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Cette liberté qui engendre la dictature

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Message par saint-michel Dim 22 Mai 2016 - 8:45

Cette liberté qui engendre la dictature Cette_10

Voici un texte rédigé en 1875 par Joseph Chantrel, un auteur catholique du XIXe siècle. Nous découvrons avec stupeur, à son style très contemporain, que cet écrit aurait pu être achevé hier. Il explique avec brio les causes qui ont amené la France à s’embourber dans un véritable marasme, en ce début de XXIe siècle. La liberté que chacun prône comme son propre trésor a contribué à engendrer une peste qui ne dit pas son nom. Plutôt que de prendre le risque de plagier ce texte, je vous laisse le découvrir.


« De la liberté » par Joseph Chantrel, 1875.


« Il n’est guère, de nos jours, de mot plus fréquemment répété que celui de liberté, il n’en est guère non plus qui soit aussi mal compris. Tout le monde parle de liberté, tout le monde invoque la liberté comme un des biens les plus désirables ; c’est au nom de la liberté que se font les révolutions, c’est au nom de la liberté qu’on attaque l’Église catholique avec le plus d’acharnement. On veut être libre, on veut passer pour aimer la liberté, et l’on se pare comme du plus beau titre du nom de libéral, ou d’ami de la liberté. Peut-être que quelques réflexions à ce sujet ne seront pas, en ce moment, déplacées.


I


Et d’abord qu’est-ce que la liberté ?


Si l’on définit la liberté d’une façon absolue, dans toute la compréhension qu’on peut donner à ce mot, la liberté est l’absence de tout obstacle à l’accomplissement de la volonté.


Les obstacles sont intérieurs ou extérieurs. À l’intérieur, en nous-mêmes, nous ne trouvons d’obstacle à notre volonté que dans des motifs qui peuvent nous déterminer à ne pas faire ce que nous voulons et à changer de volonté, ou dans une disposition de notre corps, de nos organes qui nous met dans l’impuissance d’agir comme nous le voulons. Les obstacles qui viennent de ce côté n’ont rien à voir avec la liberté, telle qu’on l’entend habituellement. C’est pourquoi l’on n’y voit point d’atteintes à la liberté ; c’est pourquoi, aussi, l’on parle inexactement quand on vante la conquête faite, dans les temps modernes, de la liberté de penser : la liberté de penser est au-dessus du pouvoir de l’homme ; nul ne peut m’empêcher de penser comme je le veux ; ma liberté ne peut être gênée, de ce côté, par aucune puissance humaine ; ma pensée ne peut cesser d’être libre que par un acte de la volonté de Dieu ou par un état maladif habituel ou accidentel, comme cela arrive dans la folie ou dans l’ivresse, par exemple.


Mais, libre de penser, je ne suis pas pour cela libre d’agir, ni libre d’empêcher les conséquences de l’exercice de ma volonté, c’est-à-dire que je ne suis ni tout-puissant, ni indépendant.


Dieu seul peut tout ce qu’il veut ; il suffit d’énoncer ici cette évidente vérité, sans entrer dans des considérations philosophiques qui nous montreraient que cette toute-puissance s’accorde parfaitement avec l’impuissance de vouloir le mal.


L’indépendance absolue de l’homme consisterait dans la faculté qu’il aurait d’agir d’après sa volonté sans qu’aucun obstacle vînt de l’extérieur, soit de la part des êtres matériels ou déraisonnables, soit de la part de ses semblables, et sans qu’il fût contraint d’accepter, malgré sa volonté, les conséquences des actes qu’il a posés.


Ainsi, tel veut renverser un obstacle matériel qui s’oppose à son passage ; il aura beau le vouloir avec toute l’intensité de volonté dont il est capable, il devra s’arrêter devant l’obstacle qu’il est incapable de renverser. Il est obligé de reconnaître son impuissance physique, comme l’enfant qui est bien obligé de constater à la fin que la lune vers laquelle il tend le bras pour la saisir, est trop éloignée pour qu’il l’atteigne.


Tel autre veut arriver au pouvoir et occuper dans la société une position qui le rende l’arbitre de la paix et de la guerre. Il peut le vouloir, et c’est là ce que veulent tous les ambitieux ; mais, pour arriver à ce but, il faut le concours d’autres volontés, le concours de circonstances favorables, et l’ambitieux n’a dans la main ni ces circonstances, ni ces volontés : il doit renoncer à ses projets. Disons-le en passant : c’est précisément parce que les temps de révolution fournissent de plus nombreuses occasions aux ambitieux, que ceux-ci pullulent alors en plus grand nombre et qu’on voit s’élever des ambitions qui ne rêvent que les bouleversements afin de se satisfaire. Dans l’ordre régulier des choses, chacun se trouve si naturellement à sa place, que le petit nombre seulement cherche à en sortir, et l’on sent si bien l’impuissance où l’on est de changer l’ordre des choses, que la pensée n’en vient même pas ou qu’on y renonce aussitôt. C’est encore l’enfant qui, convaincu de son impuissance à atteindre la lune avec la main, cesse de tendre le bras vers l’astre brillant et se contente d’en admirer l’éclat.


Enfin, tel autre veut commettre tel ou tel acte, mais il voudrait en éviter les conséquences. L’assassin qui donne la mort à son semblable pour le voler ou pour se venger ne veut certainement pas tomber sous le coup de la justice ; mais libre de commettre son crime, il ne l’est pas d’échapper aux conséquences, il n’est pas indépendant, ou, si l’on aime mieux, en voulant l’acte, il en a voulu implicitement les suites, dans ce sens qu’il en est responsable ; mais on ne peut pas dire qu’il a véritablement voulu ces suites fâcheuses pour lui. Je veux me jeter du haut eh bas d’une tour, seulement pour éprouver les émotions d’une pareille chute, non pour me donner la mort ; je suis parfaitement libre de me jeter en bas, je ne le suis pas de ne pas me briser la tête : je dépends des forces physiques qui vont déterminer l’accident, je ne suis pas indépendant.


Et, dans un ordre plus élevé, dans l’ordre moral, je suis libre de choisir le bien ou le mal qui se présentent à moi ; c’est en cela que consiste mon libre arbitre, et c’est là aussi l’une des conditions de ma nature d’être raisonnable. Mais, libre de choisir le mal, de violer la loi divine, je ne le suis pas d’échapper aux conséquences de ma faute, au remords et à la punition ; je ne suis donc pas indépendant.


Nous pouvons donc dire que la volonté de l’homme est libre, mais que tous ses actes ne le sont pas toujours, et que les conséquences de ses actes ne le sont jamais, ce qui fait dire avec beaucoup de raison que qui veut la fin ne veut pas toujours les moyens qui y conduisent, mais que qui veut les moyens veut implicitement la fin, qui en est la conséquence nécessaire. De là la responsabilité humaine. Vous voulez le bonheur, mais vous vous livrez à des pensées, vous commettez des actes qui en éloignent, vous ne sauriez être heureux. Vous commettez des actes qui mènent nécessairement au malheur, c’est comme si vous vouliez être malheureux. Vous n’avez pas le pouvoir de changer la nature des choses.


II


Nous arrivons ici à une nouvelle définition de la liberté.


La liberté absolue est l’absence de tout obstacle à l’accomplissement de la volonté, c’est vrai, mais cette liberté absolue, nous venons de le voir, n’existe pas ; nous devons ajouter qu’elle ne pourrait exister sans que tout fût aussitôt bouleversé dans le monde, à moins que la volonté humaine ne voulût et ne pût vouloir que l’ordre et le bien.


Or, il est trop évident qu’il n’en est pas ainsi. Sans nous demander si Dieu pouvait placer l’homme dans une autre condition, et le créer impeccable, nous nous occupons de ce qui est, et nous disons : « Non, l’homme ne veut pas toujours le bien, non, il ne préfère pas toujours le vrai. » Sans doute, il veut toujours le bonheur, il ne peut même pas ne pas le vouloir et, même quand il commet les actes les plus capables de le rendre malheureux, c’est encore le bonheur qu’il poursuit ; mais, soit par ignorance, soit par une perversion voulue, il ne met pas toujours le bonheur là où il est et il lui arrive souvent de préférer l’erreur qui le flatte à la vérité qui le sauverait.


L’absence de tout obstacle à l’accomplissement de sa volonté, qui peut être mauvaise, serait donc un mal ; si la liberté est un bien, la vraie et bonne liberté ne peut être cette liberté absolue.


Pourquoi, en effet, l’homme doit-il être libre, si ce n’est pour pouvoir atteindre sa fin d’être raisonnable, qui est d’être heureux ?


La vraie liberté est donc l’absence de tout obstacle à l’accomplissement de la volonté droite, c’est-à-dire de la volonté qui s’applique à agir conformément à la fin de l’homme.


À cette liberté, l’homme adroit, parce que c’est un devoir pour lui de travailler à atteindre sa fin ; il n’y a pas de droit plus évident que celui de ne pas être gêné dans l’accomplissement du devoir.


Le bonheur est la fin de l’homme ; ce bonheur ne peut être atteint que par la possession de la vérité et la pratique de la vertu ; donc la liberté de posséder la vérité et de pratiquer la vertu, c’est-à-dire d’accomplir le devoir, est la liberté à laquelle a droit l’homme vivant en société, c’est cette liberté-là que la société doit lui garantir, on peut dire que c’est pour cela même que la société existe avec la hiérarchie de ses fonctions et de ses pouvoirs.


Et comme ce qui s’oppose le plus directement au bonheur de l’homme, c’est le vice et l’erreur, il est clair que si la liberté vraie est l’absence de tout obstacle à l’accomplissement du devoir, cette liberté se trouve complétée par l’accumulation du plus d’obstacles possibles à l’erreur et au mal.


Une société sera donc plus près de la perfection, selon que, chez elle, la liberté s’approchera davantage de cet idéal qui, sans doute, n’est pas réalisable sur la terre, mais auquel on doit tendre, si l’on veut véritablement être en progrès.


La liberté est un bien en elle-même, elle reste un bien ou elle devient un mal selon qu’elle s’applique au bien et au vrai, ou au mal et au faux.


La liberté du bien et de la vérité est la liberté vraie ;


La liberté du mal et de l’erreur est la liberté fausse, elle est la licence.


À la vérité et au bien, on doit la liberté, qui est leur droit ;


À l’erreur et au mal, on ne doit rien, que la tolérance dans certains cas, dans certains états de société où la vraie liberté aurait à souffrir si cette tolérance n’était pas accordée, dans une certaine mesure, à l’erreur et au mal.


Mais, en thèse générale, on peut dire que si la liberté du bien et de la vérité est un droit, la liberté du mal et de l’erreur n’a aucun droit et est un mal.



III


Nous disions tout à l’heure qu’une société est d’autant plus en progrès que la liberté, la liberté vraie, y est plus grande, et que la fausse liberté, la licence, y est moindre. Il nous semble que cela ne peut être contesté. Ce qui est vrai de l’individu ne peut être faux de la société, c’est-à-dire de la collection des individus. Or, il est évident qu’un individu est d’autant plus parfait que son intelligence est plus cultivée et sa volonté plus portée au bien, en deux mots qu’il est plus savant et plus vertueux ; comme il est évident qu’il est d’autant plus imparfait, qu’il est plus ignorant et plus porté au mal. La perfection absolue se trouve dans la connaissance absolue et dans le bien absolu ; c’est Dieu : plus l’on se rapproche de cet idéal, que la créature ne pourra jamais atteindre, plus on s’approche de la perfection.


Une société parfaite serait celle où toutes les volontés n’aspireraient qu’au bien, où toutes les intelligences seraient en possession de la vérité. On approche de cette perfection dans certaines communautés religieuses ; l’histoire est là pour montrer combien sont grandes, prospères, glorieuses, les sociétés, les nations qui se distinguent par leur moralité générale et par la possession des vérités sociales les plus nécessaires, disons le mot, par la possession de la vérité religieuse.


Ce sont donc les amis du progrès qui doivent travailler avec le plus d’ardeur à développer la liberté vraie, à restreindre la licence, et, par conséquent aussi, à rendre la tolérance de moins en moins nécessaire.


La grande erreur du libéralisme est de mettre, dans la société, devant la loi, l’erreur et le mal sur le même pied que la vérité et le bien, et de croire que la vérité et le bien triompheront par leur seule vertu, sans que la société ait besoin de prendre parti pour eux contre le mal et l’erreur. C’est la confusion de la liberté avec la licence, de la liberté avec la tolérance. La tolérance peut être, elle est souvent une nécessité ; elle peut être, dans certaines circonstances données, une chose utile, elle n’est jamais un droit, elle n’est qu’une nécessité malheureuse, elle n’est que relativement utile.


Cela est si vrai, que les libéraux les plus résolus sont obligés, dans la pratique, de renoncer à leur théorie, pour ne pas aller à ces conséquences extrêmes qui seraient la destruction même de la société.


Si leur principe était vrai, pourquoi des tribunaux, pourquoi une force armée, pourquoi des lois imposées ? Si la liberté consiste seulement dans l’absence de tout obstacle à l’accomplissement de la volonté, pourquoi la prison, pourquoi la déportation, pourquoi l’échafaud ? Laissez les individus se débattre entre eux : à la fin le bien sortira du mal, la vérité de l’erreur. C’est vrai, dans un sens, c’est-à-dire que la licence accumulera tant de maux et de désastres, qu’à la fin les hommes recourront au sabre et au despotisme pour avoir au moins quelque sécurité ; mais alors, ce ne sera plus la liberté telle que vous l’entendez, ce sera l’esclavage. Qu’est-ce qu’une liberté qui aboutit à une telle conséquence ?


Les libéraux conséquents, les radicaux, comme ils s’appellent, vont jusqu’aux extrémités, et ils déclarent résolument que la société est un mal ; ce sont les moins dangereux, parce que la monstruosité même de leurs doctrines en empêche la réalisation. Les libéraux inconséquents, modérés, comme ils aiment à s’appeler, se croient sages parce qu’ils s’arrêtent à mi-chemin ; mais les conséquences du faux principe sur lequel ils s’appuient ne finissent pas moins par se produire et se développer, et l’on arrive à l’état de société où nous vivons actuellement, où c’est le mal et l’erreur qui dominent, où c’est le bien et la vérité qui souffrent et qui diminuent.


Si c’est au fruit que l’on connaît l’arbre, le libéralisme est condamné.


IV


En présence de ces faits et dans la situation où le libéralisme, cette fausse notion de la liberté, a conduit le monde, le devoir des gouvernements et des législateurs est bien clair.


Quelle est la raison d’être des gouvernements, si ce n’est au-dedans, d’assurer l’ordre, la tranquillité et le respect de tous les véritables droits, au dehors, de sauvegarder les intérêts, l’honneur et la juste influence de la nation ?


Ne nous occupons que du dedans, seul en cause ici, et de ce qui a rapport à la liberté.


La protection des véritables droits, d’après ce que nous avons établi, ne peut être que la protection la plus efficace donnée à la liberté de la vérité et du bien, et la restriction la plus efficace possible imposée à la liberté de l’erreur et du mal.


Il nous semble que si cela était compris, bien des questions qui paraissent insolubles se résoudraient facilement, bien des lois qu’on ne vient pas à bout de confectionner, seraient rédigées en quelques heures.


Prenons par exemple la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur, la loi sur l’observation du dimanche, la loi sur la presse, qui occupent tant nos législateurs, sans qu’ils viennent à bout de trouver une solution satisfaisante.


On proclame, en principe, que l’enseignement supérieur est libre ; mais, tout aussitôt, effrayés des conséquences possibles de cette liberté, les législateurs entourent la liberté d’un luxe de précautions et de restrictions qui l’étouffent et qui la rendent à peu près nulle précisément pour ceux qui en useraient le plus conformément à l’intérêt social, à la régénération morale du pays et au progrès de la science Pourquoi ces restrictions ? Dans l’esprit des législateurs les plus honnêtes, c’est pour empêcher que les doctrines anti-sociales, irréligieuses, matérialistes ne profitent de la liberté qui serait accordée d’une façon trop absolue. De sorte que le bien et la vérité doivent être gênés, afin que le mal et l’erreur ne soient point trop à leur aise.


Est-ce là une bonne mesure ? Certainement non. Avec une plus exacte notion de la liberté, on raisonnerait autrement. Puisque l’on veut accorder (c’est un droit, mais il y a si peu de droits reconnus dans le régime libéral !) puisque l’on veut accorder la liberté de l’enseignement supérieur dans l’intérêt de la société, de la morale et de la science, n’est-il pas clair que la loi doit laisser libre tout ce qui mène à ce but et ne mettre d’entraves qu’à ce qui en détournerait ? Donc, toute liberté, par exemple, à la religion catholique, qui a fait ses preuves et qui est considérée, même par ses adversaires, comme la religion sociale par excellence et la plus capable de régénérer une nation, en même temps qu’elle s’est montrée, à travers les âges, la promotrice zélée de tous les progrès utiles et vrais ; donc liberté pour les hommes religieux, moraux, dont les doctrines et la conduite sont connues. Mais interdiction d’enseigner à ceux dont les principes sont irréligieux et par là même anti-sociaux, et dont la conduite ne peut inspirer aucune confiance. Ce qui a droit à la liberté, c’est le bien et la vérité, ce n’est pas le mal et l’erreur.


Avec les principes du libéralisme, qui reconnaît des droits égaux à tous et qui craint d’accorder au bien et à la vérité des facilités qui ne seraient pas accordées en même temps au mal et à l’erreur, c’est le mal qui l’emporte, c’est le bien qui souffre ; il ne peut s’imaginer un plus complet renversement d’idées.


Il en est de même pour l’observation de la loi du dimanche. Il y a, dans l’observation de cette loi, un principe éminemment social, salutaire aux individus, plus particulièrement favorable au travailleur ; mais, en interdisant le travail du dimanche, on gêne la liberté des hommes sans religion, on froisse l’impiété, et l’on n’ose tenir énergiquement à l’observation de la loi.


Nous pourrions en dire autant de la liberté de la presse, qui n’est difficile à régler que parce que l’on confond la liberté vraie avec la licence. L’Église catholique, toujours si sage et si disposée à favoriser tous les progrès véritables, a été la première à favoriser l’art de l’imprimerie ; elle loue, elle encourage cet art, qui peut rendre tant de services à la vérité et à la science, mais elle veille à ce qui est un instrument pour le bien ne devienne pas un instrument pour le mal. Tels sont les principes qui la guident en ce qui concerne la liberté de la presse.


Quel est donc le progrès légitime, quelle est la liberté vraie, quelle est la vraie science qui serait gênée si la liberté de la presse existait en effet pour ce qui est bon et vrai, et se trouvait supprimée pour ce qui est mal et faux ? On est bien toujours obligé d’en venir à des restrictions, lorsqu’on ne veut pas livrer la société en proie au désordre moral, qui se traduit si vite en désordre matériel ; mais, pour arrêter le mal, on arrête le bien, et ce sont les plus honnêtes gens, les meilleurs citoyens, les hommes les plus religieux, qui trouvent le plus d’obstacles dans la propagande des saines doctrines, tandis que celle du mal se fait sur la plus vaste échelle.


Nous ne faisons qu’indiquer les grandes lignes de ces questions, auxquelles il y aurait des articles spéciaux à consacrer ; nous en disons assez, croyons-nous, pour faire bien saisir notre pensée.


V


C’est ici, nous le savons, que se rencontre la plus grave objection.


En principe, nous dit-on, vous pouvez avoir raison : le bien et le vrai ont seuls droit à la liberté, le mal et l’erreur doivent être réprimés et restreints le plus possible.


Mais où est le bien ? Où est le vrai ? Où est le mal ? Où est le faux ? Et si tant est qu’on puisse établir quelque chose de certain à cet égard, de quel droit les gouvernements humains, qui n’ont pas mission pour cela, imposeraient-ils telle morale pu telle croyance à des hommes qui croient autre chose et qui voient le mal là où d’autres voient le bien ?


Cette objection est plus apparente que réelle.


En effet, il est évident qu’aucune société ne pourrait subsister sans certains principes admis de tous, ou imposés à la minorité par la majorité ; en fait, il n’existe pas de société qui soit dans ce cas. C’est parce qu’il y a des principes admis par tous et reconnus comme vrais, que la loi peut justement défendre, par exemple, le vol et le meurtre. Sinon, de quel droit pourrait-on me condamner pour avoir pris une propriété à ma convenance, pour avoir tué un homme qui me faisait obstacle ?


Ceux-là mêmes qui refusent à l’Etat la faculté de discerner le bien du mal, la vérité de l’erreur, sont donc obligés de se contredire dans la pratique. L’existence seule du Code prouve que cette faculté a toujours été reconnue à la société, à l’Etat, qui n’aurait point de raison d’être, s’il n’avait à protéger les intérêts particuliers et généraux et à repousser les actes qui leur nuisent.


Voilà donc un premier point sur lequel sont d’accord tous ceux qui ne prétendent pas tout détruire.


Il y a une morale naturelle, cette morale oblige tous les hommes, la société a le droit de punir ceux qui la violent aux dépens des autres ; il y a des vérités sur lesquelles s’appuie cette morale, comme l’existence de Dieu, l’existence de l’âme et sa responsabilité ; si la société ne punit pas ceux qui nient ces vérités, elle a au moins celui d’empêcher la propagation et la profession publique des doctrines contraires.


Le reste ne sera donc qu’une question de mesure.


Dans l’état où en est réduite la société moderne, en France, particulièrement, on pourrait soutenir, à la rigueur, que la loi civile n’a pas le droit d’empêcher la prédication ou l’enseignement, soit par la presse, soit par la parole, des doctrines contraires au christianisme en général et au catholicisme en particulier ; mais il est incontestable :


1° qu’il a le droit et le devoir d’empêcher la propagande des doctrines anti-sociales, anarchiques, destructives de l’autorité et de ce qu’on appelle la morale naturelle, qui est si nettement exprimée dans le Décalogue ;


2° qu’il a parfaitement le droit de n’accorder que le minimum de liberté aux doctrines contraires au dogme chrétien et à la morale chrétienne, tandis qu’il peut accorder le maximum de liberté à ce dogme et à cette morale ;


3° que dans une société dont la majorité est restée catholique, il doit accorder à la religion catholique, à son enseignement, à sa prédication, ce maximum de liberté, sans que les autres religions ou les autres doctrines aient le droit de se plaindre parce qu’il ne leur accorderait que le minimum nécessaire.


Ces conclusions sont inattaquables ; pour aller contre, il faudrait soutenir qu’en vertu des principes libéraux, c’est la vraie religion, la religion de la majorité, qui doit être tenue en défiance, tandis que les autres sont favorisées.


Mais l’Etat peut-il discerner quelle est la vraie religion ? En principe, nous tenons qu’il le peut, parce que la vérité a des caractères que l’erreur ne possède pas ; en pratique, nous disons que cela est inutile, en ce qui concerne la France. Que le catholicisme soit vrai, ou qu’il ne doive être considéré que comme une secte chrétienne, il est certain qu’il est la religion de la majorité des Français ; donc la loi civile doit compter avec lui, elle ne doit rien ordonner qui soit une atteinte à sa liberté, il a même droit à des égards, à une liberté que les autres religions ou que l’irréligion ne peuvent revendiquer.


N’est-ce point là, nous dira-t-on, approuver les Etats dont la majorité est protestante et qui persécutent le catholicisme ? Non, car, qu’on le remarque bien, nous ne demandons pas qu’on persécute les protestants, qu’on leur enlève leurs temples, qu’on les prive même de l’exercice public de leur culte, puisqu’ils ont des titres acquis à cette tolérance, à cette liberté, si l’on veut ; mais nous trouvons qu’on n’est pas obligé de les favoriser, et que l’Etat, qui doit, quoi qu’on dise, avoir une religion, sous peine de n’en avoir aucune et d’être athée, ce qui serait monstrueux, doit aussi coordonner sa législation, ses règlements en vue de la religion qui est ou doit être la sienne.


Conclusion


Pour nous résumer, nous dirons donc :


1° La liberté absolue est l’absence de tout obstacle à l’accomplissement de la volonté.


2° La liberté possible pour l’homme et la seule bonne et vraie, est l’absence de tout obstacle à l’accomplissement du devoir.


3° La bonne liberté est d’autant mieux protégée qu’il y a plus d’obstacles à la violation du devoir.


4° La licence n’est pas la liberté ; la tolérance est la liberté laissée au mal dans la mesure demandée par des titres acquis, par des nécessités de circonstances, par l’utilité même du bien.


5° Le bien et le vrai ont droit à la plus grande somme possible de liberté, et il est d’ailleurs certain que cette liberté ne peut que coopérer au bien de la société.


6° Le libéralisme, en accordant à l’erreur et au mal, un droit à la liberté égal à celui de la vérité et du bien, se place en dehors de la vérité, et attire sur la société les mêmes maux que produit la licence absolue accordée à l’erreur et au mal.


7° En France, la religion catholique, restée la religion nationale, quoiqu’elle ne soit plus proclamée la religion de l’Etat, a des droits supérieurs à ceux des autres religions ; elle a droit à la liberté complète de son culte, de son enseignement et de sa morale.


Nous savons combien de préjugés s’opposent à l’acceptation immédiate de ces vérités ; mais il faudra bien qu’on les reconnaisse, si l’on ne veut courir aux abîmes, et, au nom même de la liberté, se plonger dans l’anarchie qui ne laisse plus même subsister la sécurité de la vie, ou se courber sous un despotisme qui ne laisse plus subsister aucune liberté. »

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