Le concept porteur de l'extrême-centre
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Le concept porteur de l'extrême-centre
Un concept pour rendre compte potentiellement de notre époque.
Mais d'abord un détour par l'histoire. Et ce n'est pas une punition ! Les propos de l'invité sont trop intéressants pour être assimilés à une épreuve imposée.
Mais d'abord un détour par l'histoire. Et ce n'est pas une punition ! Les propos de l'invité sont trop intéressants pour être assimilés à une épreuve imposée.
Cinci- Avec Saint Joseph
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Re: Le concept porteur de l'extrême-centre
(dans la première minute)
... Bonaparte a les trois éléments qui constituent la matrice la plus pure de l'extrême-centre. Il veut une rhétorique modérée en politique. Il est une girouette à tous les moments de sa vie. Et il est un homme qui utilise le pouvoir exécutif de façon la plus autoritaire et arbitraire qui soit. C'est la perte de repère et la confusion. On a cet élément de «perte de repère» par accaparement au centre d'une matrice qui voudrait dicter le réel. Et si l'on en sort [de cette matrice] on est anormal.
(et la présentation)
... vous êtes professeur d'histoire de la Révolution française à l'université Paris-1 Panthéon Sorbonne ... et alors actuellement on parle beaucoup de la menace des «extrêmes» comme l'extrême-gauche ou l'extrême-droite. Mais, vous, vous êtes à l'origine d'un concept fondamental pour comprendre le moment politique dans lequel nous sommes : celui de l'extrême-centre. Et, au cours de cet entretiens, on va essayer de comprendre d'où il vient et comment il ravage le pays.
... Bonaparte a les trois éléments qui constituent la matrice la plus pure de l'extrême-centre. Il veut une rhétorique modérée en politique. Il est une girouette à tous les moments de sa vie. Et il est un homme qui utilise le pouvoir exécutif de façon la plus autoritaire et arbitraire qui soit. C'est la perte de repère et la confusion. On a cet élément de «perte de repère» par accaparement au centre d'une matrice qui voudrait dicter le réel. Et si l'on en sort [de cette matrice] on est anormal.
(et la présentation)
... vous êtes professeur d'histoire de la Révolution française à l'université Paris-1 Panthéon Sorbonne ... et alors actuellement on parle beaucoup de la menace des «extrêmes» comme l'extrême-gauche ou l'extrême-droite. Mais, vous, vous êtes à l'origine d'un concept fondamental pour comprendre le moment politique dans lequel nous sommes : celui de l'extrême-centre. Et, au cours de cet entretiens, on va essayer de comprendre d'où il vient et comment il ravage le pays.
Cinci- Avec Saint Joseph
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Re: Le concept porteur de l'extrême-centre
Vers 1 heure 20 ...
(encore que l'extrême-centre depuis la Révolution ...)
... c'est une dé-politisation, l'apolitisation, le mépris de la politique, eh bien c'est à dire le mépris du combat des idées. L'extrême-centre, de par sa volonté de rendre efficace la république, l'application légale de la loi dans sa vitesse, pour justement rejeter toute forme de débat, va dans le sens de tout ce qui technologiquement pourrait enlever de la controverse politique, retirer de la complexité et donc de la capacité à créer du débat.
... l'apolitisation c'est «passons à autre chose». La vie est «autre chose» que la vie politique. Or si elle n'est pas un débat d'idées, ni débat de principe ni débat d'éthique : qu'est-ce qu'elle est ? Elle est une accumulation d'argent et un retour sur un individualisme, voire un retournement sur la sphère privée, qui est une fois de plus une des recettes du libéralisme, et qui prend de plus en plus un visage inquiétant avec les pouvoirs technologiques qu'ont les pouvoirs ... et nous renvoie finalement à un vide; à vider de l'intérieur la politique. Et lorsqu'on vide de l'intérieur un régime républicain et démocratique, on le laisse dépourvu de raison - on en reviendrait à la folie du macronisme.
- Au moment ou l'on tourne cette vidéo, le pays est bloqué politiquement. Est-ce que vous n'avez pas cette impression qu'il y a une tentative de faire porter la responsabilité de ce blocage non pas sur Macron, mais sur la droite et la gauche qui refuseraient de former une alliance qui serait docile et centriste, comme le voudrait le pouvoir ?
Oui, mais l'historien du politique que je suis croit rêver, sur une perversion langagière qui, là, encore, peut avoir des conséquences tout à fait néfastes et dévastatrices sur le moteur de la république démocratique. Comment traiter d'idéologues la gauche et la droite quand soi-même on rêve (ici Emmanuel Macron], car c'est une pure fiction politique [de son côté], - on est plus sur la raison mais la déraison -, qui dit à des députés choisis comme représentants de la nation qui ont été lus sur des programmes clairs [...] «Eh bien maintenant vous allez vous arranger et vous mettre d'accord» alors qu'on sait qu'ils n'ont pas les mêmes idées, ils n'ont pas les mêmes principes, ils n'ont pas la même éthique, donc on est là sur une pure fiction littéraire qui détruit les bases mêmes de la politique, de la représentation nationale et de la cohérence du choix qui une fois de plus s'est exprimé. Quand vous dites «le pays est bloqué», il y a là une forme passive que je modère immédiatement : le président de la république a bloqué le pays, et c'est une forme active. C'est lui qui a bloqué le pays. Ce ne sont pas les partis qui ont demandé la dissolution. Il a bloqué le pays. Et, maintenant, il impose une utopie qui est une véritable dystopie, qui est de dire au parti de droite mettez-vous d'accord avec les partis de gauche. Cela n'existe pas dans une république démocratique [...]
(encore que l'extrême-centre depuis la Révolution ...)
... c'est une dé-politisation, l'apolitisation, le mépris de la politique, eh bien c'est à dire le mépris du combat des idées. L'extrême-centre, de par sa volonté de rendre efficace la république, l'application légale de la loi dans sa vitesse, pour justement rejeter toute forme de débat, va dans le sens de tout ce qui technologiquement pourrait enlever de la controverse politique, retirer de la complexité et donc de la capacité à créer du débat.
... l'apolitisation c'est «passons à autre chose». La vie est «autre chose» que la vie politique. Or si elle n'est pas un débat d'idées, ni débat de principe ni débat d'éthique : qu'est-ce qu'elle est ? Elle est une accumulation d'argent et un retour sur un individualisme, voire un retournement sur la sphère privée, qui est une fois de plus une des recettes du libéralisme, et qui prend de plus en plus un visage inquiétant avec les pouvoirs technologiques qu'ont les pouvoirs ... et nous renvoie finalement à un vide; à vider de l'intérieur la politique. Et lorsqu'on vide de l'intérieur un régime républicain et démocratique, on le laisse dépourvu de raison - on en reviendrait à la folie du macronisme.
- Au moment ou l'on tourne cette vidéo, le pays est bloqué politiquement. Est-ce que vous n'avez pas cette impression qu'il y a une tentative de faire porter la responsabilité de ce blocage non pas sur Macron, mais sur la droite et la gauche qui refuseraient de former une alliance qui serait docile et centriste, comme le voudrait le pouvoir ?
Oui, mais l'historien du politique que je suis croit rêver, sur une perversion langagière qui, là, encore, peut avoir des conséquences tout à fait néfastes et dévastatrices sur le moteur de la république démocratique. Comment traiter d'idéologues la gauche et la droite quand soi-même on rêve (ici Emmanuel Macron], car c'est une pure fiction politique [de son côté], - on est plus sur la raison mais la déraison -, qui dit à des députés choisis comme représentants de la nation qui ont été lus sur des programmes clairs [...] «Eh bien maintenant vous allez vous arranger et vous mettre d'accord» alors qu'on sait qu'ils n'ont pas les mêmes idées, ils n'ont pas les mêmes principes, ils n'ont pas la même éthique, donc on est là sur une pure fiction littéraire qui détruit les bases mêmes de la politique, de la représentation nationale et de la cohérence du choix qui une fois de plus s'est exprimé. Quand vous dites «le pays est bloqué», il y a là une forme passive que je modère immédiatement : le président de la république a bloqué le pays, et c'est une forme active. C'est lui qui a bloqué le pays. Ce ne sont pas les partis qui ont demandé la dissolution. Il a bloqué le pays. Et, maintenant, il impose une utopie qui est une véritable dystopie, qui est de dire au parti de droite mettez-vous d'accord avec les partis de gauche. Cela n'existe pas dans une république démocratique [...]
Cinci- Avec Saint Joseph
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Re: Le concept porteur de l'extrême-centre
[...]
C'est non seulement un fantasme que de vouloir infantiliser les Français, vouloir les culpabiliser collectivement car c'est ça aussi : «Vous n'avez pas bien voté alors je dois réparer votre erreur» Non. Les Français ont voté comme ils le désiraient. Et c'est à lui, selon la formule républicaine, de se soumettre ou de se démettre.
- On voit bien la ficelle qu'il y a derrière. L'idée serait de nous faire croire que l'opposition gauche-droite serait un problème en soi et que cela devrait disparaître, et puis l'avenir c'est le centre.
C'est non seulement un fantasme que de vouloir infantiliser les Français, vouloir les culpabiliser collectivement car c'est ça aussi : «Vous n'avez pas bien voté alors je dois réparer votre erreur» Non. Les Français ont voté comme ils le désiraient. Et c'est à lui, selon la formule républicaine, de se soumettre ou de se démettre.
- On voit bien la ficelle qu'il y a derrière. L'idée serait de nous faire croire que l'opposition gauche-droite serait un problème en soi et que cela devrait disparaître, et puis l'avenir c'est le centre.
Cinci- Avec Saint Joseph
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Re: Le concept porteur de l'extrême-centre
Et quel intérêt aussi de se pencher un peu sur la menace que représenterait l'extrême-centre ? une menace pour la démocratie ?
Il appert que selon cet autre historien qu'est Johann Chapoutot, ce serait cet «extrême-centre» en Allemagne qui aurait pavé la voie au nazisme (régime autoritaire d'extrême-droite). Quand on lit ce qu'il écrit, c'est ce qu'il raconte pratiquement.
Et le corps du texte ...
Il appert que selon cet autre historien qu'est Johann Chapoutot, ce serait cet «extrême-centre» en Allemagne qui aurait pavé la voie au nazisme (régime autoritaire d'extrême-droite). Quand on lit ce qu'il écrit, c'est ce qu'il raconte pratiquement.
Anatomie d'une décomposition politique
Hitler, les dessous d'une prise de pouvoir
Contrairement à une idée reçue, Adolphe Hitler n'est pas arrivé au pouvoir par les urnes. Dans un contexte de crises parlementaires à répétition et de paniques morales orchestrées par une presse aux ordres d'un magna d'extrême-droite, ce fut le résultat d'intrigues menées par des industriels et des banquiers. Tous entendaient casser l'élan électoral de la gauche, et abattre l'État social.
par Johann Chapoutot
Et le corps du texte ...
L'arrivée au pouvoir des nazis le 30 janvier 1933 est le traumatisme princeps de toute conscience démocratique. L'Allemagne était, en Occident, considérée comme un grand pays de culture, de science, de recherche et de technique, bardé de gloires musicales, littéraires et philosophiques, ainsi que de prix Nobel. Elle s'enorgueillissait également de la gauche la plus ancienne, la plus structurée et la plus puissante du monde, avec des syndicats socio-démocrates et communistes, ainsi que des partis qui avaient su imposer, par leur action ou par leur existence même, une démocratie sociale avancée en 1918-1919. [...] Certes, le président social-démocrate Freidrich Ebert, décédé en cours de mandat, avait été remplacé en 1925 par un fossile vivant de l'ancien régime, le Generalfeldmarschall Paul von Hindenburg, mais celui-ci avait juré fidélité à la Constitution, et s'y était tenu.
Le traité de Versailles, la mise au ban et le niveau des réparations qu'il entraînait : malgré ces auspices internationaux défavorables, la république de Weimar, libérale et parlementaire allemande, avait su créer une culture démocratique viable - régularité des scrutins au niveau du Reich et des Länder, dialogue entre les partis. C'est de fait une coalition droite-gauche qui, avec le chancelier Gustav Stresmann (Parti populaire, droite), avait affronté à l'automne 1923, l'occupation de la Rhur, l'hyperinflation et la disparition de la monnaie allemande, ainsi que plusieurs insurrections (indépendantistes rhénans, tentative de révolution bolchévique dans l'est, putsch nazi en Bavière); c'est à nouveau une grande coalition qui, sous la direction du chancelier Herman Müller (SPD), gouvernait l'Allemagne depuis le 28 juin 1928.
La crise économique, partie des États-Unis, frappe l'Allemagne à l'automne 1929 : sa violence fait exploser un gouvernement dont la droite prônait l'austérité budgétaire, la gauche, le renforcement de l'assurance chômage. Aucune majorité ne paraissait se dégager au Parlement, un petit groupe de conseillers du président du Reich - militaires, grands propriétaires agrariens, industriels et financiers - opte pour une mutation de la pratique constitutionnelle, une sorte de coup d'État permanent enté sur l'autorité, le prestige et la simple figure de Hindenburg. La droite gouverne par des cabinets présidentiels. Elle ignore le plus souvent le Reichstag. L'article 48-2 de la Constitution de 1919 permet en effet au chef de l'État de prendre des mesures législatives par décret. Mais la méthode vide la démocratie de son contenu.
Elle dévoie une une disposition prévue pour des situations de périls politiques, afin d'imposer une austérité budgétaire violemment antisociale, de la baisse des prestations sociales à celles des salaires minimaux de branches - Ebert en avait fait un usage fréquent contre les sécéssionnistes, contre les bolchéviques et les nazis, entre 1919 et 1923. Le chancelier Brüning mène cette politique de déflation pendant deux ans, de mars 1930 à mai 1932. Elle aggrave sans surprise la crise et suscite, dès l'autome 1931, de fortes réserves du patronat et de la banque, qui commencent à prôner une approche économique moins orthodoxe, une relance par l'offre - baisses d'impôts et subventions à l'industrie, mais pas à la population.
Aux yeux de l'entourage du président Hindenburg, Brûning a le tort de maintenir son cap austéritaire et, surtout, d'envisager une politique sociale adossée à une réforme agraire, avec un partage des terres non cultivées appartenant dans l'est de l'Allemagne aux grands latifundiaires. Or Hindenburg est l'un d'eux : le milieu des Junkers - des nobles de Prusse orientale et des propriétaires terriens [...] s'ajoutent à cela des divergences tactiques à l'égard du Parti national-socialiste (NSDAP) : après avoir tenté de discuter avec les nazis, Brüning décide de les priver de leurs milices, en interdisant les sections d'assaut (SA) et les SS par un décret, en avril 1932. Ce n'est pas la ligne du général Kurt von Schleicher, un haut militaire influent dans l'entourage d'Hindenburg, qui estime que la force de frappe militante et milicienne des nazis est indispensable pour lutter, dans la rue, contre les communistes. Il voit aussi dans les rangs des cogneurs bruns des ressources humaines de grande qualité pour peupler les rangs d'une armée allemande que l'armée rêve de reconstituer.
Des manoeuvres d'arrière-cuisine (contacts secrets, discussions dans le dos du chancelier Brüning, campagne pour affaiblir le général Wilhelm Groener, ministre de la Défense et de l'intérieur qui avait insisté pour interdire lers milices nazies, établissement d'une liste de ministres prêt à l'emploi) aboutissent au renvoi du cabinet Brüning et à la nomination d'un nouveau chancelier, Franz von Papen, ainsi que d'un nouveau gouvernement au début de juin 1932.
Cinci- Avec Saint Joseph
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Re: Le concept porteur de l'extrême-centre
Papen est un quasi-inconnu en politique : il est membre du «Zentrum» (le Centre), a été député au Landtag de Prusse (le parlement du Land le plus important du Reich), mais a toujours été discret. Aristocrate, ancien militaire, homme d'affaire, c'est aussi une personne de réseaux qui fait partie du HerrenKlub, un cercle d'influence de droite très sélectif, qui rassemble patrons, hauts fonctionnaires et militaires. Il apparaît à Schleicher comme un homme de paille idéal («Je ne veux pas une tête mais un chapeau», disait le général à son propos) pour travailler au rapprochement avec les nazis. Papen s'exécute et autorise une nouvelle fois les SA et les SS, qui font un carnage à l'été 1932, ou plus d'une centaine de militants, sympatisants de gauche, voire simples passants meurent sous leurs balles ou leurs coups, à telle enseigne que le chancelier est contraint de prendre un décret d'exception contre la violence politique le 9 août 1932 (peine de mort, sans appel, pour de tels faits).
En matière économique et sociale, il a ses propres idées : il faut poursuivre la destruction de l'État social et mener désormais une politique de l'offre, par des crédits d'impôt et des subventions massives aux entreprises, ce qui est acté par l'ordonnance du 5 septembre 1932. Papen, avec son entourage - composé notamment de l'un des théoriciens de la «révolution conservatrice», Edgar Jung, et du professeur Carl Schmitt - , estime également qu'il faut en finir avec la démocratie parlementaire.
A la suite de la dissoluton du Reichstag en juin 1932, les élections du 31 juillet ont abouti à un recul supplémentaire de la droite et à une croissance spectaculaire du nombre de députés nazis, d'une centaine à 230. Le 12 septembre, le gouvernement de Papen est renversé par une motion de censure votée par une majorité écrasante, et le Parlement, à nouveau dissous.
Le scrutin suivant, le 6 novembre, conduit à un nouveau tassement de la droite libérale, mais aussi, à un recul très significatif du NSDAP, qui perd trente-six députés, au profit du Parti populaire allemand. Cette autre formation d'extrême-droite est dirigée par une figure davantage louis-philipparde, moins charismatique et extatique qu'Adolf Hitler : Alfred Hugenberg. Plus agé, tout dans son physique et son allure signale le grand bourgeois philistin, alors que ses idées sont depuis toujours extrêmes - c'est un raciste, antisémite, ultranationaliste et pangermaniste virulent. Ancien président du directoire de Krupp, il a été avant 1914 un partisan de l'expansion territoriale de l'Allemagne à l'Est et de la colonisation de la Pologne. Après la Grande Guerre, il est devenu un magna des médias, en rachetant des dizaines de journaux , hebdomadaires et mensuels, mais aussi des entreprises de cinéma, livrant des actualités cinématographiques toutes prêtes aux salles pour les premières parties des séances. Hugenberg est parvenu, en standardisant les contenus, pour des raisons de coûts et de cohérence idéologique, à droitiser et hystériser la population allemande, à grands coups de paniques morales inventées : le bolchévisme culturel fourrier de l'homosexualisme, de l'art contemporain, du féminisme et des égarements de la jeunesse ou le judéo-bolchévisme assoiffé de pillage fiscal, de fin de la propriété et de destruction du christianisme ... il a ultradroitisé l'Allemagne et légitimé le parti nazi : prônant l'union des droites, il a, en 1929, associé le NSDAP à la campagne de plébiscite du plan Young de rééchelonnement des réparations, montré que les nazis étaient assez fréquentables pour figurer, en tribune, aux côtés de dignes et sévères représentants de la banque, de l'industrie, de l'armée et de la droite traditionnelle.
En novembre 1932, la droite hésite concernant la meilleure stratégie pour préserver l'ordre social existant, refaire de l'Allemagne une puissance militaire et affronter ce qui constitue à ses yeux le pire des dangers : la progression de l'électorat communiste qui, contrairement à celui des nazis, en recul cet automne-là, se renforce de scrutin en scrutin.
Tenir les nazis en laisse
Le général Schleicher, nommé chancelier le 3 décembre 1932, suggère de fracturer le parti nazi en proposant une politique sociale et nationaliste qui permettrait d'intégrer Gregor Strasser - le numéro 2 du NSDAP, las de ne pas être ministre et inquiet de voir le parti reculer dans les urnes - ainsi que des syndicalistes. Mais Schleicher reprend l'idée évoquée par Brüning de faire une réforme agraire contre le chômage, ce qui exaspère Hindenburg et son entourage. Papen décide alors d'intriguer contre Schleicher, avec le soutien des agrariens, ainsi que des industriels et des banquiers qui, dès le 19 novembre 1932 ont appelé publiquement le président Hindenburg à nommer Hitler chancelier. Une rencontre secrète est organisée chez le banquier Kurt von Schröder, le 4 janvier 1933, qui fixe le principe d'un gouvernement de coalition des droites : Hitler doit être chancelier, Papen, vice-chancelier. Il mènera une politique nationale (contre les éléments antinationaux) et favorable aux intérêts privés : cela fait un an et demi que Hitler multiplie les rencontres avec les associations patronales pour les assurer que le parti nazi n'est en rien un parti social, encore moins un parti socialiste, qu'il prône un réarmement massif, gage de croissance, et envisage la conquête par la force de nouveaux marchés à l'Est.
C'est la solution qui est retenue : le 30 janvier à midi, le nouveau chancelier prête serment devant Hindenburg, rassuré par les promesses de Papen, qui jure de tenir Hitler en laisse et qui lui a rappelé que des coalitions NSDAP-droite gouvernent déjà depuis 1930 dans certains Länders. Le 31 janvier, l'ordonnance de dissolution est signée : Hindenburg espère une majorité de «concentration nationale» et approuve l'idée que ces élections, fixées au 5 mars, soient les dernières. La démocratie de l'article 48-2 doit enfin laisser la voie libre à un régime autoritaire que la droite (libéraux autoritaires et nationalistes conservateurs) et les nazis appellent de leurs voeux unanimes.
Johann Chapoutot, «Anatomie d'une décomposition. Hitler, les dessous d'une prise de pouvoir» dans Le Monde diplomatique, août 2024, p. 13
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