Littérature spirituelle
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Littérature spirituelle
ALEXANDRINA MARIA DA COSTA
(1904-1955)
1-L'enfance
Alexandrina Maria da Costa naquit à Gresufes, paroisse de Balasar, petit bourg situé à environ 50 kilomètres de Porto, dans l'Archidiocèse de Braga, le 30 mars 1904, d'un milieu de paysans honnêtes et travailleurs. Elle fut baptisée le Samedi Saint suivant, 2 avril 1904.
Il faut mentionner ici un fait étonnant: dans une vallée voisine et située en face de l'église, se trouve une chapelle, construite en 1832, à l'endroit même où, en la fête du Corpus Domini, une croix dessinée à même la terre, mais d'une terre différente, est apparue. Un siècle avant l'offrande d'Alexandrina, Jésus préparait la Croix sur laquelle il installerait sa victime.
La Mère d'Alexandrina eut, du même homme, deux filles illégitimes, Deolinda et Alexandrina. Aussitôt après la naissance de Deolinda, l'individu qui avait promit de l'épouser s'en alla au Brésil. Après son retour au Portugal, il revit la mère de Deolinda, et Alexandrina vint au monde. Puis cet homme l'abandonna de nouveau pour épouser une autre femme. Les témoins locaux rapportent qu'à partir de ce moment, la mère eut un comportement irrépréhensible.
Alexandrina passa les cinq premières années de sa vie chez ses grands-parents maternels. En janvier 1911, vers l'âge de six ans, elle dut partir, avec sa sœur, Deolinda, à Póvoa de Varzim afin de pouvoir fréquenter l'école, car il n'y avait pas d'école de filles à Balasar. C'est là qu'elle fit sa première Communion. Les deux fillettes revinrent dans leur famille en juillet 1912.
Vers l'âge de 9 ans, Alexandrina dut commencer à travailler, d'abord dans les champs, puis comme journalière, femme de ménage et couturière, chez des voisins. Il convient de noter ici que, toute jeune, et même pendant le travail, elle priait beaucoup. Bientôt elle fut nommée catéchiste et membre de la chorale.
2-Les premières épreuves
Un jour, Alexandrina tomba d'un chêne. Puis elle devint gravement malade et dut cesser de travailler régulièrement. A 12 ans les derniers sacrements lui furent administrés. Sa santé continua à se dégrader et elle dut abandonner les travaux dans les champs, par manque de forces. Elle commença dès lors à se plaindre aussi de douleurs à la colonne vertébrale; ce mal s'aggrava par la suite. On disait qu’elle souffrait de myélite. La maman rapporte que le médecin qu’elle avait consulté, le docteur João de Almeida, de la maison de santé de Carcereira, lui avait dit qu’il s’agissait de myélite et qu’elle deviendrait paralysée. (D'après des témoignages de Maria da Conceição Leite Reis Proença, dite Sãozinha)
Le Samedi Saint 1918, Alexandrina sauta par une fenêtre d'une hauteur d’environ quatre mètres, plutôt que de se laisser violenter par trois hommes qui étaient entrés dans la pièce où, avec sa sœur et une amie, elle faisait de la couture. Il en résulta une compression de l'épine dorsale, cause de l'accélération de sa paralysie qui la retint au lit pendant 30 ans. En 1922, un spécialiste de Porto, le docteur Abel, confirma le diagnostic précédent à son médecin traitant, le docteur Garcia: sa patiente ne guérirait jamais.
Pendant cinq mois consécutifs Alexandrina ne put se lever, mais en avril 1923 elle recommença à marcher un peu en s'aidant d'une chaise. La mort de sa grand'mère fut pour elle un grand chagrin. En juin, elle put participer au Congrès Eucharistique National, de Braga. Mais le 14 avril 1925, elle devait s'aliter définitivement. Deolinda, sa sœur devint son infirmière et sa secrétaire.
L'Hymne aux Tabernacles
Voici l'hymne aux Tabernacles que composa Alexandrina dès le début de a vie mystique :
Ô Jésus, je veux que chacune de mes douleurs, chaque battement de mon cœur, chacune de mes respirations, chaque seconde de ma vie, chaque minute, soient autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque mouvement de mes pieds, de mes mains, de mes lèvres, de ma langue, chacune de mes larmes, chaque sourire, joie, tristesse, tribulation, distraction, contrariété ou ennui, soient autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Ô Jésus, je veux que chaque lettre des prières que je récite ou entends réciter, toutes les paroles que je prononce ou entends prononcer, que je lis ou entends lire, que j’écris ou vois écrire, que je chante ou entends chanter, soient autant d’actes d’amour pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque baiser que je déposerai sur vos saintes images, celles de la vôtre et ma sainte Mère, celles de vos saints et saintes, soient autant d’actes d’amour pour vos Tabernacles.
Ô Jésus, je veux que chaque goutte de pluie qui tombe du ciel sur la terre, que toute l'eau des océans et tout ce qu'ils renferment, que toute l'eau des fleuves et des rivières, soient autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je vous offre les feuilles de tous les arbres, et tous les fruits qui sur eux mûrissent; chaque pétale de toutes les fleurs; toutes les graines que contient le monde; tout ce qu'il y a dans les jardins, dans les champs, dans les vallées, sur les montagnes: tout cela je veux vous l'offrir comme autant d'actes d'amour pour vos tabernacles.
Ô Jésus, je vous offre les plumes des oiseaux et leurs gazouillements, les poils des animaux et leurs cris, comme autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Ô Jésus, je vous offre le jour et la nuit, la chaleur et le froid, le vent, la neige, la lune, le clair de lune, le soleil, les étoiles du firmament, mon sommeil et mes rêves, comme autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque fois que j'ouvre ou ferme les yeux, ce soit autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Ô Jésus, je vous offre toutes les grandeurs, richesses et trésors du monde, tout ce qui se passe en moi, tout ce que j'ai l'habitude de vous offrir, comme autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Ô Jésus, le ciel et la terre, l'océan et tout ce qu'ils contiennent, je vous les offre comme s'ils m'appartenaient et si je pouvais en disposer; acceptez-les comme autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
On peut ajouter ici quelques confidences de Jésus à son épouse bien-aimée. Avec beaucoup de tendresse, le Seigneur lui dit en 1935 : "Ma fille, Je suis avec toi. Si tu savais combien Je t'aime, tu mourrais de joie."
A compter du jour où elle s'est offerte comme victime, en 1933, Alexandrina a toujours récité cette petite prière :
"Ô Jésus, mettez sur mes lèvres un sourire trompeur, afin que je puisse cacher aux autres le martyr de mon âme; il suffit que Vous seul connaissiez ma souffrance."
Les infestations diaboliques
Pendant deux ans, 1937 et 1938, le Seigneur a permis que le démon tourmentât Alexandrina avec une certaine liberté.
"Il y eut des jours, déclara Alexandrina, pendant lesquels le démon me tentait à tel point que j'avais la sensation que tout l'enfer était tombé sur moi."
Voici quelques extraits des lettres destinées à son directeur, le Père Mariano Pinho.
"Le démon me suggérait de me suicider; il me disait que pour ce faire, il me fournirait un moyen indolore et facile; que je souffrais inutilement, sans espoir de recevoir la moindre récompense; que le Seigneur ne m'aimait pas tout à fait; que vous (le directeur spirituel) ne croyiez rien de ce que je vous écrivais; que les choses que je ressentais en moi quand le Seigneur me parlait n'étaient rien d'autre qu'un reflet du temps et de ma maladie.
Ce fut en juillet 1937 que le boiteux [6], non content de tourmenter ma conscience et de me dire des choses obscènes, a commencé à me jeter en bas du lit, aussi bien la nuit qu'à n'importe quelle heure de la journée. Au début, je l'ai caché aux personnes de la maison, excepté à ma sœur. Par la suite, le mal augmentant, j'ai dû informer ma mère et la jeune fille que nous avions à la maison. Toutes deux, pendant les attaques démoniaques, se sont proposées pour chanter, afin que les gens, passant dans la rue, ne puissent pas entendre ce qui se passait à l'intérieur."
Les personnes présentes confirmèrent ces faits au Père Umberto lors de l'instruction du procès, en vue de la béatification.
"Ceux qui regardaient mes blessures après ces chutes, continue Alexandrina, restaient attristés, mais ils ne pouvaient en aucun cas se faire la moindre idée de ce qui en était la cause. Les jours passaient et moi, j'allais de mal en pis. Deolinda a été obligée de dormir sur un matelas posé à même le plancher, à côté de mon lit. Une nuit, le démon me lança avec force contre le mur en survolant la couchette de ma sœur. Deolinda se leva, me saisit avec force et, sévèrement m'ordonna: 'Vite, au lit!" et me coucha. Mais, au même moment, avec une rapidité que je ne saurais expliquer, je me suis relevée et un sifflement très aigu est sorti de ma bouche. Comprenant immédiatement le mal occasionné, j'ai commencé à pleurer, m'exclamant : 'Pauvre de moi, qu'est-ce que j'ai encore fait là ?'
Deolinda me tranquillisa en disant : 'Ne t'affliges pas, ce n'était pas toi !' Mais la nuit suivante, il est arrivé la même chose et, quand ma sœur a voulu me remettre au lit, j'ai crié : 'Je ne veux pas!' et je l'ai repoussée. Combien j'ai pleuré quand je suis revenue à moi !
Une nuit pendant laquelle le démon me ballottait dans les quatre coins de la chambre, sans que ma sœur réussisse à me retenir, des scrupules m'envahirent, me faisant croire que je ne pourrais recevoir la Communion sans avant m'être confessée. Ce fut là l'une des épreuves les plus douloureuses et, elle s'est répétée plusieurs fois d'une manière assez furieuse : sur mon corps restaient visibles les signes violents des blessures, et les traces de sang des morsures.
J'aurais aimé que plusieurs personnes puissent assister à ces scènes afin qu'elles soient convaincues de l'existence de l'enfer et n'aient plus envie d'offenser le Seigneur. Uniquement pour cela, je l'aurais voulu. Si je ne vous en raconte pas d'avantage, c'est que mon âme ne tient pas au souvenir de ces souffrances."
Que la volonté de Dieu soit faite!
Le Père Mariano, lui aussi, témoigne :
"Depuis longtemps le démon tourmentait Alexandrina, de plusieurs manières, mais ne l'avait jamais touchée. Par la suite, toutefois, après avoir menacé qu'il la ruinerait, il est arrivé à des excès effrayants.
Il n'y avait presque plus aucun moment dans la journée, où Alexandrina ne se sache poursuivie par lui, tout particulièrement de midi à quinze heures. Ensuite, pendant la nuit, à partir de vingt et une heures. Pendant ces deux attaques quotidiennes, il ne s'agissait pas seulement d'infestations diaboliques, mais aussi de vraie possession.
Quelquefois j'étais présent, affirme le Père Pinho. Par exemple, le 17 octobre 1937. Durant cette lutte, elle, paralysée et sans force (elle ne pesait alors que 33 kilos!), essayait violemment de se jeter contre les ferrailles du lit, de se mordre; quatre personnes ne réussissaient pas à l'immobiliser complètement.
Ainsi il arriva que, ce 17 octobre 1937, le démon lui fît dire des blasphèmes et des paroles obscènes, dont elle-même ignorait la signification, comme elle me le déclara ensuite. Pendant l'un de ces moments épouvantables, j'ai interrogé, en latin, le démon, lui demandant de me dire qui il était. Il me répondit immédiatement et sans hésitation: 'Je suis Satan et je te haïs.'
Pour plus d'assurance, j'ai changé la phrase, mais toujours en latin; la réponse, immédiate, fut celle-ci: 'C'est moi, c'est moi, n'en doute pas'.
Je me souviens d'avoir alors célébré la Messe dans la chambre, mettant en avant comme première intention, la libération d'Alexandrina de tant de tourments, sans en avoir parlé, toutefois, à la malade. À la fin de la Messe, je me suis approché d'Alexandrina qui, sans autre préambule me déclara:
Le Seigneur m'a dit qu'Il ne peut vous accorder ce que vous lui avez demandé, car Il a besoin de ma souffrance pour aider les pécheurs. Alors je lui ai demandé:
– Mais qu'est-ce que j'ai demandé au Seigneur ?
Et elle de me répondre:
– Qu'Il me libère de ces attaques du démon.
– Vous ne voulez donc pas que je demande cette grâce et que le Seigneur vous donne une autre souffrance, qui remplacerait celle-ci?
– Non, mon Père, priez plutôt pour que partout, la volonté de Dieu soit faite."
"Les ténèbres tombaient sur moi"
Quelquefois, l'effort physique que faisait Alexandrina, pour réagir et éloigner d'elle certaines images et scènes abominables, était si grand qu'elle se glissait sous les oreillers; les familiers devaient alors la remettre en place. D'autres fois, c'était un ange, spécialement pendant la nuit, lorsque Deolinda était absente, qui remplissait cet office.
A partir de 1945, Satan eut recours à d'autres persécutions; par contre, il ne fut plus autorisé à la toucher. Ainsi, un après-midi, les personnes de la famille s'aperçurent que le lit d'Alexandrina était entouré d'une fumée épaisse et nauséabonde.
Le Père Umberto, témoin de ces assauts et apitoyé par l'état de la malade, délégua à Deolinda le pouvoir d'ordonner en son nom au démon de s'éloigner, en utilisant de l'eau bénite. Très souvent Alexandrina, sans qu'elle s'en rendit compte, fut ainsi libérée à l'instant même.
Malgré son poids, le lit d'Alexandrina subissait de fortes et formidables secousses. À ceux qui lui demandaient une explication, Alexandrina répondait par un sourire rassurant. Pourtant Alexandrina avouera un jour:
"Plus le Seigneur augmentait sur moi ses grâces et ses faveurs, plus les doutes et les craintes de me tromper et de tromper mon Directeur spirituel, ainsi que ceux qui vivaient autour de moi, augmentaient elles aussi. Mon martyre n'en était que plus grand. J'avais l'impression que tout était faux et inventé par moi. Mon Dieu, quel déchirement pour mon cœur! Les ténèbres tombaient sur moi: il n'y avait personne pour me montrer le chemin."
Toutes ces manifestations: ténèbres, odeurs de souffre brûlé, fumées nauséabondes, qui entouraient le lit, étaient les signes de la fureur satanique qui s'acharnait sur elle.
La mort d'Alexandrina
“Je vais au ciel...”
Le 7 janvier 1955 Jésus, qui l’avait maintenue en vie de façon extraordinaire, lui murmura: "Il n’y a plus de souffrances à inventer pour toi." Puis, Il l’avertit:
– Ma fille, c’est ton année. Aie confiance en Moi. Je ne manque jamais à ce que Je promets. Mes promesses de Seigneur suprême et omnipotent sont tout près de se réaliser. Ta mission sur la terre se terminera bientôt: aie confiance. Le ciel est à toi. Là-haut tu continueras ta mission.
Le 25 mars, fête de l’Annonciation, Il rappelle: "Il ne reste plus guère de temps pour que tu arrives au sommet. Tu diras ton Consummatum est et tu t’envoleras vers le ciel."
Au mois d’avril, Jésus lui parla encore “de la dernière phase de sa vie” et lui révéla qu’"elle ne pourrait être davantage douloureuse..." Mais Il ajouta: "Ton ciel est tout proche." Le 13 mai ce fut l'exhortation: "En avant, courage ! Accroche-toi à Moi, ma fille. Viens, Je suis ton Jésus."
Enfin, le 26 août 1955 Jésus lui révéla:
"Mes colloques avec toi seront comme une rencontre entre amis qui se rappellent leur ancienne amitié. Ta lente disparition commence." Le 2 septembre, lors de la dernière et très brève extase, Jésus se fit consolateur: "Ne m’as tu pas dit si souvent que tu voulais te consumer et disparaître dans mon Cœur? Courage, courage! J’ai pris à la lettre tout ce que tu me disais."
Deux vendredis de suite, au mois de septembre, le prêtre étant absent de la paroisse, Alexandrina reçut la Communion de la main des anges. La première fois ce furent trois anges qui la lui portèrent; la deuxième fois, ils étaient une multitude. Délicatesses divines.
“Je me suis consumée pour les âmes...”
Le 2 octobre 1955, Alexandrina se tourna tout à coup vers Deolinda et lui dit: "Aujourd’hui c’est la fête des Anges. Ce matin j’ai senti que l’un deux me touchait l’épaule, et en même temps, j’ai entendu ces paroles: 'Qui chantera avec les anges. Toi... toi... toi... Bientôt, bientôt'."
Le 12 octobre à deux heures, alors que Deolinda lui remettait en ordre le lit, Alexandrina lui demanda d’appeler son confesseur, le Père Alberto Gomes, pour le remercier et obtenir son autorisation pour faire un acte de total renoncement. À sept heures, elle reçut la Communion des mains de Monseigneur Mendes do Carmo, du diocèse de Guarda, qui célébrait dans sa chambre.
Jésus dit à Alexandrina: "Viens au ciel, viens au ciel!"
À quinze heures, le Curé, le confesseur, Monseigneur Mendes do Carmo, le docteur Manuel Augusto Dias de Azevedo et tous les membres de la famille entrèrent dans la chambre et s’agenouillèrent tous. Alexandrina récita une dernière fois:
"Ô Jésus Amour, ô divin Époux de mon âme, je veux, à l’heure de ma mort, vous faire un acte de renoncement à tout et à tous."
Et tout aussitôt elle ajouta: "Mon Dieu, comme je vous ai toujours consacré ma vie, je vous offre aussi ma fin dernière, en acceptant avec résignation la mort et toutes les circonstances qui Vous procureront la plus grande gloire."
Puis, d’une voix claire, elle demanda pardon à tous ceux qui étaient là, elle les remercia et promis de se souvenir de chacun d'eux, au ciel. Le Curé lui administra l’Extrême-onction. Par trois fois le visage d’Alexandrina s’éclaira d’un sourire et son regard semblait rempli de joie. Se tournant vers les personnes présentes qu’elle voyait en pleurs, elle dit: "Ne pleurez pas, car je vais au ciel."
Puis elle murmura avec peine:
– Ô Jésus, je ne peux plus rester sur la terre... J’ai tant souffert, en cette vie, pour les âmes. Je me suis pressée, je me suis consumée sur ce lit, jusqu’à donner mon sang pour les âmes... Ô Jésus, pardonnez au monde entier!... Je me sens si heureuse d’aller au ciel."
Son regard très doux était transfiguré par un lumineux sourire. Le médecin traitant s’approcha d’elle, avant de la quitter. Alexandrina lui parla: "Docteur, comme vous aviez raison. Quelle lumière! Les ténèbres sont disparues. Tout a disparu... Que de lumière..."
C’était la nuit du 12 au 13 octobre 1955, une nuit d’agonie.
A l’aube, Alexandrina demanda à Deolinda de lui faire baiser le Crucifix et la médaille de Notre-Dame des Douleurs. Un doux sourire effleura ses lèvres. À huit heures elle communia pour la dernière fois.
Durant la matinée beaucoup de personnes vinrent la visiter. À un groupe de personnes, elle recommanda: "Ne péchez pas. Le monde ne vaut rien. Communiez fréquemment. Récitez le Rosaire tous les jours. Adieu, nous nous reverrons au ciel."
Vers onze heures, Alexandrina se tourna vers le médecin traitant et lui dit avec joie: "Le moment approche!" À 11h25 elle dit: "Je suis heureuse, car je vais au ciel."
Le médecin lui recommanda: "N’oubliez pas... priez beaucoup pour nous..." Alexandrina fit un signe d’acquiescement. Vers 19h30, Deolinda lui dit tout bas: "Oui, au ciel, mais pas tout de suite..." Alexandrina poussa un soupir et murmura tout bas:
"Oui, au ciel... tout de suite... maintenant!"
À vingt heures elle embrassa très longuement la Crucifix. Vingt neuf minutes après, sans le moindre tremblement, sans le moindre sursaut, elle expira.
C’était un jeudi, “son jour de prédilection”, le 13 octobre, le jour anniversaire de la dernière apparition de Marie à Fatima.
(1904-1955)
1-L'enfance
Alexandrina Maria da Costa naquit à Gresufes, paroisse de Balasar, petit bourg situé à environ 50 kilomètres de Porto, dans l'Archidiocèse de Braga, le 30 mars 1904, d'un milieu de paysans honnêtes et travailleurs. Elle fut baptisée le Samedi Saint suivant, 2 avril 1904.
Il faut mentionner ici un fait étonnant: dans une vallée voisine et située en face de l'église, se trouve une chapelle, construite en 1832, à l'endroit même où, en la fête du Corpus Domini, une croix dessinée à même la terre, mais d'une terre différente, est apparue. Un siècle avant l'offrande d'Alexandrina, Jésus préparait la Croix sur laquelle il installerait sa victime.
La Mère d'Alexandrina eut, du même homme, deux filles illégitimes, Deolinda et Alexandrina. Aussitôt après la naissance de Deolinda, l'individu qui avait promit de l'épouser s'en alla au Brésil. Après son retour au Portugal, il revit la mère de Deolinda, et Alexandrina vint au monde. Puis cet homme l'abandonna de nouveau pour épouser une autre femme. Les témoins locaux rapportent qu'à partir de ce moment, la mère eut un comportement irrépréhensible.
Alexandrina passa les cinq premières années de sa vie chez ses grands-parents maternels. En janvier 1911, vers l'âge de six ans, elle dut partir, avec sa sœur, Deolinda, à Póvoa de Varzim afin de pouvoir fréquenter l'école, car il n'y avait pas d'école de filles à Balasar. C'est là qu'elle fit sa première Communion. Les deux fillettes revinrent dans leur famille en juillet 1912.
Vers l'âge de 9 ans, Alexandrina dut commencer à travailler, d'abord dans les champs, puis comme journalière, femme de ménage et couturière, chez des voisins. Il convient de noter ici que, toute jeune, et même pendant le travail, elle priait beaucoup. Bientôt elle fut nommée catéchiste et membre de la chorale.
2-Les premières épreuves
Un jour, Alexandrina tomba d'un chêne. Puis elle devint gravement malade et dut cesser de travailler régulièrement. A 12 ans les derniers sacrements lui furent administrés. Sa santé continua à se dégrader et elle dut abandonner les travaux dans les champs, par manque de forces. Elle commença dès lors à se plaindre aussi de douleurs à la colonne vertébrale; ce mal s'aggrava par la suite. On disait qu’elle souffrait de myélite. La maman rapporte que le médecin qu’elle avait consulté, le docteur João de Almeida, de la maison de santé de Carcereira, lui avait dit qu’il s’agissait de myélite et qu’elle deviendrait paralysée. (D'après des témoignages de Maria da Conceição Leite Reis Proença, dite Sãozinha)
Le Samedi Saint 1918, Alexandrina sauta par une fenêtre d'une hauteur d’environ quatre mètres, plutôt que de se laisser violenter par trois hommes qui étaient entrés dans la pièce où, avec sa sœur et une amie, elle faisait de la couture. Il en résulta une compression de l'épine dorsale, cause de l'accélération de sa paralysie qui la retint au lit pendant 30 ans. En 1922, un spécialiste de Porto, le docteur Abel, confirma le diagnostic précédent à son médecin traitant, le docteur Garcia: sa patiente ne guérirait jamais.
Pendant cinq mois consécutifs Alexandrina ne put se lever, mais en avril 1923 elle recommença à marcher un peu en s'aidant d'une chaise. La mort de sa grand'mère fut pour elle un grand chagrin. En juin, elle put participer au Congrès Eucharistique National, de Braga. Mais le 14 avril 1925, elle devait s'aliter définitivement. Deolinda, sa sœur devint son infirmière et sa secrétaire.
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L'Hymne aux Tabernacles
Voici l'hymne aux Tabernacles que composa Alexandrina dès le début de a vie mystique :
Ô Jésus, je veux que chacune de mes douleurs, chaque battement de mon cœur, chacune de mes respirations, chaque seconde de ma vie, chaque minute, soient autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque mouvement de mes pieds, de mes mains, de mes lèvres, de ma langue, chacune de mes larmes, chaque sourire, joie, tristesse, tribulation, distraction, contrariété ou ennui, soient autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Ô Jésus, je veux que chaque lettre des prières que je récite ou entends réciter, toutes les paroles que je prononce ou entends prononcer, que je lis ou entends lire, que j’écris ou vois écrire, que je chante ou entends chanter, soient autant d’actes d’amour pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque baiser que je déposerai sur vos saintes images, celles de la vôtre et ma sainte Mère, celles de vos saints et saintes, soient autant d’actes d’amour pour vos Tabernacles.
Ô Jésus, je veux que chaque goutte de pluie qui tombe du ciel sur la terre, que toute l'eau des océans et tout ce qu'ils renferment, que toute l'eau des fleuves et des rivières, soient autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je vous offre les feuilles de tous les arbres, et tous les fruits qui sur eux mûrissent; chaque pétale de toutes les fleurs; toutes les graines que contient le monde; tout ce qu'il y a dans les jardins, dans les champs, dans les vallées, sur les montagnes: tout cela je veux vous l'offrir comme autant d'actes d'amour pour vos tabernacles.
Ô Jésus, je vous offre les plumes des oiseaux et leurs gazouillements, les poils des animaux et leurs cris, comme autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Ô Jésus, je vous offre le jour et la nuit, la chaleur et le froid, le vent, la neige, la lune, le clair de lune, le soleil, les étoiles du firmament, mon sommeil et mes rêves, comme autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque fois que j'ouvre ou ferme les yeux, ce soit autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Ô Jésus, je vous offre toutes les grandeurs, richesses et trésors du monde, tout ce qui se passe en moi, tout ce que j'ai l'habitude de vous offrir, comme autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Ô Jésus, le ciel et la terre, l'océan et tout ce qu'ils contiennent, je vous les offre comme s'ils m'appartenaient et si je pouvais en disposer; acceptez-les comme autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
On peut ajouter ici quelques confidences de Jésus à son épouse bien-aimée. Avec beaucoup de tendresse, le Seigneur lui dit en 1935 : "Ma fille, Je suis avec toi. Si tu savais combien Je t'aime, tu mourrais de joie."
A compter du jour où elle s'est offerte comme victime, en 1933, Alexandrina a toujours récité cette petite prière :
"Ô Jésus, mettez sur mes lèvres un sourire trompeur, afin que je puisse cacher aux autres le martyr de mon âme; il suffit que Vous seul connaissiez ma souffrance."
Les infestations diaboliques
Pendant deux ans, 1937 et 1938, le Seigneur a permis que le démon tourmentât Alexandrina avec une certaine liberté.
"Il y eut des jours, déclara Alexandrina, pendant lesquels le démon me tentait à tel point que j'avais la sensation que tout l'enfer était tombé sur moi."
Voici quelques extraits des lettres destinées à son directeur, le Père Mariano Pinho.
"Le démon me suggérait de me suicider; il me disait que pour ce faire, il me fournirait un moyen indolore et facile; que je souffrais inutilement, sans espoir de recevoir la moindre récompense; que le Seigneur ne m'aimait pas tout à fait; que vous (le directeur spirituel) ne croyiez rien de ce que je vous écrivais; que les choses que je ressentais en moi quand le Seigneur me parlait n'étaient rien d'autre qu'un reflet du temps et de ma maladie.
Ce fut en juillet 1937 que le boiteux [6], non content de tourmenter ma conscience et de me dire des choses obscènes, a commencé à me jeter en bas du lit, aussi bien la nuit qu'à n'importe quelle heure de la journée. Au début, je l'ai caché aux personnes de la maison, excepté à ma sœur. Par la suite, le mal augmentant, j'ai dû informer ma mère et la jeune fille que nous avions à la maison. Toutes deux, pendant les attaques démoniaques, se sont proposées pour chanter, afin que les gens, passant dans la rue, ne puissent pas entendre ce qui se passait à l'intérieur."
Les personnes présentes confirmèrent ces faits au Père Umberto lors de l'instruction du procès, en vue de la béatification.
"Ceux qui regardaient mes blessures après ces chutes, continue Alexandrina, restaient attristés, mais ils ne pouvaient en aucun cas se faire la moindre idée de ce qui en était la cause. Les jours passaient et moi, j'allais de mal en pis. Deolinda a été obligée de dormir sur un matelas posé à même le plancher, à côté de mon lit. Une nuit, le démon me lança avec force contre le mur en survolant la couchette de ma sœur. Deolinda se leva, me saisit avec force et, sévèrement m'ordonna: 'Vite, au lit!" et me coucha. Mais, au même moment, avec une rapidité que je ne saurais expliquer, je me suis relevée et un sifflement très aigu est sorti de ma bouche. Comprenant immédiatement le mal occasionné, j'ai commencé à pleurer, m'exclamant : 'Pauvre de moi, qu'est-ce que j'ai encore fait là ?'
Deolinda me tranquillisa en disant : 'Ne t'affliges pas, ce n'était pas toi !' Mais la nuit suivante, il est arrivé la même chose et, quand ma sœur a voulu me remettre au lit, j'ai crié : 'Je ne veux pas!' et je l'ai repoussée. Combien j'ai pleuré quand je suis revenue à moi !
Une nuit pendant laquelle le démon me ballottait dans les quatre coins de la chambre, sans que ma sœur réussisse à me retenir, des scrupules m'envahirent, me faisant croire que je ne pourrais recevoir la Communion sans avant m'être confessée. Ce fut là l'une des épreuves les plus douloureuses et, elle s'est répétée plusieurs fois d'une manière assez furieuse : sur mon corps restaient visibles les signes violents des blessures, et les traces de sang des morsures.
J'aurais aimé que plusieurs personnes puissent assister à ces scènes afin qu'elles soient convaincues de l'existence de l'enfer et n'aient plus envie d'offenser le Seigneur. Uniquement pour cela, je l'aurais voulu. Si je ne vous en raconte pas d'avantage, c'est que mon âme ne tient pas au souvenir de ces souffrances."
Que la volonté de Dieu soit faite!
Le Père Mariano, lui aussi, témoigne :
"Depuis longtemps le démon tourmentait Alexandrina, de plusieurs manières, mais ne l'avait jamais touchée. Par la suite, toutefois, après avoir menacé qu'il la ruinerait, il est arrivé à des excès effrayants.
Il n'y avait presque plus aucun moment dans la journée, où Alexandrina ne se sache poursuivie par lui, tout particulièrement de midi à quinze heures. Ensuite, pendant la nuit, à partir de vingt et une heures. Pendant ces deux attaques quotidiennes, il ne s'agissait pas seulement d'infestations diaboliques, mais aussi de vraie possession.
Quelquefois j'étais présent, affirme le Père Pinho. Par exemple, le 17 octobre 1937. Durant cette lutte, elle, paralysée et sans force (elle ne pesait alors que 33 kilos!), essayait violemment de se jeter contre les ferrailles du lit, de se mordre; quatre personnes ne réussissaient pas à l'immobiliser complètement.
Ainsi il arriva que, ce 17 octobre 1937, le démon lui fît dire des blasphèmes et des paroles obscènes, dont elle-même ignorait la signification, comme elle me le déclara ensuite. Pendant l'un de ces moments épouvantables, j'ai interrogé, en latin, le démon, lui demandant de me dire qui il était. Il me répondit immédiatement et sans hésitation: 'Je suis Satan et je te haïs.'
Pour plus d'assurance, j'ai changé la phrase, mais toujours en latin; la réponse, immédiate, fut celle-ci: 'C'est moi, c'est moi, n'en doute pas'.
Je me souviens d'avoir alors célébré la Messe dans la chambre, mettant en avant comme première intention, la libération d'Alexandrina de tant de tourments, sans en avoir parlé, toutefois, à la malade. À la fin de la Messe, je me suis approché d'Alexandrina qui, sans autre préambule me déclara:
Le Seigneur m'a dit qu'Il ne peut vous accorder ce que vous lui avez demandé, car Il a besoin de ma souffrance pour aider les pécheurs. Alors je lui ai demandé:
– Mais qu'est-ce que j'ai demandé au Seigneur ?
Et elle de me répondre:
– Qu'Il me libère de ces attaques du démon.
– Vous ne voulez donc pas que je demande cette grâce et que le Seigneur vous donne une autre souffrance, qui remplacerait celle-ci?
– Non, mon Père, priez plutôt pour que partout, la volonté de Dieu soit faite."
"Les ténèbres tombaient sur moi"
Quelquefois, l'effort physique que faisait Alexandrina, pour réagir et éloigner d'elle certaines images et scènes abominables, était si grand qu'elle se glissait sous les oreillers; les familiers devaient alors la remettre en place. D'autres fois, c'était un ange, spécialement pendant la nuit, lorsque Deolinda était absente, qui remplissait cet office.
A partir de 1945, Satan eut recours à d'autres persécutions; par contre, il ne fut plus autorisé à la toucher. Ainsi, un après-midi, les personnes de la famille s'aperçurent que le lit d'Alexandrina était entouré d'une fumée épaisse et nauséabonde.
Le Père Umberto, témoin de ces assauts et apitoyé par l'état de la malade, délégua à Deolinda le pouvoir d'ordonner en son nom au démon de s'éloigner, en utilisant de l'eau bénite. Très souvent Alexandrina, sans qu'elle s'en rendit compte, fut ainsi libérée à l'instant même.
Malgré son poids, le lit d'Alexandrina subissait de fortes et formidables secousses. À ceux qui lui demandaient une explication, Alexandrina répondait par un sourire rassurant. Pourtant Alexandrina avouera un jour:
"Plus le Seigneur augmentait sur moi ses grâces et ses faveurs, plus les doutes et les craintes de me tromper et de tromper mon Directeur spirituel, ainsi que ceux qui vivaient autour de moi, augmentaient elles aussi. Mon martyre n'en était que plus grand. J'avais l'impression que tout était faux et inventé par moi. Mon Dieu, quel déchirement pour mon cœur! Les ténèbres tombaient sur moi: il n'y avait personne pour me montrer le chemin."
Toutes ces manifestations: ténèbres, odeurs de souffre brûlé, fumées nauséabondes, qui entouraient le lit, étaient les signes de la fureur satanique qui s'acharnait sur elle.
La mort d'Alexandrina
“Je vais au ciel...”
Le 7 janvier 1955 Jésus, qui l’avait maintenue en vie de façon extraordinaire, lui murmura: "Il n’y a plus de souffrances à inventer pour toi." Puis, Il l’avertit:
– Ma fille, c’est ton année. Aie confiance en Moi. Je ne manque jamais à ce que Je promets. Mes promesses de Seigneur suprême et omnipotent sont tout près de se réaliser. Ta mission sur la terre se terminera bientôt: aie confiance. Le ciel est à toi. Là-haut tu continueras ta mission.
Le 25 mars, fête de l’Annonciation, Il rappelle: "Il ne reste plus guère de temps pour que tu arrives au sommet. Tu diras ton Consummatum est et tu t’envoleras vers le ciel."
Au mois d’avril, Jésus lui parla encore “de la dernière phase de sa vie” et lui révéla qu’"elle ne pourrait être davantage douloureuse..." Mais Il ajouta: "Ton ciel est tout proche." Le 13 mai ce fut l'exhortation: "En avant, courage ! Accroche-toi à Moi, ma fille. Viens, Je suis ton Jésus."
Enfin, le 26 août 1955 Jésus lui révéla:
"Mes colloques avec toi seront comme une rencontre entre amis qui se rappellent leur ancienne amitié. Ta lente disparition commence." Le 2 septembre, lors de la dernière et très brève extase, Jésus se fit consolateur: "Ne m’as tu pas dit si souvent que tu voulais te consumer et disparaître dans mon Cœur? Courage, courage! J’ai pris à la lettre tout ce que tu me disais."
Deux vendredis de suite, au mois de septembre, le prêtre étant absent de la paroisse, Alexandrina reçut la Communion de la main des anges. La première fois ce furent trois anges qui la lui portèrent; la deuxième fois, ils étaient une multitude. Délicatesses divines.
“Je me suis consumée pour les âmes...”
Le 2 octobre 1955, Alexandrina se tourna tout à coup vers Deolinda et lui dit: "Aujourd’hui c’est la fête des Anges. Ce matin j’ai senti que l’un deux me touchait l’épaule, et en même temps, j’ai entendu ces paroles: 'Qui chantera avec les anges. Toi... toi... toi... Bientôt, bientôt'."
Le 12 octobre à deux heures, alors que Deolinda lui remettait en ordre le lit, Alexandrina lui demanda d’appeler son confesseur, le Père Alberto Gomes, pour le remercier et obtenir son autorisation pour faire un acte de total renoncement. À sept heures, elle reçut la Communion des mains de Monseigneur Mendes do Carmo, du diocèse de Guarda, qui célébrait dans sa chambre.
Jésus dit à Alexandrina: "Viens au ciel, viens au ciel!"
À quinze heures, le Curé, le confesseur, Monseigneur Mendes do Carmo, le docteur Manuel Augusto Dias de Azevedo et tous les membres de la famille entrèrent dans la chambre et s’agenouillèrent tous. Alexandrina récita une dernière fois:
"Ô Jésus Amour, ô divin Époux de mon âme, je veux, à l’heure de ma mort, vous faire un acte de renoncement à tout et à tous."
Et tout aussitôt elle ajouta: "Mon Dieu, comme je vous ai toujours consacré ma vie, je vous offre aussi ma fin dernière, en acceptant avec résignation la mort et toutes les circonstances qui Vous procureront la plus grande gloire."
Puis, d’une voix claire, elle demanda pardon à tous ceux qui étaient là, elle les remercia et promis de se souvenir de chacun d'eux, au ciel. Le Curé lui administra l’Extrême-onction. Par trois fois le visage d’Alexandrina s’éclaira d’un sourire et son regard semblait rempli de joie. Se tournant vers les personnes présentes qu’elle voyait en pleurs, elle dit: "Ne pleurez pas, car je vais au ciel."
Puis elle murmura avec peine:
– Ô Jésus, je ne peux plus rester sur la terre... J’ai tant souffert, en cette vie, pour les âmes. Je me suis pressée, je me suis consumée sur ce lit, jusqu’à donner mon sang pour les âmes... Ô Jésus, pardonnez au monde entier!... Je me sens si heureuse d’aller au ciel."
Son regard très doux était transfiguré par un lumineux sourire. Le médecin traitant s’approcha d’elle, avant de la quitter. Alexandrina lui parla: "Docteur, comme vous aviez raison. Quelle lumière! Les ténèbres sont disparues. Tout a disparu... Que de lumière..."
C’était la nuit du 12 au 13 octobre 1955, une nuit d’agonie.
A l’aube, Alexandrina demanda à Deolinda de lui faire baiser le Crucifix et la médaille de Notre-Dame des Douleurs. Un doux sourire effleura ses lèvres. À huit heures elle communia pour la dernière fois.
Durant la matinée beaucoup de personnes vinrent la visiter. À un groupe de personnes, elle recommanda: "Ne péchez pas. Le monde ne vaut rien. Communiez fréquemment. Récitez le Rosaire tous les jours. Adieu, nous nous reverrons au ciel."
Vers onze heures, Alexandrina se tourna vers le médecin traitant et lui dit avec joie: "Le moment approche!" À 11h25 elle dit: "Je suis heureuse, car je vais au ciel."
Le médecin lui recommanda: "N’oubliez pas... priez beaucoup pour nous..." Alexandrina fit un signe d’acquiescement. Vers 19h30, Deolinda lui dit tout bas: "Oui, au ciel, mais pas tout de suite..." Alexandrina poussa un soupir et murmura tout bas:
"Oui, au ciel... tout de suite... maintenant!"
À vingt heures elle embrassa très longuement la Crucifix. Vingt neuf minutes après, sans le moindre tremblement, sans le moindre sursaut, elle expira.
C’était un jeudi, “son jour de prédilection”, le 13 octobre, le jour anniversaire de la dernière apparition de Marie à Fatima.
Lotfi- Dans la prière
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Re: Littérature spirituelle
Un grand merci Lotfi de nous avoir raconté sur Alexandrine Maria da Costa.
Chez moi j`ai un cadre avec sa photo mais pas de livres, je connaisais peu sur sa vie et j ai beaucoup aimer lire son parcours.
Tu en sais beaucoup Lotfi, c`est extraordinaire !
Amitiés
Manuela.
Chez moi j`ai un cadre avec sa photo mais pas de livres, je connaisais peu sur sa vie et j ai beaucoup aimer lire son parcours.
Tu en sais beaucoup Lotfi, c`est extraordinaire !
Amitiés
Manuela.
Manuela- Gloire à toi Seigneur Jésus-Christ
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Re: Littérature spirituelle
@Manuela
.......Une Grande Sainte qui priait et louait le Seigneur depuis son enfance bien avant que commencent les souffrances physiques et non physiques....
Le Portugal a toujours été une terre des plus religieux sur terre.....
" La souffrance est la plus grande énigme de l'existence humaine." disait Jean Paul II
.......Une Grande Sainte qui priait et louait le Seigneur depuis son enfance bien avant que commencent les souffrances physiques et non physiques....
Le Portugal a toujours été une terre des plus religieux sur terre.....
" La souffrance est la plus grande énigme de l'existence humaine." disait Jean Paul II
Lotfi- Dans la prière
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Re: Littérature spirituelle
Merci Lofti! Je ne connaissais rien sur elle
Joelle27- Contre le nouvel ordre mondial
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Re: Littérature spirituelle
C'est bien de la faire connaître, personnellement je ne la connais que depuis un mois et ai déjà fait son Chemin de Croix, établi par le livre "la Passion de Jésus en Alexandrina Maria da Costa" traduit d'un petit dépliant publié à Milan (Italie) par "Spirito e Verità", avec des amies à qui je n'ai pas pu m'empêcher d'en parler
http://alexandrina.balasar.free.fr/chemin_de_croix_avec_alexandrina.htm.
Je suis heureuse de l'avoir connue car elle vient du pays de mon grand père maternel, le Portugal.
Il n' y a pas de hasard si je l'ai rencontrée...
Voici maintenant la prière pour demander la Canonisation de la Bienheureuse Alexandrina de Balasar, béatifiée le 25 avril 2004 par le pape Jean-Paul II.:
Très Sainte Trinité, source de toute sainteté, je Vous adore et Vous rends grâce pour les vertus que Vous avez fait jaillir dans le cœur de votre servante la Bienheureuse Alexandrina Maria.
Faites que je sache imiter son zèle ardent pour Votre Gloire.
Suscitez en mon cœur l’horreur du péché, un amour plus grand pour l’Eucharistie, un vif esprit de prière.
Glorifiez aussi sur la terre Votre Servante et accordez-moi, par son intercession, la grâce qu’ardemment je vous demande...
Glorifiez-la par le Cœur Immaculé de Marie, par elle aimé avec une filiale prédilection.
Notre Père, Je vous salue Marie, Gloria.
Alexandrina Maria, prie le Seigneur pour nous.
Re: Littérature spirituelle
MARIE LATASTE
(1822-1847)
1-L'ENFANCE DE MARIE LATASTE
Marie Lataste naquit le 21 février 1822 à Mimbaste, dans le département des Landes, à quelques kilomètres de Dax. C'était la cadette d'une famille de paysans pauvres mais pieux. Sa maman lui apprit à lire, à écrire, et à compter. Elle savait aussi coudre, filer et tisser, comme la plupart des jeunes filles du XIXème siècle.
Les parents Lataste avaient formé leurs enfants dans la foi chrétienne et les véritables vertus morales. Ainsi armées pour la vie, Marie et ses sœurs pouvaient fonder une sainte famille chrétienne. Marie fit sa communion à l'âge de 12 ans et fut ensuite confirmée. Rien donc d'extraordinaire dans la vie de cette enfant tout à fait normale, destinée à vivre comme tous les paysans de son temps. Mais le Seigneur en avait décidé autrement.
En effet, vers l'âge de treize ans, au cours d'une messe, pendant la consécration, au moment de l'élévation, Marie crut voir, sur l'autel, une lumière brillante. Dès lors sa foi augmenta, et son amour pour Jésus Eucharistie alla croissant. Son cœur brûlait d'amour pour Jésus; et la sainte communion commença à lui apparaître, ce qu'elle est vraiment: la vraie lumière de l'amour divin. Jésus-Christ la préparait à ce qui serait plus tard sa mission: transmettre à tous son enseignement.
2-UNE JEUNE FILLE TRÈS PIEUSE
Comme tous ceux que Dieu destine à accomplir une mission spéciale, Marie Lataste fut mise à l'épreuve: elle vécut diverses tentations contre lesquelles elle redoubla de vigilance. Quand Marie eut atteint l'âge de 17 ans, les tentations cessèrent. Sa vie eucharistique s'approfondissait préparant sa vie mystique. Elle dira plus tard: "Le tabernacle de Jésus est le lieu où j'aime à me retirer, à me cacher, à prendre mon repos. J'y trouve une vie que je ne saurais définir, une joie que je ne puis faire comprendre, une paix telle qu'on n'en trouve pas sous les toits hospitaliers des meilleurs amis..."
Peu à peu Marie comprenait qu'il lui faudrait se consacrer tout entière à Jésus dans le Saint-Sacrement.
3-LA MYSTIQUE
Vers la fin de l'année 1839, alors qu'elle entrait dans l'église de Mimbaste, Marie, âgée de dix sept ans, vit Notre-Seigneur sur l'autel. "Il était environné de ses anges, mais comme voilé par un nuage lumineux qui empêchait de le distinguer parfaitement". Le jour de l'Épiphanie de 1840, le même phénomène se reproduisit, et cette faveur se renouvela plusieurs fois jusqu'en 1843.
Marie Lataste bénéficia également de nombreuses autres expériences mystiques, qu'elle vécut comme une grâce. Jésus Lui-même l'instruisait et elle recueillait ses instructions doctrinales, que son directeur, le Père Darbins lui demanda d'écrire. Pendant ces rencontres, Jésus lui expliquait de nombreux mystères de la foi chrétienne ainsi que ceux concernant les souffrances de sa Passion, et Il lui présenta la très Sainte Vierge.
Jésus soutenait Marie Lataste, sa confidente, ou plutôt, son élève. Il l'aidait mais Il la réprimandait aussi. Marie raconte ce qui se passa un jour: "Je vis alors, dit-elle, son visage devenir sérieux et ses yeux me regarder fixement. Il s'arrêta, et me dit d'un ton irrité: 'Qui es-tu pour recevoir avec tant de négligence les paroles que je t'adresse? Fille pleine d'orgueil, te connais-tu bien toi-même? Tu n'es que néant, péché et corruption, et c'est ainsi que tu prêtes l'oreille à ma voix? Penses-tu que ce soit à cause de tes mérites que je viens converser avec toi? C'est par un effet de ma miséricorde que je viens t'instruire. Cette instruction ne t'est point due. Garde-toi de la mépriser, garde-toi de t'enorgueillir, garde-toi de t'élever pour cela au-dessus d'autrui. Ma parole ne te sauvera pas seule, il faut ta coopération. Ma parole ne te donnera pas de mérite, ton mérite sera de correspondre à ce qu'elle te dira..."
Comme cela se produit pour tous les très grands mystiques, la vie de Marie Lataste fut jalonnée d'épreuves, de doutes, d'interrogations et d'incompréhensions. Mais Jésus veillait et la rassurait: "Les paroles que vous entendez ne sont pas de vous, elles m'appartiennent; vous ne faites que les écrire. Vous n'êtes rien, vous ne pouvez rien par vous-même; mais je suis tout, je puis tout, je règle tout, je prends soin de tout, et les plus grandes choses comme les plus petites entrent dans les desseins et l'économie de ma sagesse, de ma providence et de ma miséricorde..."
En 1840, l'abbé Pierre Darbins succéda au père Darbos en tant que curé de Mimbaste. C'était un homme de grande sagesse. Il rencontra Marie et devint son confesseur. Jésus ayant recommandé à Marie de ne rien cacher au directeur qu'il lui avait choisi, elle lui raconta les événements qu'elle avait vécus. Il soumit Marie à différentes épreuves d'obéissance et d'humiliation. Puis il fut demandé à Marie de mettre par écrit tout ce qu'elle avait vu et entendu par le passé et tout ce qu'elle verrait, entendrait et éprouverait à l'avenir. C'était une tâche très difficile pour une jeune fille sans aucune culture littéraire et sachant à peine écrire; mais elle obéit, avec le soutien de Jésus Christ, et en dehors de son travail: à la ferme, pendant qu'elle était encore dans sa famille, puis dans la Congrégation du Sacré-Cœur, comme infirmière.
Le 21 avril 1844, âgée de vingt deux ans, Marie Lataste quitta son village et partit pour Paris. Elle fut admise dans la société du Sacré-Cœur, là où Jésus lui avait demandé d'entrer. Mais elle savait par Jésus qu'elle n'atteindrait pas son 26ème anniversaire. Elle donna la propriété pleine et entière de tous ses écrits, qui comprenaient également le récit des révélations qu'elle avait reçues, à son directeur l'abbé Darbins: "C'est à vous, disait-elle le même jour à son directeur, de juger comment, de quelle manière et en quel temps vous pourrez vous servir de mes cahiers pour faire le bien ou s'il ne vaut pas mieux les détruire."
Nota: Avec l'accord de Monseigneur l'Évêque d'Aire et de Dax, quatre éditions de "La vie et les œuvres de Marie Lataste" ont été publiées entre 1862 et 1872.
4-LES LETTRES DE MARIE LATASTE:
LA CHASTETÉ
Comme nous le verrons plus tard, Marie-Lataste a longuement écrit sur sa contemplation du Cœur de Dieu, c'est-à-dire du Cœur de la sainte Trinité. Cette contemplation la conduira à écouter de nombreux enseignements de Jésus, et par obéissance à son Père spirituel, elle s'étendra sur un de ces enseignements concernant une vertu essentielle: la chasteté.
La vertu de chasteté étant la vertu qui doit accompagner toutes les vocations, nous la plaçons, afin d'en faciliter la compréhension, immédiatement après le chapitre consacré aux vocations. Marie Lataste précise bien que ce qu'elle écrit ne vient pas d'elle, mais du Sauveur Jésus. Cette vertu est traitée dans les lettres 20 à 23.
Dans sa lettre du 1er octobre 1843 (Lettre 20) Marie considère d’abord la chasteté en elle-même, puis, en second lieu, elle décrit ses avantages et ses effets, et enfin sa pratique.
1-La chasteté, vertu divine
"La chasteté est une vertu divine: elle vient de Dieu, elle donne à l'homme ressemblance avec Dieu, qui est l’être souverainement pur, sans aucun mélange ni participation à autre chose qu'à la divinité. La chasteté mène l'homme à Dieu... La chasteté est une vertu sublime, dont la source est infiniment élevée, puisqu’elle vient de Dieu... Elle empêche l'homme de tomber au niveau des animaux sans raison et l’élève jusqu’à l’auteur même de la raison, Dieu, roi du monde et des cieux. La chasteté est une vertu puissante qui rend l'homme maître de lui-même, en lui donnant la force de résister à ses mauvais penchants et à ses inclinations perverses... et de vaincre généreusement l’attrait pour tout ce qui est impur et d’éloigner son âme du libertinage et de la corruption. La chasteté est la vertu opposée au vice d’impureté.
La chasteté est une vertu nécessaire; car il est écrit que rien de souillé n’entrera dans le royaume des cieux; et sans la chasteté, il est impossible de ne point souiller son corps et son âme. La chasteté est une vertu qui convient à toutes sortes de personnes, à tout âge, à l'homme comme à la femme, au vieillard comme à l’enfant... aux vierges comme aux personnes engagées dans le mariage, au roi le plus illustre et le plus puissant comme au dernier de ses sujets. La chasteté est une vertu que tous doivent posséder... tous doivent être chastes..."
2-Les avantages de la chasteté
"La chasteté est une vertu... inappréciable. Elle mérite... notre estime la plus parfaite, notre empressement et tous nos efforts pour l’acquérir... ou pour l’augmenter chaque jour davantage en évitant tout ce qui pourrait la blesser ou la ternir. Combien cette vertu de chasteté est avantageuse à l'homme pour ses intérêts spirituels! La chasteté délivre l'homme d'une passion qui l’agite et le tyrannise, qui le dévore et le consume par cette soif des plaisirs et des jouissances impures... qu'il ne peut éteindre ni satisfaire, même en lui accordant tout ce qu'elle lui demande.
Quelle différence entre deux hommes, dont l'un est chaste et l’autre point! Que trouve-t-on dans celui-ci? Troubles, agitations, souffrances et malheur. En celui-là? Le calme, la paix, la tranquillité, le bonheur. L’un a toujours l’esprit occupé d’images et de figures déshonnêtes qui appesantissent son âme et l’empêchent de s’élever vers Dieu... la plongent dans la corruption et la misère, lui ôtent l’amour de Dieu et le rendent semblable aux animaux sans raison. La conduite de cet homme devient souvent la cause de son désespoir...
Celui qui est chaste, au contraire, tient son esprit libre de toute pensée déshonnête... Il s’élève autant vers Dieu qu'il se détache des créatures. Il conserve son cœur pur, et Dieu le regarde avec complaisance, lui donne ses bénédictions, répand en lui ses grâces avec abondance... ou bien, s'il l’éprouve pour augmenter sa couronne dans le ciel, il ne torture point son cœur par l’aiguillon cuisant du remords. Aussi, quand vient l’heure de sa mort... son âme s’envolera avec confiance vers Dieu pour aller recevoir la couronne de gloire et d’immortalité... qu'elle aura méritée par ses combats, ses luttes et ses triomphes de chaque jour.
Les avantages spirituels de la chasteté sont donc le bonheur et la paix de l'âme pendant la vie, la tranquillité à l'heure de la mort, la gloire et la félicité du ciel après la vie.
Les avantages temporels ne sont pas moins importants. La chasteté entoure de respect et d’honneur celui qui la possède... La chasteté fait le bonheur de la famille. Elle resserre et sanctifie les liens sacrés du mariage par une mutuelle fidélité entre les deux époux... La chasteté fait la gloire et l'honneur de la jeunesse des deux sexes et la consolation des parents dans leurs enfants. La chasteté étend ses bienfaits jusque sur les biens temporels... Dieu ne répand point ses bénédictions sur les familles où la chasteté ne règne point... Il frappe aussi les royaumes et les cités, les rois et les sujets, les pères et les enfants... N'est-ce point lui qui par le feu du ciel a détruit Sodome et Gomorrhe, et qui a frappé David et Salomon et mille autres, à cause du vice opposé à la vertu de chasteté?
3-La pratique de la chasteté
Admirer la beauté et l’excellence de la chasteté, c'est bien; encore faut-il la pratiquer. "Cette vertu est d'une délicatesse extrême... ce n'est qu'avec une précaution continuelle qu'on peut la conserver... Je ne veux point dire pour cela que toute pensée contre la modestie soit un péché, tout le monde est soumis à ces sortes de pensées, même les plus grands saints...
Que fait une personne chaste quand il lui vient des pensées contraires à la chasteté? Elle les rejette aussitôt qu'elle s’en aperçoit; elle porte son esprit et son cœur vers Dieu et lui demande sa sainte grâce pour ne point l’offenser. Elle ne se permettra jamais une parole inconvenante, une parole à double sens qui pourrait perdre une âme un peu faible... Non seulement elle s’interdit des paroles de cette sorte, mais elle ne peut même supporter qu'on les prononce en sa présence... Une personne chaste ne se permet jamais le moindre regard opposé à la modestie, parce qu'un regard jeté avec de mauvaises intentions... est un péché. C'est un trait cruel, capable de donner la mort à une âme... Une personne chaste... respectera son corps et le fera respecter par autrui. Elle ne se contentera pas d'être chaste intérieurement, elle saura manifester extérieurement son amour pour cette vertu...
Une personne véritablement chaste l’est à la fois intérieurement et extérieurement. La chasteté est dans son cœur comme un précieux parfum, doux et suave, qui ravit tous ceux qui l’approchent... Qu'il est doux et agréable de voir pratiquer la chasteté!
Ô chasteté, vertu de l'homme et de la femme, vertu de tous les âges et de toutes les conditions, tu es le plus bel ornement de la jeune fille... Tu lui fais éviter avec le plus grand soin tout ce qui pourrait ternir la pureté et l’innocence de son âme... Tu es la gloire du jeune homme qui, loin de rougir de ta pratique, te prend pour règle de sa conduite. Tu le fais respecter et tu lui dis de respecter autrui, parce qu'en déshonorant les autres il se déshonorerait lui-même. Tu es la vertu principale des personnes mariées... Tu les fais vivre comme de vrais enfants de Dieu. Tu es l’auréole glorieuse du vieillard...
Voilà, Monsieur le Curé, autant que j'ai pu les réunir et les classer, les divers enseignements que j’ai reçus, que j'ai gardés et que je vous transmets selon vos désirs. J’oubliais de dire que, puisque cette vertu doit être pratiquée dans tous les états et dans toutes les conditions, elle n'est incompatible avec aucune condition ni aucun état. Tous peuvent être chastes, parce qu'ils doivent l'être. Ce qui est impossible n’a jamais été et ne sera jamais l’objet d’un commandement de Dieu."
4-Comment garder la chasteté
- Tout d'abord être vigilant
Marie Lataste doit encore parler des moyens de garder la chasteté. Elle le fait le 8 octobre 1843 (Lettre 21), et raconte comment Notre-Seigneur Jésus-Christ lui a parlé: "Ma fille, il y a deux sortes de chasteté, la chasteté du corps et celle de l’esprit. Celui qui n'est pas chaste dans son corps ne peut l'être dans son esprit, et rarement celui qui n'est pas chaste dans son esprit demeure chaste dans son corps. Le corps est l’instrument par lequel la concupiscence pose les actes contraires à la pureté; l'esprit est celui qui conçoit les actes et les fait produire d'une manière extérieure par le corps.
Il y a une différence entre le corps qui est matière et l'esprit qui n'a en lui rien de matériel. Il faut donc leur donner deux secours ou deux moyens différents à l'aide desquels le corps et l'esprit puissent, chacun pour soi, garder la chasteté. Ces deux moyens sont la mortification pour le corps, la prière pour l'esprit ou pour l'âme.
Si vous prenez soin de votre corps, si vous le nourrissez avec abondance et délicatesse, si vous lui accordez tout ce qu'il vous demande... soyez persuadée que vous deviendrez aisément la proie du démon de l’impureté. Le corps ainsi traité est mou, efféminé... il est incapable de soutenir une lutte... il devient l’esclave de l’incontinence, à laquelle il sacrifie aussi souvent qu'elle le demande. Mais si vous réduisez votre corps en servitude... si vous le liez par les liens de la mortification, des veilles et des jeûnes, il deviendra fort contre le démon de l’impureté... Il n’aura pas accès près de lui. Il trouvera tous les accès, soigneusement gardés et défendus. Veillez donc et mortifiez votre corps; vous serez forts et puissants contre l’impureté... Enfin... ne vous exposez jamais à la tentation d’impureté en fréquentant des lieux ou des personnes qui pourraient devenir pour vous une occasion de chute. Si vous faites cela, vous serez chaste dans votre corps.
"Mais cela ne suffit pas... Le corps et l’âme doivent être chastes l’un et l’autre, et ne peuvent l’être séparément s’ils ne le sont tous deux à la fois. Il faut donc que vous joigniez à la mortification, qui est la sauvegarde du corps, la prière, qui est la sauvegarde de l'âme.
-Prier
Jésus rappelle d'abord à Marie Lataste que la prière c'est non seulement une élévation de l'âme vers Dieu, mais c'est aussi un cri vers Dieu, un appel au secours adressé à Dieu, un refuge cherché près de Dieu. En conséquence, prier est pour l'homme l'assurance de sa chasteté. Jésus dit: "Ma fille, la chasteté est un don de Dieu. L'homme n'est point chaste par lui-même... Il faut donc demander à Dieu la chasteté si on ne l’a point, c'est-à-dire prier. Il faut... la remettre entre ses mains pour la conserver, c'est-à-dire prier, parce que l'homme ne peut pas plus la conserver qu'il ne peut l’acquérir par lui-même. La prière est la seule défense, le seul soutien de la chasteté.
Il y a plusieurs sortes de prière... pour la conservation comme pour l’augmentation de la chasteté. La meilleure des prières... c'est la prière dictée par l’amour, c'est un cri d’amour jeté vers moi... Jamais une âme tentée contre la pureté... n’a pénétré dans l’ouverture de mon cœur, sans que mon cœur ait été pour elle une défense inexpugnable... Jamais une âme amie de la chasteté n’a porté son œil sur la Divinité, considéré... sa sainteté ou sa perfection infinie, sans avoir senti croître en elle son amour pour cette admirable vertu.
Jamais une âme n’a reconnu sa misère, sa bassesse, son néant, sa faiblesse, son impuissance et dit à Dieu, au moment de la tentation: 'Mon Dieu, sauvez-moi!' sans qu'elle ait été délivrée par Dieu. Enfin, ma fille, jamais une âme ne s’est approchée dignement du sacrement de mon amour sans qu'elle y ait trouvé... comme un rempart inexpugnable contre ceux qui la persécutent. Communier à mon corps et à mon sang... c'est me dire: 'Sauveur Jésus, vous êtes le pain de vie, délivrez-moi de la mort. Seigneur, vous êtes le Dieu trois fois saint, délivrez-moi du péché.'... Je ne demeure point sourd à cette prière et je permets à l'âme de puiser en mon Cœur... le vin qui fait germer les vierges..."
D'où le conseil adressé par Jésus à Marie Lataste:
"Soyez mortifiée et soyez vigilante; priez, c'est-à-dire reconnaissez votre faiblesse, et pleine de confiance abandonnez-vous à Dieu; vous demeurerez chaste, vous demeurerez pure, et vainement l’esprit de ténèbres tendra des pièges sous vos pas, jamais il ne vous prendra dans ses filets."
5-Les pensées contraires à la virginité et à la chasteté
Il semblerait que Jésus estime son enseignement sur la chasteté incomplet, car, quelques jours plus tard, dans la lettre 23, Marie Lataste continue sur ce même sujet: "Je viens vous soumettre aujourd'hui un entretien que j’ai eu avec le Sauveur sur les pensées contraires à la chasteté et les actes qui lui sont opposés. Il m'a instruite plusieurs fois là-dessus pour me faire bien comprendre et distinguer ce qui est mal de ce qui ne l’est point, et sur la manière de se conduire, afin de ne jamais blesser la vertu de chasteté ni par pensées ni par actions."
Incontestablement Jésus remet les choses à leur vraie place. Il faudrait peut-être le faire savoir. Nous donnons ci-dessous l'intégralité de l'enseignement de Jésus. Il dit: "Je pose en principe que les actes opposés à la virginité ne sont point mauvais par eux-mêmes, que la connaissance de tout ce qui est contraire à la virginité et à la chasteté n'est point mauvaise par elle-même, et que les pensées de tout ce qui ternit la virginité ou la chasteté ne sont point mauvaises non plus par elles-mêmes.
L’acte contraire à la virginité n'est un péché que lorsqu'il y a abus dans l’accomplissement de cet acte, et dans les circonstances et dans les cas où il n'est point permis de l’accomplir. Mais cet acte, dans l’état de mariage, quand on observe les lois fixées par Dieu, devient un acte de religion.
La connaissance des choses opposées à la virginité ou à la chasteté n'est mauvaise que par l’usage mauvais que l’on en fait; mais elle est souvent utile pour travailler au salut des âmes et augmenter ma gloire. Comment pourrait-on diriger et donner conseil sur l’accomplissement ou l’abstention de ces actes, si l’on n’en avait pas la connaissance? Ce serait chose impossible, cette connaissance est donc bonne, considérée en elle-même.
Les pensées contraires à la chasteté ne sont mauvaises que lorsqu’on y arrête son esprit avec complaisance et qu'on ne cherche point à éloigner ces pensées. Il est quelquefois nécessaire de penser à ces choses, par exemple quand on doit instruire une personne et lui montrer le mal là où il est. Pour cela, il faut connaître ce qui fait le sujet de l’instruction que l’on donne. Or, dans ces cas, vous le comprenez, ni la connaissance ni les pensées ne sont mauvaises. Les pensées contraires à la pureté viennent de quatre sources différentes.
-Elles viennent du démon, qui les lance dans les cœurs comme des traits empoisonnés par le désir de l’impureté. Ces pensées sont très pénibles à supporter et très difficiles à vaincre. Néanmoins, si l’on demande le secours de Dieu, si on se confie en lui, on triomphe toujours, parce que jamais nul n'est tenté au dessus de ses forces.
-Elles viennent de la partie inférieure de l’âme qu'on appelle la nature corrompue. C'est là qu'est le foyer de la concupiscence, la racine de toutes les passions, surtout de la passion de l’impureté. Cette partie de l'âme est féconde en mauvaises pensées, en mauvais désirs. Elle influe sur le corps, à qui elle donne des mouvements selon l’inclination de l’impureté. Le corps, qui par lui-même n'est que matière, étant mis en mouvement par l’influence de la volonté inférieure de l'âme, s’accorde parfaitement avec elle pour livrer à la volonté supérieure une guerre cruelle et opiniâtre. Or, tout ce qui se passe dans la partie inférieure de l'âme et dans le corps, soit en pensées, soit en mouvements, soit en jouissances impures, n'est point péché si la volonté supérieure ne donne point son consentement; mais pour peu qu'elle consente et qu'elle se plaise dans ces pensées, ces mouvements et ces jouissances, il y a péché.
Donc, quelque chose qu'on éprouve, fussent les mouvements les plus déréglés et les pensées les plus obscènes, tant que la volonté supérieure de l'âme ne donne point son consentement, il n'y a point péché, parce que le consentement seul est ce qui constitue le péché dans sa réalité. Tout le reste n'est que matière de péché, mouvement à accomplir le péché, mais ce n'est point le péché. C'est le consentement qui fait le péché quand il tombe sur une matière de péché.
Ces pensées impures, ces mouvements déréglés ne doivent donc point vous alarmer, vous inquiéter, vous faire perdre courage. Car c'est là la guerre que l'homme doit livrer pendant toute sa vie, et dont il ne peut être délivré que par une grâce toute spéciale de Dieu. C'est cette guerre et cette lutte qui font dire à tant de saints: 'Hélas! Quand serai-je délivré de ce corps de mort?' Cette lutte, loin d’être un péché, est un sujet de mérites considérables. Par conséquent, loin de se troubler ou de s’affliger, il faut n'y point faire attention, mais demander humblement à Dieu son secours et se tenir toujours sur ses gardes...
Ces pensées viennent encore de l’imagination. L’imagination, frappée et impressionnée par ces choses impures, les présente sans cesse à la volonté. Or, pour ne point pécher, pour ne point consentir, il n'est pas nécessaire d’avoir horreur et d’être peiné de ce que l’imagination présente à la volonté; il suffit d'y être indifférent et de ne point y prendre plaisir. L’horreur ou la peine qu'on éprouverait, bien loin quelquefois d’amortir l’imagination, ne feraient que l’impressionner davantage. Le mieux est de se tenir indifférent, de ne point y faire attention, de fermer doucement la porte de son cœur et de se tenir en paix. Si c'est le démon qui agite ces pensées dans l’imagination, il en sera mortifié.
Souvent, ne pouvant faire perdre la grâce à une âme en obtenant qu'elle prenne plaisir à des pensées impures, il profite de l’état de peine ou d’horreur que ces pensées inspirent à cette âme pour lui faire perdre sa paix; il la trouble, il l’agite et profite ensuite de ce malaise pour la jeter dans le découragement. C'est ainsi surtout qu'il attaque les âmes pieuses. Elles doivent y aviser, reconnaître là l’artifice du démon, et au lieu de cette horreur et de cette peine sensible, préférer le mépris et l’indifférence qui suffisent.
Ces pensées, enfin, viennent quelquefois de Dieu. Lorsqu’il plaît à Dieu d’éclairer une âme et de lui montrer la vérité, c'est-à-dire l’ordre et le bien, il lui donne des lumières et des pensées sur ces choses, qui, loin d’apporter le trouble et le péché en elle, lui donnent le calme et la paix.
Et voici la conclusion de Jésus à l'adresse de Marie Lataste: "Ainsi, ma fille, je suis venu vous éclairer vous-même et vous apprendre là où se trouve le mal et là où il n'est pas. Votre esprit et votre cœur étaient dans l’inquiétude, parce qu'ils n’avaient point la vérité. Aujourd'hui que je vous l’ai révélée, soyez calme et tranquille, conservez la paix. Soyez toujours maîtresse de la volonté supérieure qui est en votre âme et méprisez tout le reste."
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Re: Littérature spirituelle
JAN VAN RUYSBRŒCK
Par Paulette Leblanc
(Jean de Ruysbrœck)
(1293-1381)
I-INTRODUCTION
La vie de Jan van Ruysbrœck nous est connue grâce à Henri Pomerius (1382-1431) qui fut bien placé pour obtenir des renseignements sûrs. En effet, né en 1382, un an seulement après la mort de Ruysbrœck, il entra au monastère des chanoines réguliers de Groenendael, où Ruysbrœck avait passé toute sa vie religieuse. Devenu prieur, Pomerius vit mourir deux disciples immédiats de Ruysbrœck: Jean de Hoelaere († 16 mars 1431) et Jean de Scoonhoven († 22 janvier 1431). Ce dernier se rendit célèbre en défendant la doctrine de son maître Ruysbrœck, contre les attaques de Gerson.
Pomerius mourut le 2 juin 1469; il avait écrit son ouvrage avant 1420, soit moins de quarante ans après la mort de Ruysbrœck, le saint Prieur de Groenendael.
L'ouvrage de Pomerius comprend trois parties :
1°L'histoire de la fondation de Groenendael,
2°La biographie de Ruysbrœck,
3°La biographie de Jean van Leeuwen, le « bon cuisinier ».
Un autre document précieux sur la vie de Ruysbrœck est un prologue inséré en tête du manuscrit le plus complet de ses œuvres. Ce prologue est d'un contemporain de Ruysbrœck, Maître Gérard, prieur d'une Chartreuse proche de Groenendael. Ce manuscrit, datant de 1461, et qui appartenait jadis au prieuré même de Groenendael, se trouve aujourd'hui à Bruxelles.
1-L'ENFANCE ET LA JEUNESSE DE JEAN DE RUYSBRŒCK
Jean de Ruysbrœck (Jan van Ruusbroec) est né en 1293 dans le petit village de Ruusbroeck, situé entre Bruxelles et Halle. Ce village du Brabant est aujourd’hui englobé dans l’agglomération bruxelloise. Sa famille était très honorable et très aisée. Dès sa plus tendre enfance il aima s'isoler dans la nature. À l'âge de 11 ans, il fut confié à un oncle, Maître Jean Hinckaert, chanoine de Sainte-Gudule, qui l'éveilla très tôt aux vérités de l'Evangile, et le mit dans une école pour y apprendre les lettres, la philosophie, puis les sciences: humaine et divine.
2-LE PRÊTRE
Jean de Ruysbrœck devint prêtre à 24 ans, en 1317, et exerça son ministère durant vingt-cinq ans à Bruxelles, comme chapelain de Sainte Gudule, en compagnie de Maître Hinckaert et de Franco van Coudenberg, chapelains de la même église et animés des mêmes désirs de vie vertueuse. C'est pendant sa présence à Bruxelles qu'il rédigea ses premiers ouvrages, écrits en flamand, en réalité, en dialecte brabançon. Ces ouvrages, parus entre 1330 et 1336, constituent l'essence même de sa doctrine fondée essentiellement sur son expérience mystique. On peut citer:
– Le Royaume des Amants de Dieu,
– L'Ornement des Noces Spirituelles. Ce livre commente une citation évangélique: Voici l’Époux qui vient, allez à sa rencontre. (Mat, XV, 6) C’est surtout par Les Noces Spirituelles que la doctrine Ruysbrœckienne se répandit dans les pays germaniques.
– L'Anneau de la Pierre Brillante
– La foi chrétienne et Les quatre Tentations virent le jour entre 1336 et 1343
La sainteté de Jean de Ruysbrœck était telle que ses hagiographes rapportèrent de nombreux miracles et légendes, destinés à montrer les faveurs que Dieu lui réserverait tout au long de sa vie. Évidemment il faut prendre ces légendes avec précaution et nous ne nous y attarderons jamais. Cependant pour notre divertissement, nous rapportons ici un fait étonnant raconté par un religieux anonyme, son premier biographe:
"À peine l'enfant avait-il sept jours, comme sa nourrice allait le laver dans un bassin, il se tint debout sans aucun autre appui que celui d'une grâce particulière de Dieu."
On raconte aussi que lorsque sa maman fut décédée, elle lui apparut à plusieurs reprises pour lui demander un soulagement à ses peines du Purgatoire. Et l'on dit que, dès la fin de sa première Messe, le jeune prêtre "apprit, dans une apparition certaine de sa mère, qu'elle était enfin délivrée de toute peine."
Revenons maintenant à des choses plus terre à terre.
Prêtre séculier, Jean décida de suivre le Christ humble dans la voie de l'humilité, et de se conformer autant qu'il le pourrait à ce modèle, au point de passer même pour méprisable et sans valeur aux yeux de tous ceux qui ignoraient sa vie très sainte. Cependant, il eut l'occasion, à Bruxelles, de s'opposer fortement à Bloemardinne, une femme qui fut l'initiatrice d'une secte, satanique dirions-nous aujourd'hui, secte qui attirait de nombreux adeptes. Il semble que Bloemardinne dirigea la secte "du libre esprit" vers 1307.
L'homme de Dieu s'opposa avec vigueur à ces erreurs néfastes qui se multipliaient, et bien qu'il eût à soutenir un grand nombre d'adversaires, il put démontrer pleinement la fausseté des écrits de cette femme perverse.
3-LE MOINE
En 1343, Jan van Ruysbrœck, que nous appellerons le plus souvent Ruysbrœck, ou encore le dévot Prieur, décida de vivre dans la solitude, avec son oncle et Franco van Coudenberg, dans l'ermitage de Groenendael (Viridis Vallis, ou le Vauvert). Le frère Jean van Leeuwen, surnommé "le bon cuisinier", devait bientôt rejoindre la petite communauté naissante, qui, en 1350, adopta l'habit des chanoines réguliers de saint Augustin, ainsi que la règle. Ruysbrœck put alors s'adonner tout entier à la contemplation et se livrer à l'influence divine.
Lorsqu'il se sentait envahi par l'inspiration, Ruysbrœck s'enfonçait dans la forêt toute proche, et se mettait à écrire tout ce qui lui venait à la pensée. Puis, il retournait au monastère et partageait avec ses frères les enseignements merveilleux qu'il avait reçus. Son influence bénéfique était telle qu'on lui donna le surnom d'Admirable. Pèlerins et fidèles affluaient pour l'écouter et prier avec lui.
Le prieur de Groenendael
Ruysbrœck avait déjà été prieur pour les quelques compagnons qui, d’abord groupés autour de lui, dans la maison de son oncle, l’accompagnèrent à Groenendael dans la forêt de Soignes, mise à leur disposition par le duc Jean III de Brabant en 1343. Là, leur retraite était mieux protégée, La communauté qu’il entendait former ne devait pas être cloîtrée: sans règle, ni supérieur, avec très peu d’observances, elle devait cependant permettre la réalisation d’une vie intérieure intense, et permettre une vie commune, telle qu’elle sera plus tard décrite dans le livre, La Pierre brillante. Cependant, la communauté d’abord informelle, évolua vers la vie canoniale augustinienne, embrassée le 10 mars 1350. En effet, en 1349, l'évêque de Cambrai avait vêtu les membres de la petite communauté de la tunique blanche et de la chape noire des chanoines de saint Augustin. Le prévôt de la communauté fut Franco van Coudenberg à qui Ruysbrœck, prieur, voulut demeurer soumis.
La production littéraire de Ruysbrœck pendant cette période reflète l’activité d’un conseiller spirituel attentif, discret et retiré: ses ouvrages, surtout des opuscules, sont souvent de nature explicative. On a parlé d'une mystique essentialiste sur la nature de laquelle les erreurs d’interprétation sont aisées.
4-QUELQUES FAITS ÉTONNANTS
4-1-Dans un rayon de feu
Du vivant de Ruysbrœck, des hommes témoignèrent: nous savons que très souvent le dévot Prieur se hâtait vers le bois, et, retrouvant sa retraite solitaire, s'asseyait sous un arbre. Un jour qu'il y était resté plus longtemps que d'habitude, les frères, inquiets, se mirent à le chercher à travers les chemins de la vaste forêt.
"Par hasard, un frère, qui lui était assez intime, le cherchant avec soin, remarqua de loin un arbre qui semblait par en haut tout enveloppé d'un rayon de feu. S'approchant alors en silence, il trouva l'homme de Dieu assis sous cet arbre, encore tout ravi hors de lui par la grande ferveur de la douceur divine. De ceci il apparaît clairement de quelle ferveur intérieure d'esprit et de quelle splendeur il était enflammé en même temps qu'illuminé, alors que le rayonnement en paraissait au dehors d'une façon si manifeste."
4-2-La lévitation
À force de méditer la Passion du Seigneur, Ruysbrœck "parvint à une telle abondance de la divine grâce, que souvent il s'élevait dans le ravissement divin au-dessus de lui-même." Les lévitations de Ruysbrœck ont souvent été constatées par ceux qui vivaient proches de lui.
4-3-Des apparitions du Christ, de la Vierge Marie et des saints
Les hagiographes de Ruysbrœck racontent que souvent Notre-Seigneur Jésus-Christ visitait son fidèle serviteur avec une douceur très intime, et l'enrichissait de multiples grâces; ainsi, un jour il lui apparut visiblement avec la bienheureuse Vierge Marie, sa glorieuse Mère, et tous les saints de la cour céleste. Jésus lui parla:
— Tu es mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis ma complaisance.
Et l'embrassant, il dit à sa Mère et aux chœurs des saints présents:
— Voici mon enfant d'élection.
En retour, le dévot Prieur manifestait pour le Seigneur Jésus, une grande familiarité et un amour hors du commun. De plus, en plusieurs circonstances il eut avec le Seigneur Jésus des entretiens cachés, dont il n'est pas permis aux hommes de parler". Cela, le dévot Prieur le fait entendre parfois en ses livres et le "Bon Cuisinier" le rapporte lui aussi; "car ce dernier le vit un jour élevé en une telle gloire, qu'à ce moment, personne parmi les vivants ne le surpassait en mérites."
II-Plusieurs oeuvres écrits dont LES SEPT DEGRÉS DE L'ÉCHELLE D'AMOUR SPIRITUEL
PRÉSENTATION
Le traité consacré aux "Sept Degrés de l'Échelle d'Amour Spirituel" est également destiné, croit-on, à une femme, une religieuse, peut-être à Marguerite van Meerbeke, chantre du monastère des Clarisses de Bruxelles. Les conseils que lui donne Ruysbrœck sont très personnels et très orientés vers l'obtention de la perfection afin d'aboutir à la vraie contemplation.
Ruysbrœck enseigne la nonne à qui il s'adresse. Sa pensée, dont le style est très proche de celui de l'enseignement oral, est remarquablement bien organisée; mais pour donner les explications indispensables, il est obligé de s'interrompre souvent, d'ouvrir des parenthèses. Cela est nécessaire dans le langage parlé, mais souvent difficile à suivre dans le langage écrit; il faut alors mettre de l'ordre dans le texte écrit. Incontestablement Ruysbrœck est un remarquable pédagogue qui explique, et même s'attarde quand cela est nécessaire.
Dès le premier contact que l'on a avec ce texte, on sent que Ruysbrœck s'adresse à des religieux, tout en laissant cependant le champ libre aux laïcs, quoique plus difficilement. Ce qu'il veut, c'est la perfection de ceux qui s'adressent à lui, même si ce sont des pauvres, des gens peu instruits humainement, mais largement ouverts à Dieu.
Utilisant des expressions variées, Ruysbrœck revient sans cesse sur les mêmes enseignements pour les faire pénétrer profondément dans le cœur de ses disciples. Il convient de noter aussi que, même lorsqu'il s'attarde à présenter ou même à décrire les plus hautes contemplations, Ruysbrœck incite toujours ceux à qui il s'adresse de ne jamais négliger les œuvres de charité. Pour lui, cela est fondamental.
Ruysbrœck commence son ouvrage "Les sept degrés de l'Échelle d'Amour Spirituel" par un avertissement très net: "C'est la volonté de Dieu que nous soyons saints." Mais comment devenir de vrais saints? En montant les divers degrés de l'amour spirituel.
1-LE PREMIER DEGRÉ DE L'ÉCHELLE D'AMOUR SPIRITUEL
Ruysbrœck estime que le fondement de toutes les vertus, c'est la bonne volonté, qui, animée par la grâce de Dieu, triomphe du diable et du péché. L'homme de bonne volonté veut, avant tout, aimer Dieu et Le servir. Et "lorsque nous n'avons avec Dieu qu'une même pensée et une même volonté, nous sommes au premier degré de l'échelle d'amour et de sainte vie." Mais la bonne volonté exige les bonnes œuvres, car seul "l'arbre bon porte le bon fruit".
2-LE DEUXIÈME DEGRÉ D'AMOUR
Le deuxième degré de l'amour est la pauvreté volontaire. Jésus a dit: "Heureux les pauvres de cœur, le royaume de Dieu est à eux..." Ruysbrœck précise: "L'homme volontairement pauvre, en effet, mène une vie libre et dépouillée de souci pour tous les biens terrestres, quels que soient ses besoins... mais, ce royaume de Dieu est amour et charité, en même temps qu'application à toutes bonnes œuvres..."
Le pauvre volontaire, contrairement à l'avare, ne possède rien de ce qui passe: il suit le Christ qui le comblera de vertus. Au contraire, l'avare, insensé, n'est jamais satisfait: "Il ressemble à l'enfer, qui, lorsqu'il prend n'est jamais satisfait..." D'où le conseil: "Gardez-vous donc de l'avarice: elle est la racine de tout péché et de tout mal."
3-LE TROISIÈME DEGRÉ D'AMOUR
"Le troisième degré d'amour est la pureté de l'âme et la chasteté du corps..." Ruysbrœck reprend le contenu des paroles de Jésus: "Pour que votre âme soit pure, vous devez, par amour de Dieu, haïr et mépriser tout amour et affection désordonnés de vous-même, de votre père et de votre mère ainsi que de toute créature..." Mais il prend soin de s'expliquer: il faut aimer les créatures, mais seulement comme Dieu veut que nous les aimions, et pour son service. Car, rappelle Ruysbrœck: "Celui qui vit selon la volonté de Dieu, est ma mère, ma sœur, mon frère."
Certes, Ruysbrœck s'adresse à des âmes religieuses, mais ce conseil, qui est le conseil même de Jésus, peut très bien s'appliquer aussi aux personnes qui vivent dans le monde, parce que c'est leur vocation. Mais attention! "Bien que Dieu ait créé notre âme pure et sans tache, par son union avec la chair elle devient souillée du péché originel... Si donc nous vivons selon la convoitise de la chair, nous sommes morts dans le péché; si, au contraire, par l'esprit nous triomphons des œuvres de la chair, nous vivons selon la vertu... "
Pourtant, nous devons "aimer aussi et estimer ce corps et notre vie sensible, en tant qu'instruments pour le service de Dieu... " Car "sans notre corps, en effet, nous ne pouvons nous acquitter envers Dieu de ces œuvres extérieures, qui sont cependant pour nous un devoir, les jeûnes, les veilles, les oraisons et autres bonnes œuvres..." Donc, nous avons le devoir de soigner notre corps. Mais il faut nous défier de trois vices: la paresse, la gourmandise et l'impureté.
Le Seigneur nous aidera, nous enseigne Ruysbrœck: "Tournons-nous vers Notre-Seigneur Jésus-Christ afin de contempler sa passion... Le Christ nous introduira alors avec lui-même dans cette haute vie, où l'on est uni à Dieu et où l'âme pure adhère par amour à l'Esprit-Saint et habite en lui."
Et voici un bon conseil pour tout le monde: "Évitons les mauvaises compagnies, fuyons ceux qui aiment à mentir, à médire, à jurer, à blasphémer Dieu, qui sont impurs en paroles et en œuvres." Et un autre conseil plus spécifique aux religieuses (et religieux): "Pour cela, maintenez-vous pure: aimez à être seule; craignez de vous répandre; fréquentez votre église et que vos mains s'emploient aux bonnes œuvres. Haïssez l'oisiveté... ne vous attachez pas à vous-même... Aimez la pénitence et le travail..."
Pour mettre en œuvre tout cela un modèle s'impose. Ruysbrœck propose saint Jean-Baptiste.
4-LE QUATRIÈME DEGRÉ D'AMOUR
"Le quatrième degré de notre échelle céleste est l'humilité vraie, c'est-à-dire la conscience intime de notre propre bassesse. Par elle, nous vivons avec Dieu et Dieu vit avec nous dans une paix véritable" Ruysbrœck compare l'humilité à une source d'où jaillissent quatre fleuves de vertus et de vie éternelle: l'obéissance, la douceur, la patience, et l'abandon de la volonté propre.
4-1-L'obéissance
Par elle, nous nous soumettons aux commandements de Dieu et nous suivons le Christ, la sagesse de Dieu, mort pour nous donner la vie.
4-2-La douceur
Sur l'homme plein de douceur, repose l'Esprit du Seigneur. D'où ce conseil personnel: "Si donc le Christ vit en vous et vous en lui, vous devez l'imiter dans votre vie, dans vos paroles, dans vos œuvres et vos souffrances. Soyez douce et clémente, miséricordieuse et généreuse, indulgente pour quiconque réclame vos secours. N'ayez ni haine, ni envie; ne méprisez ni n'affligez personne par des paroles dures, mais pardonnez tout... Ne vous méfiez de personne et gardez-vous de juger ce qui vous est caché. Ne disputez avec qui que ce soit, afin de montrer que vous êtes plus sage. Soyez douce comme un agneau qui ne sait s'irriter, même lorsqu'il doit mourir. Ainsi donc laissez-vous faire, et soyez toujours silencieuse, quoi qu'homme vous fasse."
4-3-La patience
De la douceur naît la patience qui nous porte à "souffrir de bon cœur, sans répugnance." La souffrance, ce vêtement que le Christ a revêtu lorsqu'Il a épousé la Sainte Église, est souvent messagère du Seigneur. Le Christ en revêt ses saints, car "c'est le fondement qu'ils ont donné à tous les ordres et à tous les états de religion."
Ruysbrœck profite de cette digression sur la souffrance pour gémir sur ce qui se passait souvent alors dans de nombreux ordres religieux: "Aujourd'hui, ceux qui vivent dans ces ordres méprisent la vie du Christ et son vêtement nuptial. L'orgueil, en effet, la jouissance, la paresse et toutes les autres malices règnent maintenant dans les ordres religieux comme dans le monde, dans ce monde, dis-je, qui vit en péché mortel."
4-4-L'abandon de la volonté propre
Le quatrième fleuve de vie humble est l'abandon de la volonté propre et de toute recherche personnelle. "Ce fleuve prend sa source dans la souffrance endurée patiemment. L'homme humble devient ainsi une seule volonté et une seule liberté avec la volonté divine, de sorte qu'il ne lui est plus possible ni loisible de vouloir autre chose que ce que Dieu veut. Et c'est là le fond même de l'humilité..."
Il y a plus: "La volonté de Dieu, qui est libre et liberté même, nous enlève l'esprit de crainte et nous rend libres..." Dieu nous envoie son Esprit, et l'Esprit de Dieu nous fait crier: "'Abba Père!' L'homme vraiment humble est un vase élu de Dieu, rempli et débordant de tous dons et de tous biens."
D'où un nouveau conseil de Ruysbrœck à sa correspondante: "Soyez donc humble, obéissante, douce, dégagée de volonté propre, et ainsi vous gagnerez au jeu d'amour. Remarquez cependant avec soin ce qui vous manque encore. Même après que vous avez triomphé avec la grâce de Dieu de tout péché, par la vertu qui est en vous, la nature et les sens demeurent néanmoins vivants avec leur propension aux péchés et aux vices." Contre eux, il nous faudra lutter longtemps.
5-LE CINQUIÈME DEGRÉ D'AMOUR[1]
Le cinquième degré de l'échelle spirituelle d'amour "consiste à désirer l'honneur de Dieu par-dessus toutes chose... C'est aussi la première offrande à lui faire, car là se trouvent le fondement et l'origine de toute sainteté; si elle manque, il n'y a plus rien de bon... Si nous nous recherchons nous-mêmes et non la gloire de Dieu, nous sommes dans l'erreur, car la charité nous fait défaut... et celui qui n'a pas le souci de la gloire de Dieu et poursuit la sienne propre est possédé d'orgueil, qui est racine de tout péché et de toute malice... L'âme aimante comprend bien que l'honneur et la révérence envers Dieu constituent la vertu la plus noble..." Mais elle ne sait pas comment faire.
5-1-La foi chrétienne
La foi chrétienne nous révèle que Dieu est Trinité, "Trinité de personnes dans l'Unité de nature, et Unité de nature dans la Trinité des personnes; c'est un seul Dieu tout-puissant, à qui nous devons honneur et adoration de tout notre pouvoir. Le même honneur et la même adoration sont dus à Notre-Seigneur Jésus-Christ, Dieu et homme en une seule personne... Dieu le Père honore son Fils et avec lui tous ceux qui marchent à sa suite et lui sont unis... Dieu veut que nous l'honorions et l'aimions, afin qu'unis à lui nous possédions la béatitude."
5-2-Mais comment honorer Dieu?
Dieu permet que notre intelligence Le connaisse, "à travers des similitudes, comme dans un miroir... mais ceci est au-dessus de nous et dépasse tout exercice de vertus. Nous devons donc aimer à regarder Dieu et à le chercher dans les images, les formes, les ressemblances divines, mais comme dans un miroir, au moyen des images et des ressemblances..." Si nous faisons cela, bientôt nous découvrirons quelques-uns des attributs de Dieu: "Dieu est grandeur, hauteur, puissance, force, sagesse et vérité, justice et clémence, richesse et largesse, bonté et miséricorde, fidélité et amour sans fond, vie, récompense, joie sans fin et félicité éternelle."
Mais Ruysbrœck continue à poser cette grave question: comment faire? Pour essayer de la traiter il propose trois manières d'honorer Dieu[2].
5-2-1-Adorer, honorer, aimer
Dans la première façon d'honorer Dieu, il y a trois procédés d'union à Dieu: l'adorer, l'honorer et 1'aimer. En effet, il faut d'abord adorer Dieu, "le fixer au-dessus de la raison, en esprit, avec une grande révérence... Honorer Dieu, c'est s'abandonner et s'oublier soi-même ainsi que toute créature." Enfin, il faut "posséder Dieu, le rechercher et 1'aimer, mais 1'aimer seulement pour lui-même."
5-2-2-Désirer, prier, réclamer
La seconde manière d'honorer Dieu, qui naît de la charité, compte aussi trois procédés: désirer, prier et réclamer; "désirer dans le cœur, prier de bouche et réclamer d'esprit." Nous devons désirer la grâce et l'aide de Dieu. La grâce de Dieu, qui nous communiquera l'esprit de la crainte filiale, nous fera demander l'esprit de piété et l'esprit de science. La piété nous fera devenir "doux, cléments, humbles et miséricordieux." L'esprit de science "nous permettra d'agir devant Dieu et aux yeux de tous les hommes avec honnêteté de mœurs, en toute sincérité de paroles et d'œuvres..."
Et nous pourrons alors plus facilement supporter la souffrance.
"Nous prierons encore notre Père céleste, afin qu'il nous donne l'esprit de force, qui nous rendra capables de vaincre tout ennemi... Nous prierons le Père des lumières et de toute vérité de nous donner l'esprit de conseil..." afin de suivre le Christ et de devenir ses vrais disciples. Et nous réclamerons l'Esprit de Sagesse "qui nous inspirera le dégoût et le mépris de tout ce qui passe. C'est alors que nous serons capables de voir, de goûter et de sentir la douceur de Dieu, qui est un abîme sans fond... Nos supplications iront vers notre Père céleste, afin qu'il nous rende semblables à lui et nous fasse suivre son Fils, pour posséder avec eux la gloire qui leur appartient dans l'unité du Saint-Esprit, éternellement et sans fin."
5-2-3-Rendre grâces à Dieu, Le louer, Le bénir
La troisième méthode, enfin, nécessite trois exercices: rendre grâces à Dieu, Le louer et Le bénir. C'est pour nous et pour notre bonheur que le Seigneur a créé le ciel et la terre... Mais nous sommes tombés dans le péché, et pour nous en délivrer, le Père envoya son Fils qui prit notre fardeau, et se fit obéissant jusqu'à la mort, afin de nous faire vivre avec lui dans sa gloire éternellement et sans fin.
Rendre grâce à Dieu relève de la simple justice. "Nous devons encore remercier, louer et bénir notre cher Seigneur Jésus-Christ, qui est un avec le Père, de nous avoir donné et livré sa chair, son sang et sa glorieuse vie dans le saint Sacrement... En retour, nous devons offrir à notre Père son Fils blessé, martyrisé et mort par amour pour nous..."
Nous devons aussi remercier et louer Notre-Seigneur Jésus-Christ à cause de la grandeur de Marie conçue du Saint-Esprit, vierge et mère tout ensemble. "La grandeur de Marie, en vertus et en sainte vie, nul ne peut la décrire ni la rendre. D'humilité profonde, de haute pureté, d'une charité large et abondante, elle est pleine de miséricorde pour tous les pécheurs qui la supplient. Elle est la mère de toutes grâces et de toutes faveurs, notre avocate et notre médiatrice auprès de son Fils qui ne peut rien lui refuser... C'est pourquoi nous devons le remercier et le louer du grand honneur qu'il a fait à sa mère et à nous tous dans la nature humaine; car l'ingratitude fait tarir la source des grâces de Dieu."
Remercier, louer et bénir Dieu, il en sera éternellement ainsi. Déjà tous les anges et les saints dans le ciel chantent la louange éternelle de Dieu. "Tous rendent grâces à Dieu et ils l'adorent et le louent et le bénissent parce qu'il est leur Dieu, ils 1'aiment et jouissent de lui éternellement pour sa gloire."
Brusquement, Ruysbrœck interrompt sa présentation de l'Échelle d'amour et introduit une longue digression sur plusieurs nouveaux sujets consacrés aux anges, à l'humilité et à l'enseignement de Jésus. Afin de conserver l'unité de notre présent exposé, nous quittons momentanément la pensée et le raisonnement de Ruysbrœck, et nous passons directement aux sixième et septième degrés de l'Échelle d'amour.
Nous retrouverons plus loin la doctrine de Ruysbrœck sur les anges, sur l'humilité et l'enseignement de Jésus-Christ, notre modèle. Ensuite, nous nous émerveillerons des mélodies célestes qui, sur la terre, sont la mise en œuvre des vertus. Nous serons alors peut-être étonnés de constater que Ruysbrœck conclut sa très longue digression sur les anges, l'humilité, les vertus, les mélodies célestes et le jugement par cette phrase: "Et ainsi j'en ai fini avec le cinquième degré de notre échelle céleste."
Oui, étonnant pour nous... Pourtant c'est alors seulement que Ruysbroeck abordera les sixième et septième degrés de l'échelle d'amour que nous vous présentons immédiatement.
6-LE SIXIÈME DEGRÉ D'AMOUR[3]
Ruysbrœck admire ici les trois propriétés de l'âme contemplative, propriétés qui jaillissent de "là où nous sommes unis à Dieu": claire intuition, pureté d'esprit et de mémoire[4]: "Qui veut en faire l'expérience doit offrir à Dieu toutes ses vertus et ses bonnes œuvres, sans envisager aucune récompense. Et, par-dessus tout, il doit s'offrir lui-même et s'abandonner à la libre disposition de Dieu, pour progresser toujours, sans regarder en arrière, dans une vive révérence..."
Celui qui veut obtenir cette grâce doit se préparer: "Sa vie extérieure et sensible doit être bien réglée et ordonnée en bonnes œuvres. Sa vie intérieure doit être remplie de grâces et de charité, riche en toutes vertus; sa mémoire exempte de soucis et de sollicitudes... entièrement délivrée de toute image; son cœur libre, ouvert et élevé au-dessus de tous les cieux; son intelligence vide de toute considération et nue en Dieu...
C'est l'habitation de Dieu en nous, où nul ne peut opérer que Dieu seul... Là, toutes choses se transforment, sont une seule vérité, une seule image dans le miroir de la sagesse de Dieu..."
Alors seulement, estime Ruysbrœck, nous avons une vie contemplative. Dans le Père nous "commençons tout bien, avec une intelligence nue, dans une vue claire, sans image.
En son Fils nous contemplons toute vérité, avec une intelligence éclairée, dans la lumière divine.
Dans le Saint-Esprit nous achevons toutes nos œuvres. Là où nous sommes ravis hors de nous avec un amour purifié devant la face de Dieu, là aussi nous sommes affranchis et vides de tout événement et de tout rêve." (Chapitre 13)
7-LE SEPTIÈME DEGRÉ D'AMOUR[5]
7-1-La béatitude immense
Le septième degré, "existe lorsque, au-dessus de toute connaissance et de tout savoir, nous découvrons en nous un non-savoir sans limite..." Nous nous perdons alors dans un éternel inconnu et nous découvrons un repos et "une béatitude immense, où nous sommes tous un, cet "un" même qui est la béatitude même dans son essence..." Et nous contemplons les esprits bienheureux "abîmés, écoulés et perdus dans leur superessence au sein d'une ténèbre qui défie toute détermination ou connaissance. Nous contemplerons le Père, le Fils et le Saint Esprit, trine en personnes, un seul Dieu en nature, qui a créé le ciel et la terre et tout ce qui existe. Nous l'aimerons, le remercierons et le louerons à tout jamais."
Ruysbrœck dit qu'en Dieu il y a "agir et être en repos." Cependant, "l'amour veut toujours agir, car il est une éternelle opération avec Dieu. Mais la jouissance réclame le repos, car c'est, au-dessus de tout vouloir et de tout désir, l'embrassement du bien-aimé par le bien-aimé, dans un amour pur et sans images; là où le Père conjointement avec le Fils s'empare de ceux qu'il aime dans l'unité de jouissance de son Esprit au-dessus de la fécondité de la nature; là où le Père dit à chaque esprit dans une complaisance éternelle : 'Je suis à toi et tu es à moi; je suis tien et tu es mien; je t'ai choisi de toute éternité.'
Il naît alors entre Dieu et ses bien-aimés une telle joie et complaisance mutuelle, que ceux-ci sont ravis hors d'eux-mêmes, se fondent et s'écoulent pour devenir en jouissance un seul esprit avec Dieu, tendant éternellement vers la béatitude infinie de son essence..."
7-2-Aimer l'amour
Ruysbrœck va encore plus loin, parlant de ceux dont les puissances sont embrasées d'une brûlante charité, et dont l'esprit est élevé à l'intelligence pure d'images. Ici la loi d'amour est à son sommet... Par le Christ qui vit en nous, Dieu le Père habite en nous, et nous en Lui, et l'Esprit-Saint crie en nous: "Aimez l'amour qui vous aime éternellement." De là naît une grande impatience intérieure, car "l'amour ne se tait pas; il crie éternellement, sans trêve: 'Aimez l'amour!'... Dieu vit en nous avec ses grâces, il nous enseigne, il nous conseille, il nous commande l'amour."
Ici Ruysbrœck est obligé de constater que ce combat est inconnu de ceux qui ne le vivent pas. Il rejoint ce qu'il avait déjà écrit dans Les noces spirituelles: "On entre dans une jouissance oisive pour sortir dans les bonnes œuvres et demeurer toujours uni à l'Esprit de Dieu... "
Et il précise: "Nous vivons de Dieu et nous demeurons toujours un avec Dieu. Il faut donc sortir dans l'œuvre de la vie sensible, puis rentrer[6] par l'amour et s'attacher à Dieu, pour lui demeurer toujours uni sans changement... Nous devons toujours monter et descendre les degrés de notre échelle céleste dans les vertus intérieures et les bonnes œuvres extérieures, selon les commandements de Dieu et les prescriptions de la Sainte Église... Nous sommes morts au péché et un seul esprit avec Dieu. Là, nous naissons à nouveau du Saint-Esprit comme fils élus de Dieu[7]... Là, nous sommes tous un seul feu d'amour... Chaque esprit est un charbon ardent, que Dieu a allumé dans le feu de son amour infini..."
7-3-Dans la Sainte Trinité
Ruysbrœck tente alors de conclure par cette constatation difficile à comprendre, mais qu'il veut préciser en revenant à la Sainte Trinité: "Là, on ne nomme ni le Père, ni le Fils, ni le Saint-Esprit, ni aucune créature, mais une seule essence, qui est la substance même des personnes divines. Là, nous sommes tous réunis avant même d'être créés: c'est notre superessence... Mais dans la nature féconde, le Père est un Dieu tout-puissant, créateur et auteur du ciel et de la terre et de toutes les créatures. Et de sa propre substance il engendre son Fils, sa Sagesse éternelle, un avec lui en nature, distinct en personne, Dieu de Dieu, par qui toutes choses sont faites. Enfin, du Père et du Fils procède, dans l'unité de nature, le Saint-Esprit, la troisième personne, l'amour infini qui les tient éternellement embrassés."
Suit une véritable profession de foi: "Dieu est Unité dans sa nature, Trinité en fécondité, trois personnes réellement distinctes. Et ces trois personnes sont Unité dans la nature, Trinité dans leur fonds propre. Dans la nature féconde de Dieu, il y a trois propriétés, trois personnes distinctes de nom et de fait, dans l'unité de nature. Dans l'opération chaque personne possède en elle la nature tout entière et est ainsi le Dieu tout-puissant, en vertu de la nature et non en vertu de la distinction personnelle. Les trois personnes ont ainsi une nature indivisée et, à cause de cela, elles sont un seul Dieu en nature et non pas trois Dieux selon la distinction des personnes. Et ainsi Dieu est trois selon les noms et les personnes, et un en nature: il est Trinité dans sa nature féconde, et la Trinité est le fonds propre des personnes et Unité dans la nature.
Et cette Unité, c'est notre Père céleste, créateur tout-puissant du ciel et de la terre et de tout ce qui est... Il nous est donné de le chercher... Et par le moyen de notre vie vertueuse et de sa grâce, nous vivons en lui et lui en nous avec tous ses saints... Père et le Fils nous ont saisis, embrassés et transformés dans l'unité de leur Esprit. Là nous sommes avec les personnes divines un seul amour et une seule jouissance; et cette jouissance est consommée dans l'essence sans mode de la divinité. Là nous sommes tous avec Dieu une simple et essentielle béatitude: et là on ne nomme ni Dieu ni créature selon le mode de la personnalité. Là nous sommes tous avec Dieu..." (Chapitre 14)
8-LES MOYENS À PRENDRE POUR ARRIVER
À UNE TRÈS HAUTE CONTEMPLATION
Nous avons vu plus haut qu'après avoir présenté le cinquième degré de l'Échelle d'Amour spirituel, Ruysbrœck s'était interrompu, au cours du chapitre 9, pour entamer un certain nombre de digressions avant de passer aux deux derniers plus hauts degrés. Revenons maintenant en arrière, là où, sans que nous comprenions vraiment pourquoi, il présente les divers chœurs des anges et leurs différentes missions; et où, ensuite, il s'attarde sur la vertu qui pour lui est fondamentale: l'humilité, vertu que Jésus-Christ, notre exemple, a mise en œuvre d'une façon parfaite.
En effet, seule l'humilité nous permet de monter les deux derniers degrés de l'échelle d'amour, à condition de suivre également les commandements de Dieu et les conseils de Jésus. Nous sommes alors en mesure d'écouter les chœurs célestes, puis de les chanter avec les anges. Sur la terre, nous ne pouvons pas chanter ces mélodies, ou plutôt, enseigne Ruysbrœck, nos seuls couplets possibles sont de vivre pleinement l'humilité, l'abandon à la volonté de Dieu, la souffrance acceptée, et l'offrande de nos bonnes œuvres. Nous serons alors prêts pour le jugement et la béatitude éternelle totalement unis à Dieu et ravis en Lui.
8-1-Les anges
Ruysbrœck présente rapidement les neuf chœurs des anges, et leur mission auprès des hommes. La hiérachie supérieure composée des Trônes, des Chérubins et des Séraphins, sont au-dessus de notre lutte contre le péché, mais ils sont avec nous quand "nous sommes élevés vers Dieu en toute paix, contemplation et amour éternel."
La hiérarchie moyenne des anges: "les Principautés, les Puissances et les Dominations, nous est donnée pour combattre avec nous contre le démon... contre tout ce qui constitue un obstacle dans le service de Notre-Seigneur. Ils nous ordonnent et nous gouvernent, et nous aident à mener jusqu'au bout une vie intime ornée de toutes les vertus..."
L'honneur de Dieu est l'œuvre des Principautés, (quatrième chœur des anges), la gloire de Dieu est la mission des Puissances, (cinquième chœur des anges), la contemplation de Dieu la tâche des Dominations, (sixième chœur des anges).
Quand il développera l'enseignement de Jésus, Ruysbrœck n'hésitera pas à écrire: "Les anges de Dieu qui appartiennent au dernier chœur nous assistent tous les jours de notre vie, afin de pouvoir nous présenter devant la face du Seigneur, purs et sans aucune souillure de péché. C'est là le premier stade et le degré inférieur d'une vie active."
8-2-L'humilité et l'abandon à Dieu
L'homme vraiment humble "s'indigne et s'irrite contre lui-même, se sentant impuissant à faire autant de bien qu'il voudrait... Mais il ne sait et ne sent plus qu'une seule chose: louer Dieu et le servir..." Comme il ne peut y réussir, "il tombe aux pieds du Seigneur en disant: 'Seigneur, je ne puis m'acquitter envers vous, je m'abandonne moi-même et me livre entre vos mains; faites de moi tout ce que vous voudrez.' À cet humble abandon, Notre-Seigneur donne son esprit de liberté et de vérité... afin que l'homme ne mette sa complaisance qu'en Lui..."
On est là "à la racine de la charité et de toute sainteté dans la vie intérieure... Dieu répand alors sa grâce et l'homme intérieur offre en retour à Dieu toutes ses œuvres..."
Dieu peut maintenant parler à l'intime de l'âme, mais sans parole extérieure: "Chère bien-aimée, je suis tien et tu es mienne; je me donne à toi par-dessus tous mes dons, et, en retour, je te réclame et je t'attire en moi au-dessus de toutes tes bonnes œuvres..."
L'âme sent alors un bonheur immense, infini, qu'elle ne peut comprendre, dans lequel elle s'écoule entièrement. En elle l'amour s'écrie: "Remerciez, louez, honorez votre Dieu: c'est le conseil de l'amour et son commandement." (Chapitre 9)
8-3-L'enseignement du Christ
Le Christ, pendant sa vie sur la terre, nous a enseigné deux voies qui peuvent nous conduire à la vie éternelle: les commandements de Dieu et ses conseils. Il nous dit: "Vous devez tout abandonner si vous voulez croître dans la vie intime. Si vous en êtes capable, vous devenez alors disciple du Christ et pauvre en esprit..." Nous pouvons alors suivre le Christ. Mais le Christ dit encore: "Qui veut venir après moi, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive... Si donc nous voulons, à notre tour, être parfaits dans la charité et dans la vie intime, il faut nous abandonner entièrement nous-mêmes à la très chère volonté de Dieu..." C'est alors seulement notre charité sera parfaite envers Dieu et envers le prochain.
Ruysbrœck pense aussi à tous ceux qui n'étant pas religieux, peuvent cependant atteindre des niveaux élevés sur les chemins qui mènent à Dieu. Il écrit: "Mais il est aussi une voie commune pour aller vers Dieu: c'est celle des commandements du Seigneur. Le Christ dit, en effet: 'Si vous voulez être sauvé, observez les commandement.' Et il dit encore: 'Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour...' Car aimer, poursuit Ruysbrœck, c'est le premier et le plus grand des commandements, et personne ne peut aimer s'il ne vit dans la foi chrétienne. À celui qui croit, tout est possible..."
Pourtant, ce n'est pas tout: Il faut aussi régler sa vie sur les commandements de Dieu et "fuir les sept péchés capitaux... jeûner et observer les fêtes... être empressé à toutes bonnes œuvres..." et par-dessus tout: être fidèle à Dieu. Cela, c'est le premier stade de "la vie active." Le second stade, voie plus élevée dans la vie active, c'est la patience qui ne sait nuire à personne, car elle naît de la charité. L'homme patient "vit dans la paix de Dieu. Il est humble, doux et obéissant, bienveillant, affable et courtois, simple, sans feinte, prêt à tout supporter, plein de souplesse enfin à l'endroit de tout bien..."
L'homme qui a atteint ce deuxième stade de la vie active, ressemble alors aux archanges, le deuxième chœur, qui président "à tous les anges de l'ordre inférieur dans la première hiérarchie... Il y a, enfin, un troisième stade, où toute vie active agréable à Dieu arrive à son plein achèvement."
Ruysbrœck se résume afin d'être plus clair: "Voyez: lorsqu'un homme simple observe la loi et les commandements, parce que Dieu le veut et l'ordonne, et non pas par coutume ni par nécessité, il est juste et agréable à Dieu dans le degré le plus humble de vie."
Pour nous, quelle leçon d'humilité! Et Ruysbrœck de poursuivre: "Puis, lorsque l'homme s'élève et devient orné intérieurement de vertus nombreuses... il est alors beaucoup plus agréable à Dieu que le commun des hommes dans le chœur inférieur... Et lorsqu'il porte ses regards et les fixe sur son Dieu avec confiance et dans la foi chrétienne... il possède alors le troisième stade, où toute vie active se consomme. On y ressemble vraiment aux anges du troisième chœur dans la hiérarchie inférieure, qui portent le nom de Vertus."
Ruysbrœck conclut son exposé: "Voilà donc une vie active parfaite, composée de trois stades qui nous mènent à la vie éternelle et de plus en plus haut, selon que nous profitons des grâces et suivant notre mérite devant la face de Dieu."
8-4-Les obstacles
Mais attention! Il y a beaucoup d'écueils sur le chemin de la haute contemplation... Aussi Ruysbrœck met-il en garde ses lecteurs contre ceux qui se trompent sur eux-mêmes. On rencontre beaucoup de gens "remplis de complaisance pour eux-mêmes... qui ne sont ni détachés d'eux-mêmes, ni mortifiés dans leur vie... Ils peuvent être doués d'intelligence et de raison subtile, mais ils se complaisent en eux-mêmes et cherchent à plaire aux hommes, et c'est là se détourner de Dieu et la racine principale de tout péché.
De tels hommes cherchent à s'élever au-dessus des autres... Ils ne veulent se soumettre sincèrement à personne... et ils veulent toujours avoir raison vis-à-vis de leurs contradicteurs. Ils se vexent facilement, ils sont mécontents, irascibles, susceptibles, mauvais, durs et hautains dans leurs paroles, dans leurs actes et dans leur attitude... Il est impossible de vivre en paix avec eux... car ils ne pensent qu'à épier et juger tout le monde, mais non pas leur propre personne... Ils prennent volontiers la parole parmi les gens de bien, se croyant autorisés à parler devant tous, sages qu'ils sont, à leurs yeux, au-dessus de tous. Sous une attitude humble, ils cachent leur orgueil, et leur haine prend des apparences de justice... Ils craignent de devenir pauvres, misérables et méprisés, vieux et malades..."
Malheureusement il n'y a pas que les gens du monde à agir ainsi, et Ruysbrœck gémit: "On rencontre jusque dans les ordres et dans l'état religieux des gens de cette sorte, tout pleins encore de leur volonté propre et immortifiés en eux-mêmes; ils craignent que quelque supérieur ou prélat n'entre dans leur vie, ne les gêne et n'ait pas pour eux assez d'estime, et ils pensent qu'ils ne pourraient pas supporter chose semblable... ils croient gouverner et ordonner toutes choses mieux et plus sagement que personne... Les louanges données aux autres leur sont pénibles, car ils s'en croient moins estimés..."
Ruysbrœck stigmatise aussi ceux qui refusent Dieu et ses commandements, et il a parfois des remarques très dures. Ainsi, il écrit parfois: "L'incroyant est un charbon d'enfer." Il peut dès lors conseiller: "Ainsi donc que chacun s'éprouve, qu'il examine et juge son esprit et ses penchants naturels, afin de voir s'il ne sent ou ne trouve en lui quelque chose qu'il doive éliminer et vaincre pour acquérir la vraie sainteté."
Incontestablement on ne peut que louer l'expérience et la sagesse de Ruysbrœck.
8-5-Les mélodies célestes
Tous les saints et mystiques ont parlé des chœurs des anges, des mélodies célestes des anges et des saints. Mais leurs chants, leurs concerts étaient seulement les louanges qu'ils adressaient à Dieu. Certaines oreilles mystiques ont pu "entendre" ces merveilleuses hymnes, si harmonieuses, si parfaites, si joyeuses et si contemplatives en même temps. D'une manière étonnante, Ruysbrœck transpose ces mélodies aux œuvres terrestres. Et voici que les chants du ciel sont aussi nos relations d'amour envers Dieu et notre prochain, nos œuvres humaines que Dieu aime quand elles sont très pures. Ruysbrœck écrit:
– "Le premier mode de chant céleste, c'est l'amour envers Dieu et envers le prochain."
Ce chant, c'est Jésus-Christ qui nous l'apprend, car dès l'instant de sa venue sur la terre, Il chantait la gloire de son Père, et la paix à tous les hommes de bonne volonté: "Aimer Dieu et aimer le prochain en vue de Dieu, à cause de Dieu et en Dieu, voilà, en effet, ce qui peut être chanté de plus sublime et de plus joyeux au ciel et sur la terre." C'est le saint-Esprit qui nous donne cette science. Après nous l'avoir appris, le Christ l'entonne. "Et nous tous, de tout notre pouvoir, nous chanterons à sa suite, tant ici-bas qu'au milieu du chœur de la gloire de Dieu. Ainsi l'amour vrai et sans feinte est le chant commun qu'il nous faut connaître tous pour faire partie du chœur des anges et des saints dans le royaume de Dieu."
– Le deuxième mode, c'est l'humilité sincère:
"C'est elle qui constitue la teneur et les finales de tout chant céleste, demeurant en harmonie avec toutes les vertus... C'est la voix la plus douce qui puisse se chanter devant la face de Dieu." Comme le Fils de Dieu s'est humilié et a revêtu la forme d'esclave, nous "devons nous renier et mépriser nous-même, aimer et désirer le mépris, le dédain et l'oubli de tous les autres hommes... L'humilité est le don le plus élevé et le joyau le plus beau que Dieu puisse donner à l'âme aimante, en dehors de lui-même..."
– Le troisième mode de chant céleste consiste à renoncer à notre volonté propre, donc à nous abandonner à la "chère volonté de Dieu...
" Malgré les peines que cela suppose, "l'esprit qui fait volontairement une telle offrande est dans la joie." La nature pleure à cause de la souffrance, et pourtant elle chante la douce mélodie qui n'appartient qu'aux hommes, et pas aux anges. Avec le Christ, notre professeur, nous "la chanterons tous, cette douce mélodie, remerciant et louant le Père céleste qui nous l'a envoyée." Comme et avec le Christ, nous devons, à son exemple, souffrir pour monter dans la gloire du Père.
-"Vient enfin le quatrième mode de chant céleste, le plus intime, le plus noble, le plus élevé, qui consiste à défaillir dans la louange de Dieu..."
À ses bien-aimés, Dieu "donne libéralement sa grâce, ses dons et ses bienfaits... En retour il exige de chacun qu'il lui rende, en actions de grâces, en louanges et en exercice de toutes bonnes œuvres... Car la grâce divine n'est pas donnée inutilement... Notre Père céleste... libéral et avide... veut se donner à nous tout entier, lui et tout ce qu'il est; mais en retour il réclame que nous nous donnions à lui pleinement, avec tout ce que nous sommes. Ainsi son intention et sa volonté sont-elles que nous soyons totalement siens..."
8-6-L'union à Dieu avec ou sans intermédiaire
Certes, "nous ne pouvons devenir Dieu, mais nous lui sommes unis, tout à la fois par intermédiaire et sans intermédiaire
L'intermédiaire pour l'union, c'est la grâce et nos bonnes œuvres.. Notre amour pour Dieu, en effet, est l'œuvre la plus haute et la plus noble dont nous puissions avoir conscience entre nous et Dieu. L'Esprit divin, de son côté, réclame de notre esprit que nous aimions Dieu, que nous lui rendions grâces et que nous chantions ses louanges selon sa noblesse et sa suprême dignité; et là viennent défaillir tous les esprits aimants tant au ciel qu'en terre. Ils s'épuisent et tombent tous sans force devant cette hauteur infinie de Dieu. C'est l'intermédiaire le plus noble et le plus élevé qui puisse être entre nous et Dieu: la grâce de Dieu y est dans sa perfection avec toutes les vertus."
Nous pouvons aussi être unis à Dieu sans intermédiaire, "au-dessus de la grâce et de toute vertu, là où nous portons son image à la cime même de notre nature créée... Lui demeurant à jamais semblables en grâce et en gloire..." Ces notions sont difficiles à comprendre. Heureusement Ruysbrœck ajoute: "L'unité vivante avec Dieu est dans notre essence même: nous ne pouvons ni la comprendre, ni l'atteindre, ni la saisir..." Dans le sanctuaire tranquille du repos de notre être, "l'Esprit du Seigneur se repose et demeure en nous avec tous ses dons... Il réclame de nous le repos et l'unité avec lui au-dessus de toute vertu. De là vient que nous ne pouvons pas demeurer en nous-mêmes avec nos bonnes œuvres, ni au-dessus de nous avec Dieu dans l'état de repos et c'est là le jeu le plus intime de l'amour..."
L'Esprit du Seigneur est repos et fruition du Père et du Fils et de tous ses bien-aimés. "Cette fruition est au-dessus de nos œuvres; nous ne pouvons la comprendre."
Ruysbrœck rejoint ici le quatrième mode de chant céleste, le plus noble qui puisse être chanté au ciel et sur la terre. Pourtant, ajoute notre auteur, "ni Dieu, ni les anges, ni les âmes ne chantent avec une voix corporelle, car ils sont esprits. Ils n'ont ni oreilles, ni bouche, ni langue, ni gosier, ni gorge, pour former un chant..."
Cependant l'Écriture rapporte des cas où Dieu parla directement à des hommes: Abraham, Moïse, les prophètes; même l'ange Gabriel apporta à Notre-Dame le message qu'elle concevrait le Fils de Dieu par la vertu de l'Esprit-Saint. Les esprits peuvent donc se montrer aux hommes... "Oui, mais seulement autant qu'il plaît à Dieu de le permettre. Cependant, dans la vie éternelle ceci ne sera pas nécessaire. Car nous contemplerons alors avec les yeux de l'intelligence la gloire de Dieu..."
8-7-Que se passera-t-il le jour du jugement?
"Au jugement de Dieu, nous ressusciterons avec nos corps glorieux... et chacun aura sa marque spéciale en honneur et en gloire... Et le Christ, notre chantre et maître de chœur, chantera de sa voix triomphante et douce un cantique éternel, c'est-à-dire louange et honneur à son Père céleste. Et tous nous chanterons ce même cantique d'un esprit joyeux et d'une voix claire, éternellement et sans fin... Nous entendrons, dirons et chanterons la louange de Notre-Seigneur avec des voix sans défaillance. nous contemplerons tous les corps glorieux... et notre vie sensible sera toute remplie extérieurement et intérieurement de la gloire de Dieu..."
Ruysbrœck conclut: "Nos corps et nos sens, avec lesquels nous servons Dieu maintenant, seront glorifiés et béatifiés, de cette même gloire dont brille le corps du Christ, pour le service dont il s'est acquitté envers Dieu et envers nous-mêmes. Nos âmes... seront alors des esprits bienheureux et glorieux, comme sont bienheureux et glorieux l'âme du Christ, les anges et tous les esprits, qui aiment, remercient et louent Dieu. Et par le Christ nous serons ravis en Dieu et nous serons un avec lui dans la fruition et dans la béatitude éternelle."
Curieusement, nous l'avons mentionné plus haut, alors que Ruysbrœck paraît nous avoir montré les plus hauts sommets de l'union à Dieu, il conclut sa longue digression sur les anges, l'humilité, les mélodies célestes et le jugement, par cette phrase: "Et ainsi j'en ai fini avec le cinquième degré de notre échelle céleste." Ruysbroeck traitera alors des sixième et septième degrés de l'Échelle d'amour que nous avons présentés plus haut.
Remarque: Le lecteur ne doit pas être étonné par le fait que nous ne suivions pas, pas à pas, les textes Ruysbrœck. Si nous avons modifié la présentation de ses textes, c'est afin de les rendre plus compréhensibles aux lecteurs du XXIe siècle.
[1] Les moines de Wisques indiquent que le cinquième degré d'amour correspond à la voie illuminative. Si, en effet, le premier degré appartient aux commençants, le second, le troisième et le quatrième à ceux qui progressent par la voie purgative, le cinquième achemine, par la voie illuminative, vers le sommet de la perfection.
[2] Voir Les sept degrés de l'Échelle d'amour, les chapitres 6 à 8.
[3] L'âme contemplative, dont il est parlé ici, n'est pas au sommet de la contemplation; elle est seulement introduite dans l'union sans intermédiaire. Tout ce sixième degré précède la pénétration jusqu'à l'essence sans mode de Dieu, pénétration qui fera l'objet du septième degré d'amour.
[4] Selon les moines de Wisques, la claire intuition se rapporte à l'intelligence, la pureté d'esprit à la volonté et celle de la mémoire à l'affranchissement de la haute mémoire. Ceci est également décrit au ch. 17 du Miroir du salut éternel.
[5] Ici Ruysbrœck s'occupe de la jouissance, qui consiste dans l'union avec l'essence divine qui est, pour l'âme aimante, la béatitude immense où nous sommes tous un.
[6] Ces termes: "sortir" et "entrer" sont très utilisés dans Les Noces spirituelles.
[7] Conformément à la doctrine souvent exposée par Ruysbrœck, le labeur surnaturel de la vie vertueuse ou active, tend toujours vers le repos de la vie contemplative. Le labeur fait ressembler à Dieu, qui opère sans cesse dans sa nature féconde. Le repos de jouissance unit à lui dans la béatitude la plus simple, où Ruysbrœck envisage Dieu dans le repos de son unité. Les moines de Wisques rappellent que les termes employés par Ruysbrœck doivent être pesés avec le plus grand soin, afin de ne leur point donner couleur de panthéisme ou de quiétisme. Il faut se souvenir que Ruysbrœck fut affronté à des hérésies, celle de la femme Bloemardinne, par exemple, qu'il chercha à révéler et à combattre.
Lotfi- Dans la prière
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Re: Littérature spirituelle
Bonjour " LOFTI "..!
Admirable RUYSBROEK!!!
Un sacré champion!
Excellent , Excellent ce texte, cher ami ,
bien "choisi ", comme d'habitude!!
- si je puis me permettre ?.. -
Bonne journée à TUNIS, sans doute ?
Merci, vraiment!!
Ralph
Admirable RUYSBROEK!!!
Un sacré champion!
Excellent , Excellent ce texte, cher ami ,
bien "choisi ", comme d'habitude!!
- si je puis me permettre ?.. -
Bonne journée à TUNIS, sans doute ?
Merci, vraiment!!
Ralph
Re: Littérature spirituelle
Bonjour Heli,helie a écrit:Bonjour " LOFTI "..!
Admirable RUYSBROEK!!!
Un sacré champion!
Excellent , Excellent ce texte, cher ami ,
bien "choisi ", comme d'habitude!!
- si je puis me permettre ?.. -
Bonne journée à TUNIS, sans doute ?
Merci, vraiment!!
Ralph
Of course il est admirable,
Oui à Tunis où la belle chaleur du printemps fut ajoutée à la belle chaleur spirituelle que l'on peut acquérir chaque fois que les coeurs sont moins durs.....et en lisant des extraits des saints qui ont donné leurs vies pour le Seigneur.
Fraternellement
LOTFI
Lotfi- Dans la prière
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Re: Littérature spirituelle
Saint Bernard
...Je dis donc que la charité vraie et sincère, qui provient d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi authentique, est celle qui nous fait aimer le bien du prochain autant que le nôtre.
Car celui qui préfère son propre avantage, ou qui même ne recherche que celui-là, prouve qu'il n'aime pas purement le bien : il l'aime, en effet, pour le profit qu'il en espère, et non pas pour le bien lui-même. Il ne peut donc obéir au conseil du Prophète : " Louez le Seigneur, parce qu'il est bon " (Ps. CXVII, I). Il le loue parce qu'il est bon pour lui, non parce qu'il est bon en soi. Et c'est à lui que s'adresse ce reproche du même Prophète : " Il te louera lorsque tu lui auras fait du bien " (Ps. XLVIII, 19). Tel loue le Seigneur parce qu'il est puissant, tel autre parce qu'il est bon pour lui, tel enfin simplement parce qu'il est bon. La premier est un esclave, qui obéit à la crainte ; le second un mercenaire, qui désire un gain ; le troisième un fils, qui agit par déférence envers son père. Celui qui craint et celui qui désire ne songent qu'à eux-mêmes. Seul l'amour du fils ne recherche pas son propre intérêt (Cor. XIII, 5). Aussi, je crois que c'est de lui qu'il est écrit : " La loi du Seigneur est sans tache et convertit les âmes " (Ps. XVIII, , car seul il peut détourner l'âme de l'amour d'elle-même et du monde, pour l'orienter vers Dieu. Ni la crainte, ni l'amour égoïste ne convertissent l'âme. Ils changent parfois le visage ou le comportement, jamais le coeur. Sans doute arrive-t-il qu'une âme esclave fasse l'oeuvre de Dieu, mais comme elle ne le fait pas de son plein gré, on voit bien qu'elle s'obstine dans sa dureté. Le mercenaire aussi agit bien, parfois, mais puisque son acte n'est jamais gratuit, on découvre qu'il cède encore à sa cupidité. Là où règne le sens propre, il y a toujours quelque isolement égoïste, qui ne va pas sans de certains recoins où s'accumulent la poussière et la rouille. L'esclave, donc, a pour loi cette crainte qui le retient, et le mercenaire cette avarice qui résiste en lui aux tentations. Mais ni l'une ni l'autre de ces lois n'est sans tache et ne saurait convertir les âmes. La charité seule en a le pouvoir, parce qu'elle les rend actives et volontaires.
Je dirai que la charité est sans tache, puisqu'elle ne garde pas pour elle-même ce qu'elle possède. N'ayant rien en propre, il faut qu'elle tienne de Dieu tout ce qu'elle a ; et ce qui émane de Dieu ne peut être souillé. La charité est donc la loi immaculée du Seigneur, puisqu'elle n'est pas en quête de son propre avantage, mais du bien commun. On la nomme loi du Seigneur, soit parce que le Seigneur vit d'elle, soit parce que nul ne la possède qui ne la tienne de lui. Ne jugez pas qu'il soit absurde de dire, comme je le fais, que Dieu vit de la loi, car je ne le dirais pas d'une loi qui ne serait pas la charité. N'est-ce pas la charité qui maintient dans la Trinité bienheureuse cette souveraine et ineffable unité ? La charité est donc une loi, et la loi du Seigneur, elle qui, en quelque sorte, soude la Trinité dans l'unité et la rassemble dans un lieu de paix. Mais n'allez pas croire que je prenne ici la charité pour une qualité ou pour quelque accident, car alors je dirais, Dieu m'en préserve, qu'il y a en Dieu quelque chose qui n'est pas Dieu. La charité est la substance même de Dieu. Cette proposition n'est ni neuve, ni insolite, puisque saint Jean dit : Dieu est charité (I Jn, IV, . On peut donc l'appeler charité, et Dieu, et don de Dieu. Ainsi, la Charité donne la charité : la Charité substance donne la charité accident. Appliqué à celui qui donne, le mot désigne la substance ; appliqué au don, il est le nom d'une qualité.
La charité est la loi éternelle, qui crée l'univers et le gouverne. C'est elle qui a constitué toutes choses en poids, en mesure et en nombre. Rien n'est soustrait à la loi, puisqu'elle-même, loi de l'univers, n'est pas sans loi, mais a une loi qui n'est autre qu'elle-même et par laquelle, si elle ne s'est pas créée, elle se gouverne toutefois.
D'ailleurs l'esclave et le mercenaire ont une loi, qu'ils ne tiennent pas du Seigneur, mais d'eux-mêmes : le permier se l'est faite en n'aimant pas Dieu, le second en lui préférant autre chose. Ils ont, je le répète, une loi qui n'est pas de Dieu, mais d'eux-mêmes ; et pourtant elle est soumise à la loi qui vient de Dieu. Ils ont bien pu se faire chacun sa loi propre ; mais ils n'ont pas pu la soustraire à l'ordre immuable de la loi éternelle. Or, je prétends que chacun s'est donné une loi particulière, puisqu'il a préféré sa propre volonté à la loi commune et éternelle, dans l'intention perverse d'imiter son Créateur : comme Dieu est à lui-même sa propre loi et ne connaît point d'autre norme, ils sont tenté de se gouverner par eux-mêmes, sans autre règle que leur volonté. C'est là un joug pesant, insupportable, qui fait ployer la nuque de tous les fils d'Adam, à tel point que notre vie, hélas, approche de l'enfer (Ps. LXXXVII, 4). Homme infortuné que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort (Rom. VII, 24) ? J'en suis accablé, presque écrasé, et si le Seigneur ne me venait en aide, il s'en faudrait de peu que mon âme habitât déjà l'enfer (Ps. XCIII, 17). Job gémissait sous le poids de ce fardeau : Pourquoi m'as-tu mis en opposition avec toi, pourquoi me suis-je fait insupportable à moi-même (Job. VII, 20) ? En avouant qu'il s'est fait insupportable à lui-même, il montre bien qu'il était devenu sa propre loi et que lui seul était l'auteur de son mal. Mais en disant d'abord à Dieu : tu m'as mis en opposition avec toi, il atteste qu'il n'a pas échappé à la loi de Dieu. Car l'éternelle justice divine veut que quiconque ne s'abandonne pas à la douce conduite de Dieu, soit livré en guise de châtiment à sa propre conduite : pour avoir rejeté le doux joug et le fardeau léger de la charité, il aura à porter malgré lui l'intolérable poids de sa volonté propre.
D'une manière admirable et juste, la loi éternelle a d'abord fait un adversaire de celui qui voulait la fuir, puis elle l'a maintenu dans sa sujétion : il n'a donc pas échappé par ses mérites à la justice, mais il n'a pu rester avec Dieu dans sa lumière, sa paix et sa gloire. Soumis à la puissance, il est exclu de la béatitude.
Seigneur mon Dieu, Pourquoi n'ôtes-tu pas mon péché, pourquoi n'éloignes-tu pas mon iniquité (Job. VII, 21) ? afin que, déposant le faix écrasant de ma volonté propre, je reprenne haleine sous le poids léger de la charité, que je ne sois plus ni contraint par la crainte servile, ni séduit par la convoitise mercenaire. Que j'agisse par ton esprit, cet espirt de liberté qui anime tes fils et qui me rendra ce témoignage que moi aussi je suis l'un de tes enfants (Rom. VIII, 14-16), puisque ma loi aura été la tienne, et que je vis ici-bas par le même principe qui est le tien au ciel. Ceux qui obéissent au précepte de l'Apôtre : " Ne soyez redevables à personne, sinon de l'amour mutuel " (Rom. XIII, , ceux-là sans aucun doute sont en ce monde comme Dieu est ; ni serviteurs, ni mercenaires, mais ses enfants.
PS:
J'ai aimé ce beau texte........Il est source de bonté et de complicité entre la soumission à l'éternel et la recherche d'être juste envers le seigneur
La Charité
...Je dis donc que la charité vraie et sincère, qui provient d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi authentique, est celle qui nous fait aimer le bien du prochain autant que le nôtre.
Car celui qui préfère son propre avantage, ou qui même ne recherche que celui-là, prouve qu'il n'aime pas purement le bien : il l'aime, en effet, pour le profit qu'il en espère, et non pas pour le bien lui-même. Il ne peut donc obéir au conseil du Prophète : " Louez le Seigneur, parce qu'il est bon " (Ps. CXVII, I). Il le loue parce qu'il est bon pour lui, non parce qu'il est bon en soi. Et c'est à lui que s'adresse ce reproche du même Prophète : " Il te louera lorsque tu lui auras fait du bien " (Ps. XLVIII, 19). Tel loue le Seigneur parce qu'il est puissant, tel autre parce qu'il est bon pour lui, tel enfin simplement parce qu'il est bon. La premier est un esclave, qui obéit à la crainte ; le second un mercenaire, qui désire un gain ; le troisième un fils, qui agit par déférence envers son père. Celui qui craint et celui qui désire ne songent qu'à eux-mêmes. Seul l'amour du fils ne recherche pas son propre intérêt (Cor. XIII, 5). Aussi, je crois que c'est de lui qu'il est écrit : " La loi du Seigneur est sans tache et convertit les âmes " (Ps. XVIII, , car seul il peut détourner l'âme de l'amour d'elle-même et du monde, pour l'orienter vers Dieu. Ni la crainte, ni l'amour égoïste ne convertissent l'âme. Ils changent parfois le visage ou le comportement, jamais le coeur. Sans doute arrive-t-il qu'une âme esclave fasse l'oeuvre de Dieu, mais comme elle ne le fait pas de son plein gré, on voit bien qu'elle s'obstine dans sa dureté. Le mercenaire aussi agit bien, parfois, mais puisque son acte n'est jamais gratuit, on découvre qu'il cède encore à sa cupidité. Là où règne le sens propre, il y a toujours quelque isolement égoïste, qui ne va pas sans de certains recoins où s'accumulent la poussière et la rouille. L'esclave, donc, a pour loi cette crainte qui le retient, et le mercenaire cette avarice qui résiste en lui aux tentations. Mais ni l'une ni l'autre de ces lois n'est sans tache et ne saurait convertir les âmes. La charité seule en a le pouvoir, parce qu'elle les rend actives et volontaires.
Je dirai que la charité est sans tache, puisqu'elle ne garde pas pour elle-même ce qu'elle possède. N'ayant rien en propre, il faut qu'elle tienne de Dieu tout ce qu'elle a ; et ce qui émane de Dieu ne peut être souillé. La charité est donc la loi immaculée du Seigneur, puisqu'elle n'est pas en quête de son propre avantage, mais du bien commun. On la nomme loi du Seigneur, soit parce que le Seigneur vit d'elle, soit parce que nul ne la possède qui ne la tienne de lui. Ne jugez pas qu'il soit absurde de dire, comme je le fais, que Dieu vit de la loi, car je ne le dirais pas d'une loi qui ne serait pas la charité. N'est-ce pas la charité qui maintient dans la Trinité bienheureuse cette souveraine et ineffable unité ? La charité est donc une loi, et la loi du Seigneur, elle qui, en quelque sorte, soude la Trinité dans l'unité et la rassemble dans un lieu de paix. Mais n'allez pas croire que je prenne ici la charité pour une qualité ou pour quelque accident, car alors je dirais, Dieu m'en préserve, qu'il y a en Dieu quelque chose qui n'est pas Dieu. La charité est la substance même de Dieu. Cette proposition n'est ni neuve, ni insolite, puisque saint Jean dit : Dieu est charité (I Jn, IV, . On peut donc l'appeler charité, et Dieu, et don de Dieu. Ainsi, la Charité donne la charité : la Charité substance donne la charité accident. Appliqué à celui qui donne, le mot désigne la substance ; appliqué au don, il est le nom d'une qualité.
La charité est la loi éternelle, qui crée l'univers et le gouverne. C'est elle qui a constitué toutes choses en poids, en mesure et en nombre. Rien n'est soustrait à la loi, puisqu'elle-même, loi de l'univers, n'est pas sans loi, mais a une loi qui n'est autre qu'elle-même et par laquelle, si elle ne s'est pas créée, elle se gouverne toutefois.
D'ailleurs l'esclave et le mercenaire ont une loi, qu'ils ne tiennent pas du Seigneur, mais d'eux-mêmes : le permier se l'est faite en n'aimant pas Dieu, le second en lui préférant autre chose. Ils ont, je le répète, une loi qui n'est pas de Dieu, mais d'eux-mêmes ; et pourtant elle est soumise à la loi qui vient de Dieu. Ils ont bien pu se faire chacun sa loi propre ; mais ils n'ont pas pu la soustraire à l'ordre immuable de la loi éternelle. Or, je prétends que chacun s'est donné une loi particulière, puisqu'il a préféré sa propre volonté à la loi commune et éternelle, dans l'intention perverse d'imiter son Créateur : comme Dieu est à lui-même sa propre loi et ne connaît point d'autre norme, ils sont tenté de se gouverner par eux-mêmes, sans autre règle que leur volonté. C'est là un joug pesant, insupportable, qui fait ployer la nuque de tous les fils d'Adam, à tel point que notre vie, hélas, approche de l'enfer (Ps. LXXXVII, 4). Homme infortuné que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort (Rom. VII, 24) ? J'en suis accablé, presque écrasé, et si le Seigneur ne me venait en aide, il s'en faudrait de peu que mon âme habitât déjà l'enfer (Ps. XCIII, 17). Job gémissait sous le poids de ce fardeau : Pourquoi m'as-tu mis en opposition avec toi, pourquoi me suis-je fait insupportable à moi-même (Job. VII, 20) ? En avouant qu'il s'est fait insupportable à lui-même, il montre bien qu'il était devenu sa propre loi et que lui seul était l'auteur de son mal. Mais en disant d'abord à Dieu : tu m'as mis en opposition avec toi, il atteste qu'il n'a pas échappé à la loi de Dieu. Car l'éternelle justice divine veut que quiconque ne s'abandonne pas à la douce conduite de Dieu, soit livré en guise de châtiment à sa propre conduite : pour avoir rejeté le doux joug et le fardeau léger de la charité, il aura à porter malgré lui l'intolérable poids de sa volonté propre.
D'une manière admirable et juste, la loi éternelle a d'abord fait un adversaire de celui qui voulait la fuir, puis elle l'a maintenu dans sa sujétion : il n'a donc pas échappé par ses mérites à la justice, mais il n'a pu rester avec Dieu dans sa lumière, sa paix et sa gloire. Soumis à la puissance, il est exclu de la béatitude.
Seigneur mon Dieu, Pourquoi n'ôtes-tu pas mon péché, pourquoi n'éloignes-tu pas mon iniquité (Job. VII, 21) ? afin que, déposant le faix écrasant de ma volonté propre, je reprenne haleine sous le poids léger de la charité, que je ne sois plus ni contraint par la crainte servile, ni séduit par la convoitise mercenaire. Que j'agisse par ton esprit, cet espirt de liberté qui anime tes fils et qui me rendra ce témoignage que moi aussi je suis l'un de tes enfants (Rom. VIII, 14-16), puisque ma loi aura été la tienne, et que je vis ici-bas par le même principe qui est le tien au ciel. Ceux qui obéissent au précepte de l'Apôtre : " Ne soyez redevables à personne, sinon de l'amour mutuel " (Rom. XIII, , ceux-là sans aucun doute sont en ce monde comme Dieu est ; ni serviteurs, ni mercenaires, mais ses enfants.
PS:
J'ai aimé ce beau texte........Il est source de bonté et de complicité entre la soumission à l'éternel et la recherche d'être juste envers le seigneur
Lotfi- Dans la prière
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Re: Littérature spirituelle
LA SPIRITUALITÉ DE FRÉDÉRIC OZANAM
Par paulette Leblanc
Par paulette Leblanc
En 1983, Jean Paul II déclarait: "Il nous faut remercier Dieu pour ce cadeau qu'il a fait à l'Église en la personne d'Ozanam. On demeure émerveillé de tout ce qu'a pu entreprendre pour l'Église, pour la société, pour les pauvres, cet étudiant, ce professeur, ce père de famille, à la foi ardente et à la charité inventive, au cours de sa vie trop vite consumée!"
1-Un prophète pour son temps et le nôtre
Vers l’âge de 15 ans, collégien à Lyon, Frédéric Ozanam traversa, comme de nombreux adolescents, une crise de la foi. À cette époque, veille de la révolution de 1830, le climat était anti-clérical et agressif vis-à-vis des élèves croyants. Mais son professeur de philosophie, un prêtre, le remit sur pied en lui montrant que la foi et la science ne doivent pas s'exclure l'une l'autre. "C'est ébranler le christianisme, que d'attaquer la raison humaine."
Désormais, Frédéric s'engage devant Dieu à vouer ses jours au service de cette vérité qui lui a donné la paix. A 17 ans, sa foi est solide et il ressent "un immense besoin de religion, et non seulement de christianisme, mais de catholicisme encore".
Nous sommes au début l'ère industrielle, et le peuple est écrasé par la classe possédante. Devant le tableau de la misère, Ozanam comprend qu' "il faut joindre l'action à la parole, affirmer par des oeuvres la vitalité de notre foi". D’où, avec d'autres amis lyonnais montés à Paris comme lui, la fondation d’une "Société de charité", le 23 avril 1833. Il a juste 20 ans.
Cette société deviendra la "Société de Saint Vincent-de-Paul" et c'est la soeur Rosalie Rendu qui leur fera connaître les pauvres du quartier Mouffetard.
Parallèlement à cette action charitable, en 1835, Frédéric Ozanam, pour défendre le catholicisme face à la critique rationaliste virulente, demande à l'évêque de Paris d'instituer des conférences publiques pour la formation du peuple de Dieu. Grâce à cette initiative, Lacordaire pourra commencer les Conférences de Carême de Notre-Dame.
Un Bienheureux pour nous servir de modèle
Par la béatification de Frédéric Ozanam, l'Église reconnaît solennellement, dans la lumière de Dieu et pour l'éternité, à la face de la chrétienté, de la jeunesse en particulier, la sainteté du principal fondateur de la Société de Saint-Vincent de Paul.
Parmi les hommes et les femmes que l'Église a "portés sur les autels" -pour reprendre la formule consacrée-, beaucoup sont des adultes, voués au célibat découlant de leurs engagements sacerdotaux ou monastiques.
Or, voici que nous est proposé comme modèle un homme jeune dont la brève existence (23 avril 1813-8 septembre 1853) n'en fut pas moins d'une exceptionnelle richesse. Car Frédéric Azanam sut vivre toutes les vertus chrétiennes:
– dans sa famille où il porte l'amour familial, conjugal et paternel à un véritable sommet.
– dans ses engagements multiples et divers, mais toujours soutenus par la même vigueur spirituelle, qui ont été mis au service de la Foi, de la Charité, de l'Église, du Pauvre, de la Science, et même de la Démocratie.
– Dans sa vie chrétienne de tous les jours, incarnant à nos yeux un idéal nourri de l'Evangile, répondant aux interrogations de ses contemporains comme aux inquiétudes de notre génération.
On ne saurait, en effet, oublier que le XIXe siècle, celui où vécut et oeuvra Ozanam, fut, comme le sera le XXème siècle, constamment bouleversé par des idées nouvelles et de profondes mutations technologiques, économiques, sociales et spirituelles.
La vie de Frédéric Ozanam rayonne de plus en plus fortement, sur notre monde, ce monde moderne si avide de lumière. Et quand dorénavant nous invoquerons le Bienheureux Ozanam, ce ne sera pas d'abord pour obtenir quelque faveur: ce sera essentiellement pour que notre vie d'homme soit changée et vivifiée par son exemple et son témoignage.
2-Qui était Frédéric Ozanam?
Un prophète, selon la Bible, c’est d’abord un homme, mais un homme inspiré de Dieu. C’est un homme que Dieu envoie aux hommes, dans les temps difficiles, désolés ou bouleversés, pour leur annoncer, leur crier des paroles fortes, dérangeantes, mais aptes à les faire réfléchir et à leur redonner l'espérance, tout en dénonçant les facilités qu’aiment trop leurs paresses naturelles.
2-1-Ozanam, un homme comme nous, fait de chair et de sang
Ozanam fut un homme comme nous, un homme enraciné dans son temps. Ozanam ne fut pas un saint lointain, tellement donné à Dieu, à la piété, aux oeuvres, qu'il pourrait sembler étranger aux passions des hommes. Non, et lorsqu'on se familiarise avec ses écrits et, en particulier, avec son abondante correspondance, lorsqu'on interroge les témoins de sa vie quotidienne, on découvre une âme palpitante, un coeur généreux, jamais satisfait, certes, mais toujours en éveil, battant au rythme de la vie de ses proches, de ses amis, de ses frères dans l'adversité.
Frédéric mena une vie d'homme à part entière; et si cette vie a été transformée, sublimée par une sainteté acquise progressivement, elle ne s'abandonna jamais à l'angélisme. Comme nous tous, Frédéric fut confronté à ce qu'on a justement appelé "le terrible quotidien", au fil des jours dont beaucoup furent gris et sans relief.
Comme tout un chacun, il se soucie de sa santé, du sort des siens, de ses moyens d'existence, de son avenir, de sa réussite, de sa promotion dans l'Université, de l'obtention de tel prix ou de telle décoration ou, tout simplement, de la vie qui fuit et qui ne lui permet pas de pousser jusqu'au bout son oeuvre scientifique. Il faut ajouter qu'en bon Lyonnais, Frédéric ne rechigne pas devant une bonne table ou un bon vin.
2-2-L’amour de la famille
A son père, le docteur Ozanam, Frédéric vouera un véritable culte. Car si le docteur Ozanam est un homme de science, dont les recherches et les travaux se situent à la pointe d'une médecine encore quelque peu archaïque, il est aussi et surtout le type du médecin de famille, infatigable, humain et compatissant, qui considère la médecine comme une vocation: à ses enfants il dira souvent que, pour remplir dignement cette mission, il faut être disposé à donner sa vie pour ses malades. Lors des émeutes sanglantes de 1831 et du choléra meurtier de 1832, on constatera la véracité d'un tel propos.
A côté de sa mère, Frédéric bénéficie de la chaleur de deux autres présences féminines: celle de sa "grande soeur", Elisa, de douze ans son aînée, dont il écrira: "J'avais une soeur, une soeur bien-aimée qui m'instruisait conjointement avec ma mère, et de telles leçons étaient si douces, si bien présentées, si bien appropriées à mon intelligence enfantine que j'y trouvais un véritable plaisir..." Il y a aussi la fidèle servante de la famille, Marie Cruziat, familièrement appelée "la Vieille Marie" ou "Guigui". Agée de 45 ans à la naissance de Frédéric, elle ne mourra qu'en 1857, à 89 ans, après avoir été, durant soixante-douze ans, au service de trois générations d'Ozanam.
2-3-Une enfance éprouvée
Mais ce bonheur a un envers : les deuils répétés, la mort de onze des quatorze enfants de Jean Antoine et de Marie Nantas; dix sont des filles, presque toutes enlevées en bas âge ou mort-nées. Seule avait survécu l'aînée, Elisa, l'ange gardien des petits, l'amie et la compagne de sa mère, la joie de son père qui, bon musicien lui-même, lui avait fait donner des leçons de musique ainsi que de dessin et d'anglais. Et voici que, le 29 novembre 1820, Elisa, cette douce jeune fille gaie et joviale, est elle aussi emportée par la mort à 19 ans.
D'avoir vu son père et sa mère tant pleurer la perte de leurs enfants a dû renforcer la sensibilité native de Frédéric et le rendre attentif, pour la vie, à la douleur de ses semblables. Et puis, d'un foyer dont les ressources ont été souvent limitées, Frédéric a appris que la pauvreté n'est pas seulement la marque de ceux qu'on appelle les pauvres, mais qu'elle rôde souvent, aussi, autour de ceux que l'on nomme bourgeois.
"J'ai envie de rendre grâces à Dieu de m'avoir fait naître dans une de ces positions sur la limite de la gêne et de l'aisance, qui habituent aux privations sans laisser absolument ignorer les jouissances, où l'on ne peut s'endormir dans l'assouvissement de tous les désirs, mais où l'on n'est pas distrait non plus par les sollicitations continuelles du besoin." (lettre à François Lallier, 5 novembre 1836).
L'attention qu'il manifestera toute sa vie à l'égard des ouvriers et des ouvrières, il la doit aussi, probablement, à l'exemple de sa mère qui, quoique accablée par les occupations domestiques, trouvait le temps de se consacrer à la section Saint-Pierre de la Société des Veilleuses, composée d'ouvrières qui, à tour de rôle et bénévolement, passaient la nuit auprès des femmes malades ou en détresse.
Après le décès, à trois mois, d'une petit Louis-Benoît, en 1822, et la naissance, en 1824, d'un dernier enfant, Charles, la famille Ozanam se trouva réduite à trois enfants: Alphonse (1804-1888), qui sera prêtre et recevra le titre de Monseigneur; Charles (1824-1890), qui sera médecin comme son père; et Frédéric, né en 1813.
Le retour au Seigneur des petites soeurs, puis du papa (1837) et de la maman (1839), renforcera naturellement les liens qui unissent les trois frères Ozanam.
2-4-Une sensibilité religieuse exceptionnelle
C'est sur les genoux de sa mère que Frédéric avait appris la grandeur et la douceur de Dieu, le goût de la prière et des vertus pratiques. Le soir, toute la maisonnée se réunissait autour du père, Jean Antoine et de la mère, Marie, pour la prière suivie d’une lecture pieuse. Car l'homme ne vit pas seulement de pain; il a surtout besoin de nourriture spirituelle.
Plus tard, Frédéric se posera, lui aussi, posé des questions sur le sens de la vie, sur l'accord parfois difficile à imaginer entre le monde moderne, travaillé par l'incrédulité et assoiffé de progrès techniques, et les exigences de la Révélation divine. Toute sa vie Frédéric persévérera dans ses devoirs religieux, priera, (son Crucifix était toujours présent sur sa table de travail), recevra les sacrements. L'habitude de l'examen de conscience lui permettra de traquer ce qu'il considère comme les quatre principaux obstacles qui, en lui, gênent l'avancée de la grâce : l'orgueil, l'impatience, la faiblesse, la méticulosité.
2-5-Un esprit tolérant mais lucide
2-5-1-La lucidité
Par rapport à lui-même et à ses défauts, Frédéric est d'une lucidité extraordinaire qui le pousse, d'une part, à demander pardon à ceux et celles que ses mouvements d'humeur ont pu blesser, d'autre part à se maintenir dans une continuelle disposition d'humilité qui ne fera que se renforcer avec les années, les déficiences de sa santé, les épreuves de la fin de sa vie, provoquant chez lui un authentique dépouillement spirituel, jusqu'à l'abandon à la volonté divine. En 1848, il écrit à son ami Foisset: "La jeunesse s'en va et je ne m'aperçois point que j'en devienne meilleur. Voilà que dans trois mois j'aurai 35 ans. En supposant que je fasse le reste du chemin jusqu'au bout, j'ai peur de m'y trouver les mains vides".
Et à Dufieux, en 1850: "Je me connais depuis longtemps, et si Dieu a bien voulu m'accorder quelque ardeur au travail, je n'ai jamais pris cette grâce pour le don éclatant du génie. Sans doute ai-je voulu consacrer ma vie au service de la foi, mais en me considérant comme un serviteur inutile, comme un ouvrier de la dernière heure..." Frédéric compare parfois son travail à celui des tapissiers des Gobelins qui travaillent sur l'envers de la trame, suivant, sans les voir, les dessins d'un artiste inconnu.
2-5-2-La tolérance
Si Frédéric soutient avec fougue ses idées, il n'en demeure pas moins profondément respectueux des positions de ceux qui ne les partagent pas: "Apprenons à défendre nos convictions sans haïr nos adversaires, à aimer ceux qui pensent autrement que nous."
Par contre, il supporte mal l'intransigeance des intolérants, y compris dans l’Église, et, notamment, "les gros bonnets de l'orthodoxie... qui font de leur opinion politique un 13e article du Symbole." C'est ainsi qu'il s'insurge contre certains articles de "l'Univers", journal de Louis Veuillot, chef de file des catholiques intransigeants et adversaires des catholiques libéraux. Ozanam réagit vigoureusement quand on lui reproche ses "reniements", sous prétexte que, homme plein de foi, il use de charité et de tolérance à l'égard de ceux qui ne partagent pas ses opinions.
A son ami Alexandre Dufieux, qui semble ébranlé par les arguments de Veuillot, Ozanam adresse une lettre douloureuse, qui est comme un cri: "Serais-je donc, cher ami, épuisé de fatigue à 37 ans, réduit à des infirmités précoces et cruelles, si je n'avais été soutenu par le désir, par l'espérance de servir le christianisme?... Certainement, je ne suis qu'un pauvre pécheur devant Dieu, mais il n'a pas encore permis que j'aie cessé de croire, que j'aie nié, dissimulé, atténué aucun article de foi..."
Frédéric Ozanam fut vraiment l'homme des Béatitudes évangéliques: pauvre en esprit, doux, de coeur pur, il fut persécuté pour la justice, pour avoir été le chef du "parti de l'amour", celui-là même dont le Christ avait été le fondateur.
Lotfi- Dans la prière
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Re: Littérature spirituelle
FRÈRE VITAL LEHODEY
(1857-1948)
(1857-1948)
INTRODUCTION
Nous avons indiqué dans un chapitre précédent, que Dom Vital, outre la révision du Directoire Spirituel de son Ordre avait été conduit à rédiger deux autres ouvrages très importants, dont Le Saint Abandon. Certes, Dom Vital écrit d’abord pour les religieux, des cisterciens, dont il a la charge. Cependant, ce volumineux ouvrage, présenté selon un plan très clair et très méthodique, peut éclairer de nombreuses autres personnes soucieuses de se développer spirituellement. Dom Vital s’était rendu compte que même ses moines étaient peu formés au niveau de la mystique, et qu’ils avaient besoin d’être informés sur les notions d’abandon à Dieu, parfois entachées d’hérésies, comme par exemple celles du Quiétisme.
Dom Vital se devait donc d’aborder le maximum de points concernant cette notion d’abandon à la volonté de Dieu, et de donner toutes les explications et les exemples nécessaires à la bonne compréhension de notions difficiles et généralement mal comprises. En effet, quand il s’agit de la vie spirituelle, nous savons tous que nombreuses sont, de nos jours, les personnes qui parlent de ce qu'elles ne connaissent pas, même si elles se croient avancées dans la vie spirituelle. Ceci est notamment vrai en ce qui concerne les consolations sensibles. À plusieurs reprises j'ai osé une expérience simple; j'ai demandé à quelques amis ce qu’ils entendaient par cette expression: les consolations sensibles. Les réponses furent étonnantes et quasiment unanimes: "on n’a pas besoin des consolations sensibles." Alors, je leur ai demandé de préciser et d’exprimer ce qu’ils entendaient par ce terme; la plupart furent incapables de répondre, car ils ne savaient pas ce que signifie ce terme: consolations sensibles..
Dom Vital se sentit donc très vite obligé d'approfondir de nombreuses questions concernant la mystique et la vie d'oraison. Ensuite, poussé par le Père capucin, René de Nantes, Dom Vital commença la rédaction du Saint Abandon, en s'inspirant des écrits de grands spirituels connus, et de ses propres expériences. Cet ouvrage considérable est essentiellement un livre d'amour et de confiance. Mais il est aussi un véritable code de vie morale et religieuse; et une porte vers la sainteté.
Remarques importantes
Le Saint Abandon est un très gros ouvrage, essentiellement pédagogique, donc comportant de nombreuses redites. Il a été d'abord été écrit pour des religieux cloîtrés, dont les moines cisterciens.
Pour appuyer ses dires, Dom Vital s'appuie beaucoup sur les exemples des saints: Thérèse d'Avila, Saint François de Sales, Saint Bernard, Gemma Galgani, Saint Alphonse de Liguori, le P. Balthazar Alvarez, sainte Catherine de Gênes, Catherine de Sienne et saint Bernard, etc,... ou sur les bons auteurs qu'il connaissait: le Père Rodriguez, dans sa Pratique de la Perfection chrétienne, le Père Saint-Jure, le Père de Caussade, etc...
"L’idéal que nous avons à poursuivre est celui-ci: d’un côté, laisser la Providence disposer de nous selon tous ses droits; et, de l’autre, ne pas gêner son action paternelle, lui apporter, au contraire, une pleine soumission passive, et toute l’intelligente et active coopération qu’elle attend de nous." (P. Balthazar Alvarez)
Le fait que ce livre s'adresse surtout à des religieux peut troubler quelques personnes "du siècle"... Les religieux sont en effet appelés à une sainteté exceptionnelle. Mais, se trouvant le plus souvent affrontés à eux-mêmes ou à leurs seuls frères, leur vie intérieure peut être à la fois troublée ou même plongée dans de profondes ténèbres. Cependant, le but de leur vie reste toujours l'amour du Seigneur, leur apostolat ainsi que la prière pour le salut des âmes. D'où l'importance de leur sainteté personnelle.
En conséquence, tous les hommes peuvent, et même doivent, se sanctifier, quel que soit leur état de vie. Le livre de Dom Vital peut donc être d'une très grande utilité à tous ceux qui ont un vrai désir de répondre à l'appel de Dieu sur eux, et à se sanctifier.
Pour rédiger ce grand ouvrage, Dom Vital s'est appuyé sur son expérience personnelle: les évènements qu'il vécut, les grands préceptes et les grandes vertus qui construisent une vie vraiment chrétienne, les tentations qu'il dut surmonter. Ses connaissances en matière de direction spirituelle lui furent aussi d'un grand secours. S'étant rendu compte de la méconnaissance de ses moines en matière de mystique, il s'appliqua à approfondir ces questions délicates.
Il résulte des considérations ci-dessus, que l'ouvrage de Dom Vital est un véritable traité de vie spirituelle et mystique.
PRÉSENTATION DE L'OUVRAGE
Dom Vital écrit: "L’idéal que nous avons à poursuivre est celui-ci: d’un côté, laisser la Providence disposer de nous selon tous ses droits; et, de l’autre, ne pas gêner son action paternelle, lui apporter, au contraire, une pleine soumission passive, et toute l’intelligente et active coopération qu’elle attend de nous." Pour cela il s'appuiera sur des guides confirmés: fondateurs d’Ordres, éducateurs de saints et les saints eux-mêmes. Ce sont des modèles et des maîtres ayant eu toute leur vie un parfait respect de la sainte volonté de Dieu.
Pour présenter, dans cette étude, les grandes idées de Dom Vital, nous les regrouperons suivant les principaux thèmes traités, délaissant le plan suivi par l'auteur. La synthèse réalisée, évidemment incomplète, sera plus facile à lire. Les désirs de Dom Vital en matière de vie spirituelle seront ainsi plus aisés à suivre et à mettre en œuvre.
LES PRINCIPAUX THÈMES ABORDÉS
– La volonté divine
Pour Dom Vital la volonté divine est la règle suprême de notre vie, la norme du bien, du mieux, du parfait; plus on s'y conforme, plus on se sanctifie. Et pour les religieux, la volonté de Dieu est signifiée par son principal signe: la sainte Règle à laquelle répond l'obéissance, avec les ordres des Supérieurs.
– Le bon plaisir divin ou l'abandon
Le bon plaisir divin, auquel répond la conformité de notre volonté se déclare par les évènements. La Règle des religieux est pensée pour répondre aux exigences de la vie en Communauté; le bon plaisir divin, par contre, est orientée davantage vers les besoins spirituels personnels.
C'est cette conformité parfaite, amoureuse et filiale, que Dom Vital a étudiée sous le nom de Saint Abandon.
"Le saint abandon achève en nous, avec autant de force que de suavité, le détachement universel, l'amour divin, toutes les vertus. C'est la chaîne la plus puissante et la plus douce, pour captiver notre volonté sous celle de Dieu, dans une union du cœur pleine d'une humble confiance et d'une affectueuse intimité… Il nous procure un délicieux repos.
Le bon Maître révéla à sainte Gertrude la souveraine perfection d'un abandon complet au bon plaisir divin, la joie que trouve son Cœur à voir une âme se remettre aveuglément aux soins de sa Providence et de son amour."
La science de l'abandon n'est pas autre chose que la science du saint amour. "Le hasard n'est qu'un mot."
Les conditions préalables
Le Saint Abandon demande trois conditions préalables:
– le détachement universel,
– une foi vive,
– une confiance absolue en la Providence.
Dom Vital approfondit particulièrement l'obéissance et l'humilité. Il souhaite que ses lecteurs grandissent chaque jour de plus en plus dans la foi et la confiance envers la Providence.
Même nos péchés ne peuvent pas entraver les desseins de la Providence. Dieu les a prévus et même fait entrer dans ses plans. C'est Dieu qui a tout combiné et qui est le Maître souverain des hommes et des événements. Il est notre Père infiniment sage et bon, notre Sauveur qui a donné sa vie pour nous, Il est l'Esprit d'amour.
Nous ne comprenons pas toujours la conduite de la Providence qui parfois nous déconcerte. Sachons que c'est la Sagesse de notre Père des Cieux qui nous permet de ne regarder tous les événements, agréables ou fâcheux, qu'à la lumière de l'éternité. Et si le détachement universel, la foi vive et la confiance en la Providence nous préparent admirablement au Saint Abandon, c'est l'Amour de Dieu et l'accueil de sa sainte Volonté qui l'opèrent en nous. Dom Vital écrit: "Cette sainte et adorable volonté, de signe ou de bon plaisir, si nous savions la voir toujours, l'approuver toujours, nous y attacher toujours, l'accomplir de tout notre cœur, avec amour et fidélité, comme les Anges et les Saints la font au ciel, cette volonté divine aurait vite transformé la face du monde: la sainteté fleurirait partout; partout régneraient la joie dans les cœurs, la charité parmi les hommes, la paix dans les familles et les nations."
Et encore: "Nous, du moins, aimons notre doux Maître, si sage et si bon; faisons de grand cœur tout ce qu'il veut; acceptons avec confiance tout ce qu'il fai : c'est là tout l'homme, tout le chrétien, tout le religieux; c'est le chemin des hautes vertus, le secret du bonheur pour le temps et pour l'éternité."
Car le Saint Abandon ne s'acquiert pas d'un seul coup. Il faut d'abord grandir dans la pratique des vertus, et spécialement de la persévérance, dans la fidélité à la prière, avec une profonde humilité et par l'accueil aimant de la grâce divine.
LA VIE MYSTIQUE
Compte tenu des besoins de ses religieux, et de la complexité du sujet, Dom Vital, dans son livre, Le Saint Abandon, aborde tout naturellement de nombreux autres sujets. Il en résulte que cet ouvrage est un véritable traité de la vie mystique qui doit conduire, tout naturellement, à l'union à Dieu et à la sainteté. Dom Vital traitera longuement:
– De la volonté divine
– Des consolations et les aridités
Pour que chacun puisse avancer en toute sécurité, Dom Vital estime que les confesseurs et les directeurs sont indispensables.
– De l'apostolat et
– Des fruits du Saint Abandon
3-1-Que signifie ce mot: abandon?
Selon Dom Vital, l'abandon se relie à la vertu théologale de charité. "Il ne s'agit pas ici de résignation, mais du mouvement d'amour confiant, par lequel nous nous remettons entre les mains de la Providence, comme un enfant dans les bras de sa mère." Nous nous défaisons tout simplement de notre propre volonté pour la donner à Dieu. Mais comment faire?
1-"D'abord par la sainte indifférence. Sans elle, l'abandon serait impossible. En effet, la volonté de Dieu, signifiée d'avance ou manifestée par les évènements, ne tend jamais qu'à nous conduire à la vie éternelle."
Malheureusement, nous serons souvent en danger de repousser la volonté divine et même de ne plus la voir. Notre volonté a donc besoin de se former d'abord, généralement par un travail patient et de longue haleine, de s'abstenir et de supporter, de faire fi des séductions et de la souffrance; en un mot, il faut qu'elle apprenne ce que les Saints appellent le complet détachement ou la sainte indifférence.
"Cette indifférence n'est pas une insensibilité maladive, ni une lâche et paresseuse apathie; elle n'est pas davantage l'orgueilleux dédain du stoïcien qui disait à la douleur: 'Tu n'es qu'un vain mot." C'est l'énergie singulière d'une volonté qui, vivement éclairée par la raison et la foi, entièrement maîtresse d'elle-même, dans la plénitude de son libre arbitre… Une âme, saintement indifférente, ressemble à une balance en équilibre prête à pencher du côté de la volonté divine, à une matière première également disposée à recevoir n'importe quelle forme, à une feuille de papier toute blanche sur laquelle Dieu peut écrire à son gré . On la compare à une liqueur, qui n'a plus de forme par soi-même; sa forme est le vase qui la contient."
À une âme ainsi disposée, tout semble également bon. "N'être rien, être beaucoup, être peu; commander, obéir à l'un ou à l'autre; être humiliée, être oubliée; manquer ou être pourvue; avoir de longs loisirs ou être chargée de travail; être seule ou en compagnie... voir un long chemin devant soi ou ne voir de la route que ce qu'il faut pour poser le pied; être consolée, ou être sèche, et être tentée dans cette sécheresse; être bien portante, ou maladive et forcée de languir des années; être impuissante, et devenir une charge pour la communauté qu'on était venu servir; vivre longtemps, mourir bientôt, mourir sur l'heure, tout lui plaît. Elle veut tout, parce qu'elle ne veut rien; et elle ne veut rien, parce qu'elle veut tout..." Elle n'est à Dieu qu'un oui vivant. Saint François de Sales appelle cet abandon le 'trépas de la volonté'.
2-La sainte indifférence rend possible la remise entière d'une âme entre les mains de Dieu. "Elle est en permanence dans la disposition filiale à recevoir tout ce que Dieu veut, avec la douce tranquillité d'un enfant dans les bras de sa mère… "
Dom Vital cite saint François de Sales, "le pieux évêque de Genève, qui a une prédilection marquée pour certains termes de comparaison: 'ainsi, dit-il, un serviteur, à la suite de son prince, ne va nulle part par sa volonté, mais par celle de son maître; un voyageur, embarqué dans la nef de la divine Providence, se laisse mouvoir selon le mouvement du vaisseau, et ne doit avoir aucun autre vouloir que celui de se laisser porter au vouloir de Dieu; le petit enfant qui n'a pas encore l'usage de sa volonté, abandonne à sa mère le soin d'aller, de faire et de vouloir ce qu'elle trouvera bon pour lui. Voyez surtout le très doux Enfant Jésus dans les bras de la Bienheureuse Vierge: comme sa toute bonne Mère marche pour lui, elle veut aussi pour lui; il lui laisse le soin de vouloir et d'aller pour lui, sans s'enquérir où elle va, si elle marche vite ou bellement; il lui suffit d'être entre les bras de sa très douce Mère."
3-1-1-L'abandon et la prudence
La sainte indifférence ne nous dispense pas de suivre les règles de la prudence. En particulier, "Dieu veut, bien nous aider, mais à la condition que nous fassions ce qui dépend de nous, et il n'autorise en personne l'imprévoyance et la paresse." Et "s'il y a des événements qui échappent à notre prévoyance et dépendent uniquement du bon plaisir divin, il y en a d'autres où la prudence a largement son rôle à remplir, pour prévenir notamment les éventualités fâcheuses."
Dom Vital fait l'impasse sur la négligence, la dissipation, les attaches et toutes les causes volontaires qui s'opposent à la grâce, mais il ajoute: "Personne n'a le droit de compromettre sa vie par de coupables imprudences, chacun doit avoir un soin raisonnable de sa santé… L'abandon ne dispense pas de la prudence, mais il proscrit l'inquiétude."
3-1-2-Les désirs et la prière dans l'abandon
Certaines personnes se sont imaginé que celui qui avait choisi de s'abandonner totalement à la volonté de Dieu ne devait plus lui faire aucune demande. Dom Vital va réagir contre cette affirmation. Il cite le P. Balthazar Alvarez: “Ne craignez point, disait-il, de désirer et de demander la santé, si vous êtes résolus à l'employer purement au service de Dieu: ce désir lui plaira."
Dom Vital se réfère aussi à Saint Alphonse: “Lorsque les maladies nous affligent fortement, ce n'est pas une faute de les faire connaître à nos amis ni même de demander au Seigneur qu'il nous en délivre. Je ne parle ici que des grandes souffrances.”
Cependant il convient aussi de savoir imiter Notre Seigneur qui accepta la volonté du Père: “Père, non pas comme je veux, mais comme vous voulez.” Et de dire à notre tour, comme saint Alphonse: "Donnez-moi seulement de me ranger de grand cœur à tout ce que vous aurez décidé.”
Cependant Dom Vital pense également à "Saint François de Sales qui nous enseigne à nous porter toujours là où il y a le plus de la volonté de Dieu et à n'avoir pas d'autres désirs… et qui nous exhorte 'à nous rendre pliables et maniables au bon plaisir divin comme si nous étions de cire.' Et de rappeler aussi la fameuse maxime: “Ne rien désirer, ne rien demander, ne rien refuser.”
Dom Vital précise: "Il est toujours mieux de ne rien désirer, mais de se tenir prêt à faire ce que l'obéissance demandera de nous…" Mais lorsque l'humilité parle plus haut que l'esprit de sacrifice, il est préférable de ne rien demander et se remettre entre les mains de la Providence.
3-1-3-La pratique de l'abandon
Il convient de se souvenir que l'abandon n'est pas une vertu passive; au contraire, elle exige parfois de très gros efforts quand on veut la mettre en pratique. Car "Dieu, nous ayant donné le libre arbitre, ne veut pas nous sanctifier sans nous; il réglera son action de telle sorte que notre avancement soit à la fois l'œuvre de sa grâce et de notre libre coopération."
Par ailleurs, l'âme qui se remet entre les mains de Dieu doit s'assurer que son attente de la manifestation de Dieu n'est ni de la paresse, ni du désintéressement. En conséquence, elle doit toujours demeurer prudente
Enfin, dans le Saint Abandon, la charité qui est principalement en exercice met en œuvre d'autres vertus. Il faut toujours s'assurer que ce l'on croit être des "manifestations du bon plaisir divin produisent les fruits que Dieu lui-même en attend pour sa gloire et pour notre bien:
- des événements heureux, la reconnaissance, la confiance et l'amour;
- des épreuves, la pénitence, la patience, l'abnégation, l'humilité etc…
- de toutes ces occurrences, un accroissement de la vie de la grâce, et par suite une augmentation de la gloire éternelle".
On voit donc que "cette amoureuse et filiale conformité n'empêche même pas l'initiative pour la pratique des vertus… et l'on est bien loin d'une pure passivité, où Dieu ferait tout et l'âme n'aurait qu'à recevoir… Nous dirons ailleurs que cette passivité se rencontre, à des degrés divers, dans les voies mystiques, et alors il faut seconder l'action divine et se garder de la contrecarrer; même dans ces voies, la pure passivité est une rare exception.
Ainsi, tandis que les Quiétistes prétendaient s'appuyer sur saint François de Sales, mais bien à tort... l'âme y conserve sa pleine activité pour tout ce qui est de la volonté de Dieu signifiée… La divine bonté, affirme Saint François de Sales, veut bien nous conduire en notre voie, mais elle veut aussi que nous fassions nos petits pas, c'est-à-dire que nous fassions de notre côté ce que nous pouvons avec sa grâce... Cheminons par ces basses vallées des humbles et petites vertus; nous y verrons la charité qui éclate parmi les affections, les lis de pureté, les violettes de mortification."
Et Dom Vital conclut avec la Petite Thérèse, en affirmant qu'un amour vraiment humble, ne pouvant rien faire de grand aux yeux des hommes, cherchera "à ne laisser échapper aucun sacrifice, aucun regard, aucune parole, profiter des moindres actions et les faire par amour, souffrir par amour et même à jouir par amour.”
3-1-4-Le sentiment de la souffrance dans l'abandon
Maintenant Dom Vital met en garde ses lecteurs, et écrit:
"Le sentiment de la souffrance, avec du plus et du moins, se rencontrera forcément dans la simple résignation, et même dans le parfait abandon. En effet, nos facultés organiques ne peuvent point n'être pas impressionnées par le mal, sensible; et nos facultés supérieures ont leur fatigue qu'elles ressentiront, bon gré, mal gré. D'ailleurs, nous sommes dans un état de déchéance, où il y a l'attrait du fruit défendu, l'aversion pour le devoir pénible, et par suite les déchirements de la lutte. Que Dieu nous demande de sacrifier le plaisir ou de supporter la souffrance pour son amour, la partie supérieure de l'âme aura beau se ranger de grand cœur au vouloir divin, l'inférieure pourra sentir encore l'amertume du sacrifice. Et cela ne peut manquer d'arriver souvent; car Dieu est tout occupé à nous purifier, à nous détacher, à nous enrichir; il veut spécialement nous guérir de l'orgueil par les humiliations, de la sensualité par la souffrance et la privation, et, comme le mal est tenace, le remède devra nous être appliqué longtemps et fréquemment. Il est vrai qu'il y aura l'onction de la grâce et la vertu acquise: l'une adoucit la souffrance, et l'autre affermit la volonté. Saint Augustin le proclame avec raison: 'Là où règne l'amour, il n'y a pas de peine; ou bien, si la peine existe, on l'aime.'”
Dom Vital précise: "la crainte, l'ennui, le dégoût, envahissent l'âme et la rendent triste jusqu'à la mort. Parfois même on aura surmonté les plus dures épreuves avec une admirable sérénité et voilà qu'on se trouble pour un rien." Que se passe-t-il? Il se passe que, selon saint François de Sales, Dieu veut nous faire entendre que, si les grandes attaques ne nous troublent point, c'est par la grâce de notre Sauveur. Dom Vital s'appuie sur l'exemple de Notre Seigneur:
"Dès son entrée dans le monde, Notre-Seigneur s'offre à son Père pour être la Victime universelle. Sa vie entière sera croix et martyre… Par son libre choix, il s'abandonne à la peur, à l'ennui, au dégoût; son âme est triste jusqu'à la mort. Il voit la montagne de nos péchés, son Père indignement méconnu, les âmes qui courent aux abîmes, les tortures et l'ingratitude qui l'attendent; il est plongé dans un océan d'amertume. À trois reprises, il implore la pitié de son Père: 'S'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi'. Il accepte qu'un ange du ciel vienne le réconforter. Une sueur de sang l'inonde, il n'en prie que plus longuement: 'Mon Père, que votre volonté se fasse, et non la mienne.'"
Ce spectacle est inouï, et l'homme ne peut le comprendre. Comment imaginer pour Dieu une telle humiliation, "comparable à cette apparence de faiblesse? C'est pour cela qu'il l'a choisie de son plein gré."
Les plus grands saints ont connu ces heures de grande détresse. Dom Vital cite Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus: “Lorsque le divin Sauveur demande le sacrifice de tout ce qui est le plus cher au monde, il est impossible, à moins d'une grâce toute particulière, de ne pas s'écrier comme lui au Jardin de l'Agonie: 'Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi'. Mais, empressons-nous d'ajouter aussi: 'Que votre volonté soit faite, et non la mienne'."
Dom Vital rappelle aussi trois précieux et importants enseignements que Notre Seigneur, notre Maître, nous offre:
– "Ce n'est pas une faute, ni même une imperfection, d'éprouver le sentiment de la souffrance, la crainte, l'ennui, les répugnances et les dégoûts, pourvu que nous ne cessions de dire avec une volonté résolue: Qu'il soit fait, non comme je veux, mais comme vous voulez vous-même.
– Ce n'est ni une faute, ni même une imperfection, d'aller se plaindre à Dieu, avec une amoureuse soumission, comme un enfant blessé se réfugie près de sa mère et lui montre son mal et sa peine." Dom Vital cite encore François de Sales: 'L'amour permet bien de se plaindre, et de dire toutes les lamentations de Job et de Jérémie, mais à charge que toujours le saint acquiescement se fasse dans le fond de l'âme, en la suprême pointe de l'esprit'.
– Ce n'est pas une faute, ni même une imperfection, dans les grandes épreuves, de demander à Dieu qu'il éloigne ce calice, s'il est possible, et de le demander même avec une certaine insistance, puisque Notre-Seigneur l'a fait."
Dom Vital est certain que tous ceux qui veulent se donner totalement à Dieu, auront beaucoup à souffrir. D'ailleurs, le Seigneur lui-même n'a-t-il pas affirmé: "Tout ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ Jésus souffriront persécution. Mais, conclut Notre-Seigneur, bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des Cieux leur appartient. Lorsqu'on vous aura maudits et poursuivis, et qu'on aura dit contre vous toute sorte de mal, à tort cependant, là cause de moi, réjouissez-vous, soyez. dans l'allégresse: votre récompense est grande au ciel, et c’est ainsi qu'on a persécuté les Prophètes avant vous."
Dom Vital va donner quelques exemples. "Saint Pierre d'Alcantara, pénétré de la plus vive compassion pour sainte Thérèse, lui dit qu'une des plus grandes peines dans cet exil, était celle qu'elle avait endurée, c'est-à-dire cette contradiction des gens de bien. Chacun sait que notre bienheureux Père saint Benoît faillit être empoisonné par les siens, et combien nos premiers Pères de Cîteaux eurent à souffrir et de leurs frères de Molesmes et des autres moines de leur temps! Ou encore saint Basile, accusé d'hérésie devant le pape saint Damase; saint Cyrille, condamné comme hérétique par un concile de quarante évêques, puis déposé honteusement; saint Athanase poursuivi sous inculpation de sortilège, et saint Jean Chrysostome pour mauvaises mœurs. Et saint François de Sales qui pendant trois années, passa pour avoir entretenu un commerce criminel avec une personne du monde.
Mais ainsi parlait saint François de Sales: 'Nous devons vouloir notre salut comme Dieu le veut, et, par suite, vouloir et embrasser, d'une résolution absolue, les grâces qu'il nous départ: car il faut que notre volonté corresponde à la sienne.' Et Dom Vital d'ajouter: "Il y aura toujours, parmi des hommes, la diversité des vues et des humeurs."
3-2-Les fondements du Saint Abandon
3-2-1-Objet de l'Abandon
Dom Vital rappelle que "les signes permanents de la volonté de Dieu sont les préceptes de Dieu et de l'Église, les conseils évangéliques, nos vœux et nos Règles, les inspirations de la grâce..." Nous connaissons toutes ces choses; par contre, "le bon plaisir de Dieu n'est pas connu d'avance, il le sera par les événements; pour l'ordinaire, il échappe à notre prévoyance, souvent même il déconcerte nos plans… Pour les évènements du bon plaisir divin, l'abandon est tout indiqué. Il consiste, en effet, dans une attente paisible et confiante, tant que la volonté de Dieu ne s'est pas déclarée, et dans un amoureux acquiescement dès qu'elle se fait jour… Le bon plaisir de Dieu est le domaine de l'abandon, et sa volonté signifiée est le domaine de l'obéissance… L'obéissance est requise dans les choses obligatoires; et celles qui demeurent de simple conseil, il faut au moins les estimer; et n'en pas détourner les âmes plus généreuses."
Dom Vital cite ensuite Bossuet: "L'indifférence chrétienne doit se pratiquer ès choses qui regardent la vie naturelle, comme la santé, la maladie, la beauté, la laideur, la faiblesse, la force; ès choses de la vie civile, pour les honneurs, rangs, richesses; ès variétés de la vie spirituelle, comme sécheresses, consolations, goûts, aridités; ès actions, ès souffrances, et en somme en toutes sortes d'événements…
Dieu diversifie son action suivant les sujets: S'agit-il des mondains, il les sèvre des honneurs, des biens temporels, et des délices de la vie. S'agit-il des savants, il permet que l'on déprime leur érudition, leur esprit, leur science, leur littérature. Quant à ses Saints, il les afflige dans ce qui touche à leur vie spirituelle, à l'exercice de leurs vertus."
Dom Vital met en garde "certaines âmes qui font de grands projets de servir Dieu par des actions éminentes et des souffrances extraordinaires, dont l'occasion ne se présentera jamais peut-être; et, pendant qu'elles embrassent en imagination des croix qui n'existent pas, elles fuient ardemment celles que la Providence leur envoie aujourd'hui, et qui sont pourtant bien moindres. N'est-ce pas une déplorable tentation, que d'être si valeureux en esprit et si faible devant la réalité?..." Par contre, "ce serait une illusion très préjudiciable, que de mépriser d'estimer trop peu nos croix journalières, parce qu'elles sont petites… Par leur nombre même, elles apportent à l'âme fidèle une somme énorme de sacrifices et de mérites… Les grandes croix, portées avec autant d'amour, nous vaudraient plus de mérite et de récompense. Mais elles sont rares; l'orgueil, la recherche de soi-même s'y glissent plus facilement…"
En conséquence, comme le dit le Père Dosda 'pratiquons la conformité à la volonté de Dieu jusque dans les moindres détails; par exemple, à propos de l'humiliation résultant d'un oubli ou d'une maladresse, à propos d'une mouche importune, d'un chien qui aboie, d'une pierre qui blesse le pied, d'une lumière qui s'éteint, d'un habit qui se déchire'. Pratiquons-la surtout à propos des différences de caractère, des contrariétés, des humiliations, des mille petits incidents dont fourmille la vie de communauté. C'est un puissant moyen, sans qu'il y paraisse, de mourir à soi-même et d'être tout à Dieu."
3-2-2-Une voie longue et très ardue
Nous venons de voir que "le Saint Abandon était la remise amoureuse, confiante et filiale, de la perte totale de notre volonté en celle de Dieu." Pour Dom Vital, "le Saint Abandon est une totale union, une sorte d'uniformité de notre volonté avec celle de Dieu, au point que nous soyons prêts d'avance à tout ce que Dieu voudra, et que nous recevions avec amour tout ce qu'il fera. Ce détachement doit être aussi universel que profond." Cela conduit à tenir en haute estime la mortification chrétienne: abnégation, renoncement, esprit de sacrifice, amour de la croix. Mais attention! Dom Vital cite un disciple de saint Alphonse: “Les personnes qui mettent leur sainteté à faire beaucoup de pénitences, de communions, de prières vocales, sont évidemment dans l’illusion. Toutes ces choses ne sont bonnes qu’autant que Dieu les veut."
Dom Vital précise: "Mais, parmi toutes les formes de renoncement, qu'il nous soit permis d'en signaler deux spécialement difficiles, et spécialement indispensables: l'obéissance et l'humilité." Et il insiste: "La voie qui mène au Saint Abandon est longue et très ardue… Dans le sentiment toujours vivant de leurs péchés passés, à la façon des âmes humbles et pures, elles rendent hommage à la Justice infinie qui réclame ce qui lui est dû; elles acceptent avec reconnaissance la punition de leurs fautes… Malgré leur innocence et leurs vertus, ces âmes, inondées de lumière, se voient très indignes de paraître devant l'infinie Sainteté, et dans leur ardent désir de lui plaire, elles acceptent volontiers les plus douloureuses purifications. On voit par là combien l'humilité rend la soumission facile, et dispose au saint abandon… Malgré cela, la souffrance viendra souvent les atteindre. Elles n'y seront pas insensibles." Ce n'est autre, indique Dom Vital, que ce que certains spirituels, dont la Petite Thérèse de Lisieux, appellent l'enfance spirituelle.
3-2-3-L'exemple de Notre-Seigneur
C'est l'exemple de son Maître bien-aimé qui porte une âme à l'abandon: elle veut plaire à Celui qu'elle aime, et, par suite, elle, s'efforce de l’imiter en toutes choses. Or la vie entière de Jésus, sur la terre, n'a été qu'obéissance et abandon.
"Victime chargée des péchés du monde entier, Notre-Seigneur estime que tous les châtiments lui sont dus, qu'aucune souffrance n'est de trop, pour réparer la gloire de son Père et lui ramener ses enfants égarés, et pourtant si tendrement chéris… Et, ajoute Dom Vital, "si nous pouvions suivre la vie de Notre-Seigneur jusque dans ses moindres détails, nous y trouverions partout l'amour, la confiance, la docilité, l'abandon du petit enfant…" Cependant "cet enfant tout-puissant, mais doux et humble de cœur, se laissait porter où l'on voulait, par qui l'on voulait; il s'abandonnait docilement entre les mains de l'Ange, quoique celui-ci n'eût point de science ni de sapience, pour entrer en comparaison avec sa divine Majesté…"
Plus tard, "lorsqu'il entre au Jardin des 0lives, il se livre aux plus terribles assauts de la crainte et des répugnances… Mais il ne cesse de redire, avec un amoureux abandon :' Mon Père, que votre volonté soit faite, et non pas la mienne'… Mais la partie inférieure, humaine de son Être n'en savait ni apercevait rien: essai que jamais la divine bonté n'a fait ni ne fera en aucune autre âme, car elle ne le saurait supporter… Jésus se plaint filialement à son Père: 'Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?' Mais il se hâte d'ajouter de toutes ses forces et avec la plus amoureuse soumission: 'Mon Père, je remets mon âme entre vos mains'…" donnant ainsi, "à son Père et à nous, le suprême témoignage de son amour, mourant en l'amour, par l'amour, pour l'amour et d'amour."
3-2-4-L'humilité
Dom Vital évoque avec conviction les principales qualité de l'humilité, véritable fondement du Saint Abandon. Pourtant, dit-il, "l’humilité est la vertu la plus antipathique à la nature; mais son importance est capitale, et son action souverainement bienfaisante. En ôtant le principal obstacle, elle prépare les ascensions de l'âme. Elle apporte la force et la sécurité dans les dangers, les illusions, les épreuves, parce qu'elle sait se défier et demander. Elle plaît aux hommes, en nous rendant soumis à nos supérieurs, doux et condescendants avec nos égaux, bons et sans fierté pour nos inférieurs. Elle charme notre Père céleste, parce qu'elle nous donne l'attitude qui convient devant sa majesté et son autorité. Elle nous imprime une touchante ressemblance avec notre Frère, notre Ami, notre Epoux, Jésus, doux et humble de cœur. N'est-il pas l'humilité personnifiée? L'humble l'attire, l'orgueilleux l'éloigne. Il protège l'humble et le délivre; il aime l'humble et le console; il s'incline vers l'humble et le comble de ses grâces; après l'avoir abaissé, il l'élève à la gloire; il révèle à l'humble ses secrets, il l'invite et l'attire à lui doucement. La parole du Maître est formelle: 'Celui qui s'abaisse sera élevé, et, par contre, celui qui s'élève sera abaissé'." Et Dom Vital s'appuie sur Thérèse de Lisieux: "Le seul moyen de faire de rapides progrès dans la voie de l'amour est celui de rester toujours bien petite; c'est ainsi que j'ai fait".
On dit souvent qu'un bon moyen pour devenir humble est d'accepter les humiliations, "selon cette belle parole de saint Bernard: 'L'humiliation mène à l'humilité, comme la patience à la paix, et l'étude à la science.'"
Mais de quelles humiliations s'agit-il? Saint François de Sales est plus prudent quand "il voulait qu'on ne dît jamais de paroles d'humiliation, si elles ne procédaient du fond du cœur: 'autrement, cette sorte de langage est un fin sublimé d'orgueil; pour avoir la gloire d'être estimé humble, on fait comme les rameurs qui vont à leur but en y tournant le dos; sans y penser, on cingle à pleines voiles sur la mer de la vanité'. Nous recourrons donc aux œuvres plutôt qu'aux paroles pour nous abaisser. La meilleure humiliation active, dans nos cloîtres, sera toujours la loyale dépendance envers la Règle, nos Supérieurs et même nos frères. Chacun sait que les douze degrés de l'humilité, d'après notre Père saint Benoît, sont faits presque uniquement d'obéissance. C'est aussi de cette même vertu que saint François de Sales tirait la marque de la véritable humilité.
Outre les humiliations de règle, il y en a d'autres qui sont spontanées. Saint François de Sales 'voulait en celles-ci beaucoup de discrétion, parce que l'amour-propre s'y peut glisser subtilement et imperceptiblement. Il mettait au sixième rang la recherche des abjections, quand elles ne nous venaient pas du dehors'… En effet, l'humiliation nourrit l'orgueil, quand on la repousse avec indignation ou qu'on la subit en murmurant; et c'est ce qui explique comment 'l'on rencontre tant de gens humiliés qui, ne sont pas humbles…' Et d'ailleurs, la honte, la confusion, la véritable humiliation n'est-elle pas de me sentir encore si plein d'orgueil, après tant d'années passées au service du Roi des humbles?... Saint Pierre, martyr, injustement jeté en prison, s'en plaignit à Notre-Seigneur:
– Mais quel crime ai-je donc commis pour me voir infliger pareil châtiment?
– Et moi, lui répondit le divin Crucifié, pour quel crime ai-je été attaché à la croix?..".
Et Dom Vital de conclure: "d'ailleurs, l'amour veut la ressemblance."
3-3-La volonté de Dieu, règle suprême
Sans Dieu, les hommes ne peuvent rien faire. C'est ce que Dom Vital exprime d'abord: "nous ne pouvons rien faire, ni penser au bien, ni le vouloir, ni l’accomplir. À plus forte raison, la correction de tous nos vices, la parfaite acquisition des vertus, la vie d’intimité avec Dieu, représentent une somme énorme d’impuissances humaines, et d’interventions divines… Notre sanctification, notre salut même, est donc une œuvre à deux: il y faut, de toute nécessité, l’action de Dieu et notre coopération, l’accord incessant de la volonté divine et de la nôtre… Et cette continuelle dépendance nous imposera des renoncements sans nombre… Mais pouvait-il nous arriver plus heureuse fortune que d’avoir la sagesse de Dieu pour guide, sa toute-puissance pour aide, et d’être les associés de Dieu dans l’œuvre de notre salut?" D’autant plus que, ce faisant, "Dieu perfectionne la nature, il nous élève à une vie supérieure, il nous apporte le vrai bonheur de ce monde et la béatitude en germe… Si vous voulez monter jusqu’aux sommets de la perfection, accomplissez la volonté de Dieu, toujours plus et mieux."
Et puis, Jésus n'a-t-il pas dit: "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait"? Et, selon saint Alphonse: toute la perfection de l’amour divin ne consiste-t-elle pas dans l’union de notre volonté à celle de Dieu, de telle sorte que ces deux volontés n’en fassent plus qu’une? Et, toujours selon saint Alphonse, Marie, la divine Mère, n’a été la plus parfaite entre tous les Saints que parce qu’elle a toujours été plus parfaitement unie à la volonté de Dieu”.
3-3-1-La volonté signifiée et le bon plaisir divin
Dom Vital fait la distinction entre la volonté divine signifiée et la volonté du bon plaisir de Dieu.
– La volonté signifiée :" Dieu nous fait connaître sa volonté, et par les règles qu'il nous a tracées, et par les évènements qu'il nous envoie. D'où la volonté de Dieu signifiée, et sa volonté de bon plaisir. La volonté est signifiée, parce qu'il nous a signifié et manifesté qu'il veut et entend que tout cela soit cru, espéré, craint, aimé et pratiqué..."
La volonté signifiée comporte, pour les religieux, quatre aspects principaux: les commandements de Dieu et de l'Église, les conseils, les inspirations[1], les Règles et Constitutions. "La volonté signifiée nous est connue d'avance, et généralement d'une façon très claire, par les signes ordinaires de la pensée, c'est-à-dire la parole et l'écriture. Il est toujours en notre pouvoir ou de nous conformer par l'obéissance à la volonté signifiée ou de nous y soustraire par la désobéissance."
– La volonté du bon plaisir de Dieu, c'est celle par laquelle nous devons regarder tous les évènements comme venant de Dieu qui dispose de nous en Maître souverain, sans nous consulter; "souvent même contre nos désirs, il nous place dans la situation qu'il nous a choisie, et nous met en demeure d'en remplir les devoirs." Notre meilleur exemple, c'est Jésus que "la volonté de son Père conduira, par toutes sortes de souffrances et d’humiliations, jusqu’à la mort et à la mort de la croix. Il le sait. Et c’est pour accomplir cette volonté crucifiante, mais pleine de vie, qu’il est descendu du Ciel"
– Mais il y a de plus. Ainsi, "Saint François de Sales fait, à ce propos, une remarque très juste: 'Il y a des choses où il faut joindre la volonté de Dieu signifiée à celle de son bon plaisir'. Il cite pour exemple le cas de maladie. Outre la soumission à la divine Providence, il faudra remplir les devoirs d'un bon malade, comme la patience et l'abnégation, et continuer d'être fidèle à toutes les prescriptions de la volonté signifiée, sauf les exceptions et les dispenses que peut légitimer la maladie… En outre, il veut tirer le bien du mal, et, pour cela, faire servir nos fautes et celles d'autrui à la sanctification des âmes par la pénitence, la patience, l'humilité, le support mutuel, etc..."
3-3-2-Comment se comporter face à la volonté de Dieu signifiée
"La volonté de Dieu signifiée renferme, en premier lieu, les commandements de Dieu et de l’Église, et nos devoirs d'état." Elle renferme, en second lieu, les conseils. Enfin, il ne faut pas oublier les inspirations de la grâce et les conseils qui "nous feront pratiquer les vertus les plus agréables à son divin cœur : la douceur et l'humilité, l'obéissance d'esprit et de volonté, la chasteté virginale, la pauvreté volontaire, le détachement parfait, le dévouement poussé jusqu'au sacrifice et à l'oubli de nous-mêmes."
Dom Vital ajoute: "La volonté signifiée renferme aussi des attraits, des impulsions, des reproches, des remords, des craintes salutaires; des suavité célestes, des élans du cœur, de douces et fortes invitations à l'exercice de quelque vertu… Pour un religieux, ses vœux, ses règles et l'action des Supérieurs sont la principale expression de la volonté signifiée, le devoir jusqu'à la mort, et le chemin de la sainteté."
On voit combien la volonté de Dieu signifiée impose l'obéissance. Dom Vital ne craint pas de dire: "Notre divin Maître, selon la belle parole de notre Père saint Bernard, 'a tant estimé cette vertu, qu'il s'est fait. obéissant jusqu'à la mort, aimant mieux perdre la vie que l'obéissance'.” En effet, "l'obéissance à la volonté signifiée demeure, au milieu des événements accidentels et variables, le moyen fixe et régulier, la tâche de tous les jours et de chaque instant. C'est par là qu'il faut commencer, c'est par là qu'il faut continuer et finir." Car "c'est Dieu lui-même qui nous a choisi notre état de vie et les moyens de nous sanctifier; rien ne peut être meilleur pour nous, rien ne peut même être bon, hors de là."
D'ailleurs nous avons un exemple parfait, "la Bienheureuse Vierge qui faisait les choses les plus communes en apparence; mais elle y mettait toute son âme, et leur donnait par là une valeur incomparable… Nous n'avons pas à choisir entre l'obéissance et l'abandon; ils doivent marcher de conserve et dans l'union la plus, étroite."
3-3-3-Conformité à la volonté de bon plaisir de Dieu
Pour Dom Vital, "la conformité à la Providence, ou la soumission au bon plaisir de Dieu, contient plusieurs degrés de perfection." D'ailleurs, précise Dom Vital, "il y a là amour des afflictions par amour pour Dieu, et c'est ce qui distingue ce degré du précédent… On peut souffrir patiemment: c'est bien. Mais on peut aussi "sourire à la douleur, l'accueillir avec empressement, comme un hôte envoyé de Dieu", c'est mieux. Enfin, on peut, "non seulement recevoir et souffrir de bon cœur, pour l'amour de Dieu", c'est le plus parfait.
Nous avons prévenu nos lecteurs que l'œuvre de Dom Vital était un vrai traité de vie mystique. Il complète en effet ses vues sur la volonté de Dieu par un rappel des progrès que nous sommes tous appelés à accomplir sur le chemin de la vie en Dieu. Nous résumons brièvement les positions de Dom Vital concernant "les trois voies classiques des commençants, des progressants et des parfaits:
– Le commençant, mû par la crainte, endure la croix du Christ patiemment; le progressant, mû par l'espérance, la porte volontiers; celui qui est consommé en charité l'embrasse désormais avec ardeur… Selon saint Bernard, les commençants n'ont que la simple résignation, et elle leur vient de la crainte; les progressants portent la croix volontiers, et cette conformité plus élevée est due à l'espérance; les parfaits embrassent la croix avec ardeur, et cette parfaite conformité est le fruit du saint amour."
Mais voici une nouveauté relevée par Dom vital: "Il y a enfin la conformité par pur amour, qui est en soi la plus parfaite; car rien n'est élevé, délicat, généreux, persévérant, comme la sainte dilection." Ce degré de conformité par amour qui occupe les sommets, est le Saint Abandon.
En conclusion, "nous devons respecter toute volonté de Dieu, mener de front l'obéissance à sa volonté signifiée et l'abandon à son bon plaisir." Mais nous devons toujours nous rappeler que "Dieu ne veut pas, en général, nous sanctifier sans nous."
3-3-4-L'amour de la Croix
Jésus est pour nous l'Alpha et l'Oméga, le principe et la fin. Cela nous le savons. Mais Dom Vital nous laisse entendre que l'amour dont Dieu nous aime ne va jamais sans la Croix. "Un jour, Notre-Seigneur montra à Gemma Galgani ses cinq plaies béantes… Mais le bon Maître lui enseigna 'qu'on aime dans la mesure où l'on est généreux'." Et Dom Vital nous rappelle que "la pratique la plus recommandée par les Maîtres de la piété est de le suivre principalement au Calvaire et à l'Autel. Beaucoup cependant préfèrent honorer son Sacré-Cœur ou sa très sainte Enfance. Cependant "Jésus-Enfant, pour ne parler que de lui, a la main aussi ferme que douce, il est trop sage pour gâter ses amis.
Dom Vital justifie ses affirmations. Oui la Croix est nécessaire parce que ce sont les hommes qui ont crucifié Jésus, et même maintenant, de nos jours, "on le laisse presque seul dans ses églises, son cœur est continuellement abreuvé de tristesse. Il lui faut une expiation immense, particulièrement pour les péchés et les sacrilèges dont il se voit outragé par les âmes qu'il a choisies entre mille."
Pourtant, en homme plein de sagesse, Dom Vital nous met en garde: "Cependant, nous ne conseillons pas, pour l'ordinaire, de demander à Dieu des épreuves; nous pensons aussi, qu'au lieu d'envisager les croix trop en particulier, il sera plus prudent d'accepter en général celles que Dieu nous destine, en nous confiant dans sa bonté et sa discrétion."
3-3-5-La vie et la mort
"Un peu plus tôt, un peu plus tard, il faudra bien mourir. Mais quand sera-ce et dans quelles conditions? Là nous sommes en pleine incertitude… Heureuse ignorance, qui nous avertit d'être toujours prêts, et qui stimule sans cesse notre activité spirituelle!... L'homme est à peine né que la mort commence en lui son travail, et qu'il doit lutter sans trêve pour s'en défendre... La terre est un champ de bataille, où il nous faut lutter jour et nuit contre un ennemi invisible, qui ne dort pas, qui ne connaît ni la fatigue ni la pitié… D'ailleurs, il nous faut vivre au milieu d'un siècle pervers où les péchés et les crimes se multiplient, où le vice triomphe, la vertu est persécutée, l'Église traitée en ennemie, Dieu chassé de partout."
Pourtant nous gardons fortement imprimés en nous le désir du ciel et l'amour de Dieu. "Le désir du ciel et l'amour de Dieu multiplient, où le vice triomphe, la vertu est persécutée, l'Église traitée en ennemie, Dieu chassé de partout. Il y a donc de bonnes raisons qui portent à désirer la mort; il y en a de non moins bonnes qui font souhaiter la prolongation de nos jours; et ce sont à peu près les mêmes."
Dom Vital poursuit ses enseignements: quels sont donc les maux de la vie présente? "Tout d'abord les dangers et les fautes de la vie présente… Maintenant que Dieu se trouve attaqué de toutes parts, la place de ses enfants, de ses serviteurs les plus aimés, n'est-elle pas de combattre à ses côtés et de souffrir pour sa cause?" Et si "cependant, si Dieu prolonge notre vie, pourvu qu'il nous mène au port, nous l'en bénirons éternellement."
En effet, "la sagesse de Dieu veut qu'il accorde à chacun suivant le rôle qu'il entend, lui confier. S'il arrive que l'un ou l'autre paraisse assez nécessaire à son entourage, c'est un certain indice de la volonté divine, et par suite un motif de modérer ses désirs. Saint Martin de Tours, sur son lit de mort, se trouvait dans une situation de ce genre; il ne craint pas de mourir, il ne refuse pas de vivre, il s'abandonne à la Providence… De même, dans sa dernière maladie, saint François de Sales demeure fidèle à sa maxime: ne rien rien désirer, ne rien demander, ne rien refuser. Nous devons nous conformer, en cela comme en tout le reste, à la volonté de Dieu, nous contenter des talents qu'il nous a donnés, de la condition dans laquelle il nous a placés. Bref, tous les Saints ont pratiqué le parfait abandon; mais les uns ont souhaité la mort ou la vie, les autres ont voulu n'avoir aucun désir." D'ailleurs, sainte Gertrude "est persuadée que la meilleure disposition qu'on puisse avoir pour bien mourir, c'est de se soumettre à la volonté de Dieu."
3-4- Les vertus nécessaires
3-4-1-La foi
Pour mettre en œuvre le Saint Abandon, des vertus fortes, théologales et cardinales sont absolument nécessaires. Aussi Dom Vital va-t-il passer en revue les grandes vertus qui permettent de s'élever juqu'au Saint Abandon. Et tout d'abord, la foi:
"Le juste vit de la foi, rappelle Dom Vital, et pour s'élever jusqu'au Saint Abandon, il faut qu'il soit pénétré d'une foi vive et profonde, et tout particulièrement de la foi à la Providence. Rien n'arrive en ce monde que par l'ordre ou la permission de Dieu… Sans lui, pas une feuille ne s'agite, pas un brin d'herbe ne meurt, pas un grain de sable n'est emporté par le vent… Dieu possède, en son intelligence infinie, le secret de pourvoir sans peine aux plus menus incidents comme aux événements les plus graves."
Il en résulte que "moi qui ne suis qu'un atome insignifiant dans le monde, j'occupe jour et nuit, sans cesse et partout, la pensée et le cœur de mon Père qui est aux cieux. Oh! que cette vérité de foi est profondément touchante et pleine de réconfort! Mais si la Providence combine elle-même ses desseins sur moi, elle en confie l'exécution, au moins pour une large part, aux causes secondes. Elle emploie le soleil, le vent, la pluie; elle met en mouvement le ciel et la terre, les éléments insensibles et les causes intelligentes…" Par conséquent, "dans cet homme qui me fait de la peine, et dans cet autre qui me fait plaisir, c'est la Providence…"
À propos de la Providence, Dom Vital ouvre une parenthèse intéressante sur la laïcisation de nos sociétés: "Le hasard n'est qu'un mot vide de sens, ou plutôt c'est 'l'incognito de la Providence', pour les hommes de foi; mais c'est une laïcisation de la Providence, à l'usage des mauvais cœurs qui veulent s'affranchir de la soumission, de la prière et de la reconnaissance… C'est le Seigneur qui fait le pauvre et le riche; il abaisse et il élève... Pour éprouver les justes et les Saints, Dieu emploie la malice des démons et la perversité des méchants. Job perd ses enfants et ses biens, il tombe de l'opulence dans la misère et il dit: 'Le Seigneur m'avait tout donné, la Seigneur m'a tout ôté; il n'est arrivé que ce qui lui a plu; que le nom du Seigneur soit béni!"
Dom Vital va encore plus loin: évoquant la Passion de Jésus, il écrit: "Hérode et Pilate, les Gentils et le peuple d'Israël, se sont ligués dans cette cité contre Jésus… mais c'était pour accomplir les décrets de la Sagesse du Père… Ils n'étaient que les exécuteurs de ses desseins. Notre-Seigneur le déclare formellement: 'Ce calice, c'est son Père qui le lui a présenté..."
Pour Dom Vital, "Dieu n'a prêté son concours qu'au matériel de l'acte. Il n'a pas concouru au péché, considéré comme tel… Dans le péché, le formel est le défaut volontaire de conformité de l'acte avec la volonté de Dieu. Ce défaut n'est pas un acte, c'en est l'absence. Dieu n'y concourt pas; au contraire…" Ainsi, "la foi à la Providence demande qu'en toute occasion l'on remonte jusqu'à Dieu… Dieu hait la faute; mais il veut l'épreuve qui en résulte pour nous."
Et c'est ainsi que, poursuivant ce raisonnement, Dom Vital arrive tout naturellement à la confiance en la Providence.
3-4-2-La confiance en la Providence
Dom Vital estime que pour "l'exercice de la charité et du saint abandon, il faut une pleine confiance en Dieu… on ne saurait trouver le parfait abandon, d'une manière habituelle en dehors de la voie unitive[2]; car c'est là seulement que la confiance en Dieu arrive à sa plénitude."
Dieu est bon pour tous tous les hommes: “Il fait luire son soleil sur les bons et les méchants, il fait tomber la pluie sur les justes et les pécheurs.”
Et même, lorsque Dieu se fâche, il n'oublie jamais sa miséricorde. Et Dom Vital de s'extasier sur la bonté et la tendresse de Notre Père des Cieux: "Il est Père par le dévouement, Mère par la tendresse." Même si une femme pouvait oublier son enfant, n'avoir pas compassion du fruit de ses entrailles, Dieu Notre Père, Lui, ne l'oublierait pas. Oui, Dieu veut être prié, "mais il nous reprochera seulement de ne pas demander assez… Dévoué, tendre et miséricordieux à l'égard de chacune, Jésus, notre doux Sauveur, chérit d'une prédilection marquée les âmes qui ont tout quitté pour ne s'attacher qu'à lui seul; il fait ses délices de les garder près de son tabernacle, et de vivre avec elles dans la plus douce intimité."
Aussi, quand Jésus nous présente un calice plein d'amertume, devons-nous songer que c'est notre Rédempteur qui nous le présente. "Toutes les choses terrestres, toutes, jusqu'aux persécutions, sont faites ou permises par Dieu pour le plus grand bien de l'Église... N'est-ce pas une chose adorable que de voir Dieu gouverner le monde, dans l'unique but de faire des heureux et de se réjouir en eux?... Car la volonté de Dieu, c'est la sanctification des âmes."
D'où la réflexion de Dom Vital: "Avec quelle confiance et quelle docilité ne devrions-nous pas nous laisser faire et correspondre, si nous comprenions mieux ses voies miséricordieuses?... Et n'oublions jamais que "tout vient de Dieu; il n'y a absolument rien où sa volonté ne demeure souveraine maîtresse... Il est vrai qu'il dispose des êtres raisonnables en respectant leur libre arbitre. Ils peuvent donc opposer leurs volontés à la sienne, et paraître la tenir en échec. Mais, en réalité, la résistance des uns, l'obéissance des autres, lui sont connues de toute éternité."
3-4-3-L'amour de Dieu et la charité
Dom Vital affirme: "Le Saint Abandon, étant la conformité parfaite, amoureuse et filiale, ne peut venir que de la charité; mais il en est le fruit naturel, de sorte qu'une âme parvenue à vivre d'amour vivra aussi d'abandon… En effet, l'amour dispose à l'abandon par un parfait détachement... L'amour y parviendra, car il est dans sa nature d'oublier tout, de se donner sans réserve et de n'admettre pas de partage: il ne veut voir que le Bien-Aimé, il ne cherche que le Bien-Aimé, il aime tout ce qui fait plaisir au Bien-Aimé… L'amour dispose à l'abandon en rendant la foi plus vive et la confiance inébranlable."
Dom Vital fait alors un petit détour vers la mystique et n'hésite pas à affirmer que quand une âme aime vraiment Dieu, elle arrive nécessairement à la voie unitive; les convictions se font bien plus lumineuses, les rapports avec Dieu deviennent un cœur à cœur plein de confiance et d'intimité… L'amour parfait est le père de l'abandon parfait,… et l'union que produit l'amour est surtout l'union des volontés…
Dom Vital conclut par ce constat: "Peu d'amour donne peu de conformité, un amour médiocre, une conformité médiocre, enfin un amour entier une conformité entière."
Alors Dom Vital peut ajouter ces quelques vérités que tous les grands mystiques ont connues: "Lorsque Dieu se cache par un amoureux artifice, comme pour se faire chercher plus avidement, la pauvre âme, craignant de l'avoir perdu, va partout le demandant avec une amoureuse anxiété; c'est un besoin douloureux, une faim inassouvie, une soif inextinguible. Il lui faut Dieu, elle ne saurait plus se passer de lui; rien ne peut la consoler de son absence, si ce n'est la pensée qu'elle lui plaît en faisant son adorable volonté, et l'espérance de le retrouver plus parfaitement. Elle voudrait le posséder pour ainsi dire infiniment dans l'autre monde, pour l'aimer, pour le louer, pour s'unir à lui au gré de ses désirs.
Dom Vital va encore plus loin, confirmant les dires des plus grands mystiques connus: "L'amour ne vaut qu'autant qu'il sait souffrir. Sans douleur, on ne vit pas bien dans l'amour... Vouloir aimer Dieu sans souffrir, n'est qu'illusion…" En effet, "lorsque Dieu nous prodigue d'ineffables tendresses, et qu'il nous caresse amoureusement comme, un père qui presse son enfant sur son cœur, notre âme émue, haletante, éperdue, sort d'elle-même; elle se donne sans réserve et se livre avec sincérité. Mais l'amour-propre est loin d'être mort à jamais; il faudra donc l'action lente et douloureuse de l’épreuve bien acceptée… L'amour divin croît dans la douleur. Plus la douleur est poignante, plus sont vives les ardeurs du Saint Amour. Plus la tristesse pèse sur son âme, plus elle sent les flammes du divin amour, et son cœur laisse jaillir des paroles de feu." La bienheureuse Marie-Madeleine Postel va plus loin encore: 'Quand on aime, dit-elle, on n'a rien à souffrir, tant on trouve de bonheur à souffrir pour l'objet de son amour.'"
3-4-4-La persévérance et l'accueil de la grâce
La persévérance dont il s'agit ici est la répétition patiente des actes d'acceptation de la Volonté de Dieu. Cependant: "Le détachement universel, la foi, la confiance et l'amour, ne sont possibles qu'avec la grâce; il la faut même en très grande abondance, pour les obtenir au degré élevé que requiert le saint abandon. Par conséquent, la prière s'impose... En attendant, l'âme cherche Dieu ici-bas sans relâche, elle aspire à une union d'amour toujours plus étroite, union qui donne le sentiment d'une possession savoureuse quand il plaît à Dieu, union où dominera très souvent le besoin, le désir, l'effort laborieux. Dans un cas, l'âme est unie à Dieu; dans l'autre, elle cherche à s'unir; dans les deux, c'est le même mouvement d'amour qui nous porte hors de nous pour nous jeter en Dieu, avec un ardent désir de le posséder. Cette union des cœurs produit l'union des volontés. Dès lors qu'on s'est épris d'une profonde affection pour Dieu, et qu'on s'est donné à lui sans réserve et sans partage, en possédant notre cœur il possède notre volonté, on ne sait plus rien lui refuser. Au ciel, on goûte l'union à Dieu dans les joies sans mélange de l'amour béatifique. Ici-bas, on la trouve bien plus souvent sur le Calvaire que sur le Thabor: quant à l'union de jouissance, elle est rare et fugitive, et, généralement, la souffrance la précède et la suit…"
3-4-5-L'obéissance
"L'un des principaux engagements des religieux n'est-il pas d'accepter que le Supérieur dispose d'eux selon leurs saintes lois?" Ainsi, "celui qui s'appartient cherche une occupation en rapport avec ses goûts et ses aptitudes, et il n'a qu'à suivre en cela les règles de la prudence chrétienne. Dans nos monastères, nous ne pouvons faire le choix par nous-mêmes; c'est l'obéissance qui nous assigne ou de rester dans le rang de la Communauté, ou de gérer tel emploi temporel, telle charge spirituelle. Il y aura donc ici pour nous matière au saint abandon."
Se référant à saint François de Sales, Dom Vital pose la question: "Mon Dieu, vaut-il mieux, pour votre gloire et pour mon bien, que je passe par les charges ou que je reste sans emploi ? Je n'en, sais rien, vous le savez, Seigneur, et j'ai toute confiance en vous; arrangez cela au mieux de nos intérêts communs; je m'en rapporte à vous. Et Dom Vital ajoute: Concluons donc avec saint François de Sales qu'il sera toujours meilleur de ne rien désirer, mais de s'abandonner tout à fait entre les mains de la Providence… Mais lorsque le Supérieur a parlé, c'est Dieu qui a parlé; et l'un des engagements des religieux n'est-il pas d'accepter que le Supérieur dispose de nous selon nos saintes lois?... Nous n'avons pas le droit de refuser un emploi, parce qu'il est trop modeste. Rien n'est vil et méprisable que l'orgueil et le manque de vertu. Il n'y a pas de bas office au service du Très-Haut; les moindres travaux sont d'un prix inestimable à ses yeux, quand on les ennoblit par la foi, l'amour et le dévouement. La Très Sainte Vierge a surpassé de beaucoup les Séraphins eux-mêmes, parce qu'elle a rehaussé par les plus saintes dispositions les occupations les plus modestes…"
Surtout n'oublions pas que "dès lors que c'est Dieu qui nous les assigne, il sera avec nous… D'ailleurs, Dieu n'exige pas de nous le succès; mais il demande que l'on fasse de son mieux, et il s'en contente.
Terminons par une observation capitale du P. Rodriguez: 'Ce que Dieu considère en nous pendant cette vie, ce n'est pas l'importance du rôle que nous remplissons dans la Communauté… Attachez-vous seulement, à bien jouer le rôle qui vous a été donné, à faire un bon emploi des aptitudes que vous avez reçues,' de manière à glorifier Dieu par votre sanctification."
Tout cela suppose une profonde humilité ainsi que nous le conseille Dom Vital: "Avec une profonde humilité, approuvez, louez, puis aimez cette volonté souveraine, toute sainte, tout équitable, toute belle. Jetez les yeux sur la volonté de Dieu spéciale, par laquelle il aime les siens… Dites-lui souvent ces belles paroles qu'il disait lui-même à son Père en sa cruelle agonie: Seigneur, que votre volonté soit faite, et non pas la mienne."
3-4-6-La pratique des vertus.
Avec Dom Vital, nous pouvons conclure ce long chapitre sur la pratique des vertus: "La pratique des vertus est la seule voie du salut et de la perfection pour les adultes. C'est la fin prochaine de la vie spirituelle; c'en est l'exercice essentiel"… qu'ils soient religieux ou laïcs. Pratiquer les vertus n'est pas facultatif: "Il faut le faire absolument, et non sous condition. Dès lors que la pratique des vertus appartient à la volonté de Dieu signifiée, nous n'avons qu'à nous y porter, suivant les principes de l'ascèse chrétienne, avec la grâce assurément, mais par notre propre détermination, sans attendre que Dieu, par les dispositions de sa Providence, nous mette en demeure de le faire et nous déclare à nouveau sa volonté… Il n'y a donc pas lieu à l'abandon pour le fond même de cette pratique. Mais il trouvera sa place en plusieurs choses, comme le degré, la manière et certains moyens:
– Le degré de la vertu dépend de l'homme et pas seulement de la grâce qui abonde en toute âme fidèle; mais nous n'avons pas un idéal assez élevé, le courage et la persévérance nous manquent.
– Il existe plusieurs manières défectueuses de pratiquer la vertu. Un orgueil secret, le besoin de jouir, la peur de souffrir, peuvent en effet s’ y glisser. Dieu veut que nous cultivions désormais les vertus, non plus parce qu'elles nous sont agréables, utiles, honorables, et propres à contenter l'amour que nous avons pour nous-mêmes, mais parce qu'elles sont agréables à Dieu.
– Enfin, Dieu se réserve d'intervenir à son heure et comme il lui plaît, pour aplanir les obstacles, susciter les occasions, faciliter le travail. Il le fait par chaque événement de son bon plaisir, employant tous les hommes aux intér
Lotfi- Dans la prière
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Re: Littérature spirituelle
Sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690)
À cinq ans Sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690),
fit, à l’insu de tous,
sa première consécration à la messe ou elle prononça ces mots :
« Ô mon Dieu, je vous consacre ma pureté et vous fais vœu de perpétuelle chasteté »
Il m’apparaît judicieux de proposer, eu égard aux incroyables ravages provoqués par la licence et la décomposition des mœurs dans nos sociétés modernes, y compris dans les milieux prétendus catholiques où l’on voit aujourd’hui d’indignes littérateurs conciliaires auteurs d’abjects ouvrages blasphématoires qui sont l’objet d’une incroyable publicité, se faire les coupables avocats de la luxure et de l’orgasme, un sermon de Bourdaloue (l’un des plus grands moralistes du XVIIe siècle, le plus « janséniste » des jésuites selon la formule devenue célèbre) sur « l’impureté », sermon qu’il prononça en période de carême, afin de mettre en exergue la terrible puissance séductrice d’un nocif penchant à l’impudicité charnelle qui s’est imposé hideusement à l’ensemble de nos contemporains.
En effet, le spectacle de l’immoralité est à ce point devenu courrant, que l’on ne s’étonne plus de voir des femmes, évidemment dans la plus complète nudité d’Eve, exposées dans des positions qui manifestent une rare absence de honte, tant sur les murs de nos villes que dans les magazines ou les journaux, ceci au prétexte de publicité ; sans parler des horreurs de l’érotisme et de la pornographie dans toutes les variantes de leurs diverses sous-catégories immondes, qui s’étalent de façon généralisée aux yeux de tous, et dont l’univers nauséabond et affreusement diabolique de l’internet est un extraordinaire pourvoyeur auprès des populations, y compris les plus jeunes âmes qui y trouvent à présent un terrain propice à leur perdition.
Lotfi- Dans la prière
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Re: Littérature spirituelle
Saint François de Sales
« Celui qui veut garder inviolablement la chasteté, dit saint François de Sales,
doit la confier et la mettre entre les mains de la reine des anges,
et attendre tous les secours nécessaires pour surmonter les difficultés
qui s'y rencontrent de sa puissante protection.
Il doit se souvenir que c'est un don de Dieu,
qu'il faut par suite lui demander par prières, jeûnes et autres bonnes œuvres,
que c'est un don qui est accordé aux humbles, l'impureté étant la peine du vice superbe,
étant certain que tôt ou tard les vains et orgueilleux tomberont dans quelque péché honteux. »
Plus que jamais, il importe donc de s’élever avec fermeté contre le venin de l’impureté, chemin effectif de réprobation, car il nous représente dès cette vie l'état des réprouvés après la mort dans la mesure où, précisément, rien ne nous expose à un danger plus certain de tomber dans l'état infernal des réprouvés, c’est-à-dire d’être éloigné et séparé de Dieu, que ce vice abject, sachant que l’impureté ouvre une voie directe, par son attraction voluptueuse, aux pires abaissements libidineux et compromissions révoltantes dont se délecte l’ennemi du genre humain pour faire chuter et perdre en permanence les faibles créatures que nous sommes, et surtout les ravir définitivement à Dieu.
Il est de la sorte, si nous voulons nous prémunir contre les redoutables pièges du démon, plus qu’utile de lire attentivement les lignes que nous laisse Bourdaloue, et d’en méditer avec un soin tout spécial le sens, afin de s’engager véritablement, en se gardant des pièges tendus par les vices charnels, dans la recherche d’un état de sainteté intérieure que le Ciel exige de chaque chrétien.
Lotfi- Dans la prière
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