effort impliquera le succès. Nous devrons tendre toutes nos forces pour le travail, mais notre travail sera exempt d'angoisse et ne restera plus vain. Nous pourrons supporter les peines de la vie, quand nous n'envisagerons que celles du moment présent. Ce sont les soucis qui ajoutent au fardeau du jour celui du lendemain, et qui causent ainsi la surcharge et l'accablement. Mais quand tout nous est donné par surcroît, à quoi bon nous préoccuper du fardeau de l'avenir? Quand il sera là, nous aurons la force de le porter. C'est pourquoi Jésus joint à sa promesse cette simple prescription : «Ne vous mettez point en peine du lendemain. »

Dans cette parole est enfermé le secret de la réussite vivre exclusivement dans le présent. L'instant fugitif est à nous, le reste n'est pas entre nos mains. Le présent est notre éternité. Plus nous le vivons exclusivement et intensément, moins nous avons conscience de l'espace et du temps. Vivre directement de l'expérience spontanée du moment, c'est s'affranchir de l'espace et du temps. Plus nous puisons dans les profondeurs infinies de l'heure présente ce qu'elle contient d'éternel, moins aussi nous souffrons de l'instabilité de la vie, et plus nous sentons sourdre en nous la vie éternelle, l'éternelle jeunesse.

Seul celui qui vit tout entier dans le présent en extrait les trésors et en remplit les devoirs. Il épuise la vie et l'accomplit. Il a trouvé l'accès de la perfection. Car de même que l'artiste ne saurait créer une oeuvre durable si tout en lui ne s'efface devant elle à l'heure où elle sort du néant, de même que nul ne saurait accomplir un travail productif sans concentrer sur cette tâche toutes les forces de son être, le seul moyen de ne rien négliger de ce qu'il nous est possible de réaliser, c'est de vivre tout entiers dans le moment qui nous appartient. C'est en cela que consiste notre perfection. 

Il faut vivre dans le présent pour acquérir le sens de la réalité qui seul nous rend aptes à la vie, parce qu'il nous, place dans la relation convenable avec elle et nous communique la faculté d'en juger. Pour celui qui se reporte obstinément au passé ou qui rêve de l'avenir, les limites qui séparent l'imaginaire du réel s'effacent, la brume que forment ses représentations superposées dérobe à sa vue la terre qui verdoie à ses pieds, et l'empêche de discerner clairement, sobrement et complètement ce qu'il a sous les yeux.

Quand nous vivons exclusivement dans le présent, le passé cesse de peser sur nous et devient la base de notre avenir. Car la vie intense du moment engloutit le passé. Or nous ne possédons véritablement que ce qui s'est enfoncé au profond de nous-mêmes pour devenir partie intégrante de notre moi, si peu que nous en ayons d'ailleurs conscience. Et cela seul qui s'ensevelit en nous peut y germer et y croître. Nous absorber dans le devoir présent, c'est donc faire fructifier le passé, tandis que tout retour en arrière nous mène au pays des ombres et nous dérobe à la vie réelle.

Vivre au jour le jour est encore la seule manière de faire droit à l'avenir. Celui qui vit dans l'avenir ne travaille pas pour l'avenir, car il vit de projets, d'imaginations et de désirs. Bâtir des châteaux en Espagne, rêver des chemins qui nous y conduiront, c'est le plus sûr moyen de n'y point parvenir. Celui qui va le plus loin, c'est celui qui, ne sachant où on le mène, se tient prêt à tout, parce qu'il ne se propose rien de précis. Entièrement occupé à épuiser l'heure qui passe et à résoudre les problèmes du moment, il crée de ce fait son avenir, car il l'actualise d'instant en instant. L'avenir naît du présent, mais comment en sortirait-il comme un fruit mûr, si nous ne portons chacun de nos moments à sa parfaite maturité en le vivant dans sa plénitude?

Si celui qui vit dans le présent voit s'engloutir le passé et le deuil qui l'accablait, il ignore les soucis que cause l'avenir. Plus notre existence est affranchie du temps, plus elle est paisible et assurée, libre et féconde. Solidement établie sur le terrain du devoir présent, notre vie vécue fortement et profondément en devient d'autant plus facile et heureuse. Aux regards de celui qui a perdu ce qu'il a de plus cher, l'avenir n'offre qu'une succession désolée de jours vides et mornes dont la perspective épouvante le coeur. Mais pour celui qui vit dans l'heure présente, chaque jour revêt la couleur et l'éclat que lui communique cette vie intense, et la terre se met à refleurir. En épuisant les richesses de l'instant qui passe, il retrouve le courage et la joie de vivre. Nous pouvons assombrir l'avenir, car il n'existe que dans notre imagination. Mais le présent est une réalité vivante, plus forte que nos rêves et que nos appréhensions, si nous savons nous y consacrer tout entiers.

La conduite nouvelle que ce passage du Sermon sur la montagne vient d'évoquer à nos yeux plonge toutes ses racines dans les profondeurs de notre être originel. Nous ne saurions conquérir de haute lutte ni le centre de gravité qui est en nous-mêmes, ni la lumière qui doit illuminer notre vie, ni le point d'appui intérieur, ni l'élan qui entraîne au but, ni l'intensité du courant de vie qui épuise sans cesse l'instant présent. Tout est le résultat d'un devenir. Mais tout Jaillira directement des sources de notre moi renouvelé, qui s'alimentent aux réservoirs éternels.



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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 22:33

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
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CHAPITRE V
LA VIE COMMUNE RÉALISÉE
(Matthieu VII, 1-6 et 12.)
1. Les bases de la vie commune.


Le changement radical qui s'opère en nous et l'éclosion de notre être originel n'ont pas uniquement pour effet de nous élever à une vie individuelle normale et à une conduite digne de notre vocation; ils créent en outre parmi les hommes une vie collective toute nouvelle. Jésus indique ici, en quelques traits rapides, les conditions élémentaires desquelles elle résulte nécessairement.

«Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. Car on vous jugera comme vous jugez, et on se servira pour vous de la mesure avec laquelle vous mesurez. »

L'habitude de juger les autres n'est pas seulement un travers commun à tous les humains, elle est pour ceux qui cherchent le royaume de Dieu une tentation dont une intégrité complète peut seule les préserver. Leur zèle ardent pour l'évolution nouvelle ne les induit que trop aisément à condamner ceux qui ne poursuivent pas le même but, ceux qui ne cherchent point, mais restent immobiles et satisfaits. Cependant la position que leur aspiration à la vie véritablement humaine les oblige à prendre envers la nature humaine déformée, n'implique pas la condamnation de ceux qui périssent inconsciemment dans leur Inertie. Au contraire, quiconque est pénétré de l'esprit des béatitudes est incapable de juger, il ne peut que supporter, endurer, user de miséricorde, procurer la paix. Aussi Jésus dit-il : Ne jugez point. Ce ne sera de votre part ni faiblesse, ni indifférence, mais Simplement l'effet de votre caractère de chercheurs.

Le mot juger ne signifie point ici apprécier, mais condamner. Nous ne pouvons vivre parmi les hommes sans nous former une opinion sur eux. Jésus lui-même nous engage à le faire quand il nous met en garde contre les faux prophètes : «Vous les reconnaîtrez à leurs fruits », dit-il, ce qui ne signifie pas autre chose que : Vous les jugerez d'après leurs fruits. De même, pour ne pas jeter les perles devant les pourceaux, le discernement est indispensable. Toute attitude prise envers notre prochain implique un jugement inconscient.

Mais condamner est tout autre chose. Ce n'est pas se borner à porter un jugement sur la valeur que les autres ont pour nous, sur l'importance qu'ils ont dans la vie, sur la mesure en laquelle il convient de les prendre en considération, mais sur ce qu'ils sont en eux-mêmes, sur leur personnalité et leur valeur objective. Quand nous jugeons, nous prétendons décider ce qu'est un être en soi, s'il est bon ou mauvais, s'il vaut ou non quelque chose. Jésus nous interdit de le faire, parce que nous en sommes absolument incapables. Nous n'y trouverions qu'une occasion de nous enorgueillir sans aucun profit,

Nous ne pouvons juger personne, parce que nous ne connaissons les hommes que superficiellement. Le fond intime de leur être, leur histoire intérieure, la signification objective de leur vie restent pour nous un mystère impénétrable. Pour les juger il nous faudrait un critère. Mais tous les critères sont insuffisants, parce qu'ils ne peuvent s'appliquer qu'à ce qui parait au dehors, et injustes, parce que tout homme doit être mesuré à sa mesure propre. En motivant ainsi sa défense : « afin que vous ne soyez pas jugés », Jésus veut nous faire pressentir quelles seraient nos impressions si l'on nous faisait violence en critiquant notre personne et notre vie de cette façon tout extérieure, mécanique et injuste. Nous apprendrions à nos dépens combien il est insensé et pervers de juger.

Mais il y a plus. En jugeant les autres, nous attirons sur nous un jugement pareil non seulement de la part de nos semblables, mais de la part de Dieu. Par la norme selon laquelle nous condamnons, nous fixons involontairement la norme selon laquelle nous voulons être jugés; nous le faisons inintentionnellement, sans doute, mais effectivement, s'il est vrai du moins que la justice suprême est celle qui mesure l'homme à sa propre mesure. C'est ce que l'apôtre Paul atteste dans cette parole incisive : « En jugeant autrui, tu te juges toi-même. »

Cependant la chose est plus grave encore : en jugeant, nous nous excluons du royaume des cieux dans lequel règne non la justice, mais la miséricorde; nous nous livrons à la justice dont nous nous faisons les partisans, Car pour obtenir miséricorde il faut pratiquer la miséricorde. Telle est la loi de nature que, pour la troisième fois, nous présente le Sermon sur la montagne.

Ceux qui cherchent, ceux qui sont entrés en contact avec le Père, ne jugeront donc point. Mais ils ne se contenteront pas de cette attitude négative : ils auront foi dans les hommes, Partout et toujours. Car leur propre expérience leur enseigne que sous toutes les déformations et les déchéances de l'être humain, se cache le germe indestructible d'un être éternel; que le péché n'est pas notre essence, mais notre dégénérescence, non notre nature, mais notre anti-nature. Dans son fond et quoi qu'il puisse advenir de lui, l'homme est et demeure bon et infiniment précieux, car il est de Dieu et il le reste. Aussi celui qui pressent en quelque mesure la réalité de Dieu et de sa propre âme a-t-il une foi sans réserve en ses semblables. L'intuition de ce qu'il y a de divin en eux détermine son jugement et son attitude à leur égard.

Cette confiance absolue dans l'homme n'a rien de commun avec la bonhomie qui ne le considère jamais tel qu'il est, parce qu'elle ne veut pas voir, et qui nous rend par conséquent inaptes à une vie collective fructueuse. Elle n'est pas non Plus une croyance fanatique, à laquelle on se cramponne malgré toutes les impressions contraires. Elle est une intuition spontanée qui, jaillit du contact intérieur de l'âme réveillée avec celle du prochain. Elle n'est point voulue et factice, mais vivante, comme l'expérience de Dieu, avec laquelle elle est en relation intime. Si nous avons foi en Dieu, nous avons foi dans les hommes, et celui qui me peut croire imperturbablement aux hommes ne saurait pas non plus croire inébranlablement en Dieu. Cette foi n'est point aveugle, mais clairvoyante et perspicace. Pénétrant au-dessous de la surface, en vertu d'une intuition immédiate, elle discerne à travers tous les voiles le caractère propre de l'être et reçoit l'impression directe de la beauté qui sommeille en lui. Toutefois elle ne méconnaît point ses déformations, elle les reconnaît au contraire d'autant plus nettement. On ne comprend les hommes que lorsqu'on croit en eux.

Pour s'en rendre compte, il faut l'avoir éprouvé. Il faut avoir, au moins une fois dans sa vie, souffert de la méchanceté et de la bassesse d'un être humain sans pouvoir cependant cesser de croire en lui, tant s'imposait le pressentiment de la gloire divine captive au fond de son être. Impossible alors de condamner, on ne peut que chercher à comprendre, et l'on apprend à le faire si l'on consent à subir patiemment jusqu'au bout cette expérience contradictoire. On finit par se rendre compte que ce qu'il y a de mauvais dans l'homme est l'effet de son anarchie intérieure, de son impuissance en face des séductions, de sa dépendance d'éléments étrangers à sa nature, c'est-à-dire de ce qu'il y a d'impersonnel en lui; ou encore la suppuration de plaies cachées, la fièvre intérieure d'une âme qui devient, la manifestation d'une souffrance intolérable que provoquent des circonstances adverses. C'est ainsi, par exemple, qu'un profond mécontentement de soi se fera jour peut-être par le soupçon, l'envie, les caprices, ou une rage de destruction s'attaquant à tout ce qui nous est précieux. On reconnaît alors que le péché est le composé le plus inimaginable de tous les désordres et de tous les égarements, et qu'il n'est jamais inhérent à l'être même, mais bien en constante opposition avec lui. 

Lorsqu'on a fait cette expérience, on garde en face de la méchanceté humaine une attitude interrogative. On la considère provisoirement, dans chaque cas donné, comme une énigme encore inexpliquée, jusqu'au moment où l'on constate l'état maladif qu'elle révèle. On croit donc aux hommes en tout état de cause, qu'on les ait déjà pénétrés ou qu'on ne les devine point encore. De même que le médecin ne saurait porter secours au malade, sans croire à la puissance réparatrice de la nature, il faut croire à la puissance de l'être originel qui sommeille en toute créature humaine pour contribuer à le faire éclore.

Cette expérience, constamment confirmée par les faits, nous apprend à discerner sous ses déformations actuelles la véritable nature humaine; nous en saisissons les rapports obscurs à la lumière du Père qui, lui aussi, a une foi invariable dans les hommes, et par conséquent, au lieu de les juger, cherche constamment à entrer en contact avec eux pour les affranchir de la malédiction du péché.

La foi à la vraie humanité dans chacun de ceux que nous rencontrons est la base d'une véritable vie commune. Car celui qu'elle anime reconnaît en tout homme un être de même rang que lui. D'elle découlent le respect profond pour la nature particulière de chacun et pour le droit qu'il a de s'affirmer, l'intelligence de son caractère et de ses manifestations vitales, le contact immédiat avec sa vie profonde, l'amour compréhensif qui supporte tout et qui rend capable d'entrer dans sa pensée et de lui prêter assistance, bref toutes les conditions fondamentales d'une vie d'entr'aide et de collaboration dans l'oeuvre de notre devenir.

C'est encore cette foi qui nous inspire la patience et le pardon, une confiance inébranlable dans la bonté invisible de tout être, la certitude de sa haute vocation, l'espérance indestructible du triomphe de sa beauté divine. Ceux qui l'éprouvent spontanément plongent tous ceux qui les approchent dans cette merveilleuse source de guérison. Leur foi est le ferme point d'appui offert à ceux qui faiblissent ou trébuchent, le baume salutaire versé sur leurs blessures, la main secourable tendue aux désespérés, l'air tonique, la chaleur vivifiante éveillant dans les coeurs endurcis les puissances germinatrices d'une vie nouvelle. La confiance des croyants dans leurs frères, c'est le Père qui est aux cieux faisant rayonner sa miséricorde sur les indigents et les perdus, à travers des coeurs et des yeux humains.

Quand nous croyons aux hommes, toute notre vie prend un caractère affirmatif; elle procède du oui. Quand nous doutons d'eux, quand nous les condamnons, nous prenons envers eux une attitude négative, nous vivons du non. Nous pouvons donc, à notre choix, devenir les fils de la puissance positive qui anime de sa vie tout l'univers, ou les fils de « l'esprit qui nie sans trêve ». Or l'union ne peut naître que du oui; là où règne le non, surgissent les oppositions, l'éloignement, les divisions, l'orgueil, le mépris. La confiance est l'énergie vitale de la vie commune, la défiance en est le ferment corrupteur. La foi est créatrice, car elle dégage, fortifie, épanouit le bien qu'elle espère et découvre; la défiance est stérile et dissolvante, elle irrite, elle précipite dans le mal qu'elle constate. Celui qui croit rend justice aux hommes; celui qui juge est toujours injuste. Celui qui croit attire; celui qui Juge repousse. Celui qui croit fait des expériences nouvelles là où les autres condamnent; celui qui ne croit point reste fermé à ces expériences et se condamne inconsciemment à périr en détournant de lui tous les affluents de vie. Ayons foi dans les hommes : nous vivrons par eux, ils vivront par nous. 


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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 22:47

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
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CHAPITRE V
LA VIE COMMUNE RÉALISÉE
 (Matthieu VII, 1-6 et 12.)
2. Le caractère de la vie commune.

«Pourquoi regardes-tu le brin de paille qui est dans l'œil de ton frère, tandis que tu ne remarques pas la poutre qui est dans ton œil? Ou comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter la paille de ton œil, lorsqu'il y a une poutre dans le tien ? Hypocrite, enlève d'abord la poutre de ton œil, et alors tu verras à retirer la paille de l'œil de ton frère.»

Même quand on ne condamne pas, on rend volontiers les autres attentifs à leurs défauts, on cherche à les en corriger. Jésus taxe ce procédé d'hypocrisie, parce que celui qui en use s'enorgueillit dans le sentiment de sa propre justice et agit d'une façon tout extérieure. C'est secourir son prochain à la manière de l'ordre ancien, et cet exemple nous fait voir comment la meilleure volonté du monde et les intentions les plus nobles échouent nécessairement lorsque nous ne sommes pas nous-mêmes dans l'ordre, et parce que nous agissons contrairement aux lois immanentes de la vie. Dans ce cas, le bien même devient un mal.

Nous avons sans cesse l'occasion de le constater. Ceux qui s'intéressent au développement de la vie morale, à la manière de l'ordre ancien, considèrent comme leur premier devoir d'améliorer leurs semblables, de leur «dire la vérité », de contribuer à leurs progrès. Dans leur zèle moralisateur, ils foncent sur eux arbitrairement et se mettent en devoir de pratiquer l'opération nécessaire. Mais ils ne font qu'empirer le mal. En effet nul ne saurait tolérer un procédé pareil, car nul ne se laisse imposer un secours qu'il ne réclame pas, surtout lorsqu'il sent instinctivement que celui qui intervient de cette façon ferait mieux de balayer devant sa porte. En conséquence, le patient se défend et prend involontairement fait et cause pour ce que l'autre veut éliminer, et cela d'autant plus que l'importun médecin, superficiellement renseigné, se méprend généralement sur le mal qu'il veut guérir et fournit ainsi à sa victime une base de défense justifiée. Il ne fait donc qu'enfoncer plus profondément dans l'oeil le brin de paille qu'il en voulait retirer, et par conséquent aggraver la situation. Il entrave le travail purificateur déjà commencé peut-être, ou nuit en fouillant sans discernement dans une plaie qui n'était pas mûre encore pour le remède et pour la guérison. En outre, par la résistance et la contradiction qu'il provoque, il incite celui qu'il reprend à manquer de sincérité envers lui-même, et il l'endurcit dans sa faute. Impossible de venir véritablement en aide à notre prochain par ce moyen. Ce genre d'assistance est bien plutôt un ferment d'irritation et de haine parmi les hommes.

Jésus nous exhorte en revanche à nous occuper d'abord de nous-mêmes et de notre propre salut; car nous ne saurions porter secours aux autres avant d'avoir réellement et complètement recouvré nous-mêmes la santé. Cet avertissement met en lumière la loi de l'entraide pratiquée selon l'ordre nouveau, loi que nous a révélée le début du Sermon sur la montagne. Lorsque la vue du mal chez les autres éveille en nous le désir de les secourir, il ne suffit point que ce désir soit sincère et que nous restions conscients de nos propres manquements, il faut encore nous y prendre de la bonne manière. À la disposition convenable, doit s'ajouter la méthode convenable : charité bien ordonnée commence par soi-même. Pour faire quelque chose pour notre prochain, il faut d'abord être devenu quelqu'un, car nous ne l'aidons que par ce que nous sommes. C'est aux bien portants seuls à soigner les malades. C'est pourquoi nous avons à nous débarrasser nous-mêmes des corps étrangers avant de songer à en débarrasser les autres. Dans la mesure où nous vivons la vérité, nous devenons capables de la répandre, car ainsi seulement nous acquérons la puissance de guérison, et la faculté de secourir.

Mais cette loi du royaume des cieux a encore une autre raison d'être. Toutes nos relations avec nos semblables doivent reposer sur l'action immédiate d'individu à individu, et être maintenues et déterminées par elle. C'est là ce qui leur donne un caractère organique et personnel, ce qui leur permet de se manifester d'une manière opportune, efficace, et conforme à une nécessité interne. Autrement elles ne sont que des rapports mécaniques, extérieurs, conventionnels, d'où résultent des procédés arbitraires, impropres et manqués. Dans le premier cas seulement s'établit une vie véritablement commune. Dans le second, ce ne sont que frottements, conflits ou accommodements. On comprend donc aisément que l'un des traits caractéristiques de la vie collective chaotique et barbare, c'est précisément cette habitude de jeter ses conseils et son aide à la tête des autres, quitte à échouer et même à nuire; tandis que là où se constitue une vie collective véritablement commune, toute aide efficace naît de l'influence immédiate d'un être sur un autre. Le charlatanisme malfaisant fait place à l'action directe de la personnalité déployant spontanément sa puissance de guérison.

Voulons-nous donc venir en aide aux autres? Veillons à ce que des torrents d'eau vive découlent de nous. Nous ne pouvons leur être utiles que dans la mesure où nous devenons pour eux un secours vivant, par notre personnalité même et son épanouissement dans la vie. Alors émanent incessamment de notre être des vertus bienfaisantes et libératrices qui se communiquent à ceux qui en ont besoin et qui sont prêts à les recevoir. Ainsi s'opère tout naturellement une sélection de ceux auxquels nous pouvons et devons prêter assistance à ce moment précis. Il n'est plus question de foncer arbitrairement sur le premier venu. Celui-là seul est notre prochain qui se trouve confié à notre sollicitude, par le fait de notre relation directe avec lui.

Dans la plupart des cas, l'influence salutaire immédiate sera suffisante. Les corps étrangers enfoncés dans l'oeil de notre frère seront attirés au dehors par le magnétisme de notre vie personnelle. Mais lorsqu'une intervention directe sera nécessaire, le patient la réclamera lui-même. Attendons en paix son appel; agir plus tôt serait prématuré. Quand il nous en priera, ce sera le moment d'intervenir, car nous serons alors l'un envers l'autre dans une situation normale. Il ne nous est donc pas permis de lui dire : Halte-là, frère, je vais retirer de ton oeil un brin de paille. C'est à lui de nous dire : Frère, retire-le. Si c'est nous qui nous imposons, il restera récalcitrant; si c'est lui qui recherche notre aide, nous le trouverons docile, traitable, patient.

Toutefois cette intervention même ne pourra procéder que d'un contact personnel avec celui qui la réclame. Il n'y a de secours efficace qu'à ce prix. Nous ne saurions autrement comprendre le mal, découvrir le traitement qui en triomphera, trouver la manière et le mot justes. Dans les opérations de la vie personnelle, le cas-type disparaît, il est modifié par une foule d'éléments individuels. En conséquence, ces opérations doivent revêtir dans chaque cas donné un caractère spécial. C'est ce qui se produit tout naturellement lorsqu'elles se fondent sur un contact intérieur immédiat avec le malade. Or l'amour est le vivant contact d'une âme avec une autre âme; celui qui aime est donc seul capable de secourir.

Le caractère primesautier de la vie nouvelle s'affirme ici encore, non seulement dans les mobiles, mais aussi dans les procédés, de toute aide efficace. Aussi plus notre assistance doit être immédiate, c'est-à-dire impulsive, plus nous est indispensable la puissance de guérison que nous ne possédons que lorsque nous avons été nous-mêmes complètement guéris. Travaillons donc à notre propre salut, si nous désirons concourir à celui des autres.


 

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Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 22:54

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
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CHAPITRE V
LA VIE COMMUNE RÉALISÉE
(Matthieu VII, 1-6 et 12.)
3. La condition de la vie commune.

«Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et que, se retournant, ils ne vous déchirent.»

Cette parole signifie simplement que certains êtres sont à l'égard de ce que nous avons de plus précieux et de plus sacré, ce que sont les chiens à l'égard des choses saintes et les pourceaux à l'égard des perles : ils n'ont aucune intelligence de ces choses, il n'y a entre eux et elles aucun rapport, elles leur demeurent étrangères, et indifférentes. Le langage de Jésus n'a donc rien d'injurieux pour eux; il ne veut que marquer la nature et le degré de leur insensibilité en face de la vie nouvelle.

Jésus nous recommande d'observer envers eux une réserve extrême. Gardez-vous, nous dit-il, de leur livrer, si peu que ce soit, votre trésor; ils le fouleraient aux pieds avec mépris et se jetteraient sur vous pour vous déchirer. Pour reconnaître à quel point cet avertissement est nécessaire, il suffit de constater que l'une des occupations habituelles, non seulement des *croyants » mais d'un grand nombre de chercheurs, consiste à jeter des perles devant les pourceaux, et que la réaction annoncée par Jésus se produit alors invariablement : la parole est repoussée avec mépris, bafouée, passée au crible de la critique et ses porteurs traités d'hypocrites ou de benêts; on cherche à les déchirer moralement. Cependant ils ne sont point des martyrs, ils portent le châtiment mérité par leur manque de doigté.

Toutes les fois que nous ne pouvons-nous attendre à être compris, il ne nous reste qu'à nous taire. Inutile de parler de ce qui vit en nous à ceux qui n'y sont point préparés. Tant que leur réceptivité n'est pas éveillée, ils ne sauraient en tirer parti. Or ce ne sont pas les paroles qui créent cette réceptivité. Elle naît de l'inquiétude intérieure que les expériences quotidiennes provoquent dans l'intimité de l'âme. Quant à l'intelligence de la vie nouvelle, elle ne s'acquiert que par le contact avec cette vie réalisée. Aussi Jésus a-t-il dit aux chercheurs : Que votre lumière luise dans le monde, afin que les hommes voient vos œuvres, c'est-à-dire votre vie, et y découvrent le Père; mais ne parlez pas. C'est pourquoi aussi le seul moyen d'exciter chez les autres l'inquiétude intérieure consiste dans le frottement que provoque notre vie de recherche, la vibration de notre propre inquiétude se propageant parmi notre entourage.

La proclamation de l'évangile peut évidemment éveiller dans une âme la réceptivité et l'intelligence du message du Christ. Mais il faut pour cela d'une part que l'auditeur y soit prédisposé, d'autre part que la parole soit l'expression directe et vivante de la vie nouvelle, une révélation immédiate du Dieu qui l'anime. (Comparez les déclarations de l'apôtre Paul à ce sujet dans la 1ère Épître aux Corinthiens.) Ce fait et cette possibilité n'infirment donc pas l'exhortation de Jésus à la prudence et à la réserve; au contraire, connaissant la condition de toute prédication efficace, nous nous garderons d'autant plus de prononcer des paroles qui, au lieu de faire entendre la voix de Dieu, livreraient aux chiens notre sanctuaire. Pour annoncer l'évangile dans l'esprit de Jésus, il faut avoir la certitude d'y être appelé par, Dieu et de trouver accès dans les cœurs. Or Jésus ne s'adresse pas ici à des apôtres; il parle à des chercheurs et ceux-ci ont à retenir sérieusement ses paroles : Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux.

Mais comment savoir si nous avons affaire à des âmes accessibles à l'Évangile? Il est aisé de s'en assurer. Nous l'avons vu, c'est du sein de nos aspirations que naît toute vie originelle. Ne parlons donc de notre perle de grand prix qu'à ceux qui aspirent à la posséder, et, pour n'avancer qu'à coup sûr, attendons simplement qu'ils s'en enquièrent.

Il suffira d'un regard interrogateur pour desceller nos lèvres. Mais tant que nous n'y sommes pas sollicités, nous n'avons pas le droit de parler. Et notre coeur fût-il près d'éclater, gardons le silence et contentons-nous de laisser rayonner la lumière de notre vie nouvelle jusqu'à ce que notre prochain nous interroge. Alors seulement il sera disposé à nous entendre et ne traitera pas notre message comme les pourceaux le font des perles. Notre parole trouvera en lui un terrain propice et, à défaut d'intelligence, au moins du respect; il la conservera dans son coeur jusqu'à ce qu'elle y lève, le moment venu.

Ne répondons, d'ailleurs, qu'autant qu'il nous questionne et selon ce qu'il est capable d'assimiler; ses questions mêmes et la manière dont il accueillera nos réponses nous renseigneront à ce sujet. Mieux nous doserons la nourriture, mieux il l'absorbera; mieux nos éclaircissements seront gradués, plus nous lui en faciliterons l'assimilation. L'acquiescement à la vérité doit aller de pair avec l'expérience, sur laquelle il repose; sinon il devient une adhésion théorique, c'est-à-dire une illusion qui ne fait que retarder l'entendement, parce qu'elle entrave l'expérience.

Cette réserve prudente nous est donc imposée non seulement par le respect envers nous-mêmes et envers la sainteté de la vérité que nous portons en nous, mais avant tout par les égards dus à ceux auxquels nous désirons venir en aide. En effet, ce que nous livrons à leur incompréhension non seulement ne leur sert de rien, mais leur est positivement nuisible. Toute impression, tout conseil qui n'affectent et n'ébranlent pas réellement, émoussent. Quand l'Évangile ne touche pas le coeur, il l'endurcit. Pour l'émouvoir de nouveau, il faudra un choc infiniment plus puissant. Telle est la raison du fait, inexplicable autrement, que le Christ ne produit aucune impression vivante sur ceux qui entendent continuellement parler de lui; la surabondance des impressions reçues les a insensibilisés avant qu'ils fussent mûrs pour les recevoir.

Cet état de choses que nous devons nous borner à signaler, mais qui vaudrait la peine d'être étudié de plus près, résulte du caractère organique du nouveau devenir et de la vie nouvelle qui en est le fruit. Tout procédé mécanique. importun, intempestif, manque nécessairement le but, et cela non seulement dans le domaine de la parole, mais dans tous les domaines de la vie commune.

La vie en commun est une vie organique, un échange vital, une action directe des uns sur les autres, une emprise mutuelle de la vie personnelle. Elle repose donc sur certaines conditions préalables sans lesquelles elle est impossible, mais desquelles elle découle spontanément.

Elle exige un contact intérieur et des relations personnelles. C'est la nature de ce contact qui détermine le degré de la communion et le caractère de la vie collective. Sans ce contact, pas de communion réelle. Les paroles se croisent, mais ne portent pas; nous restons hésitants, embarrassés, maladroits et impuissants en face les uns des autres. Nous ne pressentons ni les dissemblances personnelles, ni les circonstances spéciales qui en sont la cause, et nous ne pouvons par conséquent vivre selon l'intuition que nous en aurions : dès lors, nous manquons de tact, nous ne trouvons pas l'attitude juste et tout va de travers.

Sans contact intérieur, il nous est impossible de nous pénétrer mutuellement; en dépit de ses efforts pour sortir de lui-même, chacun reste en réalité seul et confiné en soi. Impossible de rien échanger, à plus forte raison de porter ensemble les fardeaux, de prendre fait et cause les uns pour les autres, de s'entr'aider véritablement.

Le contact intérieur peut seul nous faire pressentir le caractère particulier de nos rapports mutuels, qui marque de son empreinte spéciale chacune des relations humaines. Il nous avertit de ce que notre prochain attend de nous, des impressions que nous provoquons chez lui; il nous apprend jusqu'à quel point nous pouvons nous occuper de lui et entrer dans son intimité. Il détermine la mesure, le temps et le rythme de la vie commune. C'est grâce à lui qu'elle se constitue organiquement.

La vie commune repose sur l'intuition que nous avons des autres, de leur nature, de leur état intérieur, de leurs circonstances. Sans intuition. il ne peut y avoir ni compréhension, ni rapprochement véritable, nous sommes séparés par un abîme. Aussi les égoïstes ne sauraient-ils vivre réellement d'une vie commune: ils n'ont aucun instinct de leur prochain. Autant attendre des aveugles un échange mutuel, avec cette différence cependant qu'il reste aux aveugles d'autres sens qui les renseignent, tandis que les égoïstes n'ont aucun sens qui les mette en rapport avec leurs semblables. C'est pourquoi leur vie en commun n'est qu'une collision perpétuelle.

De cette intuition immédiate et de ce contact intérieur naît spontanément une vie de communion, par le fait que les éléments qui constituent chacune des personnalités en présence et qui déterminent leurs rapports réciproques, se dégagent et sont mis en valeur tout naturellement. La vie qui n'en est point l'effet involontaire, n'est jamais originale, judicieuse, harmonieuse, féconde; elle n'a aucune valeur vitale parce qu'elle ne s'est point développée organiquement, mais extérieurement et mécaniquement et qu'elle n'a aucun fondement intérieur. C'est une réplique, non une réaction, l'effet d'une initiative individuelle, non le fruit d'une communion mutuelle. Qu'on envisage l'importance du développement organique de la vie en commun sous ses formes les plus simples, dans les relations entre époux, entre parents et enfants, entre maîtres et élèves, par exemple, et l'on se rendra compte qu'il peut seul établir entre les hommes une vie véritablement commune.

 
4. Le principe de la vie commune.
 
« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le aussi pour eux; car c'est la loi et les prophètes. »

Cette courte sentence résume tout ce que nous avons à faire pour les autres et à leur donner : tout ce que nous leur demandons nous-mêmes. Or ce que nous leur demandons en réalité, ce que nous cherchons auprès d'eux, c'est la vie. C'est là la raison profonde qui nous pousse vers nos semblables. Nous ne pouvons nous passer d'eux, parce qu'ils sont nécessaires à notre vie. Aussi nous sentons-nous pressés de nous rapprocher d'eux, même lorsque la timidité, la misanthropie, le mépris nous font désirer de les éviter. Celui qui parvient à se retrancher complètement de la société humaine se perd lui-même et prouve ainsi que nous ne saurions exister seuls.

Ce que, dans leur soif de vivre, les hommes réclament les uns des autres est aussi divers que ce qu'ils entendent par vivre. Ceux qui mènent une vie d'apparence cherchent auprès de leurs semblables des éléments de vie fictifs, et trouvent en suffisance les excitants et les poisons destructeurs de la vie. Quant à nous qui sommes sur le chemin de la vérité et de la vie réelle, nous cherchons en eux des germes et des forces de vie divine, nous leur demandons des valeurs éternelles, des impulsions qui stimulent notre être originel, le contact avec le nouveau devenir, et les expériences de la vie véritable. Et dans la mesure où nous entrons en contact avec eux, nous savons aussi ce que nous avons à leur donner.

Ce que nous recherchons pour nous-mêmes, un enrichissement de vie originelle, nous devons aussi le vouloir pour eux. Or si toute notre existence est en rapport étroit avec le développement de notre être véritable, si dans chacun de nos mouvements vibre le désir de réaliser le règne de Dieu, la vie qui nous anime se trahira involontairement en toute rencontre, et se communiquera à notre prochain. Elle le fera sans effort, si elle palpite véritablement en nous et nous inspire pour lui une sollicitude toute spontanée. Tel sera le cas si nous nous sentons membres les uns des autres, car chaque membre vit et souffre avec tous. Alors notre manière d'être à leur égard correspond à leur degré de réceptivité. Nous laissons simplement déborder sur eux le trop-plein de notre coeur. Ils nous trouvent à leur côté quand ils ont besoin de nous. Leur cause devient la nôtre et nous portons avec eux leurs fardeaux. Nous mettons à leur service tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes; bref, nous les aimons de l'amour qui est propre à l'être nouveau. 

Cette parole : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le aussi pour eux », n'est que l'énoncé différent du principe identique formulé dans ce commandement : «Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Aussi Jésus ajoute-t-il : «C'est la loi et les prophètes. » On ne saurait définir plus brièvement le principe de la vie commune : nous avons à nous donner mutuellement la vie. Or là où la communion est réelle, se transmet du même coup la vie véritable.

Telles sont les indications que Jésus nous donne sur l'établissement d'une véritable vie commune résultant tout naturellement de l'épanouissement de la vie originelle dans notre vie extérieure, et du lien que crée spontanément entre les hommes le nouveau devenir. Ces indications sont assez claires pour nous laisser entrevoir la terre merveilleuse qui est encore pour nous un mystère et nous montrer la voie qui peut nous en ouvrir l'entrée.


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LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et... Empty Re: LE SERMON SUR LA MONTAGNE Transposé dans notre langage et...

Message par Invité Ven 21 Juin 2013 - 23:05

LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps

CHAPITRE VI
LES CONDITIONS DU SUCCÈS
(Matthieu VII, 7.27.)
1. La marche ininterrompue.

Le Sermon sur la montagne tire à sa fin. Après nous avoir fait jeter un coup d'oeil sur l'éclosion et le développement du nouveau devenir, Jésus nous a montré comment cette évolution intérieure produit une morale toute nouvelle, fait jaillir des profondeurs de l'être intime une vie personnelle originale, nous rend capables d'une conduite ferme et autonome, conforme à notre nouvelle orientation, et pose les fondements d'une vie en commun dont nous ne pouvons encore que pressentir l'incomparable beauté. Il va nous indiquer enfin, avec une énergique insistance, ce que nous avons à faire pour parvenir à cette rénovation totale de notre être et de notre vie. Avant tout, il nous faut rester en mouvement.

«Demandez et l'on vous donnera; cherchez et vous trouverez; frappez et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande, reçoit; quiconque cherche, trouve; et à celui qui frappe, la porte s'ouvre. Lequel d'entre vous, lorsque son fils lui demande du pain, lui donnera une pierre, ou quand il réclame du poisson, lui donnera un serpent? Si donc, tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux, donnera-t-il ce qui est bon à ceux qui le prient! »

Plus les perspectives que Jésus nous ouvre s'éclairent à nos regards, plus elles nous transportent d'admiration, plus aussi il nous paraît inconcevable que d'un point de départ aussi imperceptible que notre recherche inquiète, nous puissions jamais atteindre ce but glorieux. La distance qui nous en sépare encore, les obstacles formidables qui se dressent devant nous, - car il n'y a rien qui ne puisse devenir un obstacle - dérobent toujours de nouveau à nos yeux la terre promise que nous avions entrevue. C'est pourquoi Jésus, se penchant vers ceux qui, dans leur saisissement, osent à peine croire à la gloire pressentie, leur dit : Cela se fera très simplement : «Demandez et il vous sera donné, cherchez et vous trouverez, frappez et la porte s'ouvrira. » Puis, chose étrange au premier abord, il motive cette assurance catégorique en la répétant sous une autre forme : « Car quiconque demande reçoit; celui qui cherche trouve; et la porte s'ouvre devant celui qui frappe.» Nous ne saurions voir dans cette répétition un développement oratoire qui serait tout à fait étranger à la manière de Jésus. Elle doit être l'expression d'une règle qui ne connaît pas d'exception, d'une loi sur laquelle se fondent son exhortation et sa promesse : Demandez et il vous sera donné, car il est impossible que celui qui demande ne reçoive pas. 

Mais cela ne lui suffit point encore. En comparant plus loin la conduite du père terrestre avec celle du Père céleste, il nous affirme que nous pouvons compter absolument sur l'effet de cette loi, dont le Père lui-même garantit l'accomplissement. En effet, si nous ne saurions nous-mêmes donner à nos enfants des pierres au lieu de pain, à plus forte raison notre Père, auprès duquel nous ne sommes tous que des méchants, nous donnera-t-il les choses bonnes auxquelles nous aspirons. Il est tout à fait impossible qu'il laisse ceux qui cherchent la vie véritable se repaître de ce qui ne répond pas réellement à leurs besoins : de leurs illusions, de l'espoir d'un au-delà, d'une croyance, d'une culture morale. La vie humaine réalisée dans la vérité deviendra sûrement leur partage.

Cette parole : « Quiconque demande reçoit », n'est donc pas un encouragement donné à l'aventure, une promesse sur laquelle on ne saurait compter en toute occasion «parce qu'elle n'a qu'une valeur générale », - ce qui a une valeur générale ne doit-il pas se vérifier précisément dans chaque cas particulier? - mais bien une assurance absolue, reposant sur une loi de la vie - quiconque demande, obtient et dont Dieu lui-même se porte garant. Cette loi est aussi positive que celle qui y correspond dans le monde physique : mange et tu seras rassasié, car quiconque mange apaise sa faim. Nous avons affaire, dans les deux cas, à des phénomènes conformes aux lois de la nature, à un enchaînement logique de cause à effet, et, dans l'un comme dans l'autre, c'est la puissance créatrice de toute vie qui répond du succès.

Le fait qu'il s'agit ici des phénomènes de l'évolution et de la vie personnelles, ne change rien à la chose. La vie spirituelle de l'homme est régie par certaines lois aussi bien que sa vie corporelle. Il faut nous en rendre compte, car les spéculations abstraites nous ont voilé jusqu'ici ces lois, en sorte que nous nous figurons volontiers que dans le domaine de la vie morale et de nos relations avec Dieu ne règnent ni l'ordre, ni la rigueur que nous trouvons dans la nature. Cette conception dualiste est erronée. Nous ne faisons droit à la déclaration de Jésus qu'en la comprenant et en l'admettant comme nous le ferions de cette affirmation : jette la pierre et elle tombera, car ce qu'on jette tombe.

Il faut la comprendre ainsi pour en mesurer toute la portée. Vous n'avez plus, déclare Jésus aux chercheurs, à vous mettre en peine des résultats; la nouvelle naissance, l'évolution véritable de l'être humain sont des processus naturels qui se produiront nécessairement si vous demandez, cherchez et frappez. Tout s'accomplira de soi-même, comme dans la nature. Vos aspirations, votre recherche, vos tentatives, vous mettent en contact avec la puissance de vie universelle, et son énergie créatrice réalise alors en vous tout ce pour quoi elles ont créé les conditions nécessaires. Elle n'évoquera point comme par magie des résultats impossibles, mais fera tout épanouir au fur et à mesure du possible. Tout mûrira graduellement et n'apparaîtra qu'en son temps. Mais le but sera certainement atteint. les milliers d'années encore indispensables peut-être à l'humanité pour parvenir à son développement intégral, n'infirment pas plus ce principe : « quiconque demande reçoit », que la durée incommensurable de l'évolution de la nature ne nous fait douter de ses lois, à l'oeuvre, malgré tout, dans tous les temps. Si, dans la pratique, le fait que demander c'est recevoir, chercher c'est trouver, essayer c'est réussir, ne se confirme pas de manière à nous apparaître aussi logique et inéluctable que n'importe quel enchaînement de cause à effet, cela tient à notre manière de demander, de chercher, de frapper, c'est-à-dire à la disproportion entre notre aspiration et l'effet espéré. Nous attendons toujours des effets démesurés. 
Or nul effet ne saurait excéder sa cause; aussi l'exaucement est-il toujours exactement proportionné à notre désir. Nous recevons dans la mesure où nous demandons. Si notre prière n'est que l'élan chétif et intermittent d'une aspiration à demi étouffée, nous ne sentirons que de loin en loin vibrer en nous les élans d'une vie nouvelle. De même, si notre recherche n'est que le coup d'éperon d'un impératif catégorique, et non un mouvement impulsif, nous parviendrons peut-être, à force de volonté, à régler notre vie selon Dieu, mais elle ne sera pas renouvelée. Enfin c'est à nos tentatives que se mesureront nos succès. Mais certainement notre aspiration, quelle qu'elle soit, ne peut manquer d'enfanter ce qu'elle a conçu et porté par la prière - l'objet auquel tend notre vie doit devenir notre partage, nos efforts doivent aboutir. Il est tout à fait impossible qu'un homme qui s'est mis en marche, qui aspire, qui cherche et qui ose, une fois le chemin trouvé, n'avance pas sur la voie qui mène au but. Mais la distance parcourue dépendra naturellement de la' vigueur et de la rapidité de son allure. Cela est inévitable, car en demandant nous libérons l'énergie divine, en cherchant nous lui frayons la voie, et nos tentatives lui donnent l'occasion de se manifester.

Si tel est le sens de la promesse de Jésus, il est évident qu'elle ne peut, pas plus que le reste du Sermon sur la montagne, s'adresser à tous, mais seulement à ceux qui prient en esprit et en vérité, qui cherchent avant tout le royaume de Dieu, et qui font l'essai d'une vie conforme à l'état de choses nouveau. Elle ne se rapporte donc qu'au devenir et à la vie véritables, auxquels tout le reste est assuré par surcroît.

Cette conclusion ne nous est point suggérée par l'examen du contexte et de la place que cet enseignement sur la prière occupe dans le Sermon sur la montagne, on pourrait, dans ce cas, nous objecter qu'il n'en faisait point partie à l'origine. Elle ressort du fond même de la question. L'invitation à demander, à chercher, à essayer, et la promesse de l'exaucement, ne sauraient s'adresser à tous, parce qu'elles ne sont pas applicables à chacun. On ne saurait dire au premier venu : Demande ce que tu désires, et tu l'obtiendras. Ce serait un mensonge. On parvient, il est vrai, à force de subtilités, à démontrer que toutes les prières qui ne se sont pas accomplies ont été néanmoins exaucées, et à éliminer ainsi, en réalité, l'action déterminante de Dieu. Il faut, pour cela, se réfugier dans l'incontrôlable. Mais ces pieuses arguties sont tout à fait insoutenables en ce qui concerne les deux autres promesses équivalentes à la première, parce que pour ces dernières le contrôle est aisé. Comment dire à tous : «Cherchez et vous trouverez, frappez et la porte s'ouvrira », quand l'expérience prouve surabondamment que la plupart cherchent sans trouver et qu'un grand nombre essaient sans réussir? Pourquoi donc en serait-il autrement de la première assurance : « Demandez, et il vous sera donné » ?

À mon avis, se figurer que Jésus ait jamais prescrit à tous indistinctement de demander, et promis sans réserve l'exaucement, c'est commettre une erreur colossale qui rentre dans la conception païenne de la prière. Tout au contraire, la requête et l'exaucement dont parle Jésus sont dans un rapport organique étroit avec les phénomènes de la vie et de l'évolution nouvelles. Au reste, l'abus que l'on a fait de sa promesse en l'isolant de ce qui en est la condition, c'est-à-dire de la relation vivante de l'homme avec Dieu et avec la venue de son règne, trouve son châtiment dans la superstition, la fausseté, le doute et le désespoir auxquels il a donné lieu. Mais si cette promesse repose sur l'inflexible loi qui veut que toute cause produise un effet correspondant, nous comprenons l'insistance avec laquelle Jésus exhorte ceux qui sont en marche vers le royaume de Dieu, à demander, à chercher et à frapper. Car la victoire est certaine, pourvu qu'ils persévèrent dans le mouvement de la vie.

Si la prière est un contact conscient de l'homme avec Dieu, notre relation personnelle avec la puissance de vie universelle s'interrompt naturellement dès que nous ne demandons plus. Nous cessons de participer à J'évolution véritable, nous nous excluons du vivant organisme de la création nouvelle. Alors les éléments qui ne pouvaient subsister qu'à condition de se développer sans cesse, dépérissent fatalement. Mais si notre aspiration reste vivante, nous demeurons accessibles à l'action divine qui communique incessamment à notre être originel son énergie vitale. De là l'exhortation de l'apôtre Paul : « Priez sans cesse.»

« Ne cessez point de chercher »; cette parole de Jésus a été retrouvée récemment dans un vieux manuscrit. Qu'ils se le répètent, ceux qui se figurent qu'avoir trouvé dispense de chercher. En réalité chaque trouvaille ne fait que stimuler les véritables chercheurs et l'élan qui les entraîne s'accroît à mesure qu'ils découvrent l'étroit sentier qu'ils ont à suivre. Les paraboles du sel et de la lumière nous ont déjà montré la nécessité d'une recherche incessante et nous avons reconnu dans la poursuite du royaume de Dieu la force motrice indispensable à la vie nouvelle. Que rien n'arrête donc notre marche 1 Pour atteindre le but il faut avancer sans relâche.

Il n'en est pas autrement de la troisième promesse. Les chercheurs sont semblables à des gens qui se tiennent devant une porte fermée. «Frappez, leur dit Jésus, la porte s'ouvrira. » Essayez, le succès couronnera la tentative. Non pas, remarquez-le, les méditations, mais l'essai pratique. Jésus reste toujours sur le terrain de la vie. Il nous place dans l'atmosphère limpide de la vérité que ne trouble aucune théorie. Il ne nous dit que ce qu'il a vécu, ce qu'ont établi les faits. Il ne démontre rien, mais il renvoie chacun à ses propres expériences. Il est vain, en effet, de discuter des déclarations comme celle-ci : «Cherchez premièrement le royaume de Dieu et tout le reste vous sera donné par surcroît. » Il faut en avoir éprouvé l'exactitude pour en être convaincu. L'expérience correctement tentée confirmera le principe posé, aussi positivement que n'importe quelle démonstration de physique faite dans des conditions satisfaisantes.

C'est ce caractère purement réaliste de Jésus qui fait de lui le guide dont notre temps a besoin. Les faits seuls comptent pour nous, et l'expérience personnelle nous apporte seule la conviction. Aussi son invitation à frapper, son assurance positive que la porte s'ouvrira, acquièrent-elles pour les chercheurs de nos jours une importance vitale. À la différence de tous les sages et de tous les prophètes de ce monde, Jésus nous indique une voie toute pratique. Seul l'essai décidera si elle est praticable. Entrons-y; nous verrons si sa promesse se vérifie.

Lorsque nous avançons dans la direction indiquée par Jésus, l'être nouveau prend vie en nous, la lumière se lève dans notre âme. Mais les circonstances et les phénomènes ambiants contrarient le courant de vie qui nous anime, en sorte que notre mouvement est refoulé et tenté de se confiner dans notre vie intérieure. La victoire nous semble impossible. Elle ne l'est pas cependant : frappons et les portes s'ouvriront. Le génie propre de notre être originel saura trouver parmi l'économie ancienne l'accès de l'évolution nouvelle. Sachons porter les grands coups qui assurent le succès. À l'aspiration et à la recherche joignons l'action qui en est la réalisation pratique.

La promesse de Jésus nous garantit donc le succès. À une condition toutefois, c'est que, demandant, cherchant et frappant, nous soyons sur le vrai chemin, sur celui qui mène à la vie. 

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