Pierre l'imbécile
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Pierre l'imbécile
Un paysan, nommé Pierre, qui n’avait vu que son village fut averti que son frère était mort sans enfants dans la capitale de la province, et qu’il laissait un bien considérable ; qu’il eût à se présenter au plutôt pour recueillir cette riche succession. À cette nouvelle, maître Pierre prend son bâton un beau matin et se met en chemin. Il n’eut pas fait deux lieues, qu’il rencontra une rivière : c’était la première qu’il eut vue de sa vie ; il n’avait vu chez lui que des torrents, qui ne mettaient pas plus de temps à se dissiper qu’à se former. Quand il vit cette rivière large et profonde :
« Oh, oh, dit-il, voilà bien de l’eau ! Il faut qu’il ait bien plu dans ce pays-ci, tandis que chez nous on se plaint de la sécheresse. Je l’avais bien ouï-dire, que le temps n’était pas le même partout : voilà comme on apprend en voyageant. Que faire cependant, continua-t-il, il faut bien attendre que cette eau passe. Ce qui lui persuadait que l’eau serait bientôt écoulée, c’est que la rivière faisant un coude du côté que l’eau venait, il ne voyait de ce côté-là que très-peu d’eau ; d’ailleurs il observait que l’eau coulait rapidement. Sur ces observations notre imbécile prit le parti de s’asseoir, et d’attendre que l’eau fût écoulée. »
Le batelier qui était de l’autre côté de la rivière, voyant cet homme assis, avança son bateau, et, étant près de terre :
« Ne voulez-vous pas passer la rivière, lui dit-il ?
– Oui, répondit le paysan.
– Eh bien, reprit l’autre, montez donc dans le bateau.
– Oh ! répliqua notre homme, je ne suis pas si pressé que je veuille exposer ma vie dans votre bateau : j’ai bien le moyen d’attendre.
– Tant qu’il vous plaira, dit le batelier qui crut que cet homme se moquait de lui. »
Cependant il se présenta d’autres passagers qui s’embarquèrent. Pierre admirait leur témérité, et continuait d’attendre que l’eau fût écoulée pour passer à son aise : mais la rivière coulait toujours.
Il attendit ainsi jusqu’au soir : mais, voyant que la nuit approchait, il remit la partie au lendemain, et retourna chez lui, ne doutant point que le lendemain la rivière ne fût à sec. Il revint le lendemain, et la rivière coulait encore, Il revint trois jours après, et la rivière coulait encore.
« Assurément, dit-il, quelque sorcier se met de la partie, et je vois bien que cette succession n’est pas pour moi. »
Dans son dépit, il céda tous ses droits à Jacques, son cousin, qui fut plus loin que lui, qui passa la rivière en bateau, recueillit la succession, et revint fort riche dans son village où il fut un gros monsieur, tandis que le maître Pierre resta dans sa cabane et dans sa misère, et ne retira de sa succession que le surnom d’imbécile : car depuis que l’on sut son aventure, on ne l’appela plus que Pierre l’imbécile.
Qui s’imaginerait que la plupart des hommes, au regard de l’héritage céleste qu’ils ont à recueillir, tombent dans la même folie que le paysan dont nous venons de parler ? Car examinez les pécheurs ; et tous ceux qui mènent une vie peu chrétienne et peu fervente, et vous verrez que tous attendent que la rivière s’écoule. On attend d’abord que la jeunesse passe, que le feu des passions s’amortisse, ensuite on attend qu’on soit établi, qu’on soit en un état fixe et tranquille : ensuite on attend que cet embarras soit fini, que cette affaire soit terminée, et ainsi on attend toujours un temps propre pour se donner à Dieu, et on ne le trouve jamais. On attend qu’il ne se présente aucun obstacle à son salut ; on attend que ceux qui se présentent soient passés : c’est attendre que la rivière s’écoule. Les obstacles au salut se succèdent sans cesse, et forment une rivière d’un cours perpétuel, et dont la source est intarissable. C’est par-dessus ces obstacles qu’il faut passer : c’est malgré ces obstacles qu’il faut aller ; c’est par le moyen de ces obstacles qu’il faut avancer.
Voyez combien traversent la rivière et continuent leur route ; imitez-les : dès aujourd’hui, commencez. Si vous différez, si vous attendez une occasion plus favorable, vous attendez que la rivière s’écoule. Insensé ! Un autre vous supplantera, et vous aurez le désespoir de le voir en possession d’un héritage qui était pour vous.
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