Les chrétiens d'Irak, le choix entre la conversion, l’exil ou la mort.
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Les chrétiens d'Irak, le choix entre la conversion, l’exil ou la mort.
Le nouveau calvaire des chrétiens d'Irak
REPORTAGE - Avec l’offensive djihadiste dans le nord de l'Irak, la minorité chrétienne, passée de 1 million de membres à 400.000 en vingt ans, a le choix entre la conversion, l’exil ou la mort. Rencontre à Bagdad avec une communauté persécutée et livrée à son sort.
Le père Vincent Van Vossel, ici dans son église le 2 juillet, refuse de fuir, malgré le danger. (Laurent Van Der Stockt/ Getty Reportages pour le JDD)
Le père Mansour, né Vincent Van Vossel, aime le désert. L'immensité de sable et de cailloux procure au vieil homme l'apaisante sensation de "toucher à l'infinitude". Il dit ne plus se souvenir de son année de naissance, "cela fait si longtemps, trop longtemps"… Il doit être né il y a près de quatre-vingts ans, en Belgique assurément, loin de l'Irak, que le prêtre a rejoint il y a un demi-siècle. Sa silhouette est maigre, sa voix faible et épuisée, il est de ces vieux hommes érudits et fragiles que l'on voudrait soutenir par le bras, protéger des affres de la vieillesse et des dangers mortels qu'il encourt.
Une poignée de prêtres, moins d'une dizaine, vit encore à Bagdad, où leur vie est menacée chaque jour que Dieu fait. Beaucoup ont préféré s'exiler plutôt que de risquer l'égorgement ou l'exécution par balles, comme ces deux religieux assassinés en octobre 2011 et dont les portraits ornent la salle de classe où le père Mansour continue d'enseigner à une quarantaine d'élèves la théologie et l'histoire des chrétiens au Moyen-Orient, orthodoxes, chaldéens, grecs, assyriens…
"J'aurais une famille, je quitterais aussi l'Irak"
Jour après jour, il assiste impuissant à l'inexorable disparition de la communauté chrétienne d'Irak. Forte d'un million de membres il y a vingt ans et de 800.000 fidèles de l'invasion américaine en 2003, celle-ci n'en compterait plus que 400.000, dont près d'un tiers à Bagdad. "Ce pays est en ruine et rien ne pourra endiguer cet exil, soupire le vieux prêtre. Chaque jour, on vient nous demander des certificats de baptême pour demander l'asile en Europe, aux États-Unis, au Canada ou en Australie. Si les chrétiens peuvent encore survivre à Bagdad, dans le nord du pays, vers Mossoul, la vie est autrement plus compliquée. J'aurais une famille, je quitterais aussi l'Irak."
Située dans le quartier de Doura, son église Saint-Georges, d'obédience grecque catholique, est la plus petite de la capitale. Le beau bâtiment blanc, orné d'un jardin, oasis étonnamment reposante au cœur du chaos, a pris des allures de camp retranché depuis les attentats sanglants qui l'ont frappé en 2004 et 2011. L'église est désormais entourée de hauts murs fortifiés et de barbelés. Les militaires et les policiers déployés autour ne permettent d'y accéder que par une seule porte blindée.
Le diacre raconte la situation cauchemardesque des chrétiens de Mossoul depuis la prise de la ville par l'État islamique (EI) le 10 juin. La lettre N (pour Nazaréens) inscrite à la peinture rouge sur les portes, les viols, les assassinats… Le 18 juillet, les djihadistes ont donné quelques heures aux chrétiens pour choisir entre se convertir à l'islam, payer un impôt spécial ou s'exiler, faute de quoi ils seraient tués. Sa sœur, qui y vit, a failli y laisser la vie. Lui-même, pourtant, ne songe pas à quitter l'Irak. "J'ai une mission à accomplir qui est de servir l'Église. Je verrai bien pour la suite. Je mourrai le jour où je devrai mourir."
La religion de chaque citoyen figure sur la carte d'identité, la première ligne inscrite au verso du document. Là où l'EI a pris le pouvoir, l'inscription peut conduire à une mort certaine. Certaines vidéos mises en ligne montrent des scènes de viol, de torture et finalement de mort d'une cruauté insoutenable. À Bagdad, ceux qui ne peuvent s'enfuir vivent dans la terreur que les horreurs du Nord gagnent la capitale ou qu'une autre bombe explose en plein office.
La kalachnikov posée à quelques centimètres de la Vierge Marie
Certains partent, comme Alfred, un jeune chrétien de 25 ans qui s'apprête à rejoindre toute sa famille à Istanbul avant de peut-être gagner l'Australie une fois qu'il aura obtenu son diplôme d'ingénieur – précieux sésame, pense-t-il, pour sa nouvelle vie. Pourquoi partir? "Ça fait combien de jours que vous êtes en Irak? Moi vingt-cinq ans, depuis ma naissance. Ça vous suffit comme réponse? Vous ne voyez pas que l'activité la plus répandue ici est le meurtre et les enlèvements?"
D'autres choisissent de rester. Reain Salem Al-Kldany commande l'unité Babylone, une milice chrétienne forte, assure-t-il, de 2.500 combattants. Vêtu d'un treillis militaire, ce chrétien issu d'une famille de commerçants reçoit chez lui, entouré de gardes du corps armés, assisté d'un homme se présentant comme un ancien général de l'armée irakienne partageant son temps entre Bagdad et la Suisse. Le revolver est porté à la ceinture et la kalachnikov posée contre un mur, à quelques centimètres de représentations de la Vierge Marie, de la Cène ou d'un photomontage le représentant béni par Jésus.
Étrange personnage que ce soldat autoproclamé, sans grade ni régiment, se présentant comme conseiller du Premier ministre Maliki. Il se targue de voir les effectifs de sa milice grossir de jour en jour et de bénéficier de l'aide de généreux donateurs vivant en Irak ou installés en Californie. Décrivant une communauté abandonnée de tous, à commencer par les députés issus de ses rangs qui, "au lieu de [les] défendre, ne pensent qu'à une chose, faire de l'argent", il dit combattre "Al-Qaida, Da'ech" : "Ceux qui violent nos femmes, kidnappent nos enfants, tuent nos prêtres. Qui entrent dans les villages, massacrent les chrétiens, se présentent comme de bons musulmans alors qu'ils n'appartiennent à aucune religion et sont les ennemis de l'humanité tout entière." S'inspirant de l'exemple libanais, Kladny a donc constitué sa propre milice chrétienne, "puisque personne ne [les] défendra à part [eux]-mêmes, alors que les chrétiens sont, d'après les textes sacrés, les premiers habitants de l'Irak".
Sur le trottoir d'en face, placée sous la protection des hommes de Kldany, vit Muthanna, un chrétien assyrien ayant quitté Mossoul il y a quatre ans. Sans le sou, lui, sa femme et leurs six enfants occupent une maison abandonnée par ses propriétaires, d'autres chrétiens partis vivre aux États-Unis.
L'école publique se situe dans une zone trop dangereuse
L'école confessionnelle, qui est privée, coûte 900 euros par an et par enfant, une fortune évidemment impossible à financer. L'école publique étant située dans une zone trop dangereuse, les enfants traînent leur ennui à la maison. Son épouse s'éloigne puis revient, exhibant un pauvre sac plastique rose dans lequel s'accumulent les formulaires d'inscription à l'école qui n'auront jamais été remis.
L'une de leurs filles souffre de la hanche, un des garçons est en train de perdre un œil, un autre, traumatisé, ne parle pas. Leur père enrage de ne pouvoir ni les soigner ni les scolariser : "Je n'arrive même pas à les nourrir correctement! Personne ne nous aide! On a tout perdu, ici! Que vont devenir mes enfants?" Ingénieur agronome au chômage, maigre comme un clou, le visage taillé à la serpe, il hurle plus qu'il ne parle. Seul un homme d'affaires chrétien, un Franco-Irakien, leur donne un peu d'argent, au coup par coup. Juste de quoi survivre misérablement au milieu de l'enfer.
Source et reportage photo:
http://www.lejdd.fr/International/Moyen-Orient/Images/A-Bagdad-des-chretiens-persecutes/Une-mission-a-accomplir#highlight
REPORTAGE - Avec l’offensive djihadiste dans le nord de l'Irak, la minorité chrétienne, passée de 1 million de membres à 400.000 en vingt ans, a le choix entre la conversion, l’exil ou la mort. Rencontre à Bagdad avec une communauté persécutée et livrée à son sort.
Le père Vincent Van Vossel, ici dans son église le 2 juillet, refuse de fuir, malgré le danger. (Laurent Van Der Stockt/ Getty Reportages pour le JDD)
Le père Mansour, né Vincent Van Vossel, aime le désert. L'immensité de sable et de cailloux procure au vieil homme l'apaisante sensation de "toucher à l'infinitude". Il dit ne plus se souvenir de son année de naissance, "cela fait si longtemps, trop longtemps"… Il doit être né il y a près de quatre-vingts ans, en Belgique assurément, loin de l'Irak, que le prêtre a rejoint il y a un demi-siècle. Sa silhouette est maigre, sa voix faible et épuisée, il est de ces vieux hommes érudits et fragiles que l'on voudrait soutenir par le bras, protéger des affres de la vieillesse et des dangers mortels qu'il encourt.
Une poignée de prêtres, moins d'une dizaine, vit encore à Bagdad, où leur vie est menacée chaque jour que Dieu fait. Beaucoup ont préféré s'exiler plutôt que de risquer l'égorgement ou l'exécution par balles, comme ces deux religieux assassinés en octobre 2011 et dont les portraits ornent la salle de classe où le père Mansour continue d'enseigner à une quarantaine d'élèves la théologie et l'histoire des chrétiens au Moyen-Orient, orthodoxes, chaldéens, grecs, assyriens…
"J'aurais une famille, je quitterais aussi l'Irak"
Jour après jour, il assiste impuissant à l'inexorable disparition de la communauté chrétienne d'Irak. Forte d'un million de membres il y a vingt ans et de 800.000 fidèles de l'invasion américaine en 2003, celle-ci n'en compterait plus que 400.000, dont près d'un tiers à Bagdad. "Ce pays est en ruine et rien ne pourra endiguer cet exil, soupire le vieux prêtre. Chaque jour, on vient nous demander des certificats de baptême pour demander l'asile en Europe, aux États-Unis, au Canada ou en Australie. Si les chrétiens peuvent encore survivre à Bagdad, dans le nord du pays, vers Mossoul, la vie est autrement plus compliquée. J'aurais une famille, je quitterais aussi l'Irak."
Située dans le quartier de Doura, son église Saint-Georges, d'obédience grecque catholique, est la plus petite de la capitale. Le beau bâtiment blanc, orné d'un jardin, oasis étonnamment reposante au cœur du chaos, a pris des allures de camp retranché depuis les attentats sanglants qui l'ont frappé en 2004 et 2011. L'église est désormais entourée de hauts murs fortifiés et de barbelés. Les militaires et les policiers déployés autour ne permettent d'y accéder que par une seule porte blindée.
Le diacre raconte la situation cauchemardesque des chrétiens de Mossoul depuis la prise de la ville par l'État islamique (EI) le 10 juin. La lettre N (pour Nazaréens) inscrite à la peinture rouge sur les portes, les viols, les assassinats… Le 18 juillet, les djihadistes ont donné quelques heures aux chrétiens pour choisir entre se convertir à l'islam, payer un impôt spécial ou s'exiler, faute de quoi ils seraient tués. Sa sœur, qui y vit, a failli y laisser la vie. Lui-même, pourtant, ne songe pas à quitter l'Irak. "J'ai une mission à accomplir qui est de servir l'Église. Je verrai bien pour la suite. Je mourrai le jour où je devrai mourir."
La religion de chaque citoyen figure sur la carte d'identité, la première ligne inscrite au verso du document. Là où l'EI a pris le pouvoir, l'inscription peut conduire à une mort certaine. Certaines vidéos mises en ligne montrent des scènes de viol, de torture et finalement de mort d'une cruauté insoutenable. À Bagdad, ceux qui ne peuvent s'enfuir vivent dans la terreur que les horreurs du Nord gagnent la capitale ou qu'une autre bombe explose en plein office.
La kalachnikov posée à quelques centimètres de la Vierge Marie
Certains partent, comme Alfred, un jeune chrétien de 25 ans qui s'apprête à rejoindre toute sa famille à Istanbul avant de peut-être gagner l'Australie une fois qu'il aura obtenu son diplôme d'ingénieur – précieux sésame, pense-t-il, pour sa nouvelle vie. Pourquoi partir? "Ça fait combien de jours que vous êtes en Irak? Moi vingt-cinq ans, depuis ma naissance. Ça vous suffit comme réponse? Vous ne voyez pas que l'activité la plus répandue ici est le meurtre et les enlèvements?"
D'autres choisissent de rester. Reain Salem Al-Kldany commande l'unité Babylone, une milice chrétienne forte, assure-t-il, de 2.500 combattants. Vêtu d'un treillis militaire, ce chrétien issu d'une famille de commerçants reçoit chez lui, entouré de gardes du corps armés, assisté d'un homme se présentant comme un ancien général de l'armée irakienne partageant son temps entre Bagdad et la Suisse. Le revolver est porté à la ceinture et la kalachnikov posée contre un mur, à quelques centimètres de représentations de la Vierge Marie, de la Cène ou d'un photomontage le représentant béni par Jésus.
Étrange personnage que ce soldat autoproclamé, sans grade ni régiment, se présentant comme conseiller du Premier ministre Maliki. Il se targue de voir les effectifs de sa milice grossir de jour en jour et de bénéficier de l'aide de généreux donateurs vivant en Irak ou installés en Californie. Décrivant une communauté abandonnée de tous, à commencer par les députés issus de ses rangs qui, "au lieu de [les] défendre, ne pensent qu'à une chose, faire de l'argent", il dit combattre "Al-Qaida, Da'ech" : "Ceux qui violent nos femmes, kidnappent nos enfants, tuent nos prêtres. Qui entrent dans les villages, massacrent les chrétiens, se présentent comme de bons musulmans alors qu'ils n'appartiennent à aucune religion et sont les ennemis de l'humanité tout entière." S'inspirant de l'exemple libanais, Kladny a donc constitué sa propre milice chrétienne, "puisque personne ne [les] défendra à part [eux]-mêmes, alors que les chrétiens sont, d'après les textes sacrés, les premiers habitants de l'Irak".
Sur le trottoir d'en face, placée sous la protection des hommes de Kldany, vit Muthanna, un chrétien assyrien ayant quitté Mossoul il y a quatre ans. Sans le sou, lui, sa femme et leurs six enfants occupent une maison abandonnée par ses propriétaires, d'autres chrétiens partis vivre aux États-Unis.
L'école publique se situe dans une zone trop dangereuse
L'école confessionnelle, qui est privée, coûte 900 euros par an et par enfant, une fortune évidemment impossible à financer. L'école publique étant située dans une zone trop dangereuse, les enfants traînent leur ennui à la maison. Son épouse s'éloigne puis revient, exhibant un pauvre sac plastique rose dans lequel s'accumulent les formulaires d'inscription à l'école qui n'auront jamais été remis.
L'une de leurs filles souffre de la hanche, un des garçons est en train de perdre un œil, un autre, traumatisé, ne parle pas. Leur père enrage de ne pouvoir ni les soigner ni les scolariser : "Je n'arrive même pas à les nourrir correctement! Personne ne nous aide! On a tout perdu, ici! Que vont devenir mes enfants?" Ingénieur agronome au chômage, maigre comme un clou, le visage taillé à la serpe, il hurle plus qu'il ne parle. Seul un homme d'affaires chrétien, un Franco-Irakien, leur donne un peu d'argent, au coup par coup. Juste de quoi survivre misérablement au milieu de l'enfer.
Source et reportage photo:
http://www.lejdd.fr/International/Moyen-Orient/Images/A-Bagdad-des-chretiens-persecutes/Une-mission-a-accomplir#highlight
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