Sainte Catherine de Gênes
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Sainte Catherine de Gênes
SAINTE
CATHERINE DE GÊNES
veuve, religieuse et auteur mystique
(1447-1510)
CATHERINE DE GÊNES
veuve, religieuse et auteur mystique
(1447-1510)
EXTRAIT BIOGRAPHIQUE
Catherine Fieschi, fille d'un vice-roi de Naples, naquit à Gênes. Sa famille, féconde en grands hommes, avait donné à l'Église deux Papes, neuf cardinaux et deux archevêques. Dès l'âge de huit ans, conduite par l'Esprit de Dieu, elle se mit à pratiquer de rudes mortifications; elle dormait sur une paillasse, avec un morceau de bois pour oreiller; mais elle avait soin de cacher ses pénitences. Elle pleurait toutes les fois qu'elle levait les yeux sur une image de Marie tenant Jésus mort dans Ses bras.
Malgré son vif désir du cloître, elle se vit obligée d'entrer dans l'état du mariage, où Dieu allait la préparer par de terribles épreuves à une vie d'une incroyable sainteté. Après cinq ans d'abandon, de mépris et de froideur de la part de son mari, après cinq ans de peines intérieures sans consolation, elle fut tout à coup éclairée de manière définitive sur la vanité du monde et sur les joies ineffables de l'amour divin: "Plus de monde, plus de péché," s'écria-t-elle. Jésus lui apparut alors chargé de Sa Croix, et couvert de sang de la tête aux pieds: "Vois, Ma fille, lui dit-Il, tout ce sang a été répandu au Calvaire pour l'amour de toi, en expiation de tes fautes!" La vue de cet excès d'amour alluma en Catherine une haine profonde contre elle-même: "O amour! Je ne pécherai plus," s'écria-t-elle.
Trois jours après, elle fit sa confession générale avec larmes, et désormais elle communia tous les jours. L'Eucharistie devint la nourriture de son corps et de son âme, et pendant vingt-trois ans il lui fut impossible de prendre autre chose que la Sainte Communion; elle buvait seulement chaque jour un verre d'eau mêlée de vinaigre et de sel, pour modérer le feu qui la dévorait, et, malgré cette abstinence, elle jouissait d'une forte santé.
À l'abstinence continuelle se joignaient de grandes mortifications; jamais de paroles inutiles, peu de sommeil; tous les jours six à sept heures de prière à genoux; jamais Catherine ne se départit de ces règles; elle était surtout si détachée d'elle-même, qu'elle en vint à n'avoir plus de désir et à se trouver dans une parfaite indifférence pour ce qui n'était pas Dieu.
Ses trois maximes principales étaient de ne jamais dire: Je veux, je ne veux pas, mien, tien: – de ne jamais s'excuser, – de se diriger en tout par ces mots: Que la Volonté de Dieu soit faite! Elle eut la consolation de voir son époux revenir à Dieu, dans les derniers jours de sa vie, et de l'assister à sa mort. A partir de ce moment, Catherine se donna tout entière au soin des malades, et y pratiqua les actes les plus héroïque
Catherine Fieschi, fille d'un vice-roi de Naples, naquit à Gênes. Sa famille, féconde en grands hommes, avait donné à l'Église deux Papes, neuf cardinaux et deux archevêques. Dès l'âge de huit ans, conduite par l'Esprit de Dieu, elle se mit à pratiquer de rudes mortifications; elle dormait sur une paillasse, avec un morceau de bois pour oreiller; mais elle avait soin de cacher ses pénitences. Elle pleurait toutes les fois qu'elle levait les yeux sur une image de Marie tenant Jésus mort dans Ses bras.
Malgré son vif désir du cloître, elle se vit obligée d'entrer dans l'état du mariage, où Dieu allait la préparer par de terribles épreuves à une vie d'une incroyable sainteté. Après cinq ans d'abandon, de mépris et de froideur de la part de son mari, après cinq ans de peines intérieures sans consolation, elle fut tout à coup éclairée de manière définitive sur la vanité du monde et sur les joies ineffables de l'amour divin: "Plus de monde, plus de péché," s'écria-t-elle. Jésus lui apparut alors chargé de Sa Croix, et couvert de sang de la tête aux pieds: "Vois, Ma fille, lui dit-Il, tout ce sang a été répandu au Calvaire pour l'amour de toi, en expiation de tes fautes!" La vue de cet excès d'amour alluma en Catherine une haine profonde contre elle-même: "O amour! Je ne pécherai plus," s'écria-t-elle.
Trois jours après, elle fit sa confession générale avec larmes, et désormais elle communia tous les jours. L'Eucharistie devint la nourriture de son corps et de son âme, et pendant vingt-trois ans il lui fut impossible de prendre autre chose que la Sainte Communion; elle buvait seulement chaque jour un verre d'eau mêlée de vinaigre et de sel, pour modérer le feu qui la dévorait, et, malgré cette abstinence, elle jouissait d'une forte santé.
À l'abstinence continuelle se joignaient de grandes mortifications; jamais de paroles inutiles, peu de sommeil; tous les jours six à sept heures de prière à genoux; jamais Catherine ne se départit de ces règles; elle était surtout si détachée d'elle-même, qu'elle en vint à n'avoir plus de désir et à se trouver dans une parfaite indifférence pour ce qui n'était pas Dieu.
Ses trois maximes principales étaient de ne jamais dire: Je veux, je ne veux pas, mien, tien: – de ne jamais s'excuser, – de se diriger en tout par ces mots: Que la Volonté de Dieu soit faite! Elle eut la consolation de voir son époux revenir à Dieu, dans les derniers jours de sa vie, et de l'assister à sa mort. A partir de ce moment, Catherine se donna tout entière au soin des malades, et y pratiqua les actes les plus héroïque
TRAITÉ DU PURGATOIRE
Comment, par comparaison avec le feu divin qu'elle ressentait au-dedans d'elle-même, elle comprenait ce qu'était le purgatoire et comment les âmes s'y trouvent contentes et souffrantes
Cette sainte âme encore dans sa chair se trouva établie dans le purgatoire du brûlant amour de Dieu. Il la brûlait toute et la purifiait de ce qu'elle avait à purifier, de façon qu'au sortir de cette vie elle pût être présentée au regard de Dieu son doux amour.
Par le moyen de ce brûlant amour, elle comprenait en elle-même dans quel état se trouvent au purgatoire les âmes des fidèles pour purifier toute espèce de rouille et de tache du péché non encore effacée durant cette vie.
Elle-même, établie au purgatoire du feu divin d'amour, se tenait unie à son divin amour, satisfaite de tout ce qu'il opérait en elle ; comprenant qu'il en était ainsi des âmes qui sont au purgatoire, elle disait :
1. Parfaite conformité des âmes du purgatoire à la volonté de Dieu
Les âmes qui sont au purgatoire, à ce que je crois comprendre, ne peuvent avoir d'autre choix que d'être en ce lieu puisque telle est la volonté de Dieu qui dans sa justice l'a ainsi décidé. Elles ne peuvent pas davantage se retourner sur elles-mêmes. Elles ne peuvent dire : j'ai fait tels péchés et c'est à cause d'eux que je mérite de me trouver ici. Il ne leur est pas possible de dire : je voudrais ne pas avoir fait tels péchés, parce qu'ainsi j'irais tout de suite en paradis. Pas davantage : celui-ci sortira d'ici avant moi. Ni dire : “j'en sortirai avant lui”.
Elles sont incapables d'avoir ni d'elles-mêmes ni des autres aucun souvenir, ni en bien ni en mal, qui puisse augmenter leur souffrance. Elles ont, au contraire, un tel contentement d'être établies dans la condition voulue par Dieu et que Dieu accomplisse en elles tout ce qu'il veut, comme il le veut, qu'elles ne peuvent penser à elles-mêmes ni en ressentir quelque accroissement de peine.
Elles ne voient qu'une chose, la bonté divine qui travaille en elles, cette miséricorde qui s'exerce sur l'homme pour le ramener à Dieu. En conséquence, ni bien ni mal qui leur arrive à elles-mêmes ne peut attirer leur regard. Si ces âmes pouvaient en prendre conscience, elles ne seraient plus dans la pure charité.
Comment, par comparaison avec le feu divin qu'elle ressentait au-dedans d'elle-même, elle comprenait ce qu'était le purgatoire et comment les âmes s'y trouvent contentes et souffrantes
Cette sainte âme encore dans sa chair se trouva établie dans le purgatoire du brûlant amour de Dieu. Il la brûlait toute et la purifiait de ce qu'elle avait à purifier, de façon qu'au sortir de cette vie elle pût être présentée au regard de Dieu son doux amour.
Par le moyen de ce brûlant amour, elle comprenait en elle-même dans quel état se trouvent au purgatoire les âmes des fidèles pour purifier toute espèce de rouille et de tache du péché non encore effacée durant cette vie.
Elle-même, établie au purgatoire du feu divin d'amour, se tenait unie à son divin amour, satisfaite de tout ce qu'il opérait en elle ; comprenant qu'il en était ainsi des âmes qui sont au purgatoire, elle disait :
1. Parfaite conformité des âmes du purgatoire à la volonté de Dieu
Les âmes qui sont au purgatoire, à ce que je crois comprendre, ne peuvent avoir d'autre choix que d'être en ce lieu puisque telle est la volonté de Dieu qui dans sa justice l'a ainsi décidé. Elles ne peuvent pas davantage se retourner sur elles-mêmes. Elles ne peuvent dire : j'ai fait tels péchés et c'est à cause d'eux que je mérite de me trouver ici. Il ne leur est pas possible de dire : je voudrais ne pas avoir fait tels péchés, parce qu'ainsi j'irais tout de suite en paradis. Pas davantage : celui-ci sortira d'ici avant moi. Ni dire : “j'en sortirai avant lui”.
Elles sont incapables d'avoir ni d'elles-mêmes ni des autres aucun souvenir, ni en bien ni en mal, qui puisse augmenter leur souffrance. Elles ont, au contraire, un tel contentement d'être établies dans la condition voulue par Dieu et que Dieu accomplisse en elles tout ce qu'il veut, comme il le veut, qu'elles ne peuvent penser à elles-mêmes ni en ressentir quelque accroissement de peine.
Elles ne voient qu'une chose, la bonté divine qui travaille en elles, cette miséricorde qui s'exerce sur l'homme pour le ramener à Dieu. En conséquence, ni bien ni mal qui leur arrive à elles-mêmes ne peut attirer leur regard. Si ces âmes pouvaient en prendre conscience, elles ne seraient plus dans la pure charité.
Elles ne peuvent non plus considérer qu'elles sont dans ces peines à cause de leurs péchés, cette idée, n'entre pas dans leur esprit. Ce serait en effet, une imperfection en acte, chose qui ne peut exister en ce lieu où il est impossible de commettre un péché. Pourquoi elles sont en purgatoire, cette cause qui est en elles, il ne leur est donné de la voir qu'une seule fois, au moment qu'elles sortent de cette vie, et dans la suite ne la voient plus jamais. Autrement, ce regard serait un retour sur soi.
Étant donc établies en charité et n'en pouvant plus dévier par un acte défectueux, elles sont rendues incapables de rien vouloir de rien désirer hormis le pur vouloir de la pure charité. Placées dans ce feu purifiant, elles y sont dans l'ordre voulu par Dieu. Cette disposition divine est pur amour ; elles ne peuvent s'en écarter en rien, parce qu'elles sont incapables de commettre un péché, comme aussi de faire un acte méritoire.
2. Joie des âmes du purgatoire ; leur croissante vision de Dieu, la raison de la rouille
Je ne crois pas qu'il puisse se trouver un contentement comparable à celui d'une âme du purgatoire, à l'exception de celui des saints en paradis. Chaque jour s'accroît ce contentement par l'action de Dieu en ces âmes, action qui va croissant comme va se consumant ce qui empêche cette action divine. Cet empêchement, c'est la rouille du péché.
[La rouille n'est pas un reste de péché, une disposition mauvaise de la volonté qui serait l'effet en l'âme des péchés qu'elle a commis durant sa vie terrestre ; c'est une souillure de l'âme, un manque de perfection, suite des péchés d'autrefois, dont la volonté s'est totalement détachée au moment de la mort.]
Le feu consume progressivement cette rouille et ainsi l'âme se découvre de plus en plus à l'influx divin.
De même un objet qu'on aurait recouvert ne peut correspondre à l'éclat du soleil, non point parce que le soleil serait insuffisant, lui qui continue de briller, mais par l'empêchement de ce qui recouvre l'objet. Que vienne à se consumer l'obstacle qui fait écran, l'objet se découvrira à l'action du soleil ; il la subira de plus en plus à mesure que l'obstacle diminuera.
Ainsi la rouille du péché est ce qui recouvre l'âme.
Au purgatoire cette rouille est consumée par le feu. Plus elle se consume, plus aussi l'âme s'expose au vrai soleil, à Dieu. Sa joie augmente à mesure que la rouille disparaît et que l'âme s'expose au rayon divin. Ainsi l'une croît et l'autre diminue jusqu'à ce que le temps soit accompli. Ce n'est pas la souffrance qui diminue, c'est uniquement le temps de rester dans cette peine.
Quant à la volonté, ces âmes ne peuvent jamais dire que ces peines soient des peines, tant elles sont satisfaites des dispositions divines auxquelles leur volonté est unie par pure charité.
3. Souffrance des âmes du purgatoire, la séparation d'avec Dieu est leur plus grande peine
D'autre part, la peine qu'elles subissent est si extrême qu'il n'est aucune langue qui puisse l'exprimer ni aucune intelligence qui puisse en saisir la moindre étincelle si Dieu ne la lui découvre par une grâce toute spéciale.
Cette étincelle, Dieu fit à cette âme la grâce de la lui faire voir, mais je ne puis l'exprimer par la langue. Cette connaissance que Dieu m'a fait voir n'est jamais sortie de mon esprit. J'en dirai ce que je pourrai et ceux-là comprendront à qui le Seigneur daignera ouvrir l'entendement.
La source de toutes les souffrances est le péché, soit originel, soit actuel. Dieu a créé l'âme toute pure et toute simple, sans aucune tache de péché et avec un instinct béatifique qui la porte vers lui.
De cet instinct, le péché originel en quoi elle se trouve, la détourne. Le péché actuel, quand il s'y ajoute, l'en détourne plus encore. Plus elle s'en éloigne, plus elle devient mauvaise, puisque Dieu de moins en moins s'accorde avec elle.
Tout ce qu'il peut y avoir de bon dans les créatures n'existe que par la communication que Dieu en fait. Aux créatures non raisonnables, Dieu en fait part selon ses desseins et il ne leur fait jamais défaut.
Étant donc établies en charité et n'en pouvant plus dévier par un acte défectueux, elles sont rendues incapables de rien vouloir de rien désirer hormis le pur vouloir de la pure charité. Placées dans ce feu purifiant, elles y sont dans l'ordre voulu par Dieu. Cette disposition divine est pur amour ; elles ne peuvent s'en écarter en rien, parce qu'elles sont incapables de commettre un péché, comme aussi de faire un acte méritoire.
2. Joie des âmes du purgatoire ; leur croissante vision de Dieu, la raison de la rouille
Je ne crois pas qu'il puisse se trouver un contentement comparable à celui d'une âme du purgatoire, à l'exception de celui des saints en paradis. Chaque jour s'accroît ce contentement par l'action de Dieu en ces âmes, action qui va croissant comme va se consumant ce qui empêche cette action divine. Cet empêchement, c'est la rouille du péché.
[La rouille n'est pas un reste de péché, une disposition mauvaise de la volonté qui serait l'effet en l'âme des péchés qu'elle a commis durant sa vie terrestre ; c'est une souillure de l'âme, un manque de perfection, suite des péchés d'autrefois, dont la volonté s'est totalement détachée au moment de la mort.]
Le feu consume progressivement cette rouille et ainsi l'âme se découvre de plus en plus à l'influx divin.
De même un objet qu'on aurait recouvert ne peut correspondre à l'éclat du soleil, non point parce que le soleil serait insuffisant, lui qui continue de briller, mais par l'empêchement de ce qui recouvre l'objet. Que vienne à se consumer l'obstacle qui fait écran, l'objet se découvrira à l'action du soleil ; il la subira de plus en plus à mesure que l'obstacle diminuera.
Ainsi la rouille du péché est ce qui recouvre l'âme.
Au purgatoire cette rouille est consumée par le feu. Plus elle se consume, plus aussi l'âme s'expose au vrai soleil, à Dieu. Sa joie augmente à mesure que la rouille disparaît et que l'âme s'expose au rayon divin. Ainsi l'une croît et l'autre diminue jusqu'à ce que le temps soit accompli. Ce n'est pas la souffrance qui diminue, c'est uniquement le temps de rester dans cette peine.
Quant à la volonté, ces âmes ne peuvent jamais dire que ces peines soient des peines, tant elles sont satisfaites des dispositions divines auxquelles leur volonté est unie par pure charité.
3. Souffrance des âmes du purgatoire, la séparation d'avec Dieu est leur plus grande peine
D'autre part, la peine qu'elles subissent est si extrême qu'il n'est aucune langue qui puisse l'exprimer ni aucune intelligence qui puisse en saisir la moindre étincelle si Dieu ne la lui découvre par une grâce toute spéciale.
Cette étincelle, Dieu fit à cette âme la grâce de la lui faire voir, mais je ne puis l'exprimer par la langue. Cette connaissance que Dieu m'a fait voir n'est jamais sortie de mon esprit. J'en dirai ce que je pourrai et ceux-là comprendront à qui le Seigneur daignera ouvrir l'entendement.
La source de toutes les souffrances est le péché, soit originel, soit actuel. Dieu a créé l'âme toute pure et toute simple, sans aucune tache de péché et avec un instinct béatifique qui la porte vers lui.
De cet instinct, le péché originel en quoi elle se trouve, la détourne. Le péché actuel, quand il s'y ajoute, l'en détourne plus encore. Plus elle s'en éloigne, plus elle devient mauvaise, puisque Dieu de moins en moins s'accorde avec elle.
Tout ce qu'il peut y avoir de bon dans les créatures n'existe que par la communication que Dieu en fait. Aux créatures non raisonnables, Dieu en fait part selon ses desseins et il ne leur fait jamais défaut.
A la créature raisonnable, à l'âme, il correspond plus ou moins dans la mesure où il la trouve purifiée de l'empêchement du péché. Existe-t-il une âme qui revienne à la première pureté de sa création, l'instinct du bonheur se découvre en elle et s'accroît aussitôt avec une telle véhémence, une telle ardeur de charité l'entraînant vers sa fin dernière, que c'est pour elle chose insupportable d'en être écartée. Plus elle en a la conscience, plus extrême est son tourment.
4. Différence entre les damnés et les âmes du purgatoire
Les âmes qui sont au purgatoire se trouvent sans la coulpe du péché. En conséquence, il n'y a pas d'obstacle entre Dieu et elles, hors cette peine qui les retarde et qui consiste en ce que leur instinct béatifique n'a pas atteint sa pleine perfection.
Voyant en toute certitude combien importe le moindre empêchement, voyant que la justice exige que leur attrait soit retardé, il leur naît au cœur un feu d'une violence extrême, qui ressemble à celui de l'enfer. Il y a la différence du péché qui rend mauvaise la volonté des damnés de l'enfer ; à ceux- ci Dieu ne fait point part de sa bonté. Ils demeurent dans cette malice désespérée, opposée à la volonté de Dieu.
On voit par là que cette opposition de la volonté mauvaise à la volonté de Dieu est cela même qui constitue le péché. Comme leur volonté s'obstine dans le mal, le péché aussi se maintient.
Ceux de l'enfer sont sortis de cette vie avec leur volonté mauvaise. Aussi leur péché n'est pas remis et ne peut l'être, parce qu'ils ne peuvent plus changer de volonté, une fois qu'ils sont sortis ainsi disposés de cette vie.
En ce passage l'âme s'établit définitivement dans le bien ou dans le mal, selon qu'elle s'y trouve par sa volonté délibérée, conformément à ce qui est écrit : « Là où je te trouverai, c'est-à-dire au moment de la mort, avec cette volonté ou du péché ou de rejet et de regret du péché, là je te jugerai » [1].
Ce jugement est sans rémission puisque après la mort la liberté du libre vouloir n'est plus sujette au changement. Elle reste fixée dans la disposition où elle se trouvait au moment de la mort.
Ceux de l'enfer, pour s'être trouvés à ce moment avec la volonté de pécher, portent sur eux la coulpe et la peine. La coulpe est infinie ; la peine n'est pas aussi grave qu'ils l'ont méritée, mais ils la porteront sans fin.
Au contraire, ceux du purgatoire ont seulement la peine, puisque le péché fut effacé au moment de la mort, car ils étaient contrits de leurs fautes et se repentaient d'avoir offensé la bonté de Dieu. Aussi leur peine aura sa fin, elle va diminuant sans cesse dans le temps, comme il a été dit.
O misère au-delà de toute misère et d'autant plus lamentable que les hommes aveugles n'y pensent pas !
5. Dieu montre sa bonté même envers les damnés
Ce châtiment des damnés n'est pas infini en quantité. La raison en est que la douce bonté divine étend le rayon de sa miséricorde jusqu'en enfer.
En effet, l'homme décédé en état de péché mortel mérite un châtiment infini et pour un temps infini. Mais la miséricorde de Dieu a disposé que seul le temps serait sans fin, et les peines limitées en quantité. En toute justice il aurait pu leur infliger une peine plus grande qu'il ne fait.
Oh ! quel est le danger du péché commis par mauvais vouloir ! C'est à grand-peine que l'homme s'en repent, et tant qu'il n'en a pas de repentir, le péché demeure et ce péché continue aussi longtemps que l'homme reste dans la volonté du péché qu'il a commis ou dans celle de le commettre.
6. Purifiées du péché, c'est avec joie que les âmes du purgatoire s'acquittent de leurs peines
Mais les âmes du purgatoire tiennent leur volonté en tout conforme à celle de Dieu. En conséquence, Dieu s'accorde avec elles dans sa bonté et elles demeurent contentes (quant à leur volonté) et purifiées de la coulpe du péché actuel.
Ces âmes sont rendues aussi pures que Dieu les a créées. Quand elles sortent de cette vie contrites de tous les péchés qu'elles ont commis, les ayant confessés et animées de la volonté de ne plus les commettre, Dieu les absout aussitôt de leur coulpe et il ne reste plus en elles que la rouille du péché. Elles s'en purifient ensuite dans le feu par la souffrance.
Ainsi purifiées de toute coulpe et unies à Dieu par leur volonté, elles voient Dieu clairement, selon le degré de connaissance qu'il leur accorde, elles voient aussi de quelle valeur il est de jouir de Dieu et que les âmes sont créées précisément pour cela.
7. De quel violent amour les âmes du purgatoire aspirent à jouir de Dieu. Exemple du pain et de l'affamé
Elles éprouvent de plus en plus une conformité si unifiante à leur Dieu, cette conformité les tire vers lui avec une si grande force par l'instinct de nature qui existe entre Dieu et l'âme qu'on ne peut donner aucun raisonnement, aucune comparaison, aucun exemple qui puisse expliquer assez cette chose au degré où l'âme la ressent dans son opération en elle et par son expérience intime. J'en donnerai cependant un exemple qui se présente à mon esprit.
Supposons qu'il n'y eût dans le monde entier qu'un seul pain pour enlever la faim à toute créature ; supposons de plus que rien qu'à voir ce pain les hommes en seraient rassasiés.
Étant donné que l'homme, à moins d'être malade, a l'instinct naturel de manger, s'il vient à ne plus manger, tout en étant préservé de maladie et de mort, sa faim grandirait continuellement puisque son instinct de manger ne diminuerait jamais.
Il sait que ce pain est seul capable de le rassasier; s'il ne peut l'avoir sa faim ne s'en ira pas, il restera dans un tourment intolérable. Plus il s'en approche sans arriver cependant à le voir, plus aussi s'allume le désir naturel que son instinct ramasse tout entier sur le pain en quoi se trouve tout contentement.
S'il savait avec certitude que jamais il ne lui sera donné de voir ce pain, à ce moment l'enfer s'accomplirait pour lui ; il serait dans l'état des âmes damnées qui sont privées de toute espérance d'arriver jamais à voir le pain qui est Dieu leur vrai Sauveur.
Mais les âmes du purgatoire ont l'espérance de contempler le pain et de s'en rassasier pleinement. Par suite, elles souffrent la faim et restent dans leur tourment aussi longtemps qu'elles sont retenues de se rassasier de ce pain, Jésus-Christ, vrai Dieu Sauveur, notre Amour.
8. L'enfer et le purgatoire font connaître l'admirable sagesse de Dieu
De même que l'esprit net et purifié ne se connaît aucun lieu de repos sinon Dieu même puisqu'il a été créé à cette fin, de même l'âme pécheresse n'a de place nulle part sinon en enfer puisque Dieu le lui a destiné pour sa fin.
C'est pourquoi au moment même où l'esprit est séparé du corps, l'âme se rend au lieu qui lui est destiné, sans autre guide que la nature même de son péché, au cas où l'âme se détache du corps en état de péché mortel.
Si l'âme ne trouvait pas à ce moment même cette destination qui procède de la justice divine, elle serait dans un enfer pire que l'enfer même. La raison en est que l'âme se trouverait hors de cette disposition divine qui n'est pas sans une part de miséricorde, puisque la peine infligée n' est pas aussi grande qu'elle le mérite. Aussi l'âme, ne trouvant aucun lieu qui lui convienne davantage, ni lui soit moins douloureux, Dieu l'ayant disposé ainsi, elle se jette d'elle-même en enfer puisque c'est sa place.
Il en est de même du purgatoire dont nous parlons. Séparée du corps, l'âme qui ne se trouve pas dans cette netteté dans laquelle Dieu l'a créée, voyant en elle l'obstacle qui la retient et sachant qu'il ne peut être enlevé que par le moyen du purgatoire, elle s'y jette aussitôt et de grand cœur.
Si elle ne découvrait ce moyen disposé par Dieu pour la débarrasser de cet empêchement, à l'instant se formerait en elle un enfer pire que le purgatoire, parce qu'elle se verrait empêchée d'atteindre sa fin qui est Dieu. Cela est pour elle d'une telle importance qu'en comparaison le purgatoire est comme rien, quoique, comme il a été dit, le purgatoire est semblable à l'enfer. Mais c'est en comparaison qu'il est comme rien.
9. Nécessité du purgatoire
J'ajoute encore ceci que je vois. De la part de Dieu, le paradis est ouvert, y entre qui veut. C'est que Dieu est toute miséricorde, il reste tourné vers nous, les bras ouverts pour nous recevoir dans sa gloire.
Mais je vois d'autre part comment cette divine essence est d'une telle pureté et netteté, au-delà de tout ce qu'on pourrait imaginer, que l'âme qui aurait en soi une imperfection aussi légère qu'un fétu minuscule, se jetterait en mille enfers plutôt que de se trouver avec cette tache en présence de la majesté divine.
Aussi, voyant que le purgatoire a été fait pour lui enlever ces taches, elle s'y jette. Elle voit que c'est là une grande miséricorde pour elle que ce moyen d'enlever cet empêchement.
10. Comme le purgatoire est chose terrible
De quelle gravité est le purgatoire, ni la langue ne le peut expliquer, ni l'esprit le saisir. Je ne vois que ceci: que les tourments y égalent ceux de l'enfer. Néanmoins, je vois que l'âme qui découvre la moindre tache d'imperfection le reçoit, selon ce qui a été dit, comme un bienfait qui lui est accordé.
Dans un certain sens, elle le tient pour rien en comparaison de cette tache qui arrête son amour.
Je vois aussi que le tourment des âmes du purgatoire consiste bien davantage en ceci qu'elles voient en elles quelque chose qui déplaît à Dieu et qu'elles l'ont contracté volontairement en agissant contre une si grande bonté, plutôt que dans nul autre tourment qu'elles ressentent en purgatoire.
C'est qu'étant dans la grâce divine elles voient la réalité et l'importance de cet empêchement qui ne leur permet pas d'approcher de Dieu.
Tout ce qu'on vient de dire, qu'est-ce en comparaison des évidences qui me sont données dans mon esprit (pour autant que j'en ai pu concevoir dans cette vie) ?
Devant de telles extrémités, toute vue, toute parole, tout sentiment, toute imagination, toute justice, toute vérité, tout cela n'est pour moi que tromperies et choses de néant
Je reste confuse, faute de pouvoir trouver des expressions plus fortes.
11. L'amour de Dieu qui attire les âmes saintes et l'empêchement qu'elles trouvent dans le péché sont les causes des tourments du purgatoire
Je vois entre Dieu et l'âme une incroyable conformité. Lorsqu'il la voit dans cette pureté où sa majesté l'a créée, il lui donne une certaine force d'attraction faite d'amour brûlant, capable de la réduire au néant, tout immortelle qu'elle soit.
Il la met dans un état de si parfaite transformation en lui son Dieu, qu'elle se voit n'être plus autre chose que Dieu. Il la tire continuellement à lui, il l'embrasse, il ne la laisse pas jusqu'à ce qu'il l'ait menée à cet être divin dont elle procède, c'est-à-dire à cette pureté dans laquelle il l'a créée.
L'âme se voit, par une vue intérieure, ainsi tirée par Dieu avec un tel feu d'amour. Alors, sous l'ardeur de cet amour embrasé de son doux Seigneur et Dieu qu'elle sent rejaillir en son esprit, elle se liquéfie tout entière.
A la lumière divine, elle voit comment Dieu ne cesse pas un instant de la tirer vers lui pour la conduire à son entière perfection. Il y met un soin extrême, une continuelle sollicitude ; en tout cela Dieu n'agit que par un pur amour. Mais elle-même, par cet obstacle de péché qui subsiste en elle, se trouve empêchée de se livrer à ce divin attrait, c'est-à-dire à ce regard unitif que Dieu lui a donné pour qu'elle soit tirée à lui.
Elle voit aussi combien lui est douloureux ce retardement qui la retient de contempler la divine lumière. S'y ajoute l'instinct de l'âme impatiente d'être libérée de cet empêchement, attirée qu'elle est par ce regard unitif.
Je dis que tout cela et la vue qu'en ont les âmes, est ce qui engendre en elle la peine du purgatoire.
De cette peine, si grande qu'elle soit cependant elle ne tiennent pas compte. Elles s'occupent bien davantage de l'opposition qu'elles ont à la volonté de Dieu.
Elles le voient brûler pour elles d'un extrême et pur amour. Cet amour, avec son regard unitif, les tire à soi avec une puissance extrême et sans arrêt, comme s'il n'avait autre chose à faire.
C'est au point que si l'âme pouvait découvrir un autre purgatoire plus fort que celui où elle se trouve, elle s'y jetterait aussitôt pour se débarrasser plus vite de cet empêchement. Tant est violent l'amour de conformité entre Dieu et l'âme.
12. Comment Dieu purifie les âmes Exemple de l'or dans le creuset
De ce divin Amour, je vois jaillir vers l'âme certains rayons et flammes brûlantes, si pénétrants et si forts qu'ils sembleraient capables de réduire au néant non seulement le corps, mais l'âme elle- même s'il était possible.
Ces rayons opèrent de deux manières : l'une est de purifier, l'autre d'anéantir.
Vois l'or. A mesure que tu le fonds, à mesure il s'améliore. Tu pourrais le fondre au point de détruire en lui toute imperfection.
Tel est l'effet du feu dans les choses matérielles. Il y a cette différence que l'âme ne peut s'anéantir en Dieu, mais uniquement dans son être propre. Plus tu la purifies, plus aussi elle s'anéantit en elle-même et pour finir elle est toute purifiée en Dieu.
L'or, quand il est purifié à vingt-quatre carats ne se consume plus, quel que soit le feu par où tu le ferais passer. Ce qui peut être consumé en lui, ce n'est que sa propre imperfection.
Ainsi opère dans l'âme le feu divin. Dieu la maintient dans le feu jusqu'à ce que toute imperfection soit consumée. Il la conduit à la pureté totale de vingt-quatre carats, chaque âme cependant selon son degré. Quand elle est purifiée elle reste tout entière en Dieu, sans rien en elle qui lui soit propre, et son être est Dieu.
Une fois que Dieu a ramené à lui l'âme ainsi purifiée, alors celle-ci est mise hors d'état de souffrir encore, puisqu'il ne lui reste plus rien à consumer. Supposé que dans cet état de pureté on la tienne dans le feu, elle n'en sentirait nulle souffrance. Ce feu ne serait autre chose que celui du divin amour de la vie éternelle, sans rien de pénible.
13. Les âmes ont un désir ardent de se transformer en Dieu. Sagesse de Dieu qui leur tient cachées leurs imperfections
L'âme a été créée munie de toutes les bonnes dispositions dont elle est capable, pour la mettre à même d'atteindre sa perfection, à condition qu'elle vive comme Dieu l'ordonne sans se souiller d'aucune tache de péché.
Mais elle s'est contaminée par le péché originel qui lui fait perdre ses dons de grâce. Elle est morte, elle ne peut ressusciter sinon par Dieu. Quand elle renaît par le baptême, il lui reste l'inclination au mal ; cette inclination la conduit, si elle n' y résiste pas, au péché actuel, par quoi elle meurt de nouveau.
Une nouvelle fois, Dieu lui rend la vie. C'est une grâce toute particulière qu'il lui fait, car elle est salie et tournée vers elle-même. Pour la ramener à son premier état telle que Dieu l'a créée, elle a besoin de ces opérations divines, faute desquelles il lui serait à jamais impossible de se tourner de nouveau vers Dieu.
Quand l'âme se met en route pour retourner à son premier état, si grande est l'ardeur qui la presse de se transformer en Dieu que c'est là son purgatoire. Elle ne regarde pas ce purgatoire comme un purgatoire, mais cet instinct brûlant et entravé constitue son purgatoire.
Ce dernier acte d'amour accomplit son oeuvre, sans que l'homme y ait part.
Il y a dans l'âme tant d'imperfections cachées qu'elle désespérerait s'il lui était donné de les voir. Ce dernier état les consume toutes.
Après qu'elles sont consumées, Dieu les découvre à l'âme pour qu'elle reconnaisse l’œuvre divine accomplie en elle par le feu d'amour. C'est lui qui a consumé en elle toutes ces imperfection qui doivent l'être.
14. Joie et douleur de l'âme du purgatoire
Sache ceci : la perfection que l'homme croit constater en lui n'est pour Dieu que défaut.
En effet, tout ce que l'homme accomplit sous couleur de perfection, toute connaissance, tout sentiment, tout vouloir tout souvenir, dès qu'il ne le fait pas remonter à Dieu, tout cela l'infecte et le souille.
Pour que ces actes soient parfaits, il est nécessaire qu'il soient faits en nous sans nous, sans que nous en soyons le premier agent, et que l'opération de Dieu soit faite en Dieu sans que l'homme en soit la cause principale.
Ces actes seuls sont parfaits, que Dieu accomplit et achève dans son amour pur et net, sans mérite de notre part. Ils pénètrent l'âme si profondément et l'embrasent à tel point que le corps où elle se trouve se sent brûler comme s'il était dans un grand brasier qui ne s'éteindra pas avant la mort.
Il est vrai, comme je le vois, que l'amour qui procède de Dieu et rejaillit dans l'âme cause en elle un contentement inexprimable ; mais ce contentement n'enlève pas une étincelle de leur peine aux âmes du purgatoire.
Donc, cet amour qui se trouve entravé, c'est lui qui constitue leur souffrance. Cette souffrance est d'autant plus grande que plus grande est la capacité d'amour et de perfection que Dieu a donné à chacune.
Ainsi les âmes du purgatoire ont tout ensemble une joie extrême et une extrême souffrance sans que l'une soit un obstacle pour l'autre.
15. Les âmes du purgatoire sont hors d'état de pouvoir mériter encore. Comment leur volonté est disposée à l'égard des bonnes oeuvres offertes ici-bas en suffrage pour elles
S'il était donné aux âmes du purgatoire de se purifier par la contrition, en un instant elles acquitteraient leur dette entière, tant serait brûlante l'impétuosité de leur contrition. Car elles voient clairement la gravité de cet empêchement qui les retient de s'unir à Dieu, leur fin et leur amour.
Tiens pour certain que dans ce paiement, elles ne sont quittes d'un seul denier, la justice de Dieu l'ayant ainsi déterminé. Ceci vaut du côté de Dieu.
Du côté de l'âme, elles n'ont plus aucun choix personnel, aucun regard sur elles-mêmes, sans vouloir considérer autre chose que la volonté de Dieu ; elles sont ainsi établies.
Si quelqu'un en ce monde fait une aumône à leur intention et qu'ainsi la durée de leur peine soit diminuée, elles ne peuvent se retourner pour en prendre connaissance et s'y attacher. Elles abandonnent tout à l'exacte balance de la volonté divine, elles laissent Dieu tout régler à lui seul, qu'il se paie comme il plaît à sa bonté infinie.
S'il leur arrivait de penser à ces aumônes en dehors de la volonté divine, ce serait un retour sur elles-mêmes, elles perdraient de ce fait la vue de ce divin vouloir et cela serait pour elles un enfer.
C'est pourquoi ces âmes restent attachées à tout ce que Dieu accomplit en elles, que ce soit plaisir et contentement ou que ce soit souffrance. Elles ne peuvent plus se retourner sur elles-mêmes, transformées qu'elles sont totalement dans la volonté de Dieu et contentes de ce qu'il décide dans son infinie sainteté.
16. Ces âmes veulent être pleinement purifiées
Si une âme était présentée aux regards divins ayant encore quelque chose à purger, ce serait lui faire une grande injure, ce serait pour elle un tourment pire que dix purgatoires.
La raison en est que ce serait pour la pure bonté et la souveraine justice de Dieu une chose intolérable. De son côté, l'âme verrait qu'elle n'a pas encore pleinement satisfait à Dieu. Ne manquerait-il qu'un clin d’œil de purification, ce serait pour elle aussi chose intolérable.
Pour enlever ce rien de rouille, elle irait dans mille enfers (supposé qu'il lui fût accordé de choisir) plutôt que de se trouver face à la présence divine sans être totalement purifiée.
17. Exhortations et reproches aux vivants
Éclairée sur toutes ces choses à la lumière divine, cette âme bénie disait :
Il me vient une envie de crier avec une telle force que sur la Terre tous les hommes en seraient épouvantés. Je leur dirais : malheureux, pourquoi vous laissez-vous aveugler à ce point par le monde ? A cette nécessité si pressante où vous vous trouverez au moment de la mort, vous n'avez aucun souci de vous préparer !
Vous vous abritez tous sous l'espérance de la miséricorde divine. Elle est si grande, dites-vous. Mais vous ne voyez pas que cette bonté de Dieu tournera à votre condamnation puisque c'est contre la volonté d'un si bon maître que vous aurez agi.
[= “je n'ai pas à m'en faire car Dieu est bon, il est miséricordieux, il me pardonnera tous mes péchés avant que je le lui demande” se transformera en : “comment ai-je pu tant haïr, tant commettre de péchés contre ce Jésus si incroyablement bon et doux, je suis épouvantablement coupable, je ne mérite aucun pardon, je préfère fuir la présence de cet agneau innocent que j'ai moi-même torturé et crucifié à mort par mes péchés”, c'est maintenant qu'il faut lui dire : “je te (vous) demande pardon pour le mal que je (vous) t'ai fait, j'ai confiance en ta miséricorde, viens à mon secours, donne-moi la force de commencer une vie nouvelle dans ta grâce”, ce n'est que par pur miracle que certains arrivent à changer de volonté et à vouloir, aux abords de la mort, fuir les péchés qu'ils chérissaient pendant leur vie. Les miracles existent mais ils ne sont pas la règle générale, ils sont l'exception.]
Sa bonté devrait au contraire vous forcer à faire sa volonté tout entière et non pas vous porter à la présomption de faire le mal.
Sa justice ne peut être frustrée, il faut de toute façon qu'elle soit pleinement satisfaite.
Ne t'encourage pas en te disant : je me confesserai, j'aurai ensuite l'indulgence plénière, je serai d'un seul coup purgé de tous mes péchés, et ainsi je serai sauvé.
Prends garde que la confession et la contrition, requises pour l'indulgence plénière, sont bien difficiles à réaliser. Si tu en avais conscience, tu tremblerais de terreur ; tu serais plus assuré de ne l'avoir pas que de l'avoir.
18. Au purgatoire, les âmes souffrent volontiers et dans la joie
Au purgatoire, je vois les âmes souffrir avec la vue de deux opérations.
La première, c'est qu'elles souffrent de très bon cœur leurs peines. Elles se rendent compte que Dieu leur fait grande miséricorde, considérant le châtiment qu'elles ont mérité, sachant aussi à quel point il leur est nécessaire. Si la bonté divine n'avait tempéré sa justice par sa miséricorde (payant pour elles par le précieux sang de Jésus-Christ), un seul péché mériterait mille enfers éternels.
Aussi subissent-elles de si grand cœur leurs peines qu'elles ne voudraient en retirer un seul carat. Elles savent que ces peines elles les ont méritées en toute justice et qu'elles sont parfaitement réglées. Par suite, elles ne se plaignent pas plus de Dieu (quant à la volonté) que si elles étaient dans la vie éternelle.
L'autre opération est un contentement qu'elles éprouvent à voir comment Dieu agit envers elles, avec quel amour et quelle miséricorde.
Ces deux vues, Dieu les imprime en elles instantanément. Puisqu'elles sont en état de grâce, elles saisissent et comprennent à la mesure de leur capacité. Elles en éprouvent une immense joie, qui ne leur manquera plus ; au contraire, elle ira toujours croissant au fur et à mesure qu'elles s'approchent davantage de Dieu.
Ces âmes ne voient point cela en elles-mêmes ni par elles-mêmes ni comme quelque chose qui serait à elles, mais seulement en Dieu.
Elles s'occupent intensément de lui beaucoup plus que de leurs peines, elles tiennent celles-ci pour rien en comparaison de lui.
La moindre vues qu'on puisse avoir de Dieu surpasse toute peine et toute joie que l'homme puisse avoir mais sans leur enlever une étincelle ni de joie ni de peine.
19. La sainte conclut son exposé sur les âmes du purgatoire en leur attribuant ce qu'elle ressent dans son âme
Cette forme de purification que je vois appliquée aux âmes du purgatoire, je l'éprouve dans mon esprit, surtout depuis deux ans. De jour en jour je la ressens et la vois plus clairement.
Mon âme, à ce que je vois, est dans ce corps comme dans un purgatoire, mais à la mesure réduite que le corps peut supporter, pour éviter qu'il ne meure. Néanmoins cela s'aggrave peu à peu, jusqu'à ce qu'enfin mort s'ensuive.
Je vois l'esprit rendu étranger à toute chose, même d'ordre spirituel, où il pourrait trouver quelque aliment, comme serait joie, plaisir, consolation. Il est hors d'état de prendre goût à quelque chose que ce soit, temporelle ou spirituelle, ni par la volonté, ni par l'entendement, ni par la mémoire. Il m'est devenu impossible de dire : je prends plus plaisir à ceci qu'à cela.
Mon intérieur est assiégé. De toute chose qui portait rafraîchissement à sa vie spirituelle et corporelle il a été dépouillé petit à petit. Chaque fois qu'une de ces choses lui est enlevée il reconnaît qu'elle était de nature à lui donner aliment et réconfort. Aussitôt que l'esprit en prend conscience, il les prend en haine et en abomination et elles s'en vont sans aucun remède.
La raison en est que l'esprit porte en soi l'instinct de se débarrasser de toute chose qui puisse faire obstacle à sa perfection. Il s'y acharne au point qu'il irait presque jusqu'à se laisser mettre en enfer pour atteindre à son but.
Il va rejetant toute chose dont l'homme intérieur pourrait se nourrir, il l'investit de façon si subtile que ne peut passer le moindre fétu d'imperfection sans qu'il ne l'aperçoive et ne le prenne en horreur.
Quant à la partie extérieure, puisque l'esprit n'a plus de correspondance avec elle, elle aussi est assiégée étroitement; il lui devient impossible de se rafraîchir au gré de son instinct humain.
Il ne lui reste d'autre soutien que Dieu. C'est lui qui opère tout cela par amour et avec grande miséricorde pour satisfaire à sa justice.
Cette vue donne à l'esprit grande paix et contentement. Mais ce contentement ne diminue en rien la souffrance ni la compression qu'il subit. Jamais la souffrance ne pourrait devenir cruelle au point qu'il puisse désirer de se dégager de ce que Dieu dispose à son sujet. Il ne sort pas de sa prison, il ne cherche pas à en sortir, tant que Dieu n'aura pas accompli en lui tout ce qui est nécessaire. Ce qui me contente c'est que Dieu soit satisfait. Il n'y aurait pas pour moi de souffrance pire que de m'écarter des desseins de Dieu sur moi, tant j'y vois de justice et de miséricorde.
Tout ce qui vient d'être dit, je le vois, je le touche, mais je n'arrive pas à trouver d'expressions satisfaisantes pour le dire comme je voudrais. Ce que j'en ai dit, je le sens s'opérer en moi spirituellement et c'est pour cela que je l'ai dit.
La prison dans laquelle je me vois, c'est le monde ; la chaîne, c'est le corps. L'âme illuminée par la grâce, c'est elle qui connaît l'importance d'être retenue ou retardée d'atteindre sa fin, par quelque empêchement que ce soit. Cela lui cause une peine extrême, car elle est d'une sensibilité aiguë.
De plus, cette âme reçoit de Dieu une certaine dignité qui la rend semblable à Dieu même. Il la fait une même chose avec lui en la rendant participante de sa bonté.
Et comme il est impossible qu'une peine quelconque atteigne Dieu, ainsi en advient-il des âmes qui s'approchent de lui. Plus elles s'approchent, plus aussi elles reçoivent de ce qui est propre à la divinité.
Par suite, le retardement qui atteint l'âme lui cause une souffrance intolérable. Cette souffrance et ce retard la rendent dissemblable de ces propriétés qu'elle avait de nature, et que la grâce lui montre ; elle est empêchée d'y atteindre, alors qu'elle y est apte, et cela lui cause une souffrance très grande, à la mesure de l'estime qu'elle a de Dieu.
Mieux elle le connaît, plus elle l'estime ; plus elle est dégagée du péché, mieux elle le connaît. A mesure aussi, l'empêchement lui devient plus terrible d'autant plus que l'âme est toute recueillie en Dieu et rien ne l'empêche de le connaître sans aucune erreur.
L'homme qui est prêt à se laisser tuer plutôt que d'offenser Dieu ressent la mort et en éprouve toute la peine. Mais dans le zèle que lui donne la lumière divine, il place l'honneur de Dieu au-dessus de la mort.
Ainsi l'âme qui connaît les desseins de Dieu en fait plus de cas que de toute torture intérieure ou extérieure, si grande qu'elle soit. C'est que Dieu qui opère en elle ces choses dépasse tout ce qu'on peut en ressentir ou imaginer.
L'occupation, pour faible qu'elle soit, que Dieu donne de lui-même à une âme l'absorbe en lui au point qu'elle ne peut tenir compte de rien d'autre. Par suite elle perd tout retour sur soi, elle ne voit plus rien en elle-même, ni dommage ni peine, elle n'en parle pas, elle n'en sait plus rien. Un instant seulement elle en a connaissance, comme il a été dit, au moment qu'elle sort de cette vie.
Finalement, tirons cette conclusion: Dieu fait perdre à l'homme tout ce qui est de l'homme, et le purgatoire le purifie.
FIN DU TRAITÉ
[1] Ce texte n'est pas dans l'Écriture Sainte ; ce pourrait être une accommodation d'Ézéchiel, 24,14.
4. Différence entre les damnés et les âmes du purgatoire
Les âmes qui sont au purgatoire se trouvent sans la coulpe du péché. En conséquence, il n'y a pas d'obstacle entre Dieu et elles, hors cette peine qui les retarde et qui consiste en ce que leur instinct béatifique n'a pas atteint sa pleine perfection.
Voyant en toute certitude combien importe le moindre empêchement, voyant que la justice exige que leur attrait soit retardé, il leur naît au cœur un feu d'une violence extrême, qui ressemble à celui de l'enfer. Il y a la différence du péché qui rend mauvaise la volonté des damnés de l'enfer ; à ceux- ci Dieu ne fait point part de sa bonté. Ils demeurent dans cette malice désespérée, opposée à la volonté de Dieu.
On voit par là que cette opposition de la volonté mauvaise à la volonté de Dieu est cela même qui constitue le péché. Comme leur volonté s'obstine dans le mal, le péché aussi se maintient.
Ceux de l'enfer sont sortis de cette vie avec leur volonté mauvaise. Aussi leur péché n'est pas remis et ne peut l'être, parce qu'ils ne peuvent plus changer de volonté, une fois qu'ils sont sortis ainsi disposés de cette vie.
En ce passage l'âme s'établit définitivement dans le bien ou dans le mal, selon qu'elle s'y trouve par sa volonté délibérée, conformément à ce qui est écrit : « Là où je te trouverai, c'est-à-dire au moment de la mort, avec cette volonté ou du péché ou de rejet et de regret du péché, là je te jugerai » [1].
Ce jugement est sans rémission puisque après la mort la liberté du libre vouloir n'est plus sujette au changement. Elle reste fixée dans la disposition où elle se trouvait au moment de la mort.
Ceux de l'enfer, pour s'être trouvés à ce moment avec la volonté de pécher, portent sur eux la coulpe et la peine. La coulpe est infinie ; la peine n'est pas aussi grave qu'ils l'ont méritée, mais ils la porteront sans fin.
Au contraire, ceux du purgatoire ont seulement la peine, puisque le péché fut effacé au moment de la mort, car ils étaient contrits de leurs fautes et se repentaient d'avoir offensé la bonté de Dieu. Aussi leur peine aura sa fin, elle va diminuant sans cesse dans le temps, comme il a été dit.
O misère au-delà de toute misère et d'autant plus lamentable que les hommes aveugles n'y pensent pas !
5. Dieu montre sa bonté même envers les damnés
Ce châtiment des damnés n'est pas infini en quantité. La raison en est que la douce bonté divine étend le rayon de sa miséricorde jusqu'en enfer.
En effet, l'homme décédé en état de péché mortel mérite un châtiment infini et pour un temps infini. Mais la miséricorde de Dieu a disposé que seul le temps serait sans fin, et les peines limitées en quantité. En toute justice il aurait pu leur infliger une peine plus grande qu'il ne fait.
Oh ! quel est le danger du péché commis par mauvais vouloir ! C'est à grand-peine que l'homme s'en repent, et tant qu'il n'en a pas de repentir, le péché demeure et ce péché continue aussi longtemps que l'homme reste dans la volonté du péché qu'il a commis ou dans celle de le commettre.
6. Purifiées du péché, c'est avec joie que les âmes du purgatoire s'acquittent de leurs peines
Mais les âmes du purgatoire tiennent leur volonté en tout conforme à celle de Dieu. En conséquence, Dieu s'accorde avec elles dans sa bonté et elles demeurent contentes (quant à leur volonté) et purifiées de la coulpe du péché actuel.
Ces âmes sont rendues aussi pures que Dieu les a créées. Quand elles sortent de cette vie contrites de tous les péchés qu'elles ont commis, les ayant confessés et animées de la volonté de ne plus les commettre, Dieu les absout aussitôt de leur coulpe et il ne reste plus en elles que la rouille du péché. Elles s'en purifient ensuite dans le feu par la souffrance.
Ainsi purifiées de toute coulpe et unies à Dieu par leur volonté, elles voient Dieu clairement, selon le degré de connaissance qu'il leur accorde, elles voient aussi de quelle valeur il est de jouir de Dieu et que les âmes sont créées précisément pour cela.
7. De quel violent amour les âmes du purgatoire aspirent à jouir de Dieu. Exemple du pain et de l'affamé
Elles éprouvent de plus en plus une conformité si unifiante à leur Dieu, cette conformité les tire vers lui avec une si grande force par l'instinct de nature qui existe entre Dieu et l'âme qu'on ne peut donner aucun raisonnement, aucune comparaison, aucun exemple qui puisse expliquer assez cette chose au degré où l'âme la ressent dans son opération en elle et par son expérience intime. J'en donnerai cependant un exemple qui se présente à mon esprit.
Supposons qu'il n'y eût dans le monde entier qu'un seul pain pour enlever la faim à toute créature ; supposons de plus que rien qu'à voir ce pain les hommes en seraient rassasiés.
Étant donné que l'homme, à moins d'être malade, a l'instinct naturel de manger, s'il vient à ne plus manger, tout en étant préservé de maladie et de mort, sa faim grandirait continuellement puisque son instinct de manger ne diminuerait jamais.
Il sait que ce pain est seul capable de le rassasier; s'il ne peut l'avoir sa faim ne s'en ira pas, il restera dans un tourment intolérable. Plus il s'en approche sans arriver cependant à le voir, plus aussi s'allume le désir naturel que son instinct ramasse tout entier sur le pain en quoi se trouve tout contentement.
S'il savait avec certitude que jamais il ne lui sera donné de voir ce pain, à ce moment l'enfer s'accomplirait pour lui ; il serait dans l'état des âmes damnées qui sont privées de toute espérance d'arriver jamais à voir le pain qui est Dieu leur vrai Sauveur.
Mais les âmes du purgatoire ont l'espérance de contempler le pain et de s'en rassasier pleinement. Par suite, elles souffrent la faim et restent dans leur tourment aussi longtemps qu'elles sont retenues de se rassasier de ce pain, Jésus-Christ, vrai Dieu Sauveur, notre Amour.
8. L'enfer et le purgatoire font connaître l'admirable sagesse de Dieu
De même que l'esprit net et purifié ne se connaît aucun lieu de repos sinon Dieu même puisqu'il a été créé à cette fin, de même l'âme pécheresse n'a de place nulle part sinon en enfer puisque Dieu le lui a destiné pour sa fin.
C'est pourquoi au moment même où l'esprit est séparé du corps, l'âme se rend au lieu qui lui est destiné, sans autre guide que la nature même de son péché, au cas où l'âme se détache du corps en état de péché mortel.
Si l'âme ne trouvait pas à ce moment même cette destination qui procède de la justice divine, elle serait dans un enfer pire que l'enfer même. La raison en est que l'âme se trouverait hors de cette disposition divine qui n'est pas sans une part de miséricorde, puisque la peine infligée n' est pas aussi grande qu'elle le mérite. Aussi l'âme, ne trouvant aucun lieu qui lui convienne davantage, ni lui soit moins douloureux, Dieu l'ayant disposé ainsi, elle se jette d'elle-même en enfer puisque c'est sa place.
Il en est de même du purgatoire dont nous parlons. Séparée du corps, l'âme qui ne se trouve pas dans cette netteté dans laquelle Dieu l'a créée, voyant en elle l'obstacle qui la retient et sachant qu'il ne peut être enlevé que par le moyen du purgatoire, elle s'y jette aussitôt et de grand cœur.
Si elle ne découvrait ce moyen disposé par Dieu pour la débarrasser de cet empêchement, à l'instant se formerait en elle un enfer pire que le purgatoire, parce qu'elle se verrait empêchée d'atteindre sa fin qui est Dieu. Cela est pour elle d'une telle importance qu'en comparaison le purgatoire est comme rien, quoique, comme il a été dit, le purgatoire est semblable à l'enfer. Mais c'est en comparaison qu'il est comme rien.
9. Nécessité du purgatoire
J'ajoute encore ceci que je vois. De la part de Dieu, le paradis est ouvert, y entre qui veut. C'est que Dieu est toute miséricorde, il reste tourné vers nous, les bras ouverts pour nous recevoir dans sa gloire.
Mais je vois d'autre part comment cette divine essence est d'une telle pureté et netteté, au-delà de tout ce qu'on pourrait imaginer, que l'âme qui aurait en soi une imperfection aussi légère qu'un fétu minuscule, se jetterait en mille enfers plutôt que de se trouver avec cette tache en présence de la majesté divine.
Aussi, voyant que le purgatoire a été fait pour lui enlever ces taches, elle s'y jette. Elle voit que c'est là une grande miséricorde pour elle que ce moyen d'enlever cet empêchement.
10. Comme le purgatoire est chose terrible
De quelle gravité est le purgatoire, ni la langue ne le peut expliquer, ni l'esprit le saisir. Je ne vois que ceci: que les tourments y égalent ceux de l'enfer. Néanmoins, je vois que l'âme qui découvre la moindre tache d'imperfection le reçoit, selon ce qui a été dit, comme un bienfait qui lui est accordé.
Dans un certain sens, elle le tient pour rien en comparaison de cette tache qui arrête son amour.
Je vois aussi que le tourment des âmes du purgatoire consiste bien davantage en ceci qu'elles voient en elles quelque chose qui déplaît à Dieu et qu'elles l'ont contracté volontairement en agissant contre une si grande bonté, plutôt que dans nul autre tourment qu'elles ressentent en purgatoire.
C'est qu'étant dans la grâce divine elles voient la réalité et l'importance de cet empêchement qui ne leur permet pas d'approcher de Dieu.
Tout ce qu'on vient de dire, qu'est-ce en comparaison des évidences qui me sont données dans mon esprit (pour autant que j'en ai pu concevoir dans cette vie) ?
Devant de telles extrémités, toute vue, toute parole, tout sentiment, toute imagination, toute justice, toute vérité, tout cela n'est pour moi que tromperies et choses de néant
Je reste confuse, faute de pouvoir trouver des expressions plus fortes.
11. L'amour de Dieu qui attire les âmes saintes et l'empêchement qu'elles trouvent dans le péché sont les causes des tourments du purgatoire
Je vois entre Dieu et l'âme une incroyable conformité. Lorsqu'il la voit dans cette pureté où sa majesté l'a créée, il lui donne une certaine force d'attraction faite d'amour brûlant, capable de la réduire au néant, tout immortelle qu'elle soit.
Il la met dans un état de si parfaite transformation en lui son Dieu, qu'elle se voit n'être plus autre chose que Dieu. Il la tire continuellement à lui, il l'embrasse, il ne la laisse pas jusqu'à ce qu'il l'ait menée à cet être divin dont elle procède, c'est-à-dire à cette pureté dans laquelle il l'a créée.
L'âme se voit, par une vue intérieure, ainsi tirée par Dieu avec un tel feu d'amour. Alors, sous l'ardeur de cet amour embrasé de son doux Seigneur et Dieu qu'elle sent rejaillir en son esprit, elle se liquéfie tout entière.
A la lumière divine, elle voit comment Dieu ne cesse pas un instant de la tirer vers lui pour la conduire à son entière perfection. Il y met un soin extrême, une continuelle sollicitude ; en tout cela Dieu n'agit que par un pur amour. Mais elle-même, par cet obstacle de péché qui subsiste en elle, se trouve empêchée de se livrer à ce divin attrait, c'est-à-dire à ce regard unitif que Dieu lui a donné pour qu'elle soit tirée à lui.
Elle voit aussi combien lui est douloureux ce retardement qui la retient de contempler la divine lumière. S'y ajoute l'instinct de l'âme impatiente d'être libérée de cet empêchement, attirée qu'elle est par ce regard unitif.
Je dis que tout cela et la vue qu'en ont les âmes, est ce qui engendre en elle la peine du purgatoire.
De cette peine, si grande qu'elle soit cependant elle ne tiennent pas compte. Elles s'occupent bien davantage de l'opposition qu'elles ont à la volonté de Dieu.
Elles le voient brûler pour elles d'un extrême et pur amour. Cet amour, avec son regard unitif, les tire à soi avec une puissance extrême et sans arrêt, comme s'il n'avait autre chose à faire.
C'est au point que si l'âme pouvait découvrir un autre purgatoire plus fort que celui où elle se trouve, elle s'y jetterait aussitôt pour se débarrasser plus vite de cet empêchement. Tant est violent l'amour de conformité entre Dieu et l'âme.
12. Comment Dieu purifie les âmes Exemple de l'or dans le creuset
De ce divin Amour, je vois jaillir vers l'âme certains rayons et flammes brûlantes, si pénétrants et si forts qu'ils sembleraient capables de réduire au néant non seulement le corps, mais l'âme elle- même s'il était possible.
Ces rayons opèrent de deux manières : l'une est de purifier, l'autre d'anéantir.
Vois l'or. A mesure que tu le fonds, à mesure il s'améliore. Tu pourrais le fondre au point de détruire en lui toute imperfection.
Tel est l'effet du feu dans les choses matérielles. Il y a cette différence que l'âme ne peut s'anéantir en Dieu, mais uniquement dans son être propre. Plus tu la purifies, plus aussi elle s'anéantit en elle-même et pour finir elle est toute purifiée en Dieu.
L'or, quand il est purifié à vingt-quatre carats ne se consume plus, quel que soit le feu par où tu le ferais passer. Ce qui peut être consumé en lui, ce n'est que sa propre imperfection.
Ainsi opère dans l'âme le feu divin. Dieu la maintient dans le feu jusqu'à ce que toute imperfection soit consumée. Il la conduit à la pureté totale de vingt-quatre carats, chaque âme cependant selon son degré. Quand elle est purifiée elle reste tout entière en Dieu, sans rien en elle qui lui soit propre, et son être est Dieu.
Une fois que Dieu a ramené à lui l'âme ainsi purifiée, alors celle-ci est mise hors d'état de souffrir encore, puisqu'il ne lui reste plus rien à consumer. Supposé que dans cet état de pureté on la tienne dans le feu, elle n'en sentirait nulle souffrance. Ce feu ne serait autre chose que celui du divin amour de la vie éternelle, sans rien de pénible.
13. Les âmes ont un désir ardent de se transformer en Dieu. Sagesse de Dieu qui leur tient cachées leurs imperfections
L'âme a été créée munie de toutes les bonnes dispositions dont elle est capable, pour la mettre à même d'atteindre sa perfection, à condition qu'elle vive comme Dieu l'ordonne sans se souiller d'aucune tache de péché.
Mais elle s'est contaminée par le péché originel qui lui fait perdre ses dons de grâce. Elle est morte, elle ne peut ressusciter sinon par Dieu. Quand elle renaît par le baptême, il lui reste l'inclination au mal ; cette inclination la conduit, si elle n' y résiste pas, au péché actuel, par quoi elle meurt de nouveau.
Une nouvelle fois, Dieu lui rend la vie. C'est une grâce toute particulière qu'il lui fait, car elle est salie et tournée vers elle-même. Pour la ramener à son premier état telle que Dieu l'a créée, elle a besoin de ces opérations divines, faute desquelles il lui serait à jamais impossible de se tourner de nouveau vers Dieu.
Quand l'âme se met en route pour retourner à son premier état, si grande est l'ardeur qui la presse de se transformer en Dieu que c'est là son purgatoire. Elle ne regarde pas ce purgatoire comme un purgatoire, mais cet instinct brûlant et entravé constitue son purgatoire.
Ce dernier acte d'amour accomplit son oeuvre, sans que l'homme y ait part.
Il y a dans l'âme tant d'imperfections cachées qu'elle désespérerait s'il lui était donné de les voir. Ce dernier état les consume toutes.
Après qu'elles sont consumées, Dieu les découvre à l'âme pour qu'elle reconnaisse l’œuvre divine accomplie en elle par le feu d'amour. C'est lui qui a consumé en elle toutes ces imperfection qui doivent l'être.
14. Joie et douleur de l'âme du purgatoire
Sache ceci : la perfection que l'homme croit constater en lui n'est pour Dieu que défaut.
En effet, tout ce que l'homme accomplit sous couleur de perfection, toute connaissance, tout sentiment, tout vouloir tout souvenir, dès qu'il ne le fait pas remonter à Dieu, tout cela l'infecte et le souille.
Pour que ces actes soient parfaits, il est nécessaire qu'il soient faits en nous sans nous, sans que nous en soyons le premier agent, et que l'opération de Dieu soit faite en Dieu sans que l'homme en soit la cause principale.
Ces actes seuls sont parfaits, que Dieu accomplit et achève dans son amour pur et net, sans mérite de notre part. Ils pénètrent l'âme si profondément et l'embrasent à tel point que le corps où elle se trouve se sent brûler comme s'il était dans un grand brasier qui ne s'éteindra pas avant la mort.
Il est vrai, comme je le vois, que l'amour qui procède de Dieu et rejaillit dans l'âme cause en elle un contentement inexprimable ; mais ce contentement n'enlève pas une étincelle de leur peine aux âmes du purgatoire.
Donc, cet amour qui se trouve entravé, c'est lui qui constitue leur souffrance. Cette souffrance est d'autant plus grande que plus grande est la capacité d'amour et de perfection que Dieu a donné à chacune.
Ainsi les âmes du purgatoire ont tout ensemble une joie extrême et une extrême souffrance sans que l'une soit un obstacle pour l'autre.
15. Les âmes du purgatoire sont hors d'état de pouvoir mériter encore. Comment leur volonté est disposée à l'égard des bonnes oeuvres offertes ici-bas en suffrage pour elles
S'il était donné aux âmes du purgatoire de se purifier par la contrition, en un instant elles acquitteraient leur dette entière, tant serait brûlante l'impétuosité de leur contrition. Car elles voient clairement la gravité de cet empêchement qui les retient de s'unir à Dieu, leur fin et leur amour.
Tiens pour certain que dans ce paiement, elles ne sont quittes d'un seul denier, la justice de Dieu l'ayant ainsi déterminé. Ceci vaut du côté de Dieu.
Du côté de l'âme, elles n'ont plus aucun choix personnel, aucun regard sur elles-mêmes, sans vouloir considérer autre chose que la volonté de Dieu ; elles sont ainsi établies.
Si quelqu'un en ce monde fait une aumône à leur intention et qu'ainsi la durée de leur peine soit diminuée, elles ne peuvent se retourner pour en prendre connaissance et s'y attacher. Elles abandonnent tout à l'exacte balance de la volonté divine, elles laissent Dieu tout régler à lui seul, qu'il se paie comme il plaît à sa bonté infinie.
S'il leur arrivait de penser à ces aumônes en dehors de la volonté divine, ce serait un retour sur elles-mêmes, elles perdraient de ce fait la vue de ce divin vouloir et cela serait pour elles un enfer.
C'est pourquoi ces âmes restent attachées à tout ce que Dieu accomplit en elles, que ce soit plaisir et contentement ou que ce soit souffrance. Elles ne peuvent plus se retourner sur elles-mêmes, transformées qu'elles sont totalement dans la volonté de Dieu et contentes de ce qu'il décide dans son infinie sainteté.
16. Ces âmes veulent être pleinement purifiées
Si une âme était présentée aux regards divins ayant encore quelque chose à purger, ce serait lui faire une grande injure, ce serait pour elle un tourment pire que dix purgatoires.
La raison en est que ce serait pour la pure bonté et la souveraine justice de Dieu une chose intolérable. De son côté, l'âme verrait qu'elle n'a pas encore pleinement satisfait à Dieu. Ne manquerait-il qu'un clin d’œil de purification, ce serait pour elle aussi chose intolérable.
Pour enlever ce rien de rouille, elle irait dans mille enfers (supposé qu'il lui fût accordé de choisir) plutôt que de se trouver face à la présence divine sans être totalement purifiée.
17. Exhortations et reproches aux vivants
Éclairée sur toutes ces choses à la lumière divine, cette âme bénie disait :
Il me vient une envie de crier avec une telle force que sur la Terre tous les hommes en seraient épouvantés. Je leur dirais : malheureux, pourquoi vous laissez-vous aveugler à ce point par le monde ? A cette nécessité si pressante où vous vous trouverez au moment de la mort, vous n'avez aucun souci de vous préparer !
Vous vous abritez tous sous l'espérance de la miséricorde divine. Elle est si grande, dites-vous. Mais vous ne voyez pas que cette bonté de Dieu tournera à votre condamnation puisque c'est contre la volonté d'un si bon maître que vous aurez agi.
[= “je n'ai pas à m'en faire car Dieu est bon, il est miséricordieux, il me pardonnera tous mes péchés avant que je le lui demande” se transformera en : “comment ai-je pu tant haïr, tant commettre de péchés contre ce Jésus si incroyablement bon et doux, je suis épouvantablement coupable, je ne mérite aucun pardon, je préfère fuir la présence de cet agneau innocent que j'ai moi-même torturé et crucifié à mort par mes péchés”, c'est maintenant qu'il faut lui dire : “je te (vous) demande pardon pour le mal que je (vous) t'ai fait, j'ai confiance en ta miséricorde, viens à mon secours, donne-moi la force de commencer une vie nouvelle dans ta grâce”, ce n'est que par pur miracle que certains arrivent à changer de volonté et à vouloir, aux abords de la mort, fuir les péchés qu'ils chérissaient pendant leur vie. Les miracles existent mais ils ne sont pas la règle générale, ils sont l'exception.]
Sa bonté devrait au contraire vous forcer à faire sa volonté tout entière et non pas vous porter à la présomption de faire le mal.
Sa justice ne peut être frustrée, il faut de toute façon qu'elle soit pleinement satisfaite.
Ne t'encourage pas en te disant : je me confesserai, j'aurai ensuite l'indulgence plénière, je serai d'un seul coup purgé de tous mes péchés, et ainsi je serai sauvé.
Prends garde que la confession et la contrition, requises pour l'indulgence plénière, sont bien difficiles à réaliser. Si tu en avais conscience, tu tremblerais de terreur ; tu serais plus assuré de ne l'avoir pas que de l'avoir.
18. Au purgatoire, les âmes souffrent volontiers et dans la joie
Au purgatoire, je vois les âmes souffrir avec la vue de deux opérations.
La première, c'est qu'elles souffrent de très bon cœur leurs peines. Elles se rendent compte que Dieu leur fait grande miséricorde, considérant le châtiment qu'elles ont mérité, sachant aussi à quel point il leur est nécessaire. Si la bonté divine n'avait tempéré sa justice par sa miséricorde (payant pour elles par le précieux sang de Jésus-Christ), un seul péché mériterait mille enfers éternels.
Aussi subissent-elles de si grand cœur leurs peines qu'elles ne voudraient en retirer un seul carat. Elles savent que ces peines elles les ont méritées en toute justice et qu'elles sont parfaitement réglées. Par suite, elles ne se plaignent pas plus de Dieu (quant à la volonté) que si elles étaient dans la vie éternelle.
L'autre opération est un contentement qu'elles éprouvent à voir comment Dieu agit envers elles, avec quel amour et quelle miséricorde.
Ces deux vues, Dieu les imprime en elles instantanément. Puisqu'elles sont en état de grâce, elles saisissent et comprennent à la mesure de leur capacité. Elles en éprouvent une immense joie, qui ne leur manquera plus ; au contraire, elle ira toujours croissant au fur et à mesure qu'elles s'approchent davantage de Dieu.
Ces âmes ne voient point cela en elles-mêmes ni par elles-mêmes ni comme quelque chose qui serait à elles, mais seulement en Dieu.
Elles s'occupent intensément de lui beaucoup plus que de leurs peines, elles tiennent celles-ci pour rien en comparaison de lui.
La moindre vues qu'on puisse avoir de Dieu surpasse toute peine et toute joie que l'homme puisse avoir mais sans leur enlever une étincelle ni de joie ni de peine.
19. La sainte conclut son exposé sur les âmes du purgatoire en leur attribuant ce qu'elle ressent dans son âme
Cette forme de purification que je vois appliquée aux âmes du purgatoire, je l'éprouve dans mon esprit, surtout depuis deux ans. De jour en jour je la ressens et la vois plus clairement.
Mon âme, à ce que je vois, est dans ce corps comme dans un purgatoire, mais à la mesure réduite que le corps peut supporter, pour éviter qu'il ne meure. Néanmoins cela s'aggrave peu à peu, jusqu'à ce qu'enfin mort s'ensuive.
Je vois l'esprit rendu étranger à toute chose, même d'ordre spirituel, où il pourrait trouver quelque aliment, comme serait joie, plaisir, consolation. Il est hors d'état de prendre goût à quelque chose que ce soit, temporelle ou spirituelle, ni par la volonté, ni par l'entendement, ni par la mémoire. Il m'est devenu impossible de dire : je prends plus plaisir à ceci qu'à cela.
Mon intérieur est assiégé. De toute chose qui portait rafraîchissement à sa vie spirituelle et corporelle il a été dépouillé petit à petit. Chaque fois qu'une de ces choses lui est enlevée il reconnaît qu'elle était de nature à lui donner aliment et réconfort. Aussitôt que l'esprit en prend conscience, il les prend en haine et en abomination et elles s'en vont sans aucun remède.
La raison en est que l'esprit porte en soi l'instinct de se débarrasser de toute chose qui puisse faire obstacle à sa perfection. Il s'y acharne au point qu'il irait presque jusqu'à se laisser mettre en enfer pour atteindre à son but.
Il va rejetant toute chose dont l'homme intérieur pourrait se nourrir, il l'investit de façon si subtile que ne peut passer le moindre fétu d'imperfection sans qu'il ne l'aperçoive et ne le prenne en horreur.
Quant à la partie extérieure, puisque l'esprit n'a plus de correspondance avec elle, elle aussi est assiégée étroitement; il lui devient impossible de se rafraîchir au gré de son instinct humain.
Il ne lui reste d'autre soutien que Dieu. C'est lui qui opère tout cela par amour et avec grande miséricorde pour satisfaire à sa justice.
Cette vue donne à l'esprit grande paix et contentement. Mais ce contentement ne diminue en rien la souffrance ni la compression qu'il subit. Jamais la souffrance ne pourrait devenir cruelle au point qu'il puisse désirer de se dégager de ce que Dieu dispose à son sujet. Il ne sort pas de sa prison, il ne cherche pas à en sortir, tant que Dieu n'aura pas accompli en lui tout ce qui est nécessaire. Ce qui me contente c'est que Dieu soit satisfait. Il n'y aurait pas pour moi de souffrance pire que de m'écarter des desseins de Dieu sur moi, tant j'y vois de justice et de miséricorde.
Tout ce qui vient d'être dit, je le vois, je le touche, mais je n'arrive pas à trouver d'expressions satisfaisantes pour le dire comme je voudrais. Ce que j'en ai dit, je le sens s'opérer en moi spirituellement et c'est pour cela que je l'ai dit.
La prison dans laquelle je me vois, c'est le monde ; la chaîne, c'est le corps. L'âme illuminée par la grâce, c'est elle qui connaît l'importance d'être retenue ou retardée d'atteindre sa fin, par quelque empêchement que ce soit. Cela lui cause une peine extrême, car elle est d'une sensibilité aiguë.
De plus, cette âme reçoit de Dieu une certaine dignité qui la rend semblable à Dieu même. Il la fait une même chose avec lui en la rendant participante de sa bonté.
Et comme il est impossible qu'une peine quelconque atteigne Dieu, ainsi en advient-il des âmes qui s'approchent de lui. Plus elles s'approchent, plus aussi elles reçoivent de ce qui est propre à la divinité.
Par suite, le retardement qui atteint l'âme lui cause une souffrance intolérable. Cette souffrance et ce retard la rendent dissemblable de ces propriétés qu'elle avait de nature, et que la grâce lui montre ; elle est empêchée d'y atteindre, alors qu'elle y est apte, et cela lui cause une souffrance très grande, à la mesure de l'estime qu'elle a de Dieu.
Mieux elle le connaît, plus elle l'estime ; plus elle est dégagée du péché, mieux elle le connaît. A mesure aussi, l'empêchement lui devient plus terrible d'autant plus que l'âme est toute recueillie en Dieu et rien ne l'empêche de le connaître sans aucune erreur.
L'homme qui est prêt à se laisser tuer plutôt que d'offenser Dieu ressent la mort et en éprouve toute la peine. Mais dans le zèle que lui donne la lumière divine, il place l'honneur de Dieu au-dessus de la mort.
Ainsi l'âme qui connaît les desseins de Dieu en fait plus de cas que de toute torture intérieure ou extérieure, si grande qu'elle soit. C'est que Dieu qui opère en elle ces choses dépasse tout ce qu'on peut en ressentir ou imaginer.
L'occupation, pour faible qu'elle soit, que Dieu donne de lui-même à une âme l'absorbe en lui au point qu'elle ne peut tenir compte de rien d'autre. Par suite elle perd tout retour sur soi, elle ne voit plus rien en elle-même, ni dommage ni peine, elle n'en parle pas, elle n'en sait plus rien. Un instant seulement elle en a connaissance, comme il a été dit, au moment qu'elle sort de cette vie.
Finalement, tirons cette conclusion: Dieu fait perdre à l'homme tout ce qui est de l'homme, et le purgatoire le purifie.
FIN DU TRAITÉ
[1] Ce texte n'est pas dans l'Écriture Sainte ; ce pourrait être une accommodation d'Ézéchiel, 24,14.
A suivre...
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Re: Sainte Catherine de Gênes
CHAPITRE I
Aperçu Historique
La sainte dont nous écrivons la biographie naquit, vécut et mourut à Gênes; elle a été l'une des plus grandes gloires de cette ville célèbre. Les noms qu'elle a portés comptent parmi les plus illustres de la République, et ont joué un rôle immense dans les annales génoises; on les y retrouve, pour ainsi dire, à chaque page. Ces noms fameux, le retentissement qu'ils ont eu pendant plusieurs siècles, et le contraste qu'ils forment avec la vie toute cachée en Dieu à laquelle se voua Catherine, nous ont décidé à placer, en tête de la biographie de la sainte, le court aperçu historique qu'on va lire. La connaissance de la position qu'elle était destinée à occuper dans le monde fera ressortir davantage la grandeur de son humilité, comme de la bassesse et de la pauvreté auxquelles elle s'est condamnée.
Entrons maintenant en matière. La plupart des auteurs fixent la fondation de Gênes, par les Liguriens, à l'année 707 avant Jésus-Christ; elle fut conquise par les Romains et incorporée à la Gaule-Cisalpine vers l'an 222, Magon, frère d'Annibal, la détruisit, en 205, pendant la seconde guerre punique. Les Romains la relevèrent trois ans plus tard, et sous les empereurs, elle devint une ville municipale. Après la chute de l'empire, Gênes appartint successivement aux Hérules, aux Ostrogoths, aux exarques grecs, aux Lombards et à Charlemagne. Elle se rendit indépendante sous les successeurs de ce prince, au commencement du dixième siècle, et se donna des consuls. Les Génois, destinés à jouer bientôt un rôle si important, formaient alors une simple association de mariniers, établie sur le littoral et pierreux que baigne le golfe de Ligurie.
Navigateurs et commerçants hardis, ils ne tardent pas à devenir riches et puissants; dès le onzième siècle, ils entreprennent de lointaines expéditions, transportent en Judée les pèlerins de la Terre-Sainte, et tiennent en respect les pirates sarrasins. Pendant les croisades, ils se montrent à la fois guerriers intrépides et marchands habiles; ne perdant jamais de vue les intérêts de leur commerce, ils se ménagent le trafic avec les infidèles de l'Égypte et de la Mauritanie; leur puissance est respectée et redoutée de tous les peuples qui habitent les côtes de la Méditerranée.
L'empire de cette mer est disputé tour à tour par les Pisans, leurs premiers rivaux, et par les Vénitiens; mais Gênes la superbe tient énergiquement tête à ses adversaire; et, malgré des guerres incessantes, son pouvoir et ses richesses prennent de prodigieux accroissements. Elle forment de nombreux établissements en Corse, en Sardaigne, en Sicile, en Espagne, en Syrie, dans l'Archipel et dans tous le Levant. Ses colonies régies par des consuls, dorées de franchises et de privilèges, brillent d'un éclat extraordinaire.
Mais les Génois, maîtres de la mer, redoutés en Orient, et qui ont déjà promené leurs armes victorieuses depuis les côtes de l'Espagne jusqu'au fond du Pont-Euxin, sont encore réduits chez eux à l'enceinte de leurs murailles; ils ne possèdent pas même les deux rivières du Ponant et du Levant, qui constitueront plus tard le territoire de la République. Au douzième siècle, Gênes commence enfin à soumettre ses plus proches voisins et les force à reconnaître son autorité. Elle dévaste les domaines des comtes de Lavagne, qui touchent le sol génois, parce que ces seigneurs sont soupçonnés d'entretenir des intelligences avec Pise; elle bâtit le fort de Rivarola, pour dominer les possessions des comtes, et les oblige à lui prêter le serment de fidélité. Quelques membres de cette noble race, qu'Augustin Justiniani fait descendre des anciens princes de Bavière, viennent alors à Gênes en qualité d'otages; il y restent et y obtiennent le droit de bourgeoisie. Cinquante ans plus tard, on trouve la famille divisée en plusieurs branches, dont les unes sont établies à Lavagne, les autres à Gênes sous le nom de Fieschi (en latin Flisci ). Sainte Catherine, dont nous écrivons l'histoire, sort de cette souche. Vers ce temps, une noblesse domestique et municipale se forme dans la ville et arrive promptement à une très haute illustration.
Les descendants des familles qui ont occupé les principales charges dans la magistrature urbaine prennent la qualité de nobles; les fils commencent à succéder aux emplois et aux commandements des pères; l'aristocratie remplace le régime démocratique qui, jusqu'alors avait été seul en vigueur. La politique génoise, purement mercantile, et n'ayant en vue que l'intérêt particulier, tient la République dans une sorte d'isolement, et, pendant longtemps, ne lui permet pas de jouer un rôle très marqué parmi les cités italiques. Elle cherche à se soustraire à l'avidité et aux exigences des empereurs allemands, tout en s'efforçant de demeurer à l'écart dans la grande lutte d'indépendance des villes lombardes. Adonnée presque exclusivement à son commerce, elle réussit, même après l'issue malheureuse de la croisade de 1189, et lorsque le royaume de Jérusalem n'existe plus que de nom, à continuer son trafic avec les villes de la Syrie soumises à Saladin. Les marchands génois pénètrent jusqu'à Alep et à Damas; jamais la guerre n'interrompit leur négoce; ils font des traités avec les rois maures du Maroc, de Valence et des îles Baléares; avec l'Egypte (en 1200); enfin avec les princes chrétiens de la Petite-Arménie. Cependant les factions guelfe et gibeline finissent par se dessiner également dans la ville de Gênes. Les deux partis y ont de nombreux adhérents; alternativement victorieux et vaincus ils s'excluent et s'exilent réciproquement, tiennent la République dans une agitation continuelle, et changent fréquemment la forme du gouvernement, le nom et les attributions de ceux auxquels ils confient le pouvoir. Les Spinola et les Doria sont les chefs des Gibelins; les Grimaldi et les Fieschi sont à la tête des Guelfes. Mais, au milieu des désordres et des incessantes révolutions qui ensanglantent souvent ses rues, malgré ses luttes continuelles avec Pise, et surtout avec Venise, sa rivale et son irréconciliable ennemie, Gênes étend de plus en plus sa puissance au dehors, et ses relations avec le Levant prennent de prodigieux accroissements. Michel-Paléologue, successeur des empereurs grecs réfugiés à Nicée, rentre à Constantinople en 1261, et met fin à l'empire latin, avec l'assistance des Génois; il leur assigne le faubourg de Galata comme siège principal de leurs colonies.
Vers la même époque, les armateurs de Gênes établissent à Scio, à Mételin, à Ténédos, et dans d'autres lieux de l'Archipel grec, de grandes seigneuries qui forment autant de points d'appui pour les navigateurs de la métropole. Les colons de Galata et de Pera sont les grands fournisseurs de Constantinople; le monopole du commerce de la mer Noire est dans leurs mains; ils contractent des alliances avec les tartares de la Crimée et des embouchures du Tanais; une colonie qu'ils ont établie à Caffa, à l'extrémité de la mer Noire, s'élève à un degré extraordinaire de prospérité et devient l'une des sources principales de la fortune colossale de Gênes. L'essor du commerce de la République ne s'arrête pas même lors de la prise de Ptollémais et de l'expulsion des chrétiens de la Terre-Sainte (1291 ); elle traite avec le Soudan d'Egypte et établit un consul à Alexandrie. Après la fin des croisades, les Génois vont partout où l'on peut trouver des acheteurs et des vendeurs. l'Egypte est alors le marché principal pour les productions de l'Inde; ils prennent en secret la route de la Perse, afin d'éviter le monopole fiscal du soudan. Maître de la mer Noire, ils ouvrent un négoce immense à Tana, sur la mer d'Azoff; les produits de l'Asie viennent y affluer. Ils entretiennent aussi des relations suivies avec le midi de la France, et y établissent des consuls et des comptoirs. Plus hardis que leurs rivaux, ils s'aventurent même sur l'Océan, et, dès le commencement du quatorzième siècle, ils transportent de grands approvisionnements de blé en Angleterre. La République parvient ainsi à une opulence extraordinaire; son commerce brille du plus grand éclat pendant plusieurs siècles. Il commence à baisser après la découverte de l'Amérique et la circumnavigation du cap de Bonne-Espérance. La prise de Constantinople, par Mahomet II, et la perte des colonies de la mer Noire, qui en est la conséquence, lui portent le coup le plus funeste. Prospère au dehors, Gênes continue, pendant toute la période sur laquelle nous venons de jeter un coup d'oeil, à être en proie aux déchirements intérieurs; les familles rivales se disputent le pouvoir, s'expulsent réciproquement, et les annales de la République présentent une succession non interrompue de sanglantes révolutions. Les guerres avec les villes ennemies, et Gênes est en lutte fréquente avec ses voisins; elle joue son rôle dans tous les troubles qui agitent l'Italie à cette époque. Mêlée aux querelles épouvantables occasionnées par la succession de Sicile, tantôt gibeline, on la voit tour à tour aragonaise et angevine, d'après celle de ses factions qui domine dans le moment. Les riches familles plébéiennes profitent des désordres, pour dominer à leur tour et pour exclure la noblesse de l'exercice des plus hautes fonctions. Une aristocratie nouvelle se forme alors; ses membres jouissent par le fait de tous les avantages et de tous les droits des nobles, mais sans en prendre le titre. Les familles qui composent cette aristocratie plébéienne, et parmi lesquelles brillent en première ligne les Adorne, les Frégose, les Guarea, les Montalte et les Boccanegra, se disputent et se ravissent alternativement le pouvoir tout comme les Doria, les Spinola, les Fieschi et les Grimaldi se l'étaient disputé précédemment. Les Adorne et les Frégose, rivaux irréconciliables, s'efforcent de rendre héréditaire dans leurs maisons la puissance souveraine. Les haines guelfes et gibelines se perpétuent, et les nobles prennent une part active à toutes les querelles, tantôt en cherchant à ressaisir le gouvernement, tantôt en soutenant, la lance et l'épée au poing, les familles populaires de leur parti. Sainte Catherine Fiesca entra, par son mariage, dans celle des Adorne. Cependant les classes inférieures, les artisans et la populace, veulent à leur tour, enlever à l'aristocratie nouvelle le pouvoir que celle-ci a enlevé à la noblesse. Une anarchie épouvantable s'ensuit. Les Génois espèrent se procurer le repos et la sécurité en se plaçant sous la seigneurie d'un prince étranger. Ils se flattent de trouver les maîtres qu'ils se choisissent fidèles à leurs promesses et disposés à respecter la liberté de la République. Ils se donnent successivement à l'Empereur Henri VIII de Luxembourg, à Robert, roi de Naples, à l'archevêque Visconti, duc de Milan, à Charles VII de France, et au marquis de Montferrat. Ils rétablissent à plusieurs reprises les seigneuries des rois de France et des ducs de Milan; mais toutes ces expériences leur prouvent simplement l'impossibilité de concilier la forme républicaine avec la domination d'un prince étranger; chaque seigneurie nouvelle a pour prompte conséquence une nouvelle révolution et de nouveaux conflits. Ce fut bien plus tard seulement que la République, fatiguée de désordres, puissante encore, quoique déchue de son antique splendeur, humiliée par Venise après des luttes séculaires, et dépouillée de ses plus riches colonies, arriva enfin à un gouvernement régulier, par la fusion générale de tous les partis. La sainte dont nous écrivons l'histoire naquit vers le milieu du quinzième siècle, dans un temps fécond en malheurs, peu d'années avant la prise de Constantinople, qui devait porter un coup mortel au commerce de Gênes dans le levant. Les luttes intestines entre les partis des Adorne et des Frégose atteignent alors la plus extrême violence; la République se trouve activement mêlée aux guerres des Angevins et des Aragonais, et aux expéditions en Italie de Charles VIII et de Louis XII; la seigneurie de la ville passe alternativement aux ducs de Milan et aux rois de France, et chaque année pour ainsi dire, voit naître une révolte contre le maître qu'on s'est donné. Les annales de Gênes de cette période renferment, à côté de quelques pages brillantes, l'histoire d'un despotisme sans gloire d'une foule de conjuration, et d'intrigues, et d'une rapide décadence. C'est également pendant la vie de Catherine, que Christophe Colomb, sujet de la République, à laquelle il avait vainement offert ses services, dote la couronne d'Espagne d'un nouveau monde, dont la découverte eut bientôt de si fatales conséquences pour sa patrie. Ce même temps est une époque de deuil et de désolation pour l'Eglise. Le grand schisme avait relâché tous les liens : le désordre était partout. L'année qui voit naître notre sainte voit mourir Eugène IV; et, après le pontificat glorieux de Nicolas V et les règnes de Calixte III, de Pie II (Enéas Sylvius) et de Paul II, commence pour la papauté une époque d'humiliation qui rappelle les jours les plus terribles du dixième siècle. L'impeccabilité n'a pas été promise aux successeurs de saint Pierre; mais si leur vertu a pu faillir, leur foi n'a point subi d'éclipse. Bien plus, au temps dont nous parlons, les pontifes dont la conduite privée a donné lieu à des critiques malveillantes, ont été les seuls, parmi leurs contemporains, à comprendre les vrais intérêts de la Chrétienté! ils se sont efforcés de pousser l'Europe à une croisade contre l'envahissement des Turcs; mais aucun prince ne répondit à leurs appels répétés : absorbés par le présent et par les intérêts d'une ambition mesquine et égoïste, les souverains fermèrent les yeux sur les dangers dont l'avenir les menaçait, et sur les périls que couraient la Pologne et la Hongrie. Pie III, neveu de Pie II, à Alexandre VI; il meurt après un pontificat de quelques jours. Jules II (de la Rovère ) est élu à sa place. Assurer l'indépendance du Saint-Siège et la liberté de l'Italie est la grande pensée qui domine ce pape. Quelque jugement que l'on porte sur ses actes, on ne peut s'empêcher de reconnaître en lui un homme loyal et droit, méprisant la corruption, et supérieur aux faiblesses du népotisme. Les dernières années de la vie de sainte Catherine de Gênes s'écoulent sous le règne de Jules II; vingt mois à peine séparent sa mort de l'ouverture du cinquième concile de Latran (10 mai 1512 ); quelques années plus tard, Léon X monte sur la chaire de saint Pierre et Luther donne le signal de la déplorable révolution religieuse du seizième siècle. Nous connaissons maintenant les lieux et les temps auxquels se rattache l'histoire de notre sainte. Catherine est une de ces âmes d'élite que Dieu donne à la terre dans les époques de malaise et de ténèbres, pour indiquer au pèlerin chrétien la voie que le monde a perdue, et pour lui prouver que le Seigneur veille et poursuit l'oeuvre de la sanctification de l'humanité, même pendant les jours les plus mauvais.
Aperçu Historique
La sainte dont nous écrivons la biographie naquit, vécut et mourut à Gênes; elle a été l'une des plus grandes gloires de cette ville célèbre. Les noms qu'elle a portés comptent parmi les plus illustres de la République, et ont joué un rôle immense dans les annales génoises; on les y retrouve, pour ainsi dire, à chaque page. Ces noms fameux, le retentissement qu'ils ont eu pendant plusieurs siècles, et le contraste qu'ils forment avec la vie toute cachée en Dieu à laquelle se voua Catherine, nous ont décidé à placer, en tête de la biographie de la sainte, le court aperçu historique qu'on va lire. La connaissance de la position qu'elle était destinée à occuper dans le monde fera ressortir davantage la grandeur de son humilité, comme de la bassesse et de la pauvreté auxquelles elle s'est condamnée.
Entrons maintenant en matière. La plupart des auteurs fixent la fondation de Gênes, par les Liguriens, à l'année 707 avant Jésus-Christ; elle fut conquise par les Romains et incorporée à la Gaule-Cisalpine vers l'an 222, Magon, frère d'Annibal, la détruisit, en 205, pendant la seconde guerre punique. Les Romains la relevèrent trois ans plus tard, et sous les empereurs, elle devint une ville municipale. Après la chute de l'empire, Gênes appartint successivement aux Hérules, aux Ostrogoths, aux exarques grecs, aux Lombards et à Charlemagne. Elle se rendit indépendante sous les successeurs de ce prince, au commencement du dixième siècle, et se donna des consuls. Les Génois, destinés à jouer bientôt un rôle si important, formaient alors une simple association de mariniers, établie sur le littoral et pierreux que baigne le golfe de Ligurie.
Navigateurs et commerçants hardis, ils ne tardent pas à devenir riches et puissants; dès le onzième siècle, ils entreprennent de lointaines expéditions, transportent en Judée les pèlerins de la Terre-Sainte, et tiennent en respect les pirates sarrasins. Pendant les croisades, ils se montrent à la fois guerriers intrépides et marchands habiles; ne perdant jamais de vue les intérêts de leur commerce, ils se ménagent le trafic avec les infidèles de l'Égypte et de la Mauritanie; leur puissance est respectée et redoutée de tous les peuples qui habitent les côtes de la Méditerranée.
L'empire de cette mer est disputé tour à tour par les Pisans, leurs premiers rivaux, et par les Vénitiens; mais Gênes la superbe tient énergiquement tête à ses adversaire; et, malgré des guerres incessantes, son pouvoir et ses richesses prennent de prodigieux accroissements. Elle forment de nombreux établissements en Corse, en Sardaigne, en Sicile, en Espagne, en Syrie, dans l'Archipel et dans tous le Levant. Ses colonies régies par des consuls, dorées de franchises et de privilèges, brillent d'un éclat extraordinaire.
Mais les Génois, maîtres de la mer, redoutés en Orient, et qui ont déjà promené leurs armes victorieuses depuis les côtes de l'Espagne jusqu'au fond du Pont-Euxin, sont encore réduits chez eux à l'enceinte de leurs murailles; ils ne possèdent pas même les deux rivières du Ponant et du Levant, qui constitueront plus tard le territoire de la République. Au douzième siècle, Gênes commence enfin à soumettre ses plus proches voisins et les force à reconnaître son autorité. Elle dévaste les domaines des comtes de Lavagne, qui touchent le sol génois, parce que ces seigneurs sont soupçonnés d'entretenir des intelligences avec Pise; elle bâtit le fort de Rivarola, pour dominer les possessions des comtes, et les oblige à lui prêter le serment de fidélité. Quelques membres de cette noble race, qu'Augustin Justiniani fait descendre des anciens princes de Bavière, viennent alors à Gênes en qualité d'otages; il y restent et y obtiennent le droit de bourgeoisie. Cinquante ans plus tard, on trouve la famille divisée en plusieurs branches, dont les unes sont établies à Lavagne, les autres à Gênes sous le nom de Fieschi (en latin Flisci ). Sainte Catherine, dont nous écrivons l'histoire, sort de cette souche. Vers ce temps, une noblesse domestique et municipale se forme dans la ville et arrive promptement à une très haute illustration.
Les descendants des familles qui ont occupé les principales charges dans la magistrature urbaine prennent la qualité de nobles; les fils commencent à succéder aux emplois et aux commandements des pères; l'aristocratie remplace le régime démocratique qui, jusqu'alors avait été seul en vigueur. La politique génoise, purement mercantile, et n'ayant en vue que l'intérêt particulier, tient la République dans une sorte d'isolement, et, pendant longtemps, ne lui permet pas de jouer un rôle très marqué parmi les cités italiques. Elle cherche à se soustraire à l'avidité et aux exigences des empereurs allemands, tout en s'efforçant de demeurer à l'écart dans la grande lutte d'indépendance des villes lombardes. Adonnée presque exclusivement à son commerce, elle réussit, même après l'issue malheureuse de la croisade de 1189, et lorsque le royaume de Jérusalem n'existe plus que de nom, à continuer son trafic avec les villes de la Syrie soumises à Saladin. Les marchands génois pénètrent jusqu'à Alep et à Damas; jamais la guerre n'interrompit leur négoce; ils font des traités avec les rois maures du Maroc, de Valence et des îles Baléares; avec l'Egypte (en 1200); enfin avec les princes chrétiens de la Petite-Arménie. Cependant les factions guelfe et gibeline finissent par se dessiner également dans la ville de Gênes. Les deux partis y ont de nombreux adhérents; alternativement victorieux et vaincus ils s'excluent et s'exilent réciproquement, tiennent la République dans une agitation continuelle, et changent fréquemment la forme du gouvernement, le nom et les attributions de ceux auxquels ils confient le pouvoir. Les Spinola et les Doria sont les chefs des Gibelins; les Grimaldi et les Fieschi sont à la tête des Guelfes. Mais, au milieu des désordres et des incessantes révolutions qui ensanglantent souvent ses rues, malgré ses luttes continuelles avec Pise, et surtout avec Venise, sa rivale et son irréconciliable ennemie, Gênes étend de plus en plus sa puissance au dehors, et ses relations avec le Levant prennent de prodigieux accroissements. Michel-Paléologue, successeur des empereurs grecs réfugiés à Nicée, rentre à Constantinople en 1261, et met fin à l'empire latin, avec l'assistance des Génois; il leur assigne le faubourg de Galata comme siège principal de leurs colonies.
Vers la même époque, les armateurs de Gênes établissent à Scio, à Mételin, à Ténédos, et dans d'autres lieux de l'Archipel grec, de grandes seigneuries qui forment autant de points d'appui pour les navigateurs de la métropole. Les colons de Galata et de Pera sont les grands fournisseurs de Constantinople; le monopole du commerce de la mer Noire est dans leurs mains; ils contractent des alliances avec les tartares de la Crimée et des embouchures du Tanais; une colonie qu'ils ont établie à Caffa, à l'extrémité de la mer Noire, s'élève à un degré extraordinaire de prospérité et devient l'une des sources principales de la fortune colossale de Gênes. L'essor du commerce de la République ne s'arrête pas même lors de la prise de Ptollémais et de l'expulsion des chrétiens de la Terre-Sainte (1291 ); elle traite avec le Soudan d'Egypte et établit un consul à Alexandrie. Après la fin des croisades, les Génois vont partout où l'on peut trouver des acheteurs et des vendeurs. l'Egypte est alors le marché principal pour les productions de l'Inde; ils prennent en secret la route de la Perse, afin d'éviter le monopole fiscal du soudan. Maître de la mer Noire, ils ouvrent un négoce immense à Tana, sur la mer d'Azoff; les produits de l'Asie viennent y affluer. Ils entretiennent aussi des relations suivies avec le midi de la France, et y établissent des consuls et des comptoirs. Plus hardis que leurs rivaux, ils s'aventurent même sur l'Océan, et, dès le commencement du quatorzième siècle, ils transportent de grands approvisionnements de blé en Angleterre. La République parvient ainsi à une opulence extraordinaire; son commerce brille du plus grand éclat pendant plusieurs siècles. Il commence à baisser après la découverte de l'Amérique et la circumnavigation du cap de Bonne-Espérance. La prise de Constantinople, par Mahomet II, et la perte des colonies de la mer Noire, qui en est la conséquence, lui portent le coup le plus funeste. Prospère au dehors, Gênes continue, pendant toute la période sur laquelle nous venons de jeter un coup d'oeil, à être en proie aux déchirements intérieurs; les familles rivales se disputent le pouvoir, s'expulsent réciproquement, et les annales de la République présentent une succession non interrompue de sanglantes révolutions. Les guerres avec les villes ennemies, et Gênes est en lutte fréquente avec ses voisins; elle joue son rôle dans tous les troubles qui agitent l'Italie à cette époque. Mêlée aux querelles épouvantables occasionnées par la succession de Sicile, tantôt gibeline, on la voit tour à tour aragonaise et angevine, d'après celle de ses factions qui domine dans le moment. Les riches familles plébéiennes profitent des désordres, pour dominer à leur tour et pour exclure la noblesse de l'exercice des plus hautes fonctions. Une aristocratie nouvelle se forme alors; ses membres jouissent par le fait de tous les avantages et de tous les droits des nobles, mais sans en prendre le titre. Les familles qui composent cette aristocratie plébéienne, et parmi lesquelles brillent en première ligne les Adorne, les Frégose, les Guarea, les Montalte et les Boccanegra, se disputent et se ravissent alternativement le pouvoir tout comme les Doria, les Spinola, les Fieschi et les Grimaldi se l'étaient disputé précédemment. Les Adorne et les Frégose, rivaux irréconciliables, s'efforcent de rendre héréditaire dans leurs maisons la puissance souveraine. Les haines guelfes et gibelines se perpétuent, et les nobles prennent une part active à toutes les querelles, tantôt en cherchant à ressaisir le gouvernement, tantôt en soutenant, la lance et l'épée au poing, les familles populaires de leur parti. Sainte Catherine Fiesca entra, par son mariage, dans celle des Adorne. Cependant les classes inférieures, les artisans et la populace, veulent à leur tour, enlever à l'aristocratie nouvelle le pouvoir que celle-ci a enlevé à la noblesse. Une anarchie épouvantable s'ensuit. Les Génois espèrent se procurer le repos et la sécurité en se plaçant sous la seigneurie d'un prince étranger. Ils se flattent de trouver les maîtres qu'ils se choisissent fidèles à leurs promesses et disposés à respecter la liberté de la République. Ils se donnent successivement à l'Empereur Henri VIII de Luxembourg, à Robert, roi de Naples, à l'archevêque Visconti, duc de Milan, à Charles VII de France, et au marquis de Montferrat. Ils rétablissent à plusieurs reprises les seigneuries des rois de France et des ducs de Milan; mais toutes ces expériences leur prouvent simplement l'impossibilité de concilier la forme républicaine avec la domination d'un prince étranger; chaque seigneurie nouvelle a pour prompte conséquence une nouvelle révolution et de nouveaux conflits. Ce fut bien plus tard seulement que la République, fatiguée de désordres, puissante encore, quoique déchue de son antique splendeur, humiliée par Venise après des luttes séculaires, et dépouillée de ses plus riches colonies, arriva enfin à un gouvernement régulier, par la fusion générale de tous les partis. La sainte dont nous écrivons l'histoire naquit vers le milieu du quinzième siècle, dans un temps fécond en malheurs, peu d'années avant la prise de Constantinople, qui devait porter un coup mortel au commerce de Gênes dans le levant. Les luttes intestines entre les partis des Adorne et des Frégose atteignent alors la plus extrême violence; la République se trouve activement mêlée aux guerres des Angevins et des Aragonais, et aux expéditions en Italie de Charles VIII et de Louis XII; la seigneurie de la ville passe alternativement aux ducs de Milan et aux rois de France, et chaque année pour ainsi dire, voit naître une révolte contre le maître qu'on s'est donné. Les annales de Gênes de cette période renferment, à côté de quelques pages brillantes, l'histoire d'un despotisme sans gloire d'une foule de conjuration, et d'intrigues, et d'une rapide décadence. C'est également pendant la vie de Catherine, que Christophe Colomb, sujet de la République, à laquelle il avait vainement offert ses services, dote la couronne d'Espagne d'un nouveau monde, dont la découverte eut bientôt de si fatales conséquences pour sa patrie. Ce même temps est une époque de deuil et de désolation pour l'Eglise. Le grand schisme avait relâché tous les liens : le désordre était partout. L'année qui voit naître notre sainte voit mourir Eugène IV; et, après le pontificat glorieux de Nicolas V et les règnes de Calixte III, de Pie II (Enéas Sylvius) et de Paul II, commence pour la papauté une époque d'humiliation qui rappelle les jours les plus terribles du dixième siècle. L'impeccabilité n'a pas été promise aux successeurs de saint Pierre; mais si leur vertu a pu faillir, leur foi n'a point subi d'éclipse. Bien plus, au temps dont nous parlons, les pontifes dont la conduite privée a donné lieu à des critiques malveillantes, ont été les seuls, parmi leurs contemporains, à comprendre les vrais intérêts de la Chrétienté! ils se sont efforcés de pousser l'Europe à une croisade contre l'envahissement des Turcs; mais aucun prince ne répondit à leurs appels répétés : absorbés par le présent et par les intérêts d'une ambition mesquine et égoïste, les souverains fermèrent les yeux sur les dangers dont l'avenir les menaçait, et sur les périls que couraient la Pologne et la Hongrie. Pie III, neveu de Pie II, à Alexandre VI; il meurt après un pontificat de quelques jours. Jules II (de la Rovère ) est élu à sa place. Assurer l'indépendance du Saint-Siège et la liberté de l'Italie est la grande pensée qui domine ce pape. Quelque jugement que l'on porte sur ses actes, on ne peut s'empêcher de reconnaître en lui un homme loyal et droit, méprisant la corruption, et supérieur aux faiblesses du népotisme. Les dernières années de la vie de sainte Catherine de Gênes s'écoulent sous le règne de Jules II; vingt mois à peine séparent sa mort de l'ouverture du cinquième concile de Latran (10 mai 1512 ); quelques années plus tard, Léon X monte sur la chaire de saint Pierre et Luther donne le signal de la déplorable révolution religieuse du seizième siècle. Nous connaissons maintenant les lieux et les temps auxquels se rattache l'histoire de notre sainte. Catherine est une de ces âmes d'élite que Dieu donne à la terre dans les époques de malaise et de ténèbres, pour indiquer au pèlerin chrétien la voie que le monde a perdue, et pour lui prouver que le Seigneur veille et poursuit l'oeuvre de la sanctification de l'humanité, même pendant les jours les plus mauvais.
CHAPITRE II
Détails sur l'enfance et la jeunesse de la sainte.
Catherine naquit à Gênes, vers la fin de l'année 1447; la date précise de sa naissance ne se retrouve nulle part. Elle était fille de Jacques Fiesque, auquel René d'Anjou avait confié la vice-royauté de Naples, et petite-fille de Robert, frère du pape Innocent IV. Un autre membre de la famille Fiesque, qu'Hubert Folietta désigne comme la plus noble de Gênes, ceignit la tiare sous le nom d'Adrien V, et la soeur de ce pape épousa un prince de la maison de Savoie. La famille des Fiesque avait donné déjà à l'Eglise et à l'Etat un grand nombre de cardinaux, de guerriers et de magistrats distingués par la science, l'intrépidité et la capacité. La mère de notre sainte était également d'illustre origine, et se nommait Françoise de Nigro. Catherine avait trois frères, Jacques, Jean et Laurent, et une soeur, nommée Limbania; on croit, mais sans en être sûr, qu'elle était la cadette de sa famille et que Limbania en était l'aînée. Quoi qu'il en soit, la sainte naquit dans la maison paternelle, bâtie sur la place dite du Filo, et elle fut baptisée dans l'église métropolitaine, placée sous l'invocation de saint Laurent. On lui donna le nom de Catherine. Le Père Parpera et quelques-uns de ses biographes se plaisent à supposer que ce fut en l'honneur de sainte Catherine de Sienne, qui était alors en grand renom, ou de sainte Catherine d'Alexandrie, savante et martyre, sous le patronage de laquelle disent-ils, Dieu voulut placer la fille des Fiesque, pour indiquer qu'elle serait un jour elle-même très savante dans la vraie science, et martyre par les flammes de l'amour divin.Les parents de Catherine étaient de pieux et fervents chrétiens; ils élevèrent leur fille dans la crainte et dans l'amour de Dieu. Elle profita de leurs leçons, et déjà dans sa plus tendre enfance elle donna des gages de sa sainteté future. Jamais on ne la vit jouer comme le font ordinairement les enfants; calme et silencieuse, pleine d'innocence et de docilité, elle s'empressait d'obéir au moindre signe de sa mère; une admirable modestie brillait dans son extérieur, et, dès ses plus jeunes ans, sa conduite témoignait de son ardente charité envers Dieu et le prochain. Elle avait à peine atteint sa huitième année lorsque Dieu la favorisa à un degré extraordinaire du don de l'oraison. Le témoignage de ses biographes et de ses contemporains est unanime à cet égard et ce témoignage a été confirmé de la manière la plus solennelle par le pape Clément XII, dans sa bulle de canonisation. La petite Catherine se retirait dans les lieux les plus cachés du palais de son père, pour méditer sur la passion de Notre-Seigneur, et souvent, après l'avoir cherchée pendant longtemps on la trouvait enfin baignée de larmes, et livrée à de sublimes contemplations. Une image représentant Jésus-Christ mort, couché sur le sein de la très sainte Vierge, était suspendue dans la chambre de l'enfant. Catherine sanglotait toutes les fois qu'elle levait les yeux vers ce tableau et, suivant l'un de ses premiers historiens, « on voyait alors, exprimée sur son visage, toute l'amertume des douleurs du Sauveur, et un tremblement extraordinaire s'emparait de ses membres ». Alors aussi un immense désir de partager les souffrances de Jésus-Christ remplit son jeune coeur, que pénétrait la composition la plus tendre et la plus ardente; et dans sa ferveur elle voulut au moins user des moyens qui étaient à sa disposition afin de souffrir avec son bien-aimé et pour lui. Elle commença donc à mener une vie austère et mortifiée : elle s'interdit entièrement l'usage des mets qui flattaient son goût, et tous les soirs elle ôtait le matelas et les draps de son lit pour coucher sur une simple paillasse; un morceau de bois remplaçait son oreiller; elle se retranchait de son sommeil autant qu'il lui était possible. Catherine avait soin de cacher ces austérités aux personnes qui l'entouraient et aux femmes qui la servaient. Lorsqu'elle fut arrivée à l'âge de douze ans, son oraison atteignit un degré encore plus sublime. Elle a fait connaître elle-même l'état dans lequel elle se trouvait alors. Sa disposition était celle de l'abandon le plus parfait à la conduite de Dieu et à la volonté de la Providence envers elle. Elle se sentait entraînée à contempler sans cesse les choses du Ciel, dans lesquelles elle mettait sa joie et ses délices se reconnaissant faite pour elles, elle s'en nourrissait y trouvait son repos, et foulait aux pieds les biens de la terre, qui ne lui inspiraient qu'horreur et dégoût. A cet âge également, les avantages physiques de Catherine excitaient l'admiration de tous ceux qui l'approchaient. Ses contemporains nous font d'elle les portraits les plus charmants. « La beauté extérieure, dit son plus ancien biographe, n'est pour rien dans la sainteté, elle est un don frivole et passager, cependant nous pensons faire plaisir à nos lecteurs en leur dépeignant Catherine telle qu'elle a été dans sa jeunesse. Elle était grande, svelte, et parfaitement bien faite; elle avait la tête bien proportionnée, le visage ovale, les traits d'une régularité admirable, et une chevelure magnifique. De très longs cils noirs voilaient son regard, et son front, élevé et pur, semblait le siège de l'intelligence et de la pensée. En un mot, son extérieur était aussi aimable aux yeux du monde, que son âme était agréable aux yeux de Dieu. Noble, belle et riche, elle possédait tous les biens que l'on envie ici-bas et qui pouvaient l'attacher au siècle ». Mais Catherine était aussi indifférente à la beauté qu'aux autres avantages; les hommages dont elle était l'objet ne lui inspiraient que tristesse et dégoût; elle cherchait à s'y soustraire en vivant le plus possible dans la solitude et en restant étrangère aux conversations mondaines. La pauvreté, la souffrance et l'abjection étaient les objets de tous ses désirs, car elle aspirait à marcher sur les traces du divin Maître, qui en a fait ses compagnes chéries et fidèles durant son pèlerinage ici-bas. Mais, estimée et chérie de tout ce qui l'entourait, notre jeune sainte ne trouvait pas ce qu'elle cherchait. Lorsqu'elle se voyait être traitée comme Dieu traite ceux qu'il aime particulièrement, et passer par le laborieux noviciat de la douleur et de l'humiliation. Cependant son union avec Notre-Seigneur croissait et devenait de plus en plus intime et habituelle, elle ne tenait plus à rien de ce qui est terrestre; ses pensées étaient au ciel, elle éprouvait de l'éloignement et de la répugnance pour tout ce qui n'est pas Dieu et ne conduit pas à lui. Les créatures lui étaient un insupportable fardeau, elle ne se plaisait que dans la présence de Jésus-Christ; l'amour le plus violent l'y tenait comme enchaînée et, suivant l'expression de ses historiens, elle y passait son temps dans les colloques les plus suaves, et dans une telle aliénation de ses sens, qu'elle n'en pouvait, pour ainsi dire, plus faire aucun usage. Telle était Catherine à 13 ans. Voulant se donner entièrement à Dieu, qui se communiquait à elle avec tant d'amour et de familiarité, et comprenant que la liberté d'esprit, le recueillement et le silence étaient les conditions indispensables de la vie d'oraison à laquelle elle se sentait appelée, la sainte se décida à entrer dans le cloître. On comptait alors à Gênes un grand nombre de monastères de femmes, où régnait la régularité la plus édifiante; elle préféra le couvent appelé de Notre-Dame des Grâces; il était soumis à la règle de Saint- Augustin, et Limbania, soeur aînée de Catherine, y avait pris le voile et donnait les plus touchants exemples à la communauté. Catherine ouvrit son coeur à son directeur spirituel, lui fit part de son désir, et le pria instamment, s'il approuvait ses pensées, de la faire admettre dans ce monastère. Le directeur, témoin des faveurs journalières dont Dieu comblait sa jeune pénitente, ne fut pas étonné de cette confidence; toutefois, voulant éprouver encore sa vocation avant d'y donner son assentiments, il la combattit d'abord avec énergie; il objecta à Catherine sa grande jeunesse, les sévérités de la règle, les difficultés de la pauvreté, de l'humilité et de l'obéissance, et surtout les assauts innombrables que le démon ne manque pas de livrer aux âmes qui aspirent à mener une vie parfaite. L'enfant prédestinée détruisit ces objections, avec une fermeté calme et modeste et un sens admirable; puis elle affirma à son père spirituel que, loin de l'effrayer par le tableau qu'il venait de lui faire, il l'avait au contraire affermie dans son désir. Alors le vénérable prêtre n'hésita plus; « les réponses de Catherine lui avaient semblé plutôt divines qu'humaines et dictées par une sagesse surnaturelle »; il promit d'agir. En effet, il se rendit le jour suivant au couvent de Notre-Dame, et après avoir parlé à la supérieure et aux religieuses des grâces extraordinaires dont Dieu favorisait Catherine, il exposa sa requête, et demanda pour elle avec les plus vives instances, l'entrée du monastère et l'habit de novice. Les Mères eussent accédé volontiers au désir du confesseur; « car le spectacle des vertus de Catherine eût nécessairement exercé la plus heureuse influence sur leur congrégation ». Mais la règle s'opposait à ce qu'on admît des jeunes personnes d'un âge aussi tendre. Le directeur de Catherine fit inutilement de nouvelles instances; il représenta en vain qu'il ne fallait pas repousser une enfant d'aussi grande espérance et dans laquelle les vertus et les grâces exceptionnelles compensaient amplement le défaut d'âge : « les religieuses aimèrent mieux renoncer au trésor qu'on leur proposait, que de transgresser leurs coutumes ». Ce refus causa à Catherine la plus poignante douleur et, pendant quelques moments, elle demeura comme accablée sous ce coup auquel elle avait été si loin de s'attendre. Toutefois elle s'en releva promptement. Depuis plusieurs années, l'exercice de la conformité à la volonté de Dieu était un de ceux auxquels elle se livrait avec le plus de zèle et d'ardeur. Elle s'était proposé : De ne jamais rien faire par principe de propre volonté, et d'avoir cette volonté plus en horreur que l'enfer et les démons, puisque sans elle rien ne peut suivre à la créature; De se conformer à la volonté de Dieu en tout ce qui lui arriverait, et en tout ce qu'elle rechercherait; De recevoir tout ce qui adviendrait de la part des créatures, comme étant conduit par l'ordre de Dieu, puisque rien ne se fait sans sa volonté; Enfin de vouloir toutes choses pour les mêmes motifs que Dieu les veut, sans considération d'aucun intérêt particulier. Le moment était venu de mettre en pratique ces saintes résolutions. Après avoir ployé un instant, Catherine se redressa avec énergie et se dit : « C'est Dieu qui me fait subir cette épreuve; son adorable volonté à mon dessein, pour des raisons que je ne connais pas, mais qui sans doute sont justes et miséricordieuses; je lui remets le soin de ma personne, afin qu'il me fasse arriver à mon but par les voies que sa sagesse jugera les meilleures ». Et aussitôt toute amertume disparut du coeur de la jeune sainte. En effet, ajoute son biographe, le Seigneur avait ainsi disposé les choses, parce que les dons extraordinaires qu'il destinait à cette âme d'élite devaient édifier le monde, et ne pas demeurer celées au fond d'un couvent. Catherine reprit aussitôt son genre de vie ordinaire, ses jeûnes et ses mortifications, et elle avança rapidement dans les voies de la perfection. L'amour de Dieu et du prochain était le mobile de toutes ses actions; jamais elle ne se permettait une parole inutile, jamais on ne la voyait livrée à une gaîté immodérée; tout son temps était consacré à Jésus, toutes ses pensées étaient pour lui. Elle avait une extrême délicatesse de conscience; la moindre faute la plus légère imperfection oppressait son coeur d'un poids insupportable, et elle ne retrouvait la paix intérieure qu'après avoir pleuré son péché et s'en être accusée au tribunal de la pénitence. Dieu récompensa sa fidélité à correspondre à la grâce, en lui donnant une intelligence surprenante des mystère les plus augustes de la religion. Ces mystères étaient les sujets habituels des méditations de Catherine. Elle avait surtout une extrême dévotion pour la passion du Sauveur; et souvent on la trouvait agenouillée aux pieds de son crucifix, baignée de larmes, sanglotant, soupirant, et dans une désolation aussi grande que si elle eût sous les yeux l'agonie et la mort du divin Rédempteur. Telle était notre sainte au moment où elle allait achever sa seizième année.
Détails sur l'enfance et la jeunesse de la sainte.
Catherine naquit à Gênes, vers la fin de l'année 1447; la date précise de sa naissance ne se retrouve nulle part. Elle était fille de Jacques Fiesque, auquel René d'Anjou avait confié la vice-royauté de Naples, et petite-fille de Robert, frère du pape Innocent IV. Un autre membre de la famille Fiesque, qu'Hubert Folietta désigne comme la plus noble de Gênes, ceignit la tiare sous le nom d'Adrien V, et la soeur de ce pape épousa un prince de la maison de Savoie. La famille des Fiesque avait donné déjà à l'Eglise et à l'Etat un grand nombre de cardinaux, de guerriers et de magistrats distingués par la science, l'intrépidité et la capacité. La mère de notre sainte était également d'illustre origine, et se nommait Françoise de Nigro. Catherine avait trois frères, Jacques, Jean et Laurent, et une soeur, nommée Limbania; on croit, mais sans en être sûr, qu'elle était la cadette de sa famille et que Limbania en était l'aînée. Quoi qu'il en soit, la sainte naquit dans la maison paternelle, bâtie sur la place dite du Filo, et elle fut baptisée dans l'église métropolitaine, placée sous l'invocation de saint Laurent. On lui donna le nom de Catherine. Le Père Parpera et quelques-uns de ses biographes se plaisent à supposer que ce fut en l'honneur de sainte Catherine de Sienne, qui était alors en grand renom, ou de sainte Catherine d'Alexandrie, savante et martyre, sous le patronage de laquelle disent-ils, Dieu voulut placer la fille des Fiesque, pour indiquer qu'elle serait un jour elle-même très savante dans la vraie science, et martyre par les flammes de l'amour divin.Les parents de Catherine étaient de pieux et fervents chrétiens; ils élevèrent leur fille dans la crainte et dans l'amour de Dieu. Elle profita de leurs leçons, et déjà dans sa plus tendre enfance elle donna des gages de sa sainteté future. Jamais on ne la vit jouer comme le font ordinairement les enfants; calme et silencieuse, pleine d'innocence et de docilité, elle s'empressait d'obéir au moindre signe de sa mère; une admirable modestie brillait dans son extérieur, et, dès ses plus jeunes ans, sa conduite témoignait de son ardente charité envers Dieu et le prochain. Elle avait à peine atteint sa huitième année lorsque Dieu la favorisa à un degré extraordinaire du don de l'oraison. Le témoignage de ses biographes et de ses contemporains est unanime à cet égard et ce témoignage a été confirmé de la manière la plus solennelle par le pape Clément XII, dans sa bulle de canonisation. La petite Catherine se retirait dans les lieux les plus cachés du palais de son père, pour méditer sur la passion de Notre-Seigneur, et souvent, après l'avoir cherchée pendant longtemps on la trouvait enfin baignée de larmes, et livrée à de sublimes contemplations. Une image représentant Jésus-Christ mort, couché sur le sein de la très sainte Vierge, était suspendue dans la chambre de l'enfant. Catherine sanglotait toutes les fois qu'elle levait les yeux vers ce tableau et, suivant l'un de ses premiers historiens, « on voyait alors, exprimée sur son visage, toute l'amertume des douleurs du Sauveur, et un tremblement extraordinaire s'emparait de ses membres ». Alors aussi un immense désir de partager les souffrances de Jésus-Christ remplit son jeune coeur, que pénétrait la composition la plus tendre et la plus ardente; et dans sa ferveur elle voulut au moins user des moyens qui étaient à sa disposition afin de souffrir avec son bien-aimé et pour lui. Elle commença donc à mener une vie austère et mortifiée : elle s'interdit entièrement l'usage des mets qui flattaient son goût, et tous les soirs elle ôtait le matelas et les draps de son lit pour coucher sur une simple paillasse; un morceau de bois remplaçait son oreiller; elle se retranchait de son sommeil autant qu'il lui était possible. Catherine avait soin de cacher ces austérités aux personnes qui l'entouraient et aux femmes qui la servaient. Lorsqu'elle fut arrivée à l'âge de douze ans, son oraison atteignit un degré encore plus sublime. Elle a fait connaître elle-même l'état dans lequel elle se trouvait alors. Sa disposition était celle de l'abandon le plus parfait à la conduite de Dieu et à la volonté de la Providence envers elle. Elle se sentait entraînée à contempler sans cesse les choses du Ciel, dans lesquelles elle mettait sa joie et ses délices se reconnaissant faite pour elles, elle s'en nourrissait y trouvait son repos, et foulait aux pieds les biens de la terre, qui ne lui inspiraient qu'horreur et dégoût. A cet âge également, les avantages physiques de Catherine excitaient l'admiration de tous ceux qui l'approchaient. Ses contemporains nous font d'elle les portraits les plus charmants. « La beauté extérieure, dit son plus ancien biographe, n'est pour rien dans la sainteté, elle est un don frivole et passager, cependant nous pensons faire plaisir à nos lecteurs en leur dépeignant Catherine telle qu'elle a été dans sa jeunesse. Elle était grande, svelte, et parfaitement bien faite; elle avait la tête bien proportionnée, le visage ovale, les traits d'une régularité admirable, et une chevelure magnifique. De très longs cils noirs voilaient son regard, et son front, élevé et pur, semblait le siège de l'intelligence et de la pensée. En un mot, son extérieur était aussi aimable aux yeux du monde, que son âme était agréable aux yeux de Dieu. Noble, belle et riche, elle possédait tous les biens que l'on envie ici-bas et qui pouvaient l'attacher au siècle ». Mais Catherine était aussi indifférente à la beauté qu'aux autres avantages; les hommages dont elle était l'objet ne lui inspiraient que tristesse et dégoût; elle cherchait à s'y soustraire en vivant le plus possible dans la solitude et en restant étrangère aux conversations mondaines. La pauvreté, la souffrance et l'abjection étaient les objets de tous ses désirs, car elle aspirait à marcher sur les traces du divin Maître, qui en a fait ses compagnes chéries et fidèles durant son pèlerinage ici-bas. Mais, estimée et chérie de tout ce qui l'entourait, notre jeune sainte ne trouvait pas ce qu'elle cherchait. Lorsqu'elle se voyait être traitée comme Dieu traite ceux qu'il aime particulièrement, et passer par le laborieux noviciat de la douleur et de l'humiliation. Cependant son union avec Notre-Seigneur croissait et devenait de plus en plus intime et habituelle, elle ne tenait plus à rien de ce qui est terrestre; ses pensées étaient au ciel, elle éprouvait de l'éloignement et de la répugnance pour tout ce qui n'est pas Dieu et ne conduit pas à lui. Les créatures lui étaient un insupportable fardeau, elle ne se plaisait que dans la présence de Jésus-Christ; l'amour le plus violent l'y tenait comme enchaînée et, suivant l'expression de ses historiens, elle y passait son temps dans les colloques les plus suaves, et dans une telle aliénation de ses sens, qu'elle n'en pouvait, pour ainsi dire, plus faire aucun usage. Telle était Catherine à 13 ans. Voulant se donner entièrement à Dieu, qui se communiquait à elle avec tant d'amour et de familiarité, et comprenant que la liberté d'esprit, le recueillement et le silence étaient les conditions indispensables de la vie d'oraison à laquelle elle se sentait appelée, la sainte se décida à entrer dans le cloître. On comptait alors à Gênes un grand nombre de monastères de femmes, où régnait la régularité la plus édifiante; elle préféra le couvent appelé de Notre-Dame des Grâces; il était soumis à la règle de Saint- Augustin, et Limbania, soeur aînée de Catherine, y avait pris le voile et donnait les plus touchants exemples à la communauté. Catherine ouvrit son coeur à son directeur spirituel, lui fit part de son désir, et le pria instamment, s'il approuvait ses pensées, de la faire admettre dans ce monastère. Le directeur, témoin des faveurs journalières dont Dieu comblait sa jeune pénitente, ne fut pas étonné de cette confidence; toutefois, voulant éprouver encore sa vocation avant d'y donner son assentiments, il la combattit d'abord avec énergie; il objecta à Catherine sa grande jeunesse, les sévérités de la règle, les difficultés de la pauvreté, de l'humilité et de l'obéissance, et surtout les assauts innombrables que le démon ne manque pas de livrer aux âmes qui aspirent à mener une vie parfaite. L'enfant prédestinée détruisit ces objections, avec une fermeté calme et modeste et un sens admirable; puis elle affirma à son père spirituel que, loin de l'effrayer par le tableau qu'il venait de lui faire, il l'avait au contraire affermie dans son désir. Alors le vénérable prêtre n'hésita plus; « les réponses de Catherine lui avaient semblé plutôt divines qu'humaines et dictées par une sagesse surnaturelle »; il promit d'agir. En effet, il se rendit le jour suivant au couvent de Notre-Dame, et après avoir parlé à la supérieure et aux religieuses des grâces extraordinaires dont Dieu favorisait Catherine, il exposa sa requête, et demanda pour elle avec les plus vives instances, l'entrée du monastère et l'habit de novice. Les Mères eussent accédé volontiers au désir du confesseur; « car le spectacle des vertus de Catherine eût nécessairement exercé la plus heureuse influence sur leur congrégation ». Mais la règle s'opposait à ce qu'on admît des jeunes personnes d'un âge aussi tendre. Le directeur de Catherine fit inutilement de nouvelles instances; il représenta en vain qu'il ne fallait pas repousser une enfant d'aussi grande espérance et dans laquelle les vertus et les grâces exceptionnelles compensaient amplement le défaut d'âge : « les religieuses aimèrent mieux renoncer au trésor qu'on leur proposait, que de transgresser leurs coutumes ». Ce refus causa à Catherine la plus poignante douleur et, pendant quelques moments, elle demeura comme accablée sous ce coup auquel elle avait été si loin de s'attendre. Toutefois elle s'en releva promptement. Depuis plusieurs années, l'exercice de la conformité à la volonté de Dieu était un de ceux auxquels elle se livrait avec le plus de zèle et d'ardeur. Elle s'était proposé : De ne jamais rien faire par principe de propre volonté, et d'avoir cette volonté plus en horreur que l'enfer et les démons, puisque sans elle rien ne peut suivre à la créature; De se conformer à la volonté de Dieu en tout ce qui lui arriverait, et en tout ce qu'elle rechercherait; De recevoir tout ce qui adviendrait de la part des créatures, comme étant conduit par l'ordre de Dieu, puisque rien ne se fait sans sa volonté; Enfin de vouloir toutes choses pour les mêmes motifs que Dieu les veut, sans considération d'aucun intérêt particulier. Le moment était venu de mettre en pratique ces saintes résolutions. Après avoir ployé un instant, Catherine se redressa avec énergie et se dit : « C'est Dieu qui me fait subir cette épreuve; son adorable volonté à mon dessein, pour des raisons que je ne connais pas, mais qui sans doute sont justes et miséricordieuses; je lui remets le soin de ma personne, afin qu'il me fasse arriver à mon but par les voies que sa sagesse jugera les meilleures ». Et aussitôt toute amertume disparut du coeur de la jeune sainte. En effet, ajoute son biographe, le Seigneur avait ainsi disposé les choses, parce que les dons extraordinaires qu'il destinait à cette âme d'élite devaient édifier le monde, et ne pas demeurer celées au fond d'un couvent. Catherine reprit aussitôt son genre de vie ordinaire, ses jeûnes et ses mortifications, et elle avança rapidement dans les voies de la perfection. L'amour de Dieu et du prochain était le mobile de toutes ses actions; jamais elle ne se permettait une parole inutile, jamais on ne la voyait livrée à une gaîté immodérée; tout son temps était consacré à Jésus, toutes ses pensées étaient pour lui. Elle avait une extrême délicatesse de conscience; la moindre faute la plus légère imperfection oppressait son coeur d'un poids insupportable, et elle ne retrouvait la paix intérieure qu'après avoir pleuré son péché et s'en être accusée au tribunal de la pénitence. Dieu récompensa sa fidélité à correspondre à la grâce, en lui donnant une intelligence surprenante des mystère les plus augustes de la religion. Ces mystères étaient les sujets habituels des méditations de Catherine. Elle avait surtout une extrême dévotion pour la passion du Sauveur; et souvent on la trouvait agenouillée aux pieds de son crucifix, baignée de larmes, sanglotant, soupirant, et dans une désolation aussi grande que si elle eût sous les yeux l'agonie et la mort du divin Rédempteur. Telle était notre sainte au moment où elle allait achever sa seizième année.
A suivre...
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Re: Sainte Catherine de Gênes
CHAPITRE III
Mariage de Catherine et ses suites.
Une terrible et douloureuse épreuve était réservée à Catherine. Elle avait perdu son père en 1460 ou 1461, et l'exercice de l'autorité paternelle était dévolu à Jacques, frère aîné de la sainte. Gênes était alors le théâtre des querelles les plus violentes entre les Adorni et les Fregosi; la république était alternativement sous la seigneurie des rois de France et des ducs de Milan, et se trouvait mêlée à toutes les guerres occasionnées par la succession de Naples; une anarchie épouvantable régnait fréquemment dans la ville; les deux familles rivales s'arrachaient tour à tour le pouvoir et passaient du siège ducal à l'exil. Prosper Adorne fut élu doge en 1461. La seigneurie était en ce moment aux mains des Français. Paul Frégose, archevêque de Gênes, ayant ourdi une conspiration contre eux, les fit expulser du territoire génois. La lutte entre les Adorni et les Fregosi recommença; le doge s'enfuit, et fut remplacé par Louis Fregose, auquel son parent Paul, homme ambitieux et dur, enleva le pouvoir. Ce dernier réunit ainsi sur sa tête la double dignité archiépiscopale et ducale.Mais alors Louis XI, roi de France, transféra au nouveau duc de Milan, François Sforza, les droits de sa couronne sur Gênes. Sforza s'étant emparé de Savone et d'une partie considérable du sol de la République, Paul Fregose quitta secrètement la ville. Tout le monde était fatigué de troubles et aspirait à la paix; les familles nobles, dont les rivalités avaient été jadis si fatales à Gênes, agirent d'un commun accord en cette occasion; Hiblet Fiesque fit ouvrir les portes aux troupes milanaises que conduisaient Paul Doria et Jérôme Spinola, et Sforza fut proclamé seigneur de Gênes, aux conditions auxquelles les ducs de la maison de Visconti l'avaient été autrefois. Les auteurs du temps font éloge de la seigneurie de François et nous apprennent que Gênes lui dut quelques années de tranquillité. Les Fiesque et les Adorne, longtemps divisés en qualité de Guelfes et de Gibelins, se trouvaient au nombre des familles qui s'étaient rapprochées au milieu des conflits dont nous venons de rendre un compte sommaire. Jacques Fiesque voulut cimenter la réconciliation par un mariage, afin d'en assurer la durée. Il s'entendit avec sa mère, et proposa la main de sa soeur Catherine à Julien Adorne, fils de l'un des chefs de cette puissante maison. Julien accepta, et l'on fut promptement d'accord sur les conditions de cette union, dont le jour fut fixé au 13 janvier 1463. Le futur s'engagea à demeurer pendant les deux premières années de son mariage chez la mère de Catherine, et il assura à son épouse la possession d'une fort belle maison qu'il possédait sur la place de Sainte-Agnès. Catherine ne fut instruite de ce qui se préparait qu'après la conclusion de tous les arrangements préliminaires. Elle en ressenti une inexprimable affliction; car elle avait toujours conservé l'espérance d'être reçue au monastère de Sainte Marie des Grâces, au moment où son âge rendait son admission possible. Son désir de se retirer dans un couvent, de prendre à jamais congé du siècle, de ses plaisirs et de ses dangers, de vivre uniquement pour l'époux divin que son coeur s'était choisi, et de lui consacrer sa virginité, n'avait jamais varié depuis le temps où elle en avait entretenu pour la première fois son confesseur. Cependant, habituée dès sa plus tendre enfance à vivre dans la parfaite obéissance de sa mère, et à voir l'ordre divin dans tout ce qui lui advenait de la part des créatures, la sainte se soumit sans se permettre une plainte ou un murmure. Humble victime sacrifiée à des intérêts de famille, elle se laissa mener à l'autel, et prononça le oui fatal, malgré son horreur pour le lien conjugal. Il lui apparaissait comme une lourde croix qu'elle devait traîner à la suite de Jésus-Christ sur la montée du Calvaire. La croix fut plus pesante encore que Catherine ne l'avait pensé. Les convenances selon le mode avaient été seules consultées dans cet hymen; Jacques Fiesque n'avait vu dans le mari qu'il avait choisi pour sa soeur qu'un jeune homme d'un extérieur avenant, riche et d'illustre naissance. Il ne s'était pas enquis du reste. Or les biographes contemporains s'accordaient tous pour faire de Julien Adorne le plus triste portrait. C'était, nous disent-ils, un homme dur, violent et emporté, joueur et voluptueux, ami du faste et de la magnificence, recherchant les sociétés les plus gaies et les plus brillantes, et s'y faisant remarquer par ses prodigalités, son faste, son élégance et son ton léger et railleur. On comprend tout ce que Catherine eut à souffrir d'un époux de ce caractère.
Elle ne put se faire illusion sur le sort qui l'attendait. Dès les premiers jours de mariage, Julien lui reprocha son genre de vie austère et retiré, et ne lui témoigna que froideur et dédain; il ne renonça ni à ses habitudes de dissipation, ni aux compagnies folles et légères qu'il avait coutume de fréquenter. La sainte cependant réunissait tout ce qui pouvait enchanter : sa beauté était sans égale à Gênes; elle avait un esprit charmant et l'humeur la plus douce et la plus égale. Julien était parfaitement insensible à ces avantages; il n'aspirait qu'à s'amuser et à briller dans le monde; l'amour de sa femme pour la retraite, la prière et la méditation, l'irrita de plus en plus, et bientôt il en vint à ne lui adresser la parole que pour l'accabler des expressions de son mépris et de sa haine. Le désir de Catherine avait été de gagner l'affection de celui auquel son sort se trouvait lié; mais, pour rester en bonne harmonie avec Julien, il eût fallu, ou qu'elle l'amenât à embrasser son genre de vie, ou qu'elle adoptât les moeurs de son époux. L'un et l'autre étaient impossibles : en adoptant les moeurs d'Adorne, Catherine perdait son âme; en essayant de le faire changer de conduite, elle s'attirait des injures et de mauvais traitements. Cette situation finit par lui briser le coeur; elle se retira chez elle, se séquestra entièrement du monde, se fit une solitude dans sa demeure, et évita tous les rapports et toutes les conversations avec les créatures, lesquelles d'ailleurs ne pouvaient lui procurer aucun soulagement. Prosternée jour et nuit au pied de la croix, elle s'efforçait de se tenir aux côtés du Sauveur agonisant, de s'unir à ses souffrances, à sa patience et à sa résignation, de repasser dans son coeur les circonstances de la Passion de l'Homme-Dieu, et de produire les actes de vertu qui y ont rapport. Mais là également elle ne trouva aucune consolation. Il semblait que le Seigneur l'eût abandonnée : plus elle pleurait, plus elle gémissait et priait, plus aussi sa douleur devenait poignante et amère. Cet état dura cinq longues années, pendant lesquelles Catherine, consumée par l'affliction, maigrit au point de devenir entièrement méconnaissable. Les biographes ne nous donnent du reste point de détails sur cette époque de vie; ils se bornent à nous dire qu'elle fut absolument sevrée de toute consolation et que la conduite de Julien Adorne devint de jour en jour plus scandaleuse et plus mauvaise. Cependant les parents de notre sainte, se repentant peut-être de l'avoir obligée à contracter un mariage qui avait eu de si funestes conséquences, effrayés aussi de son excessive maigreur, et croyant que son genre de vie solitaire et mortifié était la principale cause de son changement, eurent recours à toutes sortes de moyens et d'artifices pour la rendre au monde. Tantôt ils lui représentaient que sa manière d'être était indigne de sa naissance et du rang qu'elle tenait dans la société; tantôt ils lui disaient qu'en continuant à vivre de la sorte, elle compromettait sa santé au point de se rendre coupable d'une espèce de suicide, et de mettre ainsi en danger son salut éternel. Enfin Catherine se laissa prendre à leurs sophismes : le désir de se délivrer de trop fréquentes importunités, et l'espoir de trouver, dans les distractions extérieures, quelque soulagement à la douleur qui l'accablait, entrèrent pour beaucoup dans sa résolution. Elle commença donc à se donner quelque liberté, à entretenir un commerce de visites avec les femmes de son rang et à user avec modération de certains plaisirs, dont jusqu'alors elle s'était toujours tenue éloignée. Lorsque le monde vit que cette noble âme était entrée dans sa voie, dit son biographe anonyme, il crut la posséder à jamais, et il fit son possible pour l'enlacer de plus en plus, de manière à ce qu'elle ne pût se dégager à l'avenir. Elle devint l'objet de tous les égards, de toutes les tentations, de toutes les félicitations. Catherine dépeint admirablement cette époque de son existence dans la première partie de ses dialogues. Le corps et l'amour-propre tiennent à l'âme, leur compagne de voyage, le langage de la chair contre l'esprit; langage que le monde également tient qu'il cherche à entraîner dans son tourbillon et qu'il veut arracher au recueillement intérieur. La sainte mena ce nouveau genre de vie pendant cinq années; durant tout ce temps, son confesseur nous l'atteste, elle ne se rendit coupable d'aucune faute grave; mais son grand amour de Dieu, l'horreur que lui inspirait le moindre péché véniel, et sa profonde humilité, lui faisaient dire, plus tard, qu'elle avait perdu la grâce encouru l'aveuglement de l'âme, et qu'elle s'était rendue digne de la haine de Dieu et de l'enfer. Cependant Catherine avait trop prié et trop souffert dans sa vie pour pouvoir rester dans l'illusion. Le monde la fêta en vain et multiplia inutilement autour d'elle ses joies et ses distractions, elle n'y trouva aucun plaisir; loin de là, l'inconduite de son mari rendit sa douleur de plus en plus cruelle; et sa situation pendant cette époque de dissipation fut plus terrible encore qu'elle ne l'avait été pendant les cinq années de solitude et d'abandon. C'était en vain, dit notre sainte elle-même, que tous les plaisirs s'unissait pour satisfaire mes appétits, ils ne pouvaient les rassasier : car, l'âme étant d'une capacité infinie, et les choses de la terre étant nécessairement bornées, il était impossible que de semblables jouissances parvinssent à la contenter. Grâces soient rendues au Seigneur, qui a si sagement disposé les choses, ajoute-t-elle; car si l'homme trouvait sur la terre le repos et la satisfaction, bien peu d'âmes seraient sauvées. L'ennui et le dégoût s'emparèrent enfin à tel point de Catherine, qu'elle devint incapable de se supporter elle-même. Le remords rendit son affection encore plus poignante; elle se reprocha jour et nuit de s'être éloignée de Dieu, pour rechercher les plaisirs et les consolations de la terre, qui n'avaient servi qu'à augmenter ses tourments. Le désir de rompre avec le monde et de briser avec le siècle s'empara de son coeur; mais elle ne savait comment s'y prendre, ni à qui s'adresser pour trouver secours et conseils.
Telle était sa situation en l'année 1474 après dix années de mariage, lorsque la veille de la fête de Saint-Benoît, elle entra dans l'église consacrée à ce saint; et, s'étant prosternée à terre, elle s'écria, presque désespérée : San Benedetto, prega Dio che mi faccia stare tre mesi nel letto infirma (saint Benoît, demandez à Dieu qu'il m'envoie une grave maladie de trois mois) ; elle espérait que les douleurs physiques pourraient apporter quelque soulagement aux intolérables angoisses de son âme. Catherine ne fut pas exaucée; mais cette prière devint pour elle le point de départ d'une vie nouvelle, ainsi que nous le raconterons au chapitre suivant.
Mariage de Catherine et ses suites.
Une terrible et douloureuse épreuve était réservée à Catherine. Elle avait perdu son père en 1460 ou 1461, et l'exercice de l'autorité paternelle était dévolu à Jacques, frère aîné de la sainte. Gênes était alors le théâtre des querelles les plus violentes entre les Adorni et les Fregosi; la république était alternativement sous la seigneurie des rois de France et des ducs de Milan, et se trouvait mêlée à toutes les guerres occasionnées par la succession de Naples; une anarchie épouvantable régnait fréquemment dans la ville; les deux familles rivales s'arrachaient tour à tour le pouvoir et passaient du siège ducal à l'exil. Prosper Adorne fut élu doge en 1461. La seigneurie était en ce moment aux mains des Français. Paul Frégose, archevêque de Gênes, ayant ourdi une conspiration contre eux, les fit expulser du territoire génois. La lutte entre les Adorni et les Fregosi recommença; le doge s'enfuit, et fut remplacé par Louis Fregose, auquel son parent Paul, homme ambitieux et dur, enleva le pouvoir. Ce dernier réunit ainsi sur sa tête la double dignité archiépiscopale et ducale.Mais alors Louis XI, roi de France, transféra au nouveau duc de Milan, François Sforza, les droits de sa couronne sur Gênes. Sforza s'étant emparé de Savone et d'une partie considérable du sol de la République, Paul Fregose quitta secrètement la ville. Tout le monde était fatigué de troubles et aspirait à la paix; les familles nobles, dont les rivalités avaient été jadis si fatales à Gênes, agirent d'un commun accord en cette occasion; Hiblet Fiesque fit ouvrir les portes aux troupes milanaises que conduisaient Paul Doria et Jérôme Spinola, et Sforza fut proclamé seigneur de Gênes, aux conditions auxquelles les ducs de la maison de Visconti l'avaient été autrefois. Les auteurs du temps font éloge de la seigneurie de François et nous apprennent que Gênes lui dut quelques années de tranquillité. Les Fiesque et les Adorne, longtemps divisés en qualité de Guelfes et de Gibelins, se trouvaient au nombre des familles qui s'étaient rapprochées au milieu des conflits dont nous venons de rendre un compte sommaire. Jacques Fiesque voulut cimenter la réconciliation par un mariage, afin d'en assurer la durée. Il s'entendit avec sa mère, et proposa la main de sa soeur Catherine à Julien Adorne, fils de l'un des chefs de cette puissante maison. Julien accepta, et l'on fut promptement d'accord sur les conditions de cette union, dont le jour fut fixé au 13 janvier 1463. Le futur s'engagea à demeurer pendant les deux premières années de son mariage chez la mère de Catherine, et il assura à son épouse la possession d'une fort belle maison qu'il possédait sur la place de Sainte-Agnès. Catherine ne fut instruite de ce qui se préparait qu'après la conclusion de tous les arrangements préliminaires. Elle en ressenti une inexprimable affliction; car elle avait toujours conservé l'espérance d'être reçue au monastère de Sainte Marie des Grâces, au moment où son âge rendait son admission possible. Son désir de se retirer dans un couvent, de prendre à jamais congé du siècle, de ses plaisirs et de ses dangers, de vivre uniquement pour l'époux divin que son coeur s'était choisi, et de lui consacrer sa virginité, n'avait jamais varié depuis le temps où elle en avait entretenu pour la première fois son confesseur. Cependant, habituée dès sa plus tendre enfance à vivre dans la parfaite obéissance de sa mère, et à voir l'ordre divin dans tout ce qui lui advenait de la part des créatures, la sainte se soumit sans se permettre une plainte ou un murmure. Humble victime sacrifiée à des intérêts de famille, elle se laissa mener à l'autel, et prononça le oui fatal, malgré son horreur pour le lien conjugal. Il lui apparaissait comme une lourde croix qu'elle devait traîner à la suite de Jésus-Christ sur la montée du Calvaire. La croix fut plus pesante encore que Catherine ne l'avait pensé. Les convenances selon le mode avaient été seules consultées dans cet hymen; Jacques Fiesque n'avait vu dans le mari qu'il avait choisi pour sa soeur qu'un jeune homme d'un extérieur avenant, riche et d'illustre naissance. Il ne s'était pas enquis du reste. Or les biographes contemporains s'accordaient tous pour faire de Julien Adorne le plus triste portrait. C'était, nous disent-ils, un homme dur, violent et emporté, joueur et voluptueux, ami du faste et de la magnificence, recherchant les sociétés les plus gaies et les plus brillantes, et s'y faisant remarquer par ses prodigalités, son faste, son élégance et son ton léger et railleur. On comprend tout ce que Catherine eut à souffrir d'un époux de ce caractère.
Elle ne put se faire illusion sur le sort qui l'attendait. Dès les premiers jours de mariage, Julien lui reprocha son genre de vie austère et retiré, et ne lui témoigna que froideur et dédain; il ne renonça ni à ses habitudes de dissipation, ni aux compagnies folles et légères qu'il avait coutume de fréquenter. La sainte cependant réunissait tout ce qui pouvait enchanter : sa beauté était sans égale à Gênes; elle avait un esprit charmant et l'humeur la plus douce et la plus égale. Julien était parfaitement insensible à ces avantages; il n'aspirait qu'à s'amuser et à briller dans le monde; l'amour de sa femme pour la retraite, la prière et la méditation, l'irrita de plus en plus, et bientôt il en vint à ne lui adresser la parole que pour l'accabler des expressions de son mépris et de sa haine. Le désir de Catherine avait été de gagner l'affection de celui auquel son sort se trouvait lié; mais, pour rester en bonne harmonie avec Julien, il eût fallu, ou qu'elle l'amenât à embrasser son genre de vie, ou qu'elle adoptât les moeurs de son époux. L'un et l'autre étaient impossibles : en adoptant les moeurs d'Adorne, Catherine perdait son âme; en essayant de le faire changer de conduite, elle s'attirait des injures et de mauvais traitements. Cette situation finit par lui briser le coeur; elle se retira chez elle, se séquestra entièrement du monde, se fit une solitude dans sa demeure, et évita tous les rapports et toutes les conversations avec les créatures, lesquelles d'ailleurs ne pouvaient lui procurer aucun soulagement. Prosternée jour et nuit au pied de la croix, elle s'efforçait de se tenir aux côtés du Sauveur agonisant, de s'unir à ses souffrances, à sa patience et à sa résignation, de repasser dans son coeur les circonstances de la Passion de l'Homme-Dieu, et de produire les actes de vertu qui y ont rapport. Mais là également elle ne trouva aucune consolation. Il semblait que le Seigneur l'eût abandonnée : plus elle pleurait, plus elle gémissait et priait, plus aussi sa douleur devenait poignante et amère. Cet état dura cinq longues années, pendant lesquelles Catherine, consumée par l'affliction, maigrit au point de devenir entièrement méconnaissable. Les biographes ne nous donnent du reste point de détails sur cette époque de vie; ils se bornent à nous dire qu'elle fut absolument sevrée de toute consolation et que la conduite de Julien Adorne devint de jour en jour plus scandaleuse et plus mauvaise. Cependant les parents de notre sainte, se repentant peut-être de l'avoir obligée à contracter un mariage qui avait eu de si funestes conséquences, effrayés aussi de son excessive maigreur, et croyant que son genre de vie solitaire et mortifié était la principale cause de son changement, eurent recours à toutes sortes de moyens et d'artifices pour la rendre au monde. Tantôt ils lui représentaient que sa manière d'être était indigne de sa naissance et du rang qu'elle tenait dans la société; tantôt ils lui disaient qu'en continuant à vivre de la sorte, elle compromettait sa santé au point de se rendre coupable d'une espèce de suicide, et de mettre ainsi en danger son salut éternel. Enfin Catherine se laissa prendre à leurs sophismes : le désir de se délivrer de trop fréquentes importunités, et l'espoir de trouver, dans les distractions extérieures, quelque soulagement à la douleur qui l'accablait, entrèrent pour beaucoup dans sa résolution. Elle commença donc à se donner quelque liberté, à entretenir un commerce de visites avec les femmes de son rang et à user avec modération de certains plaisirs, dont jusqu'alors elle s'était toujours tenue éloignée. Lorsque le monde vit que cette noble âme était entrée dans sa voie, dit son biographe anonyme, il crut la posséder à jamais, et il fit son possible pour l'enlacer de plus en plus, de manière à ce qu'elle ne pût se dégager à l'avenir. Elle devint l'objet de tous les égards, de toutes les tentations, de toutes les félicitations. Catherine dépeint admirablement cette époque de son existence dans la première partie de ses dialogues. Le corps et l'amour-propre tiennent à l'âme, leur compagne de voyage, le langage de la chair contre l'esprit; langage que le monde également tient qu'il cherche à entraîner dans son tourbillon et qu'il veut arracher au recueillement intérieur. La sainte mena ce nouveau genre de vie pendant cinq années; durant tout ce temps, son confesseur nous l'atteste, elle ne se rendit coupable d'aucune faute grave; mais son grand amour de Dieu, l'horreur que lui inspirait le moindre péché véniel, et sa profonde humilité, lui faisaient dire, plus tard, qu'elle avait perdu la grâce encouru l'aveuglement de l'âme, et qu'elle s'était rendue digne de la haine de Dieu et de l'enfer. Cependant Catherine avait trop prié et trop souffert dans sa vie pour pouvoir rester dans l'illusion. Le monde la fêta en vain et multiplia inutilement autour d'elle ses joies et ses distractions, elle n'y trouva aucun plaisir; loin de là, l'inconduite de son mari rendit sa douleur de plus en plus cruelle; et sa situation pendant cette époque de dissipation fut plus terrible encore qu'elle ne l'avait été pendant les cinq années de solitude et d'abandon. C'était en vain, dit notre sainte elle-même, que tous les plaisirs s'unissait pour satisfaire mes appétits, ils ne pouvaient les rassasier : car, l'âme étant d'une capacité infinie, et les choses de la terre étant nécessairement bornées, il était impossible que de semblables jouissances parvinssent à la contenter. Grâces soient rendues au Seigneur, qui a si sagement disposé les choses, ajoute-t-elle; car si l'homme trouvait sur la terre le repos et la satisfaction, bien peu d'âmes seraient sauvées. L'ennui et le dégoût s'emparèrent enfin à tel point de Catherine, qu'elle devint incapable de se supporter elle-même. Le remords rendit son affection encore plus poignante; elle se reprocha jour et nuit de s'être éloignée de Dieu, pour rechercher les plaisirs et les consolations de la terre, qui n'avaient servi qu'à augmenter ses tourments. Le désir de rompre avec le monde et de briser avec le siècle s'empara de son coeur; mais elle ne savait comment s'y prendre, ni à qui s'adresser pour trouver secours et conseils.
Telle était sa situation en l'année 1474 après dix années de mariage, lorsque la veille de la fête de Saint-Benoît, elle entra dans l'église consacrée à ce saint; et, s'étant prosternée à terre, elle s'écria, presque désespérée : San Benedetto, prega Dio che mi faccia stare tre mesi nel letto infirma (saint Benoît, demandez à Dieu qu'il m'envoie une grave maladie de trois mois) ; elle espérait que les douleurs physiques pourraient apporter quelque soulagement aux intolérables angoisses de son âme. Catherine ne fut pas exaucée; mais cette prière devint pour elle le point de départ d'une vie nouvelle, ainsi que nous le raconterons au chapitre suivant.
CHAPITRE IV
Conversation de Catherine.
La sainte toujours en proie aux mêmes tourments, se rendit au couvent de Notre Dame des Grâces, le jour de la fête de Saint-Benoît, dans l'espoir de trouver allègement à ses peines en les communiquant à Limbania.
Celle-ci, partageant les douleurs de sa soeur et profondément affligée de la voir si malheureuse, lui conseilla de se rendre auprès du directeur des religieuses, prêtre éclairé et de très sainte vie, et de lui ouvrir son cœur. Catherine, après avoir hésité pendant quelques moments, céda aux insistances et aux exhortations de son aînée, et lui promit de revenir le lendemain pour se confesser. En effet, le jour suivant, elle entre de bonne heure dans l'église du monastère, et, après avoir adressé une fervente prière à Dieu, elle demande le confesseur de la maison. Celui-ci, prévenu déjà par Limbania, accourt et se place dans le confessionnal. Catherine le suit mais, au moment où elle s'agenouille, un rayon de lumière céleste éclaire son intelligence, et elle sent un dard brûlant pénétrer jusqu'au plus profond de son coeur et l'embraser des flammes de l'amour divin. Etonnée, ravie, hors d'elle-même, elle perd à la fois l'usage de la parole et du sentiment. Une vive lumière l'éclaire, et lui fait assister en quelque sorte, comme spectatrice, à la merveilleuse opération que Notre-Seigneur fait en elle. Elle découvre clairement, et du même coup d'oeil, d'un côté l'infinie bonté de Dieu, d'une autre part, la grandeur de la malice que renferme le moindre péché commis contre cette immense miséricorde, et, en particulier, la gravité de ses propres offenses. Alors une inexprimable douleur s'empare d'elle, et la contrition qui remplit son coeur est telle, qu'elle est au moment de tomber sans connaissance. Elle voudrait maintenant pouvoir proclamer à la face du ciel et de la terre ses péchés, ses misères et ses défauts, pour se venger sur elle-même en se condamnant à l'humiliation et au mépris; mais clouée à sa place, incapable de faire un mouvement ou de proférer un son, elle ne peut que dire et répéter mille fois, intérieurement, ces paroles : Non piu mondo, non piu peccati : Plus de monde, plus de péchés.Cependant le prêtre croit que Catherine garde le silence pour se préparer à sa confession ; dans ce moment, on l'appelle pour une affaire pressante, il s'éloigne en promettant de revenir bientôt. Il revient en effet et retrouve Catherine dans la même attitude et dans le même silence. Il l'exhorte à parler; alors elle fait un immense effort et parvint aussi à proférer ces mots : Padre, se vi piacesse, lascerei volontieri questa confessione per un altra volta : Mon père, si cela vous convenait, je remettrais volontiers cette confession à un autre temps. Le prêtre y consent; alors Catherine retourne promptement à sa demeure et s'enferme dans la pièce la plus reculée de la maison, afin de donner un libre cours aux sentiments qui remplissent son coeur. Elle se dépouille de ses vains ornements de femme et les jette loin d'elle pour ne jamais les reprendre. Des soupirs embrasés s'échappent de son coeur, elle répand des torrents de larmes et en inonde le pavé de sa chambre; elle voudrait laver ses péchés dans son sang et le verser jusqu'à la dernière goutte pour Celui qui a versé le sien pour elle. Plus elle considère la bonté du Seigneur, qui veillait sur elle et la suivait alors qu'elle cherchait son repos et sa consolation dans les créatures, en dehors de ce Dieu si bon, si aimable, si digne d'être aimé, plus aussi son affliction devient amère et profonde. La claire vue de ses misères et des miséricordes divines est toujours devant les yeux de son âme; et, à ce spectacle, il semble que le coeur de Catherine soit au moment de se briser d'amour et de douleur. Elle ne peut que dire et répéter d'une voix entrecoupée de sanglots : « Se peut-il, ô Amour, que vous m'ayez prévenue avec une telle bonté, et qu'en un moment vous m'ayez fait connaître tant de choses que ma langue ne saurait exprimer ? » La sainte rend compte, dans ses Dialogues, de l'impétuosité de ses sentiments, pendant ces journées qui marquent pour elle le commencement d'une nouvelle vie. Elle y proclame qu'elle eût mérité l'enfer, qu'elle ne savait où cacher sa honte, parce que partout elle rencontrait Dieu, et qu'elle étalait à ses yeux, malgré elle, toutes ses impuretés. « Comment pouvez-vous me souffrir, ô Seigneur, moi qui ne puis plus me supporter moi-même, ajoute-t-elle;... mes larmes et mes soupirs sont inutiles; ma contrition ne saurait vous être agréable et, si votre miséricorde ne vient à mon aide, mes pénitences ne me serviront de rien, car toutes mes peines n'ont aucune proportion avec mes offenses ». Catherine veut simplement faire comprendre, par ces expressions de son énergique repentir, que jamais les fruits de la pénitence ne doivent être attribués aux forces humaines, mais uniquement à la bonté et à la miséricorde infinies de Dieu; elle nous donne une grande leçon de véritable et profonde humilité, et nous rappelle qu'après avoir fait tout ce qui est en notre pouvoir, nous ne devons pas cesser pour cela de nous considérer comme des serviteurs inutiles, ainsi qu'il est dit dans l'Evangile. Tandis qu'elle est en proie à la torture morale que lui cause la vue de ses ingratitudes et de la bonté de Dieu, Notre Seigneur, qui veut désormais la posséder sans aucun partage, lui apparaît chargé de sa lourde croix; il est couvert de sang, de la tête aux pieds, et en répand en si grande abondance, que toute la maison en parait inondée. Il regarde Catherine avec une ineffable tendresse et lui dit pour la consoler : "Vois, ma fille, tout ce sang a été répandu au Calvaire pour l'amour de toi, en expiation de tes fautes. « La vue de cet immense amour suspend en effet pendant quelques moments la douleur de la sainte; mais bientôt le souvenir de sa tiédeur et de son ingratitude envers un Dieu si aimable allume en son coeur une haine inextinguible, un profond mépris d'elle-même. Elle s'accable de reproches et s'écrie à haute voix : « O Amour! je ne pécherai plus jamais, et, s'il en est besoin, je suis prête à confesser mes péchés en public ».
A suivre...
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Re: Sainte Catherine de Gênes
CHAPITRE V
Pénitence de Catherine.
Catherine, après avoir passé quelques jours dans les dispositions que nous venons de décrire, retourna à l'église de Sainte Marie des Grâces pour se confesser. Elle fit une confession générale de sa vie entière, avec une si extrême contrition et des signes si manifestes de douleur intérieure, que le prêtre auquel elle ouvrit son coeur en demeura pénétré d'étonnement et d'admiration,et permit immédiatement à sa pénitente de communier. Ceci se passait le jour où l'Eglise célèbre la fête de l'Annonciation de la Vierge. Catherine s'approcha de la table sainte et reçut le corps de Notre-Seigneur. Alors Dieu donna cette faim insatiable de la très sainte Eucharistie qu'elle a toujours conservée depuis. La privation du pain de vie causait de si intolérables tourments, que ses confesseurs, voyant dans ce symptôme une preuve évidente de la volonté divine, l'admirent bientôt à la communion quotidienne. Cependant Catherine avait constamment devant les yeux ses fautes passées, et ce souvenir entretenait son repentir et sa haine d'elle-même. Elle résolut, pour se punir, de se livrer aux oeuvres de la pénitence la plus sévère. Son mari, dans la maison duquel elle continua d'habiter, lui accorda la liberté de vivre comme elle le voudrait, et renonça, Dieu l'y incitant, à ses droits d'époux; il s'engagea à n'être désormais qu'un frère pour Catherine. Sous ce rapport, au moins, il demeura fidèle à sa parole. Maîtresse de ses actions, notre sainte entra courageusement dans la voie qu'elle avait choisie; d'un seul bond, elle atteignit le sommet de la perfection, et jamais elle ne fit de pas en arrière. Sa conversion, oeuvre toute divine, fut aussi prompte et aussi complète que l'avaient été celles de saint Paul et de sainte Madeleine; et dès le premier moment, elle se montra digne de marcher sur les traces de ces deux illustres saints, par la fidélité parfaite avec laquelle elle correspondit à la grâce.
Peu de pénitents ont poussé aussi loin qu'elle la mortification extérieure et intérieure. Catherine réduisit d'abord ses sens dans la servitude la plus complète. Elle fit un pacte avec ses yeux : constamment elle les tenait fixés à terre, au point de rester étrangère à ce qui se passait autour d'elle, de ne rien voir et de ne pas reconnaître les passants. De même elle interdit à sa langue toute parole inutile; et, pour se punir de l'abus qu'elle estimait en avoir fait autrefois, il lui arrivait souvent de la frotter contre le sol de manière à la mettre en sang. Mangeant uniquement pour vivre et forçant son corps à se contenter du nécessaire le plus strict et le plus réduit, elle s'interdit à jamais l'usage de la viande et des fruits qu'elle aimait beaucoup; et, lorsqu'on lui présentait quelque mets agréable qui pouvait la délecter, elle avait soin d'y mêler adroitement de la poudre d'absinthe ou d'aloès, de manière à lui donner un goût nauséabond et désagréable. Elle s'astreignit aussi à dormir fort peu; souvent elle mettait dans son lit des ronces et des chardons pour se priver de la douceur du repos. Mais, ainsi qu'elle nous le dit elle-même, Dieu qui voulait la laisser jouir du sommeil nécessaire, déjouait son calcul, et elle dormait aussi bien sur les épines que sur le duvet. Non contente de ces différents exercices, elle portait constamment un très rude cilice; et tous les jours elle passait six à sept heures en prières, immobile, agenouillée à nu sur la terre. Elle avoue que le corps en souffrait beaucoup; mais elle dit aussi qu'il s'y soumettait et ne laissait pas pour cela de servir l'âme avec zèle et fidélité. Les jeûnes auxquels elle se condamna étaient longs et sévères; cependant le feu qui la consumait desséchait à tel point son intérieur, que pendant les années qui suivirent sa conversion elle souffrit presque constamment d'une faim insatiable. « Ce qu'elle avalait, dit son biographe contemporain, était tout aussitôt consumé; elle eût digéré le fer ». Catherine s'attacha avec plus de soins encore à la mortification intérieure qu'à celle qui n'a rapport qu'à l'extérieur. « Les macérations infligées au corps, avait-elle coutume de dire, sont parfaitement inutiles lorsqu'elles ne sont pas accompagnées de l'abnégation du moi ». Pour mettre cette maxime en pratique, la sainte s'efforçait de découvrir toutes ses affections et les tendances de la volonté propre, afin de les vaincre et de les détruire. Dès que son appétit naturel aspirait à une chose, elle la lui refusait et l'obligeait à embrasser l'opposé; dès que la nature éprouvait de l'horreur ou de la répugnance pour quoi que ce soit, Catherine agissait à l'encontre de ce sentiment, pour asservir plus complètement la chair à l'esprit. Elle en vint ainsi à n'avoir plus aucun désir, aucune préférence, à se trouver, vis-à-vis de tout ce qui n'était pas Dieu, dans un état parfait de sainte indifférence. Elle prit également l'habitude de se soumettre aux autres, d'obéir avec promptitude, même à ses inférieurs, lorsqu'ils lui commandaient des choses permises, mais contraires à sa volonté; exerçant ainsi la vertu d'humilité dans sa plus grande perfection. A toutes les mortifications dont nous venons de rendre compte, Catherine joignit encore les exercices de la charité la plus sublime. Fort peu de temps après sa conversion, elle se dévoua au service des pauvres malades. L'administration dite de la Miséricorde existait depuis longtemps à Gênes; elle avait été fondée en 1403, par l'archevêque Pileus Marinus, qui avait confié à quatre des principaux citoyens de la République la gestion des biens des malheureux et des hôpitaux. Ces magistrats s'associaient habituellement huit dames nobles, riches, et de conduite irréprochables, lesquelles étaient chargées de veiller aux besoins des pauvres, notamment des pauvres honteux, et de les secourir. Or les matrones qui remplissaient ces fonctions à l'époque dont nous nous occupons, prièrent Catherine d'aller à la recherche des infirmes répandus dans la ville et de leur donner ses soins. Elle ressentit une joie inexprimable lorsqu'elle vit que, par pure obéissance, et sans que la volonté propre s'en fût mêlée, il lui était permis de servir Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la personne des infortunés; « et elle trouva de la sorte, dit son biographe anonyme, l'occasion d'exercer son ardente charité et d'accomplir en même temps les actes de la mortification la plus héroïque ».
La sainte commença sans délai l'exercice de son nouvel emploi. Tous les jours, la noble jeune femme, vêtue avec la plus grande simplicité, et les yeux constamment baissés, suivant sa coutume, parcourait les rues et les places publiques pour découvrir les pauvres et les malades qui cachaient leur détresse. Conduite par l'amour divin, elle finissait toujours par les trouver, et elle s'empressait de leur prodiguer ses soins et de leur rendre les plus humbles services. Rencontrait-elle quelques lépreux, quelques gens couverts d'ulcères ou de plaies engendrant la gangrène, ceux-là devenaient les objets de son dévouement le plus tendre; elle leur procurait des demeures saines et commodes, des lits, du linge, la nourriture et les remèdes dont ils avaient besoin; elle consacrait à cet emploi ses propres deniers aussi bien que les fonds de l'oeuvre de la Miséricorde. Mais elle ne se bornait pas à ces soins généreux, elle remplissait auprès des malades les offices de garde et de servante, jusque dans leurs détails les plus rebutants; elle emportait dans sa demeure les haillons des pauvres, les purifiait, les lavait, les purgeait de la vermine, les raccommodait, et les rendait parfumés et remis en bon état à ceux à qui ils appartenaient. Jamais Dieu ne permit qu'aucun des affreux insectes qui pullulent habituellement dans ces livrées de la misère s'attachât à Catherine. Notre sainte, non contente d'aller à la recherche des malheureux dans les différents quartiers de la ville, se rendait très souvent aussi à l'hospice de Saint-Lazare, destiné aux incurables. Des malades horribles à voir s'y trouvaient réunis; il en était qui, couverts de hideux ulcères de la tête aux pieds, répandaient l'odeur la plus infecte; désespérés par la souffrance, ils avaient sans cesse le blasphème à la bouche et prodiguaient l'injure à tout ce qui approchait. Catherine leur opposait une douceur inaltérable; elle les soignait, les nourrissait, les calmait et les exhortait à la patience, à se soumettre à la volonté de Dieu et à donner un mérite infini à leurs douleurs en les unissant à celles plus cruelles encore que Jésus-Christ avait endurées pour l'amour d'eux. Elle revenait si souvent à la charge qu'habituellement elle consolait et fortifiait ceux même qui, d'abord, s'étaient montrés les plus durs et les plus récalcitrants. Cependant notre jeune sainte avait livré de rudes combats et subi de terribles assauts, avant d'être arrivée à la faculté de voir et de soigner impunément toutes les misères humaines.
Elle avait une horreur, instinctive pour les maladies, les ordures, les mauvaises odeurs surtout; mais l'esprit lutta avec courage contre les répugnances de la chair. Lorsque Catherine sentait son estomac en pleine révolte, à la vue de certains ulcères purulents et de certains insectes, elle portait résolument à la bouche ce qui causait son dégoût le plus violent et elle l'avalait. Et ces actes héroïques elle ne se borna pas à les faire une ou deux fois, elle les répéta jusqu'à ce qu'elle eût remporté le triomphe le plus complet, et que la nature fût domptée assez parfaitement pour être devenue indifférente à toutes choses et ne trouver de plaisir ou de peine en rien. Après que Catherine se fût livrée quatorze mois aux mortifications et aux oeuvres de pénitence dont il a été question dans ce chapitre, Dieu lui révéla qu'elle avait abondamment satisfait à sa justice.
« A cette même époque, ajoutent ses biographes contemporains, le souvenir peignant de ses fautes, qui jusqu'alors l'avait poursuivie jour et nuit, lui fut enlevé complètement; de telle sorte qu'elle ne le garda pas plus que si tous ses péchés eussent été jetés au fond de la mer ». Toutefois, malgré la certitude intime qu'elle éprouvait à cet égard, la sainte continua, pendant trois années encore, la pénitence que nous avons décrite ci-dessus. Au bout de ce temps, il n'existait plus en elle de vestiges d'aucun de ses appétits naturels; elle avait acquis une telle force dans les habitudes vertueuses, que la pratique de la perfection ne lui semblait accompagnée d'aucune difficulté, et qu'il ne lui arriva plus jamais d'avoir de tentation.
Pénitence de Catherine.
Catherine, après avoir passé quelques jours dans les dispositions que nous venons de décrire, retourna à l'église de Sainte Marie des Grâces pour se confesser. Elle fit une confession générale de sa vie entière, avec une si extrême contrition et des signes si manifestes de douleur intérieure, que le prêtre auquel elle ouvrit son coeur en demeura pénétré d'étonnement et d'admiration,et permit immédiatement à sa pénitente de communier. Ceci se passait le jour où l'Eglise célèbre la fête de l'Annonciation de la Vierge. Catherine s'approcha de la table sainte et reçut le corps de Notre-Seigneur. Alors Dieu donna cette faim insatiable de la très sainte Eucharistie qu'elle a toujours conservée depuis. La privation du pain de vie causait de si intolérables tourments, que ses confesseurs, voyant dans ce symptôme une preuve évidente de la volonté divine, l'admirent bientôt à la communion quotidienne. Cependant Catherine avait constamment devant les yeux ses fautes passées, et ce souvenir entretenait son repentir et sa haine d'elle-même. Elle résolut, pour se punir, de se livrer aux oeuvres de la pénitence la plus sévère. Son mari, dans la maison duquel elle continua d'habiter, lui accorda la liberté de vivre comme elle le voudrait, et renonça, Dieu l'y incitant, à ses droits d'époux; il s'engagea à n'être désormais qu'un frère pour Catherine. Sous ce rapport, au moins, il demeura fidèle à sa parole. Maîtresse de ses actions, notre sainte entra courageusement dans la voie qu'elle avait choisie; d'un seul bond, elle atteignit le sommet de la perfection, et jamais elle ne fit de pas en arrière. Sa conversion, oeuvre toute divine, fut aussi prompte et aussi complète que l'avaient été celles de saint Paul et de sainte Madeleine; et dès le premier moment, elle se montra digne de marcher sur les traces de ces deux illustres saints, par la fidélité parfaite avec laquelle elle correspondit à la grâce.
Peu de pénitents ont poussé aussi loin qu'elle la mortification extérieure et intérieure. Catherine réduisit d'abord ses sens dans la servitude la plus complète. Elle fit un pacte avec ses yeux : constamment elle les tenait fixés à terre, au point de rester étrangère à ce qui se passait autour d'elle, de ne rien voir et de ne pas reconnaître les passants. De même elle interdit à sa langue toute parole inutile; et, pour se punir de l'abus qu'elle estimait en avoir fait autrefois, il lui arrivait souvent de la frotter contre le sol de manière à la mettre en sang. Mangeant uniquement pour vivre et forçant son corps à se contenter du nécessaire le plus strict et le plus réduit, elle s'interdit à jamais l'usage de la viande et des fruits qu'elle aimait beaucoup; et, lorsqu'on lui présentait quelque mets agréable qui pouvait la délecter, elle avait soin d'y mêler adroitement de la poudre d'absinthe ou d'aloès, de manière à lui donner un goût nauséabond et désagréable. Elle s'astreignit aussi à dormir fort peu; souvent elle mettait dans son lit des ronces et des chardons pour se priver de la douceur du repos. Mais, ainsi qu'elle nous le dit elle-même, Dieu qui voulait la laisser jouir du sommeil nécessaire, déjouait son calcul, et elle dormait aussi bien sur les épines que sur le duvet. Non contente de ces différents exercices, elle portait constamment un très rude cilice; et tous les jours elle passait six à sept heures en prières, immobile, agenouillée à nu sur la terre. Elle avoue que le corps en souffrait beaucoup; mais elle dit aussi qu'il s'y soumettait et ne laissait pas pour cela de servir l'âme avec zèle et fidélité. Les jeûnes auxquels elle se condamna étaient longs et sévères; cependant le feu qui la consumait desséchait à tel point son intérieur, que pendant les années qui suivirent sa conversion elle souffrit presque constamment d'une faim insatiable. « Ce qu'elle avalait, dit son biographe contemporain, était tout aussitôt consumé; elle eût digéré le fer ». Catherine s'attacha avec plus de soins encore à la mortification intérieure qu'à celle qui n'a rapport qu'à l'extérieur. « Les macérations infligées au corps, avait-elle coutume de dire, sont parfaitement inutiles lorsqu'elles ne sont pas accompagnées de l'abnégation du moi ». Pour mettre cette maxime en pratique, la sainte s'efforçait de découvrir toutes ses affections et les tendances de la volonté propre, afin de les vaincre et de les détruire. Dès que son appétit naturel aspirait à une chose, elle la lui refusait et l'obligeait à embrasser l'opposé; dès que la nature éprouvait de l'horreur ou de la répugnance pour quoi que ce soit, Catherine agissait à l'encontre de ce sentiment, pour asservir plus complètement la chair à l'esprit. Elle en vint ainsi à n'avoir plus aucun désir, aucune préférence, à se trouver, vis-à-vis de tout ce qui n'était pas Dieu, dans un état parfait de sainte indifférence. Elle prit également l'habitude de se soumettre aux autres, d'obéir avec promptitude, même à ses inférieurs, lorsqu'ils lui commandaient des choses permises, mais contraires à sa volonté; exerçant ainsi la vertu d'humilité dans sa plus grande perfection. A toutes les mortifications dont nous venons de rendre compte, Catherine joignit encore les exercices de la charité la plus sublime. Fort peu de temps après sa conversion, elle se dévoua au service des pauvres malades. L'administration dite de la Miséricorde existait depuis longtemps à Gênes; elle avait été fondée en 1403, par l'archevêque Pileus Marinus, qui avait confié à quatre des principaux citoyens de la République la gestion des biens des malheureux et des hôpitaux. Ces magistrats s'associaient habituellement huit dames nobles, riches, et de conduite irréprochables, lesquelles étaient chargées de veiller aux besoins des pauvres, notamment des pauvres honteux, et de les secourir. Or les matrones qui remplissaient ces fonctions à l'époque dont nous nous occupons, prièrent Catherine d'aller à la recherche des infirmes répandus dans la ville et de leur donner ses soins. Elle ressentit une joie inexprimable lorsqu'elle vit que, par pure obéissance, et sans que la volonté propre s'en fût mêlée, il lui était permis de servir Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la personne des infortunés; « et elle trouva de la sorte, dit son biographe anonyme, l'occasion d'exercer son ardente charité et d'accomplir en même temps les actes de la mortification la plus héroïque ».
La sainte commença sans délai l'exercice de son nouvel emploi. Tous les jours, la noble jeune femme, vêtue avec la plus grande simplicité, et les yeux constamment baissés, suivant sa coutume, parcourait les rues et les places publiques pour découvrir les pauvres et les malades qui cachaient leur détresse. Conduite par l'amour divin, elle finissait toujours par les trouver, et elle s'empressait de leur prodiguer ses soins et de leur rendre les plus humbles services. Rencontrait-elle quelques lépreux, quelques gens couverts d'ulcères ou de plaies engendrant la gangrène, ceux-là devenaient les objets de son dévouement le plus tendre; elle leur procurait des demeures saines et commodes, des lits, du linge, la nourriture et les remèdes dont ils avaient besoin; elle consacrait à cet emploi ses propres deniers aussi bien que les fonds de l'oeuvre de la Miséricorde. Mais elle ne se bornait pas à ces soins généreux, elle remplissait auprès des malades les offices de garde et de servante, jusque dans leurs détails les plus rebutants; elle emportait dans sa demeure les haillons des pauvres, les purifiait, les lavait, les purgeait de la vermine, les raccommodait, et les rendait parfumés et remis en bon état à ceux à qui ils appartenaient. Jamais Dieu ne permit qu'aucun des affreux insectes qui pullulent habituellement dans ces livrées de la misère s'attachât à Catherine. Notre sainte, non contente d'aller à la recherche des malheureux dans les différents quartiers de la ville, se rendait très souvent aussi à l'hospice de Saint-Lazare, destiné aux incurables. Des malades horribles à voir s'y trouvaient réunis; il en était qui, couverts de hideux ulcères de la tête aux pieds, répandaient l'odeur la plus infecte; désespérés par la souffrance, ils avaient sans cesse le blasphème à la bouche et prodiguaient l'injure à tout ce qui approchait. Catherine leur opposait une douceur inaltérable; elle les soignait, les nourrissait, les calmait et les exhortait à la patience, à se soumettre à la volonté de Dieu et à donner un mérite infini à leurs douleurs en les unissant à celles plus cruelles encore que Jésus-Christ avait endurées pour l'amour d'eux. Elle revenait si souvent à la charge qu'habituellement elle consolait et fortifiait ceux même qui, d'abord, s'étaient montrés les plus durs et les plus récalcitrants. Cependant notre jeune sainte avait livré de rudes combats et subi de terribles assauts, avant d'être arrivée à la faculté de voir et de soigner impunément toutes les misères humaines.
Elle avait une horreur, instinctive pour les maladies, les ordures, les mauvaises odeurs surtout; mais l'esprit lutta avec courage contre les répugnances de la chair. Lorsque Catherine sentait son estomac en pleine révolte, à la vue de certains ulcères purulents et de certains insectes, elle portait résolument à la bouche ce qui causait son dégoût le plus violent et elle l'avalait. Et ces actes héroïques elle ne se borna pas à les faire une ou deux fois, elle les répéta jusqu'à ce qu'elle eût remporté le triomphe le plus complet, et que la nature fût domptée assez parfaitement pour être devenue indifférente à toutes choses et ne trouver de plaisir ou de peine en rien. Après que Catherine se fût livrée quatorze mois aux mortifications et aux oeuvres de pénitence dont il a été question dans ce chapitre, Dieu lui révéla qu'elle avait abondamment satisfait à sa justice.
« A cette même époque, ajoutent ses biographes contemporains, le souvenir peignant de ses fautes, qui jusqu'alors l'avait poursuivie jour et nuit, lui fut enlevé complètement; de telle sorte qu'elle ne le garda pas plus que si tous ses péchés eussent été jetés au fond de la mer ». Toutefois, malgré la certitude intime qu'elle éprouvait à cet égard, la sainte continua, pendant trois années encore, la pénitence que nous avons décrite ci-dessus. Au bout de ce temps, il n'existait plus en elle de vestiges d'aucun de ses appétits naturels; elle avait acquis une telle force dans les habitudes vertueuses, que la pratique de la perfection ne lui semblait accompagnée d'aucune difficulté, et qu'il ne lui arriva plus jamais d'avoir de tentation.
CHAPITRE VI
Détails sur la vie intérieure et sur les jeunes
extraordinaires de Catherine.
Tandis que Catherine domptait la nature, brisait ses inclinaisons et anéantissait la volonté propre, jamais elle ne perdait la présence de Dieu. Elle ne l'avait pas perdue une seule fois depuis le jour où elle s'était vue terrassée comme un nouveau Saul dans le confessionnal de Sainte Marie des Grâces. « A partir de cet heureux instant, l'amour divin remplit son être, à l'exclusion de tout autre sentiment ».
Jamais il n'y eut, dans Catherine de Gênes, de hauts et de bas, de mouvements de ferveur ou de prostration extraordinaire. Sa conversion ne s'était pas faite peu à peu et graduellement; elle avait été complète et instantanée. La sainte ne comprenait pas que l'âme qui aime Dieu pût ne pas être toute à lui dès le premier moment, et qu'il fût possible d'avancer méthodiquement dans les voies de l'amour. Elle avait parfois des discussions, à ce sujet, avec sa belle-soeur Thomasine Fiesca, pieuse femme de très grand mérite, qui, elle aussi, avait formé le projet de fuir le siècle et les dangers du monde. Mais Thomasine, loin de rompre brusquement avec la société, se retirait peu à peu, avait peur de sa propre inconstance, et coupait doucement les liens qui l'avaient enlacée; en un mot elle cheminait lentement vers la perfection, par des vertus acquises. Tandis que Catherine y était arrivée d'un seul bond, par la grâce de Dieu. Notre sainte blâmait la marche timide de sa belle-soeur, et lui disait parfois que le véritable amour de Dieu ne pouvait s'arranger de tant de lenteur et de paresse à son service. « Catherine, lui répondait alors Thomasine, vous prenez les choses en désespérée; j'ai peur de ne pouvoir persévérer, et je serais trop accablée de honte, s'il me fallait revenir sur mes pas ». Et Catherine redoublait d'étonnement : la possibilité de retourner en arrière lui paraissait plus incompréhensible encore que tout le reste. "Si je revenais sur mes pas, s'écriait-elle, presque hors d'elle-même, je voudrais non seulement qu'on m'arrachât les yeux, mais encore qu'on me couvrit de toutes sortes d'opprobres et de honte." Les deux nobles femmes continuèrent cependant à suivre leurs différentes voies. Thomasine fit de grands progrès dans la vertu; ayant perdu son mari, elle prit le voile dans le couvent des dominicaines de Saint-Sylvestre, et vingt ans plus tard, Dieu se servit d'elle pour réformer un autre monastère du même ordre. Les contemporains célèbrent sa haute prudence, sa sainteté et son grand amour de Dieu.
Thomasine a laissé divers écrits et traités de dévotion très estimés; elle avait un talent remarquable pour la peinture, et, pendant plusieurs siècles, ses ouvrages en tapisserie ont fait l'admiration du public; elle mourut en 1535, âgée de quatre-vingt-six ans. Quant à Catherine, Dieu seul continua à faire ses opérations dans son âme et à la guider vers les hauteurs de la perfection la plus sublime, sans l'assistance d'un prêtre régulier ou séculier. Elle se bornait à se confesser; mais, pendant vingt-cinq ans, elle n'eut en qualité de directeur spirituel que Notre-Seigneur lui-même par ses instructions, il réglait la vie intérieure et extérieure de la sainte et lui apprenait tout ce qu'elle devait savoir. "Dieu, qui s'était chargé du soin de ma sanctification, dit à ce propos Catherine, ne voulait pas qu'un autre que lui ne se mêlât de cette affaire." Cette marche, tout exceptionnelle, a quelque chose qui effraie à la première vue; elle est contraire à la pratique que recommande l'Eglise comme la plus prudente et la plus sûre. La direction d'un guide sage et éclairé met en effet à l'abri des illusions de la vanité et des pièges du démon. Toutefois, saint Grégoire-le-Grand nous enseigne, dans ses Dialogues, que parfois Dieu conduit directement certaines âmes privilégiées, sans l'intervention d'aucune créature. « Il est des âmes, dit ce grand Pape, qui ont le Saint-Esprit pour maître; de sorte que, si la conduite des docteurs leur manque, la censure du maître des docteurs ne leur fait pas défaut. Mais, ajoute saint Grégoire, cette voie de liberté ne convient pas à tous. Que les faibles prennent garde de se croire ainsi sous la conduite du Saint-Esprit, de peur qu'ils ne deviennent maîtres de l'erreur, en refusant de se constituer les disciples d'un homme. L'âme qui est véritablement remplie de l'Esprit-Saint a, pour le savoir, des signes infaillibles, le progrès des vertus et l'humilité ». Les deux signes que saint Grégoire-le-Grand indique comme infaillibles se trouvaient réunis au plus haut degré dans Catherine; d'ailleurs, ses biographes les plus anciens nous apprennent que Dieu prenait soin de la rassurer et de dissiper les inquiétudes qu'on chercha à lui inspirer en diverses rencontres, à l'occasion de la voie qu'elle suivait. Cédant à l'avis de ceux qui lui disaient qu'elle marcherait plus en sûreté dans le chemin de l'obéissance, il lui arriva quelquefois de vouloir se soumettre à une direction spirituelle; mais elle éprouvait alors un découragement et un malaise intérieur si grands, qu'elle était obligée de renoncer à son projet; et elle entendait distinctement la voix de son bien-aimé, qui lui disait en son coeur : « Confie-toi en moi, et ne te laisse pas troubler par ces pensées de crainte ».
Dieu, qui voulait la diriger seul, avait avec elle des colloques dans lesquels il lui donnait d'admirables leçons. Les trois premières règles d'une vie parfaite que le céleste précepteur communiqua à cette âme prédestinée furent les suivantes : « Ma fille, que jamais on ne vous entende dire : “Je veux, ou je ne veux pas; Vous ne direz jamais : Le mien, mais toujours, le nôtre; Ne vous excusez jamais; mais soyez toujours prête à vous accusez” ». Catherine grava ces leçons dans son coeur, et dans sa mémoire, et les mit fidèlement en pratique pendant toute sa vie. « En une autre occasion », disent ses biographes contemporains et les pièces de canonisation, « le Maître suprême, parlant à sa disciple bien-aimée, lui dit : “Je veux que vous donniez pour fondement à votre vie spirituelle ces paroles du Pater : Que votre volonté soit faite; cela signifie, ma fille, que vous devez vous conformer parfaitement à la volonté de Dieu, en toutes choses, à savoir, en tout ce qui a rapport à votre corps et à votre âme, à vos parents et à vos amis, à vos propriétés, à vos joies et à vos douleurs. Dans la salutation angélique, vous choisirez le mot Jésus, vous l'imprimerez profondément dans votre coeur, et, dans toutes les occasions et les nécessités de votre vie, ce mot divin vous servira de guide et de bouclier. Je veux aussi que vous preniez dans tous les livres saints une seule expression, qui en est comme la substance et le sommaire; la voici : Amour. L'amour vous rendra droite et gaie, prête à tout, fidèle, courageuse, et il vous préservera de toute erreur. Il vous dirigera par sa lumière, sans que jamais l'assistance d'aucune créature vous soit nécessaire; car jamais l'amour n'a besoin d'aide; il suffit pour faire réussir tout ce qu'il entreprend; il ne redoute rien; rien ne le fatigue, le martyre même lui semble plein de douceur. Aucune parole ne saurait donner une juste idée ni de la puissance de l'amour, ni de ses effets. Enfin l'amour règlera et purifiera vos inclinaisons et vos sentiments, et il consumera toutes les autres affections de votre âme et de vos sens” ». Catherine obéit merveilleusement à ces enseignements célestes, et Dieu la combla de grâces de plus en plus extraordinaires. L'une de ces grâces lui fut accordée au commencement du carême de la troisième année après sa conversion. Au jour de l'Annonciation, Notre-Seigneur fit entendre sa voix au coeur de la sainte et l'invita à l'accompagner dans le désert pour jeûner avec lui. Elle accepta avec joie, et, au même moment, elle perdit complètement le goût des aliments corporels et la faculté d'en faire usage. Elle resta jusqu'à Pâques sans prendre d'autre nourriture que le pain des Anges, qu'elle recevait chaque matin. Les trois jours de la fête, elle retrouva la faculté de manger, puis elle la perdit de nouveau, jusqu'à l'accomplissement de la sainte quarantaine.
Pendant les premiers temps de ce jeûne prodigieux, Catherine craignit que l'excessive répugnance qu'elle éprouvait pour les aliments ne fût une illusion produite par Satan. Elle continua donc à s'asseoir tous les jours à la table commune, et elle fit des efforts inouïs pour manger. Mais aussitôt que, surmontant son dégoût extrême, elle avait avalé quelque chose, son estomac le rejetait avec d'inexprimables douleurs. Ses commensaux stupéfaits d'un phénomène aussi extraordinaire, eurent inutilement recours à tous les moyens qu'emploie la médecine en pareil cas; et ne sachant plus qu'imaginer, ils firent ordonner à Catherine, par son confesseur, de manger comme tout le monde. Elle obéit avec sa promptitude habituelle; mais, cette fois, le vomissement fut encore plus douloureux que les précédents, et la sainte sembla prête à rendre le dernier soupir. Le confesseur, admirait l'opération divine, n'osa plus renouveler l'expérience. A partir de ce moment et pendant vingt-trois années consécutives, Catherine Adorne observa ce jeûne complet durant tous les carêmes et tous les avents. Jamais elle ne mangeait depuis le lundi de la Quinquagésime jusqu'au dimanche de Pâques, ni depuis la Saint-Martin jusqu'au jour de Noël; seulement elle prenait de loin en loin un verre d'eau mêlée de sel et de vinaigre, non point par goût ou par besoin, mais en mémoire de la boisson offerte au Sauveur crucifié. « Et lorsqu'elle avalait ce détestable breuvage, ajoutent ses biographes, on eût dit, au bruit qu'il opérait dans l'estomac de la sainte, qu'il tombait sur une pierre rougie au feu, tant était grande l'ardeur intérieure qui la consumait ». Il ressort avec évidence des témoignages contemporains et de toutes les pièces du procès de canonisation que, durant ses longues abstinences, Catherine se sentait plus forte et plus robuste qu'à l'ordinaire; elle travaillait davantage sans se fatiguer, dormait plus longtemps et mieux, et avait toutes les apparences d'une santé plus florissante que d'habitude [1]. Son humilité ne subit aucune altération à la suite des grâces et des faveurs visibles et extraordinaires que Dieu lui accordait; car, un jour que plusieurs personnes s'étonnaient de son jeûne prolongé, elle s'écria : « Si nous voulons admirer les opérations divines, occupons-nous plutôt des grâces intérieures que des choses extérieures. Mon abstinence est l'oeuvre de Dieu, ma volonté n'y est pour rien. Je ne puis donc m'en glorifier; nous ne devons pas même nous en étonner, car rien n'est difficile au Seigneur. Attachons-nous à considérer uniquement l'amour avec lequel sa divine majesté opère dans tout ce qu'elle fait, pour subvenir à nos nécessités et pour sa gloire. Quand l'âme voit les oeuvres si pures et si nettes de cet amour, qui agit sans considération d'aucun mérite de notre part, elle sent qu'à son tour elle doit aimer Dieu d'un amour désintéressé, n'ayant en vue que le Seigneur, et non pas les grâces qu'elle en pourrait recevoir; elle comprend que Dieu est digne d'être aimé pour lui-même, sans mesure, et sans égard à aucun intérêt personnel ».
Baillet, disciple zélé et fidèle de la triste école qui s'est efforcée de dépouiller les saints de leur auréole et de faire disparaître les miracles de l'histoire de l'Eglise, a cherché à jeter du doute sur le fait si avéré des jeûnes de Catherine de Gênes. Il le combat par de pitoyables raisons, dont la principale est que la chose lui paraît incroyable. Baillet réussit simplement à faire acte d'aveuglement et d'ignorance : d'aveuglement, parce qu'un événement miraculeux attesté unanimement par les témoins contemporains les plus dignes de foi, examiné d'après toutes les règles de la critique historique, et reconnu véritable dans un procès de canonisation, ne saurait être raisonnablement l'objet d'un doute; d'ignorance, parce qu'il lui eût suffi de jeter un coup d'œil sur les annales ecclésiastiques, pour trouver une foule d'exemples de jeûnes semblables. On les rencontre à travers tous les siècles, depuis les temps de saint Siméon Styliste et de saint Patrick, apôtre de l'Irlande, jusqu' à ceux de saint Nicolas de Flue, qui, pendant vingt années, ne prit aucune autre nourriture que la très sainte Eucharistie, de sainte Catherine de Sienne, d'Angèle de Foligno, et de tant d'autres saints qu'il est inutile de citer ici.
Détails sur la vie intérieure et sur les jeunes
extraordinaires de Catherine.
Tandis que Catherine domptait la nature, brisait ses inclinaisons et anéantissait la volonté propre, jamais elle ne perdait la présence de Dieu. Elle ne l'avait pas perdue une seule fois depuis le jour où elle s'était vue terrassée comme un nouveau Saul dans le confessionnal de Sainte Marie des Grâces. « A partir de cet heureux instant, l'amour divin remplit son être, à l'exclusion de tout autre sentiment ».
Jamais il n'y eut, dans Catherine de Gênes, de hauts et de bas, de mouvements de ferveur ou de prostration extraordinaire. Sa conversion ne s'était pas faite peu à peu et graduellement; elle avait été complète et instantanée. La sainte ne comprenait pas que l'âme qui aime Dieu pût ne pas être toute à lui dès le premier moment, et qu'il fût possible d'avancer méthodiquement dans les voies de l'amour. Elle avait parfois des discussions, à ce sujet, avec sa belle-soeur Thomasine Fiesca, pieuse femme de très grand mérite, qui, elle aussi, avait formé le projet de fuir le siècle et les dangers du monde. Mais Thomasine, loin de rompre brusquement avec la société, se retirait peu à peu, avait peur de sa propre inconstance, et coupait doucement les liens qui l'avaient enlacée; en un mot elle cheminait lentement vers la perfection, par des vertus acquises. Tandis que Catherine y était arrivée d'un seul bond, par la grâce de Dieu. Notre sainte blâmait la marche timide de sa belle-soeur, et lui disait parfois que le véritable amour de Dieu ne pouvait s'arranger de tant de lenteur et de paresse à son service. « Catherine, lui répondait alors Thomasine, vous prenez les choses en désespérée; j'ai peur de ne pouvoir persévérer, et je serais trop accablée de honte, s'il me fallait revenir sur mes pas ». Et Catherine redoublait d'étonnement : la possibilité de retourner en arrière lui paraissait plus incompréhensible encore que tout le reste. "Si je revenais sur mes pas, s'écriait-elle, presque hors d'elle-même, je voudrais non seulement qu'on m'arrachât les yeux, mais encore qu'on me couvrit de toutes sortes d'opprobres et de honte." Les deux nobles femmes continuèrent cependant à suivre leurs différentes voies. Thomasine fit de grands progrès dans la vertu; ayant perdu son mari, elle prit le voile dans le couvent des dominicaines de Saint-Sylvestre, et vingt ans plus tard, Dieu se servit d'elle pour réformer un autre monastère du même ordre. Les contemporains célèbrent sa haute prudence, sa sainteté et son grand amour de Dieu.
Thomasine a laissé divers écrits et traités de dévotion très estimés; elle avait un talent remarquable pour la peinture, et, pendant plusieurs siècles, ses ouvrages en tapisserie ont fait l'admiration du public; elle mourut en 1535, âgée de quatre-vingt-six ans. Quant à Catherine, Dieu seul continua à faire ses opérations dans son âme et à la guider vers les hauteurs de la perfection la plus sublime, sans l'assistance d'un prêtre régulier ou séculier. Elle se bornait à se confesser; mais, pendant vingt-cinq ans, elle n'eut en qualité de directeur spirituel que Notre-Seigneur lui-même par ses instructions, il réglait la vie intérieure et extérieure de la sainte et lui apprenait tout ce qu'elle devait savoir. "Dieu, qui s'était chargé du soin de ma sanctification, dit à ce propos Catherine, ne voulait pas qu'un autre que lui ne se mêlât de cette affaire." Cette marche, tout exceptionnelle, a quelque chose qui effraie à la première vue; elle est contraire à la pratique que recommande l'Eglise comme la plus prudente et la plus sûre. La direction d'un guide sage et éclairé met en effet à l'abri des illusions de la vanité et des pièges du démon. Toutefois, saint Grégoire-le-Grand nous enseigne, dans ses Dialogues, que parfois Dieu conduit directement certaines âmes privilégiées, sans l'intervention d'aucune créature. « Il est des âmes, dit ce grand Pape, qui ont le Saint-Esprit pour maître; de sorte que, si la conduite des docteurs leur manque, la censure du maître des docteurs ne leur fait pas défaut. Mais, ajoute saint Grégoire, cette voie de liberté ne convient pas à tous. Que les faibles prennent garde de se croire ainsi sous la conduite du Saint-Esprit, de peur qu'ils ne deviennent maîtres de l'erreur, en refusant de se constituer les disciples d'un homme. L'âme qui est véritablement remplie de l'Esprit-Saint a, pour le savoir, des signes infaillibles, le progrès des vertus et l'humilité ». Les deux signes que saint Grégoire-le-Grand indique comme infaillibles se trouvaient réunis au plus haut degré dans Catherine; d'ailleurs, ses biographes les plus anciens nous apprennent que Dieu prenait soin de la rassurer et de dissiper les inquiétudes qu'on chercha à lui inspirer en diverses rencontres, à l'occasion de la voie qu'elle suivait. Cédant à l'avis de ceux qui lui disaient qu'elle marcherait plus en sûreté dans le chemin de l'obéissance, il lui arriva quelquefois de vouloir se soumettre à une direction spirituelle; mais elle éprouvait alors un découragement et un malaise intérieur si grands, qu'elle était obligée de renoncer à son projet; et elle entendait distinctement la voix de son bien-aimé, qui lui disait en son coeur : « Confie-toi en moi, et ne te laisse pas troubler par ces pensées de crainte ».
Dieu, qui voulait la diriger seul, avait avec elle des colloques dans lesquels il lui donnait d'admirables leçons. Les trois premières règles d'une vie parfaite que le céleste précepteur communiqua à cette âme prédestinée furent les suivantes : « Ma fille, que jamais on ne vous entende dire : “Je veux, ou je ne veux pas; Vous ne direz jamais : Le mien, mais toujours, le nôtre; Ne vous excusez jamais; mais soyez toujours prête à vous accusez” ». Catherine grava ces leçons dans son coeur, et dans sa mémoire, et les mit fidèlement en pratique pendant toute sa vie. « En une autre occasion », disent ses biographes contemporains et les pièces de canonisation, « le Maître suprême, parlant à sa disciple bien-aimée, lui dit : “Je veux que vous donniez pour fondement à votre vie spirituelle ces paroles du Pater : Que votre volonté soit faite; cela signifie, ma fille, que vous devez vous conformer parfaitement à la volonté de Dieu, en toutes choses, à savoir, en tout ce qui a rapport à votre corps et à votre âme, à vos parents et à vos amis, à vos propriétés, à vos joies et à vos douleurs. Dans la salutation angélique, vous choisirez le mot Jésus, vous l'imprimerez profondément dans votre coeur, et, dans toutes les occasions et les nécessités de votre vie, ce mot divin vous servira de guide et de bouclier. Je veux aussi que vous preniez dans tous les livres saints une seule expression, qui en est comme la substance et le sommaire; la voici : Amour. L'amour vous rendra droite et gaie, prête à tout, fidèle, courageuse, et il vous préservera de toute erreur. Il vous dirigera par sa lumière, sans que jamais l'assistance d'aucune créature vous soit nécessaire; car jamais l'amour n'a besoin d'aide; il suffit pour faire réussir tout ce qu'il entreprend; il ne redoute rien; rien ne le fatigue, le martyre même lui semble plein de douceur. Aucune parole ne saurait donner une juste idée ni de la puissance de l'amour, ni de ses effets. Enfin l'amour règlera et purifiera vos inclinaisons et vos sentiments, et il consumera toutes les autres affections de votre âme et de vos sens” ». Catherine obéit merveilleusement à ces enseignements célestes, et Dieu la combla de grâces de plus en plus extraordinaires. L'une de ces grâces lui fut accordée au commencement du carême de la troisième année après sa conversion. Au jour de l'Annonciation, Notre-Seigneur fit entendre sa voix au coeur de la sainte et l'invita à l'accompagner dans le désert pour jeûner avec lui. Elle accepta avec joie, et, au même moment, elle perdit complètement le goût des aliments corporels et la faculté d'en faire usage. Elle resta jusqu'à Pâques sans prendre d'autre nourriture que le pain des Anges, qu'elle recevait chaque matin. Les trois jours de la fête, elle retrouva la faculté de manger, puis elle la perdit de nouveau, jusqu'à l'accomplissement de la sainte quarantaine.
Pendant les premiers temps de ce jeûne prodigieux, Catherine craignit que l'excessive répugnance qu'elle éprouvait pour les aliments ne fût une illusion produite par Satan. Elle continua donc à s'asseoir tous les jours à la table commune, et elle fit des efforts inouïs pour manger. Mais aussitôt que, surmontant son dégoût extrême, elle avait avalé quelque chose, son estomac le rejetait avec d'inexprimables douleurs. Ses commensaux stupéfaits d'un phénomène aussi extraordinaire, eurent inutilement recours à tous les moyens qu'emploie la médecine en pareil cas; et ne sachant plus qu'imaginer, ils firent ordonner à Catherine, par son confesseur, de manger comme tout le monde. Elle obéit avec sa promptitude habituelle; mais, cette fois, le vomissement fut encore plus douloureux que les précédents, et la sainte sembla prête à rendre le dernier soupir. Le confesseur, admirait l'opération divine, n'osa plus renouveler l'expérience. A partir de ce moment et pendant vingt-trois années consécutives, Catherine Adorne observa ce jeûne complet durant tous les carêmes et tous les avents. Jamais elle ne mangeait depuis le lundi de la Quinquagésime jusqu'au dimanche de Pâques, ni depuis la Saint-Martin jusqu'au jour de Noël; seulement elle prenait de loin en loin un verre d'eau mêlée de sel et de vinaigre, non point par goût ou par besoin, mais en mémoire de la boisson offerte au Sauveur crucifié. « Et lorsqu'elle avalait ce détestable breuvage, ajoutent ses biographes, on eût dit, au bruit qu'il opérait dans l'estomac de la sainte, qu'il tombait sur une pierre rougie au feu, tant était grande l'ardeur intérieure qui la consumait ». Il ressort avec évidence des témoignages contemporains et de toutes les pièces du procès de canonisation que, durant ses longues abstinences, Catherine se sentait plus forte et plus robuste qu'à l'ordinaire; elle travaillait davantage sans se fatiguer, dormait plus longtemps et mieux, et avait toutes les apparences d'une santé plus florissante que d'habitude [1]. Son humilité ne subit aucune altération à la suite des grâces et des faveurs visibles et extraordinaires que Dieu lui accordait; car, un jour que plusieurs personnes s'étonnaient de son jeûne prolongé, elle s'écria : « Si nous voulons admirer les opérations divines, occupons-nous plutôt des grâces intérieures que des choses extérieures. Mon abstinence est l'oeuvre de Dieu, ma volonté n'y est pour rien. Je ne puis donc m'en glorifier; nous ne devons pas même nous en étonner, car rien n'est difficile au Seigneur. Attachons-nous à considérer uniquement l'amour avec lequel sa divine majesté opère dans tout ce qu'elle fait, pour subvenir à nos nécessités et pour sa gloire. Quand l'âme voit les oeuvres si pures et si nettes de cet amour, qui agit sans considération d'aucun mérite de notre part, elle sent qu'à son tour elle doit aimer Dieu d'un amour désintéressé, n'ayant en vue que le Seigneur, et non pas les grâces qu'elle en pourrait recevoir; elle comprend que Dieu est digne d'être aimé pour lui-même, sans mesure, et sans égard à aucun intérêt personnel ».
Baillet, disciple zélé et fidèle de la triste école qui s'est efforcée de dépouiller les saints de leur auréole et de faire disparaître les miracles de l'histoire de l'Eglise, a cherché à jeter du doute sur le fait si avéré des jeûnes de Catherine de Gênes. Il le combat par de pitoyables raisons, dont la principale est que la chose lui paraît incroyable. Baillet réussit simplement à faire acte d'aveuglement et d'ignorance : d'aveuglement, parce qu'un événement miraculeux attesté unanimement par les témoins contemporains les plus dignes de foi, examiné d'après toutes les règles de la critique historique, et reconnu véritable dans un procès de canonisation, ne saurait être raisonnablement l'objet d'un doute; d'ignorance, parce qu'il lui eût suffi de jeter un coup d'œil sur les annales ecclésiastiques, pour trouver une foule d'exemples de jeûnes semblables. On les rencontre à travers tous les siècles, depuis les temps de saint Siméon Styliste et de saint Patrick, apôtre de l'Irlande, jusqu' à ceux de saint Nicolas de Flue, qui, pendant vingt années, ne prit aucune autre nourriture que la très sainte Eucharistie, de sainte Catherine de Sienne, d'Angèle de Foligno, et de tant d'autres saints qu'il est inutile de citer ici.
CHAPITRE VII
Conversion du mari de la sainte
Catherine placée a la tête du grand hôpital de Gênes conversion de marc Del Sale. Julien Adorne avait continué à mener une vie dissipée, et à se livrer à sa passion pour le jeu et pour les plaisirs du monde. Catherine, sans jamais se plaindre, priait Dieu de sauver cette âme qui courait à sa perte. Julien ne mettait pas de bornes à ses folles prodigalités; au bout de quelques années, il se trouva complètement ruiné, et, après avoir payé ses dettes, il se vit réduit à un état voisin de la pauvreté. La fortune de sa femme avait disparu avec la sienne. Alors enfin, il rentra en lui-même, pria humblement Catherine de lui pardonner sa conduite passée, se fit recevoir tertiaire dans l'ordre de Saint-François, et s'associa aux bonnes oeuvres de notre sainte. Catherine continuait à aller à la recherche des infirmes et des malheureux, et à leur prodiguer les secours et les consolations. Mais Dieu, voulant faire davantage la charité de sa fille bien-aimée, la transporta sur un plus vaste théâtre. Il inspira aux nobles administrateurs du grand hôpital de Gênes la pensée de confier à cette femme héroïque la surveillance du service des malades de leur établissement. Ils espéraient que, si elle acceptait cette proposition, les employés, encouragés par les exemples, rempliraient leurs devoirs avec plus de zèle, qu'elle leur apprendrait à donner des soins, non seulement aux corps, mais encore aux âmes des infirmes; et enfin ils jugeaient que la présence d'une femme de si sainte vie et d'un rang si élevé ferait rejaillir beaucoup d'honneur sur l'hospice et sur ses chefs et directeurs. Catherine fut priée, en conséquence, d'étendre sa charité aux nombreux infortunés que renfermait cette immense maison, et de leur donner la même assistance qu'à ceux de la ville. Elle accepta joyeusement; car son divin Maître lui avait dit : « Ma fille, je veux que toutes les fois que vous serez priée d'accomplir une oeuvre de charité, telle que de servir les pauvres et les malades, vous ne vous en excusiez jamais, et que toujours vous accomplissiez la volonté d'autrui ». Une maison de très modeste apparence, située à côté de l'hospice et de laquelle dépendait un petit jardin, était alors disponible. Catherine la loua, afin d'être plus près de ceux qu'elle devait soigner. Elle s'y établit avec son époux, et commença à exercer son nouvel emploi. Jour et nuit on voyait la noble femme, jeune et belle encore, couverte de vêtements grossiers, parcourir les salles, s'arrêter à tous les lits, prodiguant les consolations, et renouvelant les actes héroïques dont nous avons rendu compte précédemment. Les contemporains rapportent entre autres faits que, dans les premiers temps du séjour de Catherine au grand hospice, on y avait recueilli une tertiaire franciscaine, personne de sainte vie, atteinte d'une fièvre pestilentielle. Cette femme eut une agonie de huit jours, pendant lesquels elle perdit l'usage de la parole. Notre sainte la visitait fréquemment, et l'engageait à appeler Jésus. La moribonde ne pouvait proférer un son; mais le mouvement de ses lèvres et l'expression de son regard prouvaient qu'elle avait la volonté de le faire, et que son coeur était brûlant d'amour. « Alors, dit encore le vieil historien, Catherine, lui voyant la bouche pleine de Jésus, ne se contint plus; elle baisa avec transport les lèvres de la mourante, pour y recueillir le nom sacré de son bien-aimé. Mais, elle y prit aussi le germe de la peste qui la réduisit à toute extrémité. Elle en guérit contre toute espérance, et rentra dans ses fonctions habituelles ». Catherine eut occasion d'exercer l'obéissance à un degré héroïque, tandis qu'elle assistait les malheureux du grand hospice. Elle exécutait humblement, sans se permettre une observation ou une réplique, les ordres que lui donnaient les officiers inférieurs et les serviteurs de l'établissement, et ceux-ci abusaient des vertus de la sainte, pour la traiter comme si elle eût été leur servante, et l'accabler souvent des reproches les plus injustes. Elle supportait tout, jamais elle ne répondait; et cette humilité excessive lui attirait de nouveaux mépris. Ces mépris étaient pour elle une source de joie intime; car son désir le plus ardent était d'occuper le dernier rang dans l'estime de tout le monde; elle chercha, et réussit, à se rendre plus vile encore dans l'opinion de ceux qui l'entouraient, en demandant l'aumône dans les rues et aux portes des églises, et en vendant l'ouvrage de ses mains pour vivre. Les employés de l'hôpital profitèrent avec empressement de cette circonstance pour tourner en ridicule une personne dont le zèle et l'abnégation contrastaient avec leur paresse et leur vénalité. Mais, si les serviteurs de l'hospice méprisaient la sainte, ses nobles protecteurs, au contraire, observateurs de ses vertus, de son dévouement, et de la puissance merveilleuse que Dieu lui avait donnée pour la conversion des âmes, éprouvaient pour elle une vénération sans bornes. A près avoir été témoins, pendant plusieurs années, de son ardeur et de ses travaux, ils la nommèrent rectrice de l'établissement, et ils lui conférèrent des pouvoirs illimités. Catherine accepta, sans sortir pour cela de son humilité et de son abjection; elle remplit scrupuleusement les devoirs étendus de sa charge; mais ne renonça à aucune de ses oeuvres habituelles de charité. On était stupéfait en voyant que, malgré ses longues oraisons, ses fréquents ravissements, elle savait s'arranger de manière à ne rien négliger, et à ne jamais oublier la moindre des affaires confiées à ses soins. Dieu lui-même y veillait; les immenses sommes nécessaires à l'entretien de l'établissement lui passaient par les mains; elle était chargée des recettes et des dépenses; elle tenait registre de tout, et jamais, après de longues années de gestion, on ne put découvrir l'erreur la plus légère dans ses comptes. « Mais, dit à ce propos son biographe, autant elle était attentive au bien des pauvres, autant elle avait peu de souci de ce qui lui appartenait en propre; Catherine ne s'occupait en aucune façon de ses affaires privées, elle avait remis à Dieu la direction de tout ce qui regardait sa personne, et elle était à cet égard dans l'indifférence la plus complète ». La sainte dirigea jusqu'à sa mort le grand hospice de Gênes. Ce qu'il y a de plus remarquable et de plus extraordinaire, c'est qu'en remplissant avec un zèle incomparable ses laborieuses fonctions de directrices, elle se bornait à obéir à l'impulsion divine qui la poussait à travailler, à marcher et à parler, mais sans faire, pour ainsi dire, d'acte de volonté. Les puissances de son âme étant complètement submergées dans l'océan de l'amour de Dieu, elle restait étrangère à ce qui se passait autour d'elle : « Elle était si pleine de Dieu, dit son plus ancien historien, que l'accès de son coeur et de son esprit demeurait entièrement fermé aux créatures; elle était par conséquent incapable d'appliquer sa mémoire, son intelligence, et ses autres facultés, aux actions extérieures; mais, lorsque cela devenait nécessaire, le Seigneur la rendait à elle-même, de manière qu'elle pût opérer au dehors ».
Catherine, tout en agissant lorsque Dieu l'y incitait, ne sortait pas de la solitude et du recueillement intérieur, et ne permettait jamais à quoi que ce soit de se placer entre elle et son bien-aimé. Sa crainte à ce sujet était telle, qu'un jour elle s'écria : « Seigneur, vous me commandez d'aimer le prochain, et cependant je ne puis aimer que vous, et je ne veux pas que jamais l'amour de la créature se mêle à celui que je vous porte : comment donc ferai-je ? ». La voix divine qui lui parlait se fit entendre dans l'intérieur de son cœur, et lui dit : « Ma fille, celle qui m'aime doit aimer aussi ce que j'aime; par conséquent elle doit aimer le prochain, après Dieu, s'employer de corps et d'âme pour procurer son salut, et ne jamais éviter les occasions, même pénibles et dangereuses, de lui porter secours. L'amour du prochain est une marque infaillible de l'amour que la créature porte à Dieu, puisque le Seigneur est le créateur, le père et le conservateur de tous les hommes. C'est par l'amour du prochain que la créature reconnaîtra véritablement le grand amour que Dieu lui porte; ne pouvant faire de bien à la divine Majesté qui n'en a pas besoin, elle en procure, pour son amour, aux membres souffrants de Jésus-Christ. La charité envers le prochain est une des vertus les plus excellentes elle consiste : A lui vouloir le même bien que l'on se veut à soi-même. A céder les intérêts temporels pour procurer le salut de son âme. A lui faire le bien sans en rien prétendre, purement pour l'amour de Dieu ». Catherine fut alors rassurée, craignant cependant la faiblesse humaine, et redoutant ce qui aurait pu troubler son colloque intérieur, elle demanda au Seigneur de lui enlever, complètement et parfaitement, le souvenir de toute oeuvre de charité aussitôt qu'elle l'aurait accomplie. Cette grâce lui fut accordée. Nous avons dit qu'en se chargeant de la direction du grand hôpital, la sainte n'avait pas cessé de s'occuper des infortunés de la ville. Or il advint, un jour qu'une femme, nommée Argentine, se rendit à l'hospice pour demander à Catherine de venir voir son mari et de prier Dieu pour lui. C'était un nommé Marco del Sale, qui habitait dans le quartier du Môle. Il avait un cancer au nez; et, après avoir fait usage inutilement des remèdes employés dans la médecine, il était dans un état voisin du désespoir. " Notre sainte était de si grande et prompt obéissance " envers chacun ", que, lorsqu'on l'appelait pour faire une oeuvre de miséricorde, elle se levait aussitôt et allait là où on la conduisait. Elle suivit donc l'étrangère; et, étant arrivée auprès du malade, elle le consola par quelques paroles toutes parfumées de charité et d'humilité. Puis elle partit, accompagnée d'Argentine, pour retourner à l'hôpital. Les deux femmes, passant devant l'église de Sainte Marie des Grâces, dite la vieille, y entrèrent. Là, s'étant agenouillée dans un coin, Catherine se sentit poussée à prier pour Marco del Sale; et, après avoir terminé son oraison, elle s'en revint chez elle et congédia Argentine. Celle-ci s'empressa d'aller rejoindre son mari. Elle le trouva aussi changé que si d'un démon il fût « devenu un ange »; dès qu'il la vit, il s'écria, d'un cœur joyeux et attendri : « O Argentine, dis-moi qu'elle est la sainte âme que tu m'as amenée ici ? » — « C'est Madame Catherine Adorna, répondit-elle, qui est de très parfaite vie ». Alors le malade ajouta : « je te prie pour l'amour de Dieu, de me l'amener une autre fois ». Sa femme le lui promit; et, en effet, le jour suivant elle retourna à l'hôpital, supplia la bienheureuse Catherine de visiter encore Marc, et lui raconta ce qui s'était passé. La sainte n'ignorait pas le changement qui s'était opéré dans le malade; la correspondance qu'elle avait sentie pendant sa prière de la veille l'avait instruite de tout. Car jamais elle ne pouvait se mettre à faire d'oraison particulière, que d'abord elle ne se sentit émue intérieurement et attirée de Dieu, et cette même émotion lui faisait comprendre aussi qu'elle serait exaucée. Lorsqu'elle entra dans la chambre de Marc, il l'embrassa et pleura longtemps; puis, le visage baigné de larmes, il lui dit avec une extrême douceur : -" Madame, j'ai désiré que vous vinssiez ici, premièrement pour vous remercier de la grande charité que vous m'avez témoignée, et puis pour vous demander une grâce que je vous supplie de ne pas me dénier. Il faut que vous sachiez que, lorsque vous fûtes partie d'ici, Notre Seigneur Jésus-Christ vint visiblement à moi, en la même forme sous laquelle il apparut à sainte Madeleine dans le jardin; il me donna sa très sainte bénédiction, me pardonna mes péchés, et me dit de me préparer, parce qu'au jour de l'Ascension je m'en irais à lui. Je vous prie donc, ma très douce mère, qu'il vous plaise d'accepter Argentine pour votre fille spirituelle, et de toujours la tenir auprès de vous; et toi, Argentine, je te prie de l'avoir pour agréable." Les deux femmes, ayant entendu ces paroles, y acquiescèrent joyeusement. Catherine partit, et Marc fit demander un religieux de l'ordre de Saint-Augustin, du monastère de la Consolation, se confessa et communia. Puis il mit ordre à ses affaires avec un notaire, en présence de ses parents, en ayant soin de disposer toutes choses de manière que chacun fût satisfait. Ceux qui l'entouraient croyaient que l'excès de la souffrance lui avait fait perdre le sens, et ils lui disaient : — Marc, prends courage, car bientôt tu seras en santé; il n'est pas encore besoin que tu t'occupes de ces choses. Mais leurs discours ne firent aucune impression sur le malade. La veille de la fête de l'Ascension, il demanda encore le même religieux, se confessa de nouveau et reçut le saint viatique; puis il se fit donner l'extrême-onction avec la recommandation de l'âme, « se munissant ainsi de toutes choses nécessaires à son voyage avec de grands sentiments de dévotion ». Lorsque la nuit commença, Marc pria le confesseur de retourner à son monastère. « Quand le moment sera venu, ajouta-il, je vous avertirai ». Chacun étant alors sorti de la maison, il demeura seul avec Argentine, sa femme; et, se tournant vers elle, il lui présenta le crucifix qu'il tenait à la main, et lui dit : « Mon amie, voilà celui que je te laisse pour mari; prépare-toi à souffrir; je te l'annonce, tu souffriras beaucoup; mais donne-toi toute à Dieu, et réjouis-toi, car la douleur est l'échelle par laquelle on monte au ciel ». Marc passa toute la nuit à donner de pieux avis à celle qu'il allait quitter; et, l'aube du jour ayant paru, il lui dit encore : « Argentine, reste fidèle à Dieu, l'heure est venue ». Ayant prononcé ces paroles, il expira doucement. Au même moment, son confesseur entendit distinctement frapper à la fenêtre de sa cellule, et dire ces mots : Ecce Homo, — Voici l'homme. Il comprit que Marc était allé à Dieu. Le corps ayant été enseveli, Argentine se retira auprès de Catherine, qui l'accepta pour sa fille spirituelle, ainsi qu'elle l'avait promis. Elle ne la quitta plus, et c'est grâce aux soins de cette veuve dévouée que notre sainte atteignit un âge avancé. « Si elle n'eût eu cette fille, elle fût morte longtemps auparavant ». Argentine eut beaucoup à souffrir, moralement et physiquement, de plusieurs douloureuses et longues maladies; Marc le lui avait annoncé; mais elle porta sa croix avec une angélique patience.
Catherine la menait toujours et partout avec elle; et un jour qu'elles se trouvaient ensemble dans l'église de Notre-Dame, dont il a été question ci-dessus, la sainte dit à sa compagne : « C'est ici le lieu où fut impétrée la grâce pour votre mari ». Le Seigneur permit qu'elle prononçât ces paroles, afin que ce grand miracle fût publié et manifesté pour l'édification des fidèles.
Conversion du mari de la sainte
Catherine placée a la tête du grand hôpital de Gênes conversion de marc Del Sale. Julien Adorne avait continué à mener une vie dissipée, et à se livrer à sa passion pour le jeu et pour les plaisirs du monde. Catherine, sans jamais se plaindre, priait Dieu de sauver cette âme qui courait à sa perte. Julien ne mettait pas de bornes à ses folles prodigalités; au bout de quelques années, il se trouva complètement ruiné, et, après avoir payé ses dettes, il se vit réduit à un état voisin de la pauvreté. La fortune de sa femme avait disparu avec la sienne. Alors enfin, il rentra en lui-même, pria humblement Catherine de lui pardonner sa conduite passée, se fit recevoir tertiaire dans l'ordre de Saint-François, et s'associa aux bonnes oeuvres de notre sainte. Catherine continuait à aller à la recherche des infirmes et des malheureux, et à leur prodiguer les secours et les consolations. Mais Dieu, voulant faire davantage la charité de sa fille bien-aimée, la transporta sur un plus vaste théâtre. Il inspira aux nobles administrateurs du grand hôpital de Gênes la pensée de confier à cette femme héroïque la surveillance du service des malades de leur établissement. Ils espéraient que, si elle acceptait cette proposition, les employés, encouragés par les exemples, rempliraient leurs devoirs avec plus de zèle, qu'elle leur apprendrait à donner des soins, non seulement aux corps, mais encore aux âmes des infirmes; et enfin ils jugeaient que la présence d'une femme de si sainte vie et d'un rang si élevé ferait rejaillir beaucoup d'honneur sur l'hospice et sur ses chefs et directeurs. Catherine fut priée, en conséquence, d'étendre sa charité aux nombreux infortunés que renfermait cette immense maison, et de leur donner la même assistance qu'à ceux de la ville. Elle accepta joyeusement; car son divin Maître lui avait dit : « Ma fille, je veux que toutes les fois que vous serez priée d'accomplir une oeuvre de charité, telle que de servir les pauvres et les malades, vous ne vous en excusiez jamais, et que toujours vous accomplissiez la volonté d'autrui ». Une maison de très modeste apparence, située à côté de l'hospice et de laquelle dépendait un petit jardin, était alors disponible. Catherine la loua, afin d'être plus près de ceux qu'elle devait soigner. Elle s'y établit avec son époux, et commença à exercer son nouvel emploi. Jour et nuit on voyait la noble femme, jeune et belle encore, couverte de vêtements grossiers, parcourir les salles, s'arrêter à tous les lits, prodiguant les consolations, et renouvelant les actes héroïques dont nous avons rendu compte précédemment. Les contemporains rapportent entre autres faits que, dans les premiers temps du séjour de Catherine au grand hospice, on y avait recueilli une tertiaire franciscaine, personne de sainte vie, atteinte d'une fièvre pestilentielle. Cette femme eut une agonie de huit jours, pendant lesquels elle perdit l'usage de la parole. Notre sainte la visitait fréquemment, et l'engageait à appeler Jésus. La moribonde ne pouvait proférer un son; mais le mouvement de ses lèvres et l'expression de son regard prouvaient qu'elle avait la volonté de le faire, et que son coeur était brûlant d'amour. « Alors, dit encore le vieil historien, Catherine, lui voyant la bouche pleine de Jésus, ne se contint plus; elle baisa avec transport les lèvres de la mourante, pour y recueillir le nom sacré de son bien-aimé. Mais, elle y prit aussi le germe de la peste qui la réduisit à toute extrémité. Elle en guérit contre toute espérance, et rentra dans ses fonctions habituelles ». Catherine eut occasion d'exercer l'obéissance à un degré héroïque, tandis qu'elle assistait les malheureux du grand hospice. Elle exécutait humblement, sans se permettre une observation ou une réplique, les ordres que lui donnaient les officiers inférieurs et les serviteurs de l'établissement, et ceux-ci abusaient des vertus de la sainte, pour la traiter comme si elle eût été leur servante, et l'accabler souvent des reproches les plus injustes. Elle supportait tout, jamais elle ne répondait; et cette humilité excessive lui attirait de nouveaux mépris. Ces mépris étaient pour elle une source de joie intime; car son désir le plus ardent était d'occuper le dernier rang dans l'estime de tout le monde; elle chercha, et réussit, à se rendre plus vile encore dans l'opinion de ceux qui l'entouraient, en demandant l'aumône dans les rues et aux portes des églises, et en vendant l'ouvrage de ses mains pour vivre. Les employés de l'hôpital profitèrent avec empressement de cette circonstance pour tourner en ridicule une personne dont le zèle et l'abnégation contrastaient avec leur paresse et leur vénalité. Mais, si les serviteurs de l'hospice méprisaient la sainte, ses nobles protecteurs, au contraire, observateurs de ses vertus, de son dévouement, et de la puissance merveilleuse que Dieu lui avait donnée pour la conversion des âmes, éprouvaient pour elle une vénération sans bornes. A près avoir été témoins, pendant plusieurs années, de son ardeur et de ses travaux, ils la nommèrent rectrice de l'établissement, et ils lui conférèrent des pouvoirs illimités. Catherine accepta, sans sortir pour cela de son humilité et de son abjection; elle remplit scrupuleusement les devoirs étendus de sa charge; mais ne renonça à aucune de ses oeuvres habituelles de charité. On était stupéfait en voyant que, malgré ses longues oraisons, ses fréquents ravissements, elle savait s'arranger de manière à ne rien négliger, et à ne jamais oublier la moindre des affaires confiées à ses soins. Dieu lui-même y veillait; les immenses sommes nécessaires à l'entretien de l'établissement lui passaient par les mains; elle était chargée des recettes et des dépenses; elle tenait registre de tout, et jamais, après de longues années de gestion, on ne put découvrir l'erreur la plus légère dans ses comptes. « Mais, dit à ce propos son biographe, autant elle était attentive au bien des pauvres, autant elle avait peu de souci de ce qui lui appartenait en propre; Catherine ne s'occupait en aucune façon de ses affaires privées, elle avait remis à Dieu la direction de tout ce qui regardait sa personne, et elle était à cet égard dans l'indifférence la plus complète ». La sainte dirigea jusqu'à sa mort le grand hospice de Gênes. Ce qu'il y a de plus remarquable et de plus extraordinaire, c'est qu'en remplissant avec un zèle incomparable ses laborieuses fonctions de directrices, elle se bornait à obéir à l'impulsion divine qui la poussait à travailler, à marcher et à parler, mais sans faire, pour ainsi dire, d'acte de volonté. Les puissances de son âme étant complètement submergées dans l'océan de l'amour de Dieu, elle restait étrangère à ce qui se passait autour d'elle : « Elle était si pleine de Dieu, dit son plus ancien historien, que l'accès de son coeur et de son esprit demeurait entièrement fermé aux créatures; elle était par conséquent incapable d'appliquer sa mémoire, son intelligence, et ses autres facultés, aux actions extérieures; mais, lorsque cela devenait nécessaire, le Seigneur la rendait à elle-même, de manière qu'elle pût opérer au dehors ».
Catherine, tout en agissant lorsque Dieu l'y incitait, ne sortait pas de la solitude et du recueillement intérieur, et ne permettait jamais à quoi que ce soit de se placer entre elle et son bien-aimé. Sa crainte à ce sujet était telle, qu'un jour elle s'écria : « Seigneur, vous me commandez d'aimer le prochain, et cependant je ne puis aimer que vous, et je ne veux pas que jamais l'amour de la créature se mêle à celui que je vous porte : comment donc ferai-je ? ». La voix divine qui lui parlait se fit entendre dans l'intérieur de son cœur, et lui dit : « Ma fille, celle qui m'aime doit aimer aussi ce que j'aime; par conséquent elle doit aimer le prochain, après Dieu, s'employer de corps et d'âme pour procurer son salut, et ne jamais éviter les occasions, même pénibles et dangereuses, de lui porter secours. L'amour du prochain est une marque infaillible de l'amour que la créature porte à Dieu, puisque le Seigneur est le créateur, le père et le conservateur de tous les hommes. C'est par l'amour du prochain que la créature reconnaîtra véritablement le grand amour que Dieu lui porte; ne pouvant faire de bien à la divine Majesté qui n'en a pas besoin, elle en procure, pour son amour, aux membres souffrants de Jésus-Christ. La charité envers le prochain est une des vertus les plus excellentes elle consiste : A lui vouloir le même bien que l'on se veut à soi-même. A céder les intérêts temporels pour procurer le salut de son âme. A lui faire le bien sans en rien prétendre, purement pour l'amour de Dieu ». Catherine fut alors rassurée, craignant cependant la faiblesse humaine, et redoutant ce qui aurait pu troubler son colloque intérieur, elle demanda au Seigneur de lui enlever, complètement et parfaitement, le souvenir de toute oeuvre de charité aussitôt qu'elle l'aurait accomplie. Cette grâce lui fut accordée. Nous avons dit qu'en se chargeant de la direction du grand hôpital, la sainte n'avait pas cessé de s'occuper des infortunés de la ville. Or il advint, un jour qu'une femme, nommée Argentine, se rendit à l'hospice pour demander à Catherine de venir voir son mari et de prier Dieu pour lui. C'était un nommé Marco del Sale, qui habitait dans le quartier du Môle. Il avait un cancer au nez; et, après avoir fait usage inutilement des remèdes employés dans la médecine, il était dans un état voisin du désespoir. " Notre sainte était de si grande et prompt obéissance " envers chacun ", que, lorsqu'on l'appelait pour faire une oeuvre de miséricorde, elle se levait aussitôt et allait là où on la conduisait. Elle suivit donc l'étrangère; et, étant arrivée auprès du malade, elle le consola par quelques paroles toutes parfumées de charité et d'humilité. Puis elle partit, accompagnée d'Argentine, pour retourner à l'hôpital. Les deux femmes, passant devant l'église de Sainte Marie des Grâces, dite la vieille, y entrèrent. Là, s'étant agenouillée dans un coin, Catherine se sentit poussée à prier pour Marco del Sale; et, après avoir terminé son oraison, elle s'en revint chez elle et congédia Argentine. Celle-ci s'empressa d'aller rejoindre son mari. Elle le trouva aussi changé que si d'un démon il fût « devenu un ange »; dès qu'il la vit, il s'écria, d'un cœur joyeux et attendri : « O Argentine, dis-moi qu'elle est la sainte âme que tu m'as amenée ici ? » — « C'est Madame Catherine Adorna, répondit-elle, qui est de très parfaite vie ». Alors le malade ajouta : « je te prie pour l'amour de Dieu, de me l'amener une autre fois ». Sa femme le lui promit; et, en effet, le jour suivant elle retourna à l'hôpital, supplia la bienheureuse Catherine de visiter encore Marc, et lui raconta ce qui s'était passé. La sainte n'ignorait pas le changement qui s'était opéré dans le malade; la correspondance qu'elle avait sentie pendant sa prière de la veille l'avait instruite de tout. Car jamais elle ne pouvait se mettre à faire d'oraison particulière, que d'abord elle ne se sentit émue intérieurement et attirée de Dieu, et cette même émotion lui faisait comprendre aussi qu'elle serait exaucée. Lorsqu'elle entra dans la chambre de Marc, il l'embrassa et pleura longtemps; puis, le visage baigné de larmes, il lui dit avec une extrême douceur : -" Madame, j'ai désiré que vous vinssiez ici, premièrement pour vous remercier de la grande charité que vous m'avez témoignée, et puis pour vous demander une grâce que je vous supplie de ne pas me dénier. Il faut que vous sachiez que, lorsque vous fûtes partie d'ici, Notre Seigneur Jésus-Christ vint visiblement à moi, en la même forme sous laquelle il apparut à sainte Madeleine dans le jardin; il me donna sa très sainte bénédiction, me pardonna mes péchés, et me dit de me préparer, parce qu'au jour de l'Ascension je m'en irais à lui. Je vous prie donc, ma très douce mère, qu'il vous plaise d'accepter Argentine pour votre fille spirituelle, et de toujours la tenir auprès de vous; et toi, Argentine, je te prie de l'avoir pour agréable." Les deux femmes, ayant entendu ces paroles, y acquiescèrent joyeusement. Catherine partit, et Marc fit demander un religieux de l'ordre de Saint-Augustin, du monastère de la Consolation, se confessa et communia. Puis il mit ordre à ses affaires avec un notaire, en présence de ses parents, en ayant soin de disposer toutes choses de manière que chacun fût satisfait. Ceux qui l'entouraient croyaient que l'excès de la souffrance lui avait fait perdre le sens, et ils lui disaient : — Marc, prends courage, car bientôt tu seras en santé; il n'est pas encore besoin que tu t'occupes de ces choses. Mais leurs discours ne firent aucune impression sur le malade. La veille de la fête de l'Ascension, il demanda encore le même religieux, se confessa de nouveau et reçut le saint viatique; puis il se fit donner l'extrême-onction avec la recommandation de l'âme, « se munissant ainsi de toutes choses nécessaires à son voyage avec de grands sentiments de dévotion ». Lorsque la nuit commença, Marc pria le confesseur de retourner à son monastère. « Quand le moment sera venu, ajouta-il, je vous avertirai ». Chacun étant alors sorti de la maison, il demeura seul avec Argentine, sa femme; et, se tournant vers elle, il lui présenta le crucifix qu'il tenait à la main, et lui dit : « Mon amie, voilà celui que je te laisse pour mari; prépare-toi à souffrir; je te l'annonce, tu souffriras beaucoup; mais donne-toi toute à Dieu, et réjouis-toi, car la douleur est l'échelle par laquelle on monte au ciel ». Marc passa toute la nuit à donner de pieux avis à celle qu'il allait quitter; et, l'aube du jour ayant paru, il lui dit encore : « Argentine, reste fidèle à Dieu, l'heure est venue ». Ayant prononcé ces paroles, il expira doucement. Au même moment, son confesseur entendit distinctement frapper à la fenêtre de sa cellule, et dire ces mots : Ecce Homo, — Voici l'homme. Il comprit que Marc était allé à Dieu. Le corps ayant été enseveli, Argentine se retira auprès de Catherine, qui l'accepta pour sa fille spirituelle, ainsi qu'elle l'avait promis. Elle ne la quitta plus, et c'est grâce aux soins de cette veuve dévouée que notre sainte atteignit un âge avancé. « Si elle n'eût eu cette fille, elle fût morte longtemps auparavant ». Argentine eut beaucoup à souffrir, moralement et physiquement, de plusieurs douloureuses et longues maladies; Marc le lui avait annoncé; mais elle porta sa croix avec une angélique patience.
Catherine la menait toujours et partout avec elle; et un jour qu'elles se trouvaient ensemble dans l'église de Notre-Dame, dont il a été question ci-dessus, la sainte dit à sa compagne : « C'est ici le lieu où fut impétrée la grâce pour votre mari ». Le Seigneur permit qu'elle prononçât ces paroles, afin que ce grand miracle fût publié et manifesté pour l'édification des fidèles.
CHAPITRE VIII
Effets admirables de l'amour de Dieu dans l'âme
de Catherine et son union avec Notre-Seigneur.
Nous croyons nécessaire de présenter quelques observations au lecteur, avant de commencer ce chapitre et ceux qui le suivront, afin qu'il n'en force pas le sens. La crainte des peines de l'enfer est un sentiment bon et saint que l'Eglise approuve; à plus forte raison, elle approuve l'espoir des récompenses. Les plus grand saints se sont aidés pendant la vie de ce dernier stimulant. Mais Dieu peut élever ici-bas certaines âmes à un état qui semble réservé exclusivement aux bienheureux; l'erreur serait exceptionnel. Le Seigneur a voulu faire pour Catherine un miracle perpétuel; il a voulu nous montrer un séraphin dans une chair mortelle. Voilà ce qu'il importe de ne pas oublier en parcourant les chapitres qu'on va lire.
Mais, dira-t-on, à quoi bon proposer une vie inimitable ? Pourquoi est-il dit : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », demanderons-nous à notre tour ? Ces préliminaires posés, nous reprenons notre récit. Le langage humain ne fournit pas de termes propres à exprimer et à faire comprendre le degré d'amour de Dieu auquel était arrivé Catherine. Depuis le jour où la grâce l'avait terrassée aux pieds de son confesseur, cet amour, dégagé de tout alliage impur, de toute attache aux créatures, de toute influence exercée par les sens, de tout mélange d'amour-propre, ne s'était pas refroidi un instant, et seul il avait rempli son cœur et son esprit. Elle affirmait elle-même ne pas savoir ce que c'était que souffrir intérieurement ou extérieurement par la chair, le monde, le démon ou quelque autre cause que ce soit; transformée et fondue entièrement en son Dieu, sa volonté ne pouvait considérer comme choses adverses rien de ce qui lui arrivait; loin de là, elle prenait tout, plaisir et peine, santé, maladie ou souffrance, comme lui étant envoyé par celui qu'elle aimait; et dès lors elle y trouvait sa volupté et sa joie. Souvent Dieu la faisait boire au torrent des délices des bienheureux, et la remplissait d'une suavité spirituelle si exquise, que le corps lui-même y participait et en ressentait les surprenants effets. Cela lui arrivait en particulier après la communion. Lorsqu'elle éprouvait ces joies qui lui faisaient connaître par anticipation le bonheur des élus, elle s'adressait au Seigneur et lui disait : « O Jésus, voulez-vous m'attirer par ces douceurs ? C'est vous-même que je désire et que j'attends, et non pas ce qui vient de vous. Je n'ai pas besoin de ces secours, pour m'approcher de vous. Je veux vous aimer d'un amour pur et sincère, sans aucune nourriture pour le corps ou pour l'âme. Je fuis ces goûts délicieux qui, si je les savourais, mettraient obstacle au désintéressement de mon amour. Je ne recherche pas ces suavités dans la vie présente; vous le savez, ô mon Dieu, je n'aspire qu'à jouir de vous seul; je dois donc tenir mon coeur dégagé de ces consolations et n'y attacher aucun prix, car souvent elles corrompent l'amour. Je vous résisterai, ô mon Dieu, tant que je le pourrai, je ne me prêterai à aucune de ces jouissances, et je vous supplie de ne les accorder désormais, ni à moi, ni à ceux qui ne cherchent et ne veulent que votre amour, car ce ne sont pas les moyens qui y mènent ! »
Mais Catherine avait beau faire, plus elle refusait les consolations spirituelles, plus Dieu les lui accordait, précisément parce qu'elle les refusait. Elle eût désiré que toutes les créatures aimassent Dieu et le servissent sans aucun espoir de récompense. Notre -Seigneur lui avait fait connaître un jour la pureté de l'amour qui, pendant sa vie terrestre, l'avait poussé à souffrir pour elle. Cette vue avait allumé un sentiment de reconnaissance si passionné dans le coeur de Catherine, qu'à son tour elle voulait aimer Dieu pour lui-même et sans aucun intérêt. « O mon très doux Jésus, s'écriait-elle, avons-nous besoin de consolations et de l'espérance d'être récompensés sur la terre et au ciel, pour nous engager à vous aimer et à vous servir ? Vous qui êtes le Seigneur de toutes choses, vous n'avez pas consulté les satisfactions de votre âme et de votre corps, lorsque vous êtes venu ici-bas pour opérer le salut du monde ! L'homme donc, à son tour, devrait n'avoir aucun égard aux siennes dans l'accomplissement de votre sainte volonté. Ce qu'exige d'ailleurs cette volonté souverainement aimable est pour notre bien et notre utilité ». La bienheureuse Catherine avait sans cesse présentes à la mémoire les paroles de Jésus-Christ : « Celui qui connaît mes commandements, et qui les observe, a pour moi un amour véritable." Et il lui semblait que, plus que personne, elle était tenue d'obéir à la loi sainte, pour exprimer à Dieu sa tendresse et la violence de son amour. " O Seigneur, disait-elle souvent, si les autres ont une obligation d'observer vos commandements, si pleins de suavité et si conformes à l'esprit, bien que contraires à la sensualité, j'en veux avoir dix. Vous nous les imposez pour nous procurer la paix, le bien suprême, l'union avec vous !" La sainte, ajoute encore son premier historien, était si dégagée des créatures, des affections, et des sentiments propres de l'âme et du corps, et si complètement plongée, avec l'entendement, la volonté et la mémoire, dans le paisible océan de son amour, que souvent elle ne trouvait plus de mots pour exprimer ce qu'elle éprouvait, et alors tout son parler était soupirs remplis de flammes ardentes avec perte des sens.
Il lui paraissait que chacun pouvait se précipiter avec les moelles de l'âme et du corps dans le même amour qu'elle, et que, puisque Dieu s'est fait homme pour nous faire Dieu, nous devons tous nous faire Dieu par participation. Elle sentait en elle-même un continuel rayon d'amour venant d'en haut; ce rayon lui avait été donné dès le commencement de sa conversion, et la liait au Seigneur comme par un fil d'or pur et indescriptible. Elle savait que jamais ce fil ne se délierait, que jamais elle ne perdrait Dieu, et toute crainte mercenaire et servile avait disparu de son coeur. Sa confiance était telle, que lorsqu'elle était attirée à prier pour quelque chose, il lui était en l'esprit : Commande, car l'amour le peut faire. « O mon doux Amour, s'écriait-elle alors, je ne saurais comprendre que l'on puisse aimer autre que vous, et si je la comprenais j'en aurais une peine extrême ». Puis, s'adressant à ceux qui l'entouraient, elle ajoutait, les yeux enflammés et le visage brûlant : « L'amour divin est proprement et vraiment notre amour, car nous avons été créés pour lui; mais l'amour de toute autre chose n'est en réalité que de la haine, car il nous prive de notre propre et vrai amour qui est Dieu. Aimons donc celui qui nous aime, à savoir le Seigneur; laissons ce qui ne nous aime pas, c'est-à-dire, toutes les choses au-dessous de Dieu, car elles sont ennemis du vrai amour et lui font obstacle ! » « C'est amour est si doux et si plein de charmes ineffables, qu'à côté de lui tout autre amour parait triste et désolé; il rend l'homme si riche, que tous les biens de ce monde lui semblent une pure misère : il élève et porte si fort les affections en haut, qu'on ne sent plus la terre sous les pieds et que l'on ne connaît plus les peines d'ici-bas; il donne enfin à la créature une si parfaite liberté, qu'elle demeure toujours avec Dieu sans aucun empêchement ». De semblables expressions étaient fréquentes dans la bouche de Catherine; elles ravissaient ceux qui avaient le bonheur d'entendre cette femme séraphique.
Un religieux franciscain, le Père Dominique de Pouzo, se trouvait un jour présent à un de ces entretiens. Voulant éprouver la sainte, ou espérant peut-être lui inspirer le regret de ne pas avoir embrassé l'état monastique, il se mit à vanter cet état et à dire qu'en sa qualité de religieux, ayant renoncé à jamais aux choses de la terre, il était plus apte à aimer Dieu que Catherine, qui tenait encore au monde par le bien conjugal. Impatiente de ce discours qui prétendait poser des bornes à son amour, elle se leva, les yeux étincelants, comme ravie hors d'elle-même par la puissance des sentiments qui bouillonnaient dans son coeur, et elle s'écria : « Si j'étais persuadée que votre scapulaire pût ajouter la moindre étincelle au feu de mon amour, et si je ne pouvais m'en emparer autrement, je vous l'arracherais, sachez-le bien. Au reste, il se peut que votre état régulier et votre renoncement à tout vous fassent acquérir des mérites supérieurs aux miens, et si cela est, je vous en félicite. Mais, pour ce qui est de l'amour de Dieu, jamais je ne croirai que je sois incapable d'en avoir autant que vous; rien n'arrête le mien, et, si quelque chose pouvait lui faire obstacle, il ne serait pas pur ». Elle prononça ces mots avec une si extrême véhémence, qu'elle avait l'air d'une prophétesse inspirée. Puis, quittant les assistants étonnés, elle se retira dans sa chambre et dit à Dieu : « O Seigneur de tout mon être, si le monde, le mariage, ou quoi que ce soit, était capable de m'empêcher de vous aimer, l'amour serait une chose vile; mais il a assez de force pour vaincre tout ce qui s'oppose à lui ! ». Les Bollandistes observent, au sujet des paroles que nous venons de rappeler, qu'assurément il n'entrait pas dans la pensée de Catherine de contester que l'état religieux ne fût pas le plus parfait de tous, ou d'établir entre la condition de séculier et celle de religieux une comparaison défavorable à ce dernier, mais qu'elle voulait simplement faire connaître la disposition dans laquelle la bonté divine avait mis son âme." Elle comprenait qu'il est plus difficile d'arriver au pur amour dans le siècle que dans la vie religieuse; mais elle jugeait avec raison que l'habit seul ne fait pas le moine." On se tromperait également si l'on croyait découvrir dans ces expressions quelque trace de vaine gloire ou de présomption. Ces sentiments étaient complètement étrangers à Catherine. « Elle eût supporté mille morts plutôt que de s'attribuer quelque bien et de ne pas tout rapporter au Seigneur; elle savait que, par elle-même, elle était vile et pleine d'iniquités, et elle avait coutume de répéter souvent que l'homme, livré à ses seules forces, parcourrait promptement le cercle complet de la malice, et que toute vaine gloire provient de sottise et d'ignorance ».
Telles étaient les pensées de Catherine. Loin de s'enorgueillir de quoi que ce soit, elle disait : « Je ne voudrais pas que jamais on m'attribuât un seul acte méritoire, quand même je serais certaine avec cela de ne plus tomber et d'être sauvée; la vue d'un tel acte me serait un véritable enfer; je serais pire que le démon et je déroberais à Dieu ce qui lui appartient, si je pensais avoir travaillé moi seule à mon salut et avoir accompli moi seule un acte qui, comme mien, m'aidât à me sauver sans la grâce divine. Toutes les actions et oeuvres vertueuses sont sans valeur si elles ne sont vivifiées par la grâce vivifiante; cependant il est besoin de travailler et de s'exercer, car la grâce divine ne vivifie que celui qui opère, et elle est toujours à sanctifier ce que fait la créature qui n'est point en péché mortel. Tout le monde peut se sauver, car chacun est maître d'user du libre arbitre que Dieu lui a donné pour faire le bien et quitter le mal; mais de même aussi chacun peut être assuré qu'il sera damné éternellement s'il demeure en péché mortel, quelques bonnes oeuvres qu'il produise; car elles ne seraient point vivifiées par la grâce, et elles demeuraient mortes ». Donc nous devons agir et opérer, mais en même temps nous devons reconnaître : « Premièrement, que tout le bien vient de Dieu; c'est en lui qu'il faut le voir, le vouloir, le laisser, car tous les bons mouvements et toutes les bonnes opérations qui se peuvent imaginer descendent de cette source originelle de l'amour divin. Secondement, que tout le mal vient de la créature seule et est commis par vaine gloire; de nous-mêmes nous ne pensons qu'à nos sensualités, nous suivons l'inclinaison mauvaise que le péché a imprimée dans la nature, et cette inclinaison nous tire toujours en bas, de même que la pierre lancée en l'air cherche toujours à revenir à la terre et y revient de fait si elle n'en est empêchée ». Les contemporains rapportent de Catherine beaucoup d'autres paroles encore qui expriment la vive horreur que lui inspiraient la présomption et la vanité, et témoignent de la profonde humilité avec laquelle elle rapportait toutes choses au Seigneur.
Il advint un jour que quelqu'un lui adressa un éloge à l'occasion de ses innombrables oeuvres de charité et de ses mortifications. La bienheureuse repoussa ces paroles louangeuses avec la plus grande énergie et s'écria impétueusement : « S'il y a quelque chose de bon en moi, ou dans d'autres créatures, cela vient véritablement de Notre-Seigneur; ce que je fais de mal vient au contraire de moi seule, je n'en puis attribuer la faute ni au démon ni à qui que ce soit, mais uniquement au mauvais usage que je fais de mon libre arbitre, à ma volonté, à mon inclinaison, à ma superbe, à ma sensualité et à mes mouvements dépravés; si le Seigneur ne m'assistait, je ne ferais jamais aucun bien. Pour ce qui est de mal faire, je suis pire que Lucifer, et cela je le reconnais avec une certitude si complète, que, si tous les anges me disaient le contraire, je ne le croirais pas, parce que je vois clairement que le bien est en Dieu, et qu'en moi, sans la grâce, il n'y a autre chose que défaut, misère et néant... » Le langage de Catherine était plutôt angélique qu'humain, à ce qu'en rapportent ses contemporains. Elle affirmait un jour que, par la bonté de Dieu, elle possédait l'amour, sans crainte de le perdre jamais; puis elle ajoutait que la foi et l'espérance n'existaient plus en elle, et qu'elles avaient été remplacées par la certitude et la possession du bien suprême. « Un cœur qui se trouve en Dieu, dit-elle en une autre occasion, voit au-dessous de soi de toute chose créée, non par orgueil et superbe, mais par l'union qu'il a avec le Seigneur, et par laquelle il lui semble que tout ce qui est à Jésus est aussi tout sien. Oui, mon amour, vous êtes mien, tout est mien, parce que tout ce qui est à vous est à moi. Je ne vois autre chose que vous, c'est vous seul que je comprends et que je connais. Je ne puis être vaincue, vous êtes ma forteresse; on ne saurait me donner de crainte ou d'effroi par l'enfer, ni de joie par le ciel, car tout ce qui m'advient je le prends de votre main, et ainsi je demeure parfaitement en paix auprès de vous. Je suis muette et absorbée en vous, je ne puis voir ni bien, ni béatitude en aucune créature, à moins qu'elle ne soit tellement perdue et plongée en vous, que vous seul demeuriez en elle et elle en vous. Je ne saurais dire en vérité qu'aucun saint soit bienheureux de lui-même, car je vois que la béatitude des saints est hors d'eux et toute en vous par excellence; ils ont la béatitude en tant qu'ils sont anéantis en eux-mêmes et revêtus de vous; ils ne l'ont pas en tant qu'ils se trouvent dans leur être propre. Mais, hélas! en parlant de ces choses, je vois » à quel point les paroles sont défectueuses; elles ne peuvent exprimer ce que je voudrais que chacun pût saisir, étant convaincue que si on me comprenais, toutes les créatures seraient embrasées de l'amour divin. Catherine revenait souvent à exprimer cette ardente envie de pouvoir faire passer dans le cœur des autres les flammes qui brûlaient dans le sien.
L'indifférence de la plupart des hommes envers Dieu lui causait une profonde douleur; il lui semblait inconcevable que l'on pût s'attacher à un autre objet et que l'on tint si peu compte de l'amour immense qui a poussé le Seigneur à prendre notre nature et à subir les tourments de sa passion pour nous sauver. Puis quand elle se rappelait que Dieu l'avait arrachée elle-même à sa tiédeur passée, par une grâce aussi efficace que celle dont il avait usé envers la plus illustre des pénitentes et le glorieux apôtre des gentils, son ardeur redoublait et elle disait à son bien-aimé : « Je ne veux que vous, ô Jésus, et je n'aurai de repos que lorsque je serai parvenue à me cacher dans votre coeur où disparaissent toutes les formes créées ». Ces expressions de la sainte expliquent le violent désir de la mort qui l'assiégea pendant deux années environ; elle n'en pouvait entendre parler sans que tout son intérieur ne débordât de joie. Elle l'allait toujours cherchant avec l'esprit dit son biographe. « O mort cruelle, s'écriait-elle souvent, pourquoi me laisses-tu demeurer en un si grand désir de toi ! Puis elle nommait la mort douce, suave, gracieuse, belle, forte et digne. Je ne trouve en toi qu'un seul défaut, ajoutait-elle, tu es trop lente à qui te désir, et trop prompte à qui te fuit! Mais, je le reconnais, tu fais toutes choses selon l'ordre établi par ce grand Dieu qui ne se trompe pas; nos appétits désordonnés seuls ne s'accordent pas avec toi; s'ils étaient bien réglés, nous serions tous en paix et en repos, nous ne murmurerions ni contre la volonté du Seigneur, ni contre toi, et nous en viendrions à être aussi indifférents à la vie et à la mort que si nous étions déjà ensevelis ». « Il me semble, disait encore Catherine, que si j'avais eu le droit de faire élection d'une chose, la mort eût été celle que j'aurais choisie; car, grâce à elle, l'âme se trouve sans la crainte de jamais rien faire qui puisse donner empêchement à son pur amour, et en même temps elle est délivrée et tirée hors de la prison de ce pauvre corps et de ce monde, qui cherchent si souvent à l'éloigner de son but pour l'occuper de leurs misérables intérêts. Or l'âme qui est presque tout absorbée en Dieu considère le corps, le monde et leurs oeuvres, comme ses ennemis et, craignant de leur être sujette, elle aspire à s'en séparer. D'ailleurs, elle sait que, par le moyen de la mort corporelle, elle s'unira avec Dieu, dans lequel sont rassemblés et recueillis tous les biens que l'on peut posséder ou désirer. La vie d'ici-bas est une prison obscure pour le coeur généreux et noble qui aime parfaitement Dieu; mais pour les coeurs lâches, abjects et pusillanimes, qui ont mis leurs soins et leurs affections dans la fange des plaisirs, la mort n'est plus une délivrance; elle leur est une désolation et un ennui. « L'âme qui aime Dieu et qui est attirée à la perfection de l'amour, se voyant emprisonnée au monde et en la chair, considérerait la vie corporelle comme un enfer, si la divine providence ne la soutenait; car cette vie l'empêche de parvenir à la fin pour laquelle elle a été créée et qui n'est autre que Dieu lui-même ».
Effets admirables de l'amour de Dieu dans l'âme
de Catherine et son union avec Notre-Seigneur.
Nous croyons nécessaire de présenter quelques observations au lecteur, avant de commencer ce chapitre et ceux qui le suivront, afin qu'il n'en force pas le sens. La crainte des peines de l'enfer est un sentiment bon et saint que l'Eglise approuve; à plus forte raison, elle approuve l'espoir des récompenses. Les plus grand saints se sont aidés pendant la vie de ce dernier stimulant. Mais Dieu peut élever ici-bas certaines âmes à un état qui semble réservé exclusivement aux bienheureux; l'erreur serait exceptionnel. Le Seigneur a voulu faire pour Catherine un miracle perpétuel; il a voulu nous montrer un séraphin dans une chair mortelle. Voilà ce qu'il importe de ne pas oublier en parcourant les chapitres qu'on va lire.
Mais, dira-t-on, à quoi bon proposer une vie inimitable ? Pourquoi est-il dit : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », demanderons-nous à notre tour ? Ces préliminaires posés, nous reprenons notre récit. Le langage humain ne fournit pas de termes propres à exprimer et à faire comprendre le degré d'amour de Dieu auquel était arrivé Catherine. Depuis le jour où la grâce l'avait terrassée aux pieds de son confesseur, cet amour, dégagé de tout alliage impur, de toute attache aux créatures, de toute influence exercée par les sens, de tout mélange d'amour-propre, ne s'était pas refroidi un instant, et seul il avait rempli son cœur et son esprit. Elle affirmait elle-même ne pas savoir ce que c'était que souffrir intérieurement ou extérieurement par la chair, le monde, le démon ou quelque autre cause que ce soit; transformée et fondue entièrement en son Dieu, sa volonté ne pouvait considérer comme choses adverses rien de ce qui lui arrivait; loin de là, elle prenait tout, plaisir et peine, santé, maladie ou souffrance, comme lui étant envoyé par celui qu'elle aimait; et dès lors elle y trouvait sa volupté et sa joie. Souvent Dieu la faisait boire au torrent des délices des bienheureux, et la remplissait d'une suavité spirituelle si exquise, que le corps lui-même y participait et en ressentait les surprenants effets. Cela lui arrivait en particulier après la communion. Lorsqu'elle éprouvait ces joies qui lui faisaient connaître par anticipation le bonheur des élus, elle s'adressait au Seigneur et lui disait : « O Jésus, voulez-vous m'attirer par ces douceurs ? C'est vous-même que je désire et que j'attends, et non pas ce qui vient de vous. Je n'ai pas besoin de ces secours, pour m'approcher de vous. Je veux vous aimer d'un amour pur et sincère, sans aucune nourriture pour le corps ou pour l'âme. Je fuis ces goûts délicieux qui, si je les savourais, mettraient obstacle au désintéressement de mon amour. Je ne recherche pas ces suavités dans la vie présente; vous le savez, ô mon Dieu, je n'aspire qu'à jouir de vous seul; je dois donc tenir mon coeur dégagé de ces consolations et n'y attacher aucun prix, car souvent elles corrompent l'amour. Je vous résisterai, ô mon Dieu, tant que je le pourrai, je ne me prêterai à aucune de ces jouissances, et je vous supplie de ne les accorder désormais, ni à moi, ni à ceux qui ne cherchent et ne veulent que votre amour, car ce ne sont pas les moyens qui y mènent ! »
Mais Catherine avait beau faire, plus elle refusait les consolations spirituelles, plus Dieu les lui accordait, précisément parce qu'elle les refusait. Elle eût désiré que toutes les créatures aimassent Dieu et le servissent sans aucun espoir de récompense. Notre -Seigneur lui avait fait connaître un jour la pureté de l'amour qui, pendant sa vie terrestre, l'avait poussé à souffrir pour elle. Cette vue avait allumé un sentiment de reconnaissance si passionné dans le coeur de Catherine, qu'à son tour elle voulait aimer Dieu pour lui-même et sans aucun intérêt. « O mon très doux Jésus, s'écriait-elle, avons-nous besoin de consolations et de l'espérance d'être récompensés sur la terre et au ciel, pour nous engager à vous aimer et à vous servir ? Vous qui êtes le Seigneur de toutes choses, vous n'avez pas consulté les satisfactions de votre âme et de votre corps, lorsque vous êtes venu ici-bas pour opérer le salut du monde ! L'homme donc, à son tour, devrait n'avoir aucun égard aux siennes dans l'accomplissement de votre sainte volonté. Ce qu'exige d'ailleurs cette volonté souverainement aimable est pour notre bien et notre utilité ». La bienheureuse Catherine avait sans cesse présentes à la mémoire les paroles de Jésus-Christ : « Celui qui connaît mes commandements, et qui les observe, a pour moi un amour véritable." Et il lui semblait que, plus que personne, elle était tenue d'obéir à la loi sainte, pour exprimer à Dieu sa tendresse et la violence de son amour. " O Seigneur, disait-elle souvent, si les autres ont une obligation d'observer vos commandements, si pleins de suavité et si conformes à l'esprit, bien que contraires à la sensualité, j'en veux avoir dix. Vous nous les imposez pour nous procurer la paix, le bien suprême, l'union avec vous !" La sainte, ajoute encore son premier historien, était si dégagée des créatures, des affections, et des sentiments propres de l'âme et du corps, et si complètement plongée, avec l'entendement, la volonté et la mémoire, dans le paisible océan de son amour, que souvent elle ne trouvait plus de mots pour exprimer ce qu'elle éprouvait, et alors tout son parler était soupirs remplis de flammes ardentes avec perte des sens.
Il lui paraissait que chacun pouvait se précipiter avec les moelles de l'âme et du corps dans le même amour qu'elle, et que, puisque Dieu s'est fait homme pour nous faire Dieu, nous devons tous nous faire Dieu par participation. Elle sentait en elle-même un continuel rayon d'amour venant d'en haut; ce rayon lui avait été donné dès le commencement de sa conversion, et la liait au Seigneur comme par un fil d'or pur et indescriptible. Elle savait que jamais ce fil ne se délierait, que jamais elle ne perdrait Dieu, et toute crainte mercenaire et servile avait disparu de son coeur. Sa confiance était telle, que lorsqu'elle était attirée à prier pour quelque chose, il lui était en l'esprit : Commande, car l'amour le peut faire. « O mon doux Amour, s'écriait-elle alors, je ne saurais comprendre que l'on puisse aimer autre que vous, et si je la comprenais j'en aurais une peine extrême ». Puis, s'adressant à ceux qui l'entouraient, elle ajoutait, les yeux enflammés et le visage brûlant : « L'amour divin est proprement et vraiment notre amour, car nous avons été créés pour lui; mais l'amour de toute autre chose n'est en réalité que de la haine, car il nous prive de notre propre et vrai amour qui est Dieu. Aimons donc celui qui nous aime, à savoir le Seigneur; laissons ce qui ne nous aime pas, c'est-à-dire, toutes les choses au-dessous de Dieu, car elles sont ennemis du vrai amour et lui font obstacle ! » « C'est amour est si doux et si plein de charmes ineffables, qu'à côté de lui tout autre amour parait triste et désolé; il rend l'homme si riche, que tous les biens de ce monde lui semblent une pure misère : il élève et porte si fort les affections en haut, qu'on ne sent plus la terre sous les pieds et que l'on ne connaît plus les peines d'ici-bas; il donne enfin à la créature une si parfaite liberté, qu'elle demeure toujours avec Dieu sans aucun empêchement ». De semblables expressions étaient fréquentes dans la bouche de Catherine; elles ravissaient ceux qui avaient le bonheur d'entendre cette femme séraphique.
Un religieux franciscain, le Père Dominique de Pouzo, se trouvait un jour présent à un de ces entretiens. Voulant éprouver la sainte, ou espérant peut-être lui inspirer le regret de ne pas avoir embrassé l'état monastique, il se mit à vanter cet état et à dire qu'en sa qualité de religieux, ayant renoncé à jamais aux choses de la terre, il était plus apte à aimer Dieu que Catherine, qui tenait encore au monde par le bien conjugal. Impatiente de ce discours qui prétendait poser des bornes à son amour, elle se leva, les yeux étincelants, comme ravie hors d'elle-même par la puissance des sentiments qui bouillonnaient dans son coeur, et elle s'écria : « Si j'étais persuadée que votre scapulaire pût ajouter la moindre étincelle au feu de mon amour, et si je ne pouvais m'en emparer autrement, je vous l'arracherais, sachez-le bien. Au reste, il se peut que votre état régulier et votre renoncement à tout vous fassent acquérir des mérites supérieurs aux miens, et si cela est, je vous en félicite. Mais, pour ce qui est de l'amour de Dieu, jamais je ne croirai que je sois incapable d'en avoir autant que vous; rien n'arrête le mien, et, si quelque chose pouvait lui faire obstacle, il ne serait pas pur ». Elle prononça ces mots avec une si extrême véhémence, qu'elle avait l'air d'une prophétesse inspirée. Puis, quittant les assistants étonnés, elle se retira dans sa chambre et dit à Dieu : « O Seigneur de tout mon être, si le monde, le mariage, ou quoi que ce soit, était capable de m'empêcher de vous aimer, l'amour serait une chose vile; mais il a assez de force pour vaincre tout ce qui s'oppose à lui ! ». Les Bollandistes observent, au sujet des paroles que nous venons de rappeler, qu'assurément il n'entrait pas dans la pensée de Catherine de contester que l'état religieux ne fût pas le plus parfait de tous, ou d'établir entre la condition de séculier et celle de religieux une comparaison défavorable à ce dernier, mais qu'elle voulait simplement faire connaître la disposition dans laquelle la bonté divine avait mis son âme." Elle comprenait qu'il est plus difficile d'arriver au pur amour dans le siècle que dans la vie religieuse; mais elle jugeait avec raison que l'habit seul ne fait pas le moine." On se tromperait également si l'on croyait découvrir dans ces expressions quelque trace de vaine gloire ou de présomption. Ces sentiments étaient complètement étrangers à Catherine. « Elle eût supporté mille morts plutôt que de s'attribuer quelque bien et de ne pas tout rapporter au Seigneur; elle savait que, par elle-même, elle était vile et pleine d'iniquités, et elle avait coutume de répéter souvent que l'homme, livré à ses seules forces, parcourrait promptement le cercle complet de la malice, et que toute vaine gloire provient de sottise et d'ignorance ».
Telles étaient les pensées de Catherine. Loin de s'enorgueillir de quoi que ce soit, elle disait : « Je ne voudrais pas que jamais on m'attribuât un seul acte méritoire, quand même je serais certaine avec cela de ne plus tomber et d'être sauvée; la vue d'un tel acte me serait un véritable enfer; je serais pire que le démon et je déroberais à Dieu ce qui lui appartient, si je pensais avoir travaillé moi seule à mon salut et avoir accompli moi seule un acte qui, comme mien, m'aidât à me sauver sans la grâce divine. Toutes les actions et oeuvres vertueuses sont sans valeur si elles ne sont vivifiées par la grâce vivifiante; cependant il est besoin de travailler et de s'exercer, car la grâce divine ne vivifie que celui qui opère, et elle est toujours à sanctifier ce que fait la créature qui n'est point en péché mortel. Tout le monde peut se sauver, car chacun est maître d'user du libre arbitre que Dieu lui a donné pour faire le bien et quitter le mal; mais de même aussi chacun peut être assuré qu'il sera damné éternellement s'il demeure en péché mortel, quelques bonnes oeuvres qu'il produise; car elles ne seraient point vivifiées par la grâce, et elles demeuraient mortes ». Donc nous devons agir et opérer, mais en même temps nous devons reconnaître : « Premièrement, que tout le bien vient de Dieu; c'est en lui qu'il faut le voir, le vouloir, le laisser, car tous les bons mouvements et toutes les bonnes opérations qui se peuvent imaginer descendent de cette source originelle de l'amour divin. Secondement, que tout le mal vient de la créature seule et est commis par vaine gloire; de nous-mêmes nous ne pensons qu'à nos sensualités, nous suivons l'inclinaison mauvaise que le péché a imprimée dans la nature, et cette inclinaison nous tire toujours en bas, de même que la pierre lancée en l'air cherche toujours à revenir à la terre et y revient de fait si elle n'en est empêchée ». Les contemporains rapportent de Catherine beaucoup d'autres paroles encore qui expriment la vive horreur que lui inspiraient la présomption et la vanité, et témoignent de la profonde humilité avec laquelle elle rapportait toutes choses au Seigneur.
Il advint un jour que quelqu'un lui adressa un éloge à l'occasion de ses innombrables oeuvres de charité et de ses mortifications. La bienheureuse repoussa ces paroles louangeuses avec la plus grande énergie et s'écria impétueusement : « S'il y a quelque chose de bon en moi, ou dans d'autres créatures, cela vient véritablement de Notre-Seigneur; ce que je fais de mal vient au contraire de moi seule, je n'en puis attribuer la faute ni au démon ni à qui que ce soit, mais uniquement au mauvais usage que je fais de mon libre arbitre, à ma volonté, à mon inclinaison, à ma superbe, à ma sensualité et à mes mouvements dépravés; si le Seigneur ne m'assistait, je ne ferais jamais aucun bien. Pour ce qui est de mal faire, je suis pire que Lucifer, et cela je le reconnais avec une certitude si complète, que, si tous les anges me disaient le contraire, je ne le croirais pas, parce que je vois clairement que le bien est en Dieu, et qu'en moi, sans la grâce, il n'y a autre chose que défaut, misère et néant... » Le langage de Catherine était plutôt angélique qu'humain, à ce qu'en rapportent ses contemporains. Elle affirmait un jour que, par la bonté de Dieu, elle possédait l'amour, sans crainte de le perdre jamais; puis elle ajoutait que la foi et l'espérance n'existaient plus en elle, et qu'elles avaient été remplacées par la certitude et la possession du bien suprême. « Un cœur qui se trouve en Dieu, dit-elle en une autre occasion, voit au-dessous de soi de toute chose créée, non par orgueil et superbe, mais par l'union qu'il a avec le Seigneur, et par laquelle il lui semble que tout ce qui est à Jésus est aussi tout sien. Oui, mon amour, vous êtes mien, tout est mien, parce que tout ce qui est à vous est à moi. Je ne vois autre chose que vous, c'est vous seul que je comprends et que je connais. Je ne puis être vaincue, vous êtes ma forteresse; on ne saurait me donner de crainte ou d'effroi par l'enfer, ni de joie par le ciel, car tout ce qui m'advient je le prends de votre main, et ainsi je demeure parfaitement en paix auprès de vous. Je suis muette et absorbée en vous, je ne puis voir ni bien, ni béatitude en aucune créature, à moins qu'elle ne soit tellement perdue et plongée en vous, que vous seul demeuriez en elle et elle en vous. Je ne saurais dire en vérité qu'aucun saint soit bienheureux de lui-même, car je vois que la béatitude des saints est hors d'eux et toute en vous par excellence; ils ont la béatitude en tant qu'ils sont anéantis en eux-mêmes et revêtus de vous; ils ne l'ont pas en tant qu'ils se trouvent dans leur être propre. Mais, hélas! en parlant de ces choses, je vois » à quel point les paroles sont défectueuses; elles ne peuvent exprimer ce que je voudrais que chacun pût saisir, étant convaincue que si on me comprenais, toutes les créatures seraient embrasées de l'amour divin. Catherine revenait souvent à exprimer cette ardente envie de pouvoir faire passer dans le cœur des autres les flammes qui brûlaient dans le sien.
L'indifférence de la plupart des hommes envers Dieu lui causait une profonde douleur; il lui semblait inconcevable que l'on pût s'attacher à un autre objet et que l'on tint si peu compte de l'amour immense qui a poussé le Seigneur à prendre notre nature et à subir les tourments de sa passion pour nous sauver. Puis quand elle se rappelait que Dieu l'avait arrachée elle-même à sa tiédeur passée, par une grâce aussi efficace que celle dont il avait usé envers la plus illustre des pénitentes et le glorieux apôtre des gentils, son ardeur redoublait et elle disait à son bien-aimé : « Je ne veux que vous, ô Jésus, et je n'aurai de repos que lorsque je serai parvenue à me cacher dans votre coeur où disparaissent toutes les formes créées ». Ces expressions de la sainte expliquent le violent désir de la mort qui l'assiégea pendant deux années environ; elle n'en pouvait entendre parler sans que tout son intérieur ne débordât de joie. Elle l'allait toujours cherchant avec l'esprit dit son biographe. « O mort cruelle, s'écriait-elle souvent, pourquoi me laisses-tu demeurer en un si grand désir de toi ! Puis elle nommait la mort douce, suave, gracieuse, belle, forte et digne. Je ne trouve en toi qu'un seul défaut, ajoutait-elle, tu es trop lente à qui te désir, et trop prompte à qui te fuit! Mais, je le reconnais, tu fais toutes choses selon l'ordre établi par ce grand Dieu qui ne se trompe pas; nos appétits désordonnés seuls ne s'accordent pas avec toi; s'ils étaient bien réglés, nous serions tous en paix et en repos, nous ne murmurerions ni contre la volonté du Seigneur, ni contre toi, et nous en viendrions à être aussi indifférents à la vie et à la mort que si nous étions déjà ensevelis ». « Il me semble, disait encore Catherine, que si j'avais eu le droit de faire élection d'une chose, la mort eût été celle que j'aurais choisie; car, grâce à elle, l'âme se trouve sans la crainte de jamais rien faire qui puisse donner empêchement à son pur amour, et en même temps elle est délivrée et tirée hors de la prison de ce pauvre corps et de ce monde, qui cherchent si souvent à l'éloigner de son but pour l'occuper de leurs misérables intérêts. Or l'âme qui est presque tout absorbée en Dieu considère le corps, le monde et leurs oeuvres, comme ses ennemis et, craignant de leur être sujette, elle aspire à s'en séparer. D'ailleurs, elle sait que, par le moyen de la mort corporelle, elle s'unira avec Dieu, dans lequel sont rassemblés et recueillis tous les biens que l'on peut posséder ou désirer. La vie d'ici-bas est une prison obscure pour le coeur généreux et noble qui aime parfaitement Dieu; mais pour les coeurs lâches, abjects et pusillanimes, qui ont mis leurs soins et leurs affections dans la fange des plaisirs, la mort n'est plus une délivrance; elle leur est une désolation et un ennui. « L'âme qui aime Dieu et qui est attirée à la perfection de l'amour, se voyant emprisonnée au monde et en la chair, considérerait la vie corporelle comme un enfer, si la divine providence ne la soutenait; car cette vie l'empêche de parvenir à la fin pour laquelle elle a été créée et qui n'est autre que Dieu lui-même ».
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Re: Sainte Catherine de Gênes
CHAPITRE IX
Suite du précédent.
Sainte Catherine de Gênes, semblable au roi-prophète, au séraphin d'Assise, et à sainte Rose de Lima, exhortait la création entière, même les choses inanimées, à louer, à bénir, à adorer leur Créateur. Souvent, en entrant dans le petit jardin qui dépendait de sa demeure, elle s'adressait aux fleurs qui y croissaient, et elle leur disait : « Petites plantes, mes amies, n'êtes-vous pas les créatures de mon Dieu, ne vous a-t-il pas donné vos brillantes couleurs et vos senteurs si suaves ?... Aimez-le donc et bénissez-le à votre manière! Mais ces exclamations, par lesquelles la sainte cherchait à livrer passage au feu intérieur qui la consumait, ne servaient au contraire qu'à en augmenter les flammes; les battements accélérés de son cœur paraissaient alors prêts à rompre son enveloppe; et ce cœur bouillonnant, ne pouvant plus contenir les ardeurs qu'il renfermait, les répandait sur la surface du corps, lequel en était pénétré au point de devenir brûlant au toucher ». Le feu divin fini même par se faire jour dans l'organe qui en est le siège principal, la poitrine de Catherine fut traversée, de part en part, d'une ouverture qui attirait et rendait l'air extérieur. La place était douloureuse; la sainte y portait souvent la main par un mouvement instinctif pour se procurer quelque soulagement; « elle haletait comme un soufflet, mais tantôt plus, tantôt moins, car elle n'eût pas pu supporter le plus pendant deux jours consécutifs sans en mourir ». Quand cette extrême ardeur se calmait un peu, le coeur demeurait comme fondu et anéanti dans un océan d'une douceur infinie. Dieu laissait quelquefois Catherine se reposer avec cette impression, plongée et ravie en un goût et en un sentiment intérieur qui l'absorbaient entièrement. Mais bientôt le Seigneur permettait qu'elle subit un nouvel assaut, plus violent même que le précédent. Alors elle était tellement dévorée de l'amour en ses entrailles, qu'elle perdait l'usage de la parole; à peine pouvait-elle prononcer encore, tout bas, ces mots : Mon coeur s'en va, je le sens consumé... Amour, je n'en puis plus. Lorsqu'elle revenait à elle, sa face était si vermeille, qu'on eût dit un chérubin, et il lui semblait qu'elle pouvait s'écrier avec le glorieux apôtre : Qui me séparera de la charité de Dieu ? Catherine assurait que, si on examinait son coeur après sa mort, on le trouverait réduit en cendres et entièrement consumé. Malheureusement cet examen n'a pas été fait; il eût révélé peut-être des phénomènes pareils à ceux qui se sont présentés, lors de l'autopsie de la Clarisse Anne Nobili, de sainte Véronique Juliani et de plusieurs autres mystiques célèbres. Il est digne de remarque que, tandis que Catherine s'était livrée aux mortifications les plus rigoureuses et aux oeuvres les plus austères, pendant les années qui suivirent sa conversion, son corps s'était accommodé de tout; parfaitement soumis à l'esprit, il lui avait obéi sans essayer de regimber ou de se lamenter. Au contraire, lorsque les feux de l'amour qui consumait le coeur de la sainte eurent atteint leur plus grande intensité, ce même corps en souffrit horriblement, sans pourtant jamais se révolter. Cela se comprends et s'explique : pendant les pénitences, l'esprit correspondait encore au corps et lui donnait la vigueur nécessaire à des opérations de cette nature; mais après que l'esprit, en lequel et avec lequel Dieu opérait immédiatement, se fut, en quelque sorte, séparé des choses créées, la partie physique demeura complètement abandonnée. Ses forces ne suffisaient pas à ce qu'elle devait porter, et, cependant, elle ne trouvait nulle part d'aide ni de correspondance. Le corps, dit à ce propos l'historien contemporains, est un sujet capable de se livrer à des pénitences humaines; mais il n'est pas à la hauteur d'un amour si ardent : par conséquent, la nécessité de supporter un esprit devenu tout de feu par une vraie union avec Dieu et une transformation intime en lui était pour lui un tourment plus terrible que le martyre. Toutefois Catherine ne pouvait estimer cette souffrance. Elle n'avait qu'un désir, celui que la volonté divine s'accomplit en elle; elle la sentait imprimée dans son âme, et elle avait une confiance telle que souvent elle s'adressait à Jésus les paroles suivantes : « Je sais qu'en tout ce que je penserai, dirai et ferai, vous ne me laisserez pas faillir ». C'est le propos de l'amour d'unir celui qui aime à l'objet aimé de manière à ce que les deux êtres n'en fassent pour ainsi dire plus qu'un. Or c'est là ce qui était advenu de notre sainte. L'amour immense qui l'attirait vers son Dieu l'avait tellement détachée et si complètement vidée d'elle-même et de toute propriété, qu'elle était perdue dans le Seigneur. « Ce n'était plus elle qui vivait, c'était Jésus qui vivait en elle ». Toute son occupation était en Dieu seul, c'était lui qui semblait vouloir et agir en elle. Un jour on l'entendit s'écrier : « Que je boive ou que je mange, que je me promène ou que je demeure en repos, que je parle ou que je garde le silence, que je dorme ou que je veille, dans la maison comme dans l'église, dans la rue comme dans la maison, saine ou malade, vivante ou morte, à toute heure et dans les moments qui composent ma vie, je veux, ô mon Jésus, que tout se fasse en vous et pour vous. Vous êtes ma force, mon bien, ma volupté, ma béatitude, je ne puis tourner mes regards vers autre chose que vous, au ciel et sur la terre; je ne sais plus si j'ai un corps, une âme, un coeur; je suis transformée en vous, je ne vois, ne sens et ne goûte que le pur amour ». Il résultait de cette absorption en Dieu, que lorsqu'il fallait vaquer aux occupations extérieures, répondre et agir, Catherine, tout en se faisant une violence extrême, n'en pouvait venir à bout. Alors, afin d'être en état de remplir les devoirs que la volonté divine lui avait imposés, elle recourait à la prière. Le Seigneur l'exauçait et lui accordait son secours; aussitôt elle parlait, marchait, remplissait les obligations de sa charge et soignait ses malades, comme si toute son attention eût été portée sur ce qu'elle faisait. Mais, ainsi que nous le disions ci-dessus, son occupation intérieure restait tout autre, et la sainte demeurait parfaitement unie à son Jésus, sans que rien pût jamais l'en distraire. « Tant que je vivrai, disait-elle, je permettrai au monde de faire de mon extérieur ce qu'il voudra; mais pour ce qui est de mon intérieur, il faut qu'il le laisse ainsi qu'il est, car je ne puis, ni ne veux, ni ne voudrais pouvoir l'occuper sinon en Dieu. Dieu l'a pris pour soi, il s'y est enclos, tellement qu'il ne veut ouvrir à personne, et à moi-même moins qu'à tout autre. Il y est aussi fort que sa puissance est grande; il n'y fait autre chose continuellement que de consumer de son amour la créature humaine; et puis après, quand elle sera toute consumée, nous sortirons tous deux de ce corps; et ainsi unis ensemble, nous monterons là-haut en paradis ». En effet Dieu purgeait et nettoyait, de plus en plus, ce vaisseau précieux et élu, augmentait sa capacité et le remplissait davantage. Catherine se sentait toujours si pleine et si rassasiée d'amour divin, qu'il lui semblait impossible que ce sentiment crût encore, et cependant il augmentait en perfection et en quantité à mesure que le travail intérieur s'accomplissait. Écoutons à ce sujet les paroles de la sainte elle-même, telles qu'elles nous ont été conservées par ceux auxquels elle les adressait; les voici : « Je me sens ôter tous les jours de petits brins que le pur amour tire dehors; ses yeux pénétrants voient les imperfections les plus petites, les plus secrètes et les plus ignorées, et il purifie de plus en plus l'intérieur, lequel se voit toujours parfaitement net. Dieu fait ce travail sans que l'homme s'en mêle; le Seigneur connaît seul la netteté qui doit être produite, il montre à la créature la perfection qui en est l'œuvre, sans lui laisser voir les imperfections qui l'accompagnent, et c'est par une disposition toute miséricordieuse. Car, si cette créature (qui s'est remise entièrement entre les mains de Jésus et qui ne peut plus vouloir que perfection et vertu divine), comprenait ce qu'est la plus légère imperfection devant le Très-Haut, et si ensuite elle voyait dans soi toutes celles que Dieu y découvre et qu'il en tire, le désespoir la réduirait en poudre. La douce bonté du Seigneur les lui enlève peu à peu, sans qu'elle s'en aperçoive, comme si c'était chose qui ne la regardait en rien et dont elle n'eût pas à s'occuper ». « Lorsque ce Dieu, si plein de miséricorde, nous adresse son premier appel et nous retire des filets du monde dans lesquels nous sommes enlacés, il nous trouve pleins de vices et de péchés; il nous donne d'abord l'instinct des vertus, plus tard il nous incite et nous provoque à la perfection, puis, par grâce infuse, il nous conduit à l'anéantissement de nous-mêmes [1], et enfin à la vraie transformation. Alors c'est Dieu qui gouverne l'âme et la conduite sans moyen d'aucune créature. L'état de cette âme est une tranquillité si parfaite, qu'intérieurement et extérieurement il lui semble être plongée dans une mer profonde, de laquelle Catherine ne veut nullement dire que l'âme, pour trouver Dieu par l'amour, doive anéantir son être propre et détruire ses facultés, ses forces et ses idées. Elle veut exprimer simplement ce que Bossuet a dit plus tard : que, pour arriver à l'union parfaite avec Dieu, il faut anéantir l'obstacle et la limite, mais non pas l'Être. Le repos en Dieu auquel elle est arrivée, loin d'être de l'inaction, est, suivant l'heureuse expression du R. P. Gratry [2], un acte parfait qui consiste à être tout en action pour Dieu. De même, son occupation en Dieu ne détruit pas l'esprit et la mémoire; elle est, au contraire, un acte puissant de ces facultés; « elle est une pensée simple, où se ramassent, en un, autant qu'il est permis à la faiblesse humaine, toutes les perfections infinies de Dieu » (Bossuet). La mort d'elle-même, dont Catherine, consiste à anéantir l'Égoïsme, qui resserre l'âme dans d'étroites limites, mais non pas à anéantir l'âme elle-même. Son indifférence pour toutes les choses créées n'est pas une annihilation de la volonté et de la liberté; et on peut encore lui appliquer le passage de Bossuet, reproduit par l'auteur remarquable que nous venons de citer : « Cette indifférence est l'étendue et la dilatation d'un cœur qui n'a plus d'autre volonté que celle de Dieu. Notre volonté, tant qu'elle se resserre en elle-même, se donne des bornes; elle s'agrandit, se dégage et devient libre en voulant comme Dieu ».
Bossuet, dans ses écrits contre le Quiétisme, ne combat pas l'emploi des mots néant et anéantissement, dans les traités mystiques, mais seulement comme il le dit lui-même, le sens pernicieux que quelques-uns donnent à ces mots.
« Elle ne sort jamais, quelque chose qui lui advienne en cette vie. Elle demeure comme immuable, sans que rien la puisse troubler, et tellement impassible, qu'elle ne sent autre chose, tant au coeur qu'en l'esprit, tant au dedans qu'au dire, en un mot, la paix divine qui la remplit est telle, que la chair, les nerfs, les entrailles et les os en sont pénétrés. Et plus l'âme va en avant, plus aussi elle s'enfonce et s'abîme, se plonge et se transforme en cette paix; de façon que la partie humaine va toujours s'éloignant du monde et des choses terrestres et naturelles. Le corps ne prend plus de nourriture, et, cependant, il ne se consume ni ne meurt; la créature demeure saine sans les causes ordinaires de la santé, elle ne vit pas soutenue par la nature, mais par un rassasiement incompréhensible, lequel réagit sur le physique. En contemplant son visage radieux et ses yeux purifiés et ardents comme les étoiles qui scintillent au ciel, on croit voir en terre un ange du Trés-Haut. L'amour qui la remplit est de si grande générosité et excellence, qu'il dédaigne de perdre son temps pour les choses estimées les plus belles et les plus précieuses. Il ne s'occupe que de sa netteté et de sa pureté, desquelles sortent d'éclatants rayons de vertus embrasées, et il ne tient aucun compte du reste. Plus je vais en avant, plus je reconnais que l'homme a été créé pour aimer, pour prendre plaisir et se délecter en ce saint et pur amour. Lorsque, par la grâce de Dieu, il est parvenu au port désirable, il ne peut plus faire autre chose qu'aimer et se réjouir, et cette grâce, le Seigneur la lui accorde d'une façon si admirable et si supérieure à toute pensée humaine, que, tout en étant encore en cette vie la créature sent qu'elle participe déjà à la gloire des bienheureux ».
Catherine nous peint ici, d'une manière incomparable, l'état auquel elle était arrivée elle-même, et dont celui-là seul peut parler, qui le connaît par expérience personnelle. En une autre occasion, elle entre sur cet état dans des détails encore plus intimes, en expliquant comment elle avait abandonné tout le soin de sa personne à l'amour divin, et la manière dont il opérait pour la purifier entièrement. « Depuis que l'amour s'est emparé en moi du soin et du gouvernement de toutes choses, disait-elle, il ne m'a pas abandonnée et je ne me suis plus mêlée de rien ». « Je lui avais donné les clés de la maison, avec une grande et ample puissance, afin qu'il fît tout ce qui était nécessaire, sans avoir aucun égard à l'âme, au corps, aux biens, aux parents, aux amis, au monde; il me suffisait que rien ne manquât de ce qui serait requis par la loi du pur amour. Et, lorsque je vis qu'il avait accepté ces pouvoirs et qu'il agissait en conséquence, je me tournai vers lui pour contempler ses opérations, et je demeurai tout absorbée et attentive à suivre son œuvre. Il me faisait reconnaître comme imperfections une foule de choses qui, autrement, m'eussent semblé justes et excellentes. Il découvrait du défaut en tout; lorsque, excitée par mon feu intérieur, je me mettais à parler des choses spirituelles, que je connaissais parce que l'amour me les avait montrées, il me reprenait aussitôt. “Ne parle pas, me disait-il; ne permets pas au feu que tu ressens de s'évaporer par des paroles : ne fais rien qui puisse te procurer quelque rafraîchissement”. Quand je me taisais, sans tenir compte de quoi que ce soit, et en me disant seulement à moi-même : “Si le corps ne peut supporter cela, qu'il en meure, je n'ai de souci de rien”, l'amour me reprenait encore, et me disait : “Je veux que tu fermes tes yeux intérieurs, de façon à ce que le moi du vieil homme ne puisse pas me voir opérer; il faut qu'il reste comme mort, et que tu ne l'emploies en rien”. Alors je demeurais semblable à une chose, ne faisant que soupirer, sangloter et gémir, sans parler, ni prendre garde à rien, et cependant l'amour me disait encore : “Tu as l'air de ne pouvoir te supporter; qu'as-tu ? Si tu éprouves un sentiment humain, ta partie propre vit encore; cesse de sangloter, je ne veux voir aucun de ces signes”. Après avoir été reprise de la sorte je ne faisais plus d'acte intérieur ou extérieur. Mais, quand on parlait devant moi de choses ayant de l'analogie avec ce que je ressentais dans l'âme, mes oreilles écoutaient, j'attendais que l'on dit quelque chose qui pût rendre plus tolérable mon immense assaut intérieur; de même je regardais de côté et d'autre, pour oublier quelque peu la grande ardeur que je ressentais, et me procurer de l'allègement au moyen des yeux. Ces actes ne provenaient pas de ma libre volonté, l'inclinaison naturelle faisait cela sans élection, et je ne m'en apercevais pas; mais l'amour me reprenait encore : “Cette manière de regarder et d'écouter me déplaisent, disait-il : ces choses sont des défenses et des excuses du vieil homme, et il faut qu'il disparaisse”. Ainsi l'amour découvrait les moindres taches, et mon humanité [3] ne pouvait plus se nourrir en aucune façon. Il était si jaloux de mon âme, il examinait tellement toutes choses jusque dans les plus menus détails, il détruisait avec tant de soin tout ce qui ne pouvait demeurer en la présence de Dieu, que malgré la perversité diabolique de ma partie propre, je la vis à la fin dans un anéantissement presque complet, de sorte qu'elle ne pouvait plus me donner aucune crainte. Le purgatoire, ni l'enfer, ni les choses les plus terribles ne m'eussent épouvantée; mais si j'avais vu en moi la moindre opposition à l'action divine, c'est là vraiment ce qui eût été pour moi un enfer pire que celui qu'habitent les démons. Cependant l'amour anéantissement non seulement mon être malin extérieur, mais encore ma partie propre intérieure et spirituelle, qui goûtait et comprenait cet amour, et qui semblait vouloir se transformer toute en Dieu et anéantir de son côté l'être extérieur. Lorsque la partie spirituelle croyait avoir vaincu ce dernier, en lui ôtant les moyens de se repaître, et qu'elle pensait se rapporter à elle-même le bénéfice de sa victoire et en jouir, cet amour insatiable survenait furieux et s'écriait : « A quoi songes-tu ? Ne te figure pas que je te laisserai la moindre chose pour l'âme ou pour le corps. Il faut que, tous deux, ils demeurent absolument nus et dépouillés au-dessous de moi. Je n'ai pas consenti aux sentiments dont tu prétends te nourrir; sache bien que, lorsque je viens cribler une âme, je ne laisse subsister que ce que je juge bon et je ne tolère pas la moindre imperfection, pour petite qu'elle soit. Rien autre que ce que j'aurai approuvé ne pourra se présenter devant Dieu; je veux te transformer en moi, te dépouiller de telle sorte que tu ne puisses plus voir et sentir en toi que le pur amour sans mélange. En un mot, je veux être seul ; car, si j'avais quelque étranger en ma compagnie, les portes du paradis me seraient fermées, elles ne sont ouvertes que pour moi ». « Ce pur amour, dit encore Catherine, use de plusieurs moyens pour mener l'âme à la perfection. Il l'observe lorsqu'elle est occupée de quoi que ce soit avec affection; il tient pour ennemies toutes les choses qu'il lui voit aimer, et il se décide à les détruire sans aucune compassion pour l'âme et pour le corps; mais, considérant la débilité de l'homme, il les retranche petit à petit ». Aveuglés par l'amour-propre, nous tenons excessivement à tout ce qui semble beau, bon et juste, et nous l'aimons comme tel. L'amour pur, voyant cette disposition, dissipe et détruit successivement ce à quoi nous sommes attachés, par la mort, la maladie, la pauvreté, la haine, le scandale et la discorde; il nous frappe dans nos parents, dans nos amis, dans nous-mêmes; nous ne savons plus que faire de nous arrachés aux choses dans lesquelles nous nous délections, nous ne recevons d'elles toutes que peine et confusion. Nous ne comprenons pas pourquoi Dieu fait de pareilles opérations; elles semblent contraires à la raison, à l'ordre éternel et terrestre. Mais nous crions et nous nous tourmentons en vain; en vain nous espérons sortir de si grande angoisse, car ces opérations qui révoltent notre jugement et notre sentiment sont destinées à conduire les âmes à leur but. " Quand l'amour divin nous a tenus quelque temps avec l'âme ainsi suspendue,presque désespérée, ennuyée et dégoûtée de tout ce qu'elle aimait auparavant, il se montre lui-même à elle, avec son céleste visage, joyeux et resplendissant. A lors l'âme, abandonnée et délaissée de tout autre aide, se livre entièrement à lui, puis, l'amour pur lui donnant la connaissance de ce que Dieu a fait en elle, elle s'écrie : " O aveugle que je suis, où étais-je occupée ? qu'allais-je cherchant ? que désirais-je ? Ici est toute la délectation à laquelle j'aspirais, O divin amour ! que vous m'avez doucement trompée pour me dépouiller de l'amour-propre et me revêtir de vous, en qui se trouvent toutes les joies ! A présent que je vois la vérité, je ne me plains plus que de mon ignorance ! " Entièrement convertie à vous, je vous laisse désormais le soin de ma personne, je vois clairement que ce que vous faites de moi vaut infiniment mieux que ce que j'en pourrais faire. Vous seul savez conduire l'âme au but de ses recherches et de ses désirs. Livrée à elle-même, elle ignore ce qu'elle doit faire pour y arriver; car elle est aveuglée par la propriété; guidée par vous, elle suit la voie droite et nette, qui conduit à la vraie liberté."
[1] On commettrait une grave erreur en interprétant dans le sens du faux mysticisme et du quiétisme ce passage et ceux dans lesquels la sainte emploie des expressions semblables.
[2] Prêtre de l'Oratoire de l'immaculée Conception. De la Connaissance de Dieu, T. II, p.61 - 52.
[3] Catherine emploie habituellement l'expression humanité pour désigner le corps des instincts de la nature; c'est en ce sens qu'il faut l'entendre.
Suite du précédent.
Sainte Catherine de Gênes, semblable au roi-prophète, au séraphin d'Assise, et à sainte Rose de Lima, exhortait la création entière, même les choses inanimées, à louer, à bénir, à adorer leur Créateur. Souvent, en entrant dans le petit jardin qui dépendait de sa demeure, elle s'adressait aux fleurs qui y croissaient, et elle leur disait : « Petites plantes, mes amies, n'êtes-vous pas les créatures de mon Dieu, ne vous a-t-il pas donné vos brillantes couleurs et vos senteurs si suaves ?... Aimez-le donc et bénissez-le à votre manière! Mais ces exclamations, par lesquelles la sainte cherchait à livrer passage au feu intérieur qui la consumait, ne servaient au contraire qu'à en augmenter les flammes; les battements accélérés de son cœur paraissaient alors prêts à rompre son enveloppe; et ce cœur bouillonnant, ne pouvant plus contenir les ardeurs qu'il renfermait, les répandait sur la surface du corps, lequel en était pénétré au point de devenir brûlant au toucher ». Le feu divin fini même par se faire jour dans l'organe qui en est le siège principal, la poitrine de Catherine fut traversée, de part en part, d'une ouverture qui attirait et rendait l'air extérieur. La place était douloureuse; la sainte y portait souvent la main par un mouvement instinctif pour se procurer quelque soulagement; « elle haletait comme un soufflet, mais tantôt plus, tantôt moins, car elle n'eût pas pu supporter le plus pendant deux jours consécutifs sans en mourir ». Quand cette extrême ardeur se calmait un peu, le coeur demeurait comme fondu et anéanti dans un océan d'une douceur infinie. Dieu laissait quelquefois Catherine se reposer avec cette impression, plongée et ravie en un goût et en un sentiment intérieur qui l'absorbaient entièrement. Mais bientôt le Seigneur permettait qu'elle subit un nouvel assaut, plus violent même que le précédent. Alors elle était tellement dévorée de l'amour en ses entrailles, qu'elle perdait l'usage de la parole; à peine pouvait-elle prononcer encore, tout bas, ces mots : Mon coeur s'en va, je le sens consumé... Amour, je n'en puis plus. Lorsqu'elle revenait à elle, sa face était si vermeille, qu'on eût dit un chérubin, et il lui semblait qu'elle pouvait s'écrier avec le glorieux apôtre : Qui me séparera de la charité de Dieu ? Catherine assurait que, si on examinait son coeur après sa mort, on le trouverait réduit en cendres et entièrement consumé. Malheureusement cet examen n'a pas été fait; il eût révélé peut-être des phénomènes pareils à ceux qui se sont présentés, lors de l'autopsie de la Clarisse Anne Nobili, de sainte Véronique Juliani et de plusieurs autres mystiques célèbres. Il est digne de remarque que, tandis que Catherine s'était livrée aux mortifications les plus rigoureuses et aux oeuvres les plus austères, pendant les années qui suivirent sa conversion, son corps s'était accommodé de tout; parfaitement soumis à l'esprit, il lui avait obéi sans essayer de regimber ou de se lamenter. Au contraire, lorsque les feux de l'amour qui consumait le coeur de la sainte eurent atteint leur plus grande intensité, ce même corps en souffrit horriblement, sans pourtant jamais se révolter. Cela se comprends et s'explique : pendant les pénitences, l'esprit correspondait encore au corps et lui donnait la vigueur nécessaire à des opérations de cette nature; mais après que l'esprit, en lequel et avec lequel Dieu opérait immédiatement, se fut, en quelque sorte, séparé des choses créées, la partie physique demeura complètement abandonnée. Ses forces ne suffisaient pas à ce qu'elle devait porter, et, cependant, elle ne trouvait nulle part d'aide ni de correspondance. Le corps, dit à ce propos l'historien contemporains, est un sujet capable de se livrer à des pénitences humaines; mais il n'est pas à la hauteur d'un amour si ardent : par conséquent, la nécessité de supporter un esprit devenu tout de feu par une vraie union avec Dieu et une transformation intime en lui était pour lui un tourment plus terrible que le martyre. Toutefois Catherine ne pouvait estimer cette souffrance. Elle n'avait qu'un désir, celui que la volonté divine s'accomplit en elle; elle la sentait imprimée dans son âme, et elle avait une confiance telle que souvent elle s'adressait à Jésus les paroles suivantes : « Je sais qu'en tout ce que je penserai, dirai et ferai, vous ne me laisserez pas faillir ». C'est le propos de l'amour d'unir celui qui aime à l'objet aimé de manière à ce que les deux êtres n'en fassent pour ainsi dire plus qu'un. Or c'est là ce qui était advenu de notre sainte. L'amour immense qui l'attirait vers son Dieu l'avait tellement détachée et si complètement vidée d'elle-même et de toute propriété, qu'elle était perdue dans le Seigneur. « Ce n'était plus elle qui vivait, c'était Jésus qui vivait en elle ». Toute son occupation était en Dieu seul, c'était lui qui semblait vouloir et agir en elle. Un jour on l'entendit s'écrier : « Que je boive ou que je mange, que je me promène ou que je demeure en repos, que je parle ou que je garde le silence, que je dorme ou que je veille, dans la maison comme dans l'église, dans la rue comme dans la maison, saine ou malade, vivante ou morte, à toute heure et dans les moments qui composent ma vie, je veux, ô mon Jésus, que tout se fasse en vous et pour vous. Vous êtes ma force, mon bien, ma volupté, ma béatitude, je ne puis tourner mes regards vers autre chose que vous, au ciel et sur la terre; je ne sais plus si j'ai un corps, une âme, un coeur; je suis transformée en vous, je ne vois, ne sens et ne goûte que le pur amour ». Il résultait de cette absorption en Dieu, que lorsqu'il fallait vaquer aux occupations extérieures, répondre et agir, Catherine, tout en se faisant une violence extrême, n'en pouvait venir à bout. Alors, afin d'être en état de remplir les devoirs que la volonté divine lui avait imposés, elle recourait à la prière. Le Seigneur l'exauçait et lui accordait son secours; aussitôt elle parlait, marchait, remplissait les obligations de sa charge et soignait ses malades, comme si toute son attention eût été portée sur ce qu'elle faisait. Mais, ainsi que nous le disions ci-dessus, son occupation intérieure restait tout autre, et la sainte demeurait parfaitement unie à son Jésus, sans que rien pût jamais l'en distraire. « Tant que je vivrai, disait-elle, je permettrai au monde de faire de mon extérieur ce qu'il voudra; mais pour ce qui est de mon intérieur, il faut qu'il le laisse ainsi qu'il est, car je ne puis, ni ne veux, ni ne voudrais pouvoir l'occuper sinon en Dieu. Dieu l'a pris pour soi, il s'y est enclos, tellement qu'il ne veut ouvrir à personne, et à moi-même moins qu'à tout autre. Il y est aussi fort que sa puissance est grande; il n'y fait autre chose continuellement que de consumer de son amour la créature humaine; et puis après, quand elle sera toute consumée, nous sortirons tous deux de ce corps; et ainsi unis ensemble, nous monterons là-haut en paradis ». En effet Dieu purgeait et nettoyait, de plus en plus, ce vaisseau précieux et élu, augmentait sa capacité et le remplissait davantage. Catherine se sentait toujours si pleine et si rassasiée d'amour divin, qu'il lui semblait impossible que ce sentiment crût encore, et cependant il augmentait en perfection et en quantité à mesure que le travail intérieur s'accomplissait. Écoutons à ce sujet les paroles de la sainte elle-même, telles qu'elles nous ont été conservées par ceux auxquels elle les adressait; les voici : « Je me sens ôter tous les jours de petits brins que le pur amour tire dehors; ses yeux pénétrants voient les imperfections les plus petites, les plus secrètes et les plus ignorées, et il purifie de plus en plus l'intérieur, lequel se voit toujours parfaitement net. Dieu fait ce travail sans que l'homme s'en mêle; le Seigneur connaît seul la netteté qui doit être produite, il montre à la créature la perfection qui en est l'œuvre, sans lui laisser voir les imperfections qui l'accompagnent, et c'est par une disposition toute miséricordieuse. Car, si cette créature (qui s'est remise entièrement entre les mains de Jésus et qui ne peut plus vouloir que perfection et vertu divine), comprenait ce qu'est la plus légère imperfection devant le Très-Haut, et si ensuite elle voyait dans soi toutes celles que Dieu y découvre et qu'il en tire, le désespoir la réduirait en poudre. La douce bonté du Seigneur les lui enlève peu à peu, sans qu'elle s'en aperçoive, comme si c'était chose qui ne la regardait en rien et dont elle n'eût pas à s'occuper ». « Lorsque ce Dieu, si plein de miséricorde, nous adresse son premier appel et nous retire des filets du monde dans lesquels nous sommes enlacés, il nous trouve pleins de vices et de péchés; il nous donne d'abord l'instinct des vertus, plus tard il nous incite et nous provoque à la perfection, puis, par grâce infuse, il nous conduit à l'anéantissement de nous-mêmes [1], et enfin à la vraie transformation. Alors c'est Dieu qui gouverne l'âme et la conduite sans moyen d'aucune créature. L'état de cette âme est une tranquillité si parfaite, qu'intérieurement et extérieurement il lui semble être plongée dans une mer profonde, de laquelle Catherine ne veut nullement dire que l'âme, pour trouver Dieu par l'amour, doive anéantir son être propre et détruire ses facultés, ses forces et ses idées. Elle veut exprimer simplement ce que Bossuet a dit plus tard : que, pour arriver à l'union parfaite avec Dieu, il faut anéantir l'obstacle et la limite, mais non pas l'Être. Le repos en Dieu auquel elle est arrivée, loin d'être de l'inaction, est, suivant l'heureuse expression du R. P. Gratry [2], un acte parfait qui consiste à être tout en action pour Dieu. De même, son occupation en Dieu ne détruit pas l'esprit et la mémoire; elle est, au contraire, un acte puissant de ces facultés; « elle est une pensée simple, où se ramassent, en un, autant qu'il est permis à la faiblesse humaine, toutes les perfections infinies de Dieu » (Bossuet). La mort d'elle-même, dont Catherine, consiste à anéantir l'Égoïsme, qui resserre l'âme dans d'étroites limites, mais non pas à anéantir l'âme elle-même. Son indifférence pour toutes les choses créées n'est pas une annihilation de la volonté et de la liberté; et on peut encore lui appliquer le passage de Bossuet, reproduit par l'auteur remarquable que nous venons de citer : « Cette indifférence est l'étendue et la dilatation d'un cœur qui n'a plus d'autre volonté que celle de Dieu. Notre volonté, tant qu'elle se resserre en elle-même, se donne des bornes; elle s'agrandit, se dégage et devient libre en voulant comme Dieu ».
Bossuet, dans ses écrits contre le Quiétisme, ne combat pas l'emploi des mots néant et anéantissement, dans les traités mystiques, mais seulement comme il le dit lui-même, le sens pernicieux que quelques-uns donnent à ces mots.
« Elle ne sort jamais, quelque chose qui lui advienne en cette vie. Elle demeure comme immuable, sans que rien la puisse troubler, et tellement impassible, qu'elle ne sent autre chose, tant au coeur qu'en l'esprit, tant au dedans qu'au dire, en un mot, la paix divine qui la remplit est telle, que la chair, les nerfs, les entrailles et les os en sont pénétrés. Et plus l'âme va en avant, plus aussi elle s'enfonce et s'abîme, se plonge et se transforme en cette paix; de façon que la partie humaine va toujours s'éloignant du monde et des choses terrestres et naturelles. Le corps ne prend plus de nourriture, et, cependant, il ne se consume ni ne meurt; la créature demeure saine sans les causes ordinaires de la santé, elle ne vit pas soutenue par la nature, mais par un rassasiement incompréhensible, lequel réagit sur le physique. En contemplant son visage radieux et ses yeux purifiés et ardents comme les étoiles qui scintillent au ciel, on croit voir en terre un ange du Trés-Haut. L'amour qui la remplit est de si grande générosité et excellence, qu'il dédaigne de perdre son temps pour les choses estimées les plus belles et les plus précieuses. Il ne s'occupe que de sa netteté et de sa pureté, desquelles sortent d'éclatants rayons de vertus embrasées, et il ne tient aucun compte du reste. Plus je vais en avant, plus je reconnais que l'homme a été créé pour aimer, pour prendre plaisir et se délecter en ce saint et pur amour. Lorsque, par la grâce de Dieu, il est parvenu au port désirable, il ne peut plus faire autre chose qu'aimer et se réjouir, et cette grâce, le Seigneur la lui accorde d'une façon si admirable et si supérieure à toute pensée humaine, que, tout en étant encore en cette vie la créature sent qu'elle participe déjà à la gloire des bienheureux ».
Catherine nous peint ici, d'une manière incomparable, l'état auquel elle était arrivée elle-même, et dont celui-là seul peut parler, qui le connaît par expérience personnelle. En une autre occasion, elle entre sur cet état dans des détails encore plus intimes, en expliquant comment elle avait abandonné tout le soin de sa personne à l'amour divin, et la manière dont il opérait pour la purifier entièrement. « Depuis que l'amour s'est emparé en moi du soin et du gouvernement de toutes choses, disait-elle, il ne m'a pas abandonnée et je ne me suis plus mêlée de rien ». « Je lui avais donné les clés de la maison, avec une grande et ample puissance, afin qu'il fît tout ce qui était nécessaire, sans avoir aucun égard à l'âme, au corps, aux biens, aux parents, aux amis, au monde; il me suffisait que rien ne manquât de ce qui serait requis par la loi du pur amour. Et, lorsque je vis qu'il avait accepté ces pouvoirs et qu'il agissait en conséquence, je me tournai vers lui pour contempler ses opérations, et je demeurai tout absorbée et attentive à suivre son œuvre. Il me faisait reconnaître comme imperfections une foule de choses qui, autrement, m'eussent semblé justes et excellentes. Il découvrait du défaut en tout; lorsque, excitée par mon feu intérieur, je me mettais à parler des choses spirituelles, que je connaissais parce que l'amour me les avait montrées, il me reprenait aussitôt. “Ne parle pas, me disait-il; ne permets pas au feu que tu ressens de s'évaporer par des paroles : ne fais rien qui puisse te procurer quelque rafraîchissement”. Quand je me taisais, sans tenir compte de quoi que ce soit, et en me disant seulement à moi-même : “Si le corps ne peut supporter cela, qu'il en meure, je n'ai de souci de rien”, l'amour me reprenait encore, et me disait : “Je veux que tu fermes tes yeux intérieurs, de façon à ce que le moi du vieil homme ne puisse pas me voir opérer; il faut qu'il reste comme mort, et que tu ne l'emploies en rien”. Alors je demeurais semblable à une chose, ne faisant que soupirer, sangloter et gémir, sans parler, ni prendre garde à rien, et cependant l'amour me disait encore : “Tu as l'air de ne pouvoir te supporter; qu'as-tu ? Si tu éprouves un sentiment humain, ta partie propre vit encore; cesse de sangloter, je ne veux voir aucun de ces signes”. Après avoir été reprise de la sorte je ne faisais plus d'acte intérieur ou extérieur. Mais, quand on parlait devant moi de choses ayant de l'analogie avec ce que je ressentais dans l'âme, mes oreilles écoutaient, j'attendais que l'on dit quelque chose qui pût rendre plus tolérable mon immense assaut intérieur; de même je regardais de côté et d'autre, pour oublier quelque peu la grande ardeur que je ressentais, et me procurer de l'allègement au moyen des yeux. Ces actes ne provenaient pas de ma libre volonté, l'inclinaison naturelle faisait cela sans élection, et je ne m'en apercevais pas; mais l'amour me reprenait encore : “Cette manière de regarder et d'écouter me déplaisent, disait-il : ces choses sont des défenses et des excuses du vieil homme, et il faut qu'il disparaisse”. Ainsi l'amour découvrait les moindres taches, et mon humanité [3] ne pouvait plus se nourrir en aucune façon. Il était si jaloux de mon âme, il examinait tellement toutes choses jusque dans les plus menus détails, il détruisait avec tant de soin tout ce qui ne pouvait demeurer en la présence de Dieu, que malgré la perversité diabolique de ma partie propre, je la vis à la fin dans un anéantissement presque complet, de sorte qu'elle ne pouvait plus me donner aucune crainte. Le purgatoire, ni l'enfer, ni les choses les plus terribles ne m'eussent épouvantée; mais si j'avais vu en moi la moindre opposition à l'action divine, c'est là vraiment ce qui eût été pour moi un enfer pire que celui qu'habitent les démons. Cependant l'amour anéantissement non seulement mon être malin extérieur, mais encore ma partie propre intérieure et spirituelle, qui goûtait et comprenait cet amour, et qui semblait vouloir se transformer toute en Dieu et anéantir de son côté l'être extérieur. Lorsque la partie spirituelle croyait avoir vaincu ce dernier, en lui ôtant les moyens de se repaître, et qu'elle pensait se rapporter à elle-même le bénéfice de sa victoire et en jouir, cet amour insatiable survenait furieux et s'écriait : « A quoi songes-tu ? Ne te figure pas que je te laisserai la moindre chose pour l'âme ou pour le corps. Il faut que, tous deux, ils demeurent absolument nus et dépouillés au-dessous de moi. Je n'ai pas consenti aux sentiments dont tu prétends te nourrir; sache bien que, lorsque je viens cribler une âme, je ne laisse subsister que ce que je juge bon et je ne tolère pas la moindre imperfection, pour petite qu'elle soit. Rien autre que ce que j'aurai approuvé ne pourra se présenter devant Dieu; je veux te transformer en moi, te dépouiller de telle sorte que tu ne puisses plus voir et sentir en toi que le pur amour sans mélange. En un mot, je veux être seul ; car, si j'avais quelque étranger en ma compagnie, les portes du paradis me seraient fermées, elles ne sont ouvertes que pour moi ». « Ce pur amour, dit encore Catherine, use de plusieurs moyens pour mener l'âme à la perfection. Il l'observe lorsqu'elle est occupée de quoi que ce soit avec affection; il tient pour ennemies toutes les choses qu'il lui voit aimer, et il se décide à les détruire sans aucune compassion pour l'âme et pour le corps; mais, considérant la débilité de l'homme, il les retranche petit à petit ». Aveuglés par l'amour-propre, nous tenons excessivement à tout ce qui semble beau, bon et juste, et nous l'aimons comme tel. L'amour pur, voyant cette disposition, dissipe et détruit successivement ce à quoi nous sommes attachés, par la mort, la maladie, la pauvreté, la haine, le scandale et la discorde; il nous frappe dans nos parents, dans nos amis, dans nous-mêmes; nous ne savons plus que faire de nous arrachés aux choses dans lesquelles nous nous délections, nous ne recevons d'elles toutes que peine et confusion. Nous ne comprenons pas pourquoi Dieu fait de pareilles opérations; elles semblent contraires à la raison, à l'ordre éternel et terrestre. Mais nous crions et nous nous tourmentons en vain; en vain nous espérons sortir de si grande angoisse, car ces opérations qui révoltent notre jugement et notre sentiment sont destinées à conduire les âmes à leur but. " Quand l'amour divin nous a tenus quelque temps avec l'âme ainsi suspendue,presque désespérée, ennuyée et dégoûtée de tout ce qu'elle aimait auparavant, il se montre lui-même à elle, avec son céleste visage, joyeux et resplendissant. A lors l'âme, abandonnée et délaissée de tout autre aide, se livre entièrement à lui, puis, l'amour pur lui donnant la connaissance de ce que Dieu a fait en elle, elle s'écrie : " O aveugle que je suis, où étais-je occupée ? qu'allais-je cherchant ? que désirais-je ? Ici est toute la délectation à laquelle j'aspirais, O divin amour ! que vous m'avez doucement trompée pour me dépouiller de l'amour-propre et me revêtir de vous, en qui se trouvent toutes les joies ! A présent que je vois la vérité, je ne me plains plus que de mon ignorance ! " Entièrement convertie à vous, je vous laisse désormais le soin de ma personne, je vois clairement que ce que vous faites de moi vaut infiniment mieux que ce que j'en pourrais faire. Vous seul savez conduire l'âme au but de ses recherches et de ses désirs. Livrée à elle-même, elle ignore ce qu'elle doit faire pour y arriver; car elle est aveuglée par la propriété; guidée par vous, elle suit la voie droite et nette, qui conduit à la vraie liberté."
[1] On commettrait une grave erreur en interprétant dans le sens du faux mysticisme et du quiétisme ce passage et ceux dans lesquels la sainte emploie des expressions semblables.
[2] Prêtre de l'Oratoire de l'immaculée Conception. De la Connaissance de Dieu, T. II, p.61 - 52.
[3] Catherine emploie habituellement l'expression humanité pour désigner le corps des instincts de la nature; c'est en ce sens qu'il faut l'entendre.
CHAPITRE X
Ardent amour de sainte Catherine
pour la très sainte Eucharistie.
Catherine était dominée par une seule pensée; elle voulait arriver à l'union avec Dieu, la plus complète, la plus intime, où puisse parvenir la créature; et, comme elle savait que la divine Eucharistie est le moyen le plus puissant d'union que nous ait donné Notre-Seigneur, elle avait, ainsi que nous le disions précédemment, une faim insatiable, et elle s'y sentait irrésistiblement attirée. Aussi Catherine, toujours prête à se soumettre en toutes choses à la volonté d'autrui, ne réussit jamais à briser la sienne sur cet article. Assurément elle n'eût pas communié contrairement aux ordres de son confesseur; et, s'il lui avait défendu de s'approcher de la table sainte, elle s'en fût abstenue sans réclamation; mais le violent désir de recevoir son Dieu, caché sous les espèces consacrées, lui serait toujours resté. Elle exprima un jour ce qu'elle eût éprouvé en semblable circonstance : " Si mon confesseur me disait : Je ne veux pas que vous communiez, s'écria-t-elle, je lui répondrais : Très bien, mon père! Seulement je ne puis pas dire comme vous : Je ne veux pas, car je voudrais bien. Après avoir prononcé ces paroles, Catherine ajouta : " je ne trouve en moi que deux choses auxquelles je ne puis consentir, et une troisième chose qu'il m'est impossible de ne pas vouloir et désirer. Celle que je désire est la sainte communion, parce que la communion est Dieu même; celles auxquelles je ne saurais consentir sont : le péché, pour petit qu'il soit, et la passion de Notre-Seigneur. J'ai beau faire, je ne peux vouloir que Dieu, mon amour, ait enduré de si grands supplices; j'aimerais mieux, si c'était possible, souffrir pour toutes les âmes autant de peines qu'il y en a en enfer [1].
Quels que fussent l'état de la santé de Catherine et les affaires dont elle était chargée, elle communiait tous les jours. Il advint une fois qu'un religieux qui la connaissait à peine, c'était à ce que l'on croit le P. Ange de Clavasio, parlant devant elle de la fréquente communion, lui dit : « Vous communiez tous les matins, comment vous en trouvez-vous ? » La sainte lui répondit avec vérité et simplicité. Alors le religieux, voulant voir si ce désir violent venait vraiment de Dieu, ou s'il était simplement naturel, lui répliqua qu'il pourrait bien y avoir du défaut et de l'abus à communier si souvent : et lui ayant parlé de la sorte, il s'en alla. Catherine, qui avait la conscience excessivement délicate, fut effrayée; et s'abstint pendant plusieurs jours de s'approcher de la sainte table. Son obéissance lui coûta cher. Elle fut en proie, pendant ces jours d'épreuve, à d'indicibles angoisses et aux douleurs les plus affreuses. Les personnes qui l'entouraient reconnurent ainsi que l'expérience qu'on voulait faire sur elle n'était pas conforme à la volonté de Dieu, et que la communion seule pouvait mettre un terme à ses souffrances. Ils firent revenir le P. Ange; celui-ci répara le mal qu'il avait fait, en exhortant la sainte à retourner à sa première coutume, et il l'assura qu'elle pouvait le faire sans abus ni défaut. En une autre occasion, Catherine, gravement malade, n'avalait plus rien et semblait à toute extrémité. Les médecins, après avoir inutilement employé toutes les ressources de la science, déclarèrent qu'il n'y avait plus rien à faire, que le cas était désespéré et la mort prochaine. Alors la sainte, accablée sous le poids d'une angoisse immense, mais intérieurement éclairée de Dieu, dit à son confesseur : « Mon cœur n'est pas fait comme celui des autres : il ne se réjouit que dans son Seigneur; et pour cette cause donnez-le-moi, car si je reçois trois fois la sainte communion, je serai guérie ». Le confesseur, sachant qu'en effet ce seul aliment entretenait la vie en elle, le fait communier ainsi qu'elle le demandait, et le fait justifia pleinement la prédiction. Une autre fois elle rêva, étant endormie, qu'elle ne devait pas communier le jour suivant; et, bien qu'elle pleurât difficilement, elle trouva, en se réveillant, son oreiller trempé et tout pénétré de larmes. Souvent pendant la messe elle était ravie en extase; mais elle revenait toujours à elle pour la communion, et elle s'écriait : « Ah ! Seigneur, je crois que si j'étais morte, je ressusciterais pour vous recevoir, et si l'on me présentait une hostie non consacrée, je la distinguerais comme l'on distingue l'eau du vin ». Elle disait cela, parce qu'elle recevait de l'hostie consacrée un certain rayon d'amour qui lui transperçait le plus profond du cœur. « Elle affirmait également que, si elle voyait toute la cour céleste vêtue uniformément, de sorte qu'il n'y eût aucune différence entre Dieu et les anges, l'amour qu'elle portait en son cœur reconnaîtrait son Seigneur, de même que le chien fidèle reconnaît son maître; et avec moins de difficulté encore, parce que l'amour trouve, sur-le-champ et sans empêchement, son dernier repos en Dieu, qui est sa fin ». Le temps qui s'écoule entre la consécration et la communion lui paraissait toujours d'une intolérable longueur, elle disait alors dans son intérieur : « Hâtez-vous de l'envoyer au plus profond de mon coeur, c'est sa nourriture et son amour; il ne peut supporter de la voir dehors ». Les prêtres, ainsi qu'elle le répétait souvent au commencement de sa conversation, étaient de sa part les objets d'une sainte jalousie. Elle leur enviait le bonheur de pouvoir communier quand ils le voulaient et sans que personne s'en étonnât, de toucher de leurs mains le très saint Sacrement, et surtout de célébrer trois messes dans la bienheureuse nuit de Noël. Il arriva, en 1489, que le pape Innocent VIII mit un interdit de dix jours sur toutes les églises de Gênes. Catherine, ne pouvant plus y communier, se rendit tous les matins dans une chapelle située à une demi-lieue de la ville, pour y recevoir le pain de vie; « et, ajoute notre vieil historien, son désir de s'unir à son bien-aimé était si grand, qu'il lui semblait que son corps se transportait aussi vite que son esprit au lieu où elle le retrouvait ».
* * * * *
[1] Sainte Catherine parle ici de la Passion, en tant que pénible à Notre-Seigneur, et non en tant que méritoire, satisfatoire, et conforme à la volonté de Dieu.
Ardent amour de sainte Catherine
pour la très sainte Eucharistie.
Catherine était dominée par une seule pensée; elle voulait arriver à l'union avec Dieu, la plus complète, la plus intime, où puisse parvenir la créature; et, comme elle savait que la divine Eucharistie est le moyen le plus puissant d'union que nous ait donné Notre-Seigneur, elle avait, ainsi que nous le disions précédemment, une faim insatiable, et elle s'y sentait irrésistiblement attirée. Aussi Catherine, toujours prête à se soumettre en toutes choses à la volonté d'autrui, ne réussit jamais à briser la sienne sur cet article. Assurément elle n'eût pas communié contrairement aux ordres de son confesseur; et, s'il lui avait défendu de s'approcher de la table sainte, elle s'en fût abstenue sans réclamation; mais le violent désir de recevoir son Dieu, caché sous les espèces consacrées, lui serait toujours resté. Elle exprima un jour ce qu'elle eût éprouvé en semblable circonstance : " Si mon confesseur me disait : Je ne veux pas que vous communiez, s'écria-t-elle, je lui répondrais : Très bien, mon père! Seulement je ne puis pas dire comme vous : Je ne veux pas, car je voudrais bien. Après avoir prononcé ces paroles, Catherine ajouta : " je ne trouve en moi que deux choses auxquelles je ne puis consentir, et une troisième chose qu'il m'est impossible de ne pas vouloir et désirer. Celle que je désire est la sainte communion, parce que la communion est Dieu même; celles auxquelles je ne saurais consentir sont : le péché, pour petit qu'il soit, et la passion de Notre-Seigneur. J'ai beau faire, je ne peux vouloir que Dieu, mon amour, ait enduré de si grands supplices; j'aimerais mieux, si c'était possible, souffrir pour toutes les âmes autant de peines qu'il y en a en enfer [1].
Quels que fussent l'état de la santé de Catherine et les affaires dont elle était chargée, elle communiait tous les jours. Il advint une fois qu'un religieux qui la connaissait à peine, c'était à ce que l'on croit le P. Ange de Clavasio, parlant devant elle de la fréquente communion, lui dit : « Vous communiez tous les matins, comment vous en trouvez-vous ? » La sainte lui répondit avec vérité et simplicité. Alors le religieux, voulant voir si ce désir violent venait vraiment de Dieu, ou s'il était simplement naturel, lui répliqua qu'il pourrait bien y avoir du défaut et de l'abus à communier si souvent : et lui ayant parlé de la sorte, il s'en alla. Catherine, qui avait la conscience excessivement délicate, fut effrayée; et s'abstint pendant plusieurs jours de s'approcher de la sainte table. Son obéissance lui coûta cher. Elle fut en proie, pendant ces jours d'épreuve, à d'indicibles angoisses et aux douleurs les plus affreuses. Les personnes qui l'entouraient reconnurent ainsi que l'expérience qu'on voulait faire sur elle n'était pas conforme à la volonté de Dieu, et que la communion seule pouvait mettre un terme à ses souffrances. Ils firent revenir le P. Ange; celui-ci répara le mal qu'il avait fait, en exhortant la sainte à retourner à sa première coutume, et il l'assura qu'elle pouvait le faire sans abus ni défaut. En une autre occasion, Catherine, gravement malade, n'avalait plus rien et semblait à toute extrémité. Les médecins, après avoir inutilement employé toutes les ressources de la science, déclarèrent qu'il n'y avait plus rien à faire, que le cas était désespéré et la mort prochaine. Alors la sainte, accablée sous le poids d'une angoisse immense, mais intérieurement éclairée de Dieu, dit à son confesseur : « Mon cœur n'est pas fait comme celui des autres : il ne se réjouit que dans son Seigneur; et pour cette cause donnez-le-moi, car si je reçois trois fois la sainte communion, je serai guérie ». Le confesseur, sachant qu'en effet ce seul aliment entretenait la vie en elle, le fait communier ainsi qu'elle le demandait, et le fait justifia pleinement la prédiction. Une autre fois elle rêva, étant endormie, qu'elle ne devait pas communier le jour suivant; et, bien qu'elle pleurât difficilement, elle trouva, en se réveillant, son oreiller trempé et tout pénétré de larmes. Souvent pendant la messe elle était ravie en extase; mais elle revenait toujours à elle pour la communion, et elle s'écriait : « Ah ! Seigneur, je crois que si j'étais morte, je ressusciterais pour vous recevoir, et si l'on me présentait une hostie non consacrée, je la distinguerais comme l'on distingue l'eau du vin ». Elle disait cela, parce qu'elle recevait de l'hostie consacrée un certain rayon d'amour qui lui transperçait le plus profond du cœur. « Elle affirmait également que, si elle voyait toute la cour céleste vêtue uniformément, de sorte qu'il n'y eût aucune différence entre Dieu et les anges, l'amour qu'elle portait en son cœur reconnaîtrait son Seigneur, de même que le chien fidèle reconnaît son maître; et avec moins de difficulté encore, parce que l'amour trouve, sur-le-champ et sans empêchement, son dernier repos en Dieu, qui est sa fin ». Le temps qui s'écoule entre la consécration et la communion lui paraissait toujours d'une intolérable longueur, elle disait alors dans son intérieur : « Hâtez-vous de l'envoyer au plus profond de mon coeur, c'est sa nourriture et son amour; il ne peut supporter de la voir dehors ». Les prêtres, ainsi qu'elle le répétait souvent au commencement de sa conversation, étaient de sa part les objets d'une sainte jalousie. Elle leur enviait le bonheur de pouvoir communier quand ils le voulaient et sans que personne s'en étonnât, de toucher de leurs mains le très saint Sacrement, et surtout de célébrer trois messes dans la bienheureuse nuit de Noël. Il arriva, en 1489, que le pape Innocent VIII mit un interdit de dix jours sur toutes les églises de Gênes. Catherine, ne pouvant plus y communier, se rendit tous les matins dans une chapelle située à une demi-lieue de la ville, pour y recevoir le pain de vie; « et, ajoute notre vieil historien, son désir de s'unir à son bien-aimé était si grand, qu'il lui semblait que son corps se transportait aussi vite que son esprit au lieu où elle le retrouvait ».
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[1] Sainte Catherine parle ici de la Passion, en tant que pénible à Notre-Seigneur, et non en tant que méritoire, satisfatoire, et conforme à la volonté de Dieu.
HAPITRE XI
Horreur de Catherine pour le péché
Celui qui aime Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces, doit éprouver une haine égale à son amour, pour le péché, qui sépare du bien suprême. C'est là aussi ce que l'on remarquait en Catherine. Dans les premiers temps qui suivirent sa conversion, elle ressentait une telle horreur et une si violente indignation contre elle-même au souvenir de ses manquements et de ses négligences, qu'elle demandait à Dieu de la punir en toute rigueur. " Je ne veux ni grâce, ni miséricorde, lui disait-elle, ce n'est pas ce qu'il me faut en ce monde; je ne veux que la justice et les châtiments." Mais elle alla plus loin encore; persuadée que tout ce que nous pouvons souffrir ici-bas n'est nullement proportionné au crime que nous commettons en offensant la Majesté suprême, elle se condamnait d'avance aux peines expiatoire de l'autre vie. Malgré sa foi en la puissance du Vicaire de Jésus-Christ, et sa grande vénération pour les indulgences, dont elle reconnaissait l'utilité, elle ne les recherchait pas; sa haine d'elle-même était si violente, qu'elle voulait se voir punie comme elle méritait de l'être, plutôt que de se trouver absoute par de semblables satisfactions que nous accordent la miséricorde de Dieu et la tendresse maternelle de l'Eglise. Elle aspirait à satisfaire elle-même, et de toute ses forces, pour le mal qu'elle-même avait fait. Elle voyait que l'Offensé était doué d'une immense et souveraine bonté; que l'offenseur, au contraire, était plein de malice, et elle voulait que tout son moi fût livré à la divine justice, pour être châtié, sans espoir d'échapper à aucune des souffrances qu'il avait méritées. Ces mêmes motifs ne lui permettaient pas non plus de se recommander aux prières d'autrui; « elle se considérait comme dévouée à tous les supplices, et les acceptait comme étant mérités. Tel était le haut degré de perfection auquel était parvenue cette sainte âme, qui, déjà presque assurée de la victoire, désirait combattre, comme un vaillant et brave soldat, pour la gloire de son Seigneur, et sans demander d'autres secours que celui de la grâce divine, sans lequel nous ne pouvons rien ». La haine de la sainte pour le péché semblait ne plus pouvoir croître, et cependant elle augmenta encore à mesure qu'elle acquit une connaissance plus claire de la laideur de l'offense commise contre Dieu, source de tout bien. Il arriva un jour que, tout occupée de cette pensée et excitée par l'ardeur démesurée qu'elle ressentait dans son intérieur, elle s'adressa à Lucifer et lui dit : « Je veux m'arrêter à deviser avec foi d'un cas qui se présente à mon esprit. Si, d'une part, tu réunissais en toi seul tous les maux et tous les tourments de l'enfer, et si, d'un autre côté, une âme qui aime d'un amour pur et net se trouvait empêchée dans ce vrai amour par un seul petit brin d'offense, laquelle de ces deux souffrances serait la plus terrible, lequel de ces cas serait le plus grave, dis-le moi ?... » Au moment même où Catherine achevait de prononcer ces paroles, il lui fut clairement démontré, en l'esprit, que la moindre offense faite à Dieu semblerait infiniment plus intolérable à cette âme que l'enfer ne parait à Lucifer. Cette démonstration précise agit assez puissamment sur le coeur de notre sainte, pour produire une maladie qui la réduisit à l'extrémité. La plupart des hommes sentent à peine la componction et les remords de conscience produits par le péché; et quant aux péchés véniels, on passe dessus fort légèrement, sans presque s'en occuper. Il n'en était pas ainsi de Catherine Adorne. Dieu lui fit voir un jour tout ce qu'il y a de mal au fond de chaque faute vénielle; elle en éprouva une si terrible impression, que, suivant ses propres paroles, « elle fût tombée morte sur-le-champ, si le Seigneur lui eût fait connaître qu'il y avait en elle un seul péché de cette nature ». Cependant il lui resta pendant longtemps une grande crainte à la suite de cette vision; lorsque le moindre doute d'imperfection lui traversait l'esprit, il fallait qu'elle en fût promptement éclaircie, « autrement elle se trouvait aussi angoissée que si on l'eût plongée dans une chaudière bouillante ». Catherine exprima en plusieurs occasions sa profonde horreur du péché véniel. « Je ne saurais comprendre, dit-elle un jour, que je ne sois pas morte, lorsque le mal que renferme le moindre acte contre Dieu m'a été montré. Or, si l'ombre du péché véniel m'a semblé si affreuse, que doit-on penser du péché mortel ? Ah ! certes, s'il apparaissait avec toute sa monstrueuse laideur, il y aurait de quoi faire mourir, même un être immortel. Car ma vision n'a eu pour objet qu'une faute légère; elle n'a duré qu'un instant; et si elle se fût prolongée, elle eût suffi pour réduire en poussière un corps de diamant ». Telle qu'elle a été, elle a brûlé mon sang, bouleversé mes humeurs, et réduit mon corps à la dernière faiblesse. Je ne m'étonne plus de l'horreur de l'enfer, puisqu'il est destiné à servir de demeure au péché; mais, lorsque je me rappelle ce que j'ai vu, je crois en vérité l'enfer moins hideux encore que le péché dont il est le châtiment." Catherine considérait le péché mortel comme excessivement rare et à peu près impossible. Lorsqu'on parlait devant elle des péchés du prochain, elle n'y voulait pas croire; et quand certains faits lui étaient démontrés, elle les considérait comme des mouvements indélibérés, ne pouvant supposer qu'une créature douée de raison pût pousser la folie jusqu'à offenser Dieu avec pleine advertance. Quelquefois, cependant, l'évidence des preuves était telle, qu'il fallait qu'elle s'y rendit. Alors, en proie au plus violent chagrin et ravie en une douloureuse extase, on lui entendait adresser la parole aux pécheurs, comme s'ils eussent été là pour l'entendre, et leur donner les leçons les plus sublimes. « O homme malheureux, s'écriait-elle, que faites-vous du temps et des biens qui pourraient vous servir à acquérir le ciel ? à qui donnez-vous ce coeur, dont la destination est d'être uni à Dieu ? Vous forcez le Seigneur à retenir en soi l'amour qu'il ne peut répandre sur vous, à cause des choses terrestres qui vous absorbent ! " Un jour vous reconnaîtrez que Dieu ne vous a pas manqué et que vous vous êtes manqué à vous-même; mais il sera trop tard ! » La misère du péché vous aveugle. Ceux qu'elle entraîne ne sauraient comprendre, comme ils le devraient, les tourments extrêmes et les malheurs excessifs qu'elle amène à sa suite. Souvenez-vous que vous devez mourir; vous avez besoin d'y penser. Lorsque arrivent les angoisses de la dernière et redoutable heure, toutes les joies s'enfuient et s'éloignent de l'homme; tous les maux au contraire, se présentent à lui, et ils sont sans remède. Hélas ! je ne sais comment exprimer les peines, les terreurs, les tribulations démesurées dont l'âme est alors assiégée; je m'en tais, ayant le coeur trop serré pour en pouvoir parler ! " Etre infortuné ! tu verras en ce moment le soin que Dieu avait mis pour assurer ton salut, dont cependant tu t'occupes si peu ! Le temps de ta vie entière sera remis devant tes yeux ; toutes les facilités que tu as eues de bien faire, toutes les bonnes inspirations que tu as repoussées, te seront montrées. Tu comprendras tout cela clairement en un seul instant, sans y pouvoir contredire ou alléguer une excuse.
« En quel état crois-tu que sera ton âme, lorsqu'elle passera, de la grande injustice en laquelle elle aura vécu, à la présence de la vraie justice, c'est-à-dire en celle de Dieu même, pour être jugée par lui ? » Cette pensée m'épouvante; car j'en comprends l'importance extrême, et je me sens poussée à crier : Prenez garde ! Prenez garde ! Si je pouvais être entendue partout, je ne cesserais jamais de répéter ces mots. « Lorsque je vois mourir une personne, je me dis à part moi : Oh que de choses nouvelles, grandes et extrêmes, va voir cette âme ! Mais la plupart des hommes s'avancent vers le moment suprême comme font les bêtes; c'est-à-dire sans réflexions, sans lumière, et sans se rendre à l'appel de la grâce! quand je considère cette apathie, tandis que le bonheur ou le malheur éternel est en jeu, j'ai besoin d'être soutenue par la divine Providence : autrement je ressentirais la peine la plus cuisante que l'on puisse éprouver pour le prochain ! » Oh ! que mon cœur se remplit de deuil, quand j'entends dire à ceux qui continuent à faire le mal : Dieu est bon, il nous pardonnera ! « La bonté infinie avec laquelle il se communique à nous, qui sommes si mauvais, ne devrait-elle pas nous exciter à l'aimer davantage et à dire sa volonté ? Loin de là, cette grande miséricorde nous enhardit et nous donne la confiance que nous pouvons pécher impunément. Il en résultera qu'à la fin nous subirons une condamnation plus terrible ». Tant que l'homme est ici-bas, Dieu use de toutes les voies de miséricorde pour le sauver; il lui donne toutes les grâces nécessaires à son salut : père très bénin et très clément, il ne sait nous faire que du bien en cette vie ; il supporte nos péchés et nous attend patiemment jusqu'à l'heure dernière, et puis après la mort il exerce sa justice! " Quand je vois l'homme mettre son amour dans les créatures, s'abaisser jusqu'à aimer un chien ou un chat, s'en délecter, ne plus penser à autre chose, et devenir tellement esclave de ce qu'il affectionne, qu'aucun autre amour, qu'aucune des inspirations dont il a si besoin, ne trouvent plus d'entrée en lui; quand je vois cela, dis-je, il me prend envie de lui arracher ce qui le tient occupé de façon à lui faire perdre de vue l'amour de Dieu ! « Ah! souvenons-nous en, Dieu, infiniment bon, nous a créé pour la béatitude éternelle; il met à notre disposition, avec une charité sans bornes, tous les moyens qui peuvent nous y conduire ;... et, quels que soient nos infidélités et nos manquements, il ne cesse pas de nous envoyer les inspirations, les admonitions et les châtiments dont nous avons besoin pour parvenir au terme que son amour nous a assigné ! » L »'homme comprendra ces choses après la mort! il reconnaîtra qu'il a refusé de se laisser guider par la bonté divine, et qu'il se doit son malheur à lui seul ; alors son opposition à l'action du Seigneur lui paraîtra plus terrible que les peines mêmes de l'enfer qu'il endurera ; car ces peines, quelque affreuses qu'elles soient, ne sont rien en comparaison de ce qu'éprouve celui qui est obligé d'attribuer à sa résistance et à sa désobéissance propres la privation de la vision béatifique ». « Quiconque comprend ce que sont le péché et la grâce ne peut redouter et estimer autre chose, disait encore sainte Catherine. Je ne saurais m'expliquer l'aveuglement de celui qui ne voit pas que, là où Dieu ne correspond point et ne soutient plus par sa grâce, il n'y a que peine, deuil, colère, ennui, malheur, tristesse et tourments, même dès la vie présente, où, cependant, quels que soient nos péchés, cette grâce ne nous abandonne jamais tout à fait. S'il était possible qu'un homme pût vivre de la vie corporelle et d'être entièrement abandonné de Dieu, sauf de sa justice (car autrement il retomberait dans le néant), je suis assuré que celui qui comprendrait le malheur de cet abandon serait saisi d'une telle épouvante, qu'elle lui donnerait la mort à l'instant. Mais notre langage est impuissant à exprimer, et notre entendement incapable de comprendre un si effroyable malheur ! » Oh, que nous courons de dangers pendant l'existence présente! Lorsque je considère ce qu'est la vie ou la mort spirituelle, j'en suis saisie à tel point, que j'en mourrais, je crois, si Dieu ne me gardait. Si je pouvais avoir encore un désir, ce serait d'être capable d'exprimer ce que je sens à cet égard; et, pour faire passer ce sentiment dans les autres, il n'est pas de martyre que je ne fusse prête à endurer de grand coeur. « Tout ce que je puis dire touchant l'horreur du péché n'est rien en comparaison de ce que j'en comprends en mon esprit. Je ne m'étonne pas que, sous de certains rapports, le purgatoire soit aussi affreux que l'enfer; l'un, à la vérité, n'est fait que pour purger, l'autre pour punir; mais tous les deux ont le péché pour objet; et, celui-ci étant hideux comme il l'est, il faut bien que le châtiment et la purgation soient en rapport avec son abomination ».
Horreur de Catherine pour le péché
Celui qui aime Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces, doit éprouver une haine égale à son amour, pour le péché, qui sépare du bien suprême. C'est là aussi ce que l'on remarquait en Catherine. Dans les premiers temps qui suivirent sa conversion, elle ressentait une telle horreur et une si violente indignation contre elle-même au souvenir de ses manquements et de ses négligences, qu'elle demandait à Dieu de la punir en toute rigueur. " Je ne veux ni grâce, ni miséricorde, lui disait-elle, ce n'est pas ce qu'il me faut en ce monde; je ne veux que la justice et les châtiments." Mais elle alla plus loin encore; persuadée que tout ce que nous pouvons souffrir ici-bas n'est nullement proportionné au crime que nous commettons en offensant la Majesté suprême, elle se condamnait d'avance aux peines expiatoire de l'autre vie. Malgré sa foi en la puissance du Vicaire de Jésus-Christ, et sa grande vénération pour les indulgences, dont elle reconnaissait l'utilité, elle ne les recherchait pas; sa haine d'elle-même était si violente, qu'elle voulait se voir punie comme elle méritait de l'être, plutôt que de se trouver absoute par de semblables satisfactions que nous accordent la miséricorde de Dieu et la tendresse maternelle de l'Eglise. Elle aspirait à satisfaire elle-même, et de toute ses forces, pour le mal qu'elle-même avait fait. Elle voyait que l'Offensé était doué d'une immense et souveraine bonté; que l'offenseur, au contraire, était plein de malice, et elle voulait que tout son moi fût livré à la divine justice, pour être châtié, sans espoir d'échapper à aucune des souffrances qu'il avait méritées. Ces mêmes motifs ne lui permettaient pas non plus de se recommander aux prières d'autrui; « elle se considérait comme dévouée à tous les supplices, et les acceptait comme étant mérités. Tel était le haut degré de perfection auquel était parvenue cette sainte âme, qui, déjà presque assurée de la victoire, désirait combattre, comme un vaillant et brave soldat, pour la gloire de son Seigneur, et sans demander d'autres secours que celui de la grâce divine, sans lequel nous ne pouvons rien ». La haine de la sainte pour le péché semblait ne plus pouvoir croître, et cependant elle augmenta encore à mesure qu'elle acquit une connaissance plus claire de la laideur de l'offense commise contre Dieu, source de tout bien. Il arriva un jour que, tout occupée de cette pensée et excitée par l'ardeur démesurée qu'elle ressentait dans son intérieur, elle s'adressa à Lucifer et lui dit : « Je veux m'arrêter à deviser avec foi d'un cas qui se présente à mon esprit. Si, d'une part, tu réunissais en toi seul tous les maux et tous les tourments de l'enfer, et si, d'un autre côté, une âme qui aime d'un amour pur et net se trouvait empêchée dans ce vrai amour par un seul petit brin d'offense, laquelle de ces deux souffrances serait la plus terrible, lequel de ces cas serait le plus grave, dis-le moi ?... » Au moment même où Catherine achevait de prononcer ces paroles, il lui fut clairement démontré, en l'esprit, que la moindre offense faite à Dieu semblerait infiniment plus intolérable à cette âme que l'enfer ne parait à Lucifer. Cette démonstration précise agit assez puissamment sur le coeur de notre sainte, pour produire une maladie qui la réduisit à l'extrémité. La plupart des hommes sentent à peine la componction et les remords de conscience produits par le péché; et quant aux péchés véniels, on passe dessus fort légèrement, sans presque s'en occuper. Il n'en était pas ainsi de Catherine Adorne. Dieu lui fit voir un jour tout ce qu'il y a de mal au fond de chaque faute vénielle; elle en éprouva une si terrible impression, que, suivant ses propres paroles, « elle fût tombée morte sur-le-champ, si le Seigneur lui eût fait connaître qu'il y avait en elle un seul péché de cette nature ». Cependant il lui resta pendant longtemps une grande crainte à la suite de cette vision; lorsque le moindre doute d'imperfection lui traversait l'esprit, il fallait qu'elle en fût promptement éclaircie, « autrement elle se trouvait aussi angoissée que si on l'eût plongée dans une chaudière bouillante ». Catherine exprima en plusieurs occasions sa profonde horreur du péché véniel. « Je ne saurais comprendre, dit-elle un jour, que je ne sois pas morte, lorsque le mal que renferme le moindre acte contre Dieu m'a été montré. Or, si l'ombre du péché véniel m'a semblé si affreuse, que doit-on penser du péché mortel ? Ah ! certes, s'il apparaissait avec toute sa monstrueuse laideur, il y aurait de quoi faire mourir, même un être immortel. Car ma vision n'a eu pour objet qu'une faute légère; elle n'a duré qu'un instant; et si elle se fût prolongée, elle eût suffi pour réduire en poussière un corps de diamant ». Telle qu'elle a été, elle a brûlé mon sang, bouleversé mes humeurs, et réduit mon corps à la dernière faiblesse. Je ne m'étonne plus de l'horreur de l'enfer, puisqu'il est destiné à servir de demeure au péché; mais, lorsque je me rappelle ce que j'ai vu, je crois en vérité l'enfer moins hideux encore que le péché dont il est le châtiment." Catherine considérait le péché mortel comme excessivement rare et à peu près impossible. Lorsqu'on parlait devant elle des péchés du prochain, elle n'y voulait pas croire; et quand certains faits lui étaient démontrés, elle les considérait comme des mouvements indélibérés, ne pouvant supposer qu'une créature douée de raison pût pousser la folie jusqu'à offenser Dieu avec pleine advertance. Quelquefois, cependant, l'évidence des preuves était telle, qu'il fallait qu'elle s'y rendit. Alors, en proie au plus violent chagrin et ravie en une douloureuse extase, on lui entendait adresser la parole aux pécheurs, comme s'ils eussent été là pour l'entendre, et leur donner les leçons les plus sublimes. « O homme malheureux, s'écriait-elle, que faites-vous du temps et des biens qui pourraient vous servir à acquérir le ciel ? à qui donnez-vous ce coeur, dont la destination est d'être uni à Dieu ? Vous forcez le Seigneur à retenir en soi l'amour qu'il ne peut répandre sur vous, à cause des choses terrestres qui vous absorbent ! " Un jour vous reconnaîtrez que Dieu ne vous a pas manqué et que vous vous êtes manqué à vous-même; mais il sera trop tard ! » La misère du péché vous aveugle. Ceux qu'elle entraîne ne sauraient comprendre, comme ils le devraient, les tourments extrêmes et les malheurs excessifs qu'elle amène à sa suite. Souvenez-vous que vous devez mourir; vous avez besoin d'y penser. Lorsque arrivent les angoisses de la dernière et redoutable heure, toutes les joies s'enfuient et s'éloignent de l'homme; tous les maux au contraire, se présentent à lui, et ils sont sans remède. Hélas ! je ne sais comment exprimer les peines, les terreurs, les tribulations démesurées dont l'âme est alors assiégée; je m'en tais, ayant le coeur trop serré pour en pouvoir parler ! " Etre infortuné ! tu verras en ce moment le soin que Dieu avait mis pour assurer ton salut, dont cependant tu t'occupes si peu ! Le temps de ta vie entière sera remis devant tes yeux ; toutes les facilités que tu as eues de bien faire, toutes les bonnes inspirations que tu as repoussées, te seront montrées. Tu comprendras tout cela clairement en un seul instant, sans y pouvoir contredire ou alléguer une excuse.
« En quel état crois-tu que sera ton âme, lorsqu'elle passera, de la grande injustice en laquelle elle aura vécu, à la présence de la vraie justice, c'est-à-dire en celle de Dieu même, pour être jugée par lui ? » Cette pensée m'épouvante; car j'en comprends l'importance extrême, et je me sens poussée à crier : Prenez garde ! Prenez garde ! Si je pouvais être entendue partout, je ne cesserais jamais de répéter ces mots. « Lorsque je vois mourir une personne, je me dis à part moi : Oh que de choses nouvelles, grandes et extrêmes, va voir cette âme ! Mais la plupart des hommes s'avancent vers le moment suprême comme font les bêtes; c'est-à-dire sans réflexions, sans lumière, et sans se rendre à l'appel de la grâce! quand je considère cette apathie, tandis que le bonheur ou le malheur éternel est en jeu, j'ai besoin d'être soutenue par la divine Providence : autrement je ressentirais la peine la plus cuisante que l'on puisse éprouver pour le prochain ! » Oh ! que mon cœur se remplit de deuil, quand j'entends dire à ceux qui continuent à faire le mal : Dieu est bon, il nous pardonnera ! « La bonté infinie avec laquelle il se communique à nous, qui sommes si mauvais, ne devrait-elle pas nous exciter à l'aimer davantage et à dire sa volonté ? Loin de là, cette grande miséricorde nous enhardit et nous donne la confiance que nous pouvons pécher impunément. Il en résultera qu'à la fin nous subirons une condamnation plus terrible ». Tant que l'homme est ici-bas, Dieu use de toutes les voies de miséricorde pour le sauver; il lui donne toutes les grâces nécessaires à son salut : père très bénin et très clément, il ne sait nous faire que du bien en cette vie ; il supporte nos péchés et nous attend patiemment jusqu'à l'heure dernière, et puis après la mort il exerce sa justice! " Quand je vois l'homme mettre son amour dans les créatures, s'abaisser jusqu'à aimer un chien ou un chat, s'en délecter, ne plus penser à autre chose, et devenir tellement esclave de ce qu'il affectionne, qu'aucun autre amour, qu'aucune des inspirations dont il a si besoin, ne trouvent plus d'entrée en lui; quand je vois cela, dis-je, il me prend envie de lui arracher ce qui le tient occupé de façon à lui faire perdre de vue l'amour de Dieu ! « Ah! souvenons-nous en, Dieu, infiniment bon, nous a créé pour la béatitude éternelle; il met à notre disposition, avec une charité sans bornes, tous les moyens qui peuvent nous y conduire ;... et, quels que soient nos infidélités et nos manquements, il ne cesse pas de nous envoyer les inspirations, les admonitions et les châtiments dont nous avons besoin pour parvenir au terme que son amour nous a assigné ! » L »'homme comprendra ces choses après la mort! il reconnaîtra qu'il a refusé de se laisser guider par la bonté divine, et qu'il se doit son malheur à lui seul ; alors son opposition à l'action du Seigneur lui paraîtra plus terrible que les peines mêmes de l'enfer qu'il endurera ; car ces peines, quelque affreuses qu'elles soient, ne sont rien en comparaison de ce qu'éprouve celui qui est obligé d'attribuer à sa résistance et à sa désobéissance propres la privation de la vision béatifique ». « Quiconque comprend ce que sont le péché et la grâce ne peut redouter et estimer autre chose, disait encore sainte Catherine. Je ne saurais m'expliquer l'aveuglement de celui qui ne voit pas que, là où Dieu ne correspond point et ne soutient plus par sa grâce, il n'y a que peine, deuil, colère, ennui, malheur, tristesse et tourments, même dès la vie présente, où, cependant, quels que soient nos péchés, cette grâce ne nous abandonne jamais tout à fait. S'il était possible qu'un homme pût vivre de la vie corporelle et d'être entièrement abandonné de Dieu, sauf de sa justice (car autrement il retomberait dans le néant), je suis assuré que celui qui comprendrait le malheur de cet abandon serait saisi d'une telle épouvante, qu'elle lui donnerait la mort à l'instant. Mais notre langage est impuissant à exprimer, et notre entendement incapable de comprendre un si effroyable malheur ! » Oh, que nous courons de dangers pendant l'existence présente! Lorsque je considère ce qu'est la vie ou la mort spirituelle, j'en suis saisie à tel point, que j'en mourrais, je crois, si Dieu ne me gardait. Si je pouvais avoir encore un désir, ce serait d'être capable d'exprimer ce que je sens à cet égard; et, pour faire passer ce sentiment dans les autres, il n'est pas de martyre que je ne fusse prête à endurer de grand coeur. « Tout ce que je puis dire touchant l'horreur du péché n'est rien en comparaison de ce que j'en comprends en mon esprit. Je ne m'étonne pas que, sous de certains rapports, le purgatoire soit aussi affreux que l'enfer; l'un, à la vérité, n'est fait que pour purger, l'autre pour punir; mais tous les deux ont le péché pour objet; et, celui-ci étant hideux comme il l'est, il faut bien que le châtiment et la purgation soient en rapport avec son abomination ».
CHAPITRE XII
Continuation du même sujet
Dieu donne un directeur spirituel a Catherine.
De même que saint Paul, ravi au troisième ciel, fut témoin de la béatitude des justes, dit le premier biographe de notre sainte, de même Catherine vit les tourments réservés aux pécheurs, l'horreur et l'infamie du péché. Dieu lui avait accordé à cet égard des lumières tout à fait exceptionnelles. Ainsi que nous le rapportions précédemment, l'opposition la plus légère à la volonté divine, si elle l'eût découverte en elle, lui eût semblé plus intolérable que toutes les peines réunies du purgatoire, parce qu'elle comprenait que cette opposition pouvait seule l'éloigner de Dieu. « Si une créature humaine était capable de comprendre le degré de gloire de la Reine du ciel et des anges, de la très sainte Vierge Marie, disait-elle un jour à ce propos, si avec cela elle avait, par ordonnance divine, la volonté et les dispositions nécessaires pour jouir de ces prérogatives comme Notre-Dame elle-même, et qu'ensuite on lui dit : “Cette gloire t'appartient ; mais il faut qu'à côté d'elle tu voies en toi une tache d'imperfection, opposée à l'ordonnance du Tout-Puissant, je suis persuadée que cette créature répondrait : Je ne veux pas d'une gloire semblable en semblable compagnie, j'aimerais mieux être envoyée au plus profond du purgatoire" ». Elle répondrait cela, parce qu'il faut nécessairement que, pour devenir bienheureuse, l'âme soit nette de toute imperfection : Dieu seul étant la béatitude de l'âme, comment celle-ci serait-elle satisfaite, si elle se trouvait avoir l'imperfection la plus légère, elle endurerait plus volontiers tous les tourments imaginables, que de se poser, avec cette souillure, en face de la majesté divine.
Voyez, d'après cela de combien de maux le péché est cause ; car, pour petit qu'il soit, il met l'âme en désaccord avec le Tout- Puissant et l'en sépare ! Mais je dirai plus, encore : S'il était possible que Dieu supportât une peine, il en aurait une très grande à l'occasion de cette séparation; plus grande même que celle de l'âme : car plus on aime, plus aussi on souffre d'être séparé de ce que l'on aime. Or, Dieu aimant plus l'âme qu'il n'est aimé d'elle, sa gloire surpasserait celle de cette âme, s'il pouvait la ressentir. J'explique ma pensée par un exemple : Lorsque deux personnes s'entr'aiment et qu'un tiers vient jeter entre elles le trouble et la discorde, lequel de ces deux coeurs aimants souffrira le plus de cette division ? N'est-ce pas celui qui aimait davantage ? Ainsi Dieu et l'âme s'aiment réciproquement, tant que cette dernière n'a pas perdu l'image et la ressemblance de son Créateur, qui lui est donnée par grâce et par pure bonté. Mais quand elle l'a perdue par quelque péché, on dit qu'elle a offensé Dieu. Le terme est impropre ; car Dieu ne peut pas être offensé ; et lorsqu'on emploie cette expression, c'est comme si l'on disait : "Tu as chassé de toi Dieu, qui t'aimait d'un amour infini, et qui voulait te douer de ses grâces et te donner les perfections qu'il te destinait; tu as empêché sa disposition et son ordonnance". Par le fait, c'est l'homme qui reçoit le dommage et qui s'offense lui-même; mais on dit que Dieu est offensé parce qu'il nous aime plus que nous ne nous aimons, et qu'il recherche notre utilité et notre profit plus que nous ne pouvons le faire nous-mêmes. Je le répète, Dieu, s'il était susceptible de douleur, en éprouverait lorsque nous le repoussons; ce qui le prouve, c'est qu'encore que l'âme soit plongée dans le péché, le Seigneur, plein de bénignité, ne cesse pas pour cela de l'inciter et de lui adresser intérieurement ses appels, et dès qu'elle y répond, il la reçoit de nouveau en sa grâce, il lui rend son amour et oublie son abandon. La plus part des hommes sont des aveugles qui ne considèrent ni cet amour, cette bonté et ces soins immenses, ni les grands biens qu'ils n'y mettaient obstacle. Celui qui ne se connaît pas en pierres précieuses ne les estime pas. L'âme illuminée de l'amour divin, au contraire, voit, considère et comprend ces choses; et, lorsqu'elle reconnaît qu'elle a offensé ce Dieu si auguste et si paternel, elle demeure dans un état voisin du désespoir, et elle se dit à elle-même : « Qu'ai-je fait hélas ! Comment pourrais-je jamais satisfaire ? » Puis éclairée par la lumière surnaturelle, elle comprend qu'aucune pénitence ne peut servir de compensation pour les insultes; que, par elles-mêmes, nos satisfactions sont insuffisantes pour le moindre péché, et qu'elles ne prennent de valeur que par acceptations de Dieu et par le mérite infini de Notre-Seigneur Jésus-Christ. « S'il m'était permis de me laisser ouvrir les veines et de donner mon sang à boire à mes semblables, afin de leur faire comprendre ces vérités, je le donnerais jusqu'à la dernière goutte. Tout en moi se soulève lorsque je considère que l'homme, créé pour le bien suprême, y renonce pour des choses de néant. Car, en vérité, tout ce qu'il peut posséder en ce monde, pour son plaisir et sa consolation, dût-il en jouir jusqu'au jour du jugement, n'est rien en comparaison de ce qu'il perd. Et c'est par amour pour ces misères qu'il se condamne au malheur éternel, à demeurer privé de Dieu, ennemi de Dieu, incapable désormais d'aimer Dieu !... » La haine irréconciliable de notre sainte contre le péché lui faisait exercer sur elle-même une vigilance si exacte et si continuelle, qu'au témoignage de ses contemporains elle ne connaît aucun péché véniel, à partir du temps de sa conversion. Durant les vingt-cinq années qui suivirent ce miraculeux événement Dieu lui-même, avons-nous dit, prit soin de gouverner Catherine, de l'instruire et de la guider, sans intermédiaire d'aucune créature. Mais, après ce temps, elle devint infirme, et ne fut plus capable de supporter, seule, l'opération divine. Le Seigneur donna donc à sa fille bien-aimée un prêtre pour la diriger. Il se nommait Cattaneo Marabotto ; c'était un homme spirituel, de très sainte vie, et fort propre à remplir une charge semblable. Dieu lui accorda beaucoup de lumières, afin qu'il pût comprendre ce qui se passait dans l'âme de Catherine; Marabotto fut nommé recteur à l'hôpital où elle demeurait; il la confessait, lui disait la messe et lui donnait la communion. Il ordonna à sa pénitente de lui faire connaître les grâces singulières dont elle avait été comblée, et il ne tarda pas à saisir parfaitement l'ordre de sa vie; c'est par lui que la connaissance nous en a été conservée.
La première fois que Catherine voulut se confesser à son directeur, elle lui dit : " Mon père, je ne sais où j'en suis, ni quant à l'âme, ni quant au corps. Je voudrais me confesser; mais je ne trouve pas d'offense commise par moi." Et, en effet, quant aux légers manquements qu'elle articula, elle ne pouvait les voir comme péchés, qu'elle eût pensés, dits ou faits, parce que sa volonté y était restée absolument étrangère. Il ne lui était possible de les considérer que comme des faiblesse involontaires; " elle était semblable, en tout cela, à un petit enfant d'excellent naturel qui, ayant commis, sans malice aucune et par pure ignorance, quelque étourderie, en est confus lorsqu'on dit : Vous avez mal fait, et rougit, non qu'il croie avoir mal fait, mais parce qu'on le blâme." En une autre occasion elle dit au P. Marabotto : " Je ne sais comment faire pour me confesser, car je n'ai rien en moi que ma conscience me reproche; je désirerais m'accuser, mais je ne le puis." Elle ne le pouvait, parce qu'elle ne trouvait plus en elle sa partie propre, ce vieil homme, capable de rébellion ou de désobéissance et qui avait été dès longtemps complètement anéanti. Lorsque Dieu opérait en elle de manière à ce qu'elle fût très oppressée intérieurement, elle en conférait avec son confesseur; et celui-ci, éclairé par la lumière surnaturelle, comprenait tout et lui répondait comme s'il eût senti ce qu'elle éprouvait elle-même. Aussi elle lui parlait avec une confiance extrême, et elle se trouvait de repos qu'après avoir part de tout ce qui se passait en elle.
Elle assurait que la seule présence de son directeur lui procurait un grand allègement, parce qu'en se regardant l'un l'autre, ils s'entendaient sans se parler. L'embrasement de son âme s'adoucissait; son corps, brisé et rompu, retrouvait des forces, et elle se sentait soulagée, alors que, rendue incapable, par la violence de l'assaut intérieur, d'exprimer ce qu'elle éprouvait, elle voyait que cependant quelqu'un l'entendait et la comprenait.
Il advint une fois que notre sainte, après avoir été fort malade pendant plusieurs jours, fut visitée par son confesseur. Elle lui saisit la main, et aussitôt Dieu permit que de cette main il s'échappât un parfum exquis, d'une suavité infinie, qui pénétra jusqu'au coeur de Catherine et la remplit d'une joie surnaturelle. Le confesseur ayant demandé ce qu'était cette odeur, que cependant il ne sentait pas lui-même, elle lui répondit : " C'est un parfum que le Seigneur m'a envoyé pour soutenir mon âme et mon corps; il est si doux et si pénétrant qu'il semble suffisant pour ressusciter les morts et, puisque Dieu me le permet, je m'en réconforterai tant que cela lui plaira."
"Il m'a été montré, ajouta la sainte, que ce parfum est comme un reflet de la béatitude que nous éprouverons dans la céleste patrie, par le moyen de l'humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et alors que chacun sera éternellement rassasié quant à l'âme et quant au corps. " La bonté infinie de Dieu m'a octroyé le rafraîchissement de cette odeur; rien de ce qui se trouve sur la terre ne lui ressemble; je ne connais point de senteur à laquelle on puisse la comparer; aucune parole ne saurait donner une idée de sa suavité et de sa force, et si vous ne la sentez vous-même, jamais vous ne la comprendrez." Catherine demeura plusieurs jours avec ce parfum, de telle sorte que son corps et son âme en furent merveilleusement restaurés et fortifiés. Après que Dieu eut donné un directeur à la sainte, elle ne pouvait plus se passer de lui; la moindre absence lui causait un très grand tourment. Un jour qu'il s'éloigna, elle lui dit :" Je crois voir que Dieu vous a confié le soin de ma seule personne, et par conséquent vous devriez ne vous occuper que de moi, car si telle n'était pas la volonté du Seigneur, il ne me communiquerait pas cette vue. J'ai persévéré vingt-cinq ans dans la voie spirituelle sans moyen d'aucune créature; maintenant je ne puis plus supporter la violence des assauts intérieurs et extérieurs, et c'est pourquoi j'ai été pourvue de vous. Je ne saurais m'en passer; quand vous me quittez, je demeure tellement délaissée que, si vous appréciez l'étendue de ce martyre, rien ne vous détournerait de rester auprès de moi. Cependant je ne puis pas vous dire de ne point vous en aller; mais lorsque vous êtes parti, je vais me plaignant par la maison, je vous appelle cruel, je vous accuse de ne pas entendre la situation dans laquelle je me trouve, car vous en feriez plus de cas, si vous la compreniez." Toutefois nous devons faire observer ici que Catherine, ayant renoncé à toute élection propre, ne faisait jamais dire à son confesseur de venir plus tôt ou plus tard, quand même elle le savait dans la maison et qu'elle en avait le plus grand besoin. Il eût fallu qu'il ne s'éloignât pas d'auprès d'elle; car toutes les aides et tous les remèdes que Dieu voulait procurer à l'âme et au corps de sa servante, il les lui donnait au moyen de ce confesseur. C'était chose merveilleuse de voir que toujours, lorsque cela était nécessaire, il se trouvait pourvu de lumières et de paroles convenables; et il en était d'autant plus stupéfait lui-même, que, le moment passé, il n'en conservait aucun souvenir. Cependant le monde, toujours disposé à blâmer et à juger, trouva à redire à cette intimité si étroite; quelques personnes, qui ne comprenaient pas ce que Dieu opérait Catherine et le besoin continuel qu'elle avait de son directeur, se scandalisèrent et commencèrent à murmurer. Leurs discours impressionnèrent le Père Marabotto et, voulant voir si en effet l'oeuvre était purement divine, sans mélange côté humain, il se retira trois jours absent. Les trois jours révolus, il revint; et, ayant ensuite considéré ce qui s'était passé en son absence, les circonstance dans lesquelles s'était trouvée notre sainte et les souffrances qu'elle avait eues, il demeura parfaitement satisfait et ne conserva aucun scrupule. Mais alors il se repentit d'avoir fait une épreuve qui avait occasionné des peines extrêmes à Catherine. Dieu lui en fit aussi des reproches intérieurs, et le reprit d'avoir été incrédule, " après avoir vu pendant si longtemps des signes surnaturels qui eussent suffi pour convertir un juif, bien qu'il n'eût pas connaissance de la millième partie des grâces accordées à la bienheureuse." Marabotto n'eut plus jamais de doutes et ne renouvela pas son expérience. Il resta dès lors continuellement auprès de la sainte, au coeur de laquelle Dieu envoyait de plus en plus des traits enflammés d'amour, qui suffoquaient et oppressaient la partie humaine. Celle-ci aspirait à se trouver auprès du confesseur, afin d'être délivrée de son assaut intérieur; l'esprit, au contraire, tout rempli de l'amour divin qui brûlait en lui, ne voulait pas être tiré de son occupation et, afin de n'en pas sortir et ne pas être troublé, il montrait, par ses actes extérieurs, le contraire de ce qu'il ressentait. Mais lorsque Catherine cédait l'opération à Marabotto, il en était averti par inspiration d'en-haut et il lui disait : " Vous avez telle et telle chose dans l'esprit et vous voulez me la cacher; mais Dieu ne le veut pas.
La sainte demeurait émerveillée de ces paroles, et se trouvait délivrée de l'assaut qu'elle avait voulu dissimuler. Quelquefois elle disait au Père : " Que pensez-vous que j'aie en l'esprit ? " Marabotto l'ignorait; mais à l'instant les paroles lui étaient mises en la bouche, et il exposait le tout à Catherine; ils en étaient aussi étonnés l'un que l'autre et reconnaissaient avec grande assurance que toute cette oeuvre était surnaturelle. Marabotto, qui a écrit le premier l'histoire des grâces extraordinaires que recevait notre sainte, les résume en deux mots : "
L'ardeur de son amour était si véhémente et si continuelle, dit-il, qu'elle empêchait l'accès de toutes les tentations, et cette exemption complète dura jusqu'à sa mort."
Continuation du même sujet
Dieu donne un directeur spirituel a Catherine.
De même que saint Paul, ravi au troisième ciel, fut témoin de la béatitude des justes, dit le premier biographe de notre sainte, de même Catherine vit les tourments réservés aux pécheurs, l'horreur et l'infamie du péché. Dieu lui avait accordé à cet égard des lumières tout à fait exceptionnelles. Ainsi que nous le rapportions précédemment, l'opposition la plus légère à la volonté divine, si elle l'eût découverte en elle, lui eût semblé plus intolérable que toutes les peines réunies du purgatoire, parce qu'elle comprenait que cette opposition pouvait seule l'éloigner de Dieu. « Si une créature humaine était capable de comprendre le degré de gloire de la Reine du ciel et des anges, de la très sainte Vierge Marie, disait-elle un jour à ce propos, si avec cela elle avait, par ordonnance divine, la volonté et les dispositions nécessaires pour jouir de ces prérogatives comme Notre-Dame elle-même, et qu'ensuite on lui dit : “Cette gloire t'appartient ; mais il faut qu'à côté d'elle tu voies en toi une tache d'imperfection, opposée à l'ordonnance du Tout-Puissant, je suis persuadée que cette créature répondrait : Je ne veux pas d'une gloire semblable en semblable compagnie, j'aimerais mieux être envoyée au plus profond du purgatoire" ». Elle répondrait cela, parce qu'il faut nécessairement que, pour devenir bienheureuse, l'âme soit nette de toute imperfection : Dieu seul étant la béatitude de l'âme, comment celle-ci serait-elle satisfaite, si elle se trouvait avoir l'imperfection la plus légère, elle endurerait plus volontiers tous les tourments imaginables, que de se poser, avec cette souillure, en face de la majesté divine.
Voyez, d'après cela de combien de maux le péché est cause ; car, pour petit qu'il soit, il met l'âme en désaccord avec le Tout- Puissant et l'en sépare ! Mais je dirai plus, encore : S'il était possible que Dieu supportât une peine, il en aurait une très grande à l'occasion de cette séparation; plus grande même que celle de l'âme : car plus on aime, plus aussi on souffre d'être séparé de ce que l'on aime. Or, Dieu aimant plus l'âme qu'il n'est aimé d'elle, sa gloire surpasserait celle de cette âme, s'il pouvait la ressentir. J'explique ma pensée par un exemple : Lorsque deux personnes s'entr'aiment et qu'un tiers vient jeter entre elles le trouble et la discorde, lequel de ces deux coeurs aimants souffrira le plus de cette division ? N'est-ce pas celui qui aimait davantage ? Ainsi Dieu et l'âme s'aiment réciproquement, tant que cette dernière n'a pas perdu l'image et la ressemblance de son Créateur, qui lui est donnée par grâce et par pure bonté. Mais quand elle l'a perdue par quelque péché, on dit qu'elle a offensé Dieu. Le terme est impropre ; car Dieu ne peut pas être offensé ; et lorsqu'on emploie cette expression, c'est comme si l'on disait : "Tu as chassé de toi Dieu, qui t'aimait d'un amour infini, et qui voulait te douer de ses grâces et te donner les perfections qu'il te destinait; tu as empêché sa disposition et son ordonnance". Par le fait, c'est l'homme qui reçoit le dommage et qui s'offense lui-même; mais on dit que Dieu est offensé parce qu'il nous aime plus que nous ne nous aimons, et qu'il recherche notre utilité et notre profit plus que nous ne pouvons le faire nous-mêmes. Je le répète, Dieu, s'il était susceptible de douleur, en éprouverait lorsque nous le repoussons; ce qui le prouve, c'est qu'encore que l'âme soit plongée dans le péché, le Seigneur, plein de bénignité, ne cesse pas pour cela de l'inciter et de lui adresser intérieurement ses appels, et dès qu'elle y répond, il la reçoit de nouveau en sa grâce, il lui rend son amour et oublie son abandon. La plus part des hommes sont des aveugles qui ne considèrent ni cet amour, cette bonté et ces soins immenses, ni les grands biens qu'ils n'y mettaient obstacle. Celui qui ne se connaît pas en pierres précieuses ne les estime pas. L'âme illuminée de l'amour divin, au contraire, voit, considère et comprend ces choses; et, lorsqu'elle reconnaît qu'elle a offensé ce Dieu si auguste et si paternel, elle demeure dans un état voisin du désespoir, et elle se dit à elle-même : « Qu'ai-je fait hélas ! Comment pourrais-je jamais satisfaire ? » Puis éclairée par la lumière surnaturelle, elle comprend qu'aucune pénitence ne peut servir de compensation pour les insultes; que, par elles-mêmes, nos satisfactions sont insuffisantes pour le moindre péché, et qu'elles ne prennent de valeur que par acceptations de Dieu et par le mérite infini de Notre-Seigneur Jésus-Christ. « S'il m'était permis de me laisser ouvrir les veines et de donner mon sang à boire à mes semblables, afin de leur faire comprendre ces vérités, je le donnerais jusqu'à la dernière goutte. Tout en moi se soulève lorsque je considère que l'homme, créé pour le bien suprême, y renonce pour des choses de néant. Car, en vérité, tout ce qu'il peut posséder en ce monde, pour son plaisir et sa consolation, dût-il en jouir jusqu'au jour du jugement, n'est rien en comparaison de ce qu'il perd. Et c'est par amour pour ces misères qu'il se condamne au malheur éternel, à demeurer privé de Dieu, ennemi de Dieu, incapable désormais d'aimer Dieu !... » La haine irréconciliable de notre sainte contre le péché lui faisait exercer sur elle-même une vigilance si exacte et si continuelle, qu'au témoignage de ses contemporains elle ne connaît aucun péché véniel, à partir du temps de sa conversion. Durant les vingt-cinq années qui suivirent ce miraculeux événement Dieu lui-même, avons-nous dit, prit soin de gouverner Catherine, de l'instruire et de la guider, sans intermédiaire d'aucune créature. Mais, après ce temps, elle devint infirme, et ne fut plus capable de supporter, seule, l'opération divine. Le Seigneur donna donc à sa fille bien-aimée un prêtre pour la diriger. Il se nommait Cattaneo Marabotto ; c'était un homme spirituel, de très sainte vie, et fort propre à remplir une charge semblable. Dieu lui accorda beaucoup de lumières, afin qu'il pût comprendre ce qui se passait dans l'âme de Catherine; Marabotto fut nommé recteur à l'hôpital où elle demeurait; il la confessait, lui disait la messe et lui donnait la communion. Il ordonna à sa pénitente de lui faire connaître les grâces singulières dont elle avait été comblée, et il ne tarda pas à saisir parfaitement l'ordre de sa vie; c'est par lui que la connaissance nous en a été conservée.
La première fois que Catherine voulut se confesser à son directeur, elle lui dit : " Mon père, je ne sais où j'en suis, ni quant à l'âme, ni quant au corps. Je voudrais me confesser; mais je ne trouve pas d'offense commise par moi." Et, en effet, quant aux légers manquements qu'elle articula, elle ne pouvait les voir comme péchés, qu'elle eût pensés, dits ou faits, parce que sa volonté y était restée absolument étrangère. Il ne lui était possible de les considérer que comme des faiblesse involontaires; " elle était semblable, en tout cela, à un petit enfant d'excellent naturel qui, ayant commis, sans malice aucune et par pure ignorance, quelque étourderie, en est confus lorsqu'on dit : Vous avez mal fait, et rougit, non qu'il croie avoir mal fait, mais parce qu'on le blâme." En une autre occasion elle dit au P. Marabotto : " Je ne sais comment faire pour me confesser, car je n'ai rien en moi que ma conscience me reproche; je désirerais m'accuser, mais je ne le puis." Elle ne le pouvait, parce qu'elle ne trouvait plus en elle sa partie propre, ce vieil homme, capable de rébellion ou de désobéissance et qui avait été dès longtemps complètement anéanti. Lorsque Dieu opérait en elle de manière à ce qu'elle fût très oppressée intérieurement, elle en conférait avec son confesseur; et celui-ci, éclairé par la lumière surnaturelle, comprenait tout et lui répondait comme s'il eût senti ce qu'elle éprouvait elle-même. Aussi elle lui parlait avec une confiance extrême, et elle se trouvait de repos qu'après avoir part de tout ce qui se passait en elle.
Elle assurait que la seule présence de son directeur lui procurait un grand allègement, parce qu'en se regardant l'un l'autre, ils s'entendaient sans se parler. L'embrasement de son âme s'adoucissait; son corps, brisé et rompu, retrouvait des forces, et elle se sentait soulagée, alors que, rendue incapable, par la violence de l'assaut intérieur, d'exprimer ce qu'elle éprouvait, elle voyait que cependant quelqu'un l'entendait et la comprenait.
Il advint une fois que notre sainte, après avoir été fort malade pendant plusieurs jours, fut visitée par son confesseur. Elle lui saisit la main, et aussitôt Dieu permit que de cette main il s'échappât un parfum exquis, d'une suavité infinie, qui pénétra jusqu'au coeur de Catherine et la remplit d'une joie surnaturelle. Le confesseur ayant demandé ce qu'était cette odeur, que cependant il ne sentait pas lui-même, elle lui répondit : " C'est un parfum que le Seigneur m'a envoyé pour soutenir mon âme et mon corps; il est si doux et si pénétrant qu'il semble suffisant pour ressusciter les morts et, puisque Dieu me le permet, je m'en réconforterai tant que cela lui plaira."
"Il m'a été montré, ajouta la sainte, que ce parfum est comme un reflet de la béatitude que nous éprouverons dans la céleste patrie, par le moyen de l'humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et alors que chacun sera éternellement rassasié quant à l'âme et quant au corps. " La bonté infinie de Dieu m'a octroyé le rafraîchissement de cette odeur; rien de ce qui se trouve sur la terre ne lui ressemble; je ne connais point de senteur à laquelle on puisse la comparer; aucune parole ne saurait donner une idée de sa suavité et de sa force, et si vous ne la sentez vous-même, jamais vous ne la comprendrez." Catherine demeura plusieurs jours avec ce parfum, de telle sorte que son corps et son âme en furent merveilleusement restaurés et fortifiés. Après que Dieu eut donné un directeur à la sainte, elle ne pouvait plus se passer de lui; la moindre absence lui causait un très grand tourment. Un jour qu'il s'éloigna, elle lui dit :" Je crois voir que Dieu vous a confié le soin de ma seule personne, et par conséquent vous devriez ne vous occuper que de moi, car si telle n'était pas la volonté du Seigneur, il ne me communiquerait pas cette vue. J'ai persévéré vingt-cinq ans dans la voie spirituelle sans moyen d'aucune créature; maintenant je ne puis plus supporter la violence des assauts intérieurs et extérieurs, et c'est pourquoi j'ai été pourvue de vous. Je ne saurais m'en passer; quand vous me quittez, je demeure tellement délaissée que, si vous appréciez l'étendue de ce martyre, rien ne vous détournerait de rester auprès de moi. Cependant je ne puis pas vous dire de ne point vous en aller; mais lorsque vous êtes parti, je vais me plaignant par la maison, je vous appelle cruel, je vous accuse de ne pas entendre la situation dans laquelle je me trouve, car vous en feriez plus de cas, si vous la compreniez." Toutefois nous devons faire observer ici que Catherine, ayant renoncé à toute élection propre, ne faisait jamais dire à son confesseur de venir plus tôt ou plus tard, quand même elle le savait dans la maison et qu'elle en avait le plus grand besoin. Il eût fallu qu'il ne s'éloignât pas d'auprès d'elle; car toutes les aides et tous les remèdes que Dieu voulait procurer à l'âme et au corps de sa servante, il les lui donnait au moyen de ce confesseur. C'était chose merveilleuse de voir que toujours, lorsque cela était nécessaire, il se trouvait pourvu de lumières et de paroles convenables; et il en était d'autant plus stupéfait lui-même, que, le moment passé, il n'en conservait aucun souvenir. Cependant le monde, toujours disposé à blâmer et à juger, trouva à redire à cette intimité si étroite; quelques personnes, qui ne comprenaient pas ce que Dieu opérait Catherine et le besoin continuel qu'elle avait de son directeur, se scandalisèrent et commencèrent à murmurer. Leurs discours impressionnèrent le Père Marabotto et, voulant voir si en effet l'oeuvre était purement divine, sans mélange côté humain, il se retira trois jours absent. Les trois jours révolus, il revint; et, ayant ensuite considéré ce qui s'était passé en son absence, les circonstance dans lesquelles s'était trouvée notre sainte et les souffrances qu'elle avait eues, il demeura parfaitement satisfait et ne conserva aucun scrupule. Mais alors il se repentit d'avoir fait une épreuve qui avait occasionné des peines extrêmes à Catherine. Dieu lui en fit aussi des reproches intérieurs, et le reprit d'avoir été incrédule, " après avoir vu pendant si longtemps des signes surnaturels qui eussent suffi pour convertir un juif, bien qu'il n'eût pas connaissance de la millième partie des grâces accordées à la bienheureuse." Marabotto n'eut plus jamais de doutes et ne renouvela pas son expérience. Il resta dès lors continuellement auprès de la sainte, au coeur de laquelle Dieu envoyait de plus en plus des traits enflammés d'amour, qui suffoquaient et oppressaient la partie humaine. Celle-ci aspirait à se trouver auprès du confesseur, afin d'être délivrée de son assaut intérieur; l'esprit, au contraire, tout rempli de l'amour divin qui brûlait en lui, ne voulait pas être tiré de son occupation et, afin de n'en pas sortir et ne pas être troublé, il montrait, par ses actes extérieurs, le contraire de ce qu'il ressentait. Mais lorsque Catherine cédait l'opération à Marabotto, il en était averti par inspiration d'en-haut et il lui disait : " Vous avez telle et telle chose dans l'esprit et vous voulez me la cacher; mais Dieu ne le veut pas.
La sainte demeurait émerveillée de ces paroles, et se trouvait délivrée de l'assaut qu'elle avait voulu dissimuler. Quelquefois elle disait au Père : " Que pensez-vous que j'aie en l'esprit ? " Marabotto l'ignorait; mais à l'instant les paroles lui étaient mises en la bouche, et il exposait le tout à Catherine; ils en étaient aussi étonnés l'un que l'autre et reconnaissaient avec grande assurance que toute cette oeuvre était surnaturelle. Marabotto, qui a écrit le premier l'histoire des grâces extraordinaires que recevait notre sainte, les résume en deux mots : "
L'ardeur de son amour était si véhémente et si continuelle, dit-il, qu'elle empêchait l'accès de toutes les tentations, et cette exemption complète dura jusqu'à sa mort."
A suivre...
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Re: Sainte Catherine de Gênes
CHAPITRE XIII
Amour de Catherine Adorna pour le prochain.
Détails sur quelques-uns de ses enfants spirituels.
Morts de Julien Adorno
Nous avons parlé précédemment des grandes oeuvres de charité de Catherine, de sa crainte que quelque chose ne pût se placer entre elle et Dieu, si elle aimait le prochain, et de la réponse que lui avait donnée intérieurement Notre-Seigneur, lorsqu'elle l'avait consulté à ce sujet. Elle comprit parfaitement le sens de cette réponse, et l'appliqua dans la pratique de sa vie entière. Elle rapporta toutes ses affections à Dieu; et suivant l'expression de son biographe anonyme, " elle sut si bien allier l'amour du prochain au détachement des choses créées, que semblable au soleil, elle répandait sur chacun les rayons de son ardente charité, sans avoir à craindre pour la pureté de son coeur." Nous savons qu'elle consacra sa vie à d'admirables oeuvres de miséricorde, et qu'elle prodigua ses soins à tous les malheureux de la ville de Gênes et aux malades du grand hôpital; nous n'avons plus à y revenir. Mais l'immense charité de Catherine ne se bornait pas au soin de ceux qui l'entouraient, elle embrassait le genre humain entier; elle cherchait surtout à procurer à ses semblables les biens spirituels dont elle les voyait privés. Sa douceur inaltérable, la bénignité et la suavité extraordinaires qui régnaient dans sa personne, gagnaient les cœurs de ceux avec lesquels elle conservait afin de les ramener à Dieu. Des personnes distinguées accouraient de fort loin pour la voir, pour admirer ses vertus, et recueillir de sa bouche la doctrine céleste que le Seigneur lui avait enseignée. Chacun, après lui avoir parlé, se sentait fortifié, éclairé, consolé, et affermi dans la foi; elle inspirait à tous le désir ardent de la bienheureuse éternité. Plusieurs religieux et laïques, hommes et femmes, la choisirent comme mère spirituelle, et ne voulurent plus rien faire, tant pour leur avancement dans la perfection que pour l'utilité du prochain, sans en avoir d'abord conféré avec elle. On remarque, parmi les membres de cette famille spirituelle de la sainte, Catherine Marabotto, son confesseur; Jacques Carentius, qui le remplaça en qualité de recteur du grand hôpital ; Argentine, la veuve de Marc del Sale, dont il a été question précédemment ; et Hector Vernaccia, qui a droit à une mention toute particulière, Hector jouissait à Gênes d'une haute réputation de savoir et de vertu, avant même qu'il fût mis sous la direction de Catherine; mais, après qu'elle eut entrepris de le conduire, elle lui fit faire de si rapides progrès dans la perfection, que tout le monde le tenait pour un saint. Il renonça à s'occuper des affaires de ce monde, pour ne plus songer qu'à la gloire de Dieu et au bien spirituel et temporel de ses semblables; il fit ériger, dans plusieurs villes d'Italie, des églises, des hospices, et des couvents, qui subsistent encore en partie, et qui témoignent de son zèle et de sa piété.
Vernaccia établit à Gênes l'hôpital des Incurables et les monastères des Nouvelles-¨Converties et de Saint-Joseph, destinés aux jeunes gens pauvres et honnêtes qui veulent trouver un abri contre les dangers du monde. Il fonda à Rome également un hospice des Incurables, de concert avec les caridnaux Caraffa et Sauli, dont le premier devint pape, sous le nom de Paul IV. Ce fut lui encore qui établit à Naples la société dite Alborum (des blancs), qui préparent à la mort les condamnés à la peine capitale, et les accompagnent à l'échafaud. Il construisit aussi à Gênes le lazaret des pestiférés, et le dota de revenus considérables; puis il fonda à perpétuité un legs, payable à certains médecins chargés de soigner les pauvres sans en exiger aucun salaire. Enfin, lorsque en 1528 la peste fit invasion à Gênes, Hector fit généreusement le sacrifice de sa vie, et se dévoua au service de ceux que le fléau avait atteints. Après avoir établi l'hospice des Incurables son légataire universel, il s'y enferma au moment où la maladie y sévissait le plus violemment et y mourut, victime de son inépuisable charité. Hector laissa une fille, nommée Thomasina, en religion Baptista, dont notre sainte avait été marraine. Catherine la fit entrer, en 1510, dans le monastère de Sainte-Marie-des-Grâces; et, au moment où Baptista prononça ses voeux, sa marraine lui dit ces paroles, que les témoins contemporains nous ont conservées : " Que Jésus soit dans votre coeur, l'éternité dans votre esprit, le monde sous vos pieds, la volonté de Dieu dans vos actions, et que son amour éclate en vous par-dessus toutes choses." Baptista fut fidèle à la leçon, et recueillit l'héritage de sainteté de son père et de sa mère spirituelle; elle parut comme témoin lors du procès de béatification de Catherine, et elle a laissé différents écrits très estimés. Parmi les enfants spirituels de la sainte, se trouvait aussi une jeune fille de Gênes, dont le nom ne nous a pas été transmis. C'était une vierge douée d'un entendement sublime, très vertueuse; mais Notre-Seigneur, voulant la tenir dans l'humilité, avait permis qu'elle fût possédée du démon. Le malin esprit la tourmentait de la façon la plus étrange, la jetait à terre, l'affligeait au delà de toute expression, la tentait de mille manières, et lui causait de si excessives angoisses, que peu s'en fallait qu'elle ne se livrât au désespoir. Il entrait dans son entendement, l'empêchait de s'occuper des choses divines lui faisait croire qu'elle était séparée de Dieu et damnée, toute noyée dans la volonté diabolique et pleine de péchés et de défauts; en un mot, il l'avait rendue tellement insupportable à ceux qui l'entouraient et à elle-même, qu'elle ne savait plus où trouver du secours. Cependant cette infortunée, ayant entendu parler de la charité héroïque de Catherine, alla se réfugier auprès d'elle. La sainte la reçut affectueusement et la garda dans sa maison. Elle ne travailla point à sa délivrance, parce qu'elle reconnut qu'elle était solidement vertueuse et très chère à Dieu. Mais elle ne cessait de l'encourager et de la consoler, et la jeune fille éprouvait, auprès de sa mère spirituelle, un grand adoucissement à ses angoisses ordinaires.
Un jour, il arriva que, dans un de ses accès, elle se jeta aux pieds de Catherine, en présence du P.Marabotto; et le diable, parlant par sa bouche, s'écria : " Nous sommes tes esclaves à cause du pur amour que tu portes dans ton coeur." Toutefois, se repentant aussitôt de ce qu'il venait de dire, il obligea la possédée à s'accabler de coups, et la traina à terre, où elle se roulait et se tordait comme un serpent. Puis, lorsqu'elle se fut relevée, le confesseur lui ordonna de prononcer le nom de notre sainte. Elle s'appelle Catherine, répondit le démon en accompagnant ces mots d'un rire infernal.
Dis-moi maintenant son surnom, ajouta Marabotto. Adorna ou Fiesca, répliqua le mauvais esprit. J'en veux connaître un autre, dit encore le Père. Ce nouvel ordre parut déplaire beaucoup au malin; il refusa de répondre et agita très violemment la pauvre énergumène; vaincu enfin par la force des exorcismes, il s'écria avec un mouvement de rage excessive : " Catherine Séraphine", nom qui lui convenait en effet, comme l'observe le biographe anonyme; car elle était pleine de l'amour de Dieu, et elle aspirait à l'allumer dans les autres nom qui a été confirmé d'ailleurs par saint Louis de Gonzague et par saint François de Sales. Malgré son état de possession, la fille spirituelle de la sainte fit de grands progrès dans la vertu sous sa direction. Parfaitement soumise à la volonté de Dieu, elle supporta son terrible état avec une angélique patience. Elle en fut délivrée peu avant sa mort et termina saintement ses jours dans les bras de sa bienfaitrice. Nous pouvons compter aussi, au nombre des fils spirituels de Catherine, son propre mari, Julien Adorno; car c'était elle qui l'avait arraché à ses folles dissipations et à son déplorable genre de vie. Nous savons tout ce qu'elle avait eu à souffrir de la part de cet homme, pendant une longue suite d'années. La charité est admirable, surtout qu'elle se manifeste envers ceux qui nous accablent de mauvais traitements et avec lesquels nous nous trouvons en contact journalier. Telle avait été celle de Catherine à l'égard de Julien. Employant tous les moyens imaginables dans l'espoir de gagner son âme, lui obéissant dans les choses les plus ardues, pourvu qu'elles ne fussent pas contre la conscience, recevant ses injures avec patience, cherchant à apaiser sa colère, tantôt par de douces paroles, tantôt par le silence, évitant toute querelle et toute occasion de le fâcher, elle avait invariablement suivi son inclinaison bienfaisante, et rendu le bien pour le mal. Dieu avait béni la conduite prudente et charitable de la sainte, nous le savons; Julien, réduit à un état de fortune médiocre, par ses prodigalités, à peu près ruiné, triste et découragé, s'était enfin rapproché de sa compagne, lui avait fait connaître l'état de son âme, et, touché de ses avis et de ses conseils, il s'était converti. Cependant un mauvais caractère et des habitudes invétérées ne se réforment pas en un jour. Adorno continua à causer des chagrins à sa pieuse épouse; il était dur et exigeant. Il voulait qu'elle fût presque constamment auprès de lui, et qu'elle ne fit pas de longues stations aux églises. Elle s'accommodait à ce caprice et ne sortait que pour assister à une messe, comprenant qu'une femme mariée doit sacrifier son attrait particulier à la paix domestique. Souvent Julien, retombant dans son humeur violente, faisait passer de rudes moments à sa compagne; mais elle portait sa croix avec une résignation inaltérable. Elle se rappelait, pour s'affermir dans la patience, qu'elle avait été mariée afin de cimenter la paix entre les deux illustres maisons des Fieschi et des Adorni, et elle prédisait que de cette dernière famille naîtrait un grand serviteur de Dieu, qui fonderait un nouvel ordre religieux. La prédiction se vérifia en effet dans la personne du vénérable Augustin Adorno, qui fonda de concert avec le vénérable François Caracciolo, l'ordre des Clercs réguliers mineurs [1]. Vers la fin de l'année 1497, Julien fut atteint d'une infirmité excessivement dangereuse et douloureuse, qui ne lui laissait de repos ni pendant le jour, ni pendant la nuit. L'emploi des remèdes prescrits par les médecins aggrava le mal; les douleurs devinrent de plus en plus terribles. L'irascibilité du malade se réveilla avec une violence inouïe ; il s'emportait contre ses souffrances, déclarait qu'il lui était impossible de les endurer plus longtemps, et se rendait insupportable à ceux qui le servaient. Catherine placée à son chevet, cherchait en vain à le calmer et à obtenir de lui qu'il se soumit à la volonté divine; voyant que la mort ne pouvait tarder, et craignant qu'elle ne saisit son époux au milieu d'un de ces accès de fureur qui compromettaient le salut de l'âme, elle voulut tenter un dernier effort, elle se retira dans une chambre voisine et, s'agenouillant en versant des torrents de larmes, elle répéta plusieurs fois d'une voix entrecoupée de sanglots, ces mots : " O mon Seigneur je vous demande cette âme, je vous supplie de me la donner, vous pouvez me la donner!". Dieu avait permis qu'Argentine, la disciple de notre sainte, l'eût suivie au moment où elle s'était retirée pour prier. Cachée par la porte de la chambre, elle entendit les supplications de Catherine; puis craignant d'être surprise, elle se hâta de retourner auprès du malade. Elle l'avait quitté désespéré, elle le retrouva soumis et parfaitement résigné, ce prodigieux changement s'était opéré instantanément; ceux qui entouraient le lit de Julien, et qui en ignoraient la cause, en étaient stupéfaits et pleins d'admiration. Les convulsions causées par la violence du mal croissaient d'un moment à l'autre; mais au milieu des douleurs les plus atroces, le moribond ne prononçait que des paroles d'amour, de contrition, et de conformité à la volonté de Dieu. La bienheureuse Catherine revint sur ces entrefaites. Intérieurement éclairée, elle savait déjà ce qui venait de se passer. Elle ne dit point à son mari ce qu'elle avait fait; mais elle lui témoigna la joie que lui causait sa parfaite soumission, et elle continua à l'exhorter et à l'encourager jusqu'au moment où il rendit doucement son âme à son Créateur. Julien avait écrit un testament, dans lequel il fait le plus grand éloge des vertus de son épouse; il lui légua tous ses biens, qu'il avait recouvrés quelques années avant sa mort. Dieu ne permit pas que sa fidèle servante fût privée, devant les hommes, de la gloire de cette miraculeuse conversion. Argentine rendit compte de ce qu'elle avait entendu, et la sainte elle-même en fit connaître le résultat, par inadvertance. Le jour suivant, un religieux, son fils spirituel, vint la voir ; et, sans y penser, elle lui dit dans le cours de la conversation :" Hier, Julien est passé dans l'autre vie; vous savez qu'il était d'un caractère étrange, et que j'en éprouvais une grande peine en mon esprit; mais, avant qu'il rendit le dernier soupir, mon doux Jésus m'a assurée de son salut." Catherine ne pouvait vouloir que ce que voulait Dieu. D'après cette disposition, elle était parfaitement indifférente aux évènements et les prenait tels que le Seigneur les envoyait. Ainsi elle s'était vu ruiné jadis par les prodigalités de son mari, avec le calme le plus parfait; les opprobres de son temps d'abaissement lui avaient plu autant que les honneurs de son temps de prospérité; elle avait supporté autrefois sans peine la terrible société de Julien, elle supporta de même sa perte dans la circonstance présente. Peu de jours après cette mort, quelques amis de Catherine crurent devoir lui adresser des paroles de consolations ; mais elle leur dit : " Je me suis donnée tout entière à mon Jésus, sans rien me réserver; je n'ai souci que de sa volonté, je ne désire que ce qu'il veut, je suis contente lorsque cela arrive, et il m'est impossible de préférer une chose à l'autre, qu'elle soit triste ou gaie suivant l'opinion du monde." La sainte avait manifesté précédemment déjà les mêmes sentiments à l'occasion de la mort de ses frères et de ses soeurs, qu'elle avait perdus successivement. Elle les aimait cependant d'une vive tendresse; mais il n'y avait rien de charnel dans son affection.
[1] Le pape Sixte-Quint, religieux de cet ordre, l'approuva en 1588.
Amour de Catherine Adorna pour le prochain.
Détails sur quelques-uns de ses enfants spirituels.
Morts de Julien Adorno
Nous avons parlé précédemment des grandes oeuvres de charité de Catherine, de sa crainte que quelque chose ne pût se placer entre elle et Dieu, si elle aimait le prochain, et de la réponse que lui avait donnée intérieurement Notre-Seigneur, lorsqu'elle l'avait consulté à ce sujet. Elle comprit parfaitement le sens de cette réponse, et l'appliqua dans la pratique de sa vie entière. Elle rapporta toutes ses affections à Dieu; et suivant l'expression de son biographe anonyme, " elle sut si bien allier l'amour du prochain au détachement des choses créées, que semblable au soleil, elle répandait sur chacun les rayons de son ardente charité, sans avoir à craindre pour la pureté de son coeur." Nous savons qu'elle consacra sa vie à d'admirables oeuvres de miséricorde, et qu'elle prodigua ses soins à tous les malheureux de la ville de Gênes et aux malades du grand hôpital; nous n'avons plus à y revenir. Mais l'immense charité de Catherine ne se bornait pas au soin de ceux qui l'entouraient, elle embrassait le genre humain entier; elle cherchait surtout à procurer à ses semblables les biens spirituels dont elle les voyait privés. Sa douceur inaltérable, la bénignité et la suavité extraordinaires qui régnaient dans sa personne, gagnaient les cœurs de ceux avec lesquels elle conservait afin de les ramener à Dieu. Des personnes distinguées accouraient de fort loin pour la voir, pour admirer ses vertus, et recueillir de sa bouche la doctrine céleste que le Seigneur lui avait enseignée. Chacun, après lui avoir parlé, se sentait fortifié, éclairé, consolé, et affermi dans la foi; elle inspirait à tous le désir ardent de la bienheureuse éternité. Plusieurs religieux et laïques, hommes et femmes, la choisirent comme mère spirituelle, et ne voulurent plus rien faire, tant pour leur avancement dans la perfection que pour l'utilité du prochain, sans en avoir d'abord conféré avec elle. On remarque, parmi les membres de cette famille spirituelle de la sainte, Catherine Marabotto, son confesseur; Jacques Carentius, qui le remplaça en qualité de recteur du grand hôpital ; Argentine, la veuve de Marc del Sale, dont il a été question précédemment ; et Hector Vernaccia, qui a droit à une mention toute particulière, Hector jouissait à Gênes d'une haute réputation de savoir et de vertu, avant même qu'il fût mis sous la direction de Catherine; mais, après qu'elle eut entrepris de le conduire, elle lui fit faire de si rapides progrès dans la perfection, que tout le monde le tenait pour un saint. Il renonça à s'occuper des affaires de ce monde, pour ne plus songer qu'à la gloire de Dieu et au bien spirituel et temporel de ses semblables; il fit ériger, dans plusieurs villes d'Italie, des églises, des hospices, et des couvents, qui subsistent encore en partie, et qui témoignent de son zèle et de sa piété.
Vernaccia établit à Gênes l'hôpital des Incurables et les monastères des Nouvelles-¨Converties et de Saint-Joseph, destinés aux jeunes gens pauvres et honnêtes qui veulent trouver un abri contre les dangers du monde. Il fonda à Rome également un hospice des Incurables, de concert avec les caridnaux Caraffa et Sauli, dont le premier devint pape, sous le nom de Paul IV. Ce fut lui encore qui établit à Naples la société dite Alborum (des blancs), qui préparent à la mort les condamnés à la peine capitale, et les accompagnent à l'échafaud. Il construisit aussi à Gênes le lazaret des pestiférés, et le dota de revenus considérables; puis il fonda à perpétuité un legs, payable à certains médecins chargés de soigner les pauvres sans en exiger aucun salaire. Enfin, lorsque en 1528 la peste fit invasion à Gênes, Hector fit généreusement le sacrifice de sa vie, et se dévoua au service de ceux que le fléau avait atteints. Après avoir établi l'hospice des Incurables son légataire universel, il s'y enferma au moment où la maladie y sévissait le plus violemment et y mourut, victime de son inépuisable charité. Hector laissa une fille, nommée Thomasina, en religion Baptista, dont notre sainte avait été marraine. Catherine la fit entrer, en 1510, dans le monastère de Sainte-Marie-des-Grâces; et, au moment où Baptista prononça ses voeux, sa marraine lui dit ces paroles, que les témoins contemporains nous ont conservées : " Que Jésus soit dans votre coeur, l'éternité dans votre esprit, le monde sous vos pieds, la volonté de Dieu dans vos actions, et que son amour éclate en vous par-dessus toutes choses." Baptista fut fidèle à la leçon, et recueillit l'héritage de sainteté de son père et de sa mère spirituelle; elle parut comme témoin lors du procès de béatification de Catherine, et elle a laissé différents écrits très estimés. Parmi les enfants spirituels de la sainte, se trouvait aussi une jeune fille de Gênes, dont le nom ne nous a pas été transmis. C'était une vierge douée d'un entendement sublime, très vertueuse; mais Notre-Seigneur, voulant la tenir dans l'humilité, avait permis qu'elle fût possédée du démon. Le malin esprit la tourmentait de la façon la plus étrange, la jetait à terre, l'affligeait au delà de toute expression, la tentait de mille manières, et lui causait de si excessives angoisses, que peu s'en fallait qu'elle ne se livrât au désespoir. Il entrait dans son entendement, l'empêchait de s'occuper des choses divines lui faisait croire qu'elle était séparée de Dieu et damnée, toute noyée dans la volonté diabolique et pleine de péchés et de défauts; en un mot, il l'avait rendue tellement insupportable à ceux qui l'entouraient et à elle-même, qu'elle ne savait plus où trouver du secours. Cependant cette infortunée, ayant entendu parler de la charité héroïque de Catherine, alla se réfugier auprès d'elle. La sainte la reçut affectueusement et la garda dans sa maison. Elle ne travailla point à sa délivrance, parce qu'elle reconnut qu'elle était solidement vertueuse et très chère à Dieu. Mais elle ne cessait de l'encourager et de la consoler, et la jeune fille éprouvait, auprès de sa mère spirituelle, un grand adoucissement à ses angoisses ordinaires.
Un jour, il arriva que, dans un de ses accès, elle se jeta aux pieds de Catherine, en présence du P.Marabotto; et le diable, parlant par sa bouche, s'écria : " Nous sommes tes esclaves à cause du pur amour que tu portes dans ton coeur." Toutefois, se repentant aussitôt de ce qu'il venait de dire, il obligea la possédée à s'accabler de coups, et la traina à terre, où elle se roulait et se tordait comme un serpent. Puis, lorsqu'elle se fut relevée, le confesseur lui ordonna de prononcer le nom de notre sainte. Elle s'appelle Catherine, répondit le démon en accompagnant ces mots d'un rire infernal.
Dis-moi maintenant son surnom, ajouta Marabotto. Adorna ou Fiesca, répliqua le mauvais esprit. J'en veux connaître un autre, dit encore le Père. Ce nouvel ordre parut déplaire beaucoup au malin; il refusa de répondre et agita très violemment la pauvre énergumène; vaincu enfin par la force des exorcismes, il s'écria avec un mouvement de rage excessive : " Catherine Séraphine", nom qui lui convenait en effet, comme l'observe le biographe anonyme; car elle était pleine de l'amour de Dieu, et elle aspirait à l'allumer dans les autres nom qui a été confirmé d'ailleurs par saint Louis de Gonzague et par saint François de Sales. Malgré son état de possession, la fille spirituelle de la sainte fit de grands progrès dans la vertu sous sa direction. Parfaitement soumise à la volonté de Dieu, elle supporta son terrible état avec une angélique patience. Elle en fut délivrée peu avant sa mort et termina saintement ses jours dans les bras de sa bienfaitrice. Nous pouvons compter aussi, au nombre des fils spirituels de Catherine, son propre mari, Julien Adorno; car c'était elle qui l'avait arraché à ses folles dissipations et à son déplorable genre de vie. Nous savons tout ce qu'elle avait eu à souffrir de la part de cet homme, pendant une longue suite d'années. La charité est admirable, surtout qu'elle se manifeste envers ceux qui nous accablent de mauvais traitements et avec lesquels nous nous trouvons en contact journalier. Telle avait été celle de Catherine à l'égard de Julien. Employant tous les moyens imaginables dans l'espoir de gagner son âme, lui obéissant dans les choses les plus ardues, pourvu qu'elles ne fussent pas contre la conscience, recevant ses injures avec patience, cherchant à apaiser sa colère, tantôt par de douces paroles, tantôt par le silence, évitant toute querelle et toute occasion de le fâcher, elle avait invariablement suivi son inclinaison bienfaisante, et rendu le bien pour le mal. Dieu avait béni la conduite prudente et charitable de la sainte, nous le savons; Julien, réduit à un état de fortune médiocre, par ses prodigalités, à peu près ruiné, triste et découragé, s'était enfin rapproché de sa compagne, lui avait fait connaître l'état de son âme, et, touché de ses avis et de ses conseils, il s'était converti. Cependant un mauvais caractère et des habitudes invétérées ne se réforment pas en un jour. Adorno continua à causer des chagrins à sa pieuse épouse; il était dur et exigeant. Il voulait qu'elle fût presque constamment auprès de lui, et qu'elle ne fit pas de longues stations aux églises. Elle s'accommodait à ce caprice et ne sortait que pour assister à une messe, comprenant qu'une femme mariée doit sacrifier son attrait particulier à la paix domestique. Souvent Julien, retombant dans son humeur violente, faisait passer de rudes moments à sa compagne; mais elle portait sa croix avec une résignation inaltérable. Elle se rappelait, pour s'affermir dans la patience, qu'elle avait été mariée afin de cimenter la paix entre les deux illustres maisons des Fieschi et des Adorni, et elle prédisait que de cette dernière famille naîtrait un grand serviteur de Dieu, qui fonderait un nouvel ordre religieux. La prédiction se vérifia en effet dans la personne du vénérable Augustin Adorno, qui fonda de concert avec le vénérable François Caracciolo, l'ordre des Clercs réguliers mineurs [1]. Vers la fin de l'année 1497, Julien fut atteint d'une infirmité excessivement dangereuse et douloureuse, qui ne lui laissait de repos ni pendant le jour, ni pendant la nuit. L'emploi des remèdes prescrits par les médecins aggrava le mal; les douleurs devinrent de plus en plus terribles. L'irascibilité du malade se réveilla avec une violence inouïe ; il s'emportait contre ses souffrances, déclarait qu'il lui était impossible de les endurer plus longtemps, et se rendait insupportable à ceux qui le servaient. Catherine placée à son chevet, cherchait en vain à le calmer et à obtenir de lui qu'il se soumit à la volonté divine; voyant que la mort ne pouvait tarder, et craignant qu'elle ne saisit son époux au milieu d'un de ces accès de fureur qui compromettaient le salut de l'âme, elle voulut tenter un dernier effort, elle se retira dans une chambre voisine et, s'agenouillant en versant des torrents de larmes, elle répéta plusieurs fois d'une voix entrecoupée de sanglots, ces mots : " O mon Seigneur je vous demande cette âme, je vous supplie de me la donner, vous pouvez me la donner!". Dieu avait permis qu'Argentine, la disciple de notre sainte, l'eût suivie au moment où elle s'était retirée pour prier. Cachée par la porte de la chambre, elle entendit les supplications de Catherine; puis craignant d'être surprise, elle se hâta de retourner auprès du malade. Elle l'avait quitté désespéré, elle le retrouva soumis et parfaitement résigné, ce prodigieux changement s'était opéré instantanément; ceux qui entouraient le lit de Julien, et qui en ignoraient la cause, en étaient stupéfaits et pleins d'admiration. Les convulsions causées par la violence du mal croissaient d'un moment à l'autre; mais au milieu des douleurs les plus atroces, le moribond ne prononçait que des paroles d'amour, de contrition, et de conformité à la volonté de Dieu. La bienheureuse Catherine revint sur ces entrefaites. Intérieurement éclairée, elle savait déjà ce qui venait de se passer. Elle ne dit point à son mari ce qu'elle avait fait; mais elle lui témoigna la joie que lui causait sa parfaite soumission, et elle continua à l'exhorter et à l'encourager jusqu'au moment où il rendit doucement son âme à son Créateur. Julien avait écrit un testament, dans lequel il fait le plus grand éloge des vertus de son épouse; il lui légua tous ses biens, qu'il avait recouvrés quelques années avant sa mort. Dieu ne permit pas que sa fidèle servante fût privée, devant les hommes, de la gloire de cette miraculeuse conversion. Argentine rendit compte de ce qu'elle avait entendu, et la sainte elle-même en fit connaître le résultat, par inadvertance. Le jour suivant, un religieux, son fils spirituel, vint la voir ; et, sans y penser, elle lui dit dans le cours de la conversation :" Hier, Julien est passé dans l'autre vie; vous savez qu'il était d'un caractère étrange, et que j'en éprouvais une grande peine en mon esprit; mais, avant qu'il rendit le dernier soupir, mon doux Jésus m'a assurée de son salut." Catherine ne pouvait vouloir que ce que voulait Dieu. D'après cette disposition, elle était parfaitement indifférente aux évènements et les prenait tels que le Seigneur les envoyait. Ainsi elle s'était vu ruiné jadis par les prodigalités de son mari, avec le calme le plus parfait; les opprobres de son temps d'abaissement lui avaient plu autant que les honneurs de son temps de prospérité; elle avait supporté autrefois sans peine la terrible société de Julien, elle supporta de même sa perte dans la circonstance présente. Peu de jours après cette mort, quelques amis de Catherine crurent devoir lui adresser des paroles de consolations ; mais elle leur dit : " Je me suis donnée tout entière à mon Jésus, sans rien me réserver; je n'ai souci que de sa volonté, je ne désire que ce qu'il veut, je suis contente lorsque cela arrive, et il m'est impossible de préférer une chose à l'autre, qu'elle soit triste ou gaie suivant l'opinion du monde." La sainte avait manifesté précédemment déjà les mêmes sentiments à l'occasion de la mort de ses frères et de ses soeurs, qu'elle avait perdus successivement. Elle les aimait cependant d'une vive tendresse; mais il n'y avait rien de charnel dans son affection.
[1] Le pape Sixte-Quint, religieux de cet ordre, l'approuva en 1588.
CHAPITRE XIV
Conversations de Catherine avec un religieux,
son fils spirituel
Un jour un religieux, fils spirituel de notre sainte, ayant affirmé devant elle que, faible et malade comme elle était, elle pourrait mourir subitement, Catherine sentit se réveiller vivement en son coeur ce désir de la mort qu'elle avait éprouvé autrefois. Car, ainsi qu'elle avait coutume de le dire, elle se trouvait dans ce monde comme ceux qui sont en pays étranger, bien loin de la maison paternelle et de tous les objets de leur affection, et qui, ayant terminé les affaires pour lesquelles ils sont venus, sont pressés de retourner aux lieux chéris où ils ont laissé leur coeur et leur esprit. Peu de temps après, le même religieux étant revenu chez la bienheureuse Catherine, elle lui dit : " Mon fils, je me sens poussée à vous parler; l'autre jour, lorsque vous disiez que je pourrais mourir d'un instant à l'autre, il m'a semblé qu'une joie extrême se réveillait en moi et que j'entendais cette parole intérieure prononcée avec un profond soupir : Ah! plût au Ciel que cette heure vint! Mais cela n'a duré qu'un moment; or, je vous le déclare, je ne veux pas qu'il y ait en cela l'ombre d'un désir personnel, car j'abandonne à la disposition et à l'ordonnance de Dieu tout ce qui regarde le ciel et la terre." Le religieux lui répondit qu'elle ne devait avoir aucun remords de ce qui était arrivé, parce que, malgré la joie qui s'était réveillée dans l'âme et les paroles intérieurement prononcées à propos de la pensée de la mort, la volonté y était restée étrangère, et la raison n'y avait point acquiescé : " C'est, ajouta-t-il le simple instinct de l'âme qui, de sa nature, tend toujours à cette fin; ce qui le prouve, c'est que le mouvement d'allégresse que vous avez ressenti n'a pas passé dans la partie intime du coeur, mais qu'il est restée à sa surface." Catherine avoua qu'il en était ainsi, et demeura satisfaite de l'explication. Ce mouvement fut le dernier qu'elle ressentit. A partir de ce moment, tout désir de vivre ou de mourir s'éteignit en elle. La sainte reconnaissait que les désirs, quels qu'ils soient, manquent de perfection, parce que l'âme qui en éprouve n'est pas entièrement unie à Dieu en qui elle trouve tout, sans possibilité d'aspirer à autre chose. Catherine cherchait quelquefois à exprimer à ses enfants spirituels le sentiment intérieur qu'elle éprouvait pour son doux Jésus.
"Ah ! s'écria-t-elle un jour, si je pouvais dire ce que sent ce coeur qui est tout brûlé et consumé ! Dites nous en quelque chose, chère mère, répondirent tout d'une voix les assistants. Je ne puis trouver de mots propres à exprimer un si grands amour, répliqua la bienheureuse; et il m'est avis que tout ce que j'en pourrais dire serait si loin de la réalité, que cela lui ferait injure. Mais sachez que, si une seule goutte de ce que ressent ce coeur tombait en enfer, l'enfer serait changé en paradis; car il s'y trouverait tant d'amour et d'union, que les démons deviendraient des anges et les peines des consolations; la peine ne saurait coexister avec l'amour de Dieu." Le religieux dont nous avons parlé était présent; étonné des expressions de Catherine, il lui dit :
"Ma mère, je n'entends pas cela et je voudrais mieux le comprendre. Mon fils, lui répondit la sainte, il m'est absolument impossible de vous en dire davantage."
Alors le religieux ajouta : "Ma mère, si nous donnions quelque interprétation à vos paroles et qu'elle fût conforme à ce que vous ressentez dans votre esprit, le diriez-vous ? Volontiers, mon fils, répliqua Catherine avec beaucoup de douceur."
"Il se pourrait donc, dit alors son interlocuteur, que ces choses se passassent de la manière suivante : L'amour pur produit une chaleur profonde et intime, laquelle unit l'âme avec Dieu; et l'unit tellement par participation de sa bonté, qu'elle se perd, pour ainsi dire, dans le Seigneur. " Cette union est si admirable, qu'il n'y a pas de termes propres à l'exprimer; lorsqu'elle existe, il est impossible de goûter, de sentir et de désirer autre chose, et d'avoir une autre volonté que celle de Dieu. Or l'enfer, les démons, les damnés forment le pôle opposé de l'union, car ils sont en révolte contre le Seigneur; mais, s'ils pouvaient recevoir la moindre goutte de l'amour unitif leur rébellion cesserait à l'instant; cette goutte les unirait à Dieu de telle sorte qu'ils se trouveraient en vie éternellement; car leur révolte fait leur enfer, et l'enfer est partout où est la complète rébellion, de même que le paradis est en tous lieux où existe l'union avec Dieu." Tandis que le religieux parlait, Catherine semblait se réjouir; son visage prit une expression séraphique; et quand il eut fini, elle lui dit : "Mon fils bien-aimé, la chose est telle que vous venez de l'exposer : c'est tout ce qu'on en peut dire. En vous écoutant, je sentais qu'il en est ainsi. Mais mon entendement est tellement plongé dans l'amour, qu'il ne m'est possible ni de penser à une explication, ni de la donner. Ma chère mère, s'écria alors le religieux, ne pourriez-vous demander à Dieu, votre amour, quelques-unes de ces gouttelettes pour vos enfants ? Je vois ce doux amour si courtois envers mes fils, répliqua-t-elle avec un mouvement de joie extrême, que je ne saurais rien lui demander pour eux; je me borne à les présenter devant sa face."
Conversations de Catherine avec un religieux,
son fils spirituel
Un jour un religieux, fils spirituel de notre sainte, ayant affirmé devant elle que, faible et malade comme elle était, elle pourrait mourir subitement, Catherine sentit se réveiller vivement en son coeur ce désir de la mort qu'elle avait éprouvé autrefois. Car, ainsi qu'elle avait coutume de le dire, elle se trouvait dans ce monde comme ceux qui sont en pays étranger, bien loin de la maison paternelle et de tous les objets de leur affection, et qui, ayant terminé les affaires pour lesquelles ils sont venus, sont pressés de retourner aux lieux chéris où ils ont laissé leur coeur et leur esprit. Peu de temps après, le même religieux étant revenu chez la bienheureuse Catherine, elle lui dit : " Mon fils, je me sens poussée à vous parler; l'autre jour, lorsque vous disiez que je pourrais mourir d'un instant à l'autre, il m'a semblé qu'une joie extrême se réveillait en moi et que j'entendais cette parole intérieure prononcée avec un profond soupir : Ah! plût au Ciel que cette heure vint! Mais cela n'a duré qu'un moment; or, je vous le déclare, je ne veux pas qu'il y ait en cela l'ombre d'un désir personnel, car j'abandonne à la disposition et à l'ordonnance de Dieu tout ce qui regarde le ciel et la terre." Le religieux lui répondit qu'elle ne devait avoir aucun remords de ce qui était arrivé, parce que, malgré la joie qui s'était réveillée dans l'âme et les paroles intérieurement prononcées à propos de la pensée de la mort, la volonté y était restée étrangère, et la raison n'y avait point acquiescé : " C'est, ajouta-t-il le simple instinct de l'âme qui, de sa nature, tend toujours à cette fin; ce qui le prouve, c'est que le mouvement d'allégresse que vous avez ressenti n'a pas passé dans la partie intime du coeur, mais qu'il est restée à sa surface." Catherine avoua qu'il en était ainsi, et demeura satisfaite de l'explication. Ce mouvement fut le dernier qu'elle ressentit. A partir de ce moment, tout désir de vivre ou de mourir s'éteignit en elle. La sainte reconnaissait que les désirs, quels qu'ils soient, manquent de perfection, parce que l'âme qui en éprouve n'est pas entièrement unie à Dieu en qui elle trouve tout, sans possibilité d'aspirer à autre chose. Catherine cherchait quelquefois à exprimer à ses enfants spirituels le sentiment intérieur qu'elle éprouvait pour son doux Jésus.
"Ah ! s'écria-t-elle un jour, si je pouvais dire ce que sent ce coeur qui est tout brûlé et consumé ! Dites nous en quelque chose, chère mère, répondirent tout d'une voix les assistants. Je ne puis trouver de mots propres à exprimer un si grands amour, répliqua la bienheureuse; et il m'est avis que tout ce que j'en pourrais dire serait si loin de la réalité, que cela lui ferait injure. Mais sachez que, si une seule goutte de ce que ressent ce coeur tombait en enfer, l'enfer serait changé en paradis; car il s'y trouverait tant d'amour et d'union, que les démons deviendraient des anges et les peines des consolations; la peine ne saurait coexister avec l'amour de Dieu." Le religieux dont nous avons parlé était présent; étonné des expressions de Catherine, il lui dit :
"Ma mère, je n'entends pas cela et je voudrais mieux le comprendre. Mon fils, lui répondit la sainte, il m'est absolument impossible de vous en dire davantage."
Alors le religieux ajouta : "Ma mère, si nous donnions quelque interprétation à vos paroles et qu'elle fût conforme à ce que vous ressentez dans votre esprit, le diriez-vous ? Volontiers, mon fils, répliqua Catherine avec beaucoup de douceur."
"Il se pourrait donc, dit alors son interlocuteur, que ces choses se passassent de la manière suivante : L'amour pur produit une chaleur profonde et intime, laquelle unit l'âme avec Dieu; et l'unit tellement par participation de sa bonté, qu'elle se perd, pour ainsi dire, dans le Seigneur. " Cette union est si admirable, qu'il n'y a pas de termes propres à l'exprimer; lorsqu'elle existe, il est impossible de goûter, de sentir et de désirer autre chose, et d'avoir une autre volonté que celle de Dieu. Or l'enfer, les démons, les damnés forment le pôle opposé de l'union, car ils sont en révolte contre le Seigneur; mais, s'ils pouvaient recevoir la moindre goutte de l'amour unitif leur rébellion cesserait à l'instant; cette goutte les unirait à Dieu de telle sorte qu'ils se trouveraient en vie éternellement; car leur révolte fait leur enfer, et l'enfer est partout où est la complète rébellion, de même que le paradis est en tous lieux où existe l'union avec Dieu." Tandis que le religieux parlait, Catherine semblait se réjouir; son visage prit une expression séraphique; et quand il eut fini, elle lui dit : "Mon fils bien-aimé, la chose est telle que vous venez de l'exposer : c'est tout ce qu'on en peut dire. En vous écoutant, je sentais qu'il en est ainsi. Mais mon entendement est tellement plongé dans l'amour, qu'il ne m'est possible ni de penser à une explication, ni de la donner. Ma chère mère, s'écria alors le religieux, ne pourriez-vous demander à Dieu, votre amour, quelques-unes de ces gouttelettes pour vos enfants ? Je vois ce doux amour si courtois envers mes fils, répliqua-t-elle avec un mouvement de joie extrême, que je ne saurais rien lui demander pour eux; je me borne à les présenter devant sa face."
A suivre...
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Re: Sainte Catherine de Gênes
CHAPITRE XV
Humilité de Catherine. Extase et visions
Le sublime édifice de la perfection de Catherine avait pour base et pour fondement l'humilité la plus profonde : la basse opinion qu'elle avait d'elle-même lui avait valu ce trésor. Nous avons eu l'occasion de dire précédemment que l'abjection et le mépris faisaient ses édifices, qu'elle se réjouissait des opprobres et des injures, et que jamais elle ne s'excusait lorsqu'on lui adressait des reproches.
Elle s'oubliait entièrement et elle désirait que les autre en firent autant. Jamais elle ne parlait d'elle-même, ni en bien ni en mal; et, quand la conversation exigeait qu'elle fit mention de sa personne elle employait le nous au lieu du moi. De même, elle ne se nommait point et elle n'aimait pas que d'autres l'appelassent par son nom; et lorsqu'on lui en demandait la raison, elle répondait : " La mauvaise partie de l'homme n'est toujours charmée d'entendre désigner son individualité, et on ne saurait la mortifier davantage qu'en n'en faisant jamais aucune mention." En un mot, Catherine était si persuadée de son néant, que, lorsque quelqu'un s'avisait de parler d'elle-même en termes favorables, elle se disait : " Si les autres le connaissaient comme je te connais, ils ne prononceraient pas les paroles que tu viens d'entendre. Voici, ajoutait-elle, la loi que tu garderas invariablement : Quand tu entendras nommer ta personne en bien, tu reconnaîtras aussitôt qu'il ne saurait être question de toi; lorsque ; au contraire, ce sera en mal, tu te souviendras qu'on n'en saurait dire assez, et tu trouveras qu'on te fait beaucoup trop d'honneur : car, dire du mal de toi, c'est s'en occuper; et assurément tu n'en es pas digne. Enfin, en t'entendant appeler mauvaise par les autres,tu ne te fatigueras pas que tu puisses devenir bonne par toi-même, car ce serait de ta part une impardonnable présomption." Dieu sevrait parfois sainte de toutes les marques de son amour, et la laissait en proie aux tourments de l'aridité et de l'affliction. Elle se soumettait admirablement à cette douloureuse épreuve, et, loin de se plaindre, elle disait au Seigneur : " O mon Jésus, laissez-moi dans cet état, nue et dépouillée de tout, afin que je vous sois parfaitement soumise et que mon être propre ne puisse plus se remuer, car s'il le pouvait, il ne ferait que des sottises". Catherine non seulement n'estimait pas ce que le monde aime et admire, mais encore elle évitait et s'efforçait de fuir ce que des âmes privilégiées, moins dépouillées que la sienne, considèrent comme de grandes grâces. Nous avons vu précédemment que, dès sa jeunesse, elle avait prié Dieu de lui retirer les visions et les ravissements. Cependant le Seigneur, après lui avoir enseigné la haine d'elle-même et le renoncement à la volonté propre et aux désirs de la chair et de l'esprit, la combla, malgré elle, de dons surnaturels, la ravit fréquemment en extase, et la récréa par de célestes visions. Catherine se faisait inutilement violence pour s'y soustraire.
Aussitôt qu'elle éprouvait les impressions qui précèdent ces faveurs extraordinaires, elle s'infligeait de grands tourments physiques, pour en prévenir l'effet; c'était en vain, jamais elle n'y réussissait; l'esprit divin faisait invasion et elle l'entraînait. Quand elle revenait à son état naturel, elle était si faible et si languissante, à la suite de ses résistances, que souvent elle semblait prête à rendre le dernier soupir, et ne vivre que par miracle. Tant qu'elle conserva les forces de la jeunesse, elle allait se cacher dans quelque lieu retiré, aussitôt que les symptômes avant-coureurs de l'extase se manifestaient ; et ses seuls familiers, qui l'épiaient avec une sainte curiosité, étaient témoins de ce qui lui arrivait. Devenue âgée et infirme, et trahie par sa faiblesse, il ne lui fut plus possible de celer les faveurs célestes dont elle était l'objet, et Dieu se plut à les manifester à tous les regards. Alors, cependant, encore, la sainte avait recours à toutes sortes d'industries pour se débarrasser de la gloire qui pouvait lui en revenir. Elle parlait de ses ravissements comme d'un état maladif, et les désignait sous le nom de vertiges. Mais, si cet humble stratagème pouvait tromper les ignorants, il n'en fut pas de même des personnes éclairées dans les voies de Dieu. Cataneo Marabotto entre autres, d'abord fils spirituel, puis directeur de Catherine, voyait les opérations de la grâce dans tout ce qui arrivait à sa pénitente. Il nous en a laissé le récit dans la Biographie de Catherine. Ce fut lui, également, qui obligea la sainte à écrire son Traité du Purgatoire et ses Dialogues. Catherine parlait souvent pendant ses extases. D'ordinaire, ses voisins avaient pour objet l'immense amour de Dieu envers les hommes; la gloire qu'il réserve à ceux qui l'aiment; la sagesse de la Providence, qui sait distribuer à chacun les moyens les plus propres pour le faire arriver au ciel; le prix et la dignité de la grâce; l'ingratitude par laquelle la plupart des hommes payent si grands bienfaits, ingratitude qui sera dévoilée au jugement dernier; pour prouver que les coupables sont indignes de miséricorde. Les témoins contemporains rapportent que, quand Catherine, ravie hors d'elle-même, commençait à parler de l'amour divin, son visage devenait radieux et semblable à celui de ces esprits bienheureux qui sont sans cesse le trône du Très Haut. Lorsqu'on entendait la doctrine admirable qui coulait de ses lèvres, on croyait assister aux leçons d'un chérubin initié aux mystères du ciel. Ceux qui entouraient la sainte, dit encore notre vieil historien, versaient des larmes d'admiration. Ils demeuraient plongés dans une sorte de stupeur, en présence de cette sagesse surnaturelle, qui lui inspirait les mots propres à expliquer les choses les plus augustes et les plus supérieures à l'intelligence humaine. Et cependant elle déclarait elle-même que tout ce qu'elle pouvait dire était bien loin d'exprimer la moindre partie des secrets célestes que Dieu lui communiquait et des merveilles qu'il lui découvrait. " Hélas! s'écriait-elle alors, le langage par lequel on pourrait faire entendre aux autres ce que c'est que l'union entre la créature et le Créateur est perdu!..." Cattaneo Marabotto, Hector Vernaccia et plusieurs des enfants spirituels de Catherine ont recueilli un grand nombre des enseignements qu'elle a donnés et des paroles qu'elle a prononcées pendant ses extases. Ils nous font comprendre davantage la vie intérieure de cette âme privilégiée, la grandeur et l'intelligence de son amour, et la perfection de son dépouillement. Les moindres lumières sont ici très précieuses; car il s'agit d'une créature que Dieu avait menée par des voies tout exceptionnelles, et qui, revêtue encore d'une chair mortelle, était arrivée à une union peu différente de celle dont jouissent les habitants de la céleste Jérusalem. Pour rendre les instructions de Catherine plus faciles à saisir, nous les divisons en paragraphes, et nous réunissons sous les mêmes titres les traits épars qui appartiennent à un même sujet.
I. – Du soin Amoureux avec lequel, Dieu cherche et attire les âmes, et les dangers de la volonté propre. Le soin extrême avec lequel Dieu opère pour attirer les âmes était un des sujets auxquels Catherine revenait le plus fréquemment dans ses ravissements. Elle se sentait poussée à convier tout ce qui existe à rendre amour pour amour à ce Dieu si plein de souci pour notre salut; elle eût voulu communiquer à tous les hommes les flammes qui la consumaient, et les arracher à leur torpeur, à leur ingratitude, à toute volonté propre; en un mot, à tous les instinct bas et rampants de la nature. " Lorsque je considère, disait-elle, la sollicitude avec laquelle la bonté divine nous donne ce qui nous est nécessaire pour nous faire arriver en son pays, je suis quasi contrainte de dire que Dieu semble être notre serviteur. Ce Dieu de gloire a des soins infinis pour sa créature; et nous, dont l'utilité ou le dommage sont un jeu, nous n'en faisons point de cas. Hélas! comment se peut-il que nous ne tenions pas compte de ce que Dieu estime et prise tant ? O pauvre homme! comment emploies-tu le temps précieux qui doit te servir pour acheter le paradis ?
Que fais-tu de toi-même, toi qui ne dois avoir d'autre emploi que de pourvoir au salut de ton âme ? Que fais-tu de cette âme destinée à s'unir à Dieu par l'amour ? Tu te retournes entièrement vers la terre, et celle-ci produit une semence et un fruit qui se mangent avec les noirs habitants de l'abîme, au milieu d'un désespoir éternel! Tu sauras un jour qu'il n'avait tenu qu'à toi de posséder la gloire pour laquelle tu as été créé; les inspirations de ton Dieu t'y appelaient. Ah! si tu reconnaissais combien il importe de ne pas rester souillé d'un seul péché, tu te plongerais dans une fournaise ardente plutôt que de le commettre; s'il fallait pour le fuir te jeter dans les dernières profondeurs d'un océan de feu, tu n'hésiterais pas, et jamais tu ne sortirais de cette mer, si tu savais que tu dusses rencontrer le péché sur ses bords! " Mais, hélas! la partie propre de l'homme est si contraire, si rebelle à Dieu, que le Seigneur ne réussit presque pas à lui faire faire sa volonté! Il n'y parvient qu'à force d'adresse, en lui promettant des choses plus grandes que celles qu'elle laisse, et en lui en donnant même quelque avant-goût dans la vie présente.
Et malgré cela, cette partie propre chercherait toujours à s'enfuir, si Dieu ne la retenait par des grâces intérieures; car l'aiguillon au mal qui nous est resté par suite du péché originel et du péché actuel voulu et consenti attire continuellement nos sens aux choses de la terre. " Adam préféra sa volonté à celle de Dieu; il faut au contraire que le vouloir divin efface et détruise le nôtre; notre mauvaise inclinaison s'y oppose lorsqu'elle est livrée à elle-même; il est donc fort utile que, pour l'amour de Dieu, nous nous soumettions à quelque personne, afin de faire purement et droitement la volonté d'autrui plutôt que la nôtre. Plus nous nous y assujettirons, plus aussi nous nous trouverons dans la vraie liberté et délivrés du poison de la volonté propre. " Celle-ci est si subtile, si fine et si malicieuse, si intime et profondément enracinée en nous, elle se couvre de tant de moyens et se défend par tant de raisons, qu'il semble en vérité que ce soit un démon. Quand nous ne la pouvons faire d'une sorte, nous la faisons d'une autre, sous une foule de beaux prétextes; nous mettons en avant la charité, la nécessité, la justice, la perfection, le désir de souffrir pour l"amour de Dieu, de trouver quelque consolation spirituelle, ou de donner bon exemple au prochain et de condescendre à ses exigences, les besoins de la santé, etc. Dieu, qui connaît et qui voit toutes ces misères, en a grande compassion et ne cesse pas de nous envoyer de bonnes inspirations pour nous en délivrer, sans cependant contraindre jamais notre franc arbitre. Mais, tout en respectant la liberté de l'homme, il l'incline et la dispose, en l'attirant doucement par d'amoureuses voies. " Lorsque enfin l'âme ouvre alors son entendement, et voit le grand soin que Dieu a d'elle, elle s'écrie dans son admiration : " Il semble, ô Seigneur, que vous n'ayez autre chose à faire qu'à penser à moi! Qui suis-je, moi, dont vous avez tant de souci ? et comment ne tiendrai-je pas compte de ce que vous estimez tant ? Ah! désormais je demeurerai toujours sujette à vos commandements et attentive aux inspirations que vous daignez m'envoyer, par des voies et des moyens si divers!".
II. – De l'amour-propre et de l'amour divin. Notre Seigneur a dit que la bouche parle de l'abondance du coeur. Nous avons essayé de faire connaître les effets que l'amour divin avait produits dans l'âme de Catherine, et nous pouvons conclure, de ce qui a été exposé, que personne n'était plus capable que notre sainte de s'exprimer sur cet amour. " Le vrai amour, disait-elle un jour, est de si grande force, qu'il ne peut savoir ce que sont la peine et le tourment; il ne sent autre chose que lui-même. C'est en vain qu'on veut lui faire prendre intérêt à ce qui a rapport à ce monde, il demeure immobile et immuable comme un mort. Tout ce qu'on peut dire de cet amour n'est rien en comparaison de la réalité; tout ce qu'on en peut entendre est qu'il ne saurait se comprendre avec l'entendement. J'en conclus que les mots sont impuissants à donner la moindre intelligence de l'amour, et que c'est peine perdue que d'essayer d'en parler. " Le contraire du pur amour est l'amour- propre, et, comme il a Satan pour maître et pour seigneur, on devrait le nommer haine propre ; il fait faire à l'homme tout le mal qu'il peut et finit par le précipiter en enfer. Il est tellement incorporé à l'âme et à l'humanité [1], qu'il semble impossible de s'en purger entièrement dans cette vie. L'amour-propre ne se soucie du dommage ni de l'âme ni du corps; il ne tient compte ni du prochain, ni de la réputation, ni de la fortune; il n'a en vue que sa volonté. Pour y satisfaire il est cruel à soi-même et aux autres, et il refuse de se soumettre, quels que soient les empêchements qu'il rencontre, ou les oppositions qu'il soulève. " Quand il a délibéré de faire quelque chose, la flatterie, les menaces, la crainte des plus grands malheurs, sont impuissantes à modifier sa volonté ; la perspective de la servitude, de la pauvreté, de l'infamie, de la maladie, de la mort, du purgatoire et de l'enfer, ne l'arrête pas dans la poursuite de son objet : il ne pense, n'est attentif, n'a d'égard qu'à cela; il ne parle pas d'autre chose, il se moque du reste, le répute bien et l'estime comme n'existant pas. " Il est un larron si adroit qu'il dérobe même à Dieu sans en éprouver de remords; il s'attribue ce qui appartient au Seigneur; mais il le fait d'une façon cachée, et sous forme de bien. Les yeux si clairvoyants du vrai amour sont alors seuls capable de découvrir le larcin... L'amour-propre spirituel est infiniment plus dangereux que le charnel; c'est le plus pénétrant des poissons; il se retranche derrière une infinité de subtilités, de sorte que peu d'hommes s'en garantissent et lui échappent. Non seulement ils ne s'en aperçoivent pas; mais ils considèrent comme salutaire ce qui est en réalité le plus grand obstacle à leur bien, et ils se réjouissent de ce dont ils devraient pleurer. Qu'on le sache bien, l'amour-propre spirituel est la racine de tous les malheurs qui puissent nous atteindre en ce monde et en l'autre. Lucifer est tombé pour avoir cédé à cet amour pervers. De notre premier père il a passé en nous, il circule dans nos veines, il a pénétré jusqu'à la moelle de nos os; il infuse de son venin mortel toutes nos actions, nos paroles et même nos pensées. Dieu seul peut porter remède à cette grande et incurable maladie, et s'il ne le fait par sa grâce en ce monde, il faudra, malgré nous, que nous nous en dépouillions en purgatoire; car il est nécessaire qu'avant de voir la face du Seigneur nous soyons lavés de toutes nos souillures, de manière à demeurer parfaitement nets. " Mais si l'amour-propre a assez de force pour pousser l'homme à ne faire cas ni de la mort, ni de la vie, ni de l'enfer, ni du paradis, quelle sera donc la puissance de l'amour divin, qui est Dieu même ? " Lorsque cet amour, dont la bonté surpasse toute mesure, s'est répandu dans nos coeurs, il agit au contraire de l'amour-propre : il a soin de tout ce qui tourne au profit de l'âme, du corps et du prochain ; l'honneur et le bien d'autrui lui sont précieux, il se montre aimable, bénin et gracieux en toutes choses et envers tous; il ne connaît d'autre volonté que celle de Dieu; il met l'homme en si grande liberté, paix et contentement, que, dès cette vie, il lui semble être en paradis. Cet amour est vraiment celui que nous devrions nommer notre propre amour; il nous sépare du monde et de nous-mêmes pour nous unir au Seigneur, il nous grandit et nous élève au-dessus de toutes les créatures et de tous les désirs. S'il advenait une fois que l'homme qui aime perdit par quelque faute cet amour si doux qu'il a goûté, il ne reculerait devant rien pour le retrouver; car son supplice et son tourment extrêmes seraient comparables à ceux des damnés. " En un mot, l'amour divin est un repos, une joie ineffable, il est toute notre vie; et l'amour-propre est une tristesse et une peine continuelles, il est notre mort en ce monde et en l'autre."
III. – Des trois voies que Dieu tient purifier les âmes. Nous trouvons, dans la plus ancienne biographie de notre sainte, une autre instruction qui jette également une grande lumière sur sa manière de considérer l'amour-propre. C'est celle dans laquelle Catherine indique les voies que Dieu emploie pour purifier la créature. Elle en compte trois. " La première voie que le Seigneur tienne pour purger une âme, dit-elle, est l'amour pur. Il le lui donne, et dès lors cette âme ne veut plus autre chose que cet amour. Celui-ci, étant parfaitement dépouillé et net, lui fait voir les plus légères traces et les traits les plus subtils de l'amour-propre. L'âme ne peut donc être trompée par ce dernier, et elle le réduit au désespoir en ne lui procurant aucun rafraîchissement spirituel ou corporel. De cette manière, l'amour-propre s'en va se consumant peu à peu; car, quiconque ne mange pas finit nécessairement par mourir; toutefois, la force et la malignité de cet amour sont telles, qu'il accompagne l'homme presque jusqu'à la fin de sa vie. Je m'aperçois de cela; car, de jour en jour, je sens consumer en moi plusieurs instincts qui autrefois me semblaient bons et excellents, et qui provenaient au contraire de l'infirmité spirituelle et corporelle que je pensais ne plus avoir. Heureusement l'amour pur a une vue tellement perçante, qu'il fait reconnaître enfin comme larcins et choses détestables ce que d'abord on tenait pour perfection... " La seconde voie que Dieu emploie pour purifier les âmes me plait infiniment plus que la première. Dans cette voie, le Seigneur occupe l'esprit de l'homme en grande peine et affliction; il lui donne la vue et la connaissance de lui-même ; il lui montre combien il est vil et abject. Cette vue le retient continuellement en très grande pauvreté, le dépouille de tout ce qui pourrait avoir goût et saveur de bien; de sorte que la partie propre ne se repaît en aucune façon. Ne pouvant se nourrir, il faut bien qu'elle se consume et qu'elle comprenne enfin que, pour sortir de son enfer, il est nécessaire que Dieu lui vienne en aide et la remplisse de lui-même. Et puis, lorsque le Seigneur lui fait la grâce de lui ôter la vue de sa désespérante nullité, elle demeure dans une paix profonde et comblée de consolation. " La troisième voie est la plus excellente de toutes. Dieu donne à la créature un esprit tout occupé de lui. Cet esprit ne pense alors qu'à Dieu seul, il lui est impossible de faire aucun cas des choses propres. Il est véritablement mort au monde, il ne se délecte en rien, il ne sait ce qu'il veut ni au ciel ni en terre. Un tel esprit est à la fois très riche et très pauvre. Ne pouvant rien s'approprier, ni se nourri de rien, il est nécessaire qu'il se consume et demeure enfin perdu en lui-même; il se retrouve en Dieu, où il était déjà, mais sans savoir comment."
IV. – De l'anéantissement de toutes les facultés en Dieu. Catherine était convaincue qu'à tout instant, en tout lieu et en toute manière, la bonté divine régit, gouverne et dispose toutes choses pour notre avantage. " Nous ne devons jamais désirer, disait-elle à ses fils spirituels, que ce qui nous advient de moment en moment, nous exerçant néanmoins toujours au bien; car celui qui ne voudrait pas s'y exercer et attendre ce que Dieu nous envoie tenterait Dieu. Mais, après avoir fait ce que nous pouvons de bien, acceptons tout ce qui nous arrive de la pure ordonnance de Notre-Seigneur, et réunissons-nous-y par la volonté. Le repos et l'union de notre volonté avec celle de Dieu nous procureraient le paradis dès la vie présente. " Plus l'homme se conforme au vouloir divin, plus il s'approche de la perfection; bienheureuse l'âme qui meurt volontairement à elle-même en toutes choses, parce qu'elle vit en tout pour Dieu, ou plutôt c'est Dieu qui vit en elle! " Le Seigneur s'empare alors de son libre arbitre et opère avec lui; il ne laisse plus venir en la volonté que ce qui lui plaît; et toutes les volontés étant ainsi réglées deviennent parfaites! " O anéantissement de la volonté ! ô vertu singulière! tu es une reine du ciel et de la terre, tu es indépendante de toutes les choses créées; rien au monde ne saurait t'affliger car toutes les peines et les douleurs proviennent de la propriété spirituelle ou temporelle ! " Si les hommes te connaissaient, ils auraient autant d'horreur de leur volonté propre que de Satan en personne; ils n'attacheraient plus aucune importance à leurs opinions, ils ne s'excuseraient jamais et jamais ils ne diraient plus : Telle chose est mienne! Mais l'important secret dont je parle ici n'est vu, n'est compris, goûté et senti que par un entendement humble et humilité; un tel entendement arrive bientôt à la perfection désirée. Dieu lui donne une lumière surnaturelle, qui lui fait voir les choses mieux qu'auparavant, avec une clarté et une certitude parfaites; cette lumière lui montre en un instant tout ce que Dieu veut qu'il connaisse, c'est-à-dire tout ce qui est nécessaire pour conduire la créature à une pureté parfaite. " La lumière divine dont nous parlons jette l'entendement du vieil homme, et quand il est ainsi abattu et prosterné, il ne désire plus autre chose et il dit au Seigneur : Soyez désormais mon intelligence; je saurai ce qu'il vous plaira que je sache, je ne chercherai plus rien, et mon esprit sera dans la paix.
L'homme ne comprend pas cette lumière, parce qu'elle est surnaturelle ; mais elle reste dans son âme, si agile et accompagnée de tant de délectation, qu'elle semble le faire participer à la nature des anges. " Pour bien voir spirituellement, il faut donc que nous arrachions les yeux de la présomption propre; et de même que celui qui regarde trop le soleil s'aveugle, de même aussi l'orgueil aveugle ceux qui veulent trop savoir avec leur entendement naturel. Quant à la mémoire, elle est incapable de retenir rien qui puise l'occuper, lorsque la volonté et l'entendement se sont perdus en Dieu. Elle oublie ce qu'on vient de lui dire et ce qu'elle a dit elle-même, surtout lorsqu'il est question des choses de ce monde. Mais le Seigneur pourvoit à tout ce qui est de nécessité, il avertit à propos la créature et ne lui laisse faire aucun excès; quand le moment en est venu, il semble qu'elle ait quelqu'un à l'oreille, qui lui rappelle fidèlement ce qu'elle doit faire. Telle est la merveilleuse providence de Dieu envers l'âme unie avec lui par le lien de l'amour. Et le Seigneur fait cela afin que rien ne puisse opposer d'obstacle à l'esprit, il ne permet à la mémoire de s'arrêter en rien de bien ou de mal; c'est tout comme si elle n'existait pas. Mais en échange, il donne à l'esprit une certaine occupation intérieure, en laquelle il le tient noyé et abîmé, dans une tranquillité parfaite. L'âme demeure toute transformée en Dieu, lequel la dirige et la remplit à sa façon. Qui pourrait imaginer ce que sent alors cette créature ? Si elle était capable de dire ce qu'elle éprouve, ses expressions seraient bouillantes au point d'enflammer des coeurs de pierre.
Perdue en Dieu, elle reconnaît que toute volonté est peine, toute intelligence ennui, toute mémoire empêchement. Elle perd l'opération et la vigueur des sentiments corporels. Rien sur la terre ne saurait lui donner plaisir, délectation ou peine; elle ne se réjouit ni ne se contriste, lorsqu'elle voit quelque chose qui, de sa nature, est propre à causer de la joie ou de l'affliction. Il n'y a plus de correspondance à causer de la joie ou de l'affliction. Il n'y a plus de correspondance aux sentiments corporels dans l'âme transformée en Dieu; leurs goûts sont sans saveur; leurs désirs sont éteints ou mortifiés, elle les laisse mourir peu à peu et n'en a pas la moindre compassion; elle ne comprend plus les choses comme elle les comprenait jadis, et, quand elle entend dire qu'elles sont bonnes, elle ne sait plus du tout de quelle sorte de bonté il peut être question.
L'âme et le corps étant aliénés de leurs opérations habituelles, vivent en quelques sorte par force, et d'une manière opposée à leur nature. Ceux auxquels Catherine avait adressé ces paroles lui en témoignèrent leur étonnement; ce discours leur avait paru dur à entendre. La destruction complète du vieil homme et de toute propriété a quelque chose d'effrayant pour l'égoïsme.
La sainte voulut alors en faire comprendre l'avantage, et compléter sa pensée au moyen d'une similitude. " Prenez un pain, dit-elle, et mangez-le; après que vous l'avez mangé, sa substance passe en nourriture; la nature rejette le reste comme chose inutile, qui deviendrait pernicieuse au corps, et finirait par le faire mourir en y restant. Or, si ce pain vous disait : Pourquoi m'ôtes-tu de mon être propre ? Il me déplait de me voir anéantir de la sorte, et si je pouvais me défendre de toi, je le ferais pour me conserver, ce qui est naturel à toute créature! Vous lui répondriez : Pain, tu es destiné à sustenter mon corps, lequel est plus élevé en dignité que toi; donc tu dois être plus satisfait d'arriver à la fin pour laquelle tu as été créé, que de jouir de ton être propre; car cet être ne se peut estimer qu'en vue de sa fin, en dehors de laquelle il est une chose morte et superflue, bonne à être rejetée. Le but pour lequel tu as été fait te donne donc tout ton mérite, et tu n'arrives à l'acquérir que par ton anéantissement. Par conséquent si tu vis pour arriver à ton but tu ne dois pas te soucier de ton être propre; et tu dois dire au contraire : Hâtez-vous de m'en tirer et de me mettre en l'opération de la fin pour laquelle j'ai été créé. " Voilà ce que vous diriez au pain. Or, c'est là ce que Dieu fait de l'homme, dont la fin est la vie éternelle. Le pain, avons-nous dit, subit une double opération, par laquelle ce qu'il a de bon passe en substance, et ce qu'il a de superflu est rejeté. Il en est de même de nous. " L'homme, composé d'âme et de corps, était si pur en sa première création, qu'il n'avait rien en lui de mauvais ou d'inutile; et, sans le péché, il eût atteint, avec cette pureté parfaite, la fin pour laquelle Dieu lui a donné l'être. Mais le péché a corrompu l'homme, affaibli son franc arbitre, et lui a donné une telle inclinaison au mal, que, privés de la grâce, nous ne pourrions la vaincre, ni connaître tous nos instincts dépravés. L'âme, voyant sa dangereuse maladie, doit se dire :
Je ne puis que si le Seigneur prend soin de moi; je m'offre donc à lui avec mon corps et tout ce que j'ai ou puis avoir. Qu'il fasse de moi ce que je fais du pain : quand je l'ai mangé, la nature retient la bonne substance et rejette le reste. " Dieu emploie alors des moyens doux et pleins de grâce pour exciter notre partie propre à se laisser anéantir; il taille et coupe peu à peu les racines et les branches de l'arbre, c'est-à-dire nos penchants désordonnés. L'homme ne s'en aperçoit pas, seulement il voit que les choses extérieures n'ont plus d'attrait pour lui; il n'a plus qu'un seul sentiment, le contentement de ce que le Seigneur fasse de lui tout ce qui lui plaît.
Dieu, ayant pris ce soin, tient l'âme si fort occupée de lui, qu'elle laisse le corps dans l'abandon le plus complet. " Les méchantes dispositions et les humeurs des mauvaises habitudes se consument et s'anéantissent; alors enfin l'âme est reine et maîtresse de l'humanité, et celle-ci obéit en paix. " Vous me direz peut-être que telle chose semble fort difficile; mais je vous réponds qu'il est impossible que cela n'arrive pas, à la suite de l'occupation de l'âme en Dieu, dont je viens de vous parler. " Lorsque vous coupez les racines d'un arbre, il faut qu'il sèche de même quand l'âme est séparée du corps, et qu'elle ne lui correspond ni par amour, ni par délectation, il faut que les instincts propres à ce dernier meurent et qu'il perde lui-même sa vigueur. " Que fera donc le corps, lorsque les opérations de l'âme se sont retirées ainsi des choses matérielles et terrestres ? Il sera comme un oiseau sans plumes qui ne peut plus voler; il demeura presque privé de sentiment, réduit à la plus grande mortification, ne sachant plus s'il est mort ou vif. Son être naturel et malin sera si complètement anéanti, que, si même l'âme lui rendait alors sa liberté d'action, il ne pourrait plus faire ce que ce qu'elle veut. Quant à l'âme, elle vivra quasi sans corps; elle connaîtra sa puissance et sa noblesse par la correspondance divine, et elle s'émerveillera qu'on puisse s'occuper et se délecter ailleurs qu'en Dieu. Les Actes des Martyrs renferment d'étonnants détails; la connaissance et le sentiment qu'avaient les premiers chrétiens de la dignité de l'âme ne leur permettaient pas d'estimer les tourments. Aux yeux des hommes qui ne considèrent que l'oeuvre extérieure, ces supplices étaient épouvantables; les héros de la foi, au contraire, n'eussent pas même pu leur donner le nom de tourments, tant leurs cœurs étaient pleins d'ardeur et de joie."
Mais, pour en revenir à notre comparaison du pain qui se mange, et dont une partie se retient, tandis que l'autre se rejette, je dis que l'âme, par l'opération de Dieu, jette hors du corps les inutilités et les habitudes vicieuses, fruits du péché, et qu'elle retient en soi le corps purifié. Celui-ci opère ensuite avec les sens également purifiés. " Après que l'âme a consommé, par la grâce de Dieu, toutes les mauvaises inclinaisons du corps, le Seigneur consume aussi toutes les imperfections de l'âme... il va, ordonnant et disposant ses puissances, jusqu'à ce qu'il ait dépouillées de leurs opérations propres, et qu'elle demeure vide de toute propriété spirituelle et parfaitement nette en la présence de son Créateur. Dieu verse et répand en elle des dons et des grâces qui, loin de lui défaillir jamais, vont croissant et augmentant sans cesse. Alors elle demeure fixée en lui avec un amour pur, net et simple; aimant le Seigneur pour lui-même, et sans considération d'aucune récompense ni d'aucune peine. C'est ainsi que Dieu doit être aimé; mais cet amour si pur surpasse l'entendement et ne saurait s'exprimer par le langage humain ; tout ce qu'on peut dire de cet état, c'est le mot de saint Paul : Je vis maintenant, non pas moi, mais Jésus-Christ en moi. " L'âme ne pense plus ni à elle ni à son corps ; elle n'a plus d'objet, d'élection, de désir, ni au ciel ni en terre; elle ne voit plus que ce point d'amour net de Dieu, et en Dieu; elle ne peut aimer que ce que Dieu veut qu'elle aime."
V. – Du libre arbitre. On a dit de Catherine qu'elle semblait avoir reçu la mission de réfuter à l'avance les erreurs les plus monstrueuses de Luther et de Calvin.
Il est connu que ces deux hérétiques font de Dieu le véritable auteur du péché : le premier en niant le libre arbitre de l"homme; le second en admettant la prédestination au bien ou au mal. Le confesseur de la sainte nous a conservé une courte explication qu'elle a donnée relativement à cette question, l'une des plus épineuses et des plus difficiles de la théologie.
"Dieu, disait-elle, incite premièrement l'homme à se retirer du péché; ensuite il illumine l'entendement par la lumière de la foi, et puis il enflamme la volonté au moyen de quelque goût et saveur. Dieu accomplit cette triple opération en un instant, et plus rapidement qu'on ne saurait le dire; il la fait plus ou moins dans les hommes, selon qu'il voit le fruit qui en doit résulter; mais il accorde à chacun assez de lumières et de grâces pour qu'il puisse se sauver, en faisant ce qui est en lui et en donnant son consentement. Quant à ce consentement il suffit, après l'opération divine, que la créature se livre au Seigneur, afin qu'il fasse d'elle ce qui lui plait et qu'elle soit résolue à ne plus pécher, et à quitter toutes les choses du monde pour l'amour du Très-Haut. L'assentiment a lieu aussitôt que la volonté de l'homme se joint et s'unit à celle de Dieu, et sans même qu'il s'en aperçoive; il ne voit pas son consentement; mais il lui reste une puissante impression intérieure pour l'effectuer. Cette union en esprit lie l'homme avec Dieu d'un lien pour ainsi dire indissoluble; car, après que le Seigneur a parlé et après le consentement de la créature, il agit presque seul, et si elle se laisse guider, si elle obéit à l'inspiration qui lui est envoyée, il l'ordonne, la mène et la conduit à la perfection à laquelle il l'a destinée. O franc arbitre, que de bien et que de mal tu causes! Si tu te privais de toi-même pour l'amour de Dieu, tu te trouverais bientôt en liberté, et cette liberté tu ne la perdrais plus ; tu reconnaîtrais clairement, dès la vie présente, que servir Dieu, c'est véritablement régner. Car Dieu, délivrant l'homme du péché qui le tient en servitude, le tire de toute subjection et le met en vraie liberté. Autrement la créature va toujours de désir en désir; jamais elle ne demeure satisfaite : plus elle a, plus elle veut avoir; plus elle cherche à se contenter, moins elle se trouve contente. Celui qui désire est possédé de la chose qu'il aime ; il s'est vendu à elle, et, tout en se croyant libre lorsqu'il suit ses appétits et offense Dieu, il se fait serf de l'enfer pour l' éternité. Considère donc, ô homme, quelle est la force et la puissance de notre libre arbitre; il contient en soi les deux choses les plus extrêmes et les plus contraires, à savoir : la mort ou la vie éternelle, et il ne peut être forcé de personne, s'il ne le veut. Penses-y, tandis qu'il en est temps, prends bon conseil et pourvois à tes affaires."
VI. – De la nécessité pour l'esprit purifié par Dieu de se perdre en lui. Une autre instruction, donnée par notre sainte à ses fils spirituels, pendant une de ses extases, et qui nous a été conservée par son premier biographe, peint admirablement les conditions dans lesquelles se trouve un esprit qui, comme celui de Catherine, a subi une purification parfaite. " Quand Dieu, disait-elle, a purifié un esprit des imperfections contractées par le péché originel et actuel, cet esprit est tiré au lieu pour lequel il a été créé; et, comme il est alors beau, pur, net et excellent, ce lieu ne peut être autre que Dieu lui-même, qui l'a fait à son image et à sa ressemblance; l'inclination et la conformité l'y poussent si vivement que, partout ailleurs, il se trouverait dans un véritable enfer. "
Cet esprit, purifié et perdu en Dieu, est chose si subtile et si anéantie en elle-même, que l'homme ne peut ni la connaître, ni la comprendre; il est semblable à une goutte d'eau jetée dans la mer; si vous essayiez de rechercher cette goutte, vous ne trouveriez que de l'eau de mer; et de même, si vous recherchiez cet esprit après qu'il s'est perdu en Dieu, vous ne le retrouveriez que devenu comme Dieu par participation. Mais alors l'âme qui reste unie au corps, se voyant privée de la correspondance de son esprit, demeure presque désespérée, elle ne peut plus user de ses puissances ; les délectations, les aliments spirituels et corporels dont elle se rassasiait autrefois avec autant de douceur que d'abondance, n'existent plus pour elle.
"Toutefois, si cet état est pénible pour la partie inférieure de l'âme, la partie supérieure y trouve, au contraire, une participation à la vie des bienheureux. Le comment de cette participation est inexprimable; vous ne le saurez que si votre esprit retourne à la pureté en laquelle il a été créé de Dieu. Pour y arriver, il faut que Dieu nous consume et nous anéantisse au dedans et au dehors; je veux dire par là : — qu'il est nécessaire que toute la vie intérieure de la créature soit cachée en Dieu; que de plus, il faut aussi qu'à l'extérieur l'homme soit comme aveugle, muet, sourd, sans goût, et qu'en un mot il reste comme privé de lui-même, de manière à paraître fou aux autres, et que ceux-ci soient tout ébahis de voir une créature ayant l'être, sans avoir la faculté d'opérer. C'est ce qu'exprime saint Paul, lorsqu'il dit (Col.III,3) : "Mortui estis, et vita vestra abscondita est cum Christo in Deo. Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ." " Une créature semblable demeure sur la terre, sans être sur la terre : — elle voit son esprit se sépare de plus en plus des choses corporelles, pour se recueillir en Dieu, où il jouit d'une grande et intime abondance, inconnue au reste des hommes. Souvent, en se voyant dans ce monde, et sujette à tant de contradictions, il lui prend envie de crier : " Seigneur, je ne puis plus demeurer en cette vie; cela me semble aussi difficile que de faire tenir le jonc ou le liège au fond de l'eau, sans le lier à quelque masse pesante." Mais le corps est la masse qui retient l'esprit attaché en cette vie. L'homme extérieur reste dans une ignorance complète touchant l'opération qui le consume et le dirige sans qu'il s'en mêle. On peut appliquer à ceux qui se trouvent dans cet état le passage de l'Evangile (Mat. V) : Beati pauperes spiritu, quoniam ipsorum est regnum coelorum : Bienheureux les pauvres d'esprit, car le royaume des cieux est à eux."
VII. – De la manière dont Dieu attire l'homme par de douces voies, ne voulant pas le posséder par propriété ou par crainte, mais par foi et par amour.
Lorsque Catherine, qui respirait déjà l'atmosphère pure du ciel, venait à contempler tant de malheureux collés à la matière et enfoncés dans le bourbier des passions sans songer à en sortir, elle se sentait prise pour eux de la pitié la plus profonde. " Si l'homme, disait-elle, voyait ce que Dieu destine, dans la vie future, aux âmes pures, s'il pouvait se représenter la gloire et la béatitude du paradis, il ferait si bien, dût-il vivre jusqu'à la consommation des siècles, que jamais il n'emploierait et n'occuperait sa mémoire,, son entendement et sa volonté qu'aux choses célestes. Si, d'une part, la créature savait les épouvantables souffrances qu'elle se prépare en mourant dans la hideuse misère du péché. Je suis convaincue qu'elle se laisserait broyer et mettre en poudre, et qu'elle consentirait à endurer ce supplice jusqu'au jour du jugement, plutôt que d'offenser Dieu. Mais le Seigneur ne veut pas que l'homme se garde de mal faire par crainte; l'amour doit seul le retenir, et c'est pourquoi les supplices de l'enfer ne lui sont pas montrés car, s'il apercevait un tel spectacle, la terreur posséderait exclusivement et à jamais son coeur. Toutefois, Dieu laisse voir en partie les douleurs et les misères éternelles à ceux qui sont absorbés par son pur amour, au point d'être supérieurs au sentiment de la peur. " Dieu nous prodigue intérieurement et extérieurement tout ce qui est nécessaire à notre salut; mais la plupart des hommes sont occupés de choses de rien, inutiles, mauvaises et sans valeur, et vivent pour satisfaire leurs désirs charnels. Ils auront, au moment de la mort, une vue si claire et si pénétrante, si horrible et si difforme de leurs défauts, qu'ils ne pourront se supporter eux-mêmes." Je ne saurais comprendre comment il se fait que la créature soit assez hors de sens pour ne pas songer à la seule affaire véritablement importante. Elle y pensera quand il sera trop tard et lorsque Dieu lui dira : O homme! est-il une chose que j'aie pu faire pour toi et que j'aie négligée ? Elle verra clairement alors toutes les grâces dont elle n'a pas profité, et je crois qu'elle en rendra un compte plus rigoureux que tous ses autres péchés."
VIII. – De la contrariété qui existe entre le péché et Dieu. "Quelque transformée en Dieu que soit une âme, disait encore Catherine, elle n'est jamais si parfaite qu'elle n'ait continuellement besoin de l'aide du Seigneur; d'elle-même elle incline au mal; mais Dieu, qui est plein de douceur et de mansuétude, ne permet pas qu'elle tombe. Il soutient celles qui ne consentent point au péché; mais il laisse choir celles qui le commettent volontairement car, nous ayant donné le libre arbitre, il ne veut pas le contraindre. Celui qui pèche s'en doit donc attribuer la faute à lui seul; Dieu n'y est pour rien. " Le Seigneur est toujours prêt à nous assister, même après nos chutes, pourvu que l'âme tombée se laisse aider en correspondant à la grâce divine qui l'appelle et l'incite sans cesse. Quel que soit le péché dans lequel une âme s'est plongée, Notre Seigneur la relève et lui pardonne; il suffit pour cela qu'elle coopère avec la grâce prévenante, et que, contrite et repentante, elle forme le ferme propos de ne plus pécher. Dieu alors la garde et la tient, à moins que, par sa propre malice, elle ne se sépare de nouveau de lui, en consentant au mal et en cessant d'observer les commandements, qui sont l'expression de la volonté éternelle. " L'âme pécheresse est semblable à un oeil dans lequel s'est introduit un corps étranger, et qui, par conséquent, ne peut plus voir le soleil; cette comparaison se présente à mon esprit; mais elle ne donne qu'une faible idée de la réalité. Il faut que l'âme qui veut et doit être préservée du péché dans la vie présente, et glorifiée de Dieu dans la vie future, soit nette et pure, et qu'elle ne conserve volontairement rien de ce dont elle s'est entièrement lavée par contrition, confession et satisfaction; car toutes nos opérations propres sont imparfaites et défectueuses. Je vois clairement, de mon œil intérieur, qu'il faut que je vive sans moi-même en quelque sorte ; l'amour m'a fait connaître ce que je suis, et je le connais si bien, que je ne puis plus être trompée; aussi j'ai complètement abandonné ma partie propre, et je n'en fais pas plus d'estime que si elle était un démon. " Il n'y a dans la vie actuelle et dans l'existence à venir qu'un seul malheur réel, à savoir : le péché. Il procède de notre moi s'attachant à suivre ses inspirations et ses appétits. Il produit pour l'âme la privation de Dieu, du bien infini. Je vois dans le Tout-Puissant un tel penchant à s'unir à la créature raisonnable, faite par lui et à son image, que si le diable pouvait se délivrer de sa livrée de péché, le Seigneur l'élèverait à cette hauteur où Lucifer voulait monter par sa révolte, c'est-à-dire qu'il le ferait comme Dieu, non pas sans doute par nature ou par essence, mais par la participation de sa bonté. J'en dis autant de l'homme : Otez le péché, le Seigneur vient aussitôt s'unir à l'âme, il l'inonde de tant de grâces, il la presse et la sollicitude par des inspirations si suaves, si amoureuses, qu'il semble forcer son libre arbitre, tant il est difficile de résister à ses attraits si puissants et si délicieux! Plus l'homme s'approchera de Dieu, plus il éprouvera la vérité de ces paroles."
IX. – Des trois degrés de la voie de l'amour. "Jésus disait un jour notre sainte, voyant l'homme si contraire à Dieu en son intérieur et en son extérieur, voudrait pouvoir enchaîner son activité et anéantir toutes ses opérations. Mais cela ne se peut; car la créature ne saurait être à la fois morte et vive. Que l'homme donc, s'il ne veut pas être ingrat, corresponde librement à l'immense amour de Dieu et suive la droite voie qui mène à l'union divine.
Il y a dans cette voie trois degrés, trois états de purgation." Le premier état dépouille l'âme de tous ses vêtements, au -dedans et au dehors, c'est-à-dire il lui enlève les empêchements à l'action du pur amour. " Dans le second état, l'âme demeure en paix et jouit continuellement de Dieu, au moyen des lectures, des méditations et des contemplations; elle apprend beaucoup de secrets, elle savoure avec délices cette nourriture qui la fait se perdre peu à peu en Dieu. Le Seigneur, ne trouvant plus en elle aucun empêchement intérieur ou extérieur, lui accorde, en grande abondance, des grâces particulières." Dans le premier état, l'homme se rapprochait de Dieu par la violence qu'il se faisait pour s'affranchir de tous les empêchements; dans le second, il en jouit avec beaucoup de consolations spirituelles.
"Ces consolations font sortir l'âme d'elle-même; elle passe alors au troisième état ou degré, lequel est plus élevé que les deux autres. Elle ne sait plus où elle en est; elle possède un grand contentement et une paix profonde; mais elle demeure dans une sorte de confusion intérieur, parce qu'elle ne participe plus avec Dieu au moyen des sentiments, comme auparavant. C'est Dieu qui opère en elle d'une façon supérieure à notre intelligence; l'âme elle-même demeure l'action divine. " Et quand Dieu trouve une âme qui ne se meut point, c'est-à-dire qui ne veut pas se mouvoir en elle-même, il agit à sa manière, il fait en elle de grandes choses, car il sait qu'elle n'en abusera jamais, parce qu'elle a renoncé sans retour à tout ce qu'elle avait de science, de vues particulières et de puissance d'action. " Le Seigneur ôte à cette âme la clé de ses trésors; il la lui avait donnée afin qu'elle en jouit, et il lui donne maintenant le soin et l'occupation de sa présence qui l'absorbe entièrement. De cette présence sortent ensuite des rayons embrasés de l'amour divin; mais tellement pénétrants, tellement forts et véhéments, qu'il semble qu'ils devraient anéantir non seulement le corps, mais encore l'âme elle-même si la chose était possible."
X. – Dieu est la source de toute bonté et il y fait participer ses créatures. " J'ai eu, dit un jour Catherine, une vue [2], qui m'a causé une immense satisfaction. La source vive de toute bonté m'a été montrée en Dieu; je la vis d'abord en lui seul, et sans qu'aucune créature y participât. Puis j'assistai à la création de cette belle et glorieuse compagnie des anges, que le Seigneur fit afin qu'elle jouit de sa gloire ineffable ; il ne demanda aux anges, en retour de ses bienfaits, que de reconnaître qu'ils sont les créatures de sa bonté, et qu'ils tiennent leur être de lui seul, sans lequel toutes choses se réduisent à un pur néant. " J'en dis autant de l'âme humaine; elle aussi a été créée immortelle et destinée à la même béatitude. " Et lorsqu'une partie des anges tombèrent dans le péché par orgueil et par désobéissance, Dieu leur ôta la participation de sa bonté, qu'il leur avait gratuitement donnée, et ils devinrent horribles et monstrueux à un point qui surpasse toute imagination. " Pour ce qui est de l'homme, tant qu'il est dans cette vie, le Seigneur le supporte et le fait largement à sa miséricorde, bien que pêcheur. Il permet que nous soyons dans la peine et l'affliction, ou dans la joie et la consolation, suivant qu'il voit que cela nous est utile et profitable. " Mais, si au sortir de cette vie nous étions trouvés en péché mortel (ce dont le ciel nous préserve), alors Dieu retirerait de nous cette miséricorde et nous livrerait à nous-mêmes; non pas entièrement cependant, car il veut qu'en tous lieux on retrouve, à côté de sa justice, un reflet de sa bonté et, s'il existait une créature qui en fût entièrement exclue, elle serait presque aussi perverse que Dieu est parfait. " Je dis ceci, parce que le Seigneur a voulu que je susse ce qu'est l'homme sans Dieu, c'est-à-dire l'homme plongé dans le péché mortel. L'âme est alors bien plus abominable qu'on ne peut se le figurer."
D'après cela l'on ne saurait s'étonner lorsque je dis qu'il me faut vivre comme sans moi-même, c'est-à-dire sans mouvement propre de la volonté, de l'entendement et de la mémoire. Quelque chose que je fasse, je ne sais ni ne sens en mon intérieur que cela vienne de moi, et je vois cette chose plus éloignée du fond de mon coeur que le ciel ne l'est de la terre. Si quelque objet ou quelque occupation pouvait entrer en moi et me plaire, j'en éprouverais une intolérable angoisse; ce serait reculer vers ce qui m'a été montré comme devant être consumé et détruit. " Il faut que toutes les inclinaisons naturelles du corps et de l'âme disparaissent, et qu'il ne reste aucun vestige de ce qu'il y a de propre en nous; cela est nécessaire, vu la terrible malignité de notre être.
Si Dieu la consumait lui-même, nous ne nous déchargerions jamais de ce poids infernal... Mais il nous aide avec une constance, une sollicitude et un amour infinis... Il ne cesse jamais de heurter au coeur de l'homme pour y entrer et le sanctifier, il vient à nous sans acception de personnes..., il nous appelle et nous attire tous, les bons comme les méchants..." Telles sont les principales instructions données par sainte Catherine pendant ses extases, et dont ses fils spirituels nous ont conservé le souvenir.
[1] Nous avons dit précédemment que Catherine emploie souvent le terme humanité lorsqu'elle parle du corps et des instinct naturels.
[2] Ce mot de vue a une signification plus étendue et plus profonde que le terme vision.
Humilité de Catherine. Extase et visions
Le sublime édifice de la perfection de Catherine avait pour base et pour fondement l'humilité la plus profonde : la basse opinion qu'elle avait d'elle-même lui avait valu ce trésor. Nous avons eu l'occasion de dire précédemment que l'abjection et le mépris faisaient ses édifices, qu'elle se réjouissait des opprobres et des injures, et que jamais elle ne s'excusait lorsqu'on lui adressait des reproches.
Elle s'oubliait entièrement et elle désirait que les autre en firent autant. Jamais elle ne parlait d'elle-même, ni en bien ni en mal; et, quand la conversation exigeait qu'elle fit mention de sa personne elle employait le nous au lieu du moi. De même, elle ne se nommait point et elle n'aimait pas que d'autres l'appelassent par son nom; et lorsqu'on lui en demandait la raison, elle répondait : " La mauvaise partie de l'homme n'est toujours charmée d'entendre désigner son individualité, et on ne saurait la mortifier davantage qu'en n'en faisant jamais aucune mention." En un mot, Catherine était si persuadée de son néant, que, lorsque quelqu'un s'avisait de parler d'elle-même en termes favorables, elle se disait : " Si les autres le connaissaient comme je te connais, ils ne prononceraient pas les paroles que tu viens d'entendre. Voici, ajoutait-elle, la loi que tu garderas invariablement : Quand tu entendras nommer ta personne en bien, tu reconnaîtras aussitôt qu'il ne saurait être question de toi; lorsque ; au contraire, ce sera en mal, tu te souviendras qu'on n'en saurait dire assez, et tu trouveras qu'on te fait beaucoup trop d'honneur : car, dire du mal de toi, c'est s'en occuper; et assurément tu n'en es pas digne. Enfin, en t'entendant appeler mauvaise par les autres,tu ne te fatigueras pas que tu puisses devenir bonne par toi-même, car ce serait de ta part une impardonnable présomption." Dieu sevrait parfois sainte de toutes les marques de son amour, et la laissait en proie aux tourments de l'aridité et de l'affliction. Elle se soumettait admirablement à cette douloureuse épreuve, et, loin de se plaindre, elle disait au Seigneur : " O mon Jésus, laissez-moi dans cet état, nue et dépouillée de tout, afin que je vous sois parfaitement soumise et que mon être propre ne puisse plus se remuer, car s'il le pouvait, il ne ferait que des sottises". Catherine non seulement n'estimait pas ce que le monde aime et admire, mais encore elle évitait et s'efforçait de fuir ce que des âmes privilégiées, moins dépouillées que la sienne, considèrent comme de grandes grâces. Nous avons vu précédemment que, dès sa jeunesse, elle avait prié Dieu de lui retirer les visions et les ravissements. Cependant le Seigneur, après lui avoir enseigné la haine d'elle-même et le renoncement à la volonté propre et aux désirs de la chair et de l'esprit, la combla, malgré elle, de dons surnaturels, la ravit fréquemment en extase, et la récréa par de célestes visions. Catherine se faisait inutilement violence pour s'y soustraire.
Aussitôt qu'elle éprouvait les impressions qui précèdent ces faveurs extraordinaires, elle s'infligeait de grands tourments physiques, pour en prévenir l'effet; c'était en vain, jamais elle n'y réussissait; l'esprit divin faisait invasion et elle l'entraînait. Quand elle revenait à son état naturel, elle était si faible et si languissante, à la suite de ses résistances, que souvent elle semblait prête à rendre le dernier soupir, et ne vivre que par miracle. Tant qu'elle conserva les forces de la jeunesse, elle allait se cacher dans quelque lieu retiré, aussitôt que les symptômes avant-coureurs de l'extase se manifestaient ; et ses seuls familiers, qui l'épiaient avec une sainte curiosité, étaient témoins de ce qui lui arrivait. Devenue âgée et infirme, et trahie par sa faiblesse, il ne lui fut plus possible de celer les faveurs célestes dont elle était l'objet, et Dieu se plut à les manifester à tous les regards. Alors, cependant, encore, la sainte avait recours à toutes sortes d'industries pour se débarrasser de la gloire qui pouvait lui en revenir. Elle parlait de ses ravissements comme d'un état maladif, et les désignait sous le nom de vertiges. Mais, si cet humble stratagème pouvait tromper les ignorants, il n'en fut pas de même des personnes éclairées dans les voies de Dieu. Cataneo Marabotto entre autres, d'abord fils spirituel, puis directeur de Catherine, voyait les opérations de la grâce dans tout ce qui arrivait à sa pénitente. Il nous en a laissé le récit dans la Biographie de Catherine. Ce fut lui, également, qui obligea la sainte à écrire son Traité du Purgatoire et ses Dialogues. Catherine parlait souvent pendant ses extases. D'ordinaire, ses voisins avaient pour objet l'immense amour de Dieu envers les hommes; la gloire qu'il réserve à ceux qui l'aiment; la sagesse de la Providence, qui sait distribuer à chacun les moyens les plus propres pour le faire arriver au ciel; le prix et la dignité de la grâce; l'ingratitude par laquelle la plupart des hommes payent si grands bienfaits, ingratitude qui sera dévoilée au jugement dernier; pour prouver que les coupables sont indignes de miséricorde. Les témoins contemporains rapportent que, quand Catherine, ravie hors d'elle-même, commençait à parler de l'amour divin, son visage devenait radieux et semblable à celui de ces esprits bienheureux qui sont sans cesse le trône du Très Haut. Lorsqu'on entendait la doctrine admirable qui coulait de ses lèvres, on croyait assister aux leçons d'un chérubin initié aux mystères du ciel. Ceux qui entouraient la sainte, dit encore notre vieil historien, versaient des larmes d'admiration. Ils demeuraient plongés dans une sorte de stupeur, en présence de cette sagesse surnaturelle, qui lui inspirait les mots propres à expliquer les choses les plus augustes et les plus supérieures à l'intelligence humaine. Et cependant elle déclarait elle-même que tout ce qu'elle pouvait dire était bien loin d'exprimer la moindre partie des secrets célestes que Dieu lui communiquait et des merveilles qu'il lui découvrait. " Hélas! s'écriait-elle alors, le langage par lequel on pourrait faire entendre aux autres ce que c'est que l'union entre la créature et le Créateur est perdu!..." Cattaneo Marabotto, Hector Vernaccia et plusieurs des enfants spirituels de Catherine ont recueilli un grand nombre des enseignements qu'elle a donnés et des paroles qu'elle a prononcées pendant ses extases. Ils nous font comprendre davantage la vie intérieure de cette âme privilégiée, la grandeur et l'intelligence de son amour, et la perfection de son dépouillement. Les moindres lumières sont ici très précieuses; car il s'agit d'une créature que Dieu avait menée par des voies tout exceptionnelles, et qui, revêtue encore d'une chair mortelle, était arrivée à une union peu différente de celle dont jouissent les habitants de la céleste Jérusalem. Pour rendre les instructions de Catherine plus faciles à saisir, nous les divisons en paragraphes, et nous réunissons sous les mêmes titres les traits épars qui appartiennent à un même sujet.
I. – Du soin Amoureux avec lequel, Dieu cherche et attire les âmes, et les dangers de la volonté propre. Le soin extrême avec lequel Dieu opère pour attirer les âmes était un des sujets auxquels Catherine revenait le plus fréquemment dans ses ravissements. Elle se sentait poussée à convier tout ce qui existe à rendre amour pour amour à ce Dieu si plein de souci pour notre salut; elle eût voulu communiquer à tous les hommes les flammes qui la consumaient, et les arracher à leur torpeur, à leur ingratitude, à toute volonté propre; en un mot, à tous les instinct bas et rampants de la nature. " Lorsque je considère, disait-elle, la sollicitude avec laquelle la bonté divine nous donne ce qui nous est nécessaire pour nous faire arriver en son pays, je suis quasi contrainte de dire que Dieu semble être notre serviteur. Ce Dieu de gloire a des soins infinis pour sa créature; et nous, dont l'utilité ou le dommage sont un jeu, nous n'en faisons point de cas. Hélas! comment se peut-il que nous ne tenions pas compte de ce que Dieu estime et prise tant ? O pauvre homme! comment emploies-tu le temps précieux qui doit te servir pour acheter le paradis ?
Que fais-tu de toi-même, toi qui ne dois avoir d'autre emploi que de pourvoir au salut de ton âme ? Que fais-tu de cette âme destinée à s'unir à Dieu par l'amour ? Tu te retournes entièrement vers la terre, et celle-ci produit une semence et un fruit qui se mangent avec les noirs habitants de l'abîme, au milieu d'un désespoir éternel! Tu sauras un jour qu'il n'avait tenu qu'à toi de posséder la gloire pour laquelle tu as été créé; les inspirations de ton Dieu t'y appelaient. Ah! si tu reconnaissais combien il importe de ne pas rester souillé d'un seul péché, tu te plongerais dans une fournaise ardente plutôt que de le commettre; s'il fallait pour le fuir te jeter dans les dernières profondeurs d'un océan de feu, tu n'hésiterais pas, et jamais tu ne sortirais de cette mer, si tu savais que tu dusses rencontrer le péché sur ses bords! " Mais, hélas! la partie propre de l'homme est si contraire, si rebelle à Dieu, que le Seigneur ne réussit presque pas à lui faire faire sa volonté! Il n'y parvient qu'à force d'adresse, en lui promettant des choses plus grandes que celles qu'elle laisse, et en lui en donnant même quelque avant-goût dans la vie présente.
Et malgré cela, cette partie propre chercherait toujours à s'enfuir, si Dieu ne la retenait par des grâces intérieures; car l'aiguillon au mal qui nous est resté par suite du péché originel et du péché actuel voulu et consenti attire continuellement nos sens aux choses de la terre. " Adam préféra sa volonté à celle de Dieu; il faut au contraire que le vouloir divin efface et détruise le nôtre; notre mauvaise inclinaison s'y oppose lorsqu'elle est livrée à elle-même; il est donc fort utile que, pour l'amour de Dieu, nous nous soumettions à quelque personne, afin de faire purement et droitement la volonté d'autrui plutôt que la nôtre. Plus nous nous y assujettirons, plus aussi nous nous trouverons dans la vraie liberté et délivrés du poison de la volonté propre. " Celle-ci est si subtile, si fine et si malicieuse, si intime et profondément enracinée en nous, elle se couvre de tant de moyens et se défend par tant de raisons, qu'il semble en vérité que ce soit un démon. Quand nous ne la pouvons faire d'une sorte, nous la faisons d'une autre, sous une foule de beaux prétextes; nous mettons en avant la charité, la nécessité, la justice, la perfection, le désir de souffrir pour l"amour de Dieu, de trouver quelque consolation spirituelle, ou de donner bon exemple au prochain et de condescendre à ses exigences, les besoins de la santé, etc. Dieu, qui connaît et qui voit toutes ces misères, en a grande compassion et ne cesse pas de nous envoyer de bonnes inspirations pour nous en délivrer, sans cependant contraindre jamais notre franc arbitre. Mais, tout en respectant la liberté de l'homme, il l'incline et la dispose, en l'attirant doucement par d'amoureuses voies. " Lorsque enfin l'âme ouvre alors son entendement, et voit le grand soin que Dieu a d'elle, elle s'écrie dans son admiration : " Il semble, ô Seigneur, que vous n'ayez autre chose à faire qu'à penser à moi! Qui suis-je, moi, dont vous avez tant de souci ? et comment ne tiendrai-je pas compte de ce que vous estimez tant ? Ah! désormais je demeurerai toujours sujette à vos commandements et attentive aux inspirations que vous daignez m'envoyer, par des voies et des moyens si divers!".
II. – De l'amour-propre et de l'amour divin. Notre Seigneur a dit que la bouche parle de l'abondance du coeur. Nous avons essayé de faire connaître les effets que l'amour divin avait produits dans l'âme de Catherine, et nous pouvons conclure, de ce qui a été exposé, que personne n'était plus capable que notre sainte de s'exprimer sur cet amour. " Le vrai amour, disait-elle un jour, est de si grande force, qu'il ne peut savoir ce que sont la peine et le tourment; il ne sent autre chose que lui-même. C'est en vain qu'on veut lui faire prendre intérêt à ce qui a rapport à ce monde, il demeure immobile et immuable comme un mort. Tout ce qu'on peut dire de cet amour n'est rien en comparaison de la réalité; tout ce qu'on en peut entendre est qu'il ne saurait se comprendre avec l'entendement. J'en conclus que les mots sont impuissants à donner la moindre intelligence de l'amour, et que c'est peine perdue que d'essayer d'en parler. " Le contraire du pur amour est l'amour- propre, et, comme il a Satan pour maître et pour seigneur, on devrait le nommer haine propre ; il fait faire à l'homme tout le mal qu'il peut et finit par le précipiter en enfer. Il est tellement incorporé à l'âme et à l'humanité [1], qu'il semble impossible de s'en purger entièrement dans cette vie. L'amour-propre ne se soucie du dommage ni de l'âme ni du corps; il ne tient compte ni du prochain, ni de la réputation, ni de la fortune; il n'a en vue que sa volonté. Pour y satisfaire il est cruel à soi-même et aux autres, et il refuse de se soumettre, quels que soient les empêchements qu'il rencontre, ou les oppositions qu'il soulève. " Quand il a délibéré de faire quelque chose, la flatterie, les menaces, la crainte des plus grands malheurs, sont impuissantes à modifier sa volonté ; la perspective de la servitude, de la pauvreté, de l'infamie, de la maladie, de la mort, du purgatoire et de l'enfer, ne l'arrête pas dans la poursuite de son objet : il ne pense, n'est attentif, n'a d'égard qu'à cela; il ne parle pas d'autre chose, il se moque du reste, le répute bien et l'estime comme n'existant pas. " Il est un larron si adroit qu'il dérobe même à Dieu sans en éprouver de remords; il s'attribue ce qui appartient au Seigneur; mais il le fait d'une façon cachée, et sous forme de bien. Les yeux si clairvoyants du vrai amour sont alors seuls capable de découvrir le larcin... L'amour-propre spirituel est infiniment plus dangereux que le charnel; c'est le plus pénétrant des poissons; il se retranche derrière une infinité de subtilités, de sorte que peu d'hommes s'en garantissent et lui échappent. Non seulement ils ne s'en aperçoivent pas; mais ils considèrent comme salutaire ce qui est en réalité le plus grand obstacle à leur bien, et ils se réjouissent de ce dont ils devraient pleurer. Qu'on le sache bien, l'amour-propre spirituel est la racine de tous les malheurs qui puissent nous atteindre en ce monde et en l'autre. Lucifer est tombé pour avoir cédé à cet amour pervers. De notre premier père il a passé en nous, il circule dans nos veines, il a pénétré jusqu'à la moelle de nos os; il infuse de son venin mortel toutes nos actions, nos paroles et même nos pensées. Dieu seul peut porter remède à cette grande et incurable maladie, et s'il ne le fait par sa grâce en ce monde, il faudra, malgré nous, que nous nous en dépouillions en purgatoire; car il est nécessaire qu'avant de voir la face du Seigneur nous soyons lavés de toutes nos souillures, de manière à demeurer parfaitement nets. " Mais si l'amour-propre a assez de force pour pousser l'homme à ne faire cas ni de la mort, ni de la vie, ni de l'enfer, ni du paradis, quelle sera donc la puissance de l'amour divin, qui est Dieu même ? " Lorsque cet amour, dont la bonté surpasse toute mesure, s'est répandu dans nos coeurs, il agit au contraire de l'amour-propre : il a soin de tout ce qui tourne au profit de l'âme, du corps et du prochain ; l'honneur et le bien d'autrui lui sont précieux, il se montre aimable, bénin et gracieux en toutes choses et envers tous; il ne connaît d'autre volonté que celle de Dieu; il met l'homme en si grande liberté, paix et contentement, que, dès cette vie, il lui semble être en paradis. Cet amour est vraiment celui que nous devrions nommer notre propre amour; il nous sépare du monde et de nous-mêmes pour nous unir au Seigneur, il nous grandit et nous élève au-dessus de toutes les créatures et de tous les désirs. S'il advenait une fois que l'homme qui aime perdit par quelque faute cet amour si doux qu'il a goûté, il ne reculerait devant rien pour le retrouver; car son supplice et son tourment extrêmes seraient comparables à ceux des damnés. " En un mot, l'amour divin est un repos, une joie ineffable, il est toute notre vie; et l'amour-propre est une tristesse et une peine continuelles, il est notre mort en ce monde et en l'autre."
III. – Des trois voies que Dieu tient purifier les âmes. Nous trouvons, dans la plus ancienne biographie de notre sainte, une autre instruction qui jette également une grande lumière sur sa manière de considérer l'amour-propre. C'est celle dans laquelle Catherine indique les voies que Dieu emploie pour purifier la créature. Elle en compte trois. " La première voie que le Seigneur tienne pour purger une âme, dit-elle, est l'amour pur. Il le lui donne, et dès lors cette âme ne veut plus autre chose que cet amour. Celui-ci, étant parfaitement dépouillé et net, lui fait voir les plus légères traces et les traits les plus subtils de l'amour-propre. L'âme ne peut donc être trompée par ce dernier, et elle le réduit au désespoir en ne lui procurant aucun rafraîchissement spirituel ou corporel. De cette manière, l'amour-propre s'en va se consumant peu à peu; car, quiconque ne mange pas finit nécessairement par mourir; toutefois, la force et la malignité de cet amour sont telles, qu'il accompagne l'homme presque jusqu'à la fin de sa vie. Je m'aperçois de cela; car, de jour en jour, je sens consumer en moi plusieurs instincts qui autrefois me semblaient bons et excellents, et qui provenaient au contraire de l'infirmité spirituelle et corporelle que je pensais ne plus avoir. Heureusement l'amour pur a une vue tellement perçante, qu'il fait reconnaître enfin comme larcins et choses détestables ce que d'abord on tenait pour perfection... " La seconde voie que Dieu emploie pour purifier les âmes me plait infiniment plus que la première. Dans cette voie, le Seigneur occupe l'esprit de l'homme en grande peine et affliction; il lui donne la vue et la connaissance de lui-même ; il lui montre combien il est vil et abject. Cette vue le retient continuellement en très grande pauvreté, le dépouille de tout ce qui pourrait avoir goût et saveur de bien; de sorte que la partie propre ne se repaît en aucune façon. Ne pouvant se nourrir, il faut bien qu'elle se consume et qu'elle comprenne enfin que, pour sortir de son enfer, il est nécessaire que Dieu lui vienne en aide et la remplisse de lui-même. Et puis, lorsque le Seigneur lui fait la grâce de lui ôter la vue de sa désespérante nullité, elle demeure dans une paix profonde et comblée de consolation. " La troisième voie est la plus excellente de toutes. Dieu donne à la créature un esprit tout occupé de lui. Cet esprit ne pense alors qu'à Dieu seul, il lui est impossible de faire aucun cas des choses propres. Il est véritablement mort au monde, il ne se délecte en rien, il ne sait ce qu'il veut ni au ciel ni en terre. Un tel esprit est à la fois très riche et très pauvre. Ne pouvant rien s'approprier, ni se nourri de rien, il est nécessaire qu'il se consume et demeure enfin perdu en lui-même; il se retrouve en Dieu, où il était déjà, mais sans savoir comment."
IV. – De l'anéantissement de toutes les facultés en Dieu. Catherine était convaincue qu'à tout instant, en tout lieu et en toute manière, la bonté divine régit, gouverne et dispose toutes choses pour notre avantage. " Nous ne devons jamais désirer, disait-elle à ses fils spirituels, que ce qui nous advient de moment en moment, nous exerçant néanmoins toujours au bien; car celui qui ne voudrait pas s'y exercer et attendre ce que Dieu nous envoie tenterait Dieu. Mais, après avoir fait ce que nous pouvons de bien, acceptons tout ce qui nous arrive de la pure ordonnance de Notre-Seigneur, et réunissons-nous-y par la volonté. Le repos et l'union de notre volonté avec celle de Dieu nous procureraient le paradis dès la vie présente. " Plus l'homme se conforme au vouloir divin, plus il s'approche de la perfection; bienheureuse l'âme qui meurt volontairement à elle-même en toutes choses, parce qu'elle vit en tout pour Dieu, ou plutôt c'est Dieu qui vit en elle! " Le Seigneur s'empare alors de son libre arbitre et opère avec lui; il ne laisse plus venir en la volonté que ce qui lui plaît; et toutes les volontés étant ainsi réglées deviennent parfaites! " O anéantissement de la volonté ! ô vertu singulière! tu es une reine du ciel et de la terre, tu es indépendante de toutes les choses créées; rien au monde ne saurait t'affliger car toutes les peines et les douleurs proviennent de la propriété spirituelle ou temporelle ! " Si les hommes te connaissaient, ils auraient autant d'horreur de leur volonté propre que de Satan en personne; ils n'attacheraient plus aucune importance à leurs opinions, ils ne s'excuseraient jamais et jamais ils ne diraient plus : Telle chose est mienne! Mais l'important secret dont je parle ici n'est vu, n'est compris, goûté et senti que par un entendement humble et humilité; un tel entendement arrive bientôt à la perfection désirée. Dieu lui donne une lumière surnaturelle, qui lui fait voir les choses mieux qu'auparavant, avec une clarté et une certitude parfaites; cette lumière lui montre en un instant tout ce que Dieu veut qu'il connaisse, c'est-à-dire tout ce qui est nécessaire pour conduire la créature à une pureté parfaite. " La lumière divine dont nous parlons jette l'entendement du vieil homme, et quand il est ainsi abattu et prosterné, il ne désire plus autre chose et il dit au Seigneur : Soyez désormais mon intelligence; je saurai ce qu'il vous plaira que je sache, je ne chercherai plus rien, et mon esprit sera dans la paix.
L'homme ne comprend pas cette lumière, parce qu'elle est surnaturelle ; mais elle reste dans son âme, si agile et accompagnée de tant de délectation, qu'elle semble le faire participer à la nature des anges. " Pour bien voir spirituellement, il faut donc que nous arrachions les yeux de la présomption propre; et de même que celui qui regarde trop le soleil s'aveugle, de même aussi l'orgueil aveugle ceux qui veulent trop savoir avec leur entendement naturel. Quant à la mémoire, elle est incapable de retenir rien qui puise l'occuper, lorsque la volonté et l'entendement se sont perdus en Dieu. Elle oublie ce qu'on vient de lui dire et ce qu'elle a dit elle-même, surtout lorsqu'il est question des choses de ce monde. Mais le Seigneur pourvoit à tout ce qui est de nécessité, il avertit à propos la créature et ne lui laisse faire aucun excès; quand le moment en est venu, il semble qu'elle ait quelqu'un à l'oreille, qui lui rappelle fidèlement ce qu'elle doit faire. Telle est la merveilleuse providence de Dieu envers l'âme unie avec lui par le lien de l'amour. Et le Seigneur fait cela afin que rien ne puisse opposer d'obstacle à l'esprit, il ne permet à la mémoire de s'arrêter en rien de bien ou de mal; c'est tout comme si elle n'existait pas. Mais en échange, il donne à l'esprit une certaine occupation intérieure, en laquelle il le tient noyé et abîmé, dans une tranquillité parfaite. L'âme demeure toute transformée en Dieu, lequel la dirige et la remplit à sa façon. Qui pourrait imaginer ce que sent alors cette créature ? Si elle était capable de dire ce qu'elle éprouve, ses expressions seraient bouillantes au point d'enflammer des coeurs de pierre.
Perdue en Dieu, elle reconnaît que toute volonté est peine, toute intelligence ennui, toute mémoire empêchement. Elle perd l'opération et la vigueur des sentiments corporels. Rien sur la terre ne saurait lui donner plaisir, délectation ou peine; elle ne se réjouit ni ne se contriste, lorsqu'elle voit quelque chose qui, de sa nature, est propre à causer de la joie ou de l'affliction. Il n'y a plus de correspondance à causer de la joie ou de l'affliction. Il n'y a plus de correspondance aux sentiments corporels dans l'âme transformée en Dieu; leurs goûts sont sans saveur; leurs désirs sont éteints ou mortifiés, elle les laisse mourir peu à peu et n'en a pas la moindre compassion; elle ne comprend plus les choses comme elle les comprenait jadis, et, quand elle entend dire qu'elles sont bonnes, elle ne sait plus du tout de quelle sorte de bonté il peut être question.
L'âme et le corps étant aliénés de leurs opérations habituelles, vivent en quelques sorte par force, et d'une manière opposée à leur nature. Ceux auxquels Catherine avait adressé ces paroles lui en témoignèrent leur étonnement; ce discours leur avait paru dur à entendre. La destruction complète du vieil homme et de toute propriété a quelque chose d'effrayant pour l'égoïsme.
La sainte voulut alors en faire comprendre l'avantage, et compléter sa pensée au moyen d'une similitude. " Prenez un pain, dit-elle, et mangez-le; après que vous l'avez mangé, sa substance passe en nourriture; la nature rejette le reste comme chose inutile, qui deviendrait pernicieuse au corps, et finirait par le faire mourir en y restant. Or, si ce pain vous disait : Pourquoi m'ôtes-tu de mon être propre ? Il me déplait de me voir anéantir de la sorte, et si je pouvais me défendre de toi, je le ferais pour me conserver, ce qui est naturel à toute créature! Vous lui répondriez : Pain, tu es destiné à sustenter mon corps, lequel est plus élevé en dignité que toi; donc tu dois être plus satisfait d'arriver à la fin pour laquelle tu as été créé, que de jouir de ton être propre; car cet être ne se peut estimer qu'en vue de sa fin, en dehors de laquelle il est une chose morte et superflue, bonne à être rejetée. Le but pour lequel tu as été fait te donne donc tout ton mérite, et tu n'arrives à l'acquérir que par ton anéantissement. Par conséquent si tu vis pour arriver à ton but tu ne dois pas te soucier de ton être propre; et tu dois dire au contraire : Hâtez-vous de m'en tirer et de me mettre en l'opération de la fin pour laquelle j'ai été créé. " Voilà ce que vous diriez au pain. Or, c'est là ce que Dieu fait de l'homme, dont la fin est la vie éternelle. Le pain, avons-nous dit, subit une double opération, par laquelle ce qu'il a de bon passe en substance, et ce qu'il a de superflu est rejeté. Il en est de même de nous. " L'homme, composé d'âme et de corps, était si pur en sa première création, qu'il n'avait rien en lui de mauvais ou d'inutile; et, sans le péché, il eût atteint, avec cette pureté parfaite, la fin pour laquelle Dieu lui a donné l'être. Mais le péché a corrompu l'homme, affaibli son franc arbitre, et lui a donné une telle inclinaison au mal, que, privés de la grâce, nous ne pourrions la vaincre, ni connaître tous nos instincts dépravés. L'âme, voyant sa dangereuse maladie, doit se dire :
Je ne puis que si le Seigneur prend soin de moi; je m'offre donc à lui avec mon corps et tout ce que j'ai ou puis avoir. Qu'il fasse de moi ce que je fais du pain : quand je l'ai mangé, la nature retient la bonne substance et rejette le reste. " Dieu emploie alors des moyens doux et pleins de grâce pour exciter notre partie propre à se laisser anéantir; il taille et coupe peu à peu les racines et les branches de l'arbre, c'est-à-dire nos penchants désordonnés. L'homme ne s'en aperçoit pas, seulement il voit que les choses extérieures n'ont plus d'attrait pour lui; il n'a plus qu'un seul sentiment, le contentement de ce que le Seigneur fasse de lui tout ce qui lui plaît.
Dieu, ayant pris ce soin, tient l'âme si fort occupée de lui, qu'elle laisse le corps dans l'abandon le plus complet. " Les méchantes dispositions et les humeurs des mauvaises habitudes se consument et s'anéantissent; alors enfin l'âme est reine et maîtresse de l'humanité, et celle-ci obéit en paix. " Vous me direz peut-être que telle chose semble fort difficile; mais je vous réponds qu'il est impossible que cela n'arrive pas, à la suite de l'occupation de l'âme en Dieu, dont je viens de vous parler. " Lorsque vous coupez les racines d'un arbre, il faut qu'il sèche de même quand l'âme est séparée du corps, et qu'elle ne lui correspond ni par amour, ni par délectation, il faut que les instincts propres à ce dernier meurent et qu'il perde lui-même sa vigueur. " Que fera donc le corps, lorsque les opérations de l'âme se sont retirées ainsi des choses matérielles et terrestres ? Il sera comme un oiseau sans plumes qui ne peut plus voler; il demeura presque privé de sentiment, réduit à la plus grande mortification, ne sachant plus s'il est mort ou vif. Son être naturel et malin sera si complètement anéanti, que, si même l'âme lui rendait alors sa liberté d'action, il ne pourrait plus faire ce que ce qu'elle veut. Quant à l'âme, elle vivra quasi sans corps; elle connaîtra sa puissance et sa noblesse par la correspondance divine, et elle s'émerveillera qu'on puisse s'occuper et se délecter ailleurs qu'en Dieu. Les Actes des Martyrs renferment d'étonnants détails; la connaissance et le sentiment qu'avaient les premiers chrétiens de la dignité de l'âme ne leur permettaient pas d'estimer les tourments. Aux yeux des hommes qui ne considèrent que l'oeuvre extérieure, ces supplices étaient épouvantables; les héros de la foi, au contraire, n'eussent pas même pu leur donner le nom de tourments, tant leurs cœurs étaient pleins d'ardeur et de joie."
Mais, pour en revenir à notre comparaison du pain qui se mange, et dont une partie se retient, tandis que l'autre se rejette, je dis que l'âme, par l'opération de Dieu, jette hors du corps les inutilités et les habitudes vicieuses, fruits du péché, et qu'elle retient en soi le corps purifié. Celui-ci opère ensuite avec les sens également purifiés. " Après que l'âme a consommé, par la grâce de Dieu, toutes les mauvaises inclinaisons du corps, le Seigneur consume aussi toutes les imperfections de l'âme... il va, ordonnant et disposant ses puissances, jusqu'à ce qu'il ait dépouillées de leurs opérations propres, et qu'elle demeure vide de toute propriété spirituelle et parfaitement nette en la présence de son Créateur. Dieu verse et répand en elle des dons et des grâces qui, loin de lui défaillir jamais, vont croissant et augmentant sans cesse. Alors elle demeure fixée en lui avec un amour pur, net et simple; aimant le Seigneur pour lui-même, et sans considération d'aucune récompense ni d'aucune peine. C'est ainsi que Dieu doit être aimé; mais cet amour si pur surpasse l'entendement et ne saurait s'exprimer par le langage humain ; tout ce qu'on peut dire de cet état, c'est le mot de saint Paul : Je vis maintenant, non pas moi, mais Jésus-Christ en moi. " L'âme ne pense plus ni à elle ni à son corps ; elle n'a plus d'objet, d'élection, de désir, ni au ciel ni en terre; elle ne voit plus que ce point d'amour net de Dieu, et en Dieu; elle ne peut aimer que ce que Dieu veut qu'elle aime."
V. – Du libre arbitre. On a dit de Catherine qu'elle semblait avoir reçu la mission de réfuter à l'avance les erreurs les plus monstrueuses de Luther et de Calvin.
Il est connu que ces deux hérétiques font de Dieu le véritable auteur du péché : le premier en niant le libre arbitre de l"homme; le second en admettant la prédestination au bien ou au mal. Le confesseur de la sainte nous a conservé une courte explication qu'elle a donnée relativement à cette question, l'une des plus épineuses et des plus difficiles de la théologie.
"Dieu, disait-elle, incite premièrement l'homme à se retirer du péché; ensuite il illumine l'entendement par la lumière de la foi, et puis il enflamme la volonté au moyen de quelque goût et saveur. Dieu accomplit cette triple opération en un instant, et plus rapidement qu'on ne saurait le dire; il la fait plus ou moins dans les hommes, selon qu'il voit le fruit qui en doit résulter; mais il accorde à chacun assez de lumières et de grâces pour qu'il puisse se sauver, en faisant ce qui est en lui et en donnant son consentement. Quant à ce consentement il suffit, après l'opération divine, que la créature se livre au Seigneur, afin qu'il fasse d'elle ce qui lui plait et qu'elle soit résolue à ne plus pécher, et à quitter toutes les choses du monde pour l'amour du Très-Haut. L'assentiment a lieu aussitôt que la volonté de l'homme se joint et s'unit à celle de Dieu, et sans même qu'il s'en aperçoive; il ne voit pas son consentement; mais il lui reste une puissante impression intérieure pour l'effectuer. Cette union en esprit lie l'homme avec Dieu d'un lien pour ainsi dire indissoluble; car, après que le Seigneur a parlé et après le consentement de la créature, il agit presque seul, et si elle se laisse guider, si elle obéit à l'inspiration qui lui est envoyée, il l'ordonne, la mène et la conduit à la perfection à laquelle il l'a destinée. O franc arbitre, que de bien et que de mal tu causes! Si tu te privais de toi-même pour l'amour de Dieu, tu te trouverais bientôt en liberté, et cette liberté tu ne la perdrais plus ; tu reconnaîtrais clairement, dès la vie présente, que servir Dieu, c'est véritablement régner. Car Dieu, délivrant l'homme du péché qui le tient en servitude, le tire de toute subjection et le met en vraie liberté. Autrement la créature va toujours de désir en désir; jamais elle ne demeure satisfaite : plus elle a, plus elle veut avoir; plus elle cherche à se contenter, moins elle se trouve contente. Celui qui désire est possédé de la chose qu'il aime ; il s'est vendu à elle, et, tout en se croyant libre lorsqu'il suit ses appétits et offense Dieu, il se fait serf de l'enfer pour l' éternité. Considère donc, ô homme, quelle est la force et la puissance de notre libre arbitre; il contient en soi les deux choses les plus extrêmes et les plus contraires, à savoir : la mort ou la vie éternelle, et il ne peut être forcé de personne, s'il ne le veut. Penses-y, tandis qu'il en est temps, prends bon conseil et pourvois à tes affaires."
VI. – De la nécessité pour l'esprit purifié par Dieu de se perdre en lui. Une autre instruction, donnée par notre sainte à ses fils spirituels, pendant une de ses extases, et qui nous a été conservée par son premier biographe, peint admirablement les conditions dans lesquelles se trouve un esprit qui, comme celui de Catherine, a subi une purification parfaite. " Quand Dieu, disait-elle, a purifié un esprit des imperfections contractées par le péché originel et actuel, cet esprit est tiré au lieu pour lequel il a été créé; et, comme il est alors beau, pur, net et excellent, ce lieu ne peut être autre que Dieu lui-même, qui l'a fait à son image et à sa ressemblance; l'inclination et la conformité l'y poussent si vivement que, partout ailleurs, il se trouverait dans un véritable enfer. "
Cet esprit, purifié et perdu en Dieu, est chose si subtile et si anéantie en elle-même, que l'homme ne peut ni la connaître, ni la comprendre; il est semblable à une goutte d'eau jetée dans la mer; si vous essayiez de rechercher cette goutte, vous ne trouveriez que de l'eau de mer; et de même, si vous recherchiez cet esprit après qu'il s'est perdu en Dieu, vous ne le retrouveriez que devenu comme Dieu par participation. Mais alors l'âme qui reste unie au corps, se voyant privée de la correspondance de son esprit, demeure presque désespérée, elle ne peut plus user de ses puissances ; les délectations, les aliments spirituels et corporels dont elle se rassasiait autrefois avec autant de douceur que d'abondance, n'existent plus pour elle.
"Toutefois, si cet état est pénible pour la partie inférieure de l'âme, la partie supérieure y trouve, au contraire, une participation à la vie des bienheureux. Le comment de cette participation est inexprimable; vous ne le saurez que si votre esprit retourne à la pureté en laquelle il a été créé de Dieu. Pour y arriver, il faut que Dieu nous consume et nous anéantisse au dedans et au dehors; je veux dire par là : — qu'il est nécessaire que toute la vie intérieure de la créature soit cachée en Dieu; que de plus, il faut aussi qu'à l'extérieur l'homme soit comme aveugle, muet, sourd, sans goût, et qu'en un mot il reste comme privé de lui-même, de manière à paraître fou aux autres, et que ceux-ci soient tout ébahis de voir une créature ayant l'être, sans avoir la faculté d'opérer. C'est ce qu'exprime saint Paul, lorsqu'il dit (Col.III,3) : "Mortui estis, et vita vestra abscondita est cum Christo in Deo. Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ." " Une créature semblable demeure sur la terre, sans être sur la terre : — elle voit son esprit se sépare de plus en plus des choses corporelles, pour se recueillir en Dieu, où il jouit d'une grande et intime abondance, inconnue au reste des hommes. Souvent, en se voyant dans ce monde, et sujette à tant de contradictions, il lui prend envie de crier : " Seigneur, je ne puis plus demeurer en cette vie; cela me semble aussi difficile que de faire tenir le jonc ou le liège au fond de l'eau, sans le lier à quelque masse pesante." Mais le corps est la masse qui retient l'esprit attaché en cette vie. L'homme extérieur reste dans une ignorance complète touchant l'opération qui le consume et le dirige sans qu'il s'en mêle. On peut appliquer à ceux qui se trouvent dans cet état le passage de l'Evangile (Mat. V) : Beati pauperes spiritu, quoniam ipsorum est regnum coelorum : Bienheureux les pauvres d'esprit, car le royaume des cieux est à eux."
VII. – De la manière dont Dieu attire l'homme par de douces voies, ne voulant pas le posséder par propriété ou par crainte, mais par foi et par amour.
Lorsque Catherine, qui respirait déjà l'atmosphère pure du ciel, venait à contempler tant de malheureux collés à la matière et enfoncés dans le bourbier des passions sans songer à en sortir, elle se sentait prise pour eux de la pitié la plus profonde. " Si l'homme, disait-elle, voyait ce que Dieu destine, dans la vie future, aux âmes pures, s'il pouvait se représenter la gloire et la béatitude du paradis, il ferait si bien, dût-il vivre jusqu'à la consommation des siècles, que jamais il n'emploierait et n'occuperait sa mémoire,, son entendement et sa volonté qu'aux choses célestes. Si, d'une part, la créature savait les épouvantables souffrances qu'elle se prépare en mourant dans la hideuse misère du péché. Je suis convaincue qu'elle se laisserait broyer et mettre en poudre, et qu'elle consentirait à endurer ce supplice jusqu'au jour du jugement, plutôt que d'offenser Dieu. Mais le Seigneur ne veut pas que l'homme se garde de mal faire par crainte; l'amour doit seul le retenir, et c'est pourquoi les supplices de l'enfer ne lui sont pas montrés car, s'il apercevait un tel spectacle, la terreur posséderait exclusivement et à jamais son coeur. Toutefois, Dieu laisse voir en partie les douleurs et les misères éternelles à ceux qui sont absorbés par son pur amour, au point d'être supérieurs au sentiment de la peur. " Dieu nous prodigue intérieurement et extérieurement tout ce qui est nécessaire à notre salut; mais la plupart des hommes sont occupés de choses de rien, inutiles, mauvaises et sans valeur, et vivent pour satisfaire leurs désirs charnels. Ils auront, au moment de la mort, une vue si claire et si pénétrante, si horrible et si difforme de leurs défauts, qu'ils ne pourront se supporter eux-mêmes." Je ne saurais comprendre comment il se fait que la créature soit assez hors de sens pour ne pas songer à la seule affaire véritablement importante. Elle y pensera quand il sera trop tard et lorsque Dieu lui dira : O homme! est-il une chose que j'aie pu faire pour toi et que j'aie négligée ? Elle verra clairement alors toutes les grâces dont elle n'a pas profité, et je crois qu'elle en rendra un compte plus rigoureux que tous ses autres péchés."
VIII. – De la contrariété qui existe entre le péché et Dieu. "Quelque transformée en Dieu que soit une âme, disait encore Catherine, elle n'est jamais si parfaite qu'elle n'ait continuellement besoin de l'aide du Seigneur; d'elle-même elle incline au mal; mais Dieu, qui est plein de douceur et de mansuétude, ne permet pas qu'elle tombe. Il soutient celles qui ne consentent point au péché; mais il laisse choir celles qui le commettent volontairement car, nous ayant donné le libre arbitre, il ne veut pas le contraindre. Celui qui pèche s'en doit donc attribuer la faute à lui seul; Dieu n'y est pour rien. " Le Seigneur est toujours prêt à nous assister, même après nos chutes, pourvu que l'âme tombée se laisse aider en correspondant à la grâce divine qui l'appelle et l'incite sans cesse. Quel que soit le péché dans lequel une âme s'est plongée, Notre Seigneur la relève et lui pardonne; il suffit pour cela qu'elle coopère avec la grâce prévenante, et que, contrite et repentante, elle forme le ferme propos de ne plus pécher. Dieu alors la garde et la tient, à moins que, par sa propre malice, elle ne se sépare de nouveau de lui, en consentant au mal et en cessant d'observer les commandements, qui sont l'expression de la volonté éternelle. " L'âme pécheresse est semblable à un oeil dans lequel s'est introduit un corps étranger, et qui, par conséquent, ne peut plus voir le soleil; cette comparaison se présente à mon esprit; mais elle ne donne qu'une faible idée de la réalité. Il faut que l'âme qui veut et doit être préservée du péché dans la vie présente, et glorifiée de Dieu dans la vie future, soit nette et pure, et qu'elle ne conserve volontairement rien de ce dont elle s'est entièrement lavée par contrition, confession et satisfaction; car toutes nos opérations propres sont imparfaites et défectueuses. Je vois clairement, de mon œil intérieur, qu'il faut que je vive sans moi-même en quelque sorte ; l'amour m'a fait connaître ce que je suis, et je le connais si bien, que je ne puis plus être trompée; aussi j'ai complètement abandonné ma partie propre, et je n'en fais pas plus d'estime que si elle était un démon. " Il n'y a dans la vie actuelle et dans l'existence à venir qu'un seul malheur réel, à savoir : le péché. Il procède de notre moi s'attachant à suivre ses inspirations et ses appétits. Il produit pour l'âme la privation de Dieu, du bien infini. Je vois dans le Tout-Puissant un tel penchant à s'unir à la créature raisonnable, faite par lui et à son image, que si le diable pouvait se délivrer de sa livrée de péché, le Seigneur l'élèverait à cette hauteur où Lucifer voulait monter par sa révolte, c'est-à-dire qu'il le ferait comme Dieu, non pas sans doute par nature ou par essence, mais par la participation de sa bonté. J'en dis autant de l'homme : Otez le péché, le Seigneur vient aussitôt s'unir à l'âme, il l'inonde de tant de grâces, il la presse et la sollicitude par des inspirations si suaves, si amoureuses, qu'il semble forcer son libre arbitre, tant il est difficile de résister à ses attraits si puissants et si délicieux! Plus l'homme s'approchera de Dieu, plus il éprouvera la vérité de ces paroles."
IX. – Des trois degrés de la voie de l'amour. "Jésus disait un jour notre sainte, voyant l'homme si contraire à Dieu en son intérieur et en son extérieur, voudrait pouvoir enchaîner son activité et anéantir toutes ses opérations. Mais cela ne se peut; car la créature ne saurait être à la fois morte et vive. Que l'homme donc, s'il ne veut pas être ingrat, corresponde librement à l'immense amour de Dieu et suive la droite voie qui mène à l'union divine.
Il y a dans cette voie trois degrés, trois états de purgation." Le premier état dépouille l'âme de tous ses vêtements, au -dedans et au dehors, c'est-à-dire il lui enlève les empêchements à l'action du pur amour. " Dans le second état, l'âme demeure en paix et jouit continuellement de Dieu, au moyen des lectures, des méditations et des contemplations; elle apprend beaucoup de secrets, elle savoure avec délices cette nourriture qui la fait se perdre peu à peu en Dieu. Le Seigneur, ne trouvant plus en elle aucun empêchement intérieur ou extérieur, lui accorde, en grande abondance, des grâces particulières." Dans le premier état, l'homme se rapprochait de Dieu par la violence qu'il se faisait pour s'affranchir de tous les empêchements; dans le second, il en jouit avec beaucoup de consolations spirituelles.
"Ces consolations font sortir l'âme d'elle-même; elle passe alors au troisième état ou degré, lequel est plus élevé que les deux autres. Elle ne sait plus où elle en est; elle possède un grand contentement et une paix profonde; mais elle demeure dans une sorte de confusion intérieur, parce qu'elle ne participe plus avec Dieu au moyen des sentiments, comme auparavant. C'est Dieu qui opère en elle d'une façon supérieure à notre intelligence; l'âme elle-même demeure l'action divine. " Et quand Dieu trouve une âme qui ne se meut point, c'est-à-dire qui ne veut pas se mouvoir en elle-même, il agit à sa manière, il fait en elle de grandes choses, car il sait qu'elle n'en abusera jamais, parce qu'elle a renoncé sans retour à tout ce qu'elle avait de science, de vues particulières et de puissance d'action. " Le Seigneur ôte à cette âme la clé de ses trésors; il la lui avait donnée afin qu'elle en jouit, et il lui donne maintenant le soin et l'occupation de sa présence qui l'absorbe entièrement. De cette présence sortent ensuite des rayons embrasés de l'amour divin; mais tellement pénétrants, tellement forts et véhéments, qu'il semble qu'ils devraient anéantir non seulement le corps, mais encore l'âme elle-même si la chose était possible."
X. – Dieu est la source de toute bonté et il y fait participer ses créatures. " J'ai eu, dit un jour Catherine, une vue [2], qui m'a causé une immense satisfaction. La source vive de toute bonté m'a été montrée en Dieu; je la vis d'abord en lui seul, et sans qu'aucune créature y participât. Puis j'assistai à la création de cette belle et glorieuse compagnie des anges, que le Seigneur fit afin qu'elle jouit de sa gloire ineffable ; il ne demanda aux anges, en retour de ses bienfaits, que de reconnaître qu'ils sont les créatures de sa bonté, et qu'ils tiennent leur être de lui seul, sans lequel toutes choses se réduisent à un pur néant. " J'en dis autant de l'âme humaine; elle aussi a été créée immortelle et destinée à la même béatitude. " Et lorsqu'une partie des anges tombèrent dans le péché par orgueil et par désobéissance, Dieu leur ôta la participation de sa bonté, qu'il leur avait gratuitement donnée, et ils devinrent horribles et monstrueux à un point qui surpasse toute imagination. " Pour ce qui est de l'homme, tant qu'il est dans cette vie, le Seigneur le supporte et le fait largement à sa miséricorde, bien que pêcheur. Il permet que nous soyons dans la peine et l'affliction, ou dans la joie et la consolation, suivant qu'il voit que cela nous est utile et profitable. " Mais, si au sortir de cette vie nous étions trouvés en péché mortel (ce dont le ciel nous préserve), alors Dieu retirerait de nous cette miséricorde et nous livrerait à nous-mêmes; non pas entièrement cependant, car il veut qu'en tous lieux on retrouve, à côté de sa justice, un reflet de sa bonté et, s'il existait une créature qui en fût entièrement exclue, elle serait presque aussi perverse que Dieu est parfait. " Je dis ceci, parce que le Seigneur a voulu que je susse ce qu'est l'homme sans Dieu, c'est-à-dire l'homme plongé dans le péché mortel. L'âme est alors bien plus abominable qu'on ne peut se le figurer."
D'après cela l'on ne saurait s'étonner lorsque je dis qu'il me faut vivre comme sans moi-même, c'est-à-dire sans mouvement propre de la volonté, de l'entendement et de la mémoire. Quelque chose que je fasse, je ne sais ni ne sens en mon intérieur que cela vienne de moi, et je vois cette chose plus éloignée du fond de mon coeur que le ciel ne l'est de la terre. Si quelque objet ou quelque occupation pouvait entrer en moi et me plaire, j'en éprouverais une intolérable angoisse; ce serait reculer vers ce qui m'a été montré comme devant être consumé et détruit. " Il faut que toutes les inclinaisons naturelles du corps et de l'âme disparaissent, et qu'il ne reste aucun vestige de ce qu'il y a de propre en nous; cela est nécessaire, vu la terrible malignité de notre être.
Si Dieu la consumait lui-même, nous ne nous déchargerions jamais de ce poids infernal... Mais il nous aide avec une constance, une sollicitude et un amour infinis... Il ne cesse jamais de heurter au coeur de l'homme pour y entrer et le sanctifier, il vient à nous sans acception de personnes..., il nous appelle et nous attire tous, les bons comme les méchants..." Telles sont les principales instructions données par sainte Catherine pendant ses extases, et dont ses fils spirituels nous ont conservé le souvenir.
[1] Nous avons dit précédemment que Catherine emploie souvent le terme humanité lorsqu'elle parle du corps et des instinct naturels.
[2] Ce mot de vue a une signification plus étendue et plus profonde que le terme vision.
CHAPITRE XVI
Dernières années de sainte Catherine
Catherine avait atteint l'âge de 53 ans. Son corps était tellement usé par la fréquence des extases et par le feu intérieur de l'amour divin, que les dix dernières années de son existence ne furent plus qu'un long et continuel martyre. Réduite à une maigreur excessive, elle inspirait de la pitié à tous ceux qui la voyaient; on ne comprenait pas qu'elle pût vivre avec de si grandes souffrances; mais ce qui étonnait plus encore, c'était la sérénité parfaite avec laquelle elle les supportait, l'expression calme et séraphique de son visage, et la céleste limpidité de son regard au milieu de ces intolérables douleurs.
Comme on ne comprenait pas que son mal était surnaturel, on essaya de la traiter comme si elle eût une maladie ordinaire; on lui appliqua des ventouses pour la faire respirer librement, et lui rendre l'usage de la parole qu'elle perdait fréquemment. On lui donna aussi, mais inutilement, différents remèdes, afin de la délivrer de ses oppressions. Enfin on la laissa tranquille pendant quelques années. Elle assurait elle-même qu'il lui semblait qu'elle fût dans un moulin qui lui triturait l'âme et le corps. Catherine était de plus en plus aliénée des choses d'ici-bas. " Il y avait, dit son confesseur, un mur si fort en son intérieur, que toutes les délectations de la terre n'auraient pu en enlever la moindre pierre. " C'était une créature vivant dans la chair sans chair; elle demeurait au monde et ne le connaissait pas; elle se trouvait au milieu des hommes sans savoir qui ils étaient, et sans les comprendre lorsqu'ils causaient avec affection et plaisir... Elle était même hors d'état de penser à ce qui pouvait lui advenir au ciel ou dans la vie présente. " Sa partie extérieure se mouvait encore; mais c'était un mouvement faible et languissant; elle ne marchait qu'à petits pas; elle ne dormait plus; elle se tenait assisse sans avoir la faculté de s'aider d'aucune chose créée; car elle avait le coeur si clos et si serré en Dieu qu'on eût dit que tout son être était fondu et liquéfié dans l'être divin... Qui l'eût vue en si grand dépouillement, et dans un si douloureux supplice, eût versé des larmes d'attendrissement et de compassion... Et moi-même, qui ai connu cela, je pleure toutes les fois que je m'en souviens." Elle disait elle-même, pour faire connaître son état : " Je me trouve chaque jour plus resserrée; je suis semblable à un individu qui aurait été confiné dans une ville enceinte de murailles, puis dans une maison accompagnée d'un beau jardin, puis dans une maison sans jardin, ensuite successivement dans une salle, dans une chambre, dans un cabinet, dans un réduit obscur et dans une prison sans lumière. Puis on lui met des menottes, des fers aux pieds, on lui bande les yeux, et personne ne lui parle plus; enfin tout espoir de changement jusqu'à la mort lui est ôté. Mais une consolation reste à cet homme, il sait que Dieu fait et veut tout cela par amour et par miséricorde, et cette vue lui donne un grand contentement. Le contentement, à la vérité, ne diminue ni la peine ni l'assaut intérieur; mais quelles que soient les souffrances qui lui sont infligées, il "ne voudrait pas sortir pour cela de l'ordonnance et de la disposition divines, car il les reconnaît justes et accompagnées de très grande miséricordes." Les administrateurs du grand hôpital, pleins de respect et de compassion en voyant les souffrances de Catherine, ne voulurent plus qu'elle se livrât à ses occupations ordinaires, de peur qu'elles ne lui causassent la mort. Mais ils ne tardèrent pas à comprendre que son corps souffrait plus encore du repos que du travail; toutes les fois qu'elle pouvait ne s'occuper que de Dieu seul, ses extases devenaient plus fréquentes, et les assauts de l'amour si violents et si impétueux, qu'il y avait de quoi la faire expirer.
Il fallut donc l'engager à reprendre ses travaux habituels; Catherine, qui n'avait plus de volonté, passa, avec une égale indifférence, de l'action à l'inactivité et de l'inactivité à l'action.
A suivreDernières années de sainte Catherine
Catherine avait atteint l'âge de 53 ans. Son corps était tellement usé par la fréquence des extases et par le feu intérieur de l'amour divin, que les dix dernières années de son existence ne furent plus qu'un long et continuel martyre. Réduite à une maigreur excessive, elle inspirait de la pitié à tous ceux qui la voyaient; on ne comprenait pas qu'elle pût vivre avec de si grandes souffrances; mais ce qui étonnait plus encore, c'était la sérénité parfaite avec laquelle elle les supportait, l'expression calme et séraphique de son visage, et la céleste limpidité de son regard au milieu de ces intolérables douleurs.
Comme on ne comprenait pas que son mal était surnaturel, on essaya de la traiter comme si elle eût une maladie ordinaire; on lui appliqua des ventouses pour la faire respirer librement, et lui rendre l'usage de la parole qu'elle perdait fréquemment. On lui donna aussi, mais inutilement, différents remèdes, afin de la délivrer de ses oppressions. Enfin on la laissa tranquille pendant quelques années. Elle assurait elle-même qu'il lui semblait qu'elle fût dans un moulin qui lui triturait l'âme et le corps. Catherine était de plus en plus aliénée des choses d'ici-bas. " Il y avait, dit son confesseur, un mur si fort en son intérieur, que toutes les délectations de la terre n'auraient pu en enlever la moindre pierre. " C'était une créature vivant dans la chair sans chair; elle demeurait au monde et ne le connaissait pas; elle se trouvait au milieu des hommes sans savoir qui ils étaient, et sans les comprendre lorsqu'ils causaient avec affection et plaisir... Elle était même hors d'état de penser à ce qui pouvait lui advenir au ciel ou dans la vie présente. " Sa partie extérieure se mouvait encore; mais c'était un mouvement faible et languissant; elle ne marchait qu'à petits pas; elle ne dormait plus; elle se tenait assisse sans avoir la faculté de s'aider d'aucune chose créée; car elle avait le coeur si clos et si serré en Dieu qu'on eût dit que tout son être était fondu et liquéfié dans l'être divin... Qui l'eût vue en si grand dépouillement, et dans un si douloureux supplice, eût versé des larmes d'attendrissement et de compassion... Et moi-même, qui ai connu cela, je pleure toutes les fois que je m'en souviens." Elle disait elle-même, pour faire connaître son état : " Je me trouve chaque jour plus resserrée; je suis semblable à un individu qui aurait été confiné dans une ville enceinte de murailles, puis dans une maison accompagnée d'un beau jardin, puis dans une maison sans jardin, ensuite successivement dans une salle, dans une chambre, dans un cabinet, dans un réduit obscur et dans une prison sans lumière. Puis on lui met des menottes, des fers aux pieds, on lui bande les yeux, et personne ne lui parle plus; enfin tout espoir de changement jusqu'à la mort lui est ôté. Mais une consolation reste à cet homme, il sait que Dieu fait et veut tout cela par amour et par miséricorde, et cette vue lui donne un grand contentement. Le contentement, à la vérité, ne diminue ni la peine ni l'assaut intérieur; mais quelles que soient les souffrances qui lui sont infligées, il "ne voudrait pas sortir pour cela de l'ordonnance et de la disposition divines, car il les reconnaît justes et accompagnées de très grande miséricordes." Les administrateurs du grand hôpital, pleins de respect et de compassion en voyant les souffrances de Catherine, ne voulurent plus qu'elle se livrât à ses occupations ordinaires, de peur qu'elles ne lui causassent la mort. Mais ils ne tardèrent pas à comprendre que son corps souffrait plus encore du repos que du travail; toutes les fois qu'elle pouvait ne s'occuper que de Dieu seul, ses extases devenaient plus fréquentes, et les assauts de l'amour si violents et si impétueux, qu'il y avait de quoi la faire expirer.
Il fallut donc l'engager à reprendre ses travaux habituels; Catherine, qui n'avait plus de volonté, passa, avec une égale indifférence, de l'action à l'inactivité et de l'inactivité à l'action.
M1234- Hiérophante contre le nouvel ordre mondial
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Re: Sainte Catherine de Gênes
ça fait réfléchir sur notre "propre sainteté", si j'ose dire... merci pour ces textes Mariedu65
Invité- Invité
Re: Sainte Catherine de Gênes
Je t'en prie à plusJésus_miséricordieux a écrit:ça fait réfléchir sur notre "propre sainteté", si j'ose dire... merci pour ces textes Mariedu65
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Re: Sainte Catherine de Gênes
CHAPITRE XVI
Dernières années de sainte Catherine
Catherine avait atteint l'âge de 53 ans. Son corps était tellement usé par la fréquence des extases et par le feu intérieur de l'amour divin, que les dix dernières années de son existence ne furent plus qu'un long et continuel martyre. Réduite à une maigreur excessive, elle inspirait de la pitié à tous ceux qui la voyaient; on ne comprenait pas qu'elle pût vivre avec de si grandes souffrances; mais ce qui étonnait plus encore, c'était la sérénité parfaite avec laquelle elle les supportait, l'expression calme et séraphique de son visage, et la céleste limpidité de son regard au milieu de ces intolérables douleurs.
Comme on ne comprenait pas que son mal était surnaturel, on essaya de la traiter comme si elle eût une maladie ordinaire; on lui appliqua des ventouses pour la faire respirer librement, et lui rendre l'usage de la parole qu'elle perdait fréquemment. On lui donna aussi, mais inutilement, différents remèdes, afin de la délivrer de ses oppressions. Enfin on la laissa tranquille pendant quelques années. Elle assurait elle-même qu'il lui semblait qu'elle fût dans un moulin qui lui triturait l'âme et le corps. Catherine était de plus en plus aliénée des choses d'ici-bas. " Il y avait, dit son confesseur, un mur si fort en son intérieur, que toutes les délectations de la terre n'auraient pu en enlever la moindre pierre. " C'était une créature vivant dans la chair sans chair; elle demeurait au monde et ne le connaissait pas; elle se trouvait au milieu des hommes sans savoir qui ils étaient, et sans les comprendre lorsqu'ils causaient avec affection et plaisir... Elle était même hors d'état de penser à ce qui pouvait lui advenir au ciel ou dans la vie présente. " Sa partie extérieure se mouvait encore; mais c'était un mouvement faible et languissant; elle ne marchait qu'à petits pas; elle ne dormait plus; elle se tenait assisse sans avoir la faculté de s'aider d'aucune chose créée; car elle avait le coeur si clos et si serré en Dieu qu'on eût dit que tout son être était fondu et liquéfié dans l'être divin... Qui l'eût vue en si grand dépouillement, et dans un si douloureux supplice, eût versé des larmes d'attendrissement et de compassion... Et moi-même, qui ai connu cela, je pleure toutes les fois que je m'en souviens." Elle disait elle-même, pour faire connaître son état : " Je me trouve chaque jour plus resserrée; je suis semblable à un individu qui aurait été confiné dans une ville enceinte de murailles, puis dans une maison accompagnée d'un beau jardin, puis dans une maison sans jardin, ensuite successivement dans une salle, dans une chambre, dans un cabinet, dans un réduit obscur et dans une prison sans lumière. Puis on lui met des menottes, des fers aux pieds, on lui bande les yeux, et personne ne lui parle plus; enfin tout espoir de changement jusqu'à la mort lui est ôté. Mais une consolation reste à cet homme, il sait que Dieu fait et veut tout cela par amour et par miséricorde, et cette vue lui donne un grand contentement. Le contentement, à la vérité, ne diminue ni la peine ni l'assaut intérieur; mais quelles que soient les souffrances qui lui sont infligées, il "ne voudrait pas sortir pour cela de l'ordonnance et de la disposition divines, car il les reconnaît justes et accompagnées de très grande miséricordes." Les administrateurs du grand hôpital, pleins de respect et de compassion en voyant les souffrances de Catherine, ne voulurent plus qu'elle se livrât à ses occupations ordinaires, de peur qu'elles ne lui causassent la mort. Mais ils ne tardèrent pas à comprendre que son corps souffrait plus encore du repos que du travail; toutes les fois qu'elle pouvait ne s'occuper que de Dieu seul, ses extases devenaient plus fréquentes, et les assauts de l'amour si violents et si impétueux, qu'il y avait de quoi la faire expirer.
Il fallut donc l'engager à reprendre ses travaux habituels; Catherine, qui n'avait plus de volonté, passa, avec une égale indifférence, de l'action à l'inactivité et de l'inactivité à l'action.
Dernières années de sainte Catherine
Catherine avait atteint l'âge de 53 ans. Son corps était tellement usé par la fréquence des extases et par le feu intérieur de l'amour divin, que les dix dernières années de son existence ne furent plus qu'un long et continuel martyre. Réduite à une maigreur excessive, elle inspirait de la pitié à tous ceux qui la voyaient; on ne comprenait pas qu'elle pût vivre avec de si grandes souffrances; mais ce qui étonnait plus encore, c'était la sérénité parfaite avec laquelle elle les supportait, l'expression calme et séraphique de son visage, et la céleste limpidité de son regard au milieu de ces intolérables douleurs.
Comme on ne comprenait pas que son mal était surnaturel, on essaya de la traiter comme si elle eût une maladie ordinaire; on lui appliqua des ventouses pour la faire respirer librement, et lui rendre l'usage de la parole qu'elle perdait fréquemment. On lui donna aussi, mais inutilement, différents remèdes, afin de la délivrer de ses oppressions. Enfin on la laissa tranquille pendant quelques années. Elle assurait elle-même qu'il lui semblait qu'elle fût dans un moulin qui lui triturait l'âme et le corps. Catherine était de plus en plus aliénée des choses d'ici-bas. " Il y avait, dit son confesseur, un mur si fort en son intérieur, que toutes les délectations de la terre n'auraient pu en enlever la moindre pierre. " C'était une créature vivant dans la chair sans chair; elle demeurait au monde et ne le connaissait pas; elle se trouvait au milieu des hommes sans savoir qui ils étaient, et sans les comprendre lorsqu'ils causaient avec affection et plaisir... Elle était même hors d'état de penser à ce qui pouvait lui advenir au ciel ou dans la vie présente. " Sa partie extérieure se mouvait encore; mais c'était un mouvement faible et languissant; elle ne marchait qu'à petits pas; elle ne dormait plus; elle se tenait assisse sans avoir la faculté de s'aider d'aucune chose créée; car elle avait le coeur si clos et si serré en Dieu qu'on eût dit que tout son être était fondu et liquéfié dans l'être divin... Qui l'eût vue en si grand dépouillement, et dans un si douloureux supplice, eût versé des larmes d'attendrissement et de compassion... Et moi-même, qui ai connu cela, je pleure toutes les fois que je m'en souviens." Elle disait elle-même, pour faire connaître son état : " Je me trouve chaque jour plus resserrée; je suis semblable à un individu qui aurait été confiné dans une ville enceinte de murailles, puis dans une maison accompagnée d'un beau jardin, puis dans une maison sans jardin, ensuite successivement dans une salle, dans une chambre, dans un cabinet, dans un réduit obscur et dans une prison sans lumière. Puis on lui met des menottes, des fers aux pieds, on lui bande les yeux, et personne ne lui parle plus; enfin tout espoir de changement jusqu'à la mort lui est ôté. Mais une consolation reste à cet homme, il sait que Dieu fait et veut tout cela par amour et par miséricorde, et cette vue lui donne un grand contentement. Le contentement, à la vérité, ne diminue ni la peine ni l'assaut intérieur; mais quelles que soient les souffrances qui lui sont infligées, il "ne voudrait pas sortir pour cela de l'ordonnance et de la disposition divines, car il les reconnaît justes et accompagnées de très grande miséricordes." Les administrateurs du grand hôpital, pleins de respect et de compassion en voyant les souffrances de Catherine, ne voulurent plus qu'elle se livrât à ses occupations ordinaires, de peur qu'elles ne lui causassent la mort. Mais ils ne tardèrent pas à comprendre que son corps souffrait plus encore du repos que du travail; toutes les fois qu'elle pouvait ne s'occuper que de Dieu seul, ses extases devenaient plus fréquentes, et les assauts de l'amour si violents et si impétueux, qu'il y avait de quoi la faire expirer.
Il fallut donc l'engager à reprendre ses travaux habituels; Catherine, qui n'avait plus de volonté, passa, avec une égale indifférence, de l'action à l'inactivité et de l'inactivité à l'action.
CHAPITRE XVII
Suite du même sujet
Catherine continua à s'affaiblir de jour en jour; parfois elle paraissait se porter un peu mieux; mais, l'instant d'après, elle semblait prête à rendre le dernier soupir; elle ne mangeait plus; cependant elle communiait tous les matins, à moins que son état physique ne l'en empêchât absolument. Les jours où elle ne pouvait recevoir le pain de vie, ses souffrances devenaient presque intolérables; elle endurait alors à un degré excessif les angoisses de la faim. L'esprit divin qui agissait en elle resta seul son maître; elle subissait son terrible martyre, sans conserver d'autre sentiment qu'une sainte émotion et un complet acquiescement à la volonté du Seigneur. Beaucoup de gens venaient de fort loin pour la contempler, lui parler et se recommander à ses prières, et tous reconnaissaient en elle une créature plutôt céleste qu'humaine. Le paradis se reflétait dans son âme, et son corps était dans les tourments du purgatoire. Par une double opération surnaturelle, cette âme purifiée se trouvait dans l'union la plus intime avec Dieu, tandis que la partie physique était livrée aux flammes. Catherine apprenait ainsi à connaître par son expérience propre les conditions dans lesquelles sont les âmes du purgatoire. C'est pourquoi elle a pu en parler en termes si précis, dans l'écrit qu'elle nous a laissé. Elle devenait elle-même parfaitement pure et nette, en passant par le purgatoire du feu de l'amour divin. " Il semblait, en vérité, dit le P. Marabotto, que Dieu voulût qu'elle servit de miroir et d'exemple pour faire connaître aux hommes les peines du lieu de la purification; elle était comme placée sur un mur élevé entre les deux existences, afin de nous instruire et de nous avertir. Il y avait en elle un feu suffisant pour causer mille fois la mort, et cependant elle ne mourait point, parce que l'amour immortel voulait que les choses se passassent ainsi. On sentait et on voyait, ajoute le confesseur de la sainte, les signes extérieurs de son embrasement inférieur, son coeur ardait ainsi que fait une fournaise. Ces flammes étaient si excessives, que Catherine, essayant de se mettre sur le bras un charbon allumé voyait brûler ses chairs, mais sans en avoir le sentiment; la puissance extrême du feu intérieur de ressentir la douleur causée par le feu matériel. Cependant le feu invisible, quoiqu'il ait moins de vertu, consume et détruit son sujet; le feu amoureux, au contraire, le nourrit et le conserve tant qu'il lui plaît." L e Seigneur soutenait et fortifiait Catherine au milieu de ses atroces douleurs; il l'occupait de son opération intérieure, et lui envoyait quelques visions d'anges, si simples et si belles, qu'elle en était toute vivifiée. Les secours humains lui ayant été ôtés, il fallait bien qu'il lui en vînt du ciel pour qu'elle pût continuer à vivre. Cependant la sainte devrait subir de plus grands martyres encore.
Dieu voulut orner de plus en plus cette âme d'élite; afin, dit le biographe anonyme, d'offrir à notre admiration le double spectacle de ce qu'il fit par elle et de ce qu'elle souffrit pour lui. Environ un an avant sa mort, le Seigneur lui donna la connaissance des souffrances épouvantables qui lui étaient encore réservées. Lorsque l'humanité de Catherine eut cette vue, elle fut prise d'une angoisse telle, qu'elle se tordit comme un serpent ; elle n'eut pas la force d'articuler un mot. L'âme et l'esprit, au contraire, acquiescèrent joyeusement et amoureusement aux dispositions de Dieu. L'embrasement intérieur devint si excessif, que la sainte ne peut plus le supporter; il lui semblait que son corps allait être réduit en cendres. Alors elle eut une vision de la femme samaritaine au moment où celle-ci se trouve auprès du puits avec Notre-Seigneur. Catherine se tournant vers le Sauveur des hommes, lui dit avec l'accent de la humble confiance : " O mon Jésus, je vous prie de me donner une seule gouttelette de l'eau que vous avez donnée à la Samaritaine, car je ne saurais endurer davantage ce grand feu qui me brûle au dedans et au dehors." Au même instant, elle reçut une goutte de l'eau divine, et elle en fut merveilleusement rafraîchie. Mais le repos qu'elle éprouva ne fut pas de longue durée. Les flammes de l'amour recommencèrent à lui transpercer le coeur et à travailler le corps de telle sorte, que souvent elle demeurait sans aucun symptôme de vie. La sainte rendit compte elle-même à son confesseur de ce qu'elle éprouvait pendant cette nouvelle lutte : " Je me sentais, dit-elle, comme suspendue en l'air; la partie spirituelle désirait s'attacher au ciel et y tirer également l'âme; l'humanité, au contraire, voulait s'accrocher à la terre par quelque endroit : il me semblait qu'il y avait combat entre les deux, mais que ni l'une ni l'autre ne parvenait à prendre pied. La bataille fut longue; enfin, la partie qui tendait vers le ciel l'emporta, elle enleva son adversaire, et je m'éloignai d'heure en heure de la terre. D'abord l'humanité trouva étrange d'être entraînée de la sorte, et la violence qu'on lui faisait lui déplaisait fort; mais, lorsqu'elle fut trop loin de ce bas monde pour l'apercevoir davantage, c'est-à-dire lorsqu'il lui fallut renoncer à tout espoir de retourner aux objets de ses désirs, elle perdit elle-même ses instincts naturels, et elle goûta ce que goûtait la partie spirituelle.
Elles finirent ainsi par se contenter toutes deux d'une même nourriture ; à la vérité, la partie humaine se souvenait parfois encore de la terre ; mais elle en était trop éloignée pour pouvoir s'arrêter longtemps à ces souvenirs; ses mauvais penchants disparaissaient, et elle devenait de plus en plus ferme, constante et joyeuse dans sa nouvelle position.
"Quant à la partie spirituelle, plus elle se purifiait, plus aussi elle montait; l'âme, sortie parfaitement nette des mains de Dieu, était instinctivement poussée à retourner vers lui dans le même état. Liée à un corps contraire à sa nature, elle désirait en être séparée, avec une vivacité égale à celle qu'éprouvent les âmes détenues en purgatoire d'aller
en paradis. Dieu, dit encore Catherine, Dieu, par sa grâce fait à quelques âmes un purgatoire de leurs corps, dès cette vie : et plus il tire ces âmes à lui, plus elles aspirent à s'unir avec le bien suprême et à quitter leur dépouille mortelle, qui les empêche de parvenir à leur but. Mais, d'une autre part, le corps qui sert de demeure à une telle âme est aussi dans un vrai purgatoire; parce que l'âme à laquelle il est lié voudrait vivre sans lui, le trouve insupportable, contrarie ses appétits naturels et ne correspond plus à ses sentiments. Toutefois il y a une incommensurable différence entre la prison de l'âme et celle du corps; car chacun doit comprendre qui souffre le plus, de deux prisonniers, dont l'un a toujours été serf et l'autre constamment seigneur. D'ailleurs l'instinct de l'âme vers Dieu est tel, qu'on ne saurait rien imaginer de plus impétueux et de plus véhément." Catherine subit un nouvel assaut, le 10 janvier 1510, année de sa mort. Elle se sentait poussée à se dépouiller de son confesseur et à se priver ainsi de toute aide et assistance pour l'âme et pour le corps; car le Père Marabotto, connaissant seul la voie par laquelle Dieu la conduisait, lui donnait seul du support par ses paroles et ses actes. Elle s'enferma dans une chambre privée de tout secours de la part des créatures, afin que l'anéantissement de la partie humaine fût complet. Elle resta longtemps dans le lieu où elle s'était retirée, sans ouvrir à personne; mais ayant été obligée d'en sortir, son père spirituel profita du moment pour y entrer secrètement et s'y cacher. La sainte revint et s'enferma de nouveau, sans prendre garde à son confesseur, qui l'entendit alors dire à Notre-Seigneur, d'une voix brisée par la douleur : " Mon Jésus, que voulez-vous que je fasse encore en ce monde ? Je ne vois plus, je n'entends plus, je ne mange plus, je ne dors plus, je ne sais que faire ni que dire; tous mes sentiments intérieurs et extérieurs sont détruits, je n'ai plus rien de ce qu'ont les autres "créatures, je suis entièrement perdue en vous. Chacun ici-bas trouve à s'occuper, à penser, à dire ou faire quelque chose ; chacun prend plaisir et se délecte en un objet quelconque; moi,, au contraire, je suis comme morte, et cependant je me vois tenue par force en cette vie; personne ne comprend ce que vous opérez en moi, je suis seule pauvre, délaissée de tous, dans le dénuement le plus complet... je ne sais pas ce qu'est ce monde, je ne peux donc plus vivre en terre, avec les créatures." Catherine prononçait ces mots avec une angoisse croissante, et ses accents étaient si douloureux, que le Père Marabotto, poussé par la plus vive compassion, se montra à elle et lui parla. Dieu donna de l'efficace à ses paroles. Elle en fut réconfortée et se trouva bien pour quelques jours. Mais ce répit ne dura guère. La sainte voyait son propre esprit dépouillé de toute chose créée et de lui-même, nu et pur comme lorsque Dieu lui donna l'être, et tel qu'il faut qu'il soit pour s'unir au Seigneur; elle entendait cet esprit qui disait à son humanité :
"Il te serait plus doux d'être dans une fournaise ardente que de subir le dépouillement parfait auquel je veux faire arriver mon âme." Le corps restait livré aux angoisses les plus terribles. Souvent Catherine perdait pendant plusieurs heures l'usage de la vue et de la parole, et elle éprouvait les tourments des martyres dont l'Eglise célébrait la fête en ce jour-là. Plusieurs fois elle sentit des tenailles ardentes qui lui arrachaient le coeur et ses entrailles. Mais une épreuve encore plus terrible lui était réservée : Dieu lui-même sembla la délaisser, et elle resta absolument privée de toute correspondance, sans support apparent ni consolation. Alors les assistants l'entendirent qui disait d'une voix faible et dolente : " Depuis trente-cinq ans je ne vous ai rien demandé pour moi; maintenant je vous prie, autant que je le puis, qu'il vous plaise de ne point me séparer de vous, car vous savez, ô Jésus, que jamais mon esprit n'a été sans union avec vous; toute chose m'est facile à supporter, excepté cette séparation ; elle est contraire à l'âme." Dieu l'exauça et elle eut quelques jours de calme, le Seigneur la laissant reposer afin qu'elle pût vivre et qu'il pût lui-même accomplir l'œuvre qu'il avait résolu de faire en elle. Puis les assauts et les martyres recommencèrent. Les personnes présentes demandaient miséricorde au Ciel.
Quant à Catherine, son âme demeurait calme, tranquille, dans la paix et la joie intérieures, au milieu de maux et d'angoisses qu'aucun corps n'avait supportés et qu'aucune langue ne saurait exprimer. L'humanité, tourmentée de la façon la plus intolérable, jetait des cris perçants ; l'esprit était satisfait, ne lui donnait aucun secours, et ne répondait pas à ses plaintes. Loin de là, Catherine disait à ceux qui l'entouraient de ne pas s'attrister pour elle, parce qu'elle était fort contente, mais de s'efforcer, le plus qu'ils pourraient, de bien faire, la voie de Dieu étant très étroite. Un médecin qui visitait parfois notre sainte, la voyant en telles extrémités et espérant la soulager, lui ordonna de prendre une médecine. Elle obéit, pour avoir l'occasion d'agir contrairement à sa volonté propre; mais, ainsi qu'elle l'avait prévu, il en résultat une série d'accidents terribles qui la mirent pendant huit jours à deux doigts de la mort, et lui causèrent des spasmes si épouvantables, que ses amis émus de pitié, attendaient avec impatience le moment où elle rendrait le dernier soupir. Tandis qu'elle souffrait ainsi, des anges venaient de temps en temps l'encourager. On la voyait leur sourire, mais elle ne parlait pas; plus tard, elle raconta que ces esprits bienheureux la consolaient dans ses douleurs, et lui montraient joyeusement son prochain triomphe. Elle vit aussi des démons, mais sans en avoir peur; étant parfaitement unie avec Dieu et confirmée en charité, elle était inaccessible à la crainte. Cependant l'inutilité des remèdes et des soins des familiers de Catherine, n'avaient pas suffi pour faire comprendre à ces deniers que les souffrances de la sainte étaient en dehors de la sphère de la science. Voyant que le dépérissement augmentait, et qu'on ne parvenait pas à procurer le moindre soulagement à la malade, ils réunirent plusieurs docteurs célèbres, pour conférer ensemble et pour aviser aux moyens de la secourir. Les médecins s'assemblèrent à deux reprises, et soumirent Catherine à tous les examens imaginables; mais ils ne découvrirent aucun indice de maladie ordinaire, et déclarèrent à l'unanimité que l'infirmité avait un principe divin, et que Dieu seul était capable de la guérir. En effet, le mal était évidemment d'un ordre plus élevé. Rien ne fortifiait Catherine que la très sainte Eucharistie ; quelque faible qu'elle fût, elle avalait sans peine l'hostie consacrée et, après l'avoir reçue, elle était en extase, et retrouvait la faculté de parler. Ceux qui venaient la voir fondaient en larmes, et s'éloignaient pleins d'admiration et d'une sorte de sainte stupeur. Au milieu des souffrances les plus atroces, son âme semblait participer aux joies du paradis. Elle ne refusait pas de continuer à vivre sur la terre pour l'amour de Notre-Seigneur crucifié, et elle ne se laissait plus dominer par le désir de s'envoler d'ici-bas et d'aller se réunir au ciel à l'objet de son pur amour. Sur ces entrefaites, Jean-Baptiste Boerio, génois d'origine, médecin très célèbre, qui avait été attaché pendant longtemps à la personne du roi d'Angleterre, revint dans sa ville natale. On lui parla de Catherine Adorna et de sa maladie déclarée incurable par les moyens humains. Il considéra tout cela comme une imposture. Plein de cette idée, il se rendit chez la sainte et lui dit : " Madame, je suis bien surpris que vous, qui êtes en si grand renom de vertu dans cette ville, ne craigniez pas de scandaliser les gens raisonnables, en affirmant que votre état n'est pas naturel, et que par conséquent vous n'avez que faire des remèdes de la médecine. Cette conduite est une sorte d'hypocrisie." " Je suis très affligée, répondit humblement Catherine, d'apprendre que je sois pour quelqu'un un sujet de scandale. Si l'on pouvait trouver un remède à mon mal, je serais prête à l'employer, et si vous avez l'espérance de me guérir, je vous promets de me conformer à vos ordonnances." " Puisque vous consentez à être guérie, répliqua Boerio, j'espère indiquer le remède qui vous rendra la santé." Puis, après avoir bien examiné Catherine, il alla préparer les médicaments qui lui parurent les plus convenables; elle les accepta et les prit en femme obéissante. Mais le médecin eut beau la suivre, la surveiller et multiplier ses ordonnances, l'état de la malade resta invariablement le même. Enfin, après vingt jours de tentatives inutiles, Catherine lui dit : " Vous avez vu, monsieur, que j'ai pris vos remèdes avec toute la ponctualité possible, sans en être soulagée le moins du monde. J'ai voulu vous obéir pour vous ôter, à vous et à d'autres, tout prétexte de scandale; mais maintenant il est temps d'oublier le corps pour ne plus s'occuper que du soin de l'âme." Dieu permit cette aventure, dit le témoin oculaire, pour confondre la trop grande confiance du médecin, et pour obliger chacun à reconnaître le principe surnaturel des souffrances de Catherine. Boerio, guéri de ses soupçons, continua à visiter la sainte, et lui donna, à partir de ce temps, le titre de mère. Quant à l'humanité de Catherine, elle avait eu un mouvement de joie dans l'espoir d'être guérie lors de la première visite du docteur. Mais, dès la nuit suivante, et après avoir pris les remèdes, elle s'était sentie saisie de douleurs plus véhémentes que celles du purgatoire ; et l'esprit, loin d'y compatir, lui avait dit : "Tu souffres ainsi, pour t'être réjouie sans motif."
Suite du même sujet
Catherine continua à s'affaiblir de jour en jour; parfois elle paraissait se porter un peu mieux; mais, l'instant d'après, elle semblait prête à rendre le dernier soupir; elle ne mangeait plus; cependant elle communiait tous les matins, à moins que son état physique ne l'en empêchât absolument. Les jours où elle ne pouvait recevoir le pain de vie, ses souffrances devenaient presque intolérables; elle endurait alors à un degré excessif les angoisses de la faim. L'esprit divin qui agissait en elle resta seul son maître; elle subissait son terrible martyre, sans conserver d'autre sentiment qu'une sainte émotion et un complet acquiescement à la volonté du Seigneur. Beaucoup de gens venaient de fort loin pour la contempler, lui parler et se recommander à ses prières, et tous reconnaissaient en elle une créature plutôt céleste qu'humaine. Le paradis se reflétait dans son âme, et son corps était dans les tourments du purgatoire. Par une double opération surnaturelle, cette âme purifiée se trouvait dans l'union la plus intime avec Dieu, tandis que la partie physique était livrée aux flammes. Catherine apprenait ainsi à connaître par son expérience propre les conditions dans lesquelles sont les âmes du purgatoire. C'est pourquoi elle a pu en parler en termes si précis, dans l'écrit qu'elle nous a laissé. Elle devenait elle-même parfaitement pure et nette, en passant par le purgatoire du feu de l'amour divin. " Il semblait, en vérité, dit le P. Marabotto, que Dieu voulût qu'elle servit de miroir et d'exemple pour faire connaître aux hommes les peines du lieu de la purification; elle était comme placée sur un mur élevé entre les deux existences, afin de nous instruire et de nous avertir. Il y avait en elle un feu suffisant pour causer mille fois la mort, et cependant elle ne mourait point, parce que l'amour immortel voulait que les choses se passassent ainsi. On sentait et on voyait, ajoute le confesseur de la sainte, les signes extérieurs de son embrasement inférieur, son coeur ardait ainsi que fait une fournaise. Ces flammes étaient si excessives, que Catherine, essayant de se mettre sur le bras un charbon allumé voyait brûler ses chairs, mais sans en avoir le sentiment; la puissance extrême du feu intérieur de ressentir la douleur causée par le feu matériel. Cependant le feu invisible, quoiqu'il ait moins de vertu, consume et détruit son sujet; le feu amoureux, au contraire, le nourrit et le conserve tant qu'il lui plaît." L e Seigneur soutenait et fortifiait Catherine au milieu de ses atroces douleurs; il l'occupait de son opération intérieure, et lui envoyait quelques visions d'anges, si simples et si belles, qu'elle en était toute vivifiée. Les secours humains lui ayant été ôtés, il fallait bien qu'il lui en vînt du ciel pour qu'elle pût continuer à vivre. Cependant la sainte devrait subir de plus grands martyres encore.
Dieu voulut orner de plus en plus cette âme d'élite; afin, dit le biographe anonyme, d'offrir à notre admiration le double spectacle de ce qu'il fit par elle et de ce qu'elle souffrit pour lui. Environ un an avant sa mort, le Seigneur lui donna la connaissance des souffrances épouvantables qui lui étaient encore réservées. Lorsque l'humanité de Catherine eut cette vue, elle fut prise d'une angoisse telle, qu'elle se tordit comme un serpent ; elle n'eut pas la force d'articuler un mot. L'âme et l'esprit, au contraire, acquiescèrent joyeusement et amoureusement aux dispositions de Dieu. L'embrasement intérieur devint si excessif, que la sainte ne peut plus le supporter; il lui semblait que son corps allait être réduit en cendres. Alors elle eut une vision de la femme samaritaine au moment où celle-ci se trouve auprès du puits avec Notre-Seigneur. Catherine se tournant vers le Sauveur des hommes, lui dit avec l'accent de la humble confiance : " O mon Jésus, je vous prie de me donner une seule gouttelette de l'eau que vous avez donnée à la Samaritaine, car je ne saurais endurer davantage ce grand feu qui me brûle au dedans et au dehors." Au même instant, elle reçut une goutte de l'eau divine, et elle en fut merveilleusement rafraîchie. Mais le repos qu'elle éprouva ne fut pas de longue durée. Les flammes de l'amour recommencèrent à lui transpercer le coeur et à travailler le corps de telle sorte, que souvent elle demeurait sans aucun symptôme de vie. La sainte rendit compte elle-même à son confesseur de ce qu'elle éprouvait pendant cette nouvelle lutte : " Je me sentais, dit-elle, comme suspendue en l'air; la partie spirituelle désirait s'attacher au ciel et y tirer également l'âme; l'humanité, au contraire, voulait s'accrocher à la terre par quelque endroit : il me semblait qu'il y avait combat entre les deux, mais que ni l'une ni l'autre ne parvenait à prendre pied. La bataille fut longue; enfin, la partie qui tendait vers le ciel l'emporta, elle enleva son adversaire, et je m'éloignai d'heure en heure de la terre. D'abord l'humanité trouva étrange d'être entraînée de la sorte, et la violence qu'on lui faisait lui déplaisait fort; mais, lorsqu'elle fut trop loin de ce bas monde pour l'apercevoir davantage, c'est-à-dire lorsqu'il lui fallut renoncer à tout espoir de retourner aux objets de ses désirs, elle perdit elle-même ses instincts naturels, et elle goûta ce que goûtait la partie spirituelle.
Elles finirent ainsi par se contenter toutes deux d'une même nourriture ; à la vérité, la partie humaine se souvenait parfois encore de la terre ; mais elle en était trop éloignée pour pouvoir s'arrêter longtemps à ces souvenirs; ses mauvais penchants disparaissaient, et elle devenait de plus en plus ferme, constante et joyeuse dans sa nouvelle position.
"Quant à la partie spirituelle, plus elle se purifiait, plus aussi elle montait; l'âme, sortie parfaitement nette des mains de Dieu, était instinctivement poussée à retourner vers lui dans le même état. Liée à un corps contraire à sa nature, elle désirait en être séparée, avec une vivacité égale à celle qu'éprouvent les âmes détenues en purgatoire d'aller
en paradis. Dieu, dit encore Catherine, Dieu, par sa grâce fait à quelques âmes un purgatoire de leurs corps, dès cette vie : et plus il tire ces âmes à lui, plus elles aspirent à s'unir avec le bien suprême et à quitter leur dépouille mortelle, qui les empêche de parvenir à leur but. Mais, d'une autre part, le corps qui sert de demeure à une telle âme est aussi dans un vrai purgatoire; parce que l'âme à laquelle il est lié voudrait vivre sans lui, le trouve insupportable, contrarie ses appétits naturels et ne correspond plus à ses sentiments. Toutefois il y a une incommensurable différence entre la prison de l'âme et celle du corps; car chacun doit comprendre qui souffre le plus, de deux prisonniers, dont l'un a toujours été serf et l'autre constamment seigneur. D'ailleurs l'instinct de l'âme vers Dieu est tel, qu'on ne saurait rien imaginer de plus impétueux et de plus véhément." Catherine subit un nouvel assaut, le 10 janvier 1510, année de sa mort. Elle se sentait poussée à se dépouiller de son confesseur et à se priver ainsi de toute aide et assistance pour l'âme et pour le corps; car le Père Marabotto, connaissant seul la voie par laquelle Dieu la conduisait, lui donnait seul du support par ses paroles et ses actes. Elle s'enferma dans une chambre privée de tout secours de la part des créatures, afin que l'anéantissement de la partie humaine fût complet. Elle resta longtemps dans le lieu où elle s'était retirée, sans ouvrir à personne; mais ayant été obligée d'en sortir, son père spirituel profita du moment pour y entrer secrètement et s'y cacher. La sainte revint et s'enferma de nouveau, sans prendre garde à son confesseur, qui l'entendit alors dire à Notre-Seigneur, d'une voix brisée par la douleur : " Mon Jésus, que voulez-vous que je fasse encore en ce monde ? Je ne vois plus, je n'entends plus, je ne mange plus, je ne dors plus, je ne sais que faire ni que dire; tous mes sentiments intérieurs et extérieurs sont détruits, je n'ai plus rien de ce qu'ont les autres "créatures, je suis entièrement perdue en vous. Chacun ici-bas trouve à s'occuper, à penser, à dire ou faire quelque chose ; chacun prend plaisir et se délecte en un objet quelconque; moi,, au contraire, je suis comme morte, et cependant je me vois tenue par force en cette vie; personne ne comprend ce que vous opérez en moi, je suis seule pauvre, délaissée de tous, dans le dénuement le plus complet... je ne sais pas ce qu'est ce monde, je ne peux donc plus vivre en terre, avec les créatures." Catherine prononçait ces mots avec une angoisse croissante, et ses accents étaient si douloureux, que le Père Marabotto, poussé par la plus vive compassion, se montra à elle et lui parla. Dieu donna de l'efficace à ses paroles. Elle en fut réconfortée et se trouva bien pour quelques jours. Mais ce répit ne dura guère. La sainte voyait son propre esprit dépouillé de toute chose créée et de lui-même, nu et pur comme lorsque Dieu lui donna l'être, et tel qu'il faut qu'il soit pour s'unir au Seigneur; elle entendait cet esprit qui disait à son humanité :
"Il te serait plus doux d'être dans une fournaise ardente que de subir le dépouillement parfait auquel je veux faire arriver mon âme." Le corps restait livré aux angoisses les plus terribles. Souvent Catherine perdait pendant plusieurs heures l'usage de la vue et de la parole, et elle éprouvait les tourments des martyres dont l'Eglise célébrait la fête en ce jour-là. Plusieurs fois elle sentit des tenailles ardentes qui lui arrachaient le coeur et ses entrailles. Mais une épreuve encore plus terrible lui était réservée : Dieu lui-même sembla la délaisser, et elle resta absolument privée de toute correspondance, sans support apparent ni consolation. Alors les assistants l'entendirent qui disait d'une voix faible et dolente : " Depuis trente-cinq ans je ne vous ai rien demandé pour moi; maintenant je vous prie, autant que je le puis, qu'il vous plaise de ne point me séparer de vous, car vous savez, ô Jésus, que jamais mon esprit n'a été sans union avec vous; toute chose m'est facile à supporter, excepté cette séparation ; elle est contraire à l'âme." Dieu l'exauça et elle eut quelques jours de calme, le Seigneur la laissant reposer afin qu'elle pût vivre et qu'il pût lui-même accomplir l'œuvre qu'il avait résolu de faire en elle. Puis les assauts et les martyres recommencèrent. Les personnes présentes demandaient miséricorde au Ciel.
Quant à Catherine, son âme demeurait calme, tranquille, dans la paix et la joie intérieures, au milieu de maux et d'angoisses qu'aucun corps n'avait supportés et qu'aucune langue ne saurait exprimer. L'humanité, tourmentée de la façon la plus intolérable, jetait des cris perçants ; l'esprit était satisfait, ne lui donnait aucun secours, et ne répondait pas à ses plaintes. Loin de là, Catherine disait à ceux qui l'entouraient de ne pas s'attrister pour elle, parce qu'elle était fort contente, mais de s'efforcer, le plus qu'ils pourraient, de bien faire, la voie de Dieu étant très étroite. Un médecin qui visitait parfois notre sainte, la voyant en telles extrémités et espérant la soulager, lui ordonna de prendre une médecine. Elle obéit, pour avoir l'occasion d'agir contrairement à sa volonté propre; mais, ainsi qu'elle l'avait prévu, il en résultat une série d'accidents terribles qui la mirent pendant huit jours à deux doigts de la mort, et lui causèrent des spasmes si épouvantables, que ses amis émus de pitié, attendaient avec impatience le moment où elle rendrait le dernier soupir. Tandis qu'elle souffrait ainsi, des anges venaient de temps en temps l'encourager. On la voyait leur sourire, mais elle ne parlait pas; plus tard, elle raconta que ces esprits bienheureux la consolaient dans ses douleurs, et lui montraient joyeusement son prochain triomphe. Elle vit aussi des démons, mais sans en avoir peur; étant parfaitement unie avec Dieu et confirmée en charité, elle était inaccessible à la crainte. Cependant l'inutilité des remèdes et des soins des familiers de Catherine, n'avaient pas suffi pour faire comprendre à ces deniers que les souffrances de la sainte étaient en dehors de la sphère de la science. Voyant que le dépérissement augmentait, et qu'on ne parvenait pas à procurer le moindre soulagement à la malade, ils réunirent plusieurs docteurs célèbres, pour conférer ensemble et pour aviser aux moyens de la secourir. Les médecins s'assemblèrent à deux reprises, et soumirent Catherine à tous les examens imaginables; mais ils ne découvrirent aucun indice de maladie ordinaire, et déclarèrent à l'unanimité que l'infirmité avait un principe divin, et que Dieu seul était capable de la guérir. En effet, le mal était évidemment d'un ordre plus élevé. Rien ne fortifiait Catherine que la très sainte Eucharistie ; quelque faible qu'elle fût, elle avalait sans peine l'hostie consacrée et, après l'avoir reçue, elle était en extase, et retrouvait la faculté de parler. Ceux qui venaient la voir fondaient en larmes, et s'éloignaient pleins d'admiration et d'une sorte de sainte stupeur. Au milieu des souffrances les plus atroces, son âme semblait participer aux joies du paradis. Elle ne refusait pas de continuer à vivre sur la terre pour l'amour de Notre-Seigneur crucifié, et elle ne se laissait plus dominer par le désir de s'envoler d'ici-bas et d'aller se réunir au ciel à l'objet de son pur amour. Sur ces entrefaites, Jean-Baptiste Boerio, génois d'origine, médecin très célèbre, qui avait été attaché pendant longtemps à la personne du roi d'Angleterre, revint dans sa ville natale. On lui parla de Catherine Adorna et de sa maladie déclarée incurable par les moyens humains. Il considéra tout cela comme une imposture. Plein de cette idée, il se rendit chez la sainte et lui dit : " Madame, je suis bien surpris que vous, qui êtes en si grand renom de vertu dans cette ville, ne craigniez pas de scandaliser les gens raisonnables, en affirmant que votre état n'est pas naturel, et que par conséquent vous n'avez que faire des remèdes de la médecine. Cette conduite est une sorte d'hypocrisie." " Je suis très affligée, répondit humblement Catherine, d'apprendre que je sois pour quelqu'un un sujet de scandale. Si l'on pouvait trouver un remède à mon mal, je serais prête à l'employer, et si vous avez l'espérance de me guérir, je vous promets de me conformer à vos ordonnances." " Puisque vous consentez à être guérie, répliqua Boerio, j'espère indiquer le remède qui vous rendra la santé." Puis, après avoir bien examiné Catherine, il alla préparer les médicaments qui lui parurent les plus convenables; elle les accepta et les prit en femme obéissante. Mais le médecin eut beau la suivre, la surveiller et multiplier ses ordonnances, l'état de la malade resta invariablement le même. Enfin, après vingt jours de tentatives inutiles, Catherine lui dit : " Vous avez vu, monsieur, que j'ai pris vos remèdes avec toute la ponctualité possible, sans en être soulagée le moins du monde. J'ai voulu vous obéir pour vous ôter, à vous et à d'autres, tout prétexte de scandale; mais maintenant il est temps d'oublier le corps pour ne plus s'occuper que du soin de l'âme." Dieu permit cette aventure, dit le témoin oculaire, pour confondre la trop grande confiance du médecin, et pour obliger chacun à reconnaître le principe surnaturel des souffrances de Catherine. Boerio, guéri de ses soupçons, continua à visiter la sainte, et lui donna, à partir de ce temps, le titre de mère. Quant à l'humanité de Catherine, elle avait eu un mouvement de joie dans l'espoir d'être guérie lors de la première visite du docteur. Mais, dès la nuit suivante, et après avoir pris les remèdes, elle s'était sentie saisie de douleurs plus véhémentes que celles du purgatoire ; et l'esprit, loin d'y compatir, lui avait dit : "Tu souffres ainsi, pour t'être réjouie sans motif."
A suivre...
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Re: Sainte Catherine de Gênes
CHAPITRE XVIII
Derniers temps de la vie et mort de sainte Catherine.
Catherine approchait du terme de son pèlerinage. Les dernières semaines de cette merveilleuse existence furent marquées par une augmentation de souffrances et par d'admirables visions. Durant les jours que l'Eglise a consacrés aux martyrs, Dieu continuait à faire éprouver à sa fidèle servante les différents tourments qui avaient été infligés à ces héros de la foi et de l'amour divin. Pendant la nuit de la fête de saint Laurent, en particulier, il lui sembla constamment être étendue sur un gril au-dessus des charbons ardents; l'esprit acceptait; mais le corps jetait de grands cris et s'agitait en tous sens, sans trouver de repos ni de soulagement. Le jour suivant fut un jour de calme; après la peine, Dieu accordait à Catherine la douceur de ses consolations ; il attira à soi l'esprit de la sainte. On la vit immobile, les yeux fixés vers le ciel, ne parlant point, le visage épanoui avec un doux et gracieux sourire. Elle demeura ainsi pendant une heure environ et, lorsque après être rentrée dans son état naturel, on lui demanda ce qu'elle avait vu, elle répondit : Que Notre-Seigneur lui avait fait entrevoir le bonheur des élus, et qu'elle avait éprouvé un contentement inexprimable.
Le 14 août, veille de l'Assomption de Notre-Dame, Catherine fut beaucoup plus mal que de coutume. On crut qu'elle allait passer, et on lui administra le sacrement de l'Extrême-Onction. Le lendemain, elle eut du repos. Des anges virent en foule s'entretenir avec la sainte des joies du paradis. Le plaisir qu'elle en éprouva fut si grand, qu'elle ne put le contenir en elle-même. Elle laissa éclater au dehors des signes d'une allégresse extraordinaire. " Elle riait d'une façon si douce et si suave, que tout son être semblait plongé dans la joie". L'impression qu'avait ressentie Catherine dura sept jours entiers sans aucune interruption, de sorte que ses enfants spirituels crurent que le danger de la perdre était passé, et qu'elle entrait en voie de guérison. Mais, les sept jours écoulés, chacun comprit que l'espérance avait été illusoire, et que le terme fatal n'était plus éloigné. Catherine fut prise de convulsions telles, qu'elle demeura comme morte pendant seize heures, ne parlant plus et ne pouvant reprendre haleine. Ceux qui l'entouraient essayaient en vain de la faire revenir; l'opération étant divine, il fallait qu'elle eût son cours sans assistance humaine. Les douleurs augmentaient la veille de la Saint-Barthélemy, du 23 au 24 août. Dieu permit aussi que la sainte fût éprouvée alors par une horrible vision du démon, qui la mit dans un état impossible à décrire; non qu'elle eût aucune peur de l'ennemi du salut; mais la répugnance insurmontable que son âme, embrasée de l'amour divin, éprouvait pour cette hideuse créature, dépouillée de tout bien, lui rendait sa présence intolérable. Ne pouvant supporter cette odieuse vue et étant incapable de parler, elle se signa sur le coeur et fit comprendre aux assistants qu'ils devaient en faire autant ; puis elle indiqua qu'on eût recours à des aspersions d'eau bénite : au bout d'une demi-heure, le malin esprit disparut; Catherine recouvra sa tranquillité, et put raconter ce qu'elle avait vu. La sainte resta en paix pendant quelques heures ; puis recommencèrent les alternatives de tourments et d'impressions célestes. Elle était tour à tour languissante et animée d'une vigueur nouvelle, calme et agitée, triste et joyeuse; tantôt elle semblait au moment d'expirer, tantôt elle paraissait revenir à la vie. Le 25 août, elle eut un long évanouissement; on crut qu'elle se mourait; mais tout à coup elle reprit ses sens, demanda qu'on ouvrit les fenêtres, afin qu'elle pût contempler le ciel, et entonna le Veni, Creator Spiritus. Les voix des assistants se joignirent à la sienne, et Catherine termina l'hymne. Puis elle resta pendant une heure et demie, les yeux élevés, silencieuse, et le visage rayonnant. Elle dit, à plusieurs reprises : Allons nous-en! Plus de terre, plus de terre! Lorsqu'elle revint à elle, on lui demanda ce qu'elle avait vu : " Je ne puis le dire, répondit-elle, c'étaient des choses délicieuses mais entièrement ineffables". Le 26, elle eut une vision qu'elle fit connaître à son confesseur; Dieu lui montra sa propre âme parfaitement dépouillée de toute affection charnelle et spirituelle, et ceux qui entouraient la sainte purent se convaincre que tel était en effet l'état de cette âme prédestinée. Elle ne voulut plus garder auprès d'elle que les personnes qui lui étaient indispensables, et elle ne leur parla que quand il le fallait absolument.
Lorsqu'elle demandait quelque service à ses meilleurs amis, elle leur disait simplement : " Faites ceci pour l'amour de Dieu ". Elle leur témoignait d'ailleurs une indifférence à laquelle ils n'étaient point accoutumés, et qui ne leur laissa pour elle que les sentiments du plus profond respect. "
On ne saurait faire comprendre, dit le biographe anonyme, les progrès surprenants de l'amour divin dans ce corps exténué et dans cette âme purifiée, car l'esprit humain est incapable de pénétré les secrets de Dieu.
L'embrasement du corps était tel, que parfois on en voyait sortir des flammes; l'eau dans laquelle on lui plongeait les mains pour les rafraîchir devenait bouillante; le vase de métal employé à cet usage semblait avoir séjourné sur le feu. On ne pouvait toucher sa personne, son lit même, sans lui causer des douleurs aussi violentes que si on l'eût gravement blessée. Pendant la journée du 2 septembre et durant la nuit suivante, Catherine fut faiblesse excessive. On essaya en vain de la restaurer quelque peu; elle ne parvint pas à prendre même une goutte d'eau. Mais quand son heure de communier fut venue, elle fit signe qu'on appelât son confesseur. Celui-ci, craignant qu'elle ne pût avaler l'hostie consacrée, lui dit : Comment ferez-vous pour la consommer ? Elle lui fit signe qu'il n'y avait rien à craindre, et la reçut. Sa face alors devint vermeille comme celle d'un séraphin. La puissance du Saint-Sacrement lui rendit la parole, et son père spirituel lui ayant demandé comment elle avait pu communier, elle répondit :
Qu'à l'instant où elle avait eu son Dieu dans la bouche, elle l'avait senti au coeur. Ces merveilles ne furent pas les seules qui précédèrent le trépas de Catherine. Elle avait prédit à Argentine qu'avant de mourir elle subirait les tourments de la Passion du Sauveur. Cette prophétie se réalisa le 3 septembre. Pendant une crise, la plus violente qu'elle eût jamais eue, on la vit tout à coup étendre les bras en forme de croix, en donnant les signes de la plus excessive douleur. Les assistants comprirent que Notre-Seigneur Jésus la faisait participer à son crucifiement. Les stigmates ne parurent pas au dehors; mais l'impression, pour être spirituelle et intérieure, n'en fut pas moins réelle quant aux souffrances inexprimables qui l'accompagnèrent. Saint Paul déclare qu'il portait en son corps les stigmates du Sauveur; et cependant personne ne les voyait. Dieu accorda la même faveur à son humble servante. Au moment où les douleurs commencèrent, Catherine prononça distinctement les paroles suivantes : " Qu'elle soit la bienvenue cette passion, comme aussi toute autre qui pourra m'arriver par l'aimable volonté de mon Dieu. Voilà trente-six ans que vous m'avez éclairée, ô mon doux amour, et depuis lors, j'ai toujours désiré souffrir intérieurement et extérieurement. Et, comme j'aspirais aux souffrances, vous me les avez envoyées; ceux qui voyaient mes maux extérieurs les jugeaient fort grands ; quant à moi, par une disposition de votre bonté, je n'y trouvais que douceur et contentement, et il me semblait ne rien endurer.
Maintenant, je suis au plus fort de la douleur, et je me sens déchirée de la tête aux pieds. Je ne crois pas qu'une créature humaine puisse supporter ce supplice sans y succomber, car il y aurait de quoi consumer par sa violence un corps de fer et de diamant. Mais vous ne voulez pas que je meure en ce moment, et votre juste et sainte ordonnance me conserve la vie au milieu des tourments les plus intolérables. Et voici une autre merveille : malgré toutes ces souffrances, je me trouve en telle force et disposition, que je ne puis dire que je souffre; je suis, au contraire, dans un contentement si grand et si agréable, que je ne saurais l'exprimer." Pendant la nuit suivante, l'excessive tension des bras de la sainte occasionna une dislocation, et Argentine, qui la veillait, observa qu'ils s'allongèrent d'une demi-palme. Le 5 septembre, après la communion, Catherine eut une vision; il lui sembla qu'elle était morte, déposée dans un cercueil et entourée de religieux vêtus de noir. Elle s'en réjouit beaucoup; mais, étant revenue à elle, elle s'en confessa immédiatement, se reprochant d'avoir eu un mouvement de propriété. On essaya de lui faire avaler un oeuf; elle le rejeta, et fut prise de convulsions. Le feu intérieur croissait et la consumait de telle sorte qu'elle ne pouvait plus se remuer; elle restait couchée immobile sur le côté droit. Le 6, elle sentit dans son corps la plaie de côté du Sauveur. Elle lui causa, pendant dix heures consécutives, d'indicibles douleurs, accompagnées d'étouffements et de spasmes. Pendant ces dernières journées, Dieu lui avait ôté toutes les consolations, sauf celle qu'elle trouvait dans la sainte communion; mais, le 7 septembre dans l'après-midi, elle eut une extase accompagnée d'une joie excessive qui se manifesta par un sourire continuel. Le Seigneur lui montra une grande échelle de feu qui s'élevait de la terre au ciel, et l'invita à en monter les degrés. Cette vision l'embrasa tellement, qu'elle s'imagina que le monde entier brûlait. Elle fit ouvrir les fenêtres pour voir ce qui en était.
Catherine eut encore plusieurs visions consolantes pendant les jours suivants; mais ses douleurs croissaient d'heure en heure. Les amis de la sainte, pleins de compassion et poussés par le vague espoir que les hommes de l'art trouveraient au moins le moyens de la soulager, réunirent à cet effet les dix médecins les plus en renom à Gênes. Ces hommes habiles firent inutilement tout ce que peut faire la science; celui qui va à une fontaine tarie s'en retourne sans eau. Ils furent forcés d'avouer à leur tour que la maladie était surnaturelle; que Catherine Adorna était saine quant à l'entendement, au pouls et au parler, et que les accidents qui lui survenaient dépassaient la portée du savoir humain. Le 12 septembre, la sainte eut un vomissement de sang, son corps se couvrit de marques noires, et sa vue s'affaiblit au point qu'elle reconnaissait difficilement ceux qui étaient auprès d'elle. Dans la nuit du 12 au 13, les veines ne purent plus opposer de résistance suffisante au sang, à cause de son excessive chaleur ; elles se rompirent; le sang s'ouvrit une voie et s'échappa à gros bouillons; on le reçut dans un bassin d'argent, dont la partie inférieure fut aussitôt calcinée, de telle sorte qu'il en résulta des taches ineffaçables. Alors enfin, Dieu avait accompli son dessein de faire de Catherine un modèle parfait d'amour et de patience dans la souffrances. Son corps, entièrement consumé, vide de sang et d'humeurs, reposait immobile sur son lit. Dans la journée du 14 septembre, fête de l'Exaltation de la croix, elle parut se ranimer, et, pendant plusieurs heures, elle ravit les assistants par des discours brûlants d'amour et de charité. Puis elle demeura silencieuse, livrée à la plus profonde contemplation. Un peu après minuit, on lui demanda si elle communierait; connaissant sa fin prochaine, elle montra du doigt le ciel, afin de faire comprendre qu'elle y était attendue, et que, dans un instant, elle serait unie à l'objet de son amour, pour triompher éternellement avec lui. Alors son visage prit une incomparable expression de sérénité. D'une voix pleine de douceur, elle prononça les dernières paroles de Jésus-Christ : " Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains"; et elle rendit le dernier soupir. Ainsi mourut, le 15 septembre 1510, à l'âge de soixante-trois ans, Catherine Fiesca Adorna.
Derniers temps de la vie et mort de sainte Catherine.
Catherine approchait du terme de son pèlerinage. Les dernières semaines de cette merveilleuse existence furent marquées par une augmentation de souffrances et par d'admirables visions. Durant les jours que l'Eglise a consacrés aux martyrs, Dieu continuait à faire éprouver à sa fidèle servante les différents tourments qui avaient été infligés à ces héros de la foi et de l'amour divin. Pendant la nuit de la fête de saint Laurent, en particulier, il lui sembla constamment être étendue sur un gril au-dessus des charbons ardents; l'esprit acceptait; mais le corps jetait de grands cris et s'agitait en tous sens, sans trouver de repos ni de soulagement. Le jour suivant fut un jour de calme; après la peine, Dieu accordait à Catherine la douceur de ses consolations ; il attira à soi l'esprit de la sainte. On la vit immobile, les yeux fixés vers le ciel, ne parlant point, le visage épanoui avec un doux et gracieux sourire. Elle demeura ainsi pendant une heure environ et, lorsque après être rentrée dans son état naturel, on lui demanda ce qu'elle avait vu, elle répondit : Que Notre-Seigneur lui avait fait entrevoir le bonheur des élus, et qu'elle avait éprouvé un contentement inexprimable.
Le 14 août, veille de l'Assomption de Notre-Dame, Catherine fut beaucoup plus mal que de coutume. On crut qu'elle allait passer, et on lui administra le sacrement de l'Extrême-Onction. Le lendemain, elle eut du repos. Des anges virent en foule s'entretenir avec la sainte des joies du paradis. Le plaisir qu'elle en éprouva fut si grand, qu'elle ne put le contenir en elle-même. Elle laissa éclater au dehors des signes d'une allégresse extraordinaire. " Elle riait d'une façon si douce et si suave, que tout son être semblait plongé dans la joie". L'impression qu'avait ressentie Catherine dura sept jours entiers sans aucune interruption, de sorte que ses enfants spirituels crurent que le danger de la perdre était passé, et qu'elle entrait en voie de guérison. Mais, les sept jours écoulés, chacun comprit que l'espérance avait été illusoire, et que le terme fatal n'était plus éloigné. Catherine fut prise de convulsions telles, qu'elle demeura comme morte pendant seize heures, ne parlant plus et ne pouvant reprendre haleine. Ceux qui l'entouraient essayaient en vain de la faire revenir; l'opération étant divine, il fallait qu'elle eût son cours sans assistance humaine. Les douleurs augmentaient la veille de la Saint-Barthélemy, du 23 au 24 août. Dieu permit aussi que la sainte fût éprouvée alors par une horrible vision du démon, qui la mit dans un état impossible à décrire; non qu'elle eût aucune peur de l'ennemi du salut; mais la répugnance insurmontable que son âme, embrasée de l'amour divin, éprouvait pour cette hideuse créature, dépouillée de tout bien, lui rendait sa présence intolérable. Ne pouvant supporter cette odieuse vue et étant incapable de parler, elle se signa sur le coeur et fit comprendre aux assistants qu'ils devaient en faire autant ; puis elle indiqua qu'on eût recours à des aspersions d'eau bénite : au bout d'une demi-heure, le malin esprit disparut; Catherine recouvra sa tranquillité, et put raconter ce qu'elle avait vu. La sainte resta en paix pendant quelques heures ; puis recommencèrent les alternatives de tourments et d'impressions célestes. Elle était tour à tour languissante et animée d'une vigueur nouvelle, calme et agitée, triste et joyeuse; tantôt elle semblait au moment d'expirer, tantôt elle paraissait revenir à la vie. Le 25 août, elle eut un long évanouissement; on crut qu'elle se mourait; mais tout à coup elle reprit ses sens, demanda qu'on ouvrit les fenêtres, afin qu'elle pût contempler le ciel, et entonna le Veni, Creator Spiritus. Les voix des assistants se joignirent à la sienne, et Catherine termina l'hymne. Puis elle resta pendant une heure et demie, les yeux élevés, silencieuse, et le visage rayonnant. Elle dit, à plusieurs reprises : Allons nous-en! Plus de terre, plus de terre! Lorsqu'elle revint à elle, on lui demanda ce qu'elle avait vu : " Je ne puis le dire, répondit-elle, c'étaient des choses délicieuses mais entièrement ineffables". Le 26, elle eut une vision qu'elle fit connaître à son confesseur; Dieu lui montra sa propre âme parfaitement dépouillée de toute affection charnelle et spirituelle, et ceux qui entouraient la sainte purent se convaincre que tel était en effet l'état de cette âme prédestinée. Elle ne voulut plus garder auprès d'elle que les personnes qui lui étaient indispensables, et elle ne leur parla que quand il le fallait absolument.
Lorsqu'elle demandait quelque service à ses meilleurs amis, elle leur disait simplement : " Faites ceci pour l'amour de Dieu ". Elle leur témoignait d'ailleurs une indifférence à laquelle ils n'étaient point accoutumés, et qui ne leur laissa pour elle que les sentiments du plus profond respect. "
On ne saurait faire comprendre, dit le biographe anonyme, les progrès surprenants de l'amour divin dans ce corps exténué et dans cette âme purifiée, car l'esprit humain est incapable de pénétré les secrets de Dieu.
L'embrasement du corps était tel, que parfois on en voyait sortir des flammes; l'eau dans laquelle on lui plongeait les mains pour les rafraîchir devenait bouillante; le vase de métal employé à cet usage semblait avoir séjourné sur le feu. On ne pouvait toucher sa personne, son lit même, sans lui causer des douleurs aussi violentes que si on l'eût gravement blessée. Pendant la journée du 2 septembre et durant la nuit suivante, Catherine fut faiblesse excessive. On essaya en vain de la restaurer quelque peu; elle ne parvint pas à prendre même une goutte d'eau. Mais quand son heure de communier fut venue, elle fit signe qu'on appelât son confesseur. Celui-ci, craignant qu'elle ne pût avaler l'hostie consacrée, lui dit : Comment ferez-vous pour la consommer ? Elle lui fit signe qu'il n'y avait rien à craindre, et la reçut. Sa face alors devint vermeille comme celle d'un séraphin. La puissance du Saint-Sacrement lui rendit la parole, et son père spirituel lui ayant demandé comment elle avait pu communier, elle répondit :
Qu'à l'instant où elle avait eu son Dieu dans la bouche, elle l'avait senti au coeur. Ces merveilles ne furent pas les seules qui précédèrent le trépas de Catherine. Elle avait prédit à Argentine qu'avant de mourir elle subirait les tourments de la Passion du Sauveur. Cette prophétie se réalisa le 3 septembre. Pendant une crise, la plus violente qu'elle eût jamais eue, on la vit tout à coup étendre les bras en forme de croix, en donnant les signes de la plus excessive douleur. Les assistants comprirent que Notre-Seigneur Jésus la faisait participer à son crucifiement. Les stigmates ne parurent pas au dehors; mais l'impression, pour être spirituelle et intérieure, n'en fut pas moins réelle quant aux souffrances inexprimables qui l'accompagnèrent. Saint Paul déclare qu'il portait en son corps les stigmates du Sauveur; et cependant personne ne les voyait. Dieu accorda la même faveur à son humble servante. Au moment où les douleurs commencèrent, Catherine prononça distinctement les paroles suivantes : " Qu'elle soit la bienvenue cette passion, comme aussi toute autre qui pourra m'arriver par l'aimable volonté de mon Dieu. Voilà trente-six ans que vous m'avez éclairée, ô mon doux amour, et depuis lors, j'ai toujours désiré souffrir intérieurement et extérieurement. Et, comme j'aspirais aux souffrances, vous me les avez envoyées; ceux qui voyaient mes maux extérieurs les jugeaient fort grands ; quant à moi, par une disposition de votre bonté, je n'y trouvais que douceur et contentement, et il me semblait ne rien endurer.
Maintenant, je suis au plus fort de la douleur, et je me sens déchirée de la tête aux pieds. Je ne crois pas qu'une créature humaine puisse supporter ce supplice sans y succomber, car il y aurait de quoi consumer par sa violence un corps de fer et de diamant. Mais vous ne voulez pas que je meure en ce moment, et votre juste et sainte ordonnance me conserve la vie au milieu des tourments les plus intolérables. Et voici une autre merveille : malgré toutes ces souffrances, je me trouve en telle force et disposition, que je ne puis dire que je souffre; je suis, au contraire, dans un contentement si grand et si agréable, que je ne saurais l'exprimer." Pendant la nuit suivante, l'excessive tension des bras de la sainte occasionna une dislocation, et Argentine, qui la veillait, observa qu'ils s'allongèrent d'une demi-palme. Le 5 septembre, après la communion, Catherine eut une vision; il lui sembla qu'elle était morte, déposée dans un cercueil et entourée de religieux vêtus de noir. Elle s'en réjouit beaucoup; mais, étant revenue à elle, elle s'en confessa immédiatement, se reprochant d'avoir eu un mouvement de propriété. On essaya de lui faire avaler un oeuf; elle le rejeta, et fut prise de convulsions. Le feu intérieur croissait et la consumait de telle sorte qu'elle ne pouvait plus se remuer; elle restait couchée immobile sur le côté droit. Le 6, elle sentit dans son corps la plaie de côté du Sauveur. Elle lui causa, pendant dix heures consécutives, d'indicibles douleurs, accompagnées d'étouffements et de spasmes. Pendant ces dernières journées, Dieu lui avait ôté toutes les consolations, sauf celle qu'elle trouvait dans la sainte communion; mais, le 7 septembre dans l'après-midi, elle eut une extase accompagnée d'une joie excessive qui se manifesta par un sourire continuel. Le Seigneur lui montra une grande échelle de feu qui s'élevait de la terre au ciel, et l'invita à en monter les degrés. Cette vision l'embrasa tellement, qu'elle s'imagina que le monde entier brûlait. Elle fit ouvrir les fenêtres pour voir ce qui en était.
Catherine eut encore plusieurs visions consolantes pendant les jours suivants; mais ses douleurs croissaient d'heure en heure. Les amis de la sainte, pleins de compassion et poussés par le vague espoir que les hommes de l'art trouveraient au moins le moyens de la soulager, réunirent à cet effet les dix médecins les plus en renom à Gênes. Ces hommes habiles firent inutilement tout ce que peut faire la science; celui qui va à une fontaine tarie s'en retourne sans eau. Ils furent forcés d'avouer à leur tour que la maladie était surnaturelle; que Catherine Adorna était saine quant à l'entendement, au pouls et au parler, et que les accidents qui lui survenaient dépassaient la portée du savoir humain. Le 12 septembre, la sainte eut un vomissement de sang, son corps se couvrit de marques noires, et sa vue s'affaiblit au point qu'elle reconnaissait difficilement ceux qui étaient auprès d'elle. Dans la nuit du 12 au 13, les veines ne purent plus opposer de résistance suffisante au sang, à cause de son excessive chaleur ; elles se rompirent; le sang s'ouvrit une voie et s'échappa à gros bouillons; on le reçut dans un bassin d'argent, dont la partie inférieure fut aussitôt calcinée, de telle sorte qu'il en résulta des taches ineffaçables. Alors enfin, Dieu avait accompli son dessein de faire de Catherine un modèle parfait d'amour et de patience dans la souffrances. Son corps, entièrement consumé, vide de sang et d'humeurs, reposait immobile sur son lit. Dans la journée du 14 septembre, fête de l'Exaltation de la croix, elle parut se ranimer, et, pendant plusieurs heures, elle ravit les assistants par des discours brûlants d'amour et de charité. Puis elle demeura silencieuse, livrée à la plus profonde contemplation. Un peu après minuit, on lui demanda si elle communierait; connaissant sa fin prochaine, elle montra du doigt le ciel, afin de faire comprendre qu'elle y était attendue, et que, dans un instant, elle serait unie à l'objet de son amour, pour triompher éternellement avec lui. Alors son visage prit une incomparable expression de sérénité. D'une voix pleine de douceur, elle prononça les dernières paroles de Jésus-Christ : " Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains"; et elle rendit le dernier soupir. Ainsi mourut, le 15 septembre 1510, à l'âge de soixante-trois ans, Catherine Fiesca Adorna.
CHAPITRE XIX
La gloire de Catherine manifestée a plusieurs
de ses familiers. Sa sépulture
Argentine était présente au moment où Catherine rendit le dernier soupir. Elle vit l'âme de sa mère spirituelle se séparer du corps sous la forme d'un rayon de lumière, et s'élancer vers le ciel d'un vol rapide. Ravie hors d'elle-même à cette vue, elle proféra d'abord des paroles tout imprégnées du feu de l'amour divin; puis elle dit aux personnes qui l'entouraient : " Oh! qu'elle est étroite la voie qu'il faut suivre pour arriver sans empêchement à la céleste patrie !" Après avoir prononcé ces mots, elle eut une extase qui dura jusqu'au matin et qui la fit beaucoup souffrir. Elle se voyait engagée elle-même dans cette voie resserrée et difficile et ne savait pas de quel côté se tourner ; en même temps, les tourments qu'endurent les âmes qui se séparent de leurs corps sans être parfaitement purifiées, lui furent montrés, et ce spectacle la remplit d'une terreur salutaire, que partagèrent ceux auxquels elle fit part de sa vision. D'autres amis de Catherine eurent des avertissements semblables; les biographes contemporains rapportent une foule de faits merveilleux et constatés authentiquement. Nous nous bornerons à en citer quelques-uns des plus frappants. Dieu avait permis que l'une des filles spirituelles de la sainte fût possédée du démon [1]. Elle eut d'affreuses convulsions à l'instant où Catherine quitta la terre; et le malin esprit fut obligé d'avouer qu'il avait vu l'âme de la bienheureuse s'unir à Dieu et que ce spectacle lui avait causé d'intolérables tourments. Une médecin très attaché à la sainte fut réveillé subitement au même moment, et entendit très distinctement une voix qui lui disait : " Adieu, je pars maintenant pour le ciel." Il comprit que son amie venait de mourir; et il en fit part à sa femme. Dans cette même nuit, Hector Vernaizza, étant en oraison, vit Catherine portée en paradis sur une nuée lumineuse. "Et comme c'était un homme très avancé dans les voies de l'esprit et tout dévoué à la bienheureuse, dit notre vieil historien cette vue lui causa tant de joie et de consolation, qu'il en fut tout hors de lui. Il se trouvait loin de Gênes ; mais il ne douta pas plus de la mort et de la gloire de sa mère spirituelle que s'il en avait été témoin oculaire." Une sainte religieuse, l'on croit que c'était Thomasa Fiesca, dont il a été question précédemment, eut un songe merveilleux. Catherine lui apparut belle et transfigurée, vêtue d'une robe blanche, les reins ceints; et son union avec Dieu lui fut révélée. La religieuse se réveilla et dit à une de ses compagnes : "L'âme de Catherine vient de monter au ciel." Dès que le jour parut, elle s'informa de la chose et apprit avec grande joie qu'elle ne s'était pas trompée. Une autre religieuse, qui se trouvait ravie en extase au moment où la bienheureuse expirait, la vit si belle, si joyeuse, si pleine d'un contentement ineffable, qu'elle se crut transportée elle-même en paradis. Catherine m'appela par son nom, lui donna plusieurs avis, et l'engagea à supporter patiemment, pour l'amour de Dieu, les peines de la vie présente. La nonne suivit fidèlement les conseils de la sainte; la dévotion qu'elle avait eue de tout temps pour Catherine augmenta sensiblement et le souvenir de sa vision, qui lui revenait souvent la remplissait toujours de ferveur et de consolation.
Cattaneo Marabotto, confesseur de la bienheureuse, n'eut aucune révélation relative à l'état dans lequel se trouvait l'âme de sa pénitente, pendant la nuit du décès et la journée suivante. Le deuxième jour, lorsqu'il célébrait la messe des Morts, il ne put jamais prier pour elle, mais seulement pour les défunts en général. Le surlendemain, il dit la messe du commun de plusieurs Martyrs, prescrite ce jour-là; et Dieu permit qu'en la commençant Catherine ne lui revint nullement à la mémoire. Mais au moment où il prononça les paroles de l'Introït : — Salus autem justorum a Domino : Le salut des justes est l'ouvrage du Seigneur, le souvenir du long martyre de sa fille en Jésus-Christ se représenta à son esprit avec une vivacité extraordinaire, et involontairement il lui appliqua toutes les paroles de la messe. Lorsqu'il en vint à lire ces mots de l'Epître : Justorum animoe in manu Dei sunt : Les âmes des justes sont entre les mains de Dieu, il sentit son coeur pénétré de la plus tendre dévotion et d'un sentiment de compassion extraordinaire : ses larmes commencèrent à couler avec une telle abondance, qu'il put à peine continuer la célébration du Saint-Sacrifice ; ses yeux obscurcis ne distinguaient plus les caractères du missel, des sanglots lui coupaient la parole; mais, en même temps, la certitude du bonheur de Catherine remplissait son coeur d'une joie et d'un contentement inexprimables. Les assistants, qui étaient tous des amis et des familiers de notre sainte, mêlèrent leurs pleurs à ceux du Père Marabotto et achevèrent de le troubler; il parvint difficilement à finir la messe, et, se retirant dans la sacristie il donna un libre cours à ses larmes pendant une demi-heure encore, puis il recouvra peu à peu le calme et la tranquillité; mais, à partir de ce moment, la pensée du martyre de Catherine ne lui causa plus aucune affliction, quoique toujours présente à son coeur et à sa mémoire. Le corps de la bienheureuse avait été déposé dans l'église du grand hôpital, aussitôt après son décès. La nouvelle de sa mort s'étant répandue, on vit accourir la foule des habitants de Gênes ; ecclésiastiques et laïques, jeunes et vieux, nobles et plébéiens, hommes et femmes, chacun voulut vénérer les restes de celle qui avait été la gloire et l'ornement de la ville, et qui avait pratiqué, pendant trente-six années consécutives, les vertus le plus sublimes à un degré héroïque. Tous les assistants donnaient des signes manifestes de la douleur profonde que leur causait cette perte irréparable. Dès le premier jour de l'exposition, une quantité de miracles s'opérèrent :beaucoup de malades et d'estropiés retrouvèrent instantanément la santé et l'usage de leurs membres, en allant prier auprès des reliques de Catherine. Les guérisons des maladies de l'âme, bien autrement importantes que celles des maux du corps, furent également nombreuses. Gênes fut témoin d'admirables conversions, surtout parmi les femmes du rang le plus élevé. Couchée sur son lit de mort, Catherine paraissait doucement endormie, et l'expression séraphique de ce visage calme et pur, légèrement coloré, et que semblait animer encore un divin sourire, inspirait le mépris des choses de la terre et l'amour de celles du ciel. A cette vue, les assistants se sentaient pénétrés de componction ; beaucoup d'entre eux renoncèrent, à partir de ce jour, aux plaisirs, aux honneurs et aux vanités du siècle, pour marcher sur les traces de l'admirable, objet de si universels regrets. La sainte, poussée sans doute par l'humilité et par le désir d'éviter que des honneurs ne lui fussent rendus après sa mort, avait demandé, dans deux testaments successifs[2], à être ensevelie, hors de la ville, en des églises qu'elle indiquait. Mais les directeurs de l'hospice, voulant conserver ses reliques, lui firent faire, deux jours avant son décès un codicille par lequel elle autorisait Jacques Carentius et Cattaneo Marabotto à désigner le lieu de sa sépulture. Ceux-ci arrêtèrent que le corps serait déposé dans l'église du grand hôpital, que Catherine avait administré et surveillé pendant si longtemps. La bienheureuse, ainsi que nous l'avons rapporté en son lieu, avait dit que, si l'on ouvrait un jour ses restes mortels, on trouverait son cœur consumé par l'amour, et réduit en cendres. Cependant l'ouverture n'eut pas lieu; on n'osa soumettre à l'autopsie un corps qui demeurait mou, flexible, et dont toute l'apparence présentait quelque chose de surnaturel. On ne s'occupa plus qu'à lui rendre les derniers devoirs; il fut déposé dans un cercueil de bois et enseveli dans une fosse creusée au pied de l'un des murs de l'église. Au-dessous de ce mur courait un aqueduc dont l'existence était ignorée. Cependant la foule continuait à se porter au tombeau de Catherine; de nombreux miracles alimentaient et excitaient de plus en plus la dévotion des fidèles. Les directeurs de l'hospice résolurent en conséquence de placer en un lieu plus apparent les restes de celle que la voix publique désignait déjà sous le titre de sainte, et que le pape Jules II qualifiait de Bienheureuse. Aidés des aumônes des âmes pieuses, ils firent construire un tombeau de marbre, orné de diverses peintures; quand il fut prêt, on ouvrit la fosse qui renfermait le précieux dépôt. Dix-huit mois s'étaient écoulés depuis la mort de Catherine ; lorsque le cercueil fut mis à découvert, on vit que l'humanité du lieu l'avait complètement détérioré, il était rongé par les vers. Les assistants commencèrent à avoir de vives inquiétudes sur l'intégrité du corps. Ces inquiétudes augmentèrent quand, après avoir décloué le cercueil, on trouva que les vers avaient pénétré dans son intérieur et que les vêtements étaient entièrement pourris et tombaient en lambeaux. Mais les craintes ne tardèrent pas à se dissiper pour faire place à des élans de joie et de reconnaissance. Le corps était tel absolument que le jour où on l'avait enseveli. On n'y remarquait aucune odeur, aucune altération produite par l'humidité, les vers ne s'en étaient point approchés. Il était flexible, les chairs ne présentaient pas de traces de corruption, et elles paraissaient encore rouges et d'une couleur enflammée dans la région du coeur, comme au temps où Catherine vivait."
Chacun comprit que cette conservation parfaite et merveilleuse était l'oeuvre de Dieu." Une multitude innombrable de gens de toutes conditions se portèrent à l'église de l'hôpital pour vénérer les restes de la sainte. Il fallut laisser le corps exposé pendant huit jours afin de satisfaire à la dévotion publique. Durant ce temps, la vaste nef ne désemplit pas du matin au soir, et chaque heure, pour ainsi dire, était marquée par la guérison subite de maladies reconnues incurables. L'église retentissait de cris d'admiration, de sanglots, et chacun voulait emporter une relique de sainte Catherine, un morceaux des étoffes qui couvraient son corps; quelqu'un réussit enfin à s'emparer furtivement de l'un des ongles de la bienheureuse. Le corps fut alors placé, pour plus de sûreté, dans une chapelle munie d'une forte grille, et Dieu continua à multiplier les miracles en faveur de ceux qui recouraient à l'intercession de sa servante. Les huit jours écoulés, on enferma les restes de Catherine dans le nouveau tombeau de marbre érigé, tout auprès du maître-autel, par les soins des protecteurs et directeurs du grand hôpital.
[1] Ce n'est point celle dont il a été question précédemment, et qui ainsi que nous le disions, mourut avant Catherine.
[2] Dans le premier testament elle avait indiqué l'église de l'Association desservie par les Frères-Mineurs de l'Observance. Dans le second, daté du 18 mars 1509, elle avait choisi Saint-Nicolas del Boschetto.
CHAPITRE XX
Translations subséquentes du corps de sainte Catherine.
Miracles et canonisation
Quelques années après la mort de Catherine, le Père Cattaneo Marabotto et Hector Vernazzia firent imprimer sa première biographie, son admirable Traité du Purgatoire et ses Dialogues.
Ces livres ayant été traduits en plusieurs langues, la doctrine de la bienheureuse et la réputation de son éminente sainteté se répandirent dans le monde catholique, et Catherine devint l'objet de l'admiration des plus grands docteurs et des plus savants prélats. Les étrangers accouraient en grand nombre pour vénérer ses reliques, et souvent la foule encombrait les abords du tombeau empêchait que le service divin ne se célébrât au maître-autel avec la décence convenable. Cette considération décida les protecteurs de l'hospice à transporter le sépulcre dans la partie basse de l'église, où il demeura jusqu'en 1593. A cette époque, on jugea que les restes de Catherine étaient trop humblement placés; car les miracles se multipliaient et le concours des pèlerins augmentait. Un tombeau y transporta le saint corps, on le trouva parfaitement conservé et sans aucune trace de corruption. Ce tombeau était simplement en bois ; en 1642, il tombait de vétusté; on fit faire une châsse dorée, et on y déposa la relique, qu'on retrouva dans sa miraculeuse intégrité. Le 17 mai 1602, la sacrée congrégation des Rites permit que l'on sortit le corps de la châsse, et qu'on le plaçât dans une arche d'argent munie de cristaux, afin que tout le monde pût le voir. Enfin le pape Clément XI ordonna, le 23 août 1708, que les vieux habits qui couvraient ce corps fussent remplacés par des vêtements plus convenables. On lui obéit, et les restes de Catherine furent dans leur reliquaire, où ils reposent encore aujourd'hui sans trace de corruption. Mais, dès longtemps avant ces dernières translations, des démarches avaient été faites pour la canonisation de Catherine. Nous avons dit déjà que dix-huit mois après sa mort elle avait été béatifiée de vive voix par le pape Jules II, son compatriote [1]. Parpera nous apprend [2] qu'en 1630 l'archevêque de Gênes fit faire une première procédure dans laquelle on fournit les preuves de tous les évènements qui ont été rapportés dans la vie de la bienheureuse, de l'incorruption de son corps et de plusieurs miracles récents. Cette procédure fut envoyée à la sacrée congrégation des Rites, la cause y fut introduite en 1631. En 1636, Urbain VIII expédia une commission pour informer sur les vertus et les miracles en général. A partir de ce temps, le procès resta pendant jusqu'en 1670, on en ignore les motifs. La cause fut enfin reprise par ordre du pape Clément X ; et, le 30 mars 1675, la congrégation rendit un décret approuvant tout ce qui avait été fait précédemment; le Souvenir-Pontife confirma cette décision le 6 avril suivant. La révision des écrits de la sainte fut alors ordonnée; le consulteur chargé de l'examen en rendit compte dans les termes suivants au cardinal Azzolini : "J'ai lu et examiné, avec la plus grande attention, les deux traités de la vénérable Catherine, l'un sur le purgatoire, l'autre intitulé : Dialogues entre l'âme et le corps, et je déclare n'y avoir rien trouvé qui soit contraire à la sainte doctrine et aux moeurs. A la vérité, on y rencontre çà et là des choses obscures et qui choqueraient si on les entendait d'après le langage ordinaire ; mais on en trouve de semblables dans les écrits de saint Augustin, de sainte Brigitte, de sainte Thérèse et des autres contemplatifs divinement éclairés. Cela tient à la profondeur d'une doctrine tout à fait séraphique et à l'ignorance du lecteur ainsi qu'à son défaut d'expérience. J'ajoute qu'il n'y a rien dans ces écrits qui puisse empêcher ou retarder la déclaration définitive de la sainteté de Catherine. Je déclare enfin que la doctrine qu'ils renferment lui ayant été évidemment dictée par l'Esprit-Saint, et atteignant au suprême degré de la vie unitive et de l'amour héroïque, suffirait en l'absence d'autres preuves, pour établir incontestablement sa sainteté." Innocent XI approuva les écrits de Catherine, le 14 juin 1676.
Plusieurs prélats et docteurs illustres ont rendu d'éclatants témoignages en faveur de ces mêmes écrits. Mrg Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, dans l'avertissement de son livre intitulé : De la piété des chrétiens envers les morts, affirme que la doctrine de notre sainte sur le purgatoire est en tous points conforme à celle de saint Bernard, et il ajoute : "Il est rare que l'esprit de Dieu communique ses lumières avec autant d'abondance qu'il l'a fait à cette âme si pure et si embrasée d'amour. Aussi sont traité du purgatoire est un monument admirable de la sollicitude de Dieu dans le gouvernement de son Eglise. Ayant prévu le déchaînement de l'hérésie de Luther et de Calvin contre cette doctrine du purgatoire et des suffrages pour les morts, il choisit parmi les mortels, cette femme douée d'une vertu et d'une sainteté extraordinaires, pour défendre cette vérité de la foi, et instruire les Catholiques, et l'initia pour cela à ce qu'elle a de plus sublime et de plus mystérieux. La méthode qu'elle a suivie dans cet écrit est si digne de la majesté de Dieu et de la grandeur de notre religion, que ceux qui liront ce traité ne pourront s'empêcher d'admirer sa sainte Providence, qui se plaît à cacher ses secrets aux sages et aux prudents du siècle, et les manifeste aux humbles et aux petits." Nous avons parlé, dans nos indications préliminaires, de l'estime en laquelle les cardinaux Bellarmin, Pierre de Bérulle, Frédéric Borromée et Jean Bona tenaient les œuvres de sainte Catherine; nous savons également que saint Louis de Gonzague, saint André Avellino, et l'immortel évêque de Genève saint François de Sales, en ont fait un magnifique éloge. Nous n'avons donc plus à y revenir ici. Nous nous bornerons à rappeler les paroles de l'ami et du confident de saint François du pieux évêque de Belley : " D'après son conseil, écrivait-t-il, j'ai lu et relu plusieurs fois le Traité du Purgatoire, et toujours avec un nouveau goût et de nouvelles lumières; et j'avoue qu'en cette matière je n'ai jamais rien vu qui m'ait autant satisfait." Le culte public rendu à Catherine avait été déclaré légitime le 6 avril 1675, ainsi que nous le disions ci-dessus.
Toutefois cette déclaration ne suffisait pas à la tendre dévotion des directeurs nobles du grand hospice de Gênes. Ils s'adressèrent à la congrégation des Rites, afin que le procès de canonisation fût introduit. On céda à leur désir; l'héroïsme des vertus de Catherine et la vérité de ses miracles ayant été prouvés incontestablement, Clément XII, pape alors régnant, approuva, le 5 avril 1737, tout ce qui s'était fait. La bulle de canonisation parut le 30 du même mois, et la cérémonie eut lieu le 15 juin suivant. Catherine de Gênes fut solennellement inscrite au nombre des saints, avec saint Vincent de Paul, saint François Régis et sainte Julienne Falconieri, et elle eut son office propre. Les miracles rapportés dans le procès de canonisation et reconnus authentiques sont en très grand nombre ; nous nous bornerons à en citer quelques-uns des plus remarquables, consignés, les uns dans les écrits des premiers biographes de la sainte, les autres dans la bulle de Clément XII. Camilla Doria était mourante; la gangrène s'était déclarée à la suite d'une opération terrible qu'elle venait de subir au côté; elle se fait appliquer, par sa mère une relique de sainte Catherine; à la grande stupéfaction des médecins, la gangrène disparaît et, au bout de peu de jours, la maladie est parfaitement guérie. – (1616). En 1631, une femme, nommée Dominichina, donne à une malheureuse lépreuse de l'huile provenant de la lampe du tombeau de notre sainte; la lépreuse s'en frotte le corps, et au même instant son mal disparaît à jamais. Thomase Pergalla a un ulcère incurable sous le bras droit; elle se rend à trois reprises au tombeau de Catherine, y prie chaque fois trois Pater et de trois Ave, se frotte avec l'huile de la lampe. Après la troisième station, elle est guérie durant son sommeil (1631). Marie de Bisagno et Lucie Medicina sont guéries, la première d'une hydropisie, la seconde d'un transport au cerveau, en faisant usage de cette même huile (1632). Dominichina Perazza, aveugle depuis longtemps, recouvre la vue en s'approchant du corps de Catherine, lors de sa translation en 1642. Madeleine Marie Rizzi, affligée d'une maladie déclarée incurable par les quatre médecins les plus renommés de Gênes, est guérie subitement, après avoir incoqué sainte Catherine, et jouit, à partir de ce moment, d'une santé parfaite (1720). Elle rend compte elle-même de la manière dont s'est opéré le miracle; voici les termes de sa déposition, tels qu'ils sont consignés dans le procès de canonisation : "J'étais malade au conservatoire de Sainte-Marie, dans le grand hôpital, et, sachant que mon infirmité était sans remède, je me résignais à mon sort, lorsqu'on vint me dire qu'une femme, qui devait être opérée d'un cancer le jour suivant, avait été guérie subitement par l'intercession de la vénérable Catherine. Une autre femme étant survenue, m'exhorta et m'encouragea à implorer l'assistance de cette servante de Dieu. Je lui adressai ma prière avec beaucoup de ferveur et de confiance; puis je m'endormis, mais d'un sommeil si léger, que le moindre attouchement eût suffi pour me réveiller ! Pendant ce sommeil, je vis auprès de mon lit la vénérable Catherine, je la reconnus à sa ressemblance avec l'image conservée dans la chapelle où repose son corps. Je pris sa main, elle était molle, flexible et douce; je la plaçai sur mon côté gauche où je souffrais de très vives douleurs. A peine cette main l'eût-elle touché, que je me sentis délivrée de mon mal."
Marie-Françoise-Xavière Gentils, noble génoise, souffre, depuis l'âge de 13 ans, d'une maladie compliquée qui ne lui permet plus de quitter le lit. Un asthme oppresse sa poitrine des contractions de nerfs l'empêchent de faire usage de ses membres, elle est en proie au scorbut et à des convulsions, et souffre d'affreuses douleurs. Elle entend parler des miracles qui se multiplient au tombeau de Catherine, et elle a la ferme confiance que si elle pouvait y aller, elle demeurait délivrée de ses maux. Le 23 mars 1734, malgré les représentations des médecins et de ses familiers, elle se fait habiller et porter auprès du saint corps. Elle y communie, et revient chez elle parfaitement guérie. Toute la noblesse de Gênes accourt pour féliciter Marie-Françoise, et les dépositions d'une foule de témoins oculaires attestent le fait lors du procès de canonisation. Blanche Semina était tombée dans son enfance du haut d'un escalier, et avait eu les deux hanches déboîtées. Pendant 25 années, on lui avait fait employer inutilement à l'hôpital tous les remèdes imaginables; une paralysie complète s'étant jointe à ses autres maux, elle avait été placée aux Incurables.
Ayant entendu parler des miracles de Catherine, elle espère en son intercession ; le 2 avril 1734, elle se fait porter au tombeau de la bienheureuse assiste à la messe communie, et obtient une guérison complète et instantanée. Le fait est attesté par huit témoins oculaires, dignes de toute confiance. Quelques jours plus tard (13 avril), Marie-Catherine Rombi, mortellement atteinte d'une maladie très compliquée, et déjà munie des derniers sacrements, recouvre une santé parfaite auprès du tombeau de Catherine. Paule Fava est miraculeusement guérie de neuf ulcères aux seins, pendant une neuvaine faite en l'honneur de notre sainte. Nous nous bornons à citer ces miracles, de crainte de fatiguer nos lecteurs; mais nous ajoutons, avec les biographes de sainte Catherine de Gênes, que, si l'on voulait rendre compte de tous ceux dus à son intercession, on n'en finirait jamais, et que des volumes n'y suffiraient pas. La bulle de canonisation de la sainte est un monument très remarquable. Clément XII y qualifie Catherine de vraie femme de l'écriture et fait un magnifique éloge de ses vertus. Il raconte brièvement sa vie; il rappelle ses premières années, sa soif d'imiter les douleurs de Jésus-Christ, ses mortifications précoces, son désir d'entrer dans un monastère dès l'âge de 13 ans, son mariage, ses peines et sa conversion, sa contrition et son amour, son humilité, son ardeur pour la souffrance, afin de satisfaire à la justice divine, ses jeûnes prodigieux, et ses innombrables oeuvres de charité. La bulle passe ensuite à l'examen des phénomènes moraux et physiques que l'amour divin avait produits dans Catherine. " Sa parfaite connaissance de Dieu, y est-il dit, et le sentiments profond de sa propre bassesse la poussaient au complet mépris d'elle-même et à l'amour de l'humiliation. Elle avait détruit dans son coeur tout ce qu'il renfermait de propre, afin que Notre-Seigneur seul vécût en elle; aucune affection terrestre ne venait se placer entre elle et son Dieu; rien ne pouvait la séparer de la charité de Jésus-Christ. Les chagrins, les mépris, les blâmes, les joies, les éloges, la maladies ou la santé, n'avaient aucune prise sur elle ; quoi qu'il arrivât, Dieu seul était dans son coeur et dans sa pensée; elle avait pour tout le reste une si parfaite indifférence, qu'elle conservait pas même le souvenir... Dans ses admirables Dialogues, elle dépeint les dangers que court une âme enlacée par la chair; mais ses exemples étaient encore plus puissants que ses écrits; elle poussait vers la perfections tous ceux qui l'entouraient, et qui avaient le bonheur de la voir et de l'entendre... Ravie souvent en extase par la violence de l'amour divin qui remplissait son coeur, de célestes secrets, supérieurs à la portée de l'intelligence humaine, lui étaient révélés. Les flammes de l'amour l'avaient sanctifiée, plus que de la vie de l'esprit; son corps était brûlé, calciné, sans qu'elle eût aucun souci des douleurs excessives auxquelles il se trouvait livré...
La mort, qui inspire à tous les hommes de crainte et la terreur, était pour Catherine un sujet de joie et de consolation, d'espérance et d'amour; mais, malgré cet amour, elle acquiesçait en toutes choses à la volonté divine, et quelque ardent que fût son désir d'aller au ciel et de se réunir à son bien-aimé, elle s'en remettait au bon plaisir de Dieu, et se disposait joyeusement à voir augmenter ses souffrances, pour devenir de plus en plus conforme à Notre-Seigneur Jésus-Christ, et compagne de sa passion, avant de l'être de sa résurrection... En proie à un mal extraordinaire, déclaré incurable et surnaturel par la science humaine, la sainte Eucharistie seule lui procurait du soulagement, et elle mourut enfin plutôt d'amour que de maladie..." Tels sont les termes dans lesquels l'autorité infaillible s'est exprimée sur le compte de Catherine de Gênes. La bulle passe ensuite à la vénération dont la sainte a été l'objet aussitôt après son décès; elle rend compte des principaux miracles, de l'incorruptibilité du corps, de ses différentes translations, et de l'instruction des procès. Le Pape termine en implorant la protection et l'intercession de Catherine. Déjà, antérieurement à l'époque de la canonisation divers monuments avaient été élevés en l'honneur de l'illustre Génoise; nous savons qu'avant d'avoir été inscrite au nombre des saints elle était vénérée comme telle. La gloire de son nom s'était répandue dans l'univers catholique; et presque tous les écrivains ascétiques, ainsi que le dit le promoteur de sa cause, la citaient dans leurs oeuvres comme un modèle accompli de vertu et de sainteté. Une chapelle avait été érigée en son honneur au monastère des Carmélites de Paris. La maison assignée en douaire à Catherine par son mari était devenue l'église de la congrégation de l'Oratoire, en 1659. La petite chambre dans laquelle le Christ sanglant lui était apparu avait été convertie en chapelle; on y voyait, au-dessus de l'autel, une image de Catherine; diverses peintures y rappelaient ses merveilleuses visions, et un concours nombreux de pieux pèlerins visitait ce sanctuaire avec dévotion.
Une autre chapelle très magnifique avait été construite, en l'honneur de la sainte, dans l'église du grand hôpital, dès le milieu du dix-septième siècle. La vénération pour Catherine grandit encore après que Rome eut prononcé son jugement. Arrêtons-nous ici, et disons en finissant, avec le plus ancien des biographe de celle dont nous venons de raconter la vie : " O Dieu plein de miséricorde, nous vous prions, par l'intercession de cette âme bienheureuse, d'allumer dans nos coeurs la flamme de votre amour, afin que nous ne cessions de croître en vertu, et qu'enfin nous puissions jouir de la béatitude éternelle auprès de vous, qui vivez et régnez dans tous les siècles des siècles. Amen.
FIN DE LA VIE DE SAINTE CATHERINE
[1] Ce pontife était né à Savone.
[2] Lettres à Henschenius.
La gloire de Catherine manifestée a plusieurs
de ses familiers. Sa sépulture
Argentine était présente au moment où Catherine rendit le dernier soupir. Elle vit l'âme de sa mère spirituelle se séparer du corps sous la forme d'un rayon de lumière, et s'élancer vers le ciel d'un vol rapide. Ravie hors d'elle-même à cette vue, elle proféra d'abord des paroles tout imprégnées du feu de l'amour divin; puis elle dit aux personnes qui l'entouraient : " Oh! qu'elle est étroite la voie qu'il faut suivre pour arriver sans empêchement à la céleste patrie !" Après avoir prononcé ces mots, elle eut une extase qui dura jusqu'au matin et qui la fit beaucoup souffrir. Elle se voyait engagée elle-même dans cette voie resserrée et difficile et ne savait pas de quel côté se tourner ; en même temps, les tourments qu'endurent les âmes qui se séparent de leurs corps sans être parfaitement purifiées, lui furent montrés, et ce spectacle la remplit d'une terreur salutaire, que partagèrent ceux auxquels elle fit part de sa vision. D'autres amis de Catherine eurent des avertissements semblables; les biographes contemporains rapportent une foule de faits merveilleux et constatés authentiquement. Nous nous bornerons à en citer quelques-uns des plus frappants. Dieu avait permis que l'une des filles spirituelles de la sainte fût possédée du démon [1]. Elle eut d'affreuses convulsions à l'instant où Catherine quitta la terre; et le malin esprit fut obligé d'avouer qu'il avait vu l'âme de la bienheureuse s'unir à Dieu et que ce spectacle lui avait causé d'intolérables tourments. Une médecin très attaché à la sainte fut réveillé subitement au même moment, et entendit très distinctement une voix qui lui disait : " Adieu, je pars maintenant pour le ciel." Il comprit que son amie venait de mourir; et il en fit part à sa femme. Dans cette même nuit, Hector Vernaizza, étant en oraison, vit Catherine portée en paradis sur une nuée lumineuse. "Et comme c'était un homme très avancé dans les voies de l'esprit et tout dévoué à la bienheureuse, dit notre vieil historien cette vue lui causa tant de joie et de consolation, qu'il en fut tout hors de lui. Il se trouvait loin de Gênes ; mais il ne douta pas plus de la mort et de la gloire de sa mère spirituelle que s'il en avait été témoin oculaire." Une sainte religieuse, l'on croit que c'était Thomasa Fiesca, dont il a été question précédemment, eut un songe merveilleux. Catherine lui apparut belle et transfigurée, vêtue d'une robe blanche, les reins ceints; et son union avec Dieu lui fut révélée. La religieuse se réveilla et dit à une de ses compagnes : "L'âme de Catherine vient de monter au ciel." Dès que le jour parut, elle s'informa de la chose et apprit avec grande joie qu'elle ne s'était pas trompée. Une autre religieuse, qui se trouvait ravie en extase au moment où la bienheureuse expirait, la vit si belle, si joyeuse, si pleine d'un contentement ineffable, qu'elle se crut transportée elle-même en paradis. Catherine m'appela par son nom, lui donna plusieurs avis, et l'engagea à supporter patiemment, pour l'amour de Dieu, les peines de la vie présente. La nonne suivit fidèlement les conseils de la sainte; la dévotion qu'elle avait eue de tout temps pour Catherine augmenta sensiblement et le souvenir de sa vision, qui lui revenait souvent la remplissait toujours de ferveur et de consolation.
Cattaneo Marabotto, confesseur de la bienheureuse, n'eut aucune révélation relative à l'état dans lequel se trouvait l'âme de sa pénitente, pendant la nuit du décès et la journée suivante. Le deuxième jour, lorsqu'il célébrait la messe des Morts, il ne put jamais prier pour elle, mais seulement pour les défunts en général. Le surlendemain, il dit la messe du commun de plusieurs Martyrs, prescrite ce jour-là; et Dieu permit qu'en la commençant Catherine ne lui revint nullement à la mémoire. Mais au moment où il prononça les paroles de l'Introït : — Salus autem justorum a Domino : Le salut des justes est l'ouvrage du Seigneur, le souvenir du long martyre de sa fille en Jésus-Christ se représenta à son esprit avec une vivacité extraordinaire, et involontairement il lui appliqua toutes les paroles de la messe. Lorsqu'il en vint à lire ces mots de l'Epître : Justorum animoe in manu Dei sunt : Les âmes des justes sont entre les mains de Dieu, il sentit son coeur pénétré de la plus tendre dévotion et d'un sentiment de compassion extraordinaire : ses larmes commencèrent à couler avec une telle abondance, qu'il put à peine continuer la célébration du Saint-Sacrifice ; ses yeux obscurcis ne distinguaient plus les caractères du missel, des sanglots lui coupaient la parole; mais, en même temps, la certitude du bonheur de Catherine remplissait son coeur d'une joie et d'un contentement inexprimables. Les assistants, qui étaient tous des amis et des familiers de notre sainte, mêlèrent leurs pleurs à ceux du Père Marabotto et achevèrent de le troubler; il parvint difficilement à finir la messe, et, se retirant dans la sacristie il donna un libre cours à ses larmes pendant une demi-heure encore, puis il recouvra peu à peu le calme et la tranquillité; mais, à partir de ce moment, la pensée du martyre de Catherine ne lui causa plus aucune affliction, quoique toujours présente à son coeur et à sa mémoire. Le corps de la bienheureuse avait été déposé dans l'église du grand hôpital, aussitôt après son décès. La nouvelle de sa mort s'étant répandue, on vit accourir la foule des habitants de Gênes ; ecclésiastiques et laïques, jeunes et vieux, nobles et plébéiens, hommes et femmes, chacun voulut vénérer les restes de celle qui avait été la gloire et l'ornement de la ville, et qui avait pratiqué, pendant trente-six années consécutives, les vertus le plus sublimes à un degré héroïque. Tous les assistants donnaient des signes manifestes de la douleur profonde que leur causait cette perte irréparable. Dès le premier jour de l'exposition, une quantité de miracles s'opérèrent :beaucoup de malades et d'estropiés retrouvèrent instantanément la santé et l'usage de leurs membres, en allant prier auprès des reliques de Catherine. Les guérisons des maladies de l'âme, bien autrement importantes que celles des maux du corps, furent également nombreuses. Gênes fut témoin d'admirables conversions, surtout parmi les femmes du rang le plus élevé. Couchée sur son lit de mort, Catherine paraissait doucement endormie, et l'expression séraphique de ce visage calme et pur, légèrement coloré, et que semblait animer encore un divin sourire, inspirait le mépris des choses de la terre et l'amour de celles du ciel. A cette vue, les assistants se sentaient pénétrés de componction ; beaucoup d'entre eux renoncèrent, à partir de ce jour, aux plaisirs, aux honneurs et aux vanités du siècle, pour marcher sur les traces de l'admirable, objet de si universels regrets. La sainte, poussée sans doute par l'humilité et par le désir d'éviter que des honneurs ne lui fussent rendus après sa mort, avait demandé, dans deux testaments successifs[2], à être ensevelie, hors de la ville, en des églises qu'elle indiquait. Mais les directeurs de l'hospice, voulant conserver ses reliques, lui firent faire, deux jours avant son décès un codicille par lequel elle autorisait Jacques Carentius et Cattaneo Marabotto à désigner le lieu de sa sépulture. Ceux-ci arrêtèrent que le corps serait déposé dans l'église du grand hôpital, que Catherine avait administré et surveillé pendant si longtemps. La bienheureuse, ainsi que nous l'avons rapporté en son lieu, avait dit que, si l'on ouvrait un jour ses restes mortels, on trouverait son cœur consumé par l'amour, et réduit en cendres. Cependant l'ouverture n'eut pas lieu; on n'osa soumettre à l'autopsie un corps qui demeurait mou, flexible, et dont toute l'apparence présentait quelque chose de surnaturel. On ne s'occupa plus qu'à lui rendre les derniers devoirs; il fut déposé dans un cercueil de bois et enseveli dans une fosse creusée au pied de l'un des murs de l'église. Au-dessous de ce mur courait un aqueduc dont l'existence était ignorée. Cependant la foule continuait à se porter au tombeau de Catherine; de nombreux miracles alimentaient et excitaient de plus en plus la dévotion des fidèles. Les directeurs de l'hospice résolurent en conséquence de placer en un lieu plus apparent les restes de celle que la voix publique désignait déjà sous le titre de sainte, et que le pape Jules II qualifiait de Bienheureuse. Aidés des aumônes des âmes pieuses, ils firent construire un tombeau de marbre, orné de diverses peintures; quand il fut prêt, on ouvrit la fosse qui renfermait le précieux dépôt. Dix-huit mois s'étaient écoulés depuis la mort de Catherine ; lorsque le cercueil fut mis à découvert, on vit que l'humanité du lieu l'avait complètement détérioré, il était rongé par les vers. Les assistants commencèrent à avoir de vives inquiétudes sur l'intégrité du corps. Ces inquiétudes augmentèrent quand, après avoir décloué le cercueil, on trouva que les vers avaient pénétré dans son intérieur et que les vêtements étaient entièrement pourris et tombaient en lambeaux. Mais les craintes ne tardèrent pas à se dissiper pour faire place à des élans de joie et de reconnaissance. Le corps était tel absolument que le jour où on l'avait enseveli. On n'y remarquait aucune odeur, aucune altération produite par l'humidité, les vers ne s'en étaient point approchés. Il était flexible, les chairs ne présentaient pas de traces de corruption, et elles paraissaient encore rouges et d'une couleur enflammée dans la région du coeur, comme au temps où Catherine vivait."
Chacun comprit que cette conservation parfaite et merveilleuse était l'oeuvre de Dieu." Une multitude innombrable de gens de toutes conditions se portèrent à l'église de l'hôpital pour vénérer les restes de la sainte. Il fallut laisser le corps exposé pendant huit jours afin de satisfaire à la dévotion publique. Durant ce temps, la vaste nef ne désemplit pas du matin au soir, et chaque heure, pour ainsi dire, était marquée par la guérison subite de maladies reconnues incurables. L'église retentissait de cris d'admiration, de sanglots, et chacun voulait emporter une relique de sainte Catherine, un morceaux des étoffes qui couvraient son corps; quelqu'un réussit enfin à s'emparer furtivement de l'un des ongles de la bienheureuse. Le corps fut alors placé, pour plus de sûreté, dans une chapelle munie d'une forte grille, et Dieu continua à multiplier les miracles en faveur de ceux qui recouraient à l'intercession de sa servante. Les huit jours écoulés, on enferma les restes de Catherine dans le nouveau tombeau de marbre érigé, tout auprès du maître-autel, par les soins des protecteurs et directeurs du grand hôpital.
[1] Ce n'est point celle dont il a été question précédemment, et qui ainsi que nous le disions, mourut avant Catherine.
[2] Dans le premier testament elle avait indiqué l'église de l'Association desservie par les Frères-Mineurs de l'Observance. Dans le second, daté du 18 mars 1509, elle avait choisi Saint-Nicolas del Boschetto.
CHAPITRE XX
Translations subséquentes du corps de sainte Catherine.
Miracles et canonisation
Quelques années après la mort de Catherine, le Père Cattaneo Marabotto et Hector Vernazzia firent imprimer sa première biographie, son admirable Traité du Purgatoire et ses Dialogues.
Ces livres ayant été traduits en plusieurs langues, la doctrine de la bienheureuse et la réputation de son éminente sainteté se répandirent dans le monde catholique, et Catherine devint l'objet de l'admiration des plus grands docteurs et des plus savants prélats. Les étrangers accouraient en grand nombre pour vénérer ses reliques, et souvent la foule encombrait les abords du tombeau empêchait que le service divin ne se célébrât au maître-autel avec la décence convenable. Cette considération décida les protecteurs de l'hospice à transporter le sépulcre dans la partie basse de l'église, où il demeura jusqu'en 1593. A cette époque, on jugea que les restes de Catherine étaient trop humblement placés; car les miracles se multipliaient et le concours des pèlerins augmentait. Un tombeau y transporta le saint corps, on le trouva parfaitement conservé et sans aucune trace de corruption. Ce tombeau était simplement en bois ; en 1642, il tombait de vétusté; on fit faire une châsse dorée, et on y déposa la relique, qu'on retrouva dans sa miraculeuse intégrité. Le 17 mai 1602, la sacrée congrégation des Rites permit que l'on sortit le corps de la châsse, et qu'on le plaçât dans une arche d'argent munie de cristaux, afin que tout le monde pût le voir. Enfin le pape Clément XI ordonna, le 23 août 1708, que les vieux habits qui couvraient ce corps fussent remplacés par des vêtements plus convenables. On lui obéit, et les restes de Catherine furent dans leur reliquaire, où ils reposent encore aujourd'hui sans trace de corruption. Mais, dès longtemps avant ces dernières translations, des démarches avaient été faites pour la canonisation de Catherine. Nous avons dit déjà que dix-huit mois après sa mort elle avait été béatifiée de vive voix par le pape Jules II, son compatriote [1]. Parpera nous apprend [2] qu'en 1630 l'archevêque de Gênes fit faire une première procédure dans laquelle on fournit les preuves de tous les évènements qui ont été rapportés dans la vie de la bienheureuse, de l'incorruption de son corps et de plusieurs miracles récents. Cette procédure fut envoyée à la sacrée congrégation des Rites, la cause y fut introduite en 1631. En 1636, Urbain VIII expédia une commission pour informer sur les vertus et les miracles en général. A partir de ce temps, le procès resta pendant jusqu'en 1670, on en ignore les motifs. La cause fut enfin reprise par ordre du pape Clément X ; et, le 30 mars 1675, la congrégation rendit un décret approuvant tout ce qui avait été fait précédemment; le Souvenir-Pontife confirma cette décision le 6 avril suivant. La révision des écrits de la sainte fut alors ordonnée; le consulteur chargé de l'examen en rendit compte dans les termes suivants au cardinal Azzolini : "J'ai lu et examiné, avec la plus grande attention, les deux traités de la vénérable Catherine, l'un sur le purgatoire, l'autre intitulé : Dialogues entre l'âme et le corps, et je déclare n'y avoir rien trouvé qui soit contraire à la sainte doctrine et aux moeurs. A la vérité, on y rencontre çà et là des choses obscures et qui choqueraient si on les entendait d'après le langage ordinaire ; mais on en trouve de semblables dans les écrits de saint Augustin, de sainte Brigitte, de sainte Thérèse et des autres contemplatifs divinement éclairés. Cela tient à la profondeur d'une doctrine tout à fait séraphique et à l'ignorance du lecteur ainsi qu'à son défaut d'expérience. J'ajoute qu'il n'y a rien dans ces écrits qui puisse empêcher ou retarder la déclaration définitive de la sainteté de Catherine. Je déclare enfin que la doctrine qu'ils renferment lui ayant été évidemment dictée par l'Esprit-Saint, et atteignant au suprême degré de la vie unitive et de l'amour héroïque, suffirait en l'absence d'autres preuves, pour établir incontestablement sa sainteté." Innocent XI approuva les écrits de Catherine, le 14 juin 1676.
Plusieurs prélats et docteurs illustres ont rendu d'éclatants témoignages en faveur de ces mêmes écrits. Mrg Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, dans l'avertissement de son livre intitulé : De la piété des chrétiens envers les morts, affirme que la doctrine de notre sainte sur le purgatoire est en tous points conforme à celle de saint Bernard, et il ajoute : "Il est rare que l'esprit de Dieu communique ses lumières avec autant d'abondance qu'il l'a fait à cette âme si pure et si embrasée d'amour. Aussi sont traité du purgatoire est un monument admirable de la sollicitude de Dieu dans le gouvernement de son Eglise. Ayant prévu le déchaînement de l'hérésie de Luther et de Calvin contre cette doctrine du purgatoire et des suffrages pour les morts, il choisit parmi les mortels, cette femme douée d'une vertu et d'une sainteté extraordinaires, pour défendre cette vérité de la foi, et instruire les Catholiques, et l'initia pour cela à ce qu'elle a de plus sublime et de plus mystérieux. La méthode qu'elle a suivie dans cet écrit est si digne de la majesté de Dieu et de la grandeur de notre religion, que ceux qui liront ce traité ne pourront s'empêcher d'admirer sa sainte Providence, qui se plaît à cacher ses secrets aux sages et aux prudents du siècle, et les manifeste aux humbles et aux petits." Nous avons parlé, dans nos indications préliminaires, de l'estime en laquelle les cardinaux Bellarmin, Pierre de Bérulle, Frédéric Borromée et Jean Bona tenaient les œuvres de sainte Catherine; nous savons également que saint Louis de Gonzague, saint André Avellino, et l'immortel évêque de Genève saint François de Sales, en ont fait un magnifique éloge. Nous n'avons donc plus à y revenir ici. Nous nous bornerons à rappeler les paroles de l'ami et du confident de saint François du pieux évêque de Belley : " D'après son conseil, écrivait-t-il, j'ai lu et relu plusieurs fois le Traité du Purgatoire, et toujours avec un nouveau goût et de nouvelles lumières; et j'avoue qu'en cette matière je n'ai jamais rien vu qui m'ait autant satisfait." Le culte public rendu à Catherine avait été déclaré légitime le 6 avril 1675, ainsi que nous le disions ci-dessus.
Toutefois cette déclaration ne suffisait pas à la tendre dévotion des directeurs nobles du grand hospice de Gênes. Ils s'adressèrent à la congrégation des Rites, afin que le procès de canonisation fût introduit. On céda à leur désir; l'héroïsme des vertus de Catherine et la vérité de ses miracles ayant été prouvés incontestablement, Clément XII, pape alors régnant, approuva, le 5 avril 1737, tout ce qui s'était fait. La bulle de canonisation parut le 30 du même mois, et la cérémonie eut lieu le 15 juin suivant. Catherine de Gênes fut solennellement inscrite au nombre des saints, avec saint Vincent de Paul, saint François Régis et sainte Julienne Falconieri, et elle eut son office propre. Les miracles rapportés dans le procès de canonisation et reconnus authentiques sont en très grand nombre ; nous nous bornerons à en citer quelques-uns des plus remarquables, consignés, les uns dans les écrits des premiers biographes de la sainte, les autres dans la bulle de Clément XII. Camilla Doria était mourante; la gangrène s'était déclarée à la suite d'une opération terrible qu'elle venait de subir au côté; elle se fait appliquer, par sa mère une relique de sainte Catherine; à la grande stupéfaction des médecins, la gangrène disparaît et, au bout de peu de jours, la maladie est parfaitement guérie. – (1616). En 1631, une femme, nommée Dominichina, donne à une malheureuse lépreuse de l'huile provenant de la lampe du tombeau de notre sainte; la lépreuse s'en frotte le corps, et au même instant son mal disparaît à jamais. Thomase Pergalla a un ulcère incurable sous le bras droit; elle se rend à trois reprises au tombeau de Catherine, y prie chaque fois trois Pater et de trois Ave, se frotte avec l'huile de la lampe. Après la troisième station, elle est guérie durant son sommeil (1631). Marie de Bisagno et Lucie Medicina sont guéries, la première d'une hydropisie, la seconde d'un transport au cerveau, en faisant usage de cette même huile (1632). Dominichina Perazza, aveugle depuis longtemps, recouvre la vue en s'approchant du corps de Catherine, lors de sa translation en 1642. Madeleine Marie Rizzi, affligée d'une maladie déclarée incurable par les quatre médecins les plus renommés de Gênes, est guérie subitement, après avoir incoqué sainte Catherine, et jouit, à partir de ce moment, d'une santé parfaite (1720). Elle rend compte elle-même de la manière dont s'est opéré le miracle; voici les termes de sa déposition, tels qu'ils sont consignés dans le procès de canonisation : "J'étais malade au conservatoire de Sainte-Marie, dans le grand hôpital, et, sachant que mon infirmité était sans remède, je me résignais à mon sort, lorsqu'on vint me dire qu'une femme, qui devait être opérée d'un cancer le jour suivant, avait été guérie subitement par l'intercession de la vénérable Catherine. Une autre femme étant survenue, m'exhorta et m'encouragea à implorer l'assistance de cette servante de Dieu. Je lui adressai ma prière avec beaucoup de ferveur et de confiance; puis je m'endormis, mais d'un sommeil si léger, que le moindre attouchement eût suffi pour me réveiller ! Pendant ce sommeil, je vis auprès de mon lit la vénérable Catherine, je la reconnus à sa ressemblance avec l'image conservée dans la chapelle où repose son corps. Je pris sa main, elle était molle, flexible et douce; je la plaçai sur mon côté gauche où je souffrais de très vives douleurs. A peine cette main l'eût-elle touché, que je me sentis délivrée de mon mal."
Marie-Françoise-Xavière Gentils, noble génoise, souffre, depuis l'âge de 13 ans, d'une maladie compliquée qui ne lui permet plus de quitter le lit. Un asthme oppresse sa poitrine des contractions de nerfs l'empêchent de faire usage de ses membres, elle est en proie au scorbut et à des convulsions, et souffre d'affreuses douleurs. Elle entend parler des miracles qui se multiplient au tombeau de Catherine, et elle a la ferme confiance que si elle pouvait y aller, elle demeurait délivrée de ses maux. Le 23 mars 1734, malgré les représentations des médecins et de ses familiers, elle se fait habiller et porter auprès du saint corps. Elle y communie, et revient chez elle parfaitement guérie. Toute la noblesse de Gênes accourt pour féliciter Marie-Françoise, et les dépositions d'une foule de témoins oculaires attestent le fait lors du procès de canonisation. Blanche Semina était tombée dans son enfance du haut d'un escalier, et avait eu les deux hanches déboîtées. Pendant 25 années, on lui avait fait employer inutilement à l'hôpital tous les remèdes imaginables; une paralysie complète s'étant jointe à ses autres maux, elle avait été placée aux Incurables.
Ayant entendu parler des miracles de Catherine, elle espère en son intercession ; le 2 avril 1734, elle se fait porter au tombeau de la bienheureuse assiste à la messe communie, et obtient une guérison complète et instantanée. Le fait est attesté par huit témoins oculaires, dignes de toute confiance. Quelques jours plus tard (13 avril), Marie-Catherine Rombi, mortellement atteinte d'une maladie très compliquée, et déjà munie des derniers sacrements, recouvre une santé parfaite auprès du tombeau de Catherine. Paule Fava est miraculeusement guérie de neuf ulcères aux seins, pendant une neuvaine faite en l'honneur de notre sainte. Nous nous bornons à citer ces miracles, de crainte de fatiguer nos lecteurs; mais nous ajoutons, avec les biographes de sainte Catherine de Gênes, que, si l'on voulait rendre compte de tous ceux dus à son intercession, on n'en finirait jamais, et que des volumes n'y suffiraient pas. La bulle de canonisation de la sainte est un monument très remarquable. Clément XII y qualifie Catherine de vraie femme de l'écriture et fait un magnifique éloge de ses vertus. Il raconte brièvement sa vie; il rappelle ses premières années, sa soif d'imiter les douleurs de Jésus-Christ, ses mortifications précoces, son désir d'entrer dans un monastère dès l'âge de 13 ans, son mariage, ses peines et sa conversion, sa contrition et son amour, son humilité, son ardeur pour la souffrance, afin de satisfaire à la justice divine, ses jeûnes prodigieux, et ses innombrables oeuvres de charité. La bulle passe ensuite à l'examen des phénomènes moraux et physiques que l'amour divin avait produits dans Catherine. " Sa parfaite connaissance de Dieu, y est-il dit, et le sentiments profond de sa propre bassesse la poussaient au complet mépris d'elle-même et à l'amour de l'humiliation. Elle avait détruit dans son coeur tout ce qu'il renfermait de propre, afin que Notre-Seigneur seul vécût en elle; aucune affection terrestre ne venait se placer entre elle et son Dieu; rien ne pouvait la séparer de la charité de Jésus-Christ. Les chagrins, les mépris, les blâmes, les joies, les éloges, la maladies ou la santé, n'avaient aucune prise sur elle ; quoi qu'il arrivât, Dieu seul était dans son coeur et dans sa pensée; elle avait pour tout le reste une si parfaite indifférence, qu'elle conservait pas même le souvenir... Dans ses admirables Dialogues, elle dépeint les dangers que court une âme enlacée par la chair; mais ses exemples étaient encore plus puissants que ses écrits; elle poussait vers la perfections tous ceux qui l'entouraient, et qui avaient le bonheur de la voir et de l'entendre... Ravie souvent en extase par la violence de l'amour divin qui remplissait son coeur, de célestes secrets, supérieurs à la portée de l'intelligence humaine, lui étaient révélés. Les flammes de l'amour l'avaient sanctifiée, plus que de la vie de l'esprit; son corps était brûlé, calciné, sans qu'elle eût aucun souci des douleurs excessives auxquelles il se trouvait livré...
La mort, qui inspire à tous les hommes de crainte et la terreur, était pour Catherine un sujet de joie et de consolation, d'espérance et d'amour; mais, malgré cet amour, elle acquiesçait en toutes choses à la volonté divine, et quelque ardent que fût son désir d'aller au ciel et de se réunir à son bien-aimé, elle s'en remettait au bon plaisir de Dieu, et se disposait joyeusement à voir augmenter ses souffrances, pour devenir de plus en plus conforme à Notre-Seigneur Jésus-Christ, et compagne de sa passion, avant de l'être de sa résurrection... En proie à un mal extraordinaire, déclaré incurable et surnaturel par la science humaine, la sainte Eucharistie seule lui procurait du soulagement, et elle mourut enfin plutôt d'amour que de maladie..." Tels sont les termes dans lesquels l'autorité infaillible s'est exprimée sur le compte de Catherine de Gênes. La bulle passe ensuite à la vénération dont la sainte a été l'objet aussitôt après son décès; elle rend compte des principaux miracles, de l'incorruptibilité du corps, de ses différentes translations, et de l'instruction des procès. Le Pape termine en implorant la protection et l'intercession de Catherine. Déjà, antérieurement à l'époque de la canonisation divers monuments avaient été élevés en l'honneur de l'illustre Génoise; nous savons qu'avant d'avoir été inscrite au nombre des saints elle était vénérée comme telle. La gloire de son nom s'était répandue dans l'univers catholique; et presque tous les écrivains ascétiques, ainsi que le dit le promoteur de sa cause, la citaient dans leurs oeuvres comme un modèle accompli de vertu et de sainteté. Une chapelle avait été érigée en son honneur au monastère des Carmélites de Paris. La maison assignée en douaire à Catherine par son mari était devenue l'église de la congrégation de l'Oratoire, en 1659. La petite chambre dans laquelle le Christ sanglant lui était apparu avait été convertie en chapelle; on y voyait, au-dessus de l'autel, une image de Catherine; diverses peintures y rappelaient ses merveilleuses visions, et un concours nombreux de pieux pèlerins visitait ce sanctuaire avec dévotion.
Une autre chapelle très magnifique avait été construite, en l'honneur de la sainte, dans l'église du grand hôpital, dès le milieu du dix-septième siècle. La vénération pour Catherine grandit encore après que Rome eut prononcé son jugement. Arrêtons-nous ici, et disons en finissant, avec le plus ancien des biographe de celle dont nous venons de raconter la vie : " O Dieu plein de miséricorde, nous vous prions, par l'intercession de cette âme bienheureuse, d'allumer dans nos coeurs la flamme de votre amour, afin que nous ne cessions de croître en vertu, et qu'enfin nous puissions jouir de la béatitude éternelle auprès de vous, qui vivez et régnez dans tous les siècles des siècles. Amen.
FIN DE LA VIE DE SAINTE CATHERINE
[1] Ce pontife était né à Savone.
[2] Lettres à Henschenius.
M1234- Hiérophante contre le nouvel ordre mondial
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