Aristhène, ou le faible vengé
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Aristhène, ou le faible vengé
Un philosophe, nommé Aristhène, passant tranquillement, dans la grande rue de Thèbes en Béotie, se sentit frappé d’un coup de pierre. Il se retourna aussitôt, et alla droit à celui qui lui avait lancé la pierre : mais voyant que c’était un jeune artisan vigoureux et résolu, il tira de sa poche une petite pièce d’argent, et la lui donna, en disant :
« Excusez, mon ami, si je ne vous donne que cela pour le service que vous venez de me rendre ; si j’étais plus riche, je vous récompenserais mieux ; mais, ajouta-t-il, voilà un monsieur qui marche devant nous : si vous lui rendiez le même service, il n’y a pas de doute qu’il ne vous payât comme il faut, et pour lui et pour moi. »
Ce monsieur, au reste, c’était le roi lui-même, c’était le fameux Epaminondas, le plus grand guerrier, le plus habile capitaine de toute la Grèce. Il se rendait de son pied au palais, accompagné seulement de deux officiers généraux, et précédé de six hallebardiers. Notre jeune Béotien, attiré par l’appât du gain, se laissa persuader. Il ramasse une pierre, court vers Je monsieur, et, quand il fut à portée, il lui lança la pierre dans le dos, et resta là, attendant sa récompense. Il la reçut. Deux hallebardiers se détachèrent, et, après quelques coups de hallebarde qu’ils lui déchargèrent sur les épaules, ils le conduisirent aux prisons royales. Notre philosophe ne manqua pas de se trouver sur le passage. Quand le jeune homme le vit :
« Ah ! perfide, lui cria-t-il, vous m’avez trompé ; voyez la belle récompense qu’on me donne.
– Tu l’as telle que tu l’as méritée, répliqua le philosophe. C’est toi, insolent, qui t’es trompé, en croyant que tu pouvais insulter impunément les passants, et jeter la pierre à d’honnêtes gens qui ne te disaient rien, et qui ne t’avaient jamais fait aucun mal. Ne te l’avais-je pas dit que ce monsieur te payerait pour lui et pour moi ? »
Le jeune homme, avouant sa faute, voulait prier le philosophe d’intercéder pour lui auprès du roi ; mais on ne lui en donna pas le temps : on le traîna aux prisons, où il subit le dernier supplice. Il y a ici trois choses à observer :
1) La ruse du philosophe. Le Chrétien faible et opprimé n’a pas besoin de l’employer : la chose est réglée. Tout le mal qu’on lui fait est fait à son Roi. Tout ce qu’il lui reste à faire, c’est de prendre patience, de se réjouir de la récompense qui lui est promise, et de prier pour celui qui la maltraite, afin que, par un sincère repentir une juste réparation, il détourne de dessus sa tête les sévères châtiments que le Roi de l’éternité lui prépare.
2) La bêtise du Béotien. Vous vous regardez sans doute comme bien plus sage que lui, et vous vous flattez que vous n’auriez jamais donné dans le panneau où il donna : je le crois. Je crois bien que vous ne voudriez pas faire à un grand, à un homme en place et capable de se venger, ce que vous faites tous les jours aux petits et à ceux dont vous ne craignez rien, mais vous êtes plus fou que ce stupide Béotien, puisque vous savez bien que tout le mal, toute l’injustice, toute la peine, tout le chagrin que vous faites au moindre de ces petits, vous le faites au Roi du Ciel, puisqu’il a déclaré qu’il se le tenait comme fait à lui-même.
3) La rigueur du supplice. Si la punition vous paraît exorbitante, songez qu’une offense légère, si elle est faite à un roi, devient énorme, et mérite le plus sévère châtiment. Craignez donc d’offenser le moindre de vos frères, puisque ce serait offenser le Roi même du Ciel, qui a, pour vous punir, des cachots de feu, et d’un feu éternel. Au contraire, empressez-vous de donner à vos frères tous les secours dont vous serez capable, de leur faire tous les plaisirs que vous pourrez ; parce que tout le bien que vous leur ferez, le Roi du Ciel a déclaré qu’il se le tiendrait comme fait à lui-même : et c’est sur ce pied-là qu’il le récompensera d’une félicité et d’une gloire éternelle.
Oh ! Que cette vérité doit nous inspirer de douceur, de patience, d’égard, de condescendance et de charité envers notre prochain !
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