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La doctrine du catholique Kennedy? À oublier !

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Message par Gilles Mer 3 Mar 2010 - 12:45

La doctrine du catholique Kennedy? À oublier


La doctrine du catholique Kennedy? À oublier ! 020310_kennedyRome, le 02 mars 2010 - (E.S.M.) - En 1960 il s'était fait le théoricien de la plus stricte séparation entre l'Église et l'État, afin de se faire accepter comme président. Un demi-siècle plus tard, l'archevêque Chaput l'accuse d'avoir provoqué de gros dégâts. Un essai du professeur Diotallevi sur les limites et les échecs de la laïcité.

John F. Kennedy
La doctrine du catholique Kennedy? À oublier
Le 02 mars 2010 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde - Cinquante ans tout juste après le mémorable discours, entré dans les anthologies, que John F. Kennedy prononça devant les pasteurs protestants de Houston afin de les convaincre, et avec eux tout le pays, qu’en tant que catholique il pouvait être un bon président (photo), l'archevêque de Denver, Charles J. Chaput, est revenu sur les lieux du délit, à Houston, où il a fait une conférence aux protestants baptistes sur le rôle des chrétiens dans la vie publique.

Le "délit", c’est celui qu’a commis Kennedy justement en prononçant ce discours, a déclaré Chaput au cours de sa conférence, faite hier soir à la Houston Baptist University et reproduite intégralement ci-dessous.

"Aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, nous en payons encore les dégâts", a déclaré Chaput, qui est, parmi les évêques des États-Unis, l’un des plus actifs en ce qui concerne la question des relations entre l’Église et le pouvoir. Il a écrit à ce sujet un livre, "Render Unto Caesar", dont la thèse centrale est qu’il faut rendre à César ce qui lui est dû, mais qu’un chrétien sert son pays en vivant sa foi dans la vie politique de manière tout à fait cohérente et visible, sans la cacher ni la diluer.

Chaput est d’avis que la stricte séparation entre l’Église et l’État prônée par Kennedy n’a rien à voir avec l'origine et avec l’histoire des États-Unis. C’est un concept qui a été introduit seulement au milieu du XXe siècle par un courant laïciste auquel le catholique Kennedy a adhéré, ouvrant ainsi la voie à la privatisation de la croyance religieuse au sein des consciences et, en définitive, à l’élimination de son contenu, y compris chez les catholiques.

Aujourd’hui, le paradoxe de ces catholiques envoûtés par la laïcité, aux Etats-Unis et ailleurs, est qu’ils adoptent et prônent ce modèle de manière non critique, en l’appliquant aussi à l’Eglise, alors même que, partout, il apparaît comme étant de plus en plus en difficulté.

Dans la culture courante, le mot "laïcité" renvoie à la "laïcité" spécifique de la France, très agressive vis-à-vis de la religion et bien décidée à chasser celle-ci de l’espace public ou en tout cas à la soumettre à son autorité.

Mais, en France même, ce concept est en cours de révision et, ailleurs, il est décliné avec des variantes sensibles, toutes plutôt instables.

Ce n’est pas tout. En Europe même, comme en Amérique du Nord, la "laïcité" a toujours été confrontée à un modèle très différent de relations entre l’Église et l’État, celui de la "religious freedom", la liberté religieuse à l’anglo-saxonne, qui a connu son plus grand épanouissement aux États-Unis.

L’un et l’autre de ces deux modèles sont nés au sein du christianisme mais ils ont généré des formes différentes de rôle de l’Église dans la société.

Les États-Unis sont le pays où la confrontation entre "laïcité" et "religious freedom" est aujourd’hui la plus vive et la plus décisive. Et l’Église catholique en fait partie.

En Italie, le chercheur qui attire l’attention sur cette confrontation avec le plus de perspicacité est Luca Diotallevi, professeur de sociologie à l'Université Rome III, vice-président du comité scientifique des Semaines Sociales des catholiques italiens et expert très consulté par les dirigeants de la conférence des évêques d’Italie.

Diotallevi a intitulé son plus récent essai, édité chez Rubbettino et disponible en librairie depuis un mois, "Una alternativa alla laicità".

Il a publié, comme préalable à cet essai, un texte très éclairant, avec des références à l'Europe et à l'Amérique, dans "Vita e Pensiero", la revue de l'Université Catholique de Milan Se possiamo non dirci laici

Mais voici la conférence faite, le soir du 1er mars 2010, à la Baptist University de Houston par l’archevêque de Denver, traduite par nos soins.

LA VOCATION DES CHRÉTIENS DANS LA VIE PUBLIQUE AMÉRICAINE

par Charles J. Chaput

L’une des ironies de ma conférence de ce soir est que moi, évêque catholique, je prends la parole dans une université baptiste, au cœur de l'Amérique protestante. Mais j’y ai été accueilli avec plus de chaleur et d’amitié que je n’en trouverais dans bien des lieux catholiques. Le fait mérite d’être discuté. J’y reviendrai à la fin de ma conférence. [...]

Avant d’aborder le fond de notre discussion, je voudrais attirer votre attention sur trois points.

Le premier, c’est que ce que je vais dire ce soir m’est strictement personnel. Je ne vais pas parler au nom du Saint-Siège, au nom des évêques américains ou au nom de la communauté catholique de Houston. Dans la tradition catholique, l’évêque local est le principal prêcheur et enseignant de la foi et le pasteur de l’Église locale. Ici, à Houston, vous avez un évêque remarquable – un homme d’une grande foi chrétienne et d’une grande intelligence – en la personne du cardinal Daniel DiNardo. En tout ce qui est catholique, ce soir, je suis heureux de lui laisser la primauté.

Le deuxième, c’est que je suis ici en tant que chrétien catholique et en tant que citoyen américain, dans cet ordre. Ces deux identités sont importantes. Il ne s’agit pas de les opposer l’une à l’autre, mais elles ne sont pas identiques et elles n’ont pas le même poids. J’aime mon pays. Je révère le génie qui s’exprime dans ses documents fondateurs et dans ses institutions publiques. Mais aucun pays, même celui que j’aime, n’a droit à ma soumission ou à mon silence dans les domaines qui appartiennent à Dieu ou qui sapent la dignité des êtres humains que Dieu a créés.

Le troisième, c’est que les catholiques et les protestants se souviennent différemment de l’histoire des États-Unis. L’historien Paul Johnson a écrit que l'Amérique "est née protestante" (1). C’est sûrement vrai. Quoi que soit l'Amérique d’aujourd’hui, quoi qu’elle puisse devenir demain, son origine a été profondément modelée par un esprit chrétien protestant et, tout compte fait, ce qu’a produit cet esprit a été un grand bienfait pour l'humanité. Mais il est également vrai que, même si les catholiques ont toujours prospéré aux États-Unis, ils ont été en butte pendant deux siècles à des discriminations, à du fanatisme religieux et à des violences intermittentes. Bien entendu, les protestants voient les choses de manière tout à fait différente. Ils se rappellent la persécution de dissidents par les catholiques en Europe, les liens entre l’Église romaine et les pouvoirs temporels, la méfiance des papes vis-à-vis de la démocratie et de la liberté religieuse.

Nous ne pouvons pas effacer ces souvenirs. Nous ne pouvons pas non plus dissimuler – il ne faut d’ailleurs pas le faire – les sujets qui nous divisent encore, en tant que croyants, quant à la doctrine, à l’autorité ou à la conception de l’Église. Un œcuménisme fondé sur la politesse et non sur la vérité est vide. C’est aussi une forme de mensonge. Si nous avons en commun l'amour pour Jésus-Christ et un lien familial dans le baptême et dans la Parole de Dieu, alors nous sommes, à un niveau fondamental, frères et sœurs. Les membres d’une famille se doivent les uns aux autres plus que des politesses superficielles. Nous nous devons les uns aux autres cette sorte de respect fraternel qui "dit la vérité dans l'amour" (Ephésiens 4, 15). Nous nous devons aussi les uns aux autres, d’urgence, la solidarité et le soutien pour affronter une culture qui se moque de plus en plus de la foi religieuse en général et de la foi chrétienne en particulier. Cela m’amène au cœur de ce que je voudrais vous dire.


*
Notre sujet de ce soir est la vocation des chrétiens dans la vie publique américaine. C’est un sujet plutôt vaste, assez vaste pour que je lui aie consacré un livre. Ce soir, je veux me concentrer spécialement sur le rôle des chrétiens dans notre vie civique et politique. Le mot-clé de notre discussion va être "vocation". Il vient du mot latin "vocare", qui signifie "appeler". Nous, chrétiens, croyons que Dieu appelle chacun de nous individuellement et nous tous en tant que communauté croyante, à le connaître, à l’aimer et à le servir dans nos vies quotidiennes.

Mais il n’y a pas que cela. Dieu nous demande également de faire des disciples de toutes les nations. Cela veut dire que nous avons le devoir de prêcher Jésus-Christ. Nous sommes chargés de partager son Évangile de vérité, de miséricorde, de justice et d’amour. Ce sont des mots de mission, des mots qui appellent à l’action. Ils ne sont pas facultatifs. Et ils ont des conséquences pratiques sur notre manière de penser, de parler, de faire des choix et de vivre nos vies, pas seulement à la maison mais aussi sur la place publique. La véritable foi chrétienne est toujours personnelle, mais elle n’est jamais privée. Et nous devons réfléchir à ce simple fait à la lumière d’un anniversaire particulier.

Il y aura 50 ans cet automne, en septembre 1960, le sénateur John F. Kennedy, candidat démocrate à la présidence, fit un discours à la Greater Houston Ministerial Association. Il avait un seul but : il devait convaincre 300 pasteurs protestants plutôt méfiants et le pays dans son ensemble, qu’un catholique comme lui pouvait servir loyalement notre pays en tant que chef de l’exécutif. S’il n’a pas convaincu les pasteurs, Kennedy a convaincu le pays et il a réussi à être élu. Et son discours a laissé une empreinte durable dans la politique américaine. Ce discours a été sincère, convaincant, argumenté... et erroné. Pas erroné à propos du patriotisme des catholiques, mais erroné à propos de l’histoire des Etats-Unis et très erroné à propos du rôle de la foi religieuse dans la vie de notre pays. Et Kennedy n’a pas été simplement "erroné". Son discours de Houston a sapé en profondeur le rôle non seulement des catholiques, mais de tous ceux qui ont une foi religieuse, dans la vie publique et dans la discussion politique aux États-Unis. Aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, nous en payons encore les dégâts.

Voilà des affirmations fortes. Je vais donc essayer de les expliquer de trois façons. D’abord, je voudrais analyser les problèmes à partir de ce que Kennedy a vraiment dit. Ensuite, je voudrais réfléchir à ce que peut être une juste approche chrétienne de la politique et du service public. Enfin je voudrais examiner où nous a conduits le discours de Kennedy. Autrement dit : les réalités auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui et ce que les chrétiens doivent faire en ce qui concerne ces réalités.


*
John Kennedy était un grand orateur. Ted Sorensen, qui l’a aidé à élaborer le discours de Houston, était un écrivain talentueux. C’est pourquoi, si on lit rapidement le discours de Kennedy à Houston, il est facile d’y voir un appel passionné à la tolérance. Mais le texte a au moins deux gros défauts (2). Le premier est politique et historique. Le second est religieux.

Au début de son exposé, Kennedy a déclaré : "Je crois en une Amérique où la séparation entre l’Église et l’État est absolue". Etant donnée la méfiance historiquement témoignée aux catholiques dans notre pays, ces mots étaient habilement choisis. Le problème est que la constitution ne dit pas cela, que les Pères Fondateurs ne le croyaient pas et que l’histoire des Etats-Unis l’infirme. À la différence des chefs révolutionnaires européens, les Pères Fondateurs des Etats-Unis avaient une opinion favorable de la religion. Beaucoup d’entre étaient eux-mêmes croyants. En fait, l’une des principales raisons qui ont conduit à la rédaction de la Clause d’Établissement du premier amendement, qui interdit toute aide fédérale à une Église, est que plusieurs des rédacteurs de la constitution voulaient protéger les Églises protestantes aidées par des fonds publics qui étaient déjà installées dans leurs états. A vrai dire John Adams préférait un "établissement modéré et équitable de la religion", ce qu’il contribua à faire inclure dans la constitution du Massachusetts en 1780 (3).

Les Pères Fondateurs des États-Unis encourageaient le soutien mutuel entre la religion et le gouvernement. Leurs motivations étaient d’ordre pratique. À leurs yeux, une république comme les États-Unis avait besoin d’un peuple vertueux pour survivre. La foi religieuse, correctement vécue, forme des gens vertueux. Donc le concept moderne, drastique, de "séparation de l’Église et de l’État" avait peu de poids dans la conscience américaine, jusqu’au jour où le juge Hugo Black l’a déniché dans une lettre privée écrite en 1802 par le président Thomas Jefferson à la Danbury Baptist Association (4). Le juge Black a ensuite utilisé la phrase de Jefferson dans l’arrêt de la Cour Suprême Everson v. Board of Education, en 1947.

La date de cet arrêt de la Cour Suprême est importante, parce qu’un an plus tard – en 1948 – les évêques catholiques américains ont écrit une magnifique lettre pastorale intitulée "Le chrétien en action". Elle mérite d’être lue. Dans cette lettre, les évêques faisaient deux choses. Ils soutenaient avec force la démocratie américaine et la liberté religieuse. Et ils contestaient vigoureusement la logique du juge Black dans l’arrêt Everson.

Les évêques écrivaient que "ce serait une véritable distorsion de l’histoire et du droit américains" que de forcer les institutions publiques du pays à une "indifférence vers la religion et au refus de la coopération entre la religion et le gouvernement". Ils rejetaient la nouvelle et brutale conception de la séparation de l’Église et de l’État créée par le juge Black come "pierre de touche du laïcisme doctrinaire" (5). Et ils fondaient leur argumentation sur les faits de l’histoire des États-Unis.

Il est intéressant de rappeler, ce soir, cette prise de position pastorale parce que Kennedy a évoqué la lettre des évêques de 1948 dans son discours de Houston. Il voulait démontrer que les catholiques soutenaient profondément la démocratie américaine. En cela il avait raison. Mais il a omis de dire que ces mêmes évêques, dans cette même lettre, rejetaient la nouvelle et radicale doctrine de la séparation qu’il prêchait.

Le discours de Houston a aussi créé un problème religieux. Il faut reconnaître à Kennedy le mérite d’avoir dit que, si jamais ses devoirs de président "me demandaient de violer ma conscience ou l'intérêt national, je démissionnerais". Il affirmait aussi : "Je renierai pas mes convictions ou mon Église pour gagner ces élections". Mais, par ses effets, c’est exactement ce qu’a fait le discours de Houston. Il a lancé le projet de dresser un mur entre la religion et la pratique du gouvernement, de façon nouvelle et agressive. Il a aussi séparé les croyances privées d’un individu de ses devoirs publics. Et il a mis "l'intérêt national" au-dessus et contre "les pressions ou préceptes religieux extérieurs".

Pour son auditoire de pasteurs protestants, l’accent mis par Kennedy sur la conscience personnelle peut avoir semblé familier et rassurant. Mais ce que Kennedy a vraiment fait, d’après le chercheur jésuite Mark Massa, c’est quelque chose d’extérieur et de nouveau. Il "a sécularisé la présidence américaine pour la conquérir". Autrement dit, "précisément parce que Kennedy ne faisait pas partie de ce courant dominant de religiosité protestante qui avait créé et soutenu les 'structures de plausibilité' de la culture politique [américaine] au moins depuis Lincoln, il a dû 'privatiser' les croyances religieuses présidentielles – y compris et surtout les siennes – pour conquérir ce poste" (6).

D’après Massa, le type de laïcité mis en avant par le discours de Houston "représentait une privatisation presque totale des croyances religieuses : une privatisation si poussée que des observateurs religieux aussi bien du côté catholique que du côté protestant ont commenté ses remarquables implications athées pour la vie et le discours publics". Et l'ironie – toujours du point de vue de Massa – est que certains de ceux qui s’inquiétaient publiquement de la foi catholique de Kennedy, ont obtenu un résultat très différent de ce qu’ils attendaient. En effet, "le fait même de poser la question [du catholicisme] a représenté une grande avancée vers une ‘laïcisation’ de la place publique américaine, par la privatisation des croyances personnelles. L’effort même consenti pour 'sauvegarder' l'aura religieuse [essentiellement protestante] de la présidence... a contribué de manière significative à sa laïcisation".

Cinquante ans après le discours de Houston, il y a plus de catholiques qui occupent des fonctions publiques nationales qu’il n’y en a jamais eu auparavant. Mais je me demande s’il y en a déjà eu aussi peu qui soient capables d’expliquer de manière cohérente comment leur foi influe sur leur travail, ou qui se sentent au moins obligés d’essayer. La vie de notre pays n’est pas plus "catholique" ou "chrétienne" qu’il y a cent ans. En fait, on peut soutenir qu’elle l’est moins. Et il y a au moins un motif à cela : trop de catholiques prennent leurs opinions personnelles pour une véritable conscience chrétienne. Trop d’entre eux vivent leur foi comme si c’était une particularité privée qu’ils empêcheront toujours de devenir une gêne pour autrui. Et trop d’entre eux ne sont pas vraiment croyants. Peut-être en va-t-il autrement dans les milieux protestants. Mais j’espère que vous me pardonnerez si je dis : "J’en doute".


*
John Kennedy n’a pas créé les tendances de la vie américaine que je viens de décrire. Mais, au moins pour les catholiques, son discours de Houston les a indiscutablement alimentées. Cela m’amène au deuxième point de ma conférence : à quoi pourrait ressembler une approche chrétienne convenable de la politique ? John Courtney Murray, le chercheur jésuite qui a parlé si vigoureusement de la dignité de la démocratie américaine et de la liberté religieuse, a écrit un jour : "Le Saint-Esprit ne descend pas sur la Cité de l’Homme sous la forme d’une colombe. Il ne vient que dans l’esprit de justice et d’amour à l'énergie infinie qui est présent dans l’homme de la Cité, le laïc" (7).

Voici ce que cela signifie. Le christianisme n’est pas principalement – ni même significativement – une affaire de politique. Il s’agit de vivre et de partager l'amour de Dieu. Et l'engagement politique chrétien, quand il existe, n’est jamais principalement le travail du clergé. C’est le travail des croyants laïcs qui vivent plus pleinement dans le monde. La foi chrétienne n’est pas un assortiment de règles morales ou de doctrines. Ce n’est pas un groupe de théories sur la justice sociale et économique. Toutes ces choses ont leur place. Elles peuvent toutes être importantes. Mais la vie chrétienne commence par une relation avec Jésus-Christ et elle donne des fruits dans la justice, dans la miséricorde et dans l’amour que nous témoignons aux autres à cause de cette relation.

Jésus a dit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. A ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes" (Matthieu 22, 37-40). C’est la pierre de touche de notre foi. Et s’il n’y a pas une passion pour Jésus-Christ dans nos cœurs pour remodeler nos vies, le christianisme n’est qu’un jeu de mots et une légende. Une relation a des conséquences. Un homme marié se décidera à certaines actions et attitudes, quel qu’en soit le coût, par amour pour sa femme. Il en est de même de notre relation avec Dieu. Nous devons vivre et prouver notre amour par nos actions, pas seulement dans nos vies personnelles et familiales, mais aussi dans la sphère publique. C’est pourquoi les chrétiens en tant qu’individus, l’Église en tant que communauté croyante, abordent l’ordre politique comme une obligation découlant de la Parole de Dieu. Le droit humain enseigne et forme tout en fixant des règles ; et la politique humaine est l'exercice du pouvoir : ce qui veut dire que l’un et l’autre ont des implications morales que le chrétien ne peut feindre d’ignorer, s’il veut rester fidèle à sa vocation de lumière du monde (Matthieu 5, 14-16).

Robert Dodaro, prêtre augustin et chercheur, a écrit, il y a quelques années, un livre merveilleux intitulé : "Christ and the just society in the thought of Augustine". Dans ce livre et dans d’autres textes, Dodaro fait apparaître quatre points clés de la vision qu’a Augustin du christianisme et de la politique (Cool.

Premièrement, Augustin ne propose jamais vraiment une théorie politique. Il y a une raison à cela. Il ne croit pas que les êtres humains puissent connaître ou créer une justice parfaite en ce monde. Notre jugement est toujours affecté par notre état de pécheurs. Le bon point de départ de toute politique chrétienne est donc l'humilité, la modestie et un réalisme très mesuré.

Deuxièmement, aucun ordre politique, si bon qu’il puisse paraître, ne peut jamais constituer une société juste. Des erreurs dans le jugement moral ne peuvent être évitées. Ces erreurs augmentent aussi de manière exponentielle en complexité lorsqu’elles passent des niveaux bas de la société et du gouvernement à ceux qui sont plus élevés. Le chrétien doit donc être loyal à son pays et obéir à ses dirigeants légitimes, mais il doit également cultiver une vigilance critique vis-à-vis de l’un et des autres.

Troisièmement, en dépit de ces préoccupations, les chrétiens continuent à avoir le devoir de prendre part à la vie publique en fonction des capacités qu’ils ont reçues de Dieu, même lorsque leur foi les met en conflit avec les pouvoirs publics. Nous ne pouvons pas simplement feindre d’ignorer les affaires publiques ou nous en retirer. La raison en est simple. Les classiques vertus civiques énumérées par Cicéron – la prudence, la justice, la force d’âme, la modération – peuvent être renouvelées et développées, à l’avantage de tous les citoyens, par les vertus chrétiennes de foi, d’espérance et de charité. C’est pourquoi l'engagement politique est une tâche digne d’un chrétien, et une fonction publique est une vocation honorable pour un chrétien.

Quatrièmement, en gouvernant aussi bien qu’ils le peuvent, tout en conformant leurs vies et leur jugement au contenu de l’Évangile, les chrétiens qui occupent une fonction de dirigeant dans la vie publique peuvent vraiment faire du bien et ils peuvent représenter une différence. Leur succès sera toujours limité et toujours mêlé. Il ne sera jamais idéal. Mais, avec l’aide de Dieu, ils peuvent améliorer la qualité morale de la société, ce qui donne à leur effort une valeur inestimable.

L’opinion d’Augustin à propos des dirigeants chrétiens, nous pouvons raisonnablement l’étendre à la vocation de tous les citoyens chrétiens. Les dons du citoyen chrétien sont en définitive très simples : un zèle pour Jésus-Christ et pour son Église ; une conscience formée dans l’humilité, enracinée dans les Écritures et dans la communauté croyante ; la prudence pour déterminer quels sont, parmi les problèmes qui se posent dans la vie publique, ceux qui sont essentiels et fondamentaux pour la dignité humaine et ceux qui ne le sont pas ; et le courage de travailler à ce qui est juste. Nous ne cultivons pas ces dons tout seuls. Nous les développons ensemble en tant que chrétiens, dans la prière, à genoux, en présence de Jésus-Christ... et aussi lors de discussions comme ce soir.


*
Maintenant, avant de conclure, je voudrais dire quelques mots à propos du troisième point que j’ai indiqué au début de cette conférence : les situations concrètes auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui et ce que les chrétiens doivent faire pour les traiter. Quand je préparais ce que j’allais dire ce soir, j’ai fait la liste de toutes les questions urgentes qui demandent notre attention en tant que croyants : l’avortement ; l’immigration ; nos obligations envers les pauvres, les personnes âgées et les handicapés ; les problèmes de la guerre et de la paix ; la confusion qui règne dans notre pays à propos de l'identité sexuelle et de la nature humaine, ainsi que les attaques contre le mariage et contre la famille qui découlent de cette confusion ; la séparation croissante entre notre science et notre technologie et la véritable réflexion morale ; l'érosion de la liberté de conscience dans nos débats sur le système de santé national ; le contenu et la qualité du système scolaire qui forme nos enfants.

La liste est longue. Je crois que l'avortement est le problème fondamental de droits de l’homme pour l’époque que nous vivons. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour aider les femmes pendant leur grossesse et pour faire cesser le meurtre légal d’enfants avant leur naissance. Nous pourrions, au besoin, rappeler que les Romains éprouvaient pour Carthage une haine profonde, non parce que Carthage était leur rivale commerciale ou parce que son peuple avait une langue et des coutumes différentes. Les Romains haïssaient Carthage surtout parce que ses habitants sacrifiaient leurs enfants à Baal. Pour les Romains, qui étaient eux-mêmes un peuple dur, c’était là une forme unique de cruauté et de barbarie. En tant que pays, nous aurions tout intérêt à nous demander qui ou ce que nous avons vraiment adoré depuis 1973, avec nos 40 millions d’avortements "légaux".

Toutes ces questions que j’ai citées tout à l’heure divisent notre pays et nos Églises d’une manière qu’Augustin aurait trouvée tout à fait compréhensible. La Cité de Dieu et la Cité de l'Homme se superposent en ce monde. Seul Dieu sait à quelle Cité chacun appartient. Mais entre-temps, quand nous cherchons à vivre l’Évangile auquel nous disons croire, il nous arrive de trouver des amis et des frères dans des endroits imprévus, des endroits improbables ; et quand cela se produit, même un endroit étranger peut nous donner l’impression que nous sommes à la maison.

La vocation des chrétiens dans la vie publique américaine n’a pas une étiquette spécifique, baptiste, catholique, grecque orthodoxe, ou autre. Les paroles rapportées par Jean 14, 6 – "Je suis la voie, la vérité et la vie ; nul ne va au Père que par moi" – qui sont la clé de l'identité de la Houston Baptist University, brûlent comme du feu dans ce cœur et dans le cœur de tout catholique qui comprend vraiment sa foi. Notre travail est d’aimer Dieu, de prêcher Jésus-Christ, de servir et de défendre le peuple de Dieu et de sanctifier le monde en tant que ses envoyés. Pour faire ce travail, nous avons besoin d’être unis. Non pas "unis" en mots pieux ou en bonnes intentions, mais vraiment unis, parfaitement unis, par l’esprit, par le cœur et par l'action, comme le Christ l’a voulu. C’est ce que Jésus voulait dire quand il a déclaré: "Je ne prie pas pour ceux-ci seulement, mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croiront en moi. Que tous soient un ; comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé" (Jean 17, 20-21).

Nous vivons dans un pays qui, à un moment donné, a été – en dépit de ses péchés et de ses faiblesses – profondément modelé par la foi chrétienne. Il peut l’être de nouveau. Mais nous ferons cela ensemble ou nous ne le ferons pas du tout. Nous devons nous rappeler ce que saint Hilaire disait, il y a si longtemps : "Unum sunt, qui invicem sunt", [Sont un ceux qui sont tout l’un pour l’autre] (9). Que Dieu veuille nous accorder la grâce de nous aimer l’un l’autre, de nous soutenir l'un l'autre et de vivre pleinement l'un pour l'autre en Jésus-Christ, de manière à ce que nous puissions travailler ensemble au renouvellement de ce pays qui a si bien servi la liberté humaine.

Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.

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