La Bannière de Sainte Jehanne
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La Bannière de Sainte Jehanne
http://www.stejeannedarc.net/histoire_wallon/appendice15.php
Jeanne d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice 15 : Etendard de Jeanne d'Arc
Il y a quelques diversités dans les descriptions qui nous sont faites de l'étendard de la jeune Vierge.
Jeanne d'Arc dit elle-même qu'il était blanc et semé de lis, qu'on y voyait le monde et deux anges aux côtés avec cette inscription : JHESUS, MARIA.
"Respondit quod habebat vexillum (gallice, estendart ou bannière) cujus campus erat seminatus liliis ; et erat ibi mundus figuratus, et duo angeli a lateribus ; eratque coloris albi de tela alba vel boucassino, erantque ibi seripta ista nomina JHESUS MARIA, sicut ei videtur, et oral fimbriatum de serico.3 (T.I, p.78.) Cette expression, le monde, est expliquée un peu plus loin : c'est Dieu tenant le monde : "Deum tenentem mundum, et duos angelos, - Regem coli a (Ibid., p.117) ; cf., p.181 "Ipsa fecit ibi fieri istam figuram Dei et angelorum" et dans le 58° des articles proposés contre elle : "Fecit depingi vexillum suum, ac in eo describi duos angelos assistentes Deo tenenti mundum in manu sua, cum his nominibus JHESUS MARIA, et aliis picturis." (Ibid., p.300.) Le revers nous est donné par le seul Perceval de Cagny: "La Pucelle print son estendart ouquel estoit empainturé Dieu en sa Majesté, et de l'austre costé ..., et ung escu de France tenu par deux anges." (t. IV, p.12.)
Le Journal du siège qui, en un endroit, décrit sommairement de la même sorte le côté principal de l'étendard de la Pucelle : "ouquel par le vouloir d'elle on feist paindre et mectre pour devise : JESUS MARIA et une majesté" (Ibid., p.129), dit ailleurs, à propos de son entrée dans Orléans : "Et faisoit porter devant elle un estendard qui estoit pareillement blanc ouquel avoit deux anges tenant chacun une fleur de lis en lour main ; et ou panon estoit painte comme une Annonciation (c'est l'image de Notre-Dame ayant devant elle ung ange lui présentant ung liz." (t. IV, p.152.)
Les autres témoignages ne font que reproduire, en résumé, cette description ou y joindre quelques traits accessoires.
La Chronique de la Jeune Vierge se borne à dire : "Un ostendart blanc auquel elle fist pourtraire la représentation du sainct Sauveur et de deux anges." (t.IV, p.215) Pasquerel ne parle que d'un ange tenant un lis que bénissait le Seigneur siégeant sur les nuées : "In quo depingebatur imago Salvatoris nostri sedentis in judicio in nubibus cœli, et erat quidam angelus depictus tenens in suis manibus florem lilii quem benedicebat imago." (t. III, p.203) Eberhard de Windeken, trésorier de l'empereur Sigismond, qui doit écrire d'après les relations officielles venues de France, modifie simplement l'attitude du Sauveur : "Une bannière de soie blanche sur laquelle était peint Notre-Seigneur Dieu, assis sur l'arc en ciel, montrant ses plaies, et ayant de chaque côté un ange qui tenait un lis à la main." (t.IV, p.490)
C'est identiquement la même chose qu'on lit dans la Chronique des Pays-Bas : "Aïans son estendart de blancq satin ouquel estoit figuré Jhésu-Christ seant sups le arche (arc-en-ciel) monstrant ses plaies, et à cascun lez (de chaque côté) ung angel tenant une fleur de lis (Smet, Coll. des Chroniq. badges, t.III, p.409).
Dunois, par une confusion évidente, dit que c'était le Seigneur qui tenait le lis : "Vexillum... album... in quo oral figure Domini nostri tenentis florem lilii in manu sua." (t.III, p. 409)
J'avais pensé d'abord qua cette deuxième figure pouvait se rapporter au revers de l'étendard ; et je m'y sentais autorisé par Jules Quicherat, qui avait propose de combler la lacune du texte de Perceval de Cagny donnée plus haut, par cet autre passage du même auteur : "Elle fist faire un estendart ouquel estoit l'image de N. Dame (ibid., p. 5)." Mais il vaut mieux supposer, avec Vallet de Viriville, qu'il s'agit ici d'un autre étendard. Le panon qui est nomme avec l'étendard dans la phrase du journal, est certainement un étendard plus petit que la Pucelle s'était fait faire à la façon des simples bacheliers ou des chevaliers non bannerets ; il était commun d'avoir ainsi, tout à la fois, un étendard et le pennon de l'étendard ou guidon, témoin ce passage indiquant le jeu de la scène dans le Mystère du siége d'Orléans :
"Adont icy y a pause de trompettes et d'instruments. - Et partiront tous en l'ordonnance de la Pucelle, chascun son estendart et guidon en très belle ordonnance et bien en point." (Mystère, etc., après le vers 15 903.)
Pour ce qui est de la Pucelle, on trouve, en effet, dans les comptes le nom du peintre qui a fait les deux étendards, et ce qui lui a été payé pour l'un et pour l'autre : "Et à Hauves Poulnoir, peintre demourant à Tours, pour avoir paint et baillée estoffes pour ung grand estandard et ung petit pour la Pucelle, 25 livres tournois." (t.V, p. 255) Or ces deux étendards ne sont pas, l'un celui de la Pucelle, l'autre cette seconde bannière qu'elle fit faire pour les prêtres de l'armée. Car Pasquerel, son confesseur, à qui elle en remet le soin, dit qu'elle la fit faire à Blois, quand elle allait marcher vers Orléans, et qu'elle y fit représenter le Sauveur en Croix : "Et fuerunt in villa Blesensi circiter per duos vel tres dies... et ibidem dixit loquenti quatenus faceret fieri unum vexillum pro congregandis presbyteris, gallice, une bannière, et quod in eodem vexillo faceret depingi imaginem Domini nostri crucifixi." (t. III, p.104) Or, le même Pasquerel, qui a décrit à peu près comme les autres l'étendard de la Pucelle (on l'a vu ci-dessus), sait très bien qu'on l'avait fabriqué à Tours : "Et applicuit ipse loquens Turonis illo tunc quod depingebatur illud vexillum" (ibid., p.105).
On est donc amené à distinguer trois choses :
1° la bannière des prêtres avec l'image de Jésus crucifié ;
2° l'étendard de la Pucelle, peint comme nous l'avons indiqué sur les deux faces ;
et 3° cet étendard plus petit ou panonceau fait aussi pour la Pucelle, et où l'on avait figuré l'Annonciation.
Mais il faut dire que, dans tout le récit, il n'est jamais parlé que d'un étendard : celui qu'elle décrit elle même à ses juges.
C'est de celui-là, en effet, qu'elle déclare qu'elle le portait dans la bataille pour éviter de tuer personne : "Dicit etiam quod ipsamet portabat vexillum prædictum, quando aggrediebatur adversarios, pro evitando ne interficeret aliquem." (t.I, p.78)
Lors donc que les historiens la représentent tenant son étendard, c'est de ce drapeau et non du panonceau qu'ils doivent être entendus.
Une addition, ou, pour mieux dire, une modification plus considérable aux descriptions connues, est celle que M. de Certain a tirée du Mystère du siège d'Orléans, mystère qu'il vient de publier avec M. Guessart (Documents inédits sur l'Histoire de France, 1862). Voici comme l'étendard y est représenté
Un estendart avoir, je vueil
- Tout blanc, sans nulle autre couleur,
Ou dedans sera un souleil
Reluisant ainsi qu'en chaleur ;
Et ou milieu en grant honneur
En lettre d or escript sera
Ces deux mots do digno valeur
Qui sont c"est AVE MARIA.
Et au-dessus notablement
Sera majesté
Pourtraicte bien et joliment
Faicte de grant autorité,
Aux deux coustés seront assis
Deux anges, que chascun tiendra
En leur main une fleur de liz,
L'autre le soleil soustiendra.
(Mystère du siège d'Orléans, v.10539-10554, p.411)
On voit combien de traits de fantaisie l'auteur a joints à quelques traits exacts. M. de Certain me paraît expliquer fort bien comment Jeanne n'a parlé que d'un côté de son étendard : elle n'a pas l'habitude de répondre à ses juges plus qu'ils ne lui demandent, et ils ne lui ont pas demandé si l'étendard était peint des deux côtés.
Mais il diminue trop l'autorité de sa description, sous prétexte que "la simple jeune fille n'avait pas acquis une grande connaissance des choses d'art."
Elle avait pu, en commandant son étendard au peintre, ne pas lui marquer bien exactement l'ordonnance du sujet ;
mais l'ouvrage fait, elle savait aussi bien et mieux que personne ce qu'il représentait.
Aux descriptions données, ajoutons celle des lettres patentes de Louis XIII sur les armoiries de la Pucelle quelque peu officielle que soit la pièce en cette matière, elle ne fait qu'y ajouter une confusion de plus.
Il y est dit "qu'elle estoit de toile blanche semée de fleurs de lis d'or avec la figure d'un ange qui présentoit un lis à Dieu porté par la Vierge sa mère."
(Procès, t.V, p. 239).
Un document nouveau publié par M. Jules Quicherat dans la Revue historigue (t. IV, p.338) (Anonyme de la Rochelle), donne ce trait qu'on ne trouve nulle autre part :
"Et fit faire audit lieu de Poitiers son étendard auquel y avoit un escu d'azur, et un coulon blanc dedans y celluy estoit lequel coulon tenoit un role en son bec où avoit escrit de par le roy du ciel".
L'auteur, greffier de l'hôtel de ville de la Rochelle, n'avait certainement pas vu l'étendard et comme il écrit, selon toute probabilité en 1429, avant tout autre récit, il est douteux qu'il en ait lu une description autorisée. Évidemment cet écu d'azur avec la colombe ne peut remplacer les emblèmes essentiels que Jeanne décrit elle-même et les autres chroniqueurs après elle.
Mais M. J. Quicherat est tenté d'y voir une sorte de blason propre à la Jeune Fille et relégué dans un coin de l'étendard. "Dans les usages militaires du quinzième siècle, dit-il, l'étendard, qui était un signe du commandement général, était couvert d'emblêmes au choix du capitaine à qui il appartenait, et ces emblêmes n'étaient point assujettis aux lois du blason : dans un coin seulement étaient figurées les armoiries du personnage. Jeanne, parait-il, se conforma à cette coutume...
Ni marque nobiliaire, ni aucun des emblèmes consacrés de la chevalerie ne figuraient sur l'écusson :
c'était un Saint-Esprit d'argent au champ d'azur, l'oiseau tenant dans son bec une banderolle sur laquelle étaient écrits les mots :
De par le Roy du Ciel »
(Ibid., p.338).
Et il suppose que la Jeune Fille y substitua plus tard les armes que Charles VII lui donna, le 2 juin 1429, à Chinon, "pour son estandard et pour soi decorer."
Malgré l'autorité de M. Jules Quicherat j'incline à croire que le greffier de la Rochelle a fait quelque confusion ; que cet emblême de la colombe ne trouva jamais place sur l'étendard de Jeanne, et que même les armoiries qui lui furent données pour son estandart et pour soy decourer, n'y figurèrent jamais : car aucun texte ne l'établit. (1)
Source : Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Illustrations :
- Etendard, bannière et penon figurés dans la version illustrée de Wallon du présent ouvrage (Firmin-Didot - 1892)
Notes :
1 NDLR : voir l'étude très appronfondie de l'étendard que fait le colonel de Liocourt dans son ouvrage "la Mission de Jeanne d'Arc, t.I, p.191 à 287.
La description du greffier de la Rochelle se rapporte justement à l'autre face de l'étendard où une colombe tient la banderolle "De par le roy du ciel" et y figure un écu d'azur.
Dans son procès Jeanne elle-même l'appelle "l'étendard De par le Roy du ciel".
Il est de même à noter que des chronique parlent de "coulon blanc" lors de l'assaut des Tourelles "aucuns chevaliers veirent un coulong blanc voler par sus l'estendart de la dicte
"Jeanne d'Arc" par Henri Wallon - 5ème édition - 1876
Pour raconter l'histoire de Jeanne d'Arc, j'ai choisi en premier le remarquable livre de M. Henri Wallon paru pour la première fois en 1860, qui me parait être une version équilibrée qui ne prête que peu le flanc à la critique et qui a remporté le prix Gobert à l'époque.
Henri-Alexandre Wallon (1812-1904) né à Valenciennes, était un historien à l'œuvre abondante et un universitaire chevronné. Républicain catholique convaincu, il fut secrétaire perpétuel de l'Académie des belles-lettres pendant près de 32 ans et ministre de l'instruction publique, du culte et des Beaux-Arts.
Son œuvre sur Jeanne d'Arc, publiée pour la première fois en 1860, a été rééditée à plusieurs reprises jusqu'au début du XX° siècle et notamment chez Firmin-Didot dans une édition de très grand luxe (un musée dédié à Jeanne d'Arc comme l'a si bien dit Marius Sepet), malheureusement au détriment de l'appareil d'érudition des premières éditions.
Sur le site, nous reprenons la 5ème édition de 1879 avec toutes les notes d'érudition.
Jeanne d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice 15 : Etendard de Jeanne d'Arc
Il y a quelques diversités dans les descriptions qui nous sont faites de l'étendard de la jeune Vierge.
Jeanne d'Arc dit elle-même qu'il était blanc et semé de lis, qu'on y voyait le monde et deux anges aux côtés avec cette inscription : JHESUS, MARIA.
"Respondit quod habebat vexillum (gallice, estendart ou bannière) cujus campus erat seminatus liliis ; et erat ibi mundus figuratus, et duo angeli a lateribus ; eratque coloris albi de tela alba vel boucassino, erantque ibi seripta ista nomina JHESUS MARIA, sicut ei videtur, et oral fimbriatum de serico.3 (T.I, p.78.) Cette expression, le monde, est expliquée un peu plus loin : c'est Dieu tenant le monde : "Deum tenentem mundum, et duos angelos, - Regem coli a (Ibid., p.117) ; cf., p.181 "Ipsa fecit ibi fieri istam figuram Dei et angelorum" et dans le 58° des articles proposés contre elle : "Fecit depingi vexillum suum, ac in eo describi duos angelos assistentes Deo tenenti mundum in manu sua, cum his nominibus JHESUS MARIA, et aliis picturis." (Ibid., p.300.) Le revers nous est donné par le seul Perceval de Cagny: "La Pucelle print son estendart ouquel estoit empainturé Dieu en sa Majesté, et de l'austre costé ..., et ung escu de France tenu par deux anges." (t. IV, p.12.)
Le Journal du siège qui, en un endroit, décrit sommairement de la même sorte le côté principal de l'étendard de la Pucelle : "ouquel par le vouloir d'elle on feist paindre et mectre pour devise : JESUS MARIA et une majesté" (Ibid., p.129), dit ailleurs, à propos de son entrée dans Orléans : "Et faisoit porter devant elle un estendard qui estoit pareillement blanc ouquel avoit deux anges tenant chacun une fleur de lis en lour main ; et ou panon estoit painte comme une Annonciation (c'est l'image de Notre-Dame ayant devant elle ung ange lui présentant ung liz." (t. IV, p.152.)
Les autres témoignages ne font que reproduire, en résumé, cette description ou y joindre quelques traits accessoires.
La Chronique de la Jeune Vierge se borne à dire : "Un ostendart blanc auquel elle fist pourtraire la représentation du sainct Sauveur et de deux anges." (t.IV, p.215) Pasquerel ne parle que d'un ange tenant un lis que bénissait le Seigneur siégeant sur les nuées : "In quo depingebatur imago Salvatoris nostri sedentis in judicio in nubibus cœli, et erat quidam angelus depictus tenens in suis manibus florem lilii quem benedicebat imago." (t. III, p.203) Eberhard de Windeken, trésorier de l'empereur Sigismond, qui doit écrire d'après les relations officielles venues de France, modifie simplement l'attitude du Sauveur : "Une bannière de soie blanche sur laquelle était peint Notre-Seigneur Dieu, assis sur l'arc en ciel, montrant ses plaies, et ayant de chaque côté un ange qui tenait un lis à la main." (t.IV, p.490)
C'est identiquement la même chose qu'on lit dans la Chronique des Pays-Bas : "Aïans son estendart de blancq satin ouquel estoit figuré Jhésu-Christ seant sups le arche (arc-en-ciel) monstrant ses plaies, et à cascun lez (de chaque côté) ung angel tenant une fleur de lis (Smet, Coll. des Chroniq. badges, t.III, p.409).
Dunois, par une confusion évidente, dit que c'était le Seigneur qui tenait le lis : "Vexillum... album... in quo oral figure Domini nostri tenentis florem lilii in manu sua." (t.III, p. 409)
J'avais pensé d'abord qua cette deuxième figure pouvait se rapporter au revers de l'étendard ; et je m'y sentais autorisé par Jules Quicherat, qui avait propose de combler la lacune du texte de Perceval de Cagny donnée plus haut, par cet autre passage du même auteur : "Elle fist faire un estendart ouquel estoit l'image de N. Dame (ibid., p. 5)." Mais il vaut mieux supposer, avec Vallet de Viriville, qu'il s'agit ici d'un autre étendard. Le panon qui est nomme avec l'étendard dans la phrase du journal, est certainement un étendard plus petit que la Pucelle s'était fait faire à la façon des simples bacheliers ou des chevaliers non bannerets ; il était commun d'avoir ainsi, tout à la fois, un étendard et le pennon de l'étendard ou guidon, témoin ce passage indiquant le jeu de la scène dans le Mystère du siége d'Orléans :
"Adont icy y a pause de trompettes et d'instruments. - Et partiront tous en l'ordonnance de la Pucelle, chascun son estendart et guidon en très belle ordonnance et bien en point." (Mystère, etc., après le vers 15 903.)
Pour ce qui est de la Pucelle, on trouve, en effet, dans les comptes le nom du peintre qui a fait les deux étendards, et ce qui lui a été payé pour l'un et pour l'autre : "Et à Hauves Poulnoir, peintre demourant à Tours, pour avoir paint et baillée estoffes pour ung grand estandard et ung petit pour la Pucelle, 25 livres tournois." (t.V, p. 255) Or ces deux étendards ne sont pas, l'un celui de la Pucelle, l'autre cette seconde bannière qu'elle fit faire pour les prêtres de l'armée. Car Pasquerel, son confesseur, à qui elle en remet le soin, dit qu'elle la fit faire à Blois, quand elle allait marcher vers Orléans, et qu'elle y fit représenter le Sauveur en Croix : "Et fuerunt in villa Blesensi circiter per duos vel tres dies... et ibidem dixit loquenti quatenus faceret fieri unum vexillum pro congregandis presbyteris, gallice, une bannière, et quod in eodem vexillo faceret depingi imaginem Domini nostri crucifixi." (t. III, p.104) Or, le même Pasquerel, qui a décrit à peu près comme les autres l'étendard de la Pucelle (on l'a vu ci-dessus), sait très bien qu'on l'avait fabriqué à Tours : "Et applicuit ipse loquens Turonis illo tunc quod depingebatur illud vexillum" (ibid., p.105).
On est donc amené à distinguer trois choses :
1° la bannière des prêtres avec l'image de Jésus crucifié ;
2° l'étendard de la Pucelle, peint comme nous l'avons indiqué sur les deux faces ;
et 3° cet étendard plus petit ou panonceau fait aussi pour la Pucelle, et où l'on avait figuré l'Annonciation.
Mais il faut dire que, dans tout le récit, il n'est jamais parlé que d'un étendard : celui qu'elle décrit elle même à ses juges.
C'est de celui-là, en effet, qu'elle déclare qu'elle le portait dans la bataille pour éviter de tuer personne : "Dicit etiam quod ipsamet portabat vexillum prædictum, quando aggrediebatur adversarios, pro evitando ne interficeret aliquem." (t.I, p.78)
Lors donc que les historiens la représentent tenant son étendard, c'est de ce drapeau et non du panonceau qu'ils doivent être entendus.
Une addition, ou, pour mieux dire, une modification plus considérable aux descriptions connues, est celle que M. de Certain a tirée du Mystère du siège d'Orléans, mystère qu'il vient de publier avec M. Guessart (Documents inédits sur l'Histoire de France, 1862). Voici comme l'étendard y est représenté
Un estendart avoir, je vueil
- Tout blanc, sans nulle autre couleur,
Ou dedans sera un souleil
Reluisant ainsi qu'en chaleur ;
Et ou milieu en grant honneur
En lettre d or escript sera
Ces deux mots do digno valeur
Qui sont c"est AVE MARIA.
Et au-dessus notablement
Sera majesté
Pourtraicte bien et joliment
Faicte de grant autorité,
Aux deux coustés seront assis
Deux anges, que chascun tiendra
En leur main une fleur de liz,
L'autre le soleil soustiendra.
(Mystère du siège d'Orléans, v.10539-10554, p.411)
On voit combien de traits de fantaisie l'auteur a joints à quelques traits exacts. M. de Certain me paraît expliquer fort bien comment Jeanne n'a parlé que d'un côté de son étendard : elle n'a pas l'habitude de répondre à ses juges plus qu'ils ne lui demandent, et ils ne lui ont pas demandé si l'étendard était peint des deux côtés.
Mais il diminue trop l'autorité de sa description, sous prétexte que "la simple jeune fille n'avait pas acquis une grande connaissance des choses d'art."
Elle avait pu, en commandant son étendard au peintre, ne pas lui marquer bien exactement l'ordonnance du sujet ;
mais l'ouvrage fait, elle savait aussi bien et mieux que personne ce qu'il représentait.
Aux descriptions données, ajoutons celle des lettres patentes de Louis XIII sur les armoiries de la Pucelle quelque peu officielle que soit la pièce en cette matière, elle ne fait qu'y ajouter une confusion de plus.
Il y est dit "qu'elle estoit de toile blanche semée de fleurs de lis d'or avec la figure d'un ange qui présentoit un lis à Dieu porté par la Vierge sa mère."
(Procès, t.V, p. 239).
Un document nouveau publié par M. Jules Quicherat dans la Revue historigue (t. IV, p.338) (Anonyme de la Rochelle), donne ce trait qu'on ne trouve nulle autre part :
"Et fit faire audit lieu de Poitiers son étendard auquel y avoit un escu d'azur, et un coulon blanc dedans y celluy estoit lequel coulon tenoit un role en son bec où avoit escrit de par le roy du ciel".
L'auteur, greffier de l'hôtel de ville de la Rochelle, n'avait certainement pas vu l'étendard et comme il écrit, selon toute probabilité en 1429, avant tout autre récit, il est douteux qu'il en ait lu une description autorisée. Évidemment cet écu d'azur avec la colombe ne peut remplacer les emblèmes essentiels que Jeanne décrit elle-même et les autres chroniqueurs après elle.
Mais M. J. Quicherat est tenté d'y voir une sorte de blason propre à la Jeune Fille et relégué dans un coin de l'étendard. "Dans les usages militaires du quinzième siècle, dit-il, l'étendard, qui était un signe du commandement général, était couvert d'emblêmes au choix du capitaine à qui il appartenait, et ces emblêmes n'étaient point assujettis aux lois du blason : dans un coin seulement étaient figurées les armoiries du personnage. Jeanne, parait-il, se conforma à cette coutume...
Ni marque nobiliaire, ni aucun des emblèmes consacrés de la chevalerie ne figuraient sur l'écusson :
c'était un Saint-Esprit d'argent au champ d'azur, l'oiseau tenant dans son bec une banderolle sur laquelle étaient écrits les mots :
De par le Roy du Ciel »
(Ibid., p.338).
Et il suppose que la Jeune Fille y substitua plus tard les armes que Charles VII lui donna, le 2 juin 1429, à Chinon, "pour son estandard et pour soi decorer."
Malgré l'autorité de M. Jules Quicherat j'incline à croire que le greffier de la Rochelle a fait quelque confusion ; que cet emblême de la colombe ne trouva jamais place sur l'étendard de Jeanne, et que même les armoiries qui lui furent données pour son estandart et pour soy decourer, n'y figurèrent jamais : car aucun texte ne l'établit. (1)
Source : Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Illustrations :
- Etendard, bannière et penon figurés dans la version illustrée de Wallon du présent ouvrage (Firmin-Didot - 1892)
Notes :
1 NDLR : voir l'étude très appronfondie de l'étendard que fait le colonel de Liocourt dans son ouvrage "la Mission de Jeanne d'Arc, t.I, p.191 à 287.
La description du greffier de la Rochelle se rapporte justement à l'autre face de l'étendard où une colombe tient la banderolle "De par le roy du ciel" et y figure un écu d'azur.
Dans son procès Jeanne elle-même l'appelle "l'étendard De par le Roy du ciel".
Il est de même à noter que des chronique parlent de "coulon blanc" lors de l'assaut des Tourelles "aucuns chevaliers veirent un coulong blanc voler par sus l'estendart de la dicte
"Jeanne d'Arc" par Henri Wallon - 5ème édition - 1876
Pour raconter l'histoire de Jeanne d'Arc, j'ai choisi en premier le remarquable livre de M. Henri Wallon paru pour la première fois en 1860, qui me parait être une version équilibrée qui ne prête que peu le flanc à la critique et qui a remporté le prix Gobert à l'époque.
Henri-Alexandre Wallon (1812-1904) né à Valenciennes, était un historien à l'œuvre abondante et un universitaire chevronné. Républicain catholique convaincu, il fut secrétaire perpétuel de l'Académie des belles-lettres pendant près de 32 ans et ministre de l'instruction publique, du culte et des Beaux-Arts.
Son œuvre sur Jeanne d'Arc, publiée pour la première fois en 1860, a été rééditée à plusieurs reprises jusqu'au début du XX° siècle et notamment chez Firmin-Didot dans une édition de très grand luxe (un musée dédié à Jeanne d'Arc comme l'a si bien dit Marius Sepet), malheureusement au détriment de l'appareil d'érudition des premières éditions.
Sur le site, nous reprenons la 5ème édition de 1879 avec toutes les notes d'érudition.
Michel5- Pour le roi
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