Les dévots de Marie
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Les dévots de Marie
Ce ne sont point des miracles que je vais vous raconter : peux-être n’oseriez-vous en espérer en votre faveur. Je vous rapporterai seulement des effets sensibles de la protection de la sainte Vierge, tels que, sans témérité, chacun peut en attendre ; et, pour animer encore plus votre espérance, je ne vous citerai que trois sortes de personnes, dont la dévotion n’est pas ordinairement au-dessus de toute imitation ; savoir : un matelot, un soldat, un écolier, auxquels j’ajouterai, mais non pas comme exemple, un libertin de profession et une vieille huguenote.
Le Matelot
Un convoi de dix à douze barques napolitaines portait à Venise, par la mer Adriatique, plusieurs sortes de denrées. On arriva un soir dans une petite anse, où l’on résolut de passer la nuit. On était vis-à-vis de Notre-Dame de Lorette, et le lendemain c’était une fête de la Vierge. L’équipage fut touché de la circonstance, du peu et du temps, et souhaita d’aller le lendemain matin entendre la Messe à Notre-Dame de Lorette dont on n’était éloigné que de deux à trois lieues. Le patron qui conduisait le convoi s’opposa à ce pieux dessein, disant que les vaisseaux turcs rôdaient dans le golfe, et qu’ils ne manqueraient pas de venir enlever leurs barques, tandis qu’eux s’amuseraient à satisfaire leur dévotion. Alors un matelot, nommé Antonio, prit la parole et dit :« Mon capitaine, il n’y a point de danger que, tandis que nous serons occupés au service de la sainte Vierge, il puisse nous arriver rien de fâcheux. Mais, ajouta-t-il, faites mieux : allez-vous-en tous demain matin à Lorette, et me laissez seul à la garde des barques : je me fais fort de les défendre contre les Turcs, s’ils osent les attaquer. Sachez, ajouta-t-il d’un ton animé, que sous la protection de la sainte Vierge, je ne craindrais pas toutes les foires réunies de l’empire ottoman. Cette saillie fit rire tout le monde, et le capitaine consentit à la proposition d’Antonio. Le lendemain, avant qu’il fût jour, tout l’équipage partit pour Lorette ; il ne resta qu’Antonio pour garder les barques. Tandis qu’il se promenait, fumant sa pipe, il aperçut au point du jour quelques voiles, qui étaient fort éloignées. Le jour croissant, et les voiles s’approchant, il reconnut que c’étaient des voiles turques. Quelque temps après, il les vit distinctement ; et compta vingt bateaux de force, et il ne douta pas, à la manœuvre, que cette petite flotte ne vint à lui pour l’envelopper et l’enlever.
Antonio, se dit-il à lui-même, c’est ici qu’il faut montrer de la tête et du courage ; mais, après tout, que puis-je faire seul contre tant de monde ? Sainte Vierge, c’est à vous à m’inspirer et à me soutenir. Ne permettez pas que ma confiance en vous se trouve vaine, et que ce jour, qui vous est consacré, imprimé une tache à votre saint Nom. En achevant ces mots, il prend son parti, et, comme un autre Coclès (héros romain), il va se placer à la tête du pont, c’est-à-dire, dans la dernière barque, la plus exposée du côté des Turcs. Là il se couche et se tapit auprès du bordage, tenant une hache à la main, et il disait en lui-même : « Je suis toujours bien sûr que le premier Turc qui entrera dans cette barque, je lui fais sauter la tête ; il en sera après ce qu’il pourra. En disant ces mots, il sent que la barque est ébranlée. C’était un Turc, qui s’étant approché, avait mis la main sur le bord, et attirait la barque à lui. Antonio se lève sur ses genoux, et d’un grand coup de hache, coupe le poignet à ce Turc, dont la main tomba dans la barque. Antonio se tapit de nouveau, et attend qu’il en vienne un second. Mais le Turc mutilé poussa un cri effroyable, et jeta l’épouvante dans toute la flotte. C’est, disait-il un piège qu’on nous tend ici : ces barques sont pleines de gens armés qui se cachent pour nous surprendre. Fuyons, fuyons avant qu’ils viennent nous attaquer. Antonio, qui savait un peu de turc, entendant ces paroles, ne put s’empêcher de rire. Il leva la tête, et vit que les Turcs étaient déjà bien loin. Il remercia sa puissante Libératrice, et attendait avec impatience le retour de ses compagnons. Ceux-ci approchaient, mais ils étaient de leur côté dans la plus grande désolation. En revenant de Lorette, ils découvrirent d’une hauteur la flotte turque qui se retirait, et ils ne doutèrent point qu’elle n’emmenât Antonio avec toutes les barques. Le capitaine se désespérait, et les matelots consternés se rendaient avec lui au rivage, uniquement pour voir le lieu où ils avaient laissé leurs barques, qu’ils n’espéraient plus revoir. Mais quelle fut leur surprise, lorsqu’en arrivant ils virent toutes leurs barques, et Antonio qui chantait et dansait, portant sa hache haute, à laquelle pendait une main ensanglantée. Ils ne savaient ce que cela voulait dire ; mais Antonio leur expliqua tout, et tous ensemble se mirent à chanter les Litanies de la sainte Vierge, pour la remercier d’une si éclatante victoire.
Mettons, comme ce généreux matelot, notre confiance en la sainte Vierge, afin qu’elle mette en fuite les ennemis de notre salut ; mais aussi, comme lui, combattons vaillamment, et dès le commencement de l’attaque, mettant on œuvre la prudence et la force, portons-leur des coups qui les étonnent, leur fassent lâcher prise, et leur ôtent pour toujours l’envie de nous attaquer.
Le Soldat
Un Soldat, nommé Beau-Séjour, récitait tous les jours sept Pater, et sept Ave Maria, à l’honneur des sept allégresses et des sept douleurs de la sainte Vierge. Qui est-ce qui lui avait appris cette pratique ? Et comment vivait-il avec cette pratique ? C’est ce que je ne sais point ; tout ce que je sais, c’est qu’il y était si attaché, qu’il n’y avait jamais manqué ; et, s’il arrivait qu’après s’être couché, i l se ressouvînt de n’avoir pas rempli ce devoir, il se levait sur-le-champ, quelque temps qu’il fit, et récitait cette prière à genoux.
Un jour de bataille, Beau-Séjour se trouva à la première ligne en présence de l’ennemi, attendant le signal de l’attaque. S’étant souvenu alors qu’il n’avait point dit sa prière accoutumée, il se mit à la dire, commençant à faire le signe de la croix. Ses camarades, qui étaient à ses côtés, s’étant aperçus de ce signe de croix, et voyant que Beau-Séjour récitait des prières, se mirent à le railler, à se moquer de lui, à lui rire au nez, et à l’appeler timide, lâche, poltron. Ces railleries et ces insultes passaient de bouche en bouche ; Beau-Séjour a peur ; Beau-Séjour est devenu dévot. Il entendait autour de lui et derrière lui, répéter son nom avec de prétendus bons mots et des éclats de rire. Mais Beau-Séjour, sans s’inquiéter de tous ces discours, continuait sa prière. À peine fut-elle finie, que les ennemis firent leur première décharge, et Beau-Séjour, sans avoir reçu aucun coup, resta seul de tout son rang. Il vit étendus morts à ses pieds tous ceux qui, le moment d’auparavant, se moquaient de lui et raillaient sa dévotion : il ne put s’empêcher de frémir à cette vue, et de reconnaître la main qui l’avait sauvé. Tout le reste de la bataille, qui fut très-sanglante, et tout le reste de la campagne, qui fut longue et meurtrière, il ne reçut aucune égratignure. À la fin de la campagne, ayant reçu son congé, il s’en revint
chez lui sain et sauf, publiant partout les louanges de celle à qui il se croyait redevable de la santé et de la vie.
Que le respect humain ne nous empêche jamais de nous acquitter de nos pratiques de dévotion envers la Mère de Dieu ; et quand nous voyons les autres empressés à lui rendre leurs devoirs, gardons-nous de nous en moquer et de leur insulter ; car elle est également puissante pour récompenser et pour punir.
L’écolier
Une petite rivière se trouva un jour extrêmement débordée à l’endroit du passage, c’est-à-dire, dans l’endroit où on avait coutume de la passer en bateau. Quelques écoliers étant allés se promener de ce côté-là, et voyant les eaux si grandes, eurent la curiosité d’approcher, et allèrent se divertir et folâtrer au bord de l’eau. L’un d’entre eux apercevant là un petit canot où il n’y avait personne, entra dedans, le détacha, et avec un grand bâton armé de fer, qu’il y trouva, il commença à gouverner le canot et à le conduire, comme il l’avait vu pratiquer aux bateliers. Notre nouveau Typhis (pilote des Argonautes) était enchanté de sa manœuvre, et insultait à la lâcheté de ses compagnons qui restaient sur le rivage : mais bientôt il eut lieu de se repentir de sa témérité. Il conduisit assez bien son canot, tandis qu’il ne vogua que sur les eaux débordées, où avec son bâton il trouvait aisément la terre : mais en peu de temps il arriva au courant de la rivière, où le bâton lui devint inutile, n’étant pas assez long pour pouvoir toucher le fond. Quand le jeune homme sentit que la terre lui manquait, la peur le saisit, et il se recommanda à la sainte Vierge, et il se mit à réciter le Salve Regina. Ses compagnons avaient pour lui encore plus de peur que lui-même, parce qu’ils voyaient mieux que lui ce qui se passait. Ils voyaient que le courant de l’eau l’emportait, et la rivière était si rapide, qu’un moment après ils le perdirent de vue. Alors ils poussèrent tous ensemble un grand cri, qui fit sortir un des bateliers de sa maison. Le batelier ayant appris ce que c’était, fut effrayé du danger que courait ce jeune homme ; car il savait que l’embouchure de la rivière n’était pas éloignée, et qu’une fois arrivés à l’océan, lui et le canot seraient aussitôt engloutis et fracassés. Pour empêcher donc, si cela se pouvait, la perte du jeune homme, et aussi la perte de son canot, il prend le parti de couper par les prés, et de courir pour tâcher d’arriver au canot, qui, en suivant les sinuosités de la rivière avait un plus long cours à faire. Le jeune homme, qui ignorait ce qu’on faisait pour lui, faisait de son côté ce qu’il pouvait faire. Il ne comprit bien le danger où il était que lorsqu’au lieu des vastes eaux où il s’était embarqué, il se vit entre deux rives fort hautes et fort voisines, et qu’il s’aperçut que les arbres qui les bordaient fuyaient derrière lui avec une vitesse incroyable. « Eh ! Où suis-je, s’écria-t-il, et où vais-je ! » En disant ces mots, il redoublait ses prières et son travail, sans trop savoir ce qu’il disait ni ce qu’il faisait ; il répétait sans cesse le Salve Regina, et avec son bâton ferré, il prenait des bordées et se poussait continuellement d’une rive à l’autre, ce qui retardait un peu le cours de son canot. Mais tout ce qu’il faisait, et tout ce qu’on faisait pour lui, eut été inutile, sans un événement qui parut tout perdre, et qui sauva tout. Comme il avait beaucoup plu, le batelier, en traversant les prés, trouva tant d’eau, tant de trous, tant de fossés, qu’il fut plusieurs fois sur le point de s’en retourner et d’abandonner à leur malheureux sort et le canot et l’écolier ; mais ce qui l’y détermina tout à fait, ce fut un orage qui survint avec une pluie abondante et un coup de vent si furieux, qu’il jeta le batelier dans un fossé plein d’eau et de boue. Le même coup de vent fit tomber l’écolier dans le canot qui, par cette chute, pensa perdre l’équilibre et se renverser. Le pauvre écolier, se sentant couché dans l’eau ne savait s’il était dans le canot ou dans la rivière. Las, fatigué, brisé, incapable de se donner aucun mouvement, il s’abandonna à la merci des flots, récitant toujours son Salve Regina, non plus pour se conserver la vie, mais pour se préparer à la mort. Le même coup de vent abattit aussi un vieux saule et le fit tomber dans la rivière. Le batelier, qui au sortir de son fossé, vit cet arbre abattu, jugea que de sou tronc et de ses branches il pourrait bien barrer la rivière et arrêter le canot. Comme l’orage était dissipé, il courut encore jusqu’à cet endroit, là où effectivement il trouva le canot arrêté, et notre écolier, comme un autre Moïse, couché dedans. La tendresse des sentiments ne fait pas le caractère des bateliers. À la vue du canot et de l’enfant, la pitié fit place à la colère ; et le batelier se mit à gronder fortement l’écolier, et à lui demander de quel droit il avait été prendre son canot, au risque de le lui faire perdre. Le jeune écolier, plus mort que vif, qui ne savait ni qui était cet homme, ni d’où il venait, et qui le regardait comme un Ange descendu du Ciel pour venir à son secours, n’avait garde de répondre. Cependant le batelier entra dans le canot, souleva le jeune homme, et le fit asseoir sur le devant du canot : pour lui, se tenant sur le derrière, il saisit le bâton ferré d’une main, qui n’était pas celle d’un écolier, et conduisant le canot le long du rivage, il le remit en peu de temps dans l’endroit où l’écolier l’avait pris. Quand il vit son canot en sûreté, il prit des sentiments plus humains pour celui qu’il venait de sauver ; il le conduisit à sa maison, et fit faire un grand feu où tous les deux se séchèrent à leur aise, en se racontant mutuellement la part que chacun avait eue à un événement si singulier.
Cependant les autres écoliers que l’orage avait fait fuir chacun chez eux, ne manquèrent pas de publier partout que leur camarade s’était noyé. Ce bruit parvint bientôt aux oreilles de la mère qui était veuve, et qui n’avait que cet enfant. Comme elle était douée d’une grande prudence, elle ne se laissa point alarmer, et ne donna pas une foi entière à un bruit confus, répandu par des enfants ; et comme elle était fort pieuse et fort dévote à la sainte Vierge, elle lui recommanda son fils par une prière pleine de ferveur et de confiance. Il semble que sa prière se fit en même temps que le grand coup de vent qui renversa tout et sauva tout, et peut-être ce coup de vent fut-il l’effet de sa prière. Quoi qu’il en soit, elle attendait que quelqu’un vint du passage lui apporter des nouvelles de son fils les plus sûres : le premier qu’elle vit venir fut sou fils lui-même, de qui elle apprit tout ce qui s’était passé, et avec qui elle loua Dieu, et remercia la sainte Vierge d’une protection si marquée.
Plusieurs personnes qui étaient venues pour consoler la mère, eurent la satisfaction d’embrasser le fils, et reconnurent fournie eux dans cet événement, un effet sensible de la protection de Marie. Ils ne cessaient de louer et de remercier cette puissante Reine du Ciel ; mais le jeune homme se crut obligé à quelque chose de plus, et avec le consentement de sa mère, et par un nouveau bienfait de la sainte Vierge, il se consacra à Dieu le reste de ses jours, dans un ordre religieux qui fait profession d’honorer spécialement la Mère de Dieu et de la faire honorer. Dieu le conserve et achève de le sanctifier ; car, si je ne me trompe il vit encore, tandis que j’écris ici son histoire, que je tiens de lui-même.
Mettons donc, à son exemple, notre confiance en Marie ; invoquons-la dans nos périls et prions-la surtout qu’elle ne permette pas que le courant de nos passions et le torrent des mauvais exemples nous entraînent à la perdition.
Le Libertin de profession
Un jeune libertin, qui se livrait sans remords a toutes sortes de vices, d’excès et de scandales, fut arrêté au milieu de ses débauches par une maladie dont il mourut.
Tout libertin qu’il était, il avait pourtant pris la coutume de dire tous les jours un Ave Maria, en l’honneur de la sainte Vierge. Au plus fort de ses crimes et de ses désordres, il ne manquait jamais à faire cette courte prière, qu’il récitait sans trop savoir pourquoi, et plutôt par une espèce d’habitude, que par aucun motif d’espérance et de piété. Dès qu’on sut que sa maladie était sérieuse, M. le curé alla le visiter, et l’exhorter à se confesser ; mais il répondit que s’il avait à en mourir, il voulait mourir comme il avait vécu ; et que s’il venait à en réchapper, il ne voulait pas vivre autrement que comme il avait vécu. Ce fut-là toute la réponse qu’il fit à tous ceux qui lui parlèrent de confession ; et ni le curé ni le vicaire, ni plusieurs autres prêtres et religieux qui le virent, ni aucun de sa famille, ne purent tirer de lui aucune autre réponse que celle-là. Tout le monde était dans une consternation qu’on ne peut exprimer, et personne n’osait plus lui parler de conversion, crainte de lui donner occasion de répéter ses blasphèmes et ses impiétés. Un de ses camarades, de même âge que lui, mais plus sage que lui, et qui l’avait souvent repris de ses désordres, alla le voir un matin ; et après lui avoir parlé d’autres choses, il lui dit :
« Tu devrais pourtant songer à te convertir.
– Mon ami, reprit le malade, je suis trop grand pécheur pour cela
– Eh bien, répliqua l’autre, si tu es un si grand pécheur, aie recours à la sainte Vierge, qui est la mère des pécheurs.
– Ah ! dit le malade, je lui dis bien tous les jours un Ave Maria, crois-tu que cela puisse me servir de quelque chose ?
– Comment, répliqua l’autre, si cela te servira ? Cela te servira de tout. Ne lui as-tu pas demandé, dans cette prière, qu’elle priât pour toi à l’heure de ta mort ?
– Cela est vrai, dit le malade ; et puisque cela est ainsi, continua-t-il, va donc chercher M. le curé, que je me confesse. En disant ces mots, il se mit à verser un torrent de larmes.
– Qu’as-tu à pleurer, lui demanda son ami ?
– Ah ! répondit-il, puis-je assez pleurer, après avoir mené une vie aussi débordée, et avoir offensé un Dieu si bon et toujours prêt à nous pardonner ? Ah ! Je devrais verser des larmes de sang : mais mon sang est trop impur pour être offert à Dieu. Mon Sauveur lui a offert le sien, et c’est en lui que j’espère. »
Son ami entendant ce discours, et voyant toujours couler ses larmes, ne put retenir les siennes. Cependant M. le curé qui voulait voir comment était son malade, et faire une dernière tentative sur son cœur, entra dans ce moment, et fut fort étonné de voir ces deux jeunes gens qui fondaient en larmes. Ayant demandé ce que c’était :
« C’est moi, dit le malade, qui pleure mes péchés. Hélas ! Je commence bien tard à les pleurer ! Mais les mérites de mon Sauveur sont infinis, et sa miséricorde est sans bornes : c’est ce qui fait le fondement de mon espérance.
– Eh ! Qui est-ce donc, dit le curé, qui a opéré un si grand changement ?
– C’est la sainte Vierge, répondit la malade. C’est ma bonne Mère, qui m’a ouvert les yeux et touché le cœur, et qui ne veut pas que je périsse.
– Vous voulez donc bien vous confesser, dit le curé ?
– Oui, monsieur, dit le malade, faites monter ici tout le monde, afin que, comme mes désordres ont été publics, ma confession le soit aussi.
– Cela n’est pas nécessaire, dit le curé, les scandales de votre vie seront suffisamment réparés, quand on saura que vous vous êtes bien confessé. »
Sur cela le jeune ami du malade descendit, où il racontait à la famille ce qui se passait, tandis que le malade faisait sa confession, qui fut souvent interrompue par ses pleurs et ses sanglots. La confession finie, le pasteur lui apporta tout de suite le saint Viatique, qui fut accompagné par une foule infinie de personnes de toutes qualités que le bruit de cette conversion avait attirées. M. le curé, dans l’exhortation qu’il fit à ce sujet, ne laissa pas ignorer la manière dont cette conversion s’était faite, et il parla de la sainte Vierge d’une manière si touchante, qu’il tira des larmes des yeux de tous ses auditeurs. Mais, quand le malade eut pris la parole à son tour, et qu’il eut exprimé les sentiments d’amour, de confiance et de reconnaissance dont il était pénétré, qu’il eut demandé pardon aux assistants des mauvais exemples qu’il leur avait donnés, et qu’il se fut recommandé à leurs prières, on n’entendit dans toute l’assemblée que des soupirs, des sanglots et des cris ; et une cérémonie si édifiante occasionna bien des conversions.
Le soir, le malade, sentant son mal augmenter, demanda lui-même les derniers Sacrements, qu’il reçut avec les mêmes sentiments de piété qu’il avait montrés en recevant le saint Viatique. À minuit, il entra dans l’agonie et expira environ une heure après. Le concours qui se fit à ses obsèques fut si grand, que l’église paroissiale ne pouvait contenir la multitude du peuple qui s’y assembla. Ces obsèques parurent moins une cérémonie funèbre, qu’un jour de triomphe à l’honneur de la sainte Vierge, dont chacun exaltait la puissance, et louait les grandes miséricordes.
La vieille Huguenote
Une dame de condition et fort riche, née dans la religion protestante, y était si obstinément attachée, qu’elle vit toute sa famille entrer dans le sein de l’Église catholique, sans être ébranlée. Elle devint même comme la mère des huguenots ; et par son exemple, ses exhortations et ses libéralités, elle les confirmait dans l’erreur, et souvent empêchait leur conversion. Étant fort âgée, elle tomba malade, et on craignait pour sa vie. Que ne fit-on point, que ne lui dit-on point pour la convertir ? Mais elle répondait à tout ce qu’on pouvait lui dire : que le temps de la mort n’était pas le temps des controverses, et que chacun devait mourir dans la religion qu’il avait crue la meilleure pendant sa vie. Comme on ne pouvait rien gagner sur elle, on ne lui parla plus de rien ; et comme elle avait encore tout son bon sens, on ne crut pas qu’elle fût si près de sa fin qu’elle l’était. On la laissa donc le soir avec une servante auprès d’elle. Elle aimait cette servante qui était fort pieuse et lui était fort attachée. Celle-ci jugeant que la malade pourrait bien ne pas passer la nuit, se mit à l’exhorter à sa manière. Elle commença par la prier ; par la supplier de songer à son âme. Mais, voyant qu’elle s’obstinait à garder le silence, elle ne lui épargna pas les termes les plus durs.
« Oui, lui dit-elle, madame, dans un moment d’ici vous allez être en enfer, à cause de votre obstination à rejeter la vérité, car vous la connaissez bien la vérité, et vous savez bien que hors de l’Église catholique, il n’y a point de salut : mais le respect humain vous empêche de vous convertir ; non, il n’y a que ce maudit respect humain qui vous retient. Vous voulez qu’on dise que vous avez tenu bon jusqu’à la fin. Eh ! Madame, quand vous serez en enfer, à quoi vous servira ce respect humain et tout ce qu’on pourra dire de vous sur la terre ! »
À tout cela le malade ne disait rien. Mais, s’il arrivait quelquefois que la douleur lui fit pousser quelques plaintes, la servante répliquait aussitôt :
« Plaignez, plaignez-vous bien ; dans un quart-d’heure d’ici vous vous plaindrez bien mieux, quand vous sentirez le feu de l’enfer. »
Quand la malade demandait à boire, la servante, en lui eu donnant, ne manquait point de lui dire :
« Buvez, buvez bien maintenant ; car bientôt vous serez avec le mauvais riche dans les flammes de l’enfer, où vous demanderez une goutte d’eau qui vous sera refusée. »
La servante, lasse de prêcher inutilement, et ne pouvant tirer de sa maîtresse aucune parole, lui dit à la fin :
« Tenez, pour dernière ressource à votre obstination, je m’en vais prier pour vous, et dire les Litanies de la sainte Vierge. »
Comme elle les disait très-haut et en français, la dame se mit à répondre ; disant tantôt priez pour nous, tantôt priez pour moi ; et elle disait avec un ton de voix qui marquait de l’affection et de la dévotion. Quand les Litanies furent achevées, la servante lui dit :
« Vous invoquez donc la sainte Vierge ?
– Ah ! dit la malade, j’ai toujours eu confiance en elle, et j’ai toujours eu son image dans mes heures.
– Eh bien ! reprit la servante, puisque vous êtes Catholique, il faut donc vous confesser.
– Crois-tu, répliqua la dame, que j’en aurai encore le temps ?
– Assurément, dit la servante. Au surplus, vous savez bien que devant Dieu, quand on fait ce que l’on peut, la volonté est réputée pour l’effet.
– Eh bien, dit la dame, va donc chercher M. le curé, dis-lui de venir vite, car je n’en ai pas pour longtemps. »
Aussitôt la servante va éveiller toute la maison, et court chez M. le curé, qui se rendit dans le moment. Il confessa la malade ; et comme il achevait les paroles de l’absolution, elle expira.
Alors la servante raconta tout ce qui s’était passé : et on trouva effectivement dans les heures huguenotes de la dame, une très-belle image de la sainte Vierge, en vélin, que tout le monde eut la dévotion de baiser, en reconnaissance d’une conversion si désirée et si peu attendue. Tous les Catholiques ayant su la chose en bénirent Dieu. Les huguenots voulurent bien obscurcir la vérité du fait, mais ils n’y réussirent pas ; et c’est de la servante elle-même que je tiens le détail que je viens de rapporter.
Ces deux derniers faits, comme je l’ai dit au commencement, ne sont pas proposés à notre imitation, pour nous rassurer dans le péché, et nous faire différer notre conversion jusqu’à l’heure de la mort. Mais ils nous apprennent au moins combien il est utile d’exciter les mourants à la confiance en Marie, et combien nous devons nous y exciter nous-mêmes, et pendant notre vie, et surtout au temps de notre mort.
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