"Voir le bonheur" de Véronique Margron
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"Voir le bonheur" de Véronique Margron
En ce jour je vais vous parler d'un livre sur une grande recherche de la vie des hommes sur la terre, écoutez le titre : "Voir le bonheur", de Véronique Margron, dominicaine, doyen de la faculté de théologie d'Angers.
Je viens de le lire avec mon épouse, ce sont de petites chroniques partant de la vie réelle ou de l' actualité, analysées avec finesse et profondeur, et qui nous appellent à avoir la bonne attitude pour vivre le bonheur quels que soient nos états de vie rencontrés au long d'une existence.
Mais pour en saisir la profondeur, écoutons comment elle présente son livre dans sa préface :
"Beaucoup demandent : « Qui nous fera voir le bonheur ? » Sur nous Seigneur, que s’illumine ton visage ! Ps 4.
Tant de fois, jours ou nuits, la supplication du psalmiste me hante, me préoccupe, me rend espérance aussi, en pensant à tant d’histoires abîmées, brisés, inquiètes. Y aurait-il un enseignement du bonheur ? Non, si c’est celui - mensonger et morbide - des sectes ou autres mouvements millénaristes nous annonçant un bonheur à la folle démesure de nos sacrifices ou des tragédies du monde. Nous serons aussi sceptiques devant les leçons mille fois apprises de l’effort et de la volonté. Nos existences savent pourtant combien travail et opiniâtreté sont nécessaires à l’apprentissage, au consentement à la durée, à la compréhension du monde. Ceci vient participer à un possible bonheur, particulièrement celui de maîtriser suffisamment des connaissances et des savoirs-faire. Car elles sont sources de gratification, d’estime d’autrui, de reconnaissances sociales. Mais le bonheur ne trouve pas sa source dans un volontarisme arc-bouté de principes. Nous pressentons qu’il ne peut être à notre merci, répondant à nos commandements ou à notre puissance. Non, il s’échappe. Il vit sa propre vie en quelque sorte. Il est un je ne sais quoi, autrement.
Apprendre le bonheur paraît alors bien difficile, d’autant qu’il est à la fois la chose la plus désirée au monde, mais aussi la plus fragile, sans définition absolue. Nous savons par contre - que trop - ce que sont les échecs, les drames, les déchirures de l’existence. Combien, les ayant vécus, les subissant peut-être encore, il est bien difficile de projeter un temps qui serait plus humain, simplement moins lourd. Ce n’est pas sans soupçon que vient alors la question du bonheur, de peur que cela « soit trop beau pour être vrai ». Pourtant. Que serait la vie, sans une patience qui n’est pas uniquement l’endurance face au pâtir, mais aussi un désir pour cette existence-ci ? Afin que son goût soit meilleur.
Pour mener à bien cette œuvre, il serait utile de retrouver le sens des « vertus » : cette bonne mesure. La vertu n’est pas une veille fille édentée, renfrognée, qu’il faudrait supporter. Non, elle est une grande et magnifique école : celle de la confiance dans la personne. Elle affirme - la vertu - que l’humain a la capacité de chercher le bien et de l’accomplir. Elle soutient qu’il est possible de vivre selon la sagesse, envers soi-même, pour d’autres. Il n’est pas question d’une sorte d’apologie de la vie harmonieuse « zen », trop lisse pour être crue. Mais au sein des difficultés, des dilemmes, des incertitudes, pouvoir vivre avec « la fragilité d’être menacé ». La vertu - celle de prudence, de courage, d’humilité, et bien d’autres - peut alors former à l’accueil du bonheur. Elle vient embellir l’intérieur de l’être, l’ajuster au réel comme à lui-même. Nous sommes loin des prescriptions du bonheur : « il faut que tu fasses ceci, que tu vives ainsi et tu seras heureux ». Eloignée encore des normes plus feutrées, mais puissantes, que sont les figures imposées du bonheur par nos sociétés, sa publicité, ses codes. Bonheur, dit-on alors, d’être vétu avec telle marque, ou d’adopter les modes de vie que la société manifeste comme étant les bons, etc. Nos discours libéraux sont loin de laisser le bonheur aller le chemin imprévu de chaque existence. Ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’il corresponde aux codes d’une époque, qu’il soit rentable surtout, c’est-à-dire une marchandise. Il y a un « devoir » d’être heureux : mener brillamment sa carrière, profiter de la vie, être en bonne santé, et jeune le plus longtemps possible… Caricatures qui se font passer pour l’idéal, le but à atteindre, ce qui fait la réussite d’une vie. Tant pis si nos histoires sont à mille lieux. Elles doivent alors se faire petites et silencieuses pour ne pas troubler l’ordre du bonheur empaqueté.
Alors oui, la vertu est puissance de résistance, de combat face à ce mensonge organisé. Car elle intègre le sensible de l’existence, le réel dans sa complexité afin d’orienter la liberté de l’humain. Courage, prudence, justice, mais encore tempérance, patience, humilité, intelligence bien sûr, sont ainsi à l’œuvre pour nous soutenir dans les difficultés comme autant d’appui à la vie heureuse. Forces d’une vie qui sait qu’elle ne peut tout maîtriser, qui connaît ce qu’elle ignore, ce qui n’est pas en son pouvoir. La vertu est modeste, mais trace une inclination, donne un flair quant à ce qu’il est juste de faire, elle peut être un pouvoir d’innovation et de renouveau face à l’imprévu. Une « latéralité éclairante » qui permet de conduire sa barque, dans le brouillard des circonstances, mais encore de pressentir la bonne direction face aux questions vertigineuses posées par notre époque. Il ne s’agit pas ici de décréter le bien, mais de rendre possible la voie qui apparaît la plus sensée et porteuse d’humanité. Statut de l’embryon, clonage, mondialisation économique, transformations des mœurs…Chacun est renvoyé à cette question : Commet ma manière d’être et de vivre respecte-elle autrui dans son mystère de sujet unique, habité d’une transcendance ?
Paradoxalement -peut-être - le bonheur prend ainsi la figure du souci. Souci pour la justice, pour le droit, pour la vérité d’humanité, dans la reconnaissance de ses propres fragilités et faiblesses.
Ainsi, oui, la vertu offre une école, rend possible une transformation dans la liberté. Elle n’est pas le bonheur, mais en favorise la reconnaissance et le désir. Non un bonheur possédé tel un propriétaire trop sûr de son bien, mais le bonheur comme une esquisse. Notre rapport au monde est si souvent plombé par l’image des performances et des conquêtes qu’il donne peu de chances de faire face avec douceur à ce qui advient. Mais le bonheur implore, lui, d’être vécu du sein de ce qui se présente à la vie : comme un acquiescement. Si son contraire est le malheur, peut-être y a-t-il aussi une forme de bonheur - un bonheur comme forme - qui peut inclure les heures plus sombres de la vie.
Je m’interroge alors : l’opposition systématique du bonheur et du malheur n’est-elle pas mortelle ? « Qui nous apprendra le bonheur ? » L’interrogation et la supplication du priant sont peut-être là pour nous sortir de cette vision binaire de l’existence. Vivre avec tout soi-même, dans la patience qu’il est possible et heureux d’ouvrir davantage son existence. Ne pas imaginer « tourner la page » des douleurs, mais plutôt tout prendre avec soi, non comme une malédiction, mais du sein de la conviction que l’humain a la ressource de réécrire le récit de son histoire car rien n’est gravé dans un marbre noir - à tout jamais scellé – d’un possible non-sens des choses de la vie. Le bonheur serait de croire, d’espérer avec ce qu’il y a de plus griffé en nos âmes. À la condition, sans doute, fondamentale, de ne pas tout garder pour soi, ni la douleur, ni la peine, ni la joie, ni l’espérance.
Nous disons bien souvent qu’il en faut du courage pour supporter le malheur, pour alors encore vivre et prendre soin d’autrui. Peut-être que du courage est aussi nécessaire pour goûter le bonheur qui s’offre. Pour ne pas le laisser passer son chemin, de peur qu’il ne soit qu’illusion ou trop fugitif.
Serait-ce en ces contrées que nous mène la tradition biblique quand elle nous enseigne, qu’il faut en quelque sorte « sauver le bonheur » ? Car si l’humain n’a pas droit à l’erreur pour être heureux, nous sommes tous mal engagés !
Pour la Bible, le concept de bonheur n’existe pas comme tel. Pourtant, des mots s’en approchent, évocateurs : quiétude, succès, longue vie, descendance, terre promise : une bénédiction donc. Mais voici que ceci pourrait être bien trompeur et laisser croire que la réussite et la prospérité sont les signes du bonheur. Il est tant de justes malheureux, écrasés, et de méchants qui gagnent. Aussi le bonheur désigne-il plutôt, au fil des livres, le lieu où s’entrecroisent l’amour de Dieu et l’amour de l’autre, tous deux recommandés par la Loi (Dt 26, 1-15 ; Dt 30, 15-20). Une loi qui permet aussi d’éduquer le désir, de connaître ce qui fait vivre et mourir, afin que la liberté s’oriente vers le goût de vivre. Nous sommes conviés, par la méditation des récits bibliques, à faire de nos talents, de nos capacités, des dons reçus pour une communion. Et non à user de nos dispositions avec convoitise et jalousie, ce qui mène à la mort. (Ex 15, 25-26) « Heureux l’homme qui n’est pas allé dans le conseil des méchants …tout ce qu’il fera, il le rendra prospère » (Ps 1, 1-3)
La lecture du livre de Job est essentielle pour notre sujet. Car lui sait dans sa chair qu’il ne suffit pas d’être juste pour être heureux, que le malheur peut l’abattre. Que comprendre alors ? Des épisodes comme la naissance d’Isaac (Gn 21) racontent un bonheur dans une histoire chaotique, comme un long ajustement à la vérité, un bonheur qui n’efface rien des douleurs endurées. Serait-ce cela le bonheur ? Alors que l’on pensait que tout était perdu, désespérément mort et sans espoir, une faille, une brèche forcent l’impasse afin que la vie se faufile, opiniâtre. Bonheurs collectifs aussi, prémices de la Pâque, quand les fils d’Israël traversent la mer Rouge à pied sec. Ils ont cru que la vie triompherait, ils n’ont pas cherché à mettre la main dessus : au contraire, ils ont pris le risque de mourir, croyant qu’un Autre ouvrirait les portes de la vie, ce qu’il fit.
Ainsi, la vie naît de la mort, au terme d’un combat aussi intense qu’indécis. Le bonheur n’est jamais donné d’emblée, mais il ne se mérite pas non plus. Il se reçoit, du sein de la vie où il a fallu affronter le danger, la mort, le malheur. Le bonheur ni ne s’achète ni ne se conquiert. Il n’est pas non plus un conte de fées. Il est fugitif, toujours. En même temps, il est tel un socle, une fondation : notre passion d’aimer, notre soin pour l’autre, la sûreté qu’un Autre se tient à nos côtés, le renouvellement de notre regard sur les plaisirs simples qu’offre la vie, sans arrière-pensée. Peut-être un regard d’enfant. Y compris quand celui-ci a déjà les yeux embués des malheurs endurés.
Bienheureux diront et répèteront les béatitudes des évangiles. Celle qui a cru, ceux qui écoutent la Parole et la mettre en pratique, qui ont faim et soif de justice, qui font œuvre de paix, où encore dont le cœur est désencombré et les doux. Heureux, surtout, celle et celui qui demeure en son existence comme n’y étant pas seul. Une façon d’être, de regarder, de travailler, d’aimer surtout, où un Autre se tient au creux de nous-mêmes, le Christ. Y compris aux heures sombres, car le Fils de Dieu sut conjuguer le don à tous les temps, y compris celui de la mort et la mort sur une Croix. Le Dieu des vivants ne s’est rien épargné pour rendre compte de sa tendresse pour chacun. Il dit ainsi que toutes les heures de la vie, tous les goûts où se mêlent les arrière-goûts de la détresse et de la désillusion, sont habités de sa présence et de sa douceur.
Le bonheur que le Seigneur des vivants nous apprend, lui qui habita et vainquit la mort, est un tressaillement. Tressaillir d’attente, de joie, de douceur. Une aurore renouvelée et non un midi qui s’afficherait prétentieux, une discrète visitation.
Consentir au bonheur du seuil, et le protéger, non comme une forteresse, mais par le cœur en éveil.
Alors oui, qui nous fera voir le bonheur ? Qui nous donnera les yeux du dedans pour le reconnaître, y consentir, le laisser s’approcher sans lui faire peur ? Parcours menacé que celle de la décision pour l’existence, frémissante.
« Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! » (Lc 10, 23) proclame Jésus à ses disciples après avoir annoncé que l’évangile est révélé aux simples et aux « tout-petits ». Espérons ce bonheur. Sentir la vie, au risque d’en souffrir. Comme la vie de Dieu en nous, modeste, charnelle, entière."
fin de citation
Oui, ce livre mérite lecture, et comme nous avons fait avec mon épouse, il mérite un chapitre par jour dans le silence et en prenant le temps de la méditation. Je vous souhaite ces 38 jours d'apprentissage au bonheur, je vous rappelle le titre :
livre de Véronique Margron, Voir le bonheur, Paris : DDB, 2006. de 17 euros pour 181 pages.
Je viens de le lire avec mon épouse, ce sont de petites chroniques partant de la vie réelle ou de l' actualité, analysées avec finesse et profondeur, et qui nous appellent à avoir la bonne attitude pour vivre le bonheur quels que soient nos états de vie rencontrés au long d'une existence.
Mais pour en saisir la profondeur, écoutons comment elle présente son livre dans sa préface :
"Beaucoup demandent : « Qui nous fera voir le bonheur ? » Sur nous Seigneur, que s’illumine ton visage ! Ps 4.
Tant de fois, jours ou nuits, la supplication du psalmiste me hante, me préoccupe, me rend espérance aussi, en pensant à tant d’histoires abîmées, brisés, inquiètes. Y aurait-il un enseignement du bonheur ? Non, si c’est celui - mensonger et morbide - des sectes ou autres mouvements millénaristes nous annonçant un bonheur à la folle démesure de nos sacrifices ou des tragédies du monde. Nous serons aussi sceptiques devant les leçons mille fois apprises de l’effort et de la volonté. Nos existences savent pourtant combien travail et opiniâtreté sont nécessaires à l’apprentissage, au consentement à la durée, à la compréhension du monde. Ceci vient participer à un possible bonheur, particulièrement celui de maîtriser suffisamment des connaissances et des savoirs-faire. Car elles sont sources de gratification, d’estime d’autrui, de reconnaissances sociales. Mais le bonheur ne trouve pas sa source dans un volontarisme arc-bouté de principes. Nous pressentons qu’il ne peut être à notre merci, répondant à nos commandements ou à notre puissance. Non, il s’échappe. Il vit sa propre vie en quelque sorte. Il est un je ne sais quoi, autrement.
Apprendre le bonheur paraît alors bien difficile, d’autant qu’il est à la fois la chose la plus désirée au monde, mais aussi la plus fragile, sans définition absolue. Nous savons par contre - que trop - ce que sont les échecs, les drames, les déchirures de l’existence. Combien, les ayant vécus, les subissant peut-être encore, il est bien difficile de projeter un temps qui serait plus humain, simplement moins lourd. Ce n’est pas sans soupçon que vient alors la question du bonheur, de peur que cela « soit trop beau pour être vrai ». Pourtant. Que serait la vie, sans une patience qui n’est pas uniquement l’endurance face au pâtir, mais aussi un désir pour cette existence-ci ? Afin que son goût soit meilleur.
Pour mener à bien cette œuvre, il serait utile de retrouver le sens des « vertus » : cette bonne mesure. La vertu n’est pas une veille fille édentée, renfrognée, qu’il faudrait supporter. Non, elle est une grande et magnifique école : celle de la confiance dans la personne. Elle affirme - la vertu - que l’humain a la capacité de chercher le bien et de l’accomplir. Elle soutient qu’il est possible de vivre selon la sagesse, envers soi-même, pour d’autres. Il n’est pas question d’une sorte d’apologie de la vie harmonieuse « zen », trop lisse pour être crue. Mais au sein des difficultés, des dilemmes, des incertitudes, pouvoir vivre avec « la fragilité d’être menacé ». La vertu - celle de prudence, de courage, d’humilité, et bien d’autres - peut alors former à l’accueil du bonheur. Elle vient embellir l’intérieur de l’être, l’ajuster au réel comme à lui-même. Nous sommes loin des prescriptions du bonheur : « il faut que tu fasses ceci, que tu vives ainsi et tu seras heureux ». Eloignée encore des normes plus feutrées, mais puissantes, que sont les figures imposées du bonheur par nos sociétés, sa publicité, ses codes. Bonheur, dit-on alors, d’être vétu avec telle marque, ou d’adopter les modes de vie que la société manifeste comme étant les bons, etc. Nos discours libéraux sont loin de laisser le bonheur aller le chemin imprévu de chaque existence. Ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’il corresponde aux codes d’une époque, qu’il soit rentable surtout, c’est-à-dire une marchandise. Il y a un « devoir » d’être heureux : mener brillamment sa carrière, profiter de la vie, être en bonne santé, et jeune le plus longtemps possible… Caricatures qui se font passer pour l’idéal, le but à atteindre, ce qui fait la réussite d’une vie. Tant pis si nos histoires sont à mille lieux. Elles doivent alors se faire petites et silencieuses pour ne pas troubler l’ordre du bonheur empaqueté.
Alors oui, la vertu est puissance de résistance, de combat face à ce mensonge organisé. Car elle intègre le sensible de l’existence, le réel dans sa complexité afin d’orienter la liberté de l’humain. Courage, prudence, justice, mais encore tempérance, patience, humilité, intelligence bien sûr, sont ainsi à l’œuvre pour nous soutenir dans les difficultés comme autant d’appui à la vie heureuse. Forces d’une vie qui sait qu’elle ne peut tout maîtriser, qui connaît ce qu’elle ignore, ce qui n’est pas en son pouvoir. La vertu est modeste, mais trace une inclination, donne un flair quant à ce qu’il est juste de faire, elle peut être un pouvoir d’innovation et de renouveau face à l’imprévu. Une « latéralité éclairante » qui permet de conduire sa barque, dans le brouillard des circonstances, mais encore de pressentir la bonne direction face aux questions vertigineuses posées par notre époque. Il ne s’agit pas ici de décréter le bien, mais de rendre possible la voie qui apparaît la plus sensée et porteuse d’humanité. Statut de l’embryon, clonage, mondialisation économique, transformations des mœurs…Chacun est renvoyé à cette question : Commet ma manière d’être et de vivre respecte-elle autrui dans son mystère de sujet unique, habité d’une transcendance ?
Paradoxalement -peut-être - le bonheur prend ainsi la figure du souci. Souci pour la justice, pour le droit, pour la vérité d’humanité, dans la reconnaissance de ses propres fragilités et faiblesses.
Ainsi, oui, la vertu offre une école, rend possible une transformation dans la liberté. Elle n’est pas le bonheur, mais en favorise la reconnaissance et le désir. Non un bonheur possédé tel un propriétaire trop sûr de son bien, mais le bonheur comme une esquisse. Notre rapport au monde est si souvent plombé par l’image des performances et des conquêtes qu’il donne peu de chances de faire face avec douceur à ce qui advient. Mais le bonheur implore, lui, d’être vécu du sein de ce qui se présente à la vie : comme un acquiescement. Si son contraire est le malheur, peut-être y a-t-il aussi une forme de bonheur - un bonheur comme forme - qui peut inclure les heures plus sombres de la vie.
Je m’interroge alors : l’opposition systématique du bonheur et du malheur n’est-elle pas mortelle ? « Qui nous apprendra le bonheur ? » L’interrogation et la supplication du priant sont peut-être là pour nous sortir de cette vision binaire de l’existence. Vivre avec tout soi-même, dans la patience qu’il est possible et heureux d’ouvrir davantage son existence. Ne pas imaginer « tourner la page » des douleurs, mais plutôt tout prendre avec soi, non comme une malédiction, mais du sein de la conviction que l’humain a la ressource de réécrire le récit de son histoire car rien n’est gravé dans un marbre noir - à tout jamais scellé – d’un possible non-sens des choses de la vie. Le bonheur serait de croire, d’espérer avec ce qu’il y a de plus griffé en nos âmes. À la condition, sans doute, fondamentale, de ne pas tout garder pour soi, ni la douleur, ni la peine, ni la joie, ni l’espérance.
Nous disons bien souvent qu’il en faut du courage pour supporter le malheur, pour alors encore vivre et prendre soin d’autrui. Peut-être que du courage est aussi nécessaire pour goûter le bonheur qui s’offre. Pour ne pas le laisser passer son chemin, de peur qu’il ne soit qu’illusion ou trop fugitif.
Serait-ce en ces contrées que nous mène la tradition biblique quand elle nous enseigne, qu’il faut en quelque sorte « sauver le bonheur » ? Car si l’humain n’a pas droit à l’erreur pour être heureux, nous sommes tous mal engagés !
Pour la Bible, le concept de bonheur n’existe pas comme tel. Pourtant, des mots s’en approchent, évocateurs : quiétude, succès, longue vie, descendance, terre promise : une bénédiction donc. Mais voici que ceci pourrait être bien trompeur et laisser croire que la réussite et la prospérité sont les signes du bonheur. Il est tant de justes malheureux, écrasés, et de méchants qui gagnent. Aussi le bonheur désigne-il plutôt, au fil des livres, le lieu où s’entrecroisent l’amour de Dieu et l’amour de l’autre, tous deux recommandés par la Loi (Dt 26, 1-15 ; Dt 30, 15-20). Une loi qui permet aussi d’éduquer le désir, de connaître ce qui fait vivre et mourir, afin que la liberté s’oriente vers le goût de vivre. Nous sommes conviés, par la méditation des récits bibliques, à faire de nos talents, de nos capacités, des dons reçus pour une communion. Et non à user de nos dispositions avec convoitise et jalousie, ce qui mène à la mort. (Ex 15, 25-26) « Heureux l’homme qui n’est pas allé dans le conseil des méchants …tout ce qu’il fera, il le rendra prospère » (Ps 1, 1-3)
La lecture du livre de Job est essentielle pour notre sujet. Car lui sait dans sa chair qu’il ne suffit pas d’être juste pour être heureux, que le malheur peut l’abattre. Que comprendre alors ? Des épisodes comme la naissance d’Isaac (Gn 21) racontent un bonheur dans une histoire chaotique, comme un long ajustement à la vérité, un bonheur qui n’efface rien des douleurs endurées. Serait-ce cela le bonheur ? Alors que l’on pensait que tout était perdu, désespérément mort et sans espoir, une faille, une brèche forcent l’impasse afin que la vie se faufile, opiniâtre. Bonheurs collectifs aussi, prémices de la Pâque, quand les fils d’Israël traversent la mer Rouge à pied sec. Ils ont cru que la vie triompherait, ils n’ont pas cherché à mettre la main dessus : au contraire, ils ont pris le risque de mourir, croyant qu’un Autre ouvrirait les portes de la vie, ce qu’il fit.
Ainsi, la vie naît de la mort, au terme d’un combat aussi intense qu’indécis. Le bonheur n’est jamais donné d’emblée, mais il ne se mérite pas non plus. Il se reçoit, du sein de la vie où il a fallu affronter le danger, la mort, le malheur. Le bonheur ni ne s’achète ni ne se conquiert. Il n’est pas non plus un conte de fées. Il est fugitif, toujours. En même temps, il est tel un socle, une fondation : notre passion d’aimer, notre soin pour l’autre, la sûreté qu’un Autre se tient à nos côtés, le renouvellement de notre regard sur les plaisirs simples qu’offre la vie, sans arrière-pensée. Peut-être un regard d’enfant. Y compris quand celui-ci a déjà les yeux embués des malheurs endurés.
Bienheureux diront et répèteront les béatitudes des évangiles. Celle qui a cru, ceux qui écoutent la Parole et la mettre en pratique, qui ont faim et soif de justice, qui font œuvre de paix, où encore dont le cœur est désencombré et les doux. Heureux, surtout, celle et celui qui demeure en son existence comme n’y étant pas seul. Une façon d’être, de regarder, de travailler, d’aimer surtout, où un Autre se tient au creux de nous-mêmes, le Christ. Y compris aux heures sombres, car le Fils de Dieu sut conjuguer le don à tous les temps, y compris celui de la mort et la mort sur une Croix. Le Dieu des vivants ne s’est rien épargné pour rendre compte de sa tendresse pour chacun. Il dit ainsi que toutes les heures de la vie, tous les goûts où se mêlent les arrière-goûts de la détresse et de la désillusion, sont habités de sa présence et de sa douceur.
Le bonheur que le Seigneur des vivants nous apprend, lui qui habita et vainquit la mort, est un tressaillement. Tressaillir d’attente, de joie, de douceur. Une aurore renouvelée et non un midi qui s’afficherait prétentieux, une discrète visitation.
Consentir au bonheur du seuil, et le protéger, non comme une forteresse, mais par le cœur en éveil.
Alors oui, qui nous fera voir le bonheur ? Qui nous donnera les yeux du dedans pour le reconnaître, y consentir, le laisser s’approcher sans lui faire peur ? Parcours menacé que celle de la décision pour l’existence, frémissante.
« Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! » (Lc 10, 23) proclame Jésus à ses disciples après avoir annoncé que l’évangile est révélé aux simples et aux « tout-petits ». Espérons ce bonheur. Sentir la vie, au risque d’en souffrir. Comme la vie de Dieu en nous, modeste, charnelle, entière."
fin de citation
Oui, ce livre mérite lecture, et comme nous avons fait avec mon épouse, il mérite un chapitre par jour dans le silence et en prenant le temps de la méditation. Je vous souhaite ces 38 jours d'apprentissage au bonheur, je vous rappelle le titre :
livre de Véronique Margron, Voir le bonheur, Paris : DDB, 2006. de 17 euros pour 181 pages.
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