Ne tremble pas en leur présence....

Parole, quand tu nous tiens Jérémie 1/4-10 et 17-19 Luc 4/21-30

Nous avons vu la semaine dernière que si les habitants de Nazareth avaient tellement de mal à entendre la prédication de Jésus dans la synagogue, c'est parce qu'ils le connaissaient trop bien. Et surtout qu'ils se méprenaient sur l'interprétation des paroles de Jésus. Jésus lit ce passage du prophète Ésaïe, au chapitre 16 : "L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la Bonne nouvelle aux pauvres."
Dans l'Ancien Testament l'onction consiste à verser de l'huile sainte sur la tête de celui à qui on veut conférer un "pouvoir" particulier, un roi par exemple. Celui qui est oint est appelé Messie en hébreu, ou Christ en grec. Cette onction conférait à celui qui en bénéficiait une place particulière dans la société, elle le transformait en quelque sorte.

Les auditeurs de Jésus pensent que Jésus lui-même prétend être un Messie, quelqu'un qui est oint. Et à une époque où l'attente messianique était très forte, les paroles de Jésus pouvaient même vouloir dire qu'il se prétendait être LE Messie, celui que l'on attend pour la fin des temps, celui qui doit rétablir Israël, établir le royaume de Dieu sur la terre.
Le texte de Jérémie que nous avons lu tout à l'heure nous montre que nous pouvons comprendre les choses d'une manière totalement différente. Qu'en est-il ?

Jérémie est appelé par Dieu pour proclamer sa Parole, pour mettre en garde Israël à chaque fois que le peuple s'égare dans des voies dangereuses. Dans un premier temps, Jérémie refuse. Bien souvent, dans l'Ancien testament les prophètes répondent à l'appel de Dieu à contre cœur. Ils savent le risque qu'il y a à annoncer une Parole difficile à entendre parce qu'elle remet trop de choses en cause, et qui, bien souvent, met en cause le pouvoir des puissants.
Jérémie n'est pas un berger, quelqu'un du peuple. Il est d'une famille de prêtres et donc d'une classe sociale assez élevée. La tradition veut qu'au temps de Salomon cette famille a subi une disgrâce. Mais malgré tout, ou peut-être à cause de cela, il ne veut pas y aller. Peut-être sait-il tout particuliérement quels sont les risques qu'il court. Mais voilà, la Parole de Dieu est sur lui, dit le texte, et il ne peut pas reculer. Il ne peut pas échapper, comme piégé par une sorte de prédestination. Une prédestination qui sans doute pour Jérémie, deviendra à de nombreuses reprises assez insupportable. Surtout lorsqu'il sera effectivement confronté à la persécution à cause de cette Parole.

Au-delà de l'aspect narratif du récit de cette vocation du prophète Jérémie, il y a une vérité. C'est que lorsque l'on est habité par la Parole de Dieu, alors il n'y a rien d'autre à faire, il faut la proclamer, il faut l'annoncer jusqu'au bout, quelles qu'en soient les conséquences. C'est quelque chose qui vous prend littéralement au ventre. D'une certaine manière, refuser de proclamer cet Évangile c'est se renier soi-même, c'est ne plus exister, c'est disparaître. Et ils sont nombreux dans l'histoire de l'humanité, celles et ceux qui ont payé du prix de leur vie cette incapacité à se taire parce qu'habités par cette Parole.

Alors Jérémie va proclamer cette Parole, il va suivre l'injonction de Dieu. Mais en dépit de ce que Dieu lui demande, "ne tremble pas en leur présence de peur que je te fasse trembler devant eux", c'est certainement la peur au ventre que Jérémie va prophétiser.

Oui, être prophète ça n'est pas quelque chose de simple. Être choisi par Dieu, être messie, ça n'est pas quelque chose de facile. Et c'est ce que ne comprennent pas les auditeurs de Jésus dans la synagogue. Ils ne comprennent pas que Jésus n'est pas un prétentieux qui veut s'affirmer comme étant celui qui va bouleverser le monde, comme ces "prophètes" que nous voyons autour de nous et qui se proclament messies de Dieu en se prenant pour des "superman", et qui veulent au nom de cela régenter le monde, qui veulent diriger les hommes. Le prophète, c'est celui qui, habité par la Parole de Dieu, transmet cette Parole aux autres. C'est avant tout un serviteur (ministre) de cette Parole.

Et généralement cette Parole est une Parole différente. Le texte de Luc nous dit que la foule était étonnée parce que c'était une Parole de grâce qui sortait de sa bouche. Une Parole donc qui était différente de celle des rabbins qui prêchaient shabbat après shabbat à la synagogue. Une Parole de grâce qui vient de Dieu. Tous étaient étonnés. Effectivement face à la Parole de Dieu, on est étonné. On ne peut qu'être étonné par cette Parole qui est toujours différente de ce qu'on imagine.
À chaque lecture elle est nouvelle, à chaque lecture, à chaque audition, elle interpelle. Chaque fois, elle secoue, elle remet en mouvement. Et c'est pour cela que la Parole est forte, qu'elle est vivante, qu'elle peut nous habiter. Les textes de l'Ancien testament du prophète Jérémie et ce texte de l'Évangile nous interpellent, chacun-e d'entre nous.

À notre tour nous pouvons aussi être habités par cette Parole et nous mettre en mouvement, nous mettre en mouvement c'est-à-dire la porter à l'extérieur. Proclamer cette Parole de grâce autour de nous dans une société qui n'a pas l'habitude de vivre cette grâce. Proclamer une Parole qui est différente.
Nous tous, nous sommes invités à être comme le prophète et à proclamer que l'Esprit du Seigneur est sur nous parce qu'il nous a conféré l'onction. Cette onction, pour nous tous, c'est l'onction du baptême. Pour annoncer la Bonne nouvelle aux pauvres, c'est-à-dire à celles et ceux qui vivent dans la détresse d'une vie sans grâce et sans pardon. Nous sommes invités nous aussi à proclamer aux captifs, la libération. Aux captifs de cette société de consommation, aux captifs de ce monde qui n'est que violence et haine. Pour leur annoncer que l'on peut vivre autrement, vivre de la Parole de Dieu qui est amour et qui est grâce.
Aux aveugles, annoncer le retour à la vue. C'est-à-dire montrer aux gens qui nous entourent que la société de "communication" est une société qui les aveugle, une société qui les empêche de réfléchir, une société qui les empêche de prendre du recul et qui les enferme. Leur apprendre que la parole de l'Évangile est une Parole qui permet de prendre le recul nécessaire et qui de ce fait, rend libre.
Ainsi, proclamer une année d'accueil du Seigneur, une année de jubilé puisque c'est de cela dont il s'agit, une année où tout est remis à plat, où toutes les dettes sont remises devant Dieu. Oui, nous sommes invités par l'Évangile, (et aussi par le prophète Jérémie,) à la suite du Christ, à dire aujourd'hui "cette Écriture est accomplie pour vous qui l'entendez".

Il ne s'agit pas de se prendre pour des demi-dieux, il ne s'agit pas de se prendre pour des messies-superman, ou pour les gourous d'une nouvelle secte, mais pour les serviteurs (ministres) de la Parole de Dieu qui s'accomplit aujourd'hui. C'est la Parole de Dieu qui peut agir dans le monde. Nous ne sommes rien de plus que les autres, nous ne sommes pas plus que le prophète Jérémie, nous ne sommes pas plus que le fils du charpentier. Mais lorsque nous sommes habités par la Parole, alors à travers nous c'est la Parole elle-même qui agit, c'est la Parole elle-même qui va dans le monde pour proclamer la grâce de Dieu.
Amen!
Jacques Morel Prédication

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