Le preneur de vipères
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Le preneur de vipères
Un homme de la campagne était très-adroit à prendre des vipères, qu’il envoyait ensuite à un apothicaire de la ville voisine, pour en faire de la thériaque. Une après-dînée, sa chasse fut si heureuse, qu’il en prit jusqu’à cent cinquante. Le soir, étant de retour à sa maison, il se trouva si las et si harassé, qu’il ne voulut point souper. Il monta dans sa chambre, et alla se coucher tout de suite. Il porta, selon sa coutume, ses vipères toutes en vie dans sa chambre, et les mit dans un baril qu’il eut soin de fermer, mais qu’il ne ferma pas bien. La nuit, tandis qu’il dormait, les vipères forcèrent leur prison, et cherchant la chaleur, elles allèrent toutes vers son lit, s’insinuèrent entre les draps, se glissèrent sur sa peau, et l’enveloppèrent de toutes parts sans lui faire aucun mal, sans qu’il s’éveillât et sentît rien. Comme c’était sa coutume de dormir les bras nus hors du lit : le lendemain, s’étant éveillé lorsqu’il faisait grand jour, il fut étrangement surpris de voir ses bras entourés de vipères. Ah ! dit-il, je suis mort : les vipères se sont échappées. Il eut la prudence de ne se point remuer, et il sentit qu’il en avait d’entortillées autour du cou, autour des jambes et des cuisses, et de tout le corps. Quel état ! Il ne perdit pourtant point la tête. Il se recommanda à Dieu ; et sans se donner le moindre mouvement, il appela sa servante.
Quand elle eut ouvert la porte de sa chambre :
« N’entrez pas, lui dit-il, mais descendez là-bas, prenez le grand chaudron, remplissez-le de lait à la moitié ; faites chauffer ce lait, en sorte qu’il ne soit que tiède. Vous m’apporterez ce chaudron, et vous le mettrez au milieu de ma chambre, le plus doucement et en faisant le moins de bruit que vous pourrez. Ne fermez pas la porte : allez ; faites vite ; ne perdez pas un instant. »
Quand le chaudron fut dans la chambre, les vipères sentant l’odeur du lait, commencèrent à quitter prise. Il vit celles de ses bras se désentortiller et se retirer. Il entendit passer celles de son cou. Il sentit que ses jambes et ses cuisses se dégageaient, et que tout son corps était libre. Quelle joie ! Il se posséda néanmoins : il ne se pressa pas, et donna le temps à toutes les vipères de sortir. Elles sortirent toutes, allèrent se jeter dans le chaudron, de sorte qu’il n’en resta pas une dans le lit. Notre homme alors se leva, et voyant les vipères presque noyées dans la liqueur, assoupies et comme enivrées, il les tira avec ses pinces l’une après l’autre et leur coupa la tête. Aussitôt, s’étant mis à genoux, il remercia Dieu de bon cœur de l’avoir délivré d’un si grand danger. Après cela, il descendit, où il raconta ce qui venait de lui arriver. Il fit frémir tout le monde, et il frémissait lui-même en le racontant. Il envoya ses vipères à l’apothicaire, lui faisant dire de n’en plus attendre de sa part. En effet, il renonça au métier, et il prit une si grande aversion pour les vipères, que non-seulement il ne pouvait pas en souffrir la vue, mais même le nom ni la pensée.
Une histoire si terrible et si effrayante mérite bien que nous y revenions et que nous en examinions toutes les parties.
1) L’état de cet homme dans son lit. Quand je le considère, ayant le corps tout garni et entouré de vipères vivantes, je frissonne, et cette seule idée me fait trembler. Quelle situation ! Peut-il y en avoir de plus affreuse ? Oui, celle d’une âme en péché mortel est mille fois plus terrible. Quand je considère un pécheur, ou dormant tranquillement dans son lit, ou agissant librement pendant le cours de la journée, et que je pense que mille péchés mortels et mille démons pires que des vipères possèdent son âme et s’en sont rendus maîtres, que tout son corps et tous les sens de son corps en sont, non environnés, mais remplis et pénétrés, je suis saisi d’horreur et d’épouvante. Le malheureux ne sent point l’horreur de son état ; il est comme endormi. Mais l’homme dont nous parlons, ne le sentait point non plus, et dormait aussi. L’état de l’un et de l’autre en est-il pour cela moins épouvantable ?
2) Le danger de cet homme pendant son sommeil. Si cet homme, pendant son sommeil, se fut donné quelque mouvement, comme il arrive d’ordinaire ; si, en se tournant, il eut pressé quelqu’un de ces animaux ; si, par un souffle, par un soupir, par une parole, il eut effarouché ces monstres, il était perdu, et de mille vies, il n’en aurait pas sauvé une. Et si ce pécheur venait à mourir subitement dans l’état où il est, si quelqu’un de ces accidents, dont on entend parler tous les jours, lui arrivait, où en serait-il, où en sont tous ceux à qui ces accidents sont arrivés ? S’ils étaient en péché mortel, ils sont perdus pour jamais.
C’est sans doute une mort bien cruelle, que de mourir dévoré par cent cinquante vipères ; mais qu’est-ce que cela, après tout, en comparaison de l’enfer, où l’on est pour toujours la proie des démons, de ses péchés, de ses remords, de son désespoir, et des flammes éternelles !
3) L’effroi de cet homme à son réveil. Pécheurs, vous ne dormirez pas toujours ; vous vous réveillerez à la mort et au jugement de Dieu. Et quel sera votre effroi de vous voir ennemi de Dieu, rebelle à Dieu, semblable au démon ; un homme de péché, qui n’est bon que pour l’enfer, où il va être précipité pour y faire sa demeure éternelle ! Ah ! N’attendez pas à vous réveiller que ce moment soit venu ; ce serait trop tard pour vous. Réveillez-vous maintenant que vous pouvez encore ôter de votre sein les vipères que vous y recelez, que vous y entretenez, et prêtes à vous dévorer.
Vous avez vu le danger de cet homme, et vous ne pouvez nier que le vôtre ne soit encore plus grand. Considérez maintenant comment il s’en tira, afin de vous en tirer comme lui.
1) Sa prudence. Il ne perdit point courage, et imagina le seul expédient qui pouvait lui réussir, et qui lui réussit en effet. De même, en considérant l’état effroyable de votre âme, ne perdez pas courage, ne vous livrez pas au désespoir ; ne dites pas comme Caïn : « Mon iniquité est trop grande pour que j’en puisse espérer le pardon. » Fussiez-vous encore mille fois plus pécheur ; la miséricorde de Dieu étant infinie, sera toujours infiniment au-dessus de vos péchés. Vous n’avez pas besoin de chercher et d’imaginer le moyen de vous délivrer de vos péchés, ce moyeu est tout trouvé, et la miséricorde de Dieu vous le présente tout préparé. C’est le Sang de Jésus-Christ dans lequel il faut noyer tous vos péchés, par une bonne confession. Que ce mot ne vous trouble pas : tenez-vous tranquille : ne regardez pas cette opération. comme impossible ou trop difficile. Dieu ne demande pas de vous l’impossible, et il vous aidera à faire ce qui dépend de vous. Confessez d’abord les péchés dont vous vous souvenez. Prenez ensuite du loisir pour rechercher les autres, et donner le temps à toutes ces vipères de sortir. Ne craignez rien ; elles sortiront toutes.
2) Sa joie quand il se vit délivré. Elle fut grande sans doute ; mais elle n’est rien en comparaison de celle que goûte un pécheur converti et rentre en grâce avec Dieu. Mais qui peut comprendre quelle sera la joie de ce pécheur, lorsque délivré pour toujours de tous ses ennemis, il sera invité à entrer dans la joie même du Seigneur ? Ah ! Qu’il se félicitera alors de s’être défait de ses péchés, d’y avoir renoncé, de les avoir confessés, détestés et expiés !
3) Sa résolution. Il coupe la tête à toutes les vipères, sans en épargner aucune. Il renonce pour toujours à un métier qui a pensé le perdre. Enfin, il conçoit une aversion éternelle de ce qui l’a mis dans un si grand danger. Vous concevez tout ce que cela veut dire : mettez-le en pratique. Fuyez le péché comme vous fuiriez à la vue d’une couleuvre ou d’une vipère.
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